Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DIKÈ

DIKÈ (O(xn). Le mot A(xri signifie proprement Justice. C'est, en effet, une personnification de la justice que la poésie nous offre, lorsqu'elle nous montre la déesse DIxè, assise auprès du trône de Jupiter, son père, et pesant dans sa balance les actions des hommes et des dieux'. Mais, sans perdre son acception primitive, ce mot a servi à exprimer des idées très diverses. Qu'ils parlent de droit, d'action judiciaire, de procédure, les Grecs emploient toujours le mot justice, A(xq, Aixatov 2, Théophile, dans sa paraphrase des Institutes, en fait la remarque : « Ce que les Athéniens appelaient S(xn, les Romains l'appellent `Pcs aiot 3. » Ainsi, ce que la loi romaine exprime par les mots actio et jus, c'est-à-dire par l'idée d'une contrainte extérieure et matérielle (jus de juqum), se traduit dans la loi grecque, moins précise et plus spiritualiste, par la notion idéale de la justice. Nous ne prenons ici le mot Men que dans le sens d'action, et nous voulons seulement, dans cet article, présenter un tableau des actions judiciaires, à Athènes, dans leurs traits les plus généraux. Ce qui concerne telle ou telle action en particulier sera exposé dans les articles spéciaux consacrés aux actions les plus importantes. Les Athéniens considéraient comme un principe inviolable et comme le fondement de leur liberté " qu'un homme, si criminel qu'il pîtt être, ne fût jamais puni qu'après une défense libre et publique et qu'en vertu d'une condamnation prononcée par ses concitoyens. Même sous les gouvernements oligarchiques, à Sparte par exemple, à Athènes, avant Solon, où des magistrats agissant isolément rendaient la justice dans les affaires civiles, jamais le droit de statuer sur un crime capital, entraînant la mort, le bannissement, la confiscation ou de fortes amendes, ne fut abandonné à un juge unique; on l'attribua toujours à un collège plus ou moins nombreux, dont les jugements pouvaient, en quelque sorte, ètre considérés comme l'expression du pouvoir délibérant. A plus forte raison et dans une plus large mesure, les démocraties déléguaient la puissance judiciaire à un grand nombre de citoyens pris 2G M K -202 __ [11K dans la masse de l'Assemblée du peuple. Il arriva même souvent, dans les démocraties exagérées, que l'Assemblée reprit aux tribunaux, pour juger elle-même, la connaissance de certains crimes. A Athènes, si l'on fait abstraction de quelques juridictions ayant plutêt un caractère religieux qu'un caractère politique, cornrne l'Aréopage et les Ephètes, les jugements, tant civils que criminels, appartenaient à un jury, composé d'un très grand nombre de citoyens, pris dans toutes les classes de la société, même les plus pauvres. Le pouvoir judiciaire était considéré par le peuple comme une dépendance de son pouvoir législatif; car, dans une e' comme Athènes, où la loi était peu précise et souvent muette, la jurisprudence créait le droit bien plus qu'elle ne l'appliquait, Aussi les jurés prêtaient-ils serment de juger suivant la loi, et, à défaut de loi, suivant la justice Non seulement le droit de juger était commun à tous les citoyens, mais encore le plus souvent le droit de poursuivre. Bien des actes, qui, à nos yeux, n'affectent que des intérêts privés, comme, par exemple, le refus de fournir des aliments à son enfant ou à son père, donnaient ouverture, chez les Athéniens, à une action publique, que tout particulier pouvait également intenter, « Solon, dit Plutarque, avait sagement voulu que tous les citoyens s'accoutumassent à se regarder comme les membres d'un même corps, à ressentir et à partager les maux les uns des autres, Tous les citoyens doivent sentir l'injure faite à l'un d'eux et en poursuivre la réparation aussi vivement que celui qui l'a revue °. Les Athéniens distinguaient donc, même ;iarls des matières a;jourd'hui dévolues au droit privé, des actions privées et des actions publiques, Té; Ts illat ilsa; irai T; Sn,uocia;, comme dit Démosthène Mais, bien que l'expression Aixr1 fût générale et convînt à toutes les actions, on l'appliquait souvent, dans un sens plus spécial, aux seules actions privées, en l'opposant au mot ypapo, qui lui ne s'entendait que des actions publiques. Pollux fait remarquer que les actions publiques peuvent être appelées Lirai, mais qu'il n'y a pas réciprocité, les actions privées n'étant, jamais appelées y pratpai : 'i raa,oüvza a ; pawal Ssxa,, Les caractères particuliers des actions publiques, ypapaï ou 8rµoalat iixat, sont que : 1° sauf de rares exceptions, ces actions peuvent être intentées par tout citoyen Lsl'gxoc, c'est-à-dire ayant la jouissance et l'exercice des droits civils, lors même que ce citoyen n'y aurait aucun intérêt personnel et déclarerait agir uniquement pour le bien commun ; 2° si l'accusateur triomphe et obtient une condamnation pécuniaire, c'est à l'État que l'amende profitera, le plus habituellement pour le tout, quelquefois au moins pour une partie; 30 si cet accusateur échoue honorablement, sans que sa bonne foi puisse être suspectée, il n'encourra pas les peines édictées contre les plaideurs téméraires; --4° si, au contraire, il succombe misérablement, sans obtenir la cinquième partie des suffrages exprimés, ou si, prévoyant un tel échec, il se désiste de son accusation, il sera puni d'une amende de mille drachmes et privé du droit d'intenter à l'avenir pareille action. Dans les actions privées, Lxat proprement dites ou lÔiat ôtxxt, 1° la partie, directement intéressée à la reconnaissance du droit en litige ou à la réparation du préjudice causé par le fait qui donne ouverture à l'action, a seule le droit d'agir, soit par elle-même, soit par ses représentants juridiques; -2' si elle obtient gain de cause, elle profite seule du jugement rendu ou de la condamnation prononcée; 3° en cas d'échec, elle est exposée à la peine des plaideurs téméraires; 44° elle a le droit de se désister de son action sans encourir aucune peine. Parmi les actions privées, les Athéniens distinguaient d'une part des S xat xvTé Tivo;, et d'autre part des Lirai irpd; Ttva 1i LL Les Liras xarâ imita: avaient pour objet les dommages et intérêts dus à raison d`un délit ou d'un quasi-délit; sous le nom de Lirai itpd; Ttva, on comprenait les actions résultant d'un contrat et les actions réelles 72. Même en ce qui concerne les actions publiques, les Athéniens paraissent avoir admis une distinction analogue. Sans doute, la plupart des ?payai sont des actions xaTtx Tivo;, et c'est ce qui explique pourquoi plusieurs historiens du droit veulent restreindre cette distinction aux Sima proprement dites' a. Mais Il y a au moins un exemple de ypaesi?l xpé; Tuai, Le discours contre Leptine est intitulé npb; AsacTivviv, et non pas xaz`a AaaTfvou, avec raison, parce que Leptine ne pouvait plus être condamné personnellement, la prescription étant accomplie en sa faveur"; la loi qu'il avait proposée était seule en cause. L'accusateur ne demandait donc pas que Leptine fût puni, comme il l'eût demande s'il eût agi xa-rà AlrcTivou; i1 avait pour but de faire déclarer l'iilégalite de la proposition que Leptine avait fait adopter, Les Lirai xatrnica, privées ou publiques, ont un caractère pénal, qui n'apparaît pas dans les Lirai rpd; Tria 1'. On trouve encore dans les textes une division des actions avec estimation » et a actions sans estimation »i Pour comprendre cette division, il faut se rappeler que le jugement, dans les affaires tant civiles que criminelles, appar tenait à un jury, qui prononçait, non pas une condamnation, mais un simple verdict; la condamnation était ensuite prononcée par le magistrat. Or il pouvait se faire que, pour fixer le montant de cette condamnation, il fût besoin d'une estimation ou d'une liquidation du litige (T411ct;, T(N.,t,a); par exemple, si la condamnation avait pour objet des dommages et intérêts, ou une amende dont le chiffre n'était pas fixé par la loi. Laisser cette estimation à l'arbitraire du magistrat, c'est été rendre l'autorité du jury illusoire. Aussi procédait-on autrement, Après le verdie de condamnation du jury, le magistrat ouvrait une seconde instance, qui avait précisément pour objet l'estimation du litige. Dans cette instance, le demandeur autre (civTiTtp.âvOvi, ixu'r TtpuâeOat) 77, et le jury opinait pour celle des parties qui avait propose l'estimation la plus juste. Toutes les actions où cette procédure en estimation était nécessaire s'appelaient Tturi=a`i SExxi 1k. Dans tous les cas où elle n'avait pas lieu, et où le montant de la cons damnation se trouvait fixé d'avance, soit par la loi, en cas d'amende fixe 10, soit par la convention, en cas de clause pénale, soit par l'objet même de la demande, en cas d'action réelle ou de créance de sommes d'argent ou de choses déterminées, le procès était dit é ip-ITOS L°. Après ces notions générales sur les actions et sur leurs diverses espèces, nous avons à rechercher quelles personnes pouvaient intenter une action et y défendre, et dans quelles formes ces personnes devaient procéder. 1. -Pour agir valablement en justice, il fallait être du sexe masculin, majeur, citoyen et jouissant de la plénitude des droits civils. Par là se trouvaient exclus f0 Les femmes. Pour les actions privées, elles étaient représentées par leur tuteur (xûptos), soit en demandant, soit en défendant". Quant aux actions publiques, elles ne pouvaient jamais se porter demanderesses; mais elles pouvaient être poursuivies et leur xûptos prenait leur défense. On ne sait si le rôle du xûpax consistait à représenter ou seulement à assister la femme. Le scholiaste d'Aristophane rapporte que, en cas de poursuites contre une femme mariée, il fallait actionner à la fois la femme et son mari". 20 Les mineurs, c'est-à-dire les citoyens qui, ayant rrroins de dix-huit ans, n'étaient pas encore inscrits sur le r91,taextxôv ypapµaTaiov. Eux aussi avaient un tuteur ou xûptos, et on peut leur appliquer tout ce que nous avons dit de la femme 23, soit pour les actions privées, soit pour les actions publiques' En outre, ne faut-il pas assimiler aux mineurs ceux que la vieillesse ou des infirmités frappaient d'une incapacité naturelle ? D'après Grégoire de Corinthe, ils n'auraient pu agir qu'avec l'assistance d'+un auvriyopasn. 30 Les esclaves. A l'exception des esclaves publics (ôep.ôntos elrÉTr,s) 26, et des esclaves préposés par leurs maîtres à la direction d'un commerce ou d'une usine 27, esclaves auxquels on reconnaissait une certaine capacité juridique, les actes d'un esclave ne pouvaient créer de droit ou d'obligation que pour le maître, et, en conséquence, ne pouvaient donner lieu qu'à une action du maître ou à une poursuite contre lui". Toutefois, quand le maître agissait ou était actionné à raison des actes de l'esclave, c'était au nom même de l'esclave que l'action devait être libellée". 4° Les étrangers, parmi lesquels il faut comprendre les métèques, mais non les 1aoTnÀ€is. A l'exception peut-être des affaires de commerce 36, les étrangers qui voulaient agir en justice devaient toujours être assistés par un npteTa'TYf3a1 ou par le npéinvos de leur cité". Toutefois cette assistance paraît n'avoir été exigée que pour l'introduction de l'instance; l'étranger pouvait ensuite poursuivre seul la procédure", C'est en qualité de npoaT«Trls que Périclès prit la défense d'Aspasie et Hypéride celle de Phryné, l'une et l'autre étrangères et accusées du crime d'impiété. 50 Les âTtp,ot ou infâmes. « Ils sont, dit Lysias, exclus des tribunaux comme des temples et ne peuvent ni repousser les injures de leurs adversaires, ni faire valoir leurs droits 3', » Il y.aurait cependant à distinguer, à cet égard, entre les diverses espèces d'Ariana ; les effets de l'atimie variaient suivant certaines circonstances que nous avons précédemment exposées. 6' Les personnes morales, Lorsque ces personnes avaient à intenter une action ou à se défendre, elles devaient forcément avoir un représentant, qui était soit un fonctionnaire public, s'il s'agissait de l'État, soit le président de la corporation, soit un des membres de la société spécialement délégué à cet effet. Ainsi, c'était le démarque qui était chargé de défendre devant les tribunaux athéniens les intérêts du dème, le phratriarque ceux de la phratrie, l'archiéraniste ceux de l'ipavo 3:, etc. Une question générale doit être posée relativement à tous les incapables qui rie peuvent agir en justice que grâce à l'intervention d'une personne chargée de les assister ou de les représenter. Comment agiront-ils s'ils ont des droits à réclamer contre la personne même qui a mission d'agir pour eux? La femme, le mineur peuvent, en effet, avoir des droits à exercer contre leurs tuteurs, le métèque contre son npoaTâssis, l'esclave lui-même contre son maître. Les Athéniens avaient, pour certains cas, résolu la difficulté en instituant des actions publiques, c'està-dire en invitant tout citoyen à prendre en main la cause de l'incapable opprimé par celui-là même qui était tenu de le protéger". Dans d'autres cas, l'action pouvait être intentée par un des parents de l'incapable, Ainsi, lorsqu'une femme voulait demander le divorce contre son mari, l'un des parents de cette femme était autorisé à l'assister. Un mineur, lésé par un de ses tuteurs, pouvait être défendu par un autre tuteur". 11 faut remarquer enfin que, sauf les cas oit un incapable est représenté par son protecteur légal, chacun est tenu de comparaître en personne. La procédure grecque n'admet pas de grrocurator ad litem. Il. L'ensemble d'une procédure à Athènes comprenait une série de formalités, que nous allons successivement énumérer, en renvoyant pour les détails aux articles particuliers et en laissant de côté ce qui est spécial aux actions publiques, dont nous parlerons à l'article CRAPDE. Le premier acte de la procédure est l'ajournement (npôax7aleic ou xnîats), Le demandeur (b axAààs), assisté de témoins (xï.alT pes)d3, va trouver sa partie adverse (6 lui déclare ses prétentions, et lui assigne rendez-vous devant le magistrat compétent30. Les formes brutales de l'in jus vocatio des Romains furent toujours inconnues à Athènes. On ne pouvait contraindre le défendeur à comparaître au moment même ; il fallait lui donner un délai, qui dans étrangers seuls, lorsqu'ils n'avaient pas de domicile à Athènes, pouvaient, s'ils ne fournissaient caution°, être assignés à comparaître sur-le-champ et conduits de force devant le magistrat'". On ne pouvait pas non plus, pour assigner le défendeur, pénétrer malgré lui dans sa maison. La demeure de chaque citoyen était considérée comme un sanctuaire inviolable ; les trente tyrans eux-mêmes respectèrent toujours cet asile tai DIK 204 DIK Au jour convenu dans l'assignation, les parties comparaissaient devant le magistrat, en général l'un des archontes. Si le défendeur, quoique régulièrement cité, ne comparaissait pas, le magistrat donnait défaut contre lui; il y avait alors ipriµoatx(a S'il comparaissait, le demandeur présentait sa plainte et réclamait des juges. Cette plainte devait indiquer les noms et les domiciles des deux parties, l'objet du litige et les conclusions du Tov't'. Un autre exemple nous est offert par la formule d'accusation d'Eschine contre Ctésiphon"6 ; mais cette formule est aujourd'hui regardée comme apocryphe'". Le magistrat, après avoir pris lecture de cette demande, pouvait, â première vue, la déclarer inadmissible et refuser des juges; par exemple, si elle était irrégulière dans la formeh', ou bien ouvertement contraire à quelque prohibition de la loi t0. Toutefois, en déniant une action mal à propos, il s'exposait à une poursuite criminelle pour déni de justice. S'il trouvait la plainte admissible (aiaaywyigoç), il en délivrait copie au défendeur, la faisait transcrire en outre sur un tableau ((ravis, ),E•;xwg.a), publiquement exposé à l'entrée du tribunalJ0, et renvoyait les parties, pour le commencement de l'instruction, à un jour, qui très souvent était fixé par le sort". Pour plus de publicité, la demande était transcrite sur une seconde affiche, qui restait appendue, pendant toute la durée des débats, à un peuplier planté sur la place publique "2. Toute cette phase de la procédure s'appelait ) ~ tç TŸi; S(xr1ç, sortitio titis, par allusion au tirage au sort qui fixait le rang de chaque affaire; mais le mot ai;tS s'appliquait aussi, par dérivation, à la formule même de la demande ". Cette procédure correspond, comme on le voit, à l'actionis editio des Romains. Mais, tandis que, à Rome, la partie ne peut faire admettre sa demande qu'en la faisant rentrer dans l'une des formules d'action arrêtées d'avance par le préteur, à Athènes, c'est le demandeur lui-même qui rédige sa plainte et qui la rédige comme il l'entend. Aucun formulaire exclusif n'enchaîne l'action de la justice, laissant, en dehors des cas prévus, l'équité en souffrance ; quelle que soit la nature de la réclamation, de quelque manière que l'équité ait été violée, un libre accès est ouvert devant les tribunaux. Au jour fixé par l'archonte, les parties se retrouvaient devant lui. Le défendeur déposait ses conclusions écrites en réponse à celles du demandeur [ANTIGRAPnÈ]. Puis l'un et l'autre prêtaient serment, déclarant, la main sur l'autel, que leurs prétentions étaient sincères [DlomoslA]. Alors avait lieu le versement des consignations judiciaires''"; des prytanies, exigibles des deux plaideurs, au moins quand l'intérêt en litige dépassait cent drachmes, et que l'on peut rapprocher du sacramentum des Romains; dans certains cas, de la rtapaxaTaeo)`r, qui offre de l'analogie avec notre cautio judicatum solvi, et que l'on imposait au demandeur pour prévenir