Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DIAPSEPHISIS

DIAPSEPHISIS (,tn ri tatç). L'usurpation du titre de citoyen paraît avoir été très fréquente à Athènes, si fréquente que, lors de l'une des révisions générales de la liste des citoyens, il fut reconnu que quatre mille sept cent soixante personnes sur dix-neuf mille environ, c'est-à-dire plus d'un quart, étaient illégalement inscrites. Isocrate remarquait, en effet, que, à certaines époques, pendant que les cimetières publics se remplissaient de la dépouille mortelle des citoyens, les registres des phratries et ceux des dèmes se couvraient de noms de personnes qu'aucun lien sérieux ne rattachait à la cité 1. Plusieurs dèmes s'étaient même fait une réputation malheureuse par la facilité avec laquelle ils inscrivaient sur leurs registres des personnes justement suspectes d'extranéité. Tels étaient notamment le dème de Potamos et celui d'Halimus2. Pour réprimer autant que possible de tels abus, le peuple athénien ordonna, de temps à autre, que, dans chaque dème, le )rg ispxtxôv ypaµu.a7Etov, c'est-à-dire le registre contenant les noms des citoyens, fût l'objet d'un examen attentif, tendant à faire disparaître tous ceux qui y avaient été injustement portés. C'est à cet examen que les Athéniens avaient donné le nom de ,tabrptstç3. Deux de ces révisions générales nous sont assez bien connues. La première, qui eut lieu sous l'archontat de Lysimachide (445-444 av. J.-C.), fut motivée par l'envoi qu'un Psamitik, qui régnait dans quelque coin du Delta d'Égypte, fit aux Athéniens de trente ou quarante mille médimnes de blé [Voy. DIADOSEIS]. Les renseignements nous font défaut sur la procédure de cette révision. Nous n'avons pas, en effet, de texte qui nous autorise à affirmer que l'enquête fut dirigée par les démotes, réunis sous la présidence du démarque. Nous ne pouvons pas non plus dire avec certitude qu'elle fut confiée à. des magistrats spéciaux analogues aux Z'iyn ai4. Nous avons seulement de borines raisons pour ne pas croire, comme M. Haussoullier6, que les Héliastes furent appelés à statuer sur toutes les inscriptions suspectes. Il ne faut pas oublier qu'il y eut quatre mille sept cent soixante usurpateurs expulsés; or, à moins de supposer que toutes les contestations furent couronnées DIA -1 58 DI À de succès, il faut admettre que le nombre des procès fut plus considérable que le nombre des expulsions. Combien i€ temps les Iléliastes auraient-ils mis à juger cinq ou six mille actions cm justice? La seconde révision génerae parvenue à notre connaissance eut lieu sous l'archontat d'Arcllias', non pas, comme l'ont dit plusieurs historiens, de cet Archias qui fut éponyme en 419, mais d'Archias lI, qui donna son nom à l'année 343-313'. fl ne peut y avoir sur ce point aucune hésitation 3, puisque ce fut à l'occasion de cette lia tr`,stalÿ que furent composés le discours de Démosthène conte Eubulide, et probablement aussi les discours d'1see pour Euphilétos et contre 8M:os'. Nous ne connaissons pas bien les raisons particulières qui décidèrent mn Athénien, nommé Démopuilosco, à prendre l'initiative de la révision deregistres civiques. M. Ernest Cutis croit q= il fut inspiré par le désir de débarrasser la ville d'étra.n ers sans conviction et peu sûrs, ainsi que d'opérer en générai un relèvement de l'esprit public.". Dans irn tout autre ordre d'idées, Westerrnann rattache la mesure à la confiscation des biens de Diphilos, flint la fortune s'élevant à cent soixante talents devait être distribuée entre les citoyens". Quoi qu'il en soit, le peuple décida que, dans chaque dème, une enquête aurait lieu, par les soins des habitants du dème, pour savoir si tiens ceux !i étaient inscrits sur les registres civiques étaient ou non Citoyens légitimes". Voici, d'après le discours des orateurs'', quelle fut la lro. dure