Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

DIPOLEIA

Fête célébrée à Athènes, le 1h Skirophorion, jour de la pleine lune du dernier mois attique 2, en l'honneur de Zeus Polieus3. La cérémonie comprenait deux parties. La première avait un caractère agreste et champêtre; les offrandes sanglantes des victimes n'y avaient aucune part et elle se rattachait à un culte très ancien de Jupiter protecteur des moissons. La seconde, appelée plus spécialement Boupdvta, consistait dans le sacrifice d'un boeuf sur l'autel et se compliquait de certaines pratiques bizarres qui avaient un sens expiatoire ; ce cérémonial s'était greffé à une époque plus tardive, quoique encore fort ancienne, sur le culte primitif de Zeus Polieus et en avait modifié la nature. Dans la suite des temps, l'habitude des sacrifices étant devenue prépondérante, ce sont les Boutpdvta qui constituent la partie essentielle de la fête, tandis qu'il est facile de démêler qu'auparavant ils ne formaient qu'un accessoire, une sorte de corollaire à la cérémonie joyeuse et pacifique des Amo'n't'«. Les lexicographes emploient de préférence le mot Boupdvta et paraissent avoir oublié la priorité du mot Af'rr ,aïa pour désigner l'ensemble de la fête. On croit que dans la période la plus ancienne la fête se célébrait, non pas sur l'Acropole, mais dans la plaine qui s'étend au pied de la citadelle, sur l'emplacement du Pnyx et qu'on déposait les prémices de la moisson sur un autel de Zeus Hypatos'. Quand le rite sanglant des Boutpdvta s'adjoignit au cérémonial usité, on aurait fait usage d'un second autel consacré à Jupiter, non loin de l'autre, pour immoler et dépecer la victime, car le premier devait rester pur de toute souillure 3. Mais cette conjecture ne s'appuie sur aucun texte précis. A l'époque classique la fête avait lieu sur l'Acropole, auprès de l'autel de Zeus Polieus6. Là s'élevait une statue du dieu de style archaïque, brandissant la foudre 7, et plus tard, au Ive siècle, une autre statue faite par le sculpteur Léocharès 9 que Pausanias put voir encore'. Cet autel était situé vers le côté Est du Parthénonf0. On admet que sur l'Acropole aussi deux autels distincts étaient nécessaires pour la double cérémonie des Atto),ei« et des Boupdvta, que l'un était l'autel de Zeus Hypatos, situé près de l'Erechtheion't et où s'accomplissaient les rites primitifs, que l'autre était l'autel de Zeus Polieus dont nous venons de parlerS2. Le lieu de la scène étant connu, voici dans quel ordre se déroulaient les différentes phases de la cérémonie 1° Les Dipoleia, scène de fête champêtre et agreste. Placé près du premier autel, le prêtre de Zeus Polieus faisait offrande des prémices de la moisson, sous forme de grains de blé mêlés à des grains d'orge, et de gâteaux de farinef3. Ces objets étaient déposés sur une table d'airain placée sur l'autel même ou à côté ". S'il y avait une libation, elle devait être d'eau pure, car le vin était proscrit des cérémonies en l'honneur de Zeus Hypatos15. Ces rites accomplis et les prières étant prononcées, le prêtre se retirait à l'écart comme si la solennité était terminée1°. Mais ce n'était que le premier acte, et la seconde partie commençait. 2° Les Bouta, sacrifice expiatoire et commémoratif. Des serviteurs du temple, sans doute les Aat2poi dont nous verrons le rôle plus loin, apportaient une hache et un couteau. Des jeunes filles allaient puiser de l'eau dont on se servait pour aiguiser ces instruments17. A ce moment, se présentaient d'autres gens affectés spécialement à cet office, les Ksxrptdiat 18, qui avaient fait sortir les boeufs réservés pour les sacrifices publics, enfermés dans le Bouxo),Eiovt9, et les avaient amenés sur l'Acropole. Ils poussaient une de leurs bêtes du côté de l'autel où se trouvaient, déposées les offrandes. L'animal, friand de ces aliments, ne manquait pas d'y porter la dent. Aussitôt le prêtre, appelé Bou fdvoç ou Bouts) to; à cause de ce rite20, accourait en toute hâte et, comme sous l'empire d'une vive irritation causée par la vue de ce sacrilège, il saisissait la hache