autant que possible les procès mal fondés ou inspirés par un' sentiment purement vexatoire. Après avoir, grâce au serment et aux consignations, écarté les plaideurs téméraires ou de mauvaise foi, l'archonte ouvrait les débats. Ces débats se divisaient en deux parties, dont la première, appelée AtvAt(RISts, avait lieu devant le magistrat lui-même, et la seconde, plus spécialement appelée Exr, était renvoyée devant le jury. L'âvcixptatç (plus rarement âvâyvwats) était un examen préparatoire qui conduisait l'affaire jusqu'à ce point, où, dans le langage de la procédure moderne, elle est en état, c'est-à-dire oit il ne reste plus qu'à entendre les plaidoiries et à prononcer la sentence. L'âvâxptatç pouvait comprendre un double examen : le défendeur pouvait, en effet, soit opposer une fin de non-recevoir, pour écarter le débat (rtapaypayrj), soit accepter le débat au fond (eiAuatx(a statuer d'abord sur les fins de non-recevoir, décider avant tout si l'action était ou non admissible, et ensuite, dans le cas où elle était admise, instruire le fond même du procès. L'exception, ou fin de non-recevoir, tantôt était jugée sommairement par l'archonte lui-même, après enquête (âtaµaprupia), tantôt donnait lieu à une instance séparée, avec constitution d'un jury ad hoc (Avttypaplj stricto sensu" , ou, mieux encore, IIapaypapO. Dans les deux cas, l'exception formait une question préjudicielle et ce n'est qu'après l'avoir vidée que l'on passait à l'instruction du principal. Cette instruction comprenait les mêmes opérations que dans la procédure moderne, enquête, interrogatoire des parties, vérification d'écritures, etc. Des procès-verbaux en étaient dressés sous la direction de l'archonte et déposés, avec tous les documents du procès, dans des urnes de terre ou de métal (i Tvo;), où ils demeuraient scellés jusqu'à ce que l'affaire reparût devant le jury. Du jour où le magistrat déclarait l'instruction close et faisait fermer l'iyTvoç contenant le dossier, aucun document nouveau ne pouvait plus s'y ajouter ; les surprises eussent été trop faciles, si des preuves nouvelles avaient pu se produire pour la première fois levant les jurésss Enfin, l'instruction une fois close, le magistrat ajournait les parties à reparaître devant le jury, dans un délai fixé, souvent avant l'expiration de trente jours à compter de la présentation de la a~t;t;. Le voeu du législateur était, en effet, que les procès fussent rapidement instruits et jugés. Plusieurs des lois qui nous ont été conservées invitent expressément les magistrats à ne pas faire durer plus d'un mois l'instruction d'une affaire 51. Mais cette recommandation ne fut suivie que pour certaines actions, qui avaient paru urgentes, telles que les actions relatives aux opérations commerciales, aux restitutions de dots, aux actions qui durent un mois 58, par opposition aux autres actions, dont l'instruction était habituellement plus longue et pouvait durer plusieurs années°". En résumé, les pouvoirs de l'archonte dans l'dtv«xpt(rt se bornaient à ceux d'un magistrat instructeur ; il dirigeait l'instruction, mais il ne devait pas en apprécier les résultats. Il pouvait écarter la demande comme inadmissible; mais, la demande une fois admise, le jury seul avait le droit de la juger. On voit que l'âvârptatç, dans son ensemble, correspond à la procédure in jure des actions romaines, mais qu'elle embrasse un champ plus étendu; elle comprend, en effet, l'instruction, qui, chez les Romains, appartient presque entièrement au jury. Le motif de cette différence est facile à découvrir. A Rome, le jury consiste, en général, en un seul juge, choisi dans les classes élevées de la société, initié à la science et à la pratique du droit, et, par conséquent, fort apte à diriger par lui-même l'instruction; au lieu que les jurés d'Athènes, pris en grand nombre et indistinctement dans toutes les classes du peuple, eussent été incapables de remplir cette tâche. Leur mission, comme on va le voir, se réduisait à l'audition des plaidoiries et au jugement.. C'était devant les jurés, réunis sous la présidence de l'archonte, que se passait la seconde période de la procédure. Ce jury représentait le peuple athénien tout entier et procédait dans les mêmes formes que l'Assemblée. Ainsi l'on commençait par offrir des sacrifices de purification et par invoquer la Divinité G0. Ensuite l'archonte appelait l'affaire (x)SIŒtu, ciactyeoysj), faisait lire par le ypacpeGç les conclusions des parties. Puis il donnait la parole aux plaideurs. La loi exigeait que la partie exposât elle-même sa cause. Il était dans l'esprit de la constitution de Solon, constitution démocratique, que chaque citoyen agît par lui-même, à l'agora comme au camp, devant les tribunaux comme dans les assemblées du peuple G1. Toutefois le plaideur ignorant pouvait recourir à l'assistance d'un ),oyoypIX(pos ou d'un euvr'iyopoç. Le ),oyoypcipoç écrivait le discours que la partie venait ensuite lire ou réciter devant les jurés °7. Le auvr'fyopoç accompagnait la partie au tribunal et prenait la parole après elle, soit pour résumer (:atloyoç) 63 soit pour développer (Seutepo7,oy(ct) 04 ce qu'elle avait dit. Ces auvilyopoc n'étaient point des avocats de profession et salariés. Au contraire, les lois soumettaient à une poursuite criminelle le auvnyopos, qui se faisait payer par le plaideur°'. Aussi voyons-nous les orateurs grecs, dans les plaidoyers qu'ils nous ont laissés, alléguer d'ordinaire leur parenté ou leur amitié avec la partie, pour que leur intervention ne soit pas suspecte de motif intéressé 66 La durée des plaidoyers, pour chacune des parties, était mesurée par la clepsydre (Stag.sµeTpr;µivA $µtact) u, sauf dans certaines causes privilégiées (Slxai ytuplç üSaToç ou 7rp(Rç liltop). L'orateur ne pouvait être interrompu par son adversaire G8. Mais les jurés avaient le droit de lui demander des explications °° ; ils pouvaient même lui imposer silence, en lui criant de descendre de la tribune (xusZ6a). L'orateur n'était pas forcé par là d'abandonner la parole; mais, en persistant à parler, il s'exposait à mécontenter les juges et à compromettre sa cause 70. Les premières plaidoiries terminées, les parties avaient, en général" ,l'une et l'autre, la faculté de répliquer. On appelait ces répliques a6yot L'arepot 72, expression qu'il ne faut pas confondre avec la Seur cpoXoy(cc, dont il a été parlé plus haut. Quand les débats étaient clos, le héraut, sur l'ordre de l'archonte, appelait les juges, qui venaient successivement déposer leurs votes à la tribune, suivant l'un des modes que nous avons exposés au mot DIKASTAI. Ensuite le magistrat dépouillait le scrutin et proclamait le jugement [APOPHASIS ou 'A7rôgravata], dont une copie était déposée dans le Myrpûiov. Le jugement forme la clôture de l'instance. Tout ce qui vient ensuite, exécution, recours, sort du domaine de cet article et a été ou sera examiné ailleurs (voy. pour l'exécution ExouLÈS DIKÈ et OUSIAS DIKÈ; pour les voies (le seulement remarquer ici que le jugement, émanant directement du peuple, comme une loi, avait une autorité souveraine. Il était tenu pour infaillible sous le rapport juridique. Sauf la voie de l'opposition, on ne pouvait l'attaquer que dans des cas plus rares encore que ceux de notre requête civile. Enfin il produisait son effet de plein droit, et s'il ordonnait, par exemple, une restitution ou une translation de propriété, la propriété, par la seule force de la sentence, se trouvait de plein droit transférée 73. Maintenant, si l'on compare, dans son ensemble, cette procédure à la procédure romaine, on sera frappé d'abord de l'analogie. Aux deux périodes de la procédure grecque que nous avons décrites, âvâxpiatç et 3ixtl, viennent correspondre les deux phases de la procédure romaine, in jure et in judieio. Chez les deux peuples, une instruction préparatoire devant le magistrat précède les débats devant le jury. Mais, nous l'avons déjà remarqué, ce jury, à Athènes, c'étaient des juges nombreux, empruntés à toutes les classes de la société; à Rome, c'était un juge unique, pris dans une classe à part. De cette différence d'organisation résultaient de nombreuses différences dans la procédure. Les jurés d'Athènes, par leur grand nombre et par leur ignorance, se trouvaient réduits à un rôle purement passif, et toute la partie active de la procédure demeurait entre les mains de l'archonte, qui dirigeait seul l'instruction et présidait les débats. Au contraire, le juge romain, juge unique et compétent, conduit lui-même les débats, prononce lui-même la sentence, en sorte que toute la seconde partie de la procédure s'accomplit en l'absence du magistrat. Si, sous ce rapport, les pouvoirs du juge grec sont plus restreints, sous d'autres, en revanche, ils sont bien plus étendus. En effet, l'archonte, tout en présidant les jurés, ne pouvait peser sur leurs votes, ni même influer sur leurs appréciations, en résumant les débats, comme le faisaient naguère nos présidents d'assises; ce n'était jamais que par voie de requête ou de prière qu'il pouvait intervenir en faveur de l'une des parties'`. A home, au contraire, le préteur, quoique absent, gouvernait tout le procès. En recevant de lui le mandat de juger, le judex recevait en même temps une formule écrite, qui réglait l'objet et la marche de l'instruction, les cas où il faudrait condamner, ceux où il faudrait absoudre. En un mot, la procédure romaine tout entière tend à faire régner dans les décisions judiciaires l'application uniforme et inflexible de la loi. Chez les Grecs, les jugements sont comme abandonnés aux impressions de la multitude. Ils sont l'expression vivante et mobile des sentiments et des moeurs de la nation. Aussi n'est-ce pas par des arguments de droit que l'avocat Athénien, mème dans les procès civils, s'efforce de gagner ses juges; c'est en faisant appel à leurs passions, c'est en tendant vers eux la baguette des suppliants, en les intéressant aux vertus de son client ou à ses malheurs, DIL __ 206 DIL en soulevant contre l'autre partie ndignation ou le mépris. On voit lue et Démosthène, dans des questions de succession, prendre soir: d'établir pal~ enquête que leur adversaire est un débauché et un adultère". On conçoit que, avec de semblables institutions judiciaires, le droit, chez, les Athéniens, n'a jamais pu devenir une science et revêtir ces formes précises et systématiques que présente le droit romain. Au lieu d'être, comme ie fus des Romains, l'application mécanique d'une règle extérieure immuable, la Mina des grecs n'était que l'application var iae et mobile de ce sentiment intime d'équité et d'humanité que chacun porte au dedans de soi. Dl E A'Tltbhi (Ataip'iiiov). --A partir du règne de Constance li (337-3di), on voit figurer dans lets textes, à côté du sou d'or indus), une autre monnaie, appelée la silique ee:ue ï, en grec xepâ:tov. Le xepéxiov vaut '4 du solibus ou Ai de la livre d'or. Mais il n'existe pas de monnaie d'or aussi petite ; en effet, le triens, ou tiers de sou, la plus petite monnaie d'or qui ait été frappée, vaut sept siliques. Mommsen suppose alors que la petite pièce d'argent de 25r,30 que nous connaissons doit être cette siliqua ou xepchtov 5. Le è;xspérto•v est naturellement le double du xep«istov; il est donc le i2 du sou d'or ou Dâv de la livre d'or; si le lixapâctov a été frappé réellement, on en a fait une pièce d'argent, de 4g',fitl environ; mais cette double; silique est plutôt une 'normale de compte, car ou ne. rencontre pas de pièces d'argent de la bu de l'empire romain ou de l'époque byzantine qui aient ce poids. Des auteurs byzantins racontent ;tu Léon l usemien (717-74'1.1 reposa aux. Byzantins, pour réparer les murs de leur ville, lin. tribut d'un Outapautov par l,ete `; d autres auteurs attribuent cet impôt au général 'a!i-cephore 3 ce sont les seuls textes anciens fini mentionnent le dikeration. E. BAasLore. DILECIUS (Ka. Eoyoç). Recrutement et levée des troupes. Grièca. Les auteurs qui ont écrit en grec l'histoire romaine traduisent ordinairement l'expression latine diIIectum habere par les mots xaséln ov icoiEIBQ«t 1. C'est par exception quu .Appien emploie quelque part xarâl.Eçtç 2, et 1J Ii.l's d'Halicarnasse . uamyp.io'z) 3, Li: réalité, le mot. rait),ovo; répond le plus exactement possible _u. 'er:cou' latin ditectus, puisque l'expression x ticbo`(ov OU xaicat,ç°lo+;ç fcotoiaée désigne, dans la langue dc. Thucydide 4, une opération analogue au. di.iectics romain. De bonne heure, en effet, le mot xatié) eç, qui s'appliquait d'une manière générale à toute espèce de catalogue a pris la signideatiori spéciale de catalogue militaire. C'est dans ce sens qu'il est communément usité en Grèce, et particulièrement à Athènes, chez les écrivains du '.e et di' ive siècle. Nous devrons nous borner dans cet article e examiner deux points comment le catalogue était-il dressé, c'est-à-dire quels citoyens étaient soumis à l'obligation du service, et comment, au moment des levées, choisissait--on d'après le catalogue les hommes appelés à faire campagne? Il semblerait, au premier abord, que les monuments épigraphiques dussent être ici notre source principale d'informations. Il n'en est pas ainsi : les catalogues militaires proprement dits, portant la liste des jeunes gens inscrits chaque année sur les rôles de l'armée, ne se rencontrent que dans une seule contrée, en Béotie; encore se rapportent-ils tous à une époque relativement basse de l'histoire grecque, tau me ou au ue siècle avant notre ère'. Précieux pour la connaissance de l'organisation militaire dans les villes de la confédération béotienne, ces documents ne peuvent rien nous apprendre sur le recrutement des armées à l'époque de la prospérité des Mats grecs. En dehors de ces inscriptions béotiennes, l'épigraphie nous offre un grand nombre de listes militaires (guerriers morts dans telle ou telle expédition', dédicaces faites par un détachement d'hoplites ou de cavaliers a, catalogues de soldats de marine ou de mercenaires5); mais nulle part nous ne trouvons, gravé sur le marbre, le catalogue lui-même, c'est-à-dire, d'après Photius et Suidas, l'état et le dénombrement de ceux qui doivent servir, x oypcip ebe ôppitÂwTWV ai pasE6sa@at xal ' è,apil).Lhatç u. La raison de cette lacune est simple c'est que le catalogue n'était pas gravé sur le marbre ; on l'écrivait sur des tablettes, des planches, axviitç, recouvertes d'une couleur blanche 0teuxdgxrci, EEÂEUxtagéva «ptk•t°TEiCC3); c'était un de ces tableaux, trivaxai; OU invalida, comme il y en avait tant à Athènes pour tous les actes de l'administration publique 12. De tels documents pouvaient se garder quelque temps dans les archives des cités; mais ils ne devaient pas survivre, comme le marbre, à la ruine du monde antique. Quant aux textes qui se tirent des historiens, des poètes, des orateurs, des grammairiens, ils nous font connaître, avec assez de précision, l'organisation du recrutement à Athènes; pour les antres États, nos connaissances restent vagues et incomplètes. I. Athènes. -A Athènes, comme dans toutes les cités grecques, le service militaire est à l'origine un droit et un devoir pour tous ceux qui prennent part à la chose publique. Sans doute, dans les combats de l'âge héroïque, le roi et les chefs qui l'entourent, oi 3nn'iàu%;, ont partout le premier rôle, la place d'honneur; c'est le récit de leurs exploits qui remplit les chants de l'Iliade, et les batailles ressemblent à des duels, à des tournois entre héros. Mais les guerriers qui composent le gros de l'armée, et qui parfois se rangent en ligne de bataille pour engager une action générale 43, ne sont ni des esclaves ni des mercenaires : dans le camp, image de la cité, ils représentent le ôitc,oç, qui assiste aux délibérations de l'agora. Bien humble est leur action dans les combats, plus humble encore leur influence dans les conseils ; mais ils prennent part aux uns et aux autres, parce qu'ils portent les armes, et qu'à ce devoir correspond le droit de siéger à l'assemblée. Dans quelle mesure la chute de la royauté, en appelant au pouvoir les chefs des grandes familles, changea-t-elle la condition de ceux qui, sans aspirer aux premières magistratures, appartenaient à la cité par leur naissance? On ne sait, mais il semble que le droit de participer, même de loin, aux affaires publiques ait été attaché à l'obligation de s'armer pour la défense du territoire. Aristote dit en propres termes que le premier gouvernement des cités grecques, après la chute de la royauté, fut composé des citoyens qui faisaient la guerre, ix riàv 7Co))Ego1iVTInV "; et ailleurs il explique d'une ma nière plus précise encore la relation établie entre le service des armes et le gouvernement : xal gETExouety aàtilç (125')ç 720)tTE(ŒÇ) of xexTsp.mVOt Tà g7r],a1J. Si tel est dès l'ori gine le principe fondamental des constitutions grecque , rien n'autorise à supposer qu'Athènes ait fait exception à la règle. Il est vrai que le nom d'Iloplètes, donné à l'une des quatre tribus ioniennes, a pu faire croire, clans l'antiquité mème que cette tribu comprenait exclusivement des guerriers. Mais cette opinion parait aujourd'hui fort peu vraisemblable. L'interprétation des noms donnés aux tribus est incertaine, et le sens même qu'on pourrait leur attribuer se rapporterait sans doute à une époque antérieure à l'établissement des Ioniens en Attique ". En fait, si l'on excepte le polémarque, qui fut incontestablement le chef de l'armée athénienne dès l'institution de l'archontat, il faut descendre jusqu'à l'époque de Solon pour trouver dans l'organisation militaire d'Athènes quelques faits établis avec certitude. La réforme de Solon, avant tout sociale et politique, a été en même temps une réforme militaire. Ce caractère apparaît particulièrement dans les différentes obligations imposées aux citoyens des nouvelles classes. En prenant la fortune pour base de la hiérarchie sociale, Solon paraît avoir songé autant à assurer le recrutement régulier de l'armée qu'à ouvrir aux riches l'accès des magistratures. Car, il ne faut pas s'y tromper, l'impôt du service militaire ne porta pas seulement sur ceux des citoyens qui, ayant un revenu de 150 ou de '200 médimnes de grains ou de liquides, formèrent la classe des zeugites et servirent comme hoplites. Dès l'époque de Solon, comme plus tard au v° et au Ive siècle,'c'est à tous les citoyens des trois pre-• mières classes que s'étendit l'obligation de porter les armes; les thètes seuls en furent exempts. Quant à la distinction des trois premières classes au point de vue du service militaire, voici comment il faut la comprendre n : les pentacosiomédimnes sont les seuls à qui l'État impose la charge coûteuse de la triérarchie ; mais tous ne sont pas à la fois triérarques, et, en temps de guerre, quand ils ne commandent pas un vaisseau, ils servent soit comme cavaliers, soit comme hoplites; de même, les membres de la classe des ittreiç sont soumis à l'obligation de nourrir un cheval; mais tous ne sont pas requis pour ce service, et ceux qui ne font pas partie du corps des cavaliers peuvent être appelés comme hoplites; enfin, les zeugites composent assurément le gros de l'infanterie athénienne, parce que leur fortune ne permet pas qu'ils soient atteints par d'autres charges plus onéreuses; mais ils ont dans leurs rangs ceux des pentacosiomédimnes et des larsiç qui ne sont ni triérarques ni cavaliers. Sur ce point la législation de Solon fut respectée aussi longtemps que les Athéniens conservèrent une armée nationale, et l'admission des thètes dans le corps des hoplites fut toujours une exception, comme le service de la flotte pour les citoyens des trois premières classes". La réforme de Clisthène bouleversa sans doute le mode d'inscription des citoyens sur les rôles de l'armée; mais elle ne porta aucune atteinte au principe même de l'organisation militaire, A partir de Clisthène, et pendant toute la durée de l'indépendance athénienne, la liste officielle qui sert de hase au recrutement de l'armée est le 'il. çtap ,t:xôv ?pa:g.g.