suivie dans la !ta pieu de 346. Au jour fixé, soin par lue d icret du peuple athénien, soif par le dén-..arque, pour le commencement de :t'enquête, les membres du dème e réunissaient dans le lieu habituel le leurs séances, sous la présidence du démarque L'importance de la réunion avait sans doute paru garantir d'une manière suffisante l'assiduité des démotes, car nulle peine n'avait été édictée contre les absents. Nous lisons dans Démosthène que les vieillards du dème d'1laliunus, ayant un long trajet à faire pour retourner chez eux, se retirèrent avant la fin. de l'enquête, et l'orateur ne leur fait pas un crime de cette retraite prématurée, si nuisible qu'elle eût été à son client". Tous ses dénotes prêtaient serment ae voter (ionfnrménment à la justice abstraction faite de tout sentiment d'amitié ou de .haine] . Le r'q txpzia v ypa;apx7s`"viv, sur lequel étaient inscrits les noms de to s les citoyens composant 1 dème, était alors ouvert u, et, sur l invitation du démarque, un, greffier ou un héraut appel ~ar suc eE,,.r~_:a rit toile e' s:orns pore tés sur le registre. Sur chaque nom, un vote avait lien ar scrutin secret. Les membres du dème étaient invités ?. Lire si, en leur n..e et _;o'ucience, rappelé était réellement citoyen ou bien sil avait usurpé le droit de cité. Le plus habituellement il n'y art de discussion préalable a'! . Personne ne de na.. _ et L parole, le démarque in. les démotes à déposer no zédiatement leurs suffrages dans l'urne et dépouillait le scrutin. II était naturel de prévoir alors une réponse affirmative, et cependant Eschine nous apprend que beaucoup de personnes furent rayées de la liste, sans qu'aucune objection à leur maintien eût été formulée avant la mise aux voixf9. Une radiation opérée dans de telles conditions n'avait, dit l'orateur, presque aucune chance d'être réformée en cas d'appel; car elle prouvait, par elle seule, qu'il y avait eu bien réellement usurpation du droit de cité. Les votes défavorables étaient ordinairement précédés d'un débat contradictoire. L'un des membres du dème, à l'appel du nom suspect, demandait la radiation 20 et justifiait sommairement sa demande. La personne mise en cause se défendait en faisant entendre des témoins, en produisant des actes écrits, en évoquant le souvenir des services rendus par ses parents, etc. C'était seulement lorsque cette discussion était close que le démarque recueillait les suffrages. 11 n'y avait qu'une seule urne pour toutes les opinions émises" ; il fallait donc que chaque vote eût un signe distinctif, permettant de reconnaître s'il était favorable ou défavorable. Quelques grammairiens nous disent que les démotes exprimaient leur avis en écrivant sur des feuilles d'arbre ; c'est même, ajoutent-ils, de ce mode d'expression des suffrages, connu sous le nom de ?u»,opapiu, que sont venus les mots i'x1uahsCop;-,st pour désigner l'expulsion d'un membre du dème, et xrril,a)lot?oprilowog pour désigner l'expulse lui-morne V2. D'autres grammairiens disen`, que pour le vote on employait des fèves, blanches si le vote était favorable, noires s'il était défavorable 23. Ces deux modes ont-ifs été employés simultanément ou bien l'ont-ils été successivement? 3,a éite est que les orateurs se servent toujours de l'expression j3j pov loûvat ou tI m pi~ea0ut, qui semble une allusion à l'emploi de cailloux, entiers ou sent été écrits sur des feuilles d'arbre, le dépouillement du scrutin n'aurait pu avoir lieu que pendant le jour, et cependant Démosthène parle d'un scrutin dépouillé après le coucher du soleil, au milieu de l'obscurité 24, Malgré l'obligation imposée aux démotes d'émettre un Imite individuel et secret sur chacun des membres d-s dème, la 3ta4ccgtatç se faisait assez rapidement. Démosthène nous apprend que, dans le dème d'Halimus, l'un des moins peuplés, il est vrais