«TEiov, c'est-à-dire le registre de l'état civil, tenu dans chaque dème par le démarque, et composé chaque année de la liste des jeunes gens qui ont atteint leur dix-huitième année. L'inscription sur ce registre marque pour les jeunes Athéniens leur admission dans la cité : jusque-là, inscrits seulement sur le registre de la phratrie, ils ne doivent rien à l'État et ne jouissent d'aucun droit civil ou poli tique 20. Mais le ),eapytxly ypagg.aTEïov est-il en méme temps le catalogue militaire proprement dit, ale registre d'après lequel se font les levées au moment d'une campagne? ou bien l'inscription sur le registre du dème estelle accompagnée ou suivie d'une inscription sur le catalogue spécial, tenu, non plus par le démarque, mais par les officiers militaires eux-mêmes, stratèges ou taxiarques? La première hypothèse, contraire à l'opinion générale des savants, vient d'être récemment soutenue par M. Schwartz dans une étude sur quelques points des institutions militaires d'Athènes d'après Thucydide 2i. M. Schwartz fonde son argumentation sur un fragment d'Aristote, rapporté avec de légères variantes par Ilarpocration 22, Photius 23, Suidas 21 et l'Etymologicum Magnum2o, au mot pantin v To~ç irwvégotç. D'après ce texte, les éphèbes, au v° et au ive siècle, étaient inscrits chaque année sur des listes qui portaient en tête les noms de l'archonte en fonction et de son prédécesseur immédiat. Ces listes, désignées et distinguées les unes des autres par ces archontes éponymes, servaient aussi, dit Aristote, à la paraît à M. Schwartz ressortir de ce que les érwvtrgot s'ap pelaient en même temps ixtlrvugot TtÂrv ihItait5v et of )J,,Zcsov irdvugot 2G. Dans ces diverses indications, M. Schwartz ne voit pas la moindre trace d'tm catalogue militaire ; il reconnaît seulement la liste générale des citoyens athéniens, qui tous étaient astreints au service. D'ailleurs, continue M. Schwartz, pas un mot dans le passage d'Aristote ne permet d'attribuer à ces listes le nom de xaTé)e?e;. Laissons de côté pour un moment la question du nom. Pouvons-nous accorder à M. Schwartz qu'Aristote fasse ici mention du nrlçtnpytxàV''pag.gaTECOV lui-même? A cette hypothèse je fais deux objections tirées du texte mème d'Aristote. 1° L'auteur parle d'une inscription des éphèbes; inscrits comme éphèbes, c'est-à-dire ceux qui sont appelés à servir en qualité d'éphèbes; car l'éphébie est déjà une institution militaire. Or tous les jeunes gens inscrits sur le x512, soaO5s„ et s. v. ixw0uµo,. 23 Photius, o. v. Er. ,, et o E,0 10 x507 ixro,5 D1L 208 DIL au4tapytxôv ypaµ410111_iov ne deviennent pas éphèbes, puisque ceux de la dernière classe, citoyens comme les autres, n'ont à faire de service ni comme cavaliers ni comme hoplites. Le registre du dème contient donc plus de noms que le registre des éphèbes, et nous sommes amenés par là même à les distinguer l'un de l'autre. 2° Toutes les citations du passage d'Aristote mentionnent une série de 42 éponymes, c'est-à-dire un registre comprenant 42 listes annuelles de jeunes gens soumis au service, depuis dixhuit ans jusqu'à soixante. Il faut conclure delà que chaque année la liste la plus ancienne, celle qui figurait sur le catalogue depuis quarante-deux ans, était effacée, annulée, pour laisser la place à la liste des citoyens nouvellement inscrits. Est-il possible que tel soit le cas du Xal'xpytràv ypap uaTE%ov? Que serait-ce qu'un état civil qui ne tiendrait plus aucun compte des citoyens âgés de plus de soixante ans? Est-ce qu'on n'hérite pas après soixante ans? Est-ce qu'on ne fait plus partie de l'assemblée, des tribunaux? En un mot, est-ce qu'on ne participe pas à tous les droits et à tous les devoirs qui ont pour base le titre, la qualité de citoyen, c'est-à-dire l'inscription sur le ).r'iStapytxàv ypaN.uaTE'OV? Bien plus, est-ce qu'on ne devient pas citoyen de tel ou tel dème, soit par adoption, soit par collation du droit de cité, à n'importe quel âge ? Il est donc inadmissible que le registre de l'état civil à Athènes se confonde avec le catalogue militaire, et, quand Aristote parle de 42 éponymes, il fait allusion à une liste différente du pocration du reste de la citation, et on ne sait ce qui la précédait; mais on peut penser qu'Aristote, après avoir parlé des éponymes pour l'inscription des éphèbes, expliquait comment ces éponymes servaient aussi pour les levées de troupes en vue d'une campagne : les deux choses, quoique voisines, ne sont pas cependant inséparables, et la particule xai est suffisamment justifiée par cette explication. D'ailleurs, que les iaoivug.om aient pu se trouver en tête d'autres listes que les listes militaires, c'est possible; je croirais même volontiers que les registres des dèmes étaient datés, année par année, par les éponymes (oi ksj mo v ia Svuµot). Mais l'existence d'une liste militaire, différente du kŒp;ttxôv ypauuaTE ov, me paraît nettement établie par le texte seul d'Aristote. Arrivons maintenant au nom qu'il faut donner à cette liste. La définition du mot xs'âkoyoç dans Photius et dans xai 7i iap(Op.7,atç21, définition qui s'applique fort bien au catalogue général des citoyens soumis au service; mais le vo)v T¢ évduara, et une phrase semblable se trouve dans le scholiaste d'Aristophane, au vers 1380 des Cavaliers ``. dvés.xta 23. M. Schwartz considère que cette seconde explication est la seule vraie, et que les catalogues de levée, dressés au moment du départ pour une campagne, portent seuls le nom de xxTâaoyoç. Mais, si les mots Tô)v etkdvro)v a'paTEÛEoOxm peuvent à la rigueur s'arranger de cette inter prétation, pourquoi ne pas supposer plutôt que les deux définitions de Suidas sont également bonnes? N'est-il pas naturel que le même terme s'applique à deux objets aussi semblables, au catalogue général, divisé lui-même en plusieurs catalogues de tribus, et aux catalogues partiels, composés spécialement en vue d'une expédition? Or, ce qui n'est que vraisemblable, si on s'en tient au témoignage des grammairiens, devient fort voisin de la certitude si on consulte les historiens et les orateurs. M. Schwartz élimine avec raison le passage de Xénophon qui avait fait croire que les citoyens non inscrits sur le catalogue, c'est-à-dire ceux de la quatrième classe, étaient appelés oi Eço, Tot xaTx),oyou 29. En effet, ce texte se rapporte au catalogue de trois mille citoyens dressé par les Trente Tyrans 30. D'autre part, certains textes, où se rencontre le mot xxté)oyo;, visent des catalogues de levée". Mais l'expression brdp Tôv xercaoyov se trouve dans un discours qui, s'il n'appartient pas à Démosthène, est du moins, suivant M. Weil", l'oeuvre d'un arrangeur habile, fort au courant de la langue et des idées de Démosthène : kauôtzvsty même avoir été courante chez les Attiques, puisqu'elle est expliquée par Pollux et par Photius : ôsip Tôv x2Tâaoyov, est donc certainement équivalente à ces mots de la III° Olynthienne : ÉoTm TL; e ta .rit; 111tx(a;38. Et cependant M. Schwartz, même dans ces différents passages, se refuse à reconnaître l'existence d'un catalogue militaire comprenant tous les hommes soumis au service : il donne au mot xawzaoyo; un sens abstrait et interprète ûnip Tôv xxrakéyEaOat. Cette signification passive du mot xx'Uaoyo; se retrouverait, suivant lui, dans des textes de Lucien 37, de Polyen 33 et d'Élien 39 ; mais, outre que la chose est fort douteuse 40, ce sont là des autorités insuffisantes. Il me reste à examiner les expressions oi ix xarotadyou, fréquentes chez les historiens, surtout chez Thucydide. Si la liste générale des citoyens astreints au service s'appelle è xx'éaoyoç, on peut encore s'étonner de ne trouver nulle part, sauf une seule fois chez Pollux ", l'article joint au substantif, ix rot xarakdyou. Aussi M. Schwartz, au lieu de traduire : « les hoplites enrôlés d'après le catalogue », explique-t-il ici encore le mot xuTxaoyo; dans le sens abstrait de levée, milites qui sent e dilectu, milites publice conscripti. L'absence de l'article ne me parait pas un argument décisif, car elle n'a arrêté ni Boeckh12, ni K.-Fr. Hermann', ni Schoemann", ni les philologues plus particulièrement versés dans l'étude de la langue de Thucydide, Bétant 45, par exemple, et Classen'r6. De plus, l'article n'est-il pas omis également dans ce vers d'Aristophane : braie' lTXiTalq iv'EOEi; iv xaraa6yw''7? Je sais bien que M. Schwartz interprète ici iv xarakdyt;), par « sur un catalogue de levée u, et non « sur le catalogue général des hoplites », en quoi il n'a certes pas tort; mais alors, dans ce passage du moins, le mot xar«koyo; a bien le sens concret DIL 209 DIL de tablette, de catalogue où sont inscrits les noms des soldats. S'il en est ainsi, comment l'expression ix xaTaadyou, si voisine de iv xwraadyw, aurait-elle un sens tout différent? M. Schwartz accorde que les mots oi ix xaTaaôyou et Ira7Tac ix xaTaaôyou pourraient à la rigueur s'expliquer suivant l'opinion commune. Mais il n'admet pas qu'on puisse interpourtant que les deux expressions se tiennent :un citoyen, inscrit sur le catalogue général, est enrôlé en qualité d'hoplite, 5a),CTrlç ix xaTaaôyou; le même homme, faisant campagne, 6TpaTEÛETac ix xaTaaôyou. Quand Aristote parle de la ruine de la bourgeoisie athénienne pendant la guerre du Péloponnèse, il l'explique par ce fait, que les citoyens des trois premières classes furent sans cesse appelés à faire Nicomachidès se plaint à Socrate de n'avoir pas été élu stratège, il rappelle ses longs services comme hoplite, ix de Thucydide où le mot xa'afaoyoç soit employé au pluriel, que les catalogues de levée, catalogues nécessairement multiples, puisque chaque tribu avait le sien, s'appelaient eux-mêmes xa'daoyot, comme le catalogue général de l'armée athénienne? Le pluriel peut encore bien moins que le singulier s'appliquer à l'idée abstraite d'une levée. En résumé,malgré la discussion soulevée par M. Schwartz, voici comment il convient, ce me semble, de se représenter les rôles de l'armée athénienne : tous les jeunes gens, arrivés à l'âge de dix-huit ans, sont inscrits sur le ).11 tapzixly yp c exTEtov; ceux des trois premières classes seuls figurent sur la liste des éphèbes, dressée dans chaque tribu immédiatement après l'inscription sur le registre du dème. L'ensemble de ces listes annuelles forme dans chaque tribu le catalogue des hommes qui doivent le service, et la réunion de ces catalogues est ce que les Athéniens appellent spécialement 6 xaT«aoyoç. C'est d'après ces listes que se font à l'occasion les levées d'hoplites; d'après elles aussi, chaque année, se dresse le catalogue des cavaliers. Lysias dit quelque part que les hoplites, par opposition aux cavaliers, sont Soxi;uaaTot 51. Est-ce à dire qu'aucune docimasie ne précède l'inscription des jeunes gens sur le registre militaire? La chose est en elle-même invraisemblable ; en fait, elle n'est pas. La docimasie de tous les jeunes Athéniens a lieu lors de leur inscription sur le arjçtapxtxôv ypauµaTEtov, et cet examen ne porte pas seulement sur la personne civique : c'est un véritable conseil de révision que la loi constitue pour examiner en même temps la personne physique, le corps des nouveaux citoyens s2 [DOKIMASIA]. Dès lors l'inscription sur le registre militaire peut se faire en toute connaissance de cause. Il ne me paraît pas douteux que dès ce moment les jeunes gens infirmes, inscrits sur le arIçtapxtxbv ypaµua1E OV, n'aient été exemptés du service militaire, même en qualité d'éphèbes, et je verrais dans ce fait une nouvelle raison de distinguer absolument le catalogue militaire du registre qui-renferme les noms de tous les citoyens sans exception. Mais, une III. fois inscrits sur le registre des éphèbes, les citoyens qui devront servir comme hoplites n'auront plus de docimasie à subir, tandis que les cavaliers auront encore l'examen du conseil. Tel est le sens du texte de Lysias. Inscrits sur le catalogue de dix-huit à soixante ans, les hoplites ne sont pas tous appelés à servir dans les mèmes conditions; les plus jeunes, de dix-huit à vingt ans, éphèbes et 7iepi7COaot, ne prennent part à aucune expédition lointaine ; ils gardent le territoire et les forts qui protègent les frontières de l'Attique 57. D'autre part, la condition des plus âgés paraît avoir été assez semblable à celle des plus jeunes; car Thucydide réunit d'ordinaire les 7pnv '(Tarot et les vewTarot 3*. Par 7CpEa6é'«Tot, il faut sans doute entendre ceux qui dépassent cinquante ans 5'. La levée des hoplites, en vue d'une campagne hors de l'Attique, se fait donc, d'après le catalogue, par un choix qui ne porte que sur les citoyens âgés de vingt à cinquante ans. Quand tous les citoyens de cette catégorie sont levés à la fois, l'expédition est dite nav6ltxei ou 7tav6TpzTtFf". Ainsi la levée en masse elle-même n'atteint que les citoyens régulièrement enrôlés. Seulement à ces hoplites se joignent d'ordinaire en ce cas ceux des métèques qui servent eux-mômes comme hoplites G7, et la foule de ceux qui composent l'infanterie légère (6 âaaoç 6utaoç 4■t)s iv oûx dalyoç) J3. D'après Thucy dide, au commencement de la guerre du Péloponnèse, le nombre des hoplites âgés de moins de vingt ans et de plus de cinquante s'élevait à treize mille; celui des hoplites de vingt à cinquante, à dix mille, et il faut ajouter encore à l'une et à l'autre de ces deux catégories trois mille métèques faisant fonction d'hoplites 59. Quand le décret de l'assemblée (car c'est toujours l'assemblée qui décrète une expédition, quelle qu'en soit l'importance) 60 ne comporte pas une levée en masse, c'est par un choix fait sur le catalogue (ix xaTaadyou) que les hoplites sont appelés à servir. Ces levées partielles peuvent se faire elles-mêmes de deux manières. Quelquefois l'assemblée détermine, suivant l'expression d'Aristote, depuis quel archonte éponyme jusqu'à quel archonte il faut faire cas les stratèges ou les taxiarques n'ont qu'à appliquer le décret et à le faire connaître aux citoyens intéressés, en leur ordonnant de se présenter à jour fixe devant eux. Il est probable que des listes sont dressées alors par les taxiarques d'après le catalogue, et ces listes ne soulèvent d'ordinaire aucune réclamation, puisque tous les citoyens de la même classe sont appelés : il n'y a d'exception ou d'excuse que pour ceux qui à ce moment même s'acquittent de quelque autre service public 62. D'autres fois, le peuple indique seulement le chiffre des hoplites qu'il faut lever d'après le rôle, et alors l'opération consiste à prendre, non tous les citoyens de la même classe, mais des portions de classe (a'pzrEice iv TsCç giptac) G3. C'est une tâche beaucoup plus délicate pour les stratèges et les taxiarques ; car ils dressent alors des catalogues qui ne sont pas la simple copie d'une partie du catalogue général ; ils composent eux-mêmes leur armée par un choix dont ils 2ï DI L -210 --Dl L sont seuls rnattres. C'est pour eux un moyen de constituer des troupes d«iite ", ruais aussi une occasion de favoriser lus uns, au détriment des autres. Que des abus se soient x 0k, duits alors dans la composition des catalogues rie lesté, c'est ce qu'on pourrait facilement inférer du caractère seul des Athéniens; mais Aristophane nous le dit en propres termes inscrire les uns, barrer les autres, sans autre raison que le caprice, c'est ce que les taxiarques n'hésitent pas à faire. au préjudice surtout des gens de la campagne qui ne se mêlent pas aux intrigues de la ville et de l'agora 66. La loi, il est vrai, exige des stratèges un serment qui contient cette formule : roitq âarpareûrou; xa2a.)e(g tv 66. Cet engagement mème n'est pas toujours une garantie suffisante d'impartialité. Bien des procès auront pour cause les plaintes légitimes des citoyens contre le taxiarque ou le stratège". Mais, en attendant la décision des juges, l'hoplite dont le nom figure sur la liste affichée près des, héros éponymes 68 doit prendre les armes et se, présenter, à l'appel du taxiarque au moment du départ; celui-ci note les noms des absents, qui seront, après la campagne, l'objet de poursuites judiciaires. La cavalerie est, à Athènes, sinon un corps permanent69, du moins une troupe d'élite entretenue même en temps de paix, et plus souvent convoquée que l'infanterie, à cause des cérémonies religieuses, des processions qu'elle conduit avec éclat. De plus, le chiffre des cavaliers est fixe, et l'un des premiers devoirs de l'hipparque est de veiller à ce que l'effectif reste toujours complet 70. Gomme les hipparques et les phylarques peuvent changer tous les ans, c'est aussi tous les ans que le catalogue de la cavalerie est dressé à nouveau 71, et cela, sans aucun doute, non pas d'après le 'Àal;eantxôv ,tpaµµaa67®v, (nais d'après le catalogue des citoyens astreints au service militaire. D'après ce catalogue, le phylarque de chaque tribu désigne pour le service de la cavalerie un certain nombre de jeunes gens appartenant à la première ou à la seconde des classes de Solon; il les choisit parmi les plus riches et les plus robustes 79. Mais, avant de les incorporer, il les appelle à subir devant le conseil la docimasie 73 [DOKIMASIA]. Cet examen est:. nécessaire pour que le citoyen devienne cavalier: mais en rneme temps ïl lui confère un droit absolu : une fois choisi par l'hipparque et approuvé par le conseil, le esrafler a l'assurance de ne plus être changé de corps pendant toute l'année; ni le stratège ni le taxiarque n'ont le droit de l'enrôler comme hoplite". En revanche, le citoyen surpris dans les rangs de la cavalerie sans avoir subi la docimasie est frappé d'atimie 76. Ainsi organisée par les soins de ses officiers spéciaux, la cavalerie n'en est pas moins placée en temps de guerre sous les ordres des stratèges, qui commandent en chef toute l'armée. Quant à la marine, clous n'avons à nous occuper ici que e léquipage. Il comprend 200 hommes environ par trière, et se décompose ainsi : 16 officiers subalternes et matelots proprement dits, occupés à la manoeuvre, 10 épibates ou soldats de marine, enfin 174 rameurs 76. Pour ce qui regarde le xuétpvijeg;, ses lieutenants et ses matelots, leurs fonctions exigent un long usage de la mer; ce sont des marins de profession, choisis sans doute directement par le triérarque. Les épibates sont-ils des hoplites ix xa7:sàclyou, ou des hommes de la quatrième classe de Solon, des thètes? Un texte de Thucydide prouve qu'on fut obligé, après l'expédition de Sicile, de prendre de force pour soldats de marine des hoplites inscrits sur le catalogue". Cette résistance des hoplites proprement dits paraît bien indiquer que ce service d'i7ct6eer ne leur était pas familier. C'est que les thètes, après avoir été seulement chargés à l'origine des fonctions de rameurs, s'étaient peu à peu introduits même dans les hoplites de la marine : au début de l'expédition de Sicile, ils étaient au nombre de 700, en qualité d'épibates, sur les vaisseaux d'Athènes 78, tandis que les rameurs étaient surtout recrutés parmi les métèques et les étrangers79. Ainsi s'explique la répugnance des citoyens des trois premières classes pour un service qui cependant à l'origine devait leur incomber à eux seuls. Eu revanche il arriva, mais aussi par exception, que les 174 rameurs, d'abord recrutés parmi les citoyens pauvres, et ensuite parmi les étrangers, comprirent, non seulement des thètes, mais même des zeugites. C'est ce qu'on vit pendant la révolte de Lesbos, quand les Athéniens composèrent à la hâte les équipages d'une nouvelle flotte : « Ils y montèrent eux-mêmes avec les métèques, dit Thucydide; les cavaliers et les pentacosiomédimnes seuls furent exemptés S0. » Les zeugites dans ce cas durent être employés même au service de la rame, ainsi que les thètes. Plus tard, au Ive siècle, on ne rencontre plus de pareils dévoûments, et la présence mème des thètes sur les vaisseaux, en qualité de rameurs, parait à Isocrate un fait digne de pitié. « Nous avons des étrangers, dit-il, pour hoplites, et nous forçons des citoyens à ramer". » Rien n'était cependant plus naturel : obligés de gagner leur vie, les citoyens pauvres préféraient toucher pour euxmêmes le salaire que la république plus prospère payait jadis à des étrangers. Quant au mode de recrutement de ces thètes, nous ne le connaissons que par un décret de l'orateur Aristophon d'Azénia, en l'année 362-1, ainsi conçu : « Ordre sera donné aux membres du conseil et aux ,démarques de dresser des listes des hommes de leur dème et de fournir des gens de mer 82. » Sans doute cette procédure était alors nouvelle, puisqu'elle dut être proposée par décret, et que nous voyons d'ailleurs, deux ans auparavant (en 364), les triérarques chargés de recruter eux-mêmes leurs équipages 83. Mais je pencherais à croire que la mesure proposée par Aristophon était moins une innovation complète qu'un retour à un ancien état de choses. Aussi longtemps que le service de la flotte dut être fait régulièrement par les citoyens de la quatrième classe, je ne vois que les démarques qui aient pu en dresser le catalogue. Ces citoyens, en effet, n'étant pas destinés à devenir hoplites, ne figuraient pas sur le catalogue militaire des tribus ; ils étaient seulement inscrits sur le registre de l'état civil, dont le démarque avait la garde. D'autre part, l'intervention du conseil dans le recrutement des équipages de la marine n'a rien qui étonne, puisque le conseil avait en général la surveillance de tout ce qui touchait à la flotte. Le décret d'Aristophon me paraît donc se rapporter à un état de choses existant même au ve siècle, et qui dura encore après l'année 362: lorsque la loi de Périandros modifia l'organisation de la triérarchie (357), l'État se ll I L. 211 ---~ DlL chargea comme en 362 de l'enrôlement des matelots, et ce fut sans doute encore par les soins des démarques" H. Sparte et les autres États grecs. --En dehors d'Athènes il n'est pas question de xxTé},uyos; mais, si le mot ne se rencontre pas, la chose du moins a dü exister. Plutarque fait allusion à des tablettes, aav6SES, employées à Syracuse pour le recrutement de l'armée 85. Nul doute que toutes les cités grecques n'aient tenu des registres et dressé des catalogues de ce genre. Nous nous bornerons ici à quelques indications sur l'armée de Sparte et sur les listes militaires des villes béotiennes. L'organisation de l'armée spartiate se rattache étroitement au système politique et social de Lycurgue. Tandis que le père de famille athénien reste maitre de l'éducation de ses enfants jusqu'à l'âge de l'éphébie, c'est à partir de sept ans que le jeune Spartiate est livré à un éducateur public, aauiovdg,os 86, et incorporé dans des associations, boat et Tâat, qui ressemblent déjà aux divisions et subdivisions d'un corps d'armée 87 L'éducation tout entière est une préparation au service militaire; elle se prolonge même au delà du temps où le jeune homme devient soldat, puisque les (3oûat comportent trois catégories de membres : les 7r0TSEç, de sept à dix-huit ans; les gE),),(paves, de dix-huit à vingt ans; les fpxvEs, de vingt à trente ans". Ces groupes subsistent-ils dans la composition de l'armée spartiate, ou se transforment-ils en d'autres divisions purement miditaires? Quel rapport établir entre eux et les ivesgoriat, Tptaxtxltç et 6u éria qu'Hérodote attribue à Lycurgue"? Ces divisions mêmes d'Hérodote, comment se répartissentelles entre les cinq 90, puis les sept 91 àdxot, qui forment au v" siècle le gros de l'infanterie spartiate? Et plus tard, sur quelle base repose la constitution des six gopet et des douze lo'zoi que nous connaissons très exactement par Xénophon 92? Toutes ces questions, fort controversées 93, se rapportent plutôt à l'organisation de l'armée spartiate qu'au recrutement et à la levée des troupes. Sur ce sujet spécial, voici le petit nombre de renseignements que fournissent les textes. Pour ne pas parler des bilotes, qui accompagnent à la guerre les citoyens spartiates, mais qui ne comptent pas dans l'énumération des forces lamédémoniennes, un premier fait à constater est le suivant : les périèques, qui avaient encore au temps des guerres médiques une organisation militaire distincte 94, se trouvent, en l'année 425, incorporés dans l'infanterie lacédémonienne 95. Cette réforme, dont on ignore la date précise, parait avoir été définitive, Mais comment les périèques étaient-ils distribués dans les rangs de l'armée? Nous n'en savons rien. Du recrutement même des troupes spartiates, nous apprenons seulement par Hérodote que Léonidas avait avec lui aux Thermopyles les trois cents hommes d'élite de l'armée, 'MÛ; X6tT£BTEWTaÇ Tptrlxooiovç, choisis parmi les pères de citoyens sont ceux que Thucydide appelle ol Tptaxoatot ibt7tETs xaeIoûgtvot91. Strabon explique que le nom d'lrnETç leur était donné bien qu'ils ne fussent pas cavaliers93. Xénophon expose le mode de recrutement de ces tmteT7 99 : c'est un vrai a'ileetus, Tous les ans les éphores choisissent trois hommes dans la force de l'âge, et chacun de ces hommes (t,riraypovat)160 désigne à son tour cent jeunes gens pour ce, service d'ébe. Les trois cents txrteis forment. en temps de guerre la garde du roi et restent constitués rhème en temps de paix, En dehors de ces trois cents FrrrirETs, tous les citoyens spartiates doivent le service pendant quarante ans; ceux-Ià seuls sont exemptés qui dépas sent cette limite, ot trt?p Tasxapdxa0Ta ày: Çéx,is'0£. L'âge désigné par les mots cl?' K~.rs est certainement vingt ans, comme à Athènes et dans la plupart des cités grecques, Une exemption de service en faveur des citoyens pères de trois fils est signalée par Aristote"; mais on ne sait à quelle époque rapporter cette mesure. Quant à la levée des troupes, elle paraît s'être faite à Sparte comme à éphores qui font connaître au peuple les classes appelées servir, Tg l of â ls arpxThlsatai toi. Cet appel ne pouvait se faire que d'après des listes rédigées à peu près comme le xoTéàsyoç athénien, A. côté de la puissante infanterie spartiate, la cavalerie fait triste ligure : formée assez tard, vers AH, elle ne fut jamais en honneur, s'il est vrai, comme le dit Xénophon, que les chevaux, fournis par les riches, étaient montés par les hommes jugés incapables de servir dans l'infanterie 40`. La flotte lacédémonienne parait n'avoir jamais recruté ses équipages que parmi les périèques 165. Après Athènes et Sparte, Thèbes et les villes de Béotie tiennent en Grèce le premier rang comme puissance militaire. Les trois cents -i,vloerott xal atapaàézal de l'armée béotienne sont au v" siècle une des forces les plus solides de tolite la Grèce', et l'on sait quelle gloire acquit plus tard le bataillon sacré des Thébains, à iopiz ndt,o2'07• Mais il faut descendre plus bas dans l'histoire de la Béotie pour trouver des documents précis sur le recrutement de l'armée. Des catalogues militaires, gravés sur le marbre, s'étaient déjà rencontrés cà et la dans différentes villes de Béotie, lorsque des fouilles entreprises à Flyettoe en 1873 en firent découvrir un assez grand nombre de nouveaux. Depuis cette époque, MM. Paul Girard4U9, llaus o rllier103 et ltoucart'i0 en ont trouvé ou publié d'autrea Ce pièces, recueillies par M, Larfel.dl1h au nombre de 45, ont pu être utilisées par M. G. Gilbert dans son second volume des Antiquités grecques". Il ressort de ces documents que l'éphébie se terminait, pour les jeunes gens de toutes les villes béotiennes, à l'âge de vingt ans, comme à. Athènes. Parvenus à cet âge, les éphèbes devenaient soldats ; c'est leur enrôlement que mentionnait chaque année une inscription spéciale, Quant à la question de savoir dans quels corps ils étaient versés, c'est un point que n'éclairent pss complètement les formules variées des inscriptions. Toutefois M. G. Gilbert, d'après l'étude comparée de ces formules, suppose que les éphèbes étaient d'abord incorporés dans les peltastes, et que, quelques années après seulement, devenus plus robustes, ils entraient dans les rangs des hoplites. Si l'hypothèse était confirmée par de nouveaux textes, elle mériterait une attention particulière : ce D1L -212DtL serait une exception aux usages anciens des villes grecques, et on devrait sans doute l'expliquer par les changements survenus dans l'organisation des armées après la conquête macédonienne. En effet, durant toute la période de l'indépendance grecque, les villes n'ont guère demandé à leurs citoyens que le service d'hoplite. La cavalerie même, si recherchée à Athènes et dans quelques autres États, est restée toujours un faible contingent dans les forces nationales des cités. C'est seulement dans les contrées les plus éloignées du centre de la civilisation, en Étolie et en Acarnanie par exemple, que le catalogue même comprenait des soldats armés à la légèrej13. Partout ailleurs les troupes pesamment armées ont eu seules tout l'honneur des batailles, et, quand les progrès de l'art militaire ont montré l'avantage d'une infanterie moins lourde, c'est parmi des étrangers, des mercenaires, qu'on l'a d'abord recrutée. Alors les vrais citoyens, renfermés dans leur rôle d'hoplites, n'ont plus guère composé qu'une garde locale, destinée à maintenir l'ordre dans la cité. Le recrutement fonctionna comme par le passé; la plupart des villes eurent leurs collèges éphébiques, leurs catalogues militaires, et tout ce qui rappelait les institutions d'autrefois. Mais le vrai recrutement des armées grecques se fit parmi les mercenaires. D'abord restreint à certaines armes spécialesftk, cet usage s'étendit de bonne heure à toute l'armée : au temps d'Alexandre et de ses successeurs, il y avait au cap Ténare un camp de mercenaires, toujours prêts à se louer au plus offrant'''. AM. HAUVETTF.. ltoME. Le mot dilectus 1 est employé pour désigner à Rome la levée des troupes, le recrutement militaire. La composition de l'armée romaine ayant été souvent modifiée, ce qui entraîna des modifications dansle mode de recrutement, il faut distinguer plusieurs périodes principales, qui pourraient encore être subdivisées, si l'on avait sur la question un plus grand nombre de renseignements précis. de l'État romain, comme à celui de tout peuple antique, it n'y avait pas de différence entre les citoyens sous le rapport du service militaire ; tout citoyen était un guerrier2, et le nombre des citoyens n'était pas si grand qu'il y eût lieu de faire un choix entre eux en cas d'alarme, et d'appeler aux armes une partie de la cité pour défendre l'autre. Évidemment, à mesure que la population augmenta, le nombre des soldats s'accrut d'autant, et un moment dut venir où tous ne participaient pas à toutes les campagnes. Mais, à ce moment même, il n'y avait pas à proprement parler dilectus, en ce sens que le roi n'intervenait pas directement dans le choix des guerriers. « Voici vraisemblablement, dit M. Fustel de Coulanges, comment les choses se passaient : sur la convocation du roi, chaque gens accourait en armes du petit canton qu'elle occupait sur le territoire. Les diverses gentes qui appartenaient à la même curie se groupaient entre elles; les curies d'une même tribu faisaient de même ; enfin les trois tribus formaient la légion... La cavalerie s'organisait de la même manière. Chaque gens fournissait un cavalier; les dix cavaliers d'une même curie formaient l'escouade qu'on appelait décurie, et dix décuries composaient entre elles une centurie3. » C'est le chef de la gens qui devait être chargé de choisir parmi les siens le nombre de fantassins et de cavaliers nécessaires à la défense du pays et fixé par le roi. La tradition nous a gardé sur l'effectif imposé à chaque tribu sous Romulus des données qu'il serait puéril de vouloir discuter (1,000 fantassins et 300 cavaliers par tribu°). Chaque millier de fantassins avait à sa tête un tribunus militum, les trois cents cavaliers un tribunus celerum, évidemment nommés par le roi, chef suprême de l'armée. Cette tradition et celles qui se rapportent aux réformes de Tullus Hostilius et de Tarquin l'Ancien a, d'ailleurs, donné lieu à de nombreuses controverses qui doivent rester en dehors de cet article 5. Nous ne possédons de renseignements précis sur la question qu'à partir de Servius Tullius. A MARIUS. A partir de Servius Tullius et surtout sous la république, il devient nécessaire de distinguer entre les genres de troupes et d'examiner le mode de recrutement de chacun d'eux; car s'il est entre ces divers modes des points communs, il est aussi de notables différences. Il faut donc établir dans cette partie, comme dans les suivantes, certaines divisions secondaires. A propos de l'infanterie légionnaire, qui nous est la mieux connue, je rapporterai les faits communs au recrutement de l'armée en général, aussi bien qu'à cette portion du contingent, réservant les différences propres à chaque espèce de troupes pour le paragraphe qui le concerne. Infanterie légionnaire. La constitution de Servius Tullius transforme complètement l'armée romaine, en modifiant profondément le recrutement. Cette réforme paraît avoir été inspirée par deux idées principales : créer une armée mixte de patriciens et de plébéiens, et former une troupe de réserve pour la garde de la ville, lorsque l'armée active serait appelée hors des frontières. On sait comment Servius Tullius procéda. Par l'établissement des tribus, il connut exactement le nombre et la fortune des citoyens [CENSUS, TRIBUS] ; par celui des classes [CLAssis], il les répartit, d'après leur fortune, en un certain nombre de D1L 213 DIL bans (classis, x).