l'assemblée statua, en très per de temps, sur soixante inscriptions?' ; l'opération, pour le dème tout entier, put être terminée en deux jours. Dans les dèmes plus nombreux, les votes et les scrutins exigés ne pouvaient pas être aussi rapides, et l'assemblée des démotes dut être maintes fois prorogée pour mener à bonne fin l'enquête. Les résultats de la âta4,iiptrt; de 346 furent-ils bien conformes a l'équité? N'y eut-il. pas dans les enquêtes une trop large part faite, non seulement aux préjugés, mais encore aux mauvaises passions, aux vengeances personnelies aux rancunes privées? Les orateurs citent des personnes dont le maintien ou ]a radiation sur les registres furent payés à prix d'argent 26. Ils parient de frères germains, c'est-à-dire ayant le même père et la même mère, dont les uns furent exclus du droit de cité pendant que les autres en conservèrent la jouissance ; ils racontent que des fils furent déclarés citoyens, tandis que leur père était rejeté comme étranger". Même en faisant la part des exagérations que comporte un plaidoyer, il faut bien reconnaître qu'il y eut des radiations injustes. Les victimes de l'injustice n'avaient pas, d'ailleurs, été livrées sans défense au bon plaisir des dèmes. Lorsque, les démotes ayant répondu négativement à la question posée par le démarque, une personne avait été exclue du droit de cité, l'appel était possible devant une juridiction offrant plus de garanties d'impartialité. Mais l'emploi de cette voie de recours n'était pas sans dangers et il fallait être bien convaincu de l'excellence de sa cause pour en useras. Des textes, dont l'autorité a été contestée, mais ne paraît pas sérieusement contestable29, disent, en effet, que celui qui s'inclinait devant la décision du dème était seulement exclu de toute participation au droit de cité ; il pouvait même continuer à résider à Athènes, à la condition de se soumettre aux charges imposées aux étrangers, tandis que celui qui interjetait appel s'exposait, en cas d'insuccès, à perdre, outre la qualité de citoyen, la liberté. Ses biens étaient confisqués au profit du trésor public et il était vendu comme esclave". L'appel était formé devant les thesmothètes et jugé par les héliastes. L'opinion d'après laquelle les Nautodikai auraient été compétents" est inadmissible pour la lon4 s'1cuatç de 346, par l'excellente raison que, à cette époque, on ne trouve plus aucune trace de l'existence de ces magistrats. Ce sont les juges ordinaires32, c'est-à-dire les héliastes, qui, sous l'hégémonie des thesmothètes, jugent tous les procès dont, au ve siècle, la connaissance appartenait aux Nautodices. L'intimé était le dème, représenté par le démarque ou par quelqu'un de ses membres. Il eût été, à première vue, naturel que l'appelant prît le premier la parole devant les héliastes, et cependant nous savons par Démosthène que les juges entendaient d'abord le représentant du dème. Pour justifier cette singularité, on peut dire que, si l'appelant avait dû parler le premier, il aurait été obligé de réfuter les raisons pour lesquelles la radiation avait été pron'ncée, raisons encore inconnues des juges, peut-être même inconnues du plaideur, lorsque la radiation avait eu lieu sans discussion préalable ". C'était au représentant du dème à exposer d'abord pour quels motifs un nom inscrit sur le registre civique avait été effacé, sauf à l'appelant à montrer ensuite que la radiation n'était pas légitime. Du discours d'Isée pour Euphilétos, il résulte que la sentence des démotes, avant d'être déférée aux héliastes, pouvait être soumise à l'appréciation d'un arbitre 36. On enseigne généralement que l'arbitre dont parle l'orateur est un arbitre public [•DIAITÉTAI]. Deux objections, l'une et l'autre très graves, peuvent toutefois être faîtes contre cette opinion. On sait, d'abord, qu'il n'y avait lieu