âats, appel) auxquels on avait recours en temps de guerre, et dans ces classes même en centuries ou compagnies [cENTUBIA]. La première classe comprenait, d'après Denys d'Halicarnasse 6 et Tite-Live', les citoyens ayant 100,000 as ou plus; la seconde, ceux qui possédaient 75,000 as ou au-dessus ; la troisième, ceux dont la fortune s'élevait à 50,000 as, la quatrième et la cinquième contenaient les citoyens recensés respectivement à 25,000 ou 11,000 as. Au-dessous, on était infra classem, c'est-à-dire dispensé de l'appel en temps ordinaire'. Le service militaire était donc imposé depuis lors à tous les citoyens propriétaires de biens-fonds (locupletes, adsidui, par opposition aux proletarii, capite censi). De dix-sept ans9 à quarantesix" on figurait parmi les juniores, après cet âge parmi les seniores" ; mais on pouvait entrer plus tôt dans cette catégorie de réserve, pourvu que l'on eût fourni à l'État le nombre de campagnes réglementaire qui était, s'il faut ajouter foi à un passage corrompu de Polybe 12, de seize au moins et de vingt au plus 93. La première classe fournissait vingt centuries de juniores et de seniores; la seconde, la troisième et la quatrième, trente centuries en tout de chaque sorte ; la cinquième, quinze centuries de chaque sorte également, auxquelles s'ajoutaient cinq centuries d'armuriers, charpentiers, menuisiers, et de trompettes, qui, bien que ne possédant pas le cens nécessaire, étaient enrôlés par dérogation au principe général". On voit donc, à peu près, sur quelle base reposait le recrutement à l'époque de Servius Tullius; mais comment s'opérait-il matériellement? on l'ignore absolument. Pour les juniores, il est impossible de rien avancer que des hypothèses ; les renseignements que l'on possède sur la question sont très postérieurs à cette époque" et supposent des modifications dans la constitution dont nous parlerons tout à l'heure. Pour les seniores, on peut concevoir qu'il n'y avait pas de dilectus, à proprement parler; les cadres en pouvaient être en quelque sorte permanents, si le service ne l'était pas11. Au contraire, pour les fabri et les cornicines, leur nombre était vraisemblablement déterminé à chaque campagne ; ils étaient levés, par suite, toutes les fois qu'il y avait lieu. Le principe établi par Servius persiste sous la république : le service militaire continue à être obligatoire pour tous les citoyens propriétaires; c'est en même temps un honneur auquel ne peuvent prétendre que ceux des citoyens à qui l'État accorde une confiance absolue et la plénitude de leurs droits politiques. Mais le principe subit des altérations, par suite de certaines modifications latérales apportées soit à la constitution, soit à l'armée. C'est ainsi que l'introduction de la solde en 406" [STIPENDIUM] permet d'abaisser le cens minimum exigé pour le service militaire et de faire participer à la défense du sol les citoyens moins aisés, qui étaient les plus nombreux et dont ne pouvait se passer une armée de jour en jour plus considérable. Au temps de Polybe, ce cens minimum était tombé à 4000 a.s"; bientôt il ne sera plus que de 375 as'9 [cENSUS]. Une autre modification politique importante qui influa sur le recrutement fut la réforme apportée aux comices centuriates vers le commencement du vie siècle de Rome. S'il faut suivre, à ce propos, l'opinion la plus généralement adoptée 20, chaque tribu aurait été, dès lors, divisée en cinq classes, et chaque classe en deux centuries, l'une de juniores, l'autre de seniores [COMITIA], c'est-à-dire, quelque réserve qu'on puisse faire sur les détails de cette réforme si mal connue", que la base de la division en classes et en centuries et par suite du recrutement devint la tribu". Cette considération permet de comprendre les formalités du dilectus telles que nous les a rapportées Polybe, et que l'on peut se les figurer d'après certains passages des auteurs latins; c'est ce qu'il nous faut maintenant exposer. Le soin de lever les légions appartenait à un magistrat revêtu du summum imperium, c'est-à-dire en première ligne au consul". « Consules militiae summum jus habento », dit Cicérone'`. Pourtant, dans certains cas, cette charge revenait à d'autres. Lorsqu'il y avait un dictateur, c'était lui qui levait les troupes, ou personnellement ou par l'intermédiaire de son magister equitum 27. D'autres fois, lorsque les consuls étaient occupés ailleurs ou qu'ils ne pouvaient pas présider au dilectus, ils se faisaient remplacer par un préteur qui agissait alors comme délégué de leur puissance 26. Lorsque, par un sénatus-consulte, le sénat avait déclaré qu'il y avait lieu de lever des légions27, les consuls indiquaient par un édit le jour de l'enrôlement (edieere dilectum, 7tpoçyp«yaty $t).€pav); l'édit était affiché dans la ville et annoncé par des crieurs publics dans les campagnes. En même temps on plaçait au haut du Capitole un étendard rouge ; il y flottait pendant les trente jours qui devaient séparer l'édit des consuls de l'opération du dilectus20. Celle-ci ne pouvait avoir lieu à certains jours interdits par la religion 29. A la date fixée, chacun se rendait au rendez-vous, et le recrutement, qui, à cette époque, et par cela même qu'il n'y a pas d'armée permanente, comprenait non seulement l'appel des hommes, mais leur répartition dans les différents corps, et même la nomination des officiers, s'opérait ainsi qu'il suit. On nommait d'abord les tribuns militaires, quatorze parmi ceux qui avaient cinq campagnes, dix autres parmi ceux qui avaient servi dix ans30. On sait qu'à l'origine les tribuns militaires étaient choisis librement par le général. Depuis le milieu du sixième siècle, le peuple commença à élire tous les ans, dans les comices tributes, vingt-quatre tribuns militaires 3S. Quand ce nombre était insuffisant, c'est au général qu'il revenait de choisir les tribuns supplémentaires 32 [TBIBUNUS[. Puis on passait à la levée des Diid -214DIL soldats. « Au jour indiqué, dit Polybe", dès que les jeunes gens se sont réunis à Rome, au Capitole, les plus jeunes tribuns militaires, suivant l'ordre où ils ont été choisis par le peuple ou par les consuls, se divisent en quatre parties, parce que les Romains lèvent habituellement quatre légions à la fois. Les quatre premiers parmi les jeunes tribuns commandent la première légion, les trois suivants la seconde, les quatre autres la troisième, les trois derniers la quatrième. Des plus anciens, deux sont attachés à la première légion, trois à la seconde, deux à la troisième, trois à la quatrième, tout cela d'après l'ordre d'ancienneté. Lorsque ce choix et ce partage des tribuns sont achevés, de sorte que chaque légion ait le même nombre de chefs, ceux-ci, s'étant assis à quelque distance les uns des autres, tirent successivement au sort le nom de chaque tribu, qui se présente dès que son nom sort de l'urne : ils y choisissent quatre jeunes gens aussi égaux que possible pour l'âge et l'extérieur. Quand ceux-ci se sont approchés, les tribuns de la première légion prennent celui qui leur convient, puis ceux de la deuxième, puis ceux de la troisième ; ceux de la quatrième ont celui qui reste. Quatre autres jeunes gens étant ensuite réunis, le choix appartient cette fois d'abord aux tribuns (le la seconde légion et ainsi de suite, ceux de la premiers légion étant les derniers. Quant aux quatre jeunes gens qu'on réunit après les huit premiers, le choix commence par les tribuns de la troisième légion, ceux de la seconde étant les derniers. L'opération se continue dans cet ordre jusqu'à la fin, et il en résulte que le recrutement est à peu près le même dans les quatre légions. » Ge texte établit clairement comment les choses se passaient au temps de Polybe; mais il n'en avait pas toujours été de même dans le détail, et de plus, nous connaissons par d'autres auteurs certaines particularités dont Polybe ne nous a point parlé et qui complètent son témoignage. L'enrôlement se faisait d'ordinaire au Capitole n : Varron°3 indique bien le champ de Mars et la villa publica comme servant aux opérations du recrutement, mais ce n'est là qu'un souvenir de l'ancien système où les centuries, unités à la fois politiques et tactiques, étaient convoquées en armes, en dehors du pomoeriunt, dans Pinté rieur duquel on ne pouvait se montrer armé. Les tribuns n'eurent pas toujours, dans le dilectus, la part que Polybe leur attribue ; en réalité, ils ne faisaient qu'aider les consuls. Les auteurs nous représentent ceux-ci assis sur leurs chaises curules, présidant à l'opération 36. Ils ont entre les mains les registres des disponibles (tabulae juniorum, xacâ).ovo6) n et appellent par leur nom ceux qui remplissent les conditions voulues pour être soldats (citare nominatim juniores). 11 fallait qu'ils eussent grand soin de désigner le premier un soldat dont le nom était d'heureux présage 36 ; autrement, il y avait tout à craindre pour le résultat de la guerre. Ceux qui étaient ainsi appelés devaient répondre (ad nomen respondere) 39, faute de quoi ils s'exposaient à des punitions. C'était le moment que choisissaient souvent les tribuns de la plèbe pour intervenir. Lorsqu'ils voulaient obtenir quelque concession des patriciens, ils ne craignaient pas de mettre obstacle au dilectus et allaient jusqu'à exciter le peuple à refuser le service militaire en prenant sous leur protection ceux qui ne répondaient pas à l'appel des consuls 40. Il leur arriva de suspendre ainsi pendant deux ans l'exécution d'un sénatus-consulte 41 ; c'est seulement après avoir obtenu l'objet de leur demande, qu'ils se décidaient à laisser faire l'enrôlement, scribi militera sinere. Si tout le collège des tribuns était d'accord, les consuls n'avaient qu'un moyen d'échapper à l'opposition de ces magistrats dont le pouvoir ne s'étendait pas au delà de l'enceinte de la ville, c'était de se transporter au champ de Mars, comme ils le firent au moins une fois 4', et d'y continuer le recrutement. Mais lorsque les tribuns n'intervenaient pas, la punition ne se faisait pas attendre pour ceux qui ne répondaient pas à l'appel de leur nom ; ou bien ils étaient condamnés à l'amende n, ou frappés de verges" ou même jetés en prison ". Quelquefois le châtiment était encore plus sévère : si le coupable possédait des propriétés, on les saccageait en coupant les arbres et rasant les métairies; s'il était seulement fermier, on lui enlevait son matériel d'exploitation ainsi que ses boeufs, ses troupeaux et ses bêtes de somme 46. En l'année de Rome 478 = 276 av. J.-C., le consul Curius faisait l'appel ; s'apercevant que personne ne lui répondait, il tira au sort le nom d'une tribu; celui de la tribu Pollia étant sorti le premier, il fit jeter dans l'urne les noms des citoyens de cette tribu qui étaient soumis au recrutement, et appela celui que le sort désigna ; celui-ci gardant le silence, le consul prononça la confiscation de ses biens et, comme ce citoyen en appelait aux tribuns, Curius le fit vendre lui-même 47. Non seulement cet exemple fut suivi, mais encore on adopta la coutume de vendre comme esclaves ceux qui voulaient, sans excuse légitime, se soustraire au service militaire 48, Ceux qui n'étaient pas appelés, par suite d'omission sur la liste d'appel, devaient se présenter eux-mêmes ; pendant la seconde guerre Punique, deux mille jeunes gens qui étaient dans ce cas et ne pouvaient alléguer une maladie ou toute autre cause légitime d'exemption, furent rayés de la liste des tribus, condamnés à payer une amende et à servir dans l'infanterie jusqu'au jour où l'ennemi serait chassé de toute l'Italie 49. Plus tard on punit d'une amende les citoyens des centuries équestres qui, au début de cette guerre, avaient accompli leur dix-septième année et ne s'étaient pas fait inscrire pour le service de la cavalerie 59. Enfin, pendant la guerre contre Persée, la jeunesse faisant difficulté de prendre les armes, les censeurs ajoutèrent un nouveau serment à celui que les citoyens prêtaient quand on faisait le cens: ils leur firent jurer que tant que durerait cette censure, ceux qui avaient moins de quarante-sept ans et n'appartenaient pas à l'armée, se présenteraient toutes les fois qu'on lèverait des troupes 5t. Les consuls avaient ensuite à examiner les causes d'exemption (causas cognoscere) oz, c'est-à-dire à vérifier l'état de santé des recrues et le nombre d'années de service que chacun avait fourni o3. En dehors de l'incapacité corporelle, qui pourtant n'était pas toujours une excuse valable 54, il n'y avait de dispensés du service (eausarii) que les magistrats et les prêtres. D'après Appien" et Plu DIL -`1 DIL tarque 56, cette exemption s'appliquait aux sacerdoces en général ; mais, d'autre part, Denys d'llalicarnasse U7 mentionne des dispenses spéciales en faveur de certains prêtres, les decem viii sacris faciundis, par exemple, et le rex sacrorum, et Aulu Celle m8 nous apprend que le flamen. Dialis n'était point incorporé dans les troupes. Pourtant, dans des cas spéciaux et pour récompenser des services extraordinaires, l'État accordait la vacatie militiae c'est ce qui arriva notamment pour le chevalier P. Ebutius, qui avait dévoilé l'existence des mystères des Bacchanales, en 566 de Rome 69 De même le sénat accorda une exemption de cinq ans à des soldats qui, enfermés dans Préneste, avaient soutenu le siège avec beaucoup d'énergie 60 a Quand l'enrôlement est ainsi terminé, continue Polybe u, les tribuns de chaque légion réunissent à part ces nouvelles recrues et choisissent parmi elles celui qui leur paraît le plus convenable; ils lui dictent le serment d'exécuter, suivant ses forces, les ordres des chefs; tous les autres conscrits jurent un à un, et s'engagent à faire ce qu'a promis le premier 6x; nous savons d'autre part" que ces derniers se contentaient de dire : « Idem in me ». Ce serment se nommait SACRAMCNTU➢I. Alors les consuls congédiaient les soldats après leur avoir indiqué le jour et le lieu où ils devaient s'assembler, sans armes, pour être distribués dans les différents corps de troupe, vélites, hastats, et organisés en manipules et en centuries 0`. Cet endroit était tantôt aux portes mêmes de Rome, tantôt dans une cité voisine située sur la route. Ainsi M. Acilius Giabrio, prêt à partir pour la guerre contre Antiochus, assigna à ses soldats pour rendez-vous la ville de Brindes 66 Celui qui manquait à cette dernière convocation et qu'on appelait miles infrequens 66 était traité comme déserteur, à moins qu'il ne pût invoquer l'une des exceptions, exceptiones, inscrites dans la Ioi, et qui nous ont été conservées par Aulu-Gelle 0' : « nisi harumce quae causa erit; funus familiare; feriaeve denicales quae non ejus rei causa in eu-en liera collatae sent quo is ee die minus ibi esset; morbus sonticus; auspiciumve quod sine piacu_lo praeterire non liceat; sacrï ficiumve anniversarium quoi recte fieri non passe nisi ipsus eo die ibi sit; jus hostice, status eondictusve dies cum hoste ». Encore le retardataire devait-il prouver qu'il s'était mis en route pour se présenter à celui qui l'avait enrôlé, dés le lendemain du jour où la cause de ce retard avait cessé 68 Au jour fixé, les questeurs tiraient les enseignes du trésor public où elles étaient renfermées et les faisaient porter à l'endroit où les légions étaient réunies69. Le chef de l'armée se présentait à elles, revêtu dis manteau, paludame_ntum, qui était le principal insigne de son commandement70, les purifiait par le sacrifice appelé lustratio n et les mettait en marche. Lorsqu'on n'avait à faire qu'un armement restreint, on se contentait de désigner par le sort un certain nombre de tribus qui fournissaient le contingent reconnu nécessaire''. Le dilectus tel que nous venons de le décrire était toujours possible pour la ville de Rome et les environs, comme aussi pour les parties de l'Italie relativement voisines; maïs lorsque la domination romaine se fut étendue et que le droit de cité eut été accordé à une grande partie de la péninsule, il était difficile d'appeler à Rome, à jour fixe, des citoyens domiciliés à une grande distance. Aussi trouve-t-on, dans les auteurs, la trace de levées locales faites dans diverses régions par des commissaires (conquisitores), parfois même par des proconsuls n. C'était, le seul moyen pratique de procéder; mais nous ne savons pas comment on opérait dans le détail. On conçoit que ces différentes opérations, tout en étant fort simples et fort bien conçues, exigeaient l'emploi de plusieurs journées et que, dans certaines circonstanccs, on était obligé de les abréger. Quand l'ennemi s'approchait de Itorne, ou quand une sédition d'esclaves menaçait cette ville, on n'avait pas le temps de se soumettre aux lenteurs du dilectus régulier. En pareil cas le sénat proclamait le turaultus (tumultum decernere, justitium edicere) " et donnait aux consuls l'ordre de faire un enrôlement extraordinaire, delectum extra ar-dinem 7', de réunir une armée en toute hâte, exercitum subitarium76 ou tunlultuarium n, tumultuariae legiones 78, militia tumultuaria 79, milites subitarios 80 ou tumultuarios n; quelquefois même il décrétait la levée en masse, delectum ornais generis kami-' num 82, dans laquelle on comprenait même des hommes âgés