à l'arbitrage public que lorsqu'il s'agissait d'actions privées 35; or il paraît difficile de voir une action privée dans un appel qui expose le plaideur au danger d'une confiscation de ses biens et d'une vente comme esclave. De plus, l'orateur nous dit que l'arbitre, chargé d'examiner le litige pendant entre Euphilétos et les habitants du dème d'Erchia, resta saisi de l'affaire pendant deux années; or les fonctions des arbitres publics duraient seulement une année. Schômann a essayé de répondre à ces deux objections. L'action, suivant lui, était bien réellement une action privée"; car la personne rayée du registre appelait en justice les démotes pour obtenir la réparation d'une injustice dont elle se croyait victime, elle se plaignait donc d'une atteinte portée à son droit particulier ; la République n'était en rien lésée37. Est-il possible que les Athéniens se soient placés à un tel point de vue? L'exclusion injuste d'un citoyen n'est pas seulement dominegeable à l'exclu; elle cause aussi un grand préjudice à l'État. Gela est si vrai que l'action fondée sur l'extranéité, la evfaç ypa frj, était incontestablement une action publique. Schumann trouve d'ailleurs naturel que l'arbitre, appelé à juger une affaire pendant. l'année de ses fonctions, ait gardé compétence pour statuer, même après l'expiration de l'année et lorsque ses pouvoirs avaient pris fin 3s. Cette prorogation semblait si peu naturelle aux Athéniens que, pour l'éviter, ils suspendaient, pendant les derniers mois de l'année, le cours normal de la justice. On échapperait aux difficultés que nous venons de signaler en supposant qu'Euphilétos et les membres du dème d'Erchia, avant d'aller devant le tribunal des héliastes, soumirent leur différend à un arbitrage conventionnel. Cette solution, qui met à la place d'un arbitre public un arbitre privé, peut, nous le reconnaissons volontiers, donner prise à quelques critiques; mais elle se concilie mieux que l'opinion de Schumann avec les principes généraux du droit athénien. Le nombre des citoyens exclus des dèmes par l'effet de la revision de 346 fut-il proportionnellement aussi grand qu'il l'avait été un siècle plus tôt ? Nous ne pouvons le dire. Nous savons seulement que les exclus, nt âaes.i•rr;cgéuot, formèrent, en restant dans la cité, une sorte de groupe artificiel, qu'llypéride distingue de celui des métèques; cet orateur leur fit une place à part dans l'énumération des personnes auxquelles, le lendemain de la bataille de Chéronée, il proposa de concéder les droits de citoyen 3s. A côté des lln'hi,fsetç générales, ordonnées par décret du peuple athénien et applicables à tous les dèmes de l'Attique, on trouve des atce4vi?ieetç particulières, spéciales â un dème et ordonnées par l'assemblée de ce dème. Telle est celle qui eut lieu, longtemps avant la grande enquête de 346, dans le dème d'Halimus 4°. Le démarque de ce petit dème informa, un jour, ses concitoyens que leur registre civique avait péri ; il les invita, non pas à le DIA 160 DIA reconstituer purement et simplement, tel qu'il était avant sa destruction, mais plutôt à le rétablir en votant les uns sur les autres, Se' p(7usGac epi nl lv, c'est-à-dire à profiter de l'occasion pour reviser la liste des démotes et pour en éliminer les intrus. Cette'et«t!d4tatç était complètement facultative, et il n'y a pas de motif sérieux pour la qualifier, avec M. Haussoullier 41, de St«'Lsil,ta(s i «v«yx7lç. La proposition du démarque fut adoptée, et dix (les membres du dème, environ un dixième du total, furent exclus. On peut croire que l'opération n'eut pas lieu avec une parfaite loyauté ; car neuf des exclus, qui avaient interjeté appel, obtinrent, par décision judiciaire, la réformation de la sentence des démotes : nouvel exemple de la partialité qui souvent présidait à de telles enquétes. E. CAILLEMEI.