de plus de cinquante ans 83 : les consuls convoquaient immédiatement l'assemblée du peuple et les préparatifs se faisaient avec une telle activité que dès le soir même A'`, ou le lendemain matin 8', l'armée était organisée et se mettait en marche. On vit même un préteur exiger le serment militaire de tous ceux qu'il rencontrait sur sa route, puis les contraindre à prendre immédiatement les armes et à le suivre, pratiquant ainsi l'enrôlement le plus expéditif, tumultuarius delectus 86. Il est évident que cette rapidité d'exécution ne s'obtenait que par la suppression de presque toutes les formalités légales : ainsi, l'examen des causes d'exemption était supprimé 7 ou remis à la fin de la guerre. Ceux qui ne s'étaient pas fait inscrire au moment du départ et ne pouvaient prouver qu'ils étaient alors malades, ou avaient accompli le temps de service exigé 88, étaient considérés comme déserteurs. dese;'tores, et punis comme tels : cette disposition engageait à se faire inscrire ceux qui n'étaient pas sûrs de leurs droits 89. Du reste, ceux dont l'exemption était prononcée devaient concourir à la défense de la ville 90. Cette espèce de dilectus se nommait conjuratio, parce que les soldats, au lieu de prononcer le serment chacun à leur tour, juraient tous ensemble obéissance au général et à la république 91, ce qui prenait naturellement beaucoup moins de temps. En pareil cas, on appelait aux armes tous ceux que l'on pouvait trouver, non seulement les„uniores qui tombaient sous le coup de la loi militaire, mais encore les jeunes gens âgés de moins de dix-sept ans qui semblaient assez forts pour porter les armes 92 ; on alla, une fois jusqu'à armer dix mille prisonniers pour dettes ou crime capital'J3, des hommes de la classe des affranchis 9'6, et DIL 216 DIL môme des artisans", quoique ce fussent généralement des étrangers °5. Enfin, quand la population libre était épuisée, on achetait à leurs propriétaires les esclaves qui consentaient à faire la guerre, on les armait et on en formait des légions, le tout aux frais de l'État : on appelait ces esclaves volones 07, et ceux qui se distinguaient par leur bravoure étaient rendus à la liberté 98. L'armée recevait aussi parfois, surtout lorsque la solde eut été établie et que la guerre commença à procurer aux soldats un riche butin, un nombre de volontaires considérable; ceux-là se recrutaient surtout par un mode spécial d'enrôlement dont nous allons parler. Les deux sortes de levée que nous avons étudiées, le dilectus ordinaire suivi du sacramentum et le tumultus avec conjuratio, constituent ce que les auteurs appellent la rnilitia legitima 99 ; ce qui les caractérise, c'est que toutes deux sont un appel fait par une autorité supérieure et que les soldats, au moins en majorité, entrent au service pour obéir à la loi f00. Mais si, dans un moment de danger, un chef prend sur lui d'appeler les citoyens au combat, avec la formule : « Qui rempublicam salvam esse vult, me sequatur 1 °t », et qu'un certain nombre de citoyens se rendent à son appel, il y a evocatio. Les soldats ainsi levés sont personnellement engagés vis-à-vis du général, mais non de l'État, qui ne les a pas recrutés directement; ce ne sont pas à proprement parler des milites, mais despro milite f°2 [EvoCATI]. Ils ne sont point mèlés, au moins à l'époque qui nous occupe, au reste des légionnaires, et servent plus particulièrement d'escorte au général1''. Les choses changèrent à la fin de la république, ainsi que nous le verrons plus loin. Ce qui précède ne s'applique qu'aux légions de juniores. On est mal fixé sur le recrutement des légions chargées de la garde de la ville, legiones urbanae et composées d'abord de seniores. Il est probable qu'à l'origine elles étaient à peu près permanentes. Peu à peu ces légions se modifièrent; on y fit entrer des recrues et elles devinrent des dépôts chargés d'alimenter les légions de marche. Ces recrues provenaient-elles du dilectus annuel, ou les volontaires y entraient-ils pour une bonne part, c'est ce qu'on ne sait pas précisément 70b. Cavalerie légionnaire.-On sait que, d'après le système de Servius Tullius, les cavaliers étaient pris parmi les citoyens les plus riches de Rome et répartis en dix-huit centuries [EQUITES]. La liste de ces cavaliers était dressée, à chaque lustre, par le censeur. Les cavaliers étaient, au dire de Polybe, antérieurement à son temps, choisis après les fantassins, dans le dilectus f03; c'est-à-dire que l'on tirait à ce moment des dix-huit centuries équestres le nombre de cavaliers nécessaires pour compléter l'effectif des légions. « Maintenant, continue Polybe, on commence par eux, et le censeur les classe, d'après leur fortune, au nombre de trois cents par légion. » Le changement dans le recrutement dont parle l'historien grec est la conséquence de la modification apportée à la composition de la cavalerie; à la suite de l'établissement des equites equo privato, de quelque nom qu'il faille d'ailleurs appeler ces cavaliers, qui peu à peu remplacèrent les chevaliers pour le service monté des légions, il devint nécessaire de choisir d'abord dans l'ensemble des juniores ceux qui pouvaient et voulaient servir à clTeval ; les fantassins étaient pris ensuite dans le reste des disponibles. Le censeur intervenait dans l'opération, à cause du cens exigé pour être enrôlé dans la cavalerie, mais c'était certainement au consul ou à celui qui le remplaçait que revenait le soin de répartir dans les légions ceux qui satisfaisaient aux conditions exigées 106 Auxiliaires. Les alliés étaient obligés, par leurs traités d'alliance, de fournir aux Romains des contingents en temps de guerre. Le recrutement de semblables auxiliaires était réservé aux autorités locales. Polybe le dit très nettementf07: o En même temps (c'est-à-dire lors du dilectus, à Rome), les consuls préviennent les magistrats des villes alliées d'Italie d'où ils veulent tirer des contingents, et leur indiquent le nombre des soldats qu'elles ont à fournir, ainsi que le jour et le lien du rendez-vous général. Les villes font alors leurs levées de la même manière que nous avons indiquée pour les Romains, leur font prêter le même serment et les envoient, avec un payeur, sous la conduite d'un de leurs principaux magistrats. » Les textes des autres auteurs confirment entièrement le dire de Polybe. C'est ainsi, par exemple, qu'en 559 de Rome (195 av. J.-C.) le consul Minucius, pour parer à un danger imminent, ordonna aux magistrats et députés des villes alliées de se rendre au Capitole; là il leur ordonna de fournir à la république 15,000 fantassins et 500 cavaliers; et, pour que ces auxiliaires arrivassent plus rapidement, il leur enjoignit de quitter la ville immédiatement et d'aller présider au recrutement, chat un dans leur patrie10R. Il n'y a donc rien de commun, pour le recrutement, entre ces troupes auxiliaires et celles que nous rencontrons sous l'empire. Flotte. L'équipage des navires romains était composé de rameurs, remiges, et de marins, nautae [cLAssls]. Originairement, les uns et les autres étaient recrutés parmi les alliés; tout au moins était-ce un usage établi au commencement de la deuxième guerre Punique1U°. Aussi le nom de socii navales servait-il à désigner les hommes de mer en général. Les nautes étaient également pris parmi les gens pauvres dispensés du service légionnaire110 ou parmi les habitants des classes maritimes, à qui il était imposé de les fournir 111 Ensuite on appela à ce service des libertini112 quelquefois même des esclaves 13, qui recevaient, à cette occasion, la liberté et entraient alors dans la classe des libertini. Les rameurs étaient parfois aussi des esclaves que l'on obligeait des particuliers à fournir1l`; mais ces sortes de levées étaient extraordinaires. Il en est de même de celle à laquelle eut recours Scipion, lorsqu'il composa l'équipage de ses flottes avec les habitants de la ville de Carthagène qu'il venait de prendre 11' [cLAssIAxn]. Au temps de la première guerre Punique, les légionnaires combattaient sur la flotte ; plus tard, on établit des classici milites, distincts des socii navales, et qui formaient l'équipage armé 115. Il est probable qu'ils étaient recrutés DIL 217 D1L parmi les légionnaires pour être affectés spécialement au service sur mer'. La réforme capitale, à laquelle Marius attacha son nom, intéresse tout particulièrement le mode du recrutement de l'armée romaine "s. Nous avons vu plus haut que le cens minimum exigé pour le service légionnaire avait diminué progressivement sous la république ; à l'époque de Marius, quelque tempérament que l'on erôt successivement apporté à l'organisation primitive, on ne trouvait pas assez d'hommes pour remplir les cadres des légions'''. En même temps le service militaire était devenu odieux au plus grand nombre des citoyens, qui cherchaient tous les moyens possibles pour y échapper120. Aussi Marius, franchissant le dernier degré, n'hésita-t-il pas à enrôler des prolétaires, des capite censi; les historiens placent cette réforme en 647 de Rome (107 av. J.-C.)121, L'exemple de Marius, couronné par le, succès, fut suivi par les généraux qui lui succédèrent, et désormais il n'y eut pas de cens exigé pour le service militaire des légions. Il n'y avait plus de raison, dès lors, pour que les libertini ne trouvassent pas place dans les cadres légionnaires. Aussi eut-on recours à eux dans la guerre de Jugurtha'22, où l'on donna la liberté à des esclaves pour les enrôler, et dans la guerre Sociale u Pompée alla plus loin ; il créa des citoyens romains pour compléter ses troupes ; c'est ainsi qu'il enrôla des Celtes et des Germains lors de la guerre contre Mithridate12''. Bientôt même, étendant ce principe, qui sera d'une application constante sous l'empire, il forma des légions entières de cette espèce (leyiones vernaculae)'"-'; c'est ce qui se produisit pendant la lutte qu'il soutint contre César. Celui-ci ne suivit pas cet exemple 126; mais après sa mort les généraux imitèrent Pompée127, et l'armée se peupla de pérégrins admis par l'autorité privée du chef au rang de citoyens romains. On y introduisit même des esclaves et des gladiateurs, mais en cas de besoin extrêmef2B. On conçoit que toutes les règles du dilectus, tel que nous l'avons étudié plus haut, ne pouvaient pas être appliquées à cette époque. D'abord le recrutement ne se fait guère plus à Rome, depuis que les lois Julia et Plautia Papiria19 ont accordé la cité romaine à tous les alliés latins et par conséquent étendu à toute l'Italie le champ de l'enrôlement. IL faut nécessairement, en cas de dilectus ordinaire, procéder par con quisitores 130 De plus les guerres sont devenues longues et lointaines elles soldats restent sous les drapeaux toute la durée de leur service ; à peine peut-on trouver dans les auteurs quelques rares exemples de soldats renvoyés dans leurs foyers avant d'avoir terminé leur temps ; le dernier fut donné par Pompée'. L'armée est donc devenue à peu 111. près permanente en fait, sinon en principe. Les généraux n'ont plus à s'occuper que de tenir leurs troupes sur le pied de guerre ; on ne lève plus d'armées entières et il suffit de compléter les cadres existants. Ils ne rencontrent pas en cela de grandes difficultés, car le métier de soldat est devenu lucratiff32, et les volontaires abondent, surtout parmi les vétérans133. Dans cette période l'evocatio, qui auparavant était un procédé tout à fait exceptionnel, devient la forme la plus usitée du recrutement ; l'enrôlement se fait non plus au profil de la république, niais à celui des chefs de corps d'armée 13'`. Légalement le principe du dilectus s'appliquant à tous les juniores subsiste intact130, mais on n'en tient aucun compte dans la pratique. Les auxiliaires, à cette époque, continuent à être fournis parles villes et les royaumes alliés, sur l'ordre du général', quand ils n'étaient pas engagés comme mercenaires 137. dilectus régulier est théoriquement maintenu, c'est-à-dire que l'on peut toujours faire des levées à l'ancienne mode133, et de fait on a quelques exemples de recrutement opéré; de cette manière. Mais, en général, on n'y a pas recours; on évite même d'en user139, à cause de la défaveur où est tombé le service militaire parmi les citoyens romains. D'un autre côté, l'armée étant devenue permanente et une partie seule de l'effectif se libérant chaque année, on n'a plus besoin de lever annuellement qu'un contingent relativement peu nombreux, soit environ 20,000 recrues, suivant le calcul de M. Mommsen''°°. Ces recrues sont, la plupart du temps, composées de volontaires qu'attirent les avantages attachés au métier des armes, surtout dans les légions. Parmi ces recrues il faut faire une place à part aux enfants nés dans les camps, qui deviennent de plus en plus nombreux à partir du m' siècle C'est l'empereur seul qui a, en tant que revêtu de l'imperium, le droit de faire des levées142. Recruter des troupes sans son ordre est un crime de lèse'majesté1s3. Le sénat même n'a été consulté à ce sujet que lorsque les recrues devaient être levées dans les provinces sénatoriales qui lui ont été réservées 1"; dans tous les autres cas le prince n'a à prendre conseil que de lui-même. Nous adopterons, pour cette période, une division analogue à. celle que nous avons établie sous la république. Légions. Conditions d'admission. Sous la république les légions devaient être composées exclusivement de citoyens romains, et, lorsqu'il en était autrement, c'était par suite d'une irrégularité plus ou moins légalement dissimulée. Le principe subsiste sous l'empire; mais le nombre des citoyens romains étrangers à l'Italie n'est pas, au début, très considérable. Or, on s'aperçut rapidement que les Italiens ne tenaient plus à servir 28 .DIL 218 --DIL dans les légions : les uns se coupaient le pouce pour échapper à l'enrôlement'"°, d'autres allaient se cacher dans des ateliers d'esclaves'"; tous avaient été gagnés par les douceurs de la paix qui avait suivi les guerres civilesi47. D'autre part, l'empereur ne tenait pas à les incorporer de force dans l'armée, car il n'était pas sans redouter leur humeur orgueilleuse et remuante. Auguste et, à son exemple, ses successeurs cherchèrent donc à les écarter des légions, sous couleur d'un privilège''. On y appela, en conséquence, ou on y admit les provinciaux, aussi bien ceux qui étaient citoyens d'une ville romaine que ceux qui avaient formellement le droit de cité. De plus, pour ouvrir les cadres légionnaires à ceux qui n'étaient pas citoyens, on établit que l'entrée dans les légions conférait le droit de cité "9. Ce droit, sans effet tant que le soldat restait sous les armes, recevait son application dès qu'il avait achevé son temps de service. Le fait qui, au début de l'empire, était relativement rare devint fréquent à partir de l'époque des Antonins i56, La seule condition imposée aux légionnaires de cette sorte était d'être nés. dans une cité et de parents libres; encore l'empereur pouvait-il tourner la difficulté, lorsqu'il était contraint par quelque nécessité pressante de recruter des libertini, en leur accordant, comme il en avait toujours le droit, la natalium restitutio (ingénuité factice) i". Les esclaves seuls étaient considérés comme incapables d'entrer dans la légion''2 Il fallait, en outre , avoir un certain âge 163, mais nous ignorons quel il était au juste. Végècc35L l'indique par les mots vagues : incipiente puéertate, c'est-à-dire à peu près quatorze ans, en moyenne, tandis qu'Isidore de Séville"' spécifie seize ans ; mais rien ne prouve que ces données s'appliquent à toutes les périodes de l'empire. Pour les engagés volontaires, la règle était naturellement moins stricte; il fallait, suivant Hadrieni°', ne quis out minor quant ni-tus posceret, out major quam pateretur humanitas, in castris contra morem veterum versaretur. Les inscriptions funéraires, où le temps de service des légionnaires est indiqué, concurremment avec l'âge auquel ils sont morts, fourniraient des chiffres plus précis, si les volontaires n'y étaient pas confondus avec les autres, sans qu'il y ait moyen de les distinguer. Il a été dressé un tableau des renseignements que l'on peut tirer de la comparaison de ces épitaphes d'après six volumes du Corpus inscriptionum latinarum'°7, et l'on est arrivé à la statistique suivante : Age inférieur des recrues : 13 ans ; âge supérieur : 36 ans Pour 1 soldat entré au service à 13 ans, on trouve : 1 soldat entré au service à 14 ans ; 3 à 15 ; 3 à 16 ; 9 à 17; 17 à 18; 14 à 19; 33 à 20; 11à21;18à22;12a23; 9 à 24 ; 8 à 25, etc. Ces chiffres permettent de conclure que l'âge ordinaire où l'on était enrôlé dans la légion était de 20 ans ; mais cette augmentation sur l'âge légal du service établi à l'époque républicaine doit être en grande partie une conséquence du développement des engagements volontaires. Provinces oie les légions sont levées. Chaque province n'était pas successivement appelée à fournir des recrues Iégionnaires. L'empereur les prenait oit bon lui semblait, suivant les nécessités du moment ou l'opportunité qu'il pouvait y avoir à imposer telle région plutôt que telle autre. De plus, certaines provinces étaient négligées dans le recrutement à cause de motifs politiques ou à cause de la nature même des habitants. D'ailleurs le recrutement ne se faisait pas d'après un principe établi une fois pour toutes, mais, suivant une ordonnance particulière, chaque fois qu'il était nécessaire. M. Mommsen15® a établi trois périodes distinctes dans le recrutement provincial : 1° D'Auguste à Vespasien. L'Italie et les pays de langue latine qui constituent la partie occidentale de l'empire fournissent les contingents des légions qui occupent cette partie ; la ortion orientale de l'empire, Égypte, Asie et pays danubiens de langue grecque, est réquisitionnée pour l'armée d'Orient. 2° De Vespasien à. Hadrien. Les Italiens rie sont plus appelés à fournir des légionnaires. De là une aggravation de charge pour les provinces occidentales, désormais obligées de suppléer au contingent qu'on demandait jusque-là à l'Italie. Aussi l'Afrique est-elle rattachée pour le recrutement à I'armée d'Orient. 3° Après Hadrien. Le recrutement local est établi. Chaque province doit dorénavant fournir elle-m.ème son contingent de légionnaires. Désormais les légions d'Espagne se recruteront en général dans la Tarraconnaise, celles de Bretagne et de Germanie dans la Bretagne, les trois Gaules, les deux Germanies et la Rétie, celles d'Illyricum dans les provinces du Danube, celles d'Orient en Cappadoce, Galatie, Syrie et Égypte, celle d'Afrique en Afrique mérite'°. Néanmoins, toute levée ne cesse pas en Italie, car la loi n'est pas changée, mais l'empereur ne l'applique plus d'ordinaire dans ce pays. On connaît encore quelques exemples de dilectus italiens '. M. Mommsen suppose que les recrutements faits en Italie étaient surtout destinés à fournir les légions de sous-officiers et d'officiers inférieurs en y introduisant des jeunes soldats capables de sortir du rang'''. Les Italiens se rencontrent, en effet, sous l'empire, en majorité d'abord, en grand nombre ensuite, parmi les centurions. Officiers chargés des levées. Tant que les provinces du sénat furent mises à contribution pour donner des recrues, les levées étaient faites, dans ces provinces, par les soins du proconsul, c'est-à-dire de l'agent du sénat, celui-ci se chargeant de la levée sur la proposition de l'empereur. C'est ainsi que les choses se passaient, par exemple, en Afrique et en Cyrénaïque 12, Nous avons conservé aussi une inscription relative à un proconsul de Narbonnaise, Torquatus Novellius, P. filins, Atticus, contemporain de Claude, qui fut pendant son proconsulat chargé du dilectus dans la province'. Mais postérieurement, les provinces de l'empereur étant seules appelées à prendre part au recrutement, on ne se trouve plus en présence que d'officiers chargés directement par l'empereur de cette opération. Dans les provinces impériales le recrutement, qui est alimenté d'ordinaire par les engagements volontaires, est DIL 219 DIL fait par le gouverneur, représentant du prince 164 ; quand ces engagements ne suffisent plus et que l'empereur ordonne des dilectus, ils sont confiés aux soins de commissaires spéciaux appelés dilectatores96', qui appartiennent à l'ordre équestre. Nous connaissons, par les inscriptions, trois de ces fonctionnaires : 1° Un anonyme qui exerça cette charge, antérieurement à l'époque de Trajan, c'est-à-dire à la fin du 1°r siècle ; il fut dilectateur dans la province procuratoriale de Thrace, probablement avant d'être tribun militaire 166; 2° Un personnage nommé C. Julius, C. filius, Quirina tribu, Ce.lsus ; tout au début de sa carrière il fut nommé dilectator per Aquitanicae XI populos; c'est un contemporain d'Antonin le Pieux i67; 3° Un L. Valerius, L. filius, Quirina tribu, Proculus, qui vécut au temps de Caracalla; il est appelé proc(urator) Aug(usti) Alpiurt maritumar(um) [et] dilectatorl's Ces mêmes officiers recruteurs se retrouvent en Italie. Mais les dilectateurs italiens diffèrent des dilectateurs provinciaux en ce qu'ils appartiennent toujours à l'ordre sénatorial : ce qui s'explique par la qualité des citoyens romains qu'ils sont appelés à enrôler et par la nature de la province où ils sont occupés. Le nombre de ceux dont le souvenir nous est parvenu est relativement important : 1° Agricola, le beau-père de Tacite, en 70169, après sa préture ; 2° Du temps d'Hadrien, T. Caesernius, T. filius, Palatina tribu, Statius Quintius Statianus Memmius Macrinus, de rang prétorien '70; 3° Du temps de Marc Aurèle et de L. Verus, M. Clandius, T. filius, ()Mailla Lribu, Frontu, de inéine, rang'n'; 4° Du temps de Sévère Alexandre, L. Fulvius Gavius ls'urnisius Petronius Aemilianus, de même rang 172 ; 5° Au In° siècle, un anonyme de même rang'". 6° Du temps de Gordien, ...us L, f., Fab (ia tribu), Annianus, qui porte sur une inscription récemment découverte à Mayence le titre de missus ad tirones legendos et arma fabricanda Mediolani 174. A côté de ces dilectatorrs, on trouve des commissaires d'ordre inférieur, qui les accompagnaient sans doute dans leurs tournées, et qui étaient chargés de rechercher, comme autrefois les conquisitores, quels étaient les citoyens soumis à la loi militaire et de préparer la besogne du dilectateur, l'opération même du recrutement et l'examen des dispenses étant réservés à ce dernier. Ils étaient désignés probablement sous le nom d'inquisitores f75. On n'était pas obligé, d'ailleurs, au moins depuis l'époque de Trajan, de servir soi-même; on pouvait présenter un remplaçant, vicarius176. C'est là une grande innovation et qui recevra plus tard un développement considérable. Ces remplaçants étaient soumis aux mèmes conditions civiles et matérielles que ceux qui les présentaient 177 Il en était de même des volontaires : tous ceux qui s'offraient ne pouvaient être admis sans contrôle. Il fallait reconnaître s'ils ne s'engageaient pas pour se soustraire à quelque pénalité, à la condamnation aux bêtes 178, à la déportation dans une ile179, à une accusation capitalet00 aux conséquences du crime d'adultère 181, s'ils n'avaient pas déjà, été chassés de l'armée avec ignominiosa missi() ou s'ils ne cherchaient pas à entrer au service pour faire tourner en leur faveur un procès engagé'. l.es légions ne pouvaient devenir un refuge où les coupables pussent échapper à l'action des lois. Conseil de révision. fie volontaire ou le conscrit étant reconnu moralement et civilement apte au service, probabilis, il restait à le soumettre au conseil de révision, probare 184. On s'occupait, en premier lieu, de constater s'il n'était pas physiquement incapable de servir ; les cas médicaux qui pouvaient donner lieu à quelque doute étaient tranchés par l'empereur ; on trouve dans le Digeste la mention d'un rescrit d'Hadrien relatif à une difficulté de cette naturel". Puis on constatait la taille du futur soldat, è'7xoup.x 186. Elle était de cinq pieds, six pouces (1 m. 72) pour les premières cohortes des légions, dit Végèce 187. Faire passer sous la toise se nommait incumare. Si la taille était jugée suffisante, on immatriculait la nouvelle recrue. Il semble qu'on lui mît autour du cou une médaille ou une petite plaque en plomb, qui devenait le signe de son attache professionnelle 188. Nous devons la plupart de ces détails à un passage très curieux des Actes des Martyrs 189 ; ce passage est relatif à un soldat de l'armée d'Afrique, sans doute, qui refusait le service et qui comparut en l'année 195 devantle proconsul. Nous en transcrivons ici la partie la plus intéressante : « Tuseo et Anulino consulibus, IV Id. Martii, Teeeste, in folio; inducto Fabio Victore una cum Maximiliano, et admisso Pompeiano advocato,idem dixit: ['alias V lctor,temona us"0es cooist il ut us cum Valesiano Quintiano praeposito Caesariensi; cum bono timone (ou tirone, le texte du passage est certainement corrompu) Maximiliano filio Victoris, quoniarn probabilis est, rogo ut incumetur, Dion proconsul dixit: Quis vocaris ?Maximilianus respondit: Quid autem vis scire nomen meum? Miki non licet nlilitare, quia christianus sum. Dion proconsul dixit: Apta ilium. Cumque aptaretur, Maximilianus respondit Non possum militare... christianus suie. Dion proconsul dixit : Incumetur. Cumque incumatus fuisset, ex officio recitatum est: Ilabet pedes quinque, uncias decem. Dion dixit ad offacium: Signetur... Dion ad Maximilianum dixit: Milita et accipe signaculum... Cuprique reluctaret, respondit:... Ego christianus sum, non licet rrcihi plumbum colle portage post signum salutare Domini mei Jesu Christi .» Quand les conscrits étaient immatriculés, on leur faisait prêter le serment militairet64 [SACRAMENTUM], après quoi on ne les versait pas immédiatement dans le corps auquel ils étaient destinés, sauf évidemment en cas de grand danger. On les réunissait provisoirement sous un vexilium, où on les formait au service de toute façon, par des exercices militaires et par des travaux. On trouve quelques exemples de vexille tironunt dans les auteurs192et sur les inscriptions Y93 ; ce sont les dépôts d'instruction modernes. Lois contre les réfractaires. Ceux qui se dérobaient au recrutement ou aidaient d'autres à s'y dérober étaient DIL 220 DIL punis sous l'empire comme sous la république. C'est ainsi qu'Auguste condamna un chevalier qui avait fait couper le pouce à ses deux fils, à perdre sa liberté et à se voir confisquer ses biens '°°, Dans une autre circonstance, où l'empire, il est vrai, était très menacé, après la défaite de Varus, il agit plus sévèrement encore : ceux qui étaient en âge de porter les armes ne répondant pas à l'appel, il fit désigner par le sort, puis dépouiller de leurs biens et noter d'infamie le cinquième de ceux qui n'avaient pas trente-cinq ans et le dixième de ceux qui avaient dépassé cet âge ; enfin, comme il y en avait beaucoup qui, malgré ces mesures, refusaient encore de lui obéir, il en fit mourir un certain nombre192. Après Auguste il y eut encore d'autres exemples de sévérités de cette nature120, mais la dureté du châtiment diminuait à mesure que le nombre des volontaires se faisait plus grand 197. Levées extraordinaires. Bien que, sous l'empire, il n'y ait guère plus lieu de recourir au dilectus tunaultuarïus, que nous avons signalé sous la république, on trouve pourtant certaines levées que l'on pourrait considérer comme analogues. On en connaît notamment deux exemples, sous Auguste à propos de la guerre de Pannonie 193, et sous Marc-Aurèle et L. Verus, alors que pour la première fois, depuis la fin de la république, les barbares parurent en Italie 1B°. Dans les deux cas il semble qu'on ait imposé les propriétaires proportionnellement à leur fortune ; ils fournirent des esclaves et, même sous Marc-Aurèle, des gladiateurs. C'est déjà l'annonce de ce qui se fera au bas-empire. Ces esclaves étaient probablement affranchis par leurs maîtres au moment même ou ils les envoyaient à l'armée'-00. Corps auxiliaires. Les corps auxiliaires, cohortes et ailes de cavalerie, sont composés de soldats non citoyens. Recrutés exclusivement dans les provinces impériales201, l'empereur y ayant toute autorité sur les habitants qui ne jouissent pas de la cité romaine, ils ne sont pas soumis aux conditions étroites qui atteignent les légionnaires; aussi ils peuvent être nés soit dans une ville de droit romain mais, en pareil cas, ils sont choisis dans les pagi et les vici dépendant de ces villes qui ne possèdent pas les mêmes droits que la ville elle-même 202 soit en dehors de toute ville. On a remarqué que les levées des auxiliaires compensaient, pour l'ensemble de l'empire, les levées de légionnaires, l'empereur faisant en sorte que l'effectif des ailes et les cohortes fût tiré surtout des provinces qui fournissaient le moins de soldats pour les légions 2°30 La taille exigée pour les cavaliers des ailes était, suivant Végèce 206, de six pieds ou de cinq pieds et demi au moins. Pour les fantassins des cohortes nous n'avons aucune donnée. Les troupes auxiliaires fournies par les États clients de l'empire n'étant pas des troupes régulières, il ne saurait en être question ici, mais il faut mentionner les netmeri, vexillationes, cunei, corps irréguliers d'auxiliaires qui apparaissent à partir du règne de Trajan et se multiplient au nt° siècle: malheureusement, on ne sait rien de spécial sur leur recrutement, sinon qu'ils étaient levés dans les parties les plus barbares de l'empire, Mauritanie, Hosdroène, Sarmatie, etc.2oc Cohortes prétoriennes. Elles sont uniquement composées d'engagés volontaires; les privilèges accordés à ces corps suffisaient largement à en assurer le recrutement. Les prétoriens ne peuvent être pris que parmi les citoyens romains 200 ; s'ils ne le sont pas, ils le deviennent en entrant au corps, comme les légionnaires 307. Au premier siècle ce sont surtout des Italiens208; peu à peu les provinciaux sont admis à côté d'eux, surtout les habitants des provinces de l'Occident les plus civilisées, Macédoine, Norique, Pannonie, Tarraconaise, Narbonnaise, Dahnatie. L'Asie et l'Afrique sont tenues à l'écart jusqu'à Septime Sévère, ainsi que la Thrace, la Mésie, la partie septentrionale et orientale de la Pannonie supérieure, les trois Gaules, la Germanie, la Bretagne. Au me siècle, au contraire, le recrutement des prétoriens se fait surtout parmi les habitants de l'lllyrieum, de l'Afrique et de la Syrie 2°9. Comme il est naturel, on choisissait pour la garde prétorienne l'élite des soldats aussi bien parmi les légionnaires que parmi ceux qui n'avaient jamais servi2lo Le recrutement de cette troupe se faisait sous les yeux mèmes de l'empereur, directement intéressé dans le choix des recrues2'''. La taille des prétoriens était au moins égale à celle des légionnaires'''. Cohortes urbaines. Elles étaient recrutées par engagement volontaire, comm'e les cohortes prétoriennes, et parmi les citoyens romains d'abord de l'Italie, puis des autres provinces de l'empire 213 ; mais tandis que l'Italie ne fournit plus de prétoriens après Septime Sévère, les cohortes urbaines recoivent encore des Italiens au Ille siècle 2". La taille pouvait être inférieure à celle des soldats du prétoire, puisque nous voyons un homme de cinq pieds six pouces admis dans cette milice 21s On entrait dans ce corps généralement entre dix-huit et vingt ans". Cohortes vigilum. Les affranchis seuls étaient enrôlés dans ce corps jusqu'à Septime Sévère; après cette époque les ingeuui y pouvaient être admis également "7. Le petit nombre des inscriptions funéraires où l'âge des défunts et leur temps de service soient en même temps indiqués ne permet pas d'établir même approximativement l'âge habituel où l'on s'engageait dans les vigiles'''. DIL 221 DIL Equites singulares Augusti. Les equites singulares Augusti étaient pris parmi les pérégrins2t9 ; on les tirait directement de la jeunesse d'un pays, ce qui arriva notamment de 103 à 411 et peut-être durant tout le règne de Trajan 220, ou bien on les choisissait parmi les soldats d'élite des ailes auxiliaires. Hadrien paraît avoir préféré ce mode de recrutement 22t. Pourtant il n'y avait pas de règle fixe à cet égard. On prenait de préférence pour cette troupe, pendant les deux premiers siècles au moins, les habitants des provinces qui n'étaient pas mises à contribution pour les cohortes prétoriennes, c'est-à-dire de la Pannonie, de la Mésie, de la Thrace, de la Dacie 222. Sous Trajan et Hadrien. c'étaient surtout des Thraces 223. En entrant au service, ils recevaient, comme tous les soldats classés dans les corps composés de pérégrins, les hommes de la flotte par exemple, un nom romain, contre lequel ils échangeaient leur nom barbare; ils recevaient, en même temps, comme conséquence, le droit latin ou tout au moins un droit analogue 22s. Flottes. Les marins, au temps de l'empire 225, sont tous des remiges, et tous ces remiges sont des milites 226. Ils se composaient généralement d'hommes de basse condition, spécialement de libertini, et toujours de pérégrins [CLAssis, CLAsslArin]. On ne sait pas comment se faisait la conscription maritime et si certains pays étaient chargés de pourvoir régulièrement au recrutement de la flotte; mais il est probable que les engagements volontaires étaient fréquents comme pour le reste de l'armée 2". En tout cas, volontaires ou conscrits n'étaient tirés qu'en petit nombre de l'Occident (Bretagne, Gaule, Espagne, Germanie), qui, au contraire, fournissait beaucoup d'auxiliaires. La Corse et la Sardaigne, au contraire, ainsi que les pays baignés par la mer, donnaient de nombreuses recrues'''. L'âge où l'on pouvait entrer au service était variable. M. Ferrero 229, analysant toutes les inscriptions connues, a établi la statistique suivante : Age inférieur des recrues: 43 ans; âge supérieur: 43 ans. Soldats entrés au service à 14 ans : 1; à 15 ans : 3; à 16 ans : 4 ; à 17 ans : 10; à 18 ans : 19; à 19 ans:24;à 20 ans : 48; à 21 ans : 28; à 22 ans : 18; à 23 ans : 19; à 24 ans : 7; à 25 ans : 11, etc. L'âge moyen est donc, comme pour les légions, de vingt ans environ; mais le nombre des recrues plus âgées est plus considérable que pour les légions 230 ne pouvons guère, faute de documents suffisants, pénétrer dans le détail des transformations qui modifièrent si profondément l'armée romaine à partir de la fin du ut° siècle ; néanmoins l'organisation militaire de l'empire après Dioclétien et surtout après Constantin nous est à peu près connue dans l'ensemble; nous avons conservé sur le recrutement un certain nombre de renseignements. Depuis que le droit de cité avait été étendu par Caracalla à tous les habitants du monde romain, 1a différence es sentielle qui séparait les légionnaires des autres soldats avait disparu; d'un autre côté, les légions tendaient à se confondre de plus en plus avec les auxiliaires, non seulement par leur composition, mais aussi par leur armement et leur effectif; il n'y a donc pas lieu de les séparer dans ce paragraphe sous le rapport du recrutement. Nous distinguerons seulement les légions et les troupes auxiliaires, qui étaient cantonnées dans l'intérieur de l'empire, des soldats établis sur la frontière et de la garde impériale. Les vigiles étant devenus, dans cette période, des milices municipales, nous n'avons pas à nous en occuper. Légions et troupes auxiliaires. L'armée se recrute toujours comme autrefois, soit par engagement volontaire 231, soit, si les engagements ne suffisent pas, par conscription 232 ; mais le principe sur lequel repose la conscription est bien différent de celui qui était établi auparavant. Le service militaire est devenu, non pas un devoir civique, mais un impôt. 11 ne faudrait pas croire pourtant que ce principe se fût introduit de toutes pièces dans l'État à cette époque : ce n'est que la conséquence de ce qui se passait déjà depuis le début du 11° siècle. Nous avons vu que même sous Trajan on avait le droit de fournir un remplaçant. Peut-être n'était-ce que dans des cas particuliers; mais le fait admis dans la pratique devait forcément se généraliser, surtout quand il n'y eut plus de distinction entre les citoyens et les pérégrins et qu'en conséquence les remplaçants étaient devenus très faciles à trouver. Entre tolérer ce remplacement et l'ériger en loi, en l'imposant aux riches, à ceux qui ne pouvaient se soustraire à la surveillance des agents de l'empereur, il n'y avait qu'un pas; il fut franchi, on ne sait pas au juste à quelle date précise, à peu près vers le temps de Constantin. Or cet impôt en hommes qu'on prélevait dés lors non parmi les esclaves les esclaves sont encore à cette époque exclus du service militaire en temps ordinaire 233 mais parmi les colons, parmi les serviteurs les plus utiles des familles riches, était en fait un impôt sur les biens, inégalement réparti puisque, quelle que fût la fortune des contribuables, ils devaient fournir un seul conscrit; de plus quand on n'avait pas de tiron à présenter, il fallait en acheter un à des marchands d'hommes qui les vendaient toujours à des prix excessifs. Aussi une ordonnance de Valentinien, Valens et Gratien, rendue en 375 23'•, rétablit-elle les choses dans l'équité et changea-t-elle ouvertement 235 l'impôt personnel en impôt foncier. Elle déclarait que tout possesseur du sol était astreint à fournir une quantité de soldats proportionnelle, comme l'impôt foncier, à l'étendue de ses terres. Pour cela le prix d'un conscrit fut fixé à 36 sous d'or, plus 6 autres sous d'or qui devaient être consacrés à l'habillement et à l'équipement du soldat. Ou bien l'on payait l'impôt en hommes, ou l'on donnait de l'argent. Dans le premier cas, ceux qui étaient assez riches pour être taxés annuellement à une capitation de trente-six sous d'or devaient chaque année produire un conscrit; ceux qui étaient la moitié moins riches se réunissaient à deux et donnaient it I i-: 222 DIL alternativement, de deux années tune, le thon exige. Les moins aisés se formaient en sociétés composées d'autant de membres qu'il était nécessaire pour représenter annueIllement le capital imposable à trente-six sous d'or, et fournissaient un homme chacun a leur tour. Les chose: se passaient de même si, au lieu d'un homme, on versait l'argent équivalent, c'est-à-dire que, suivant sa fortune, on devait en tout ou en partie les trente-six sous d'or exigés par la loi, proportionnellement à son revenu. Cet argent servait à acheter des tirons. L obligation du service militaire pouvant se transformer, (e la volonté du prince, en une somme d'argent à payer, il avait là un moyen tout trouvé pour lui de remplir le trésor, même quand il n'y avait pas lieu to recrutement23s. Les empereurs tirèrent souvent parti de cette ressource, qui ne nous semble pas extraordinaire, à cause des exemples que l'histoire a fournis depuis, nais qui était entière-nient en désaccord avec les anciennes idées romaines. Somme toute, au bas-empire, l'ancien dilectus était devenu un impôt direct. Citoyens soumis aa dile^tus. Une certaine classe de personnes était obligée au service personnel, sans aucune exception; c'étaient les fils de vétérans. En échange des privilèges accordés à leurs pères, l'État les revendiquait comme soldatsX37. lis devaient se présenter aux agents de recrutement à partir d'un certain à ge qui, après avoir varié de dix-huit (e vingt-cinq ans, fut fixé à seize ans par Constance 2a8. Les décurions devaient les surveiller, les obliger à entrer au service, et s'ils ne voulaient pas, ou ne le pouvaientpas, par suite d'incapacités corporelles, les soumettre aux ^:barges municipaies'. C'est ainsi qu'étaient traités ceux qui se mutilaient en se coupant un ou plusieurs doigts pour échapper à l'obligation qui leur était imposée 2.0 Mais cette peine fut jugée insuffisante; car Valentinien et Valens, après l'avoir d'abord renouvelée 211, l'aggravèrent terriblement ensuite, puisqu'ils condamnèrent les coupables à être brûlés vifs 2'`2. Théodose, plus indulgent, se contenta de déclarer que leur infirmité volontaire ne les exempterait pas du service, mais qu'ils ne pourraient parvenir aux dignités militaires 213. D'autres catégories de citoyens devaie ut, non point servir eux-mêmes, mais fournir des recrues, à raison même de leur qualité et de leur fortune (indictio tironu:,a) : t° les sénateurs de Rose 2-; 2° les personnes revêtues de titres honorifiques qui n'avaient pas rempli auparavant la fonction donnant droit ace titre (honorarii) 2''S ; 3° les principales et les décurions2' ; d° les officiales judicuinn''; 5° les sacerdotes païens des provinces, sauf ceux d'Afrique248, qui furent exemptés de cette charge depuis l'an 428; 6° tous ceux qui possédaient quelque bien et figuraient au cens 21s Les difficultés qu'on éprouvait pour trouver des tirons a présenter au recrutement et les ennuis que cette recherche entraînait engagèrent les sénateurs à solliciter de l'empereur la permission soit de fournir un homme, soit, s'ils le préféraient, de verser une somme correspondante à sa valeur elle leur fut accordée par Arcadius et Honorius 2o0. II ne semble pas que d'autres aient jamais joui de de la même faveur. C'était l'empereur lui-même qui décidait s'il fallait demander aux contribuables des conscrits ou de l'argent. Dans certaines provinces, dont les habitants étaient supposés avoir moins d'aptitude au servicé militaire 251, on exigeait le plus souvent du numéraire, adaeratio tironum262, aurum tironicum220 Avant que le prix d'un tiron n'eût été réglé par la loi de 375 rapportée plus haut, la somme à exiger en pareil cas était estimée par des agents appelés prototypi 256 La prototypia était une charge municipale inférieure 266. Mais cette estimation donnait lieu à de grands abus; comme le reconnaissent les empereurs Valentinien, Valens et Gratien dans leur constitution : proto[typiaej munus quod provinciarum interna depascitur. 11 n'y avait qu'un moyen de les faire cesser, c'était de fixer un tarif, ce qui fut fait. Ce tarif subit, au reste, des variations suivant les circonstances et les besoins du trésor; on demandait tantôt trente-six sous d'or2'6, tantôt vingt 257, tantôt trente 258. On réclamait toujours une petite somme en plus, pour l'habillement et I'armement des hommes. L'impôt était versé entre les mains de collecteurs spéciaux, nommés temonarii Au contraire, quelques positions entraînaient avec elles pour leurs titulaires l'exemption de l'impôt militaire. Le code, théodosien contient un titre spécial consacré à ces immunités 200, Elles s'appliquaient à des personnages rangés parmi les illustres, les spectabiles ou les clarissimi, et faisant partie de la haute domesticité de l'empereur 26i à savoir les préfets du prétoire, les maîtres de la milice, les comtes des domestiques, les praepositus et primicerius saeri cuticuli, le castrensis, le cornes sacrae vestis, les cubicularii du prince, le maître des offices, le questeur du palais, le cornes sacrarum largitionum, le cornes rei privatue, le primicerius notariorunl, les consistoriani comtes, les magistri seriniorum, les tribuni et notarb, les comites archiat'oru7n, les comites stabuli, le fonctionnaire nommé cura palatii, les scholares, les proximi scriniorum et les autres employés des scrinia E62, les comites dispositionum 2sa les decuriones palatii 251, le magister admissionum, les autres hauts domestiques de l'empereur ayant rang de comte ou assimilés (eaeterae sintïles comitum laboribus principis sociae dignitates 266), les tribuni et praepositi militares 266 Ces fonctionnaires étaient exempts de toute taxe de DIL -223 DIL recrutement, non seulement pendant la durée de leurs fonctions, mais encore lorsqu'ils étaient sortis de charge. Toutefois il fallait qu'ils eussent véritablement rempli ces fonctions; il ne suffisait pas qu'ils eussent été décorés du titre correspondant 267. I1 faut ajouter à cette longue liste les médecins et professeurs de la ville de Rome, à qui l'on accordait cette faveur, pour qu'ils pussent se livrer plus facilement aux études libérales 26B, et les bourgeois et corporati de Rome, qui étaient réservés à la défense des remparts et des forts de la ville 269 Opération du recrutement. La levée était ordonnée par l'empereur, qui fixait le contingent dont il avait besoin; l'ordre en était intimé aux préfets du prétoire 270 pour que « ad omnium provinciarum notitiam pragmaticis edictis perveniri facerent 271 )) Comment se faisait alors la répartition de la taxe militaire entre les différents possessores ? Probablement de la même façon que se répartissait l'impôt 272 ; c'est-à-dire que le nombre des tirons à fournir était divisé par les principales et les décurions d'après les registres du recensement, et cette liste de répartition était déposée au tabularium de la cité où les agents de recrutement la trouvaient 272. Les possessores imposés avaient alors à présenter un homme. Ils ne pouvaient le choisir dans certaines catégories que la loi déclarait impropres au service. Étaient exclus : 1° les esclaves 27°. Le principe de l'exclusion des esclaves est formellement établi encore à cette époque. On ne les enrôlait que dans des cas exceptionnels analogues au tumultus de la république 27J. Sous Justinien, pourtant, l'esclave qui s'était engagé sans l'assentiment de son maître pouvait être réclamé ; mais s'il avait été présenté par lui ou que celui-ci eût consenti à son engagement, il devenait libre et restait sous les drapeaux 276. En fait on tournait la difficulté en enrôlant les colons. Sauf dans des cas spéciaux où l'on trouvait nécessaire de protéger ou de relever l'agriculture en souffrance, il était permis à un maître de présenter pour le service un de ses colons; on les refusait, au contraire, lorsqu'ils s'offraient volontairement, ce qui eût été, pour eux, un moyen de se soustraire à leur condition 277 [AURu I TIRONICUM, coLONI]; 2° les cabaretiers et garçons de tavernes "8; 3° les cuisiniers 279 ; 4° les boulangers 260 ; 5° peut-être les ouvriers employés dans les gynécées ou ateliers impériaux 231 ; G° les décurions des municipes 262 ; 7° les juifs 263. Les uns, cabaretiers, garçons de tavernes, cuisiniers, étaient exclus de l'armée à cause de leur indignité et de la bassesse de leur métier, les juifs à cause de leur religion, les autres à cause des services qu'ils rendaient dans leur profession. Quant aux décurions, on sait qu'ils étaient attachés à leur dignité sans en pouvoir sortir ; ce n'était point par faveur qu'ils étaient dispensés d'entrer dans l'armée, mais uniquement pour ne pas affaiblir la matière imposable. Tous les habitants de l'empire qui n'étaient compris dans aucune de ces catégories et qui étaient valides 28s étaient aptes au service et pouvaient, en conséquence, être présentés par les possessores. Les agents de recrutement se nommaient à cette époque turmarii 26'. Ils faisaient subir aux conscrits, soit volontaires, soit fournis par les imposables, un conseil de révision. Ce conseil devait se passer en présence même de décurions, afin de leur permettre de vérifier l'origine des tirons qui se présentaient et de s'assurer qu'ils ne tenaient point à l'ordre des curiales26s. La curie avait intérêt, plus encore que l'État, à ce qu'aucun de ses membres ne pût en sortir et s'affranchir par là des charges qui seraient entièrement retombées sur les membres restants. L'examen que les turrnarii faisaient subir aux hommes qui se présentaient à eux ou leur étaient présentés était de deux sortes, moral et matériel. I1 fallait d'abord rechercher quel était l'état social des conscrits : a Statim de natalibus ipsius ac de omni vitae condicione examen habeatur, disent Gratien, Valentinien et Théodose 267 ita ut domum, genus non dr.ssimulet et parentes...; ita enim flet ut... ad rnilitiam malus spiret, nisi quem penitus liberum aut genere aut vitae condicione inquisitio tam coula deprehenderit. Cette loi est éclaircie par la suivante26e : Quisquis cinguli sacramenta desiderat in ea orbe qua naias est, vel in qua domicilium conlocat, primitus acta confieiest et se ostendat non paire, non avo esse municipe, penitusque ab ordinis necessitatibus alienum 289. Grâce à cet examen, on empêchait les hommes exclus par la loi du service militaire d'entrer dans l'armée, et si les possessores voulaient tromper l'État en présentant des incapables, on pouvait leur appliquer la peine qu'ils encouraient @90. L'examen physique portait sur trois points, l'âge, la taille et la conformation des conscrits. L'âge exigé pour l'entrée au service à cette époque est dix-huit ans ré volus 281. La taille était fixée à cinq pieds, sept pouces ; elle était donc un peu inférieure à celle qu'on exigeait précédemment 292. De plus, les conscrits devaient ètre suffisamment bien conformés pour supporter les fatigues du service militaire. Nous avons déjà parlé de ce détail à propos des fils de vétérans. Lorsque les conscrits étaient reconnus bons à être pris comme soldats, ils étaient marqués aux mains, aux bras ou ailleurs 293, du nom de l'empereur (nomine imperatoris signantur toi), probablement avec des pointes de feu (vieillira in cote puncia, dit Végèce), puis ils prêtaient, comme jadis, serment de fidélité au prince. Mais le christianisme étant devenu la religion officielle, le serinent exigé différait de celui qu'on faisait prêter sous les empereurs païens. Végèce nous a conservé, sinon la lettre, au moins l'esprit de ce serment 2n : Jurant autem per Deum et Christum et Sanction Spiritum, et per rnajestatem imperatoris quae secundum Deum generi humanao diligenda est et colenda. On avait trouvé ce moyen de concilier l'ancien serment au génie de l'empereur et les exigences de la foi nouvelle ... Deo enim vel privatus vel militant servit, cum fideliter eum diligit qui De() regnat auctore. Jurant autem milites omnia se strenue facturas: pela praeceperit inaperator, nunquam deserturos militiam nec mortem recusaturos pro romana republica. S'il faut en croire Végèce, les tirons étaient formés DIL 221 D10 comme auparavant en détachements où on les exerçait de toutes façons au maniement des armes ; on ne les aurait incorporés dans les légions ou les corps auxiliaires qu'au bout de quatre mois au moins 290. Il semble, en outre, ce que nous avons déjà noté plus haut pour certains corps, que les soldats reçussent un nom romain en entrant à l'armée ss7 Levées extraordinaires. En cas de danger exceptionnel on appelait aux armes tous les habitants d'une partie de l'empire, libres ou esclaves. C'est ce qui paraît s'être produit notamment lors de l'invasion de Radagaise et des Scythes en Italie 298. D'autres fois, et sans doute également dans des cas pressants, la levée, au lieu d'être ordonnée par l'empereur, était faite sur l'initiative des maîtres de la milice, des ducs ou des comtes; pour compléter les troupes qu'ils commandaient, ils envoyaient des agents recruteurs dans les provinces voisines. Mais ce procédé donnait lieu à de graves abus; une loi de Zénon y mit fin29s. Soldats établis sur la frontière. Les frontières de l'empire étaient occupées à cette époque par des soldats laboureurs, limitanei, riparienses, qui avaient pour mission de défendre le pays contre les invasions 300 [BENEFIc1UM]. Pour ces sortes de soldats il n'y avait pas de dilectus proprement dit; ils étaient soldats de père en fils. Quant à l'âge oit ils commençaient à servir et aux quelques détails qu'on pourrait souhaiter sur leur enrôlement, ils nous échappent absolument, faute de documents. Garde impériale. Nous savons également fort peu de chose sur la garde impériale. Elle comprenait trois groupes (scàolae) bien nettement classés : 1° les soldats (scholae armaturae); 2° les écuyers (scutarii), cuirassiers (clibanarii), archers (sagittarii); 3° les protectores domestici. Nous ignorons totalement ce qui concerne le recrutement des deux premières classes 301 Nous sommes un peu mieux renseignés au sujet des protectores domestici. Ce corps, le plus haut placé de tous ceux qui forment la garde, était composé, depuis Constantin, de deux manières303 : une partie, les protectores, suivant l'opinion de M. Mommsen 303, était prise parmi de simples soldats appartenant à des troupes privilégiées, les Joviani 30i, les tanciarii "", les seutarii aos la vexillatio Fesianesa (qui est d'ailleurs complètement inconnue304), soit parmi les principes des offices des ducs 308; l'autre partie, les domestici, également suivant M. Mommsen, se recrutait parmi les fils ou les parents des protectores mêmes 309, ainsi que parmi les jeunes nobles qui obtenaient cette faveur; c'était pour eux un moyen de faire dans ce corps une sorte d'école militaire qui les préparait à obtenir un grade dans l'armée active 310. Les protectores étaient choisis, probablement sur leur demande, par l'empereur, qui, à partir peut-être de Constantin, décerne lui-même un diplôme au nouveau protecteur "1. Flotte. On n'a aucune donnée sur le recrutement des soldats de la flotte au bas-empire. R. CAGNAT.