entre les mains de ceux qui l'aiguisaient et en déchargeait un grand coup sur la tête du boeuf qui tombait ensanglanté. Le prêtre, feignant d'être saisi d'horreur à la vue du sang répandu, jetait la hache loin de lui et s'enfuyait. Les Aat*oo(, relevant la victime, l'achevaient avec le couteau sur le second autel de Zeus Polieus, la dépeçaient et en faisaient cuire la chair pour la distribuer aux assistants" Ce cérémonial bizarre était suivi d'autres pratiques plus étranges encore. Comme pour réparer le meurtre commis, on prenait la peau du boeuf immolé, on la bourrait de foin et on remettait la bête sur ses pieds. Puis, l'attelant à une charrue, on la transportait devant le tribunal 22 qui se tenait près du Prytanée et qui jugeait les meurtres, même commis par les objets inanimés93. En effet, le coupable principal étant en fuite, on mettait en cause tous ceux qui avaient assisté ou participé à ce prétendu sacrilège. DiP 270 rasD1P Tous les assistants rejetaient la faute les uns sur les autres, si bien qu'on arrivait à déclarer seule coupable la hache qui avait frappé le boeuf. Elle était solennellement condamnée à être précipitée dans la mer" Les détails mêmes de ce cérémonial montrent combien il est ancien. Au temps d'Aristophane, on en parlait déjà comme d'un rite tout à fait archaïque 20. Certaines familles sacerdotales conservaient comme un privilège précieux, qui attestait l'antiquité de leur race, le droit de fournir les principaux acteurs du drame sacré. C'est ainsi que le Beui'lsoç ou B.saaèvoq était recruté parmi les membres de la famille des @xuaolvi8at5e. Ce râle leur était dévolu parce que leur ancêtre exatav était, d'après la légende, le prêtre de Zeus qui, dans un réel mouvement de colère, avait frappe près de l'autel le premier boeuf qui avait osé toucher aux offrandes 27. Mais cette action était mise aussi sur le compte d'autres personnages, comme Sopatros, qui s'exila volontairement en Crète 28, et Diomos, un des premiers adorateurs d'Hercule" Enfin, d'après une quatrième version, le sacrifice du premier boeuf à Jupiter aurait été promis par Iéinerve elle-même à son père, s'il voulait lui assurer la victoire en votant pour elle dans sa contestation avec Neptune au sujet de la possession de l'Attique30. Dans ce dernier trait on reconnaît, comme dans beaucoup d'autres légendes, l'effort du patriotisme passionné des Athéniens pour rattacher à leur principale légende les origines de leurs cérémonies religieuses et pour attribuer a une intervention divine la fondation de leurs rites nationaux. Si l'on essaye de démêler ce qu'il y a au fond de ces explications contradictoires, on arrive à reconstituer d'une façon au racine vraisemblable lek formation historique du mythe. L'adjonction des Boubdvta aux At7eobtl'a repose évidemment sur un sacrilège, volontaire ou non, qui a troublé accidentellement le caractère pacifique et innocent de la féte primitive. Il a fallu réparer cette atteinte à la pureté du culte ; une partie de la cérémonie a pris alors un sens proprement expiatoire et l'usage s'en est perpétué à travers les siècles. Rien n'est plus conforme à l'histoire des rites de l'antiquité, et en particulier de l'Attique31 Or nous savons que le culte le plus ancien de l'Attique, établi par Cécrops, répudiait l'emploi des victimes immolées32, Le meurtre d'un boeuf, en particulier, devait être considéré à cette époque comme un véritable, trime. Un ries plus anciens héros de l'Attique, BcuYGyvl',° P` lissait pour avoir appris aux hommes à atteler les boeufs à une charrue. Il est, comme Triptolème, un des protecteurs de la vie agricole et il avait édicté une loi prononçant des malédictions contre quiconque tuerait un boeuf de laboura'. Ces traditions nous donnent une idée de la vie patriarcale et agricole des Attiques au premier temps de leur histoire. Pausanias place sous le règne d'Erechthée le premier sacrifice d'un boeuf sur l'autel de Jupiter35. C'est dire que l'usage d'immoler des victimes remonte à une époque encore très reculée en Attique. Mais rien n'empêche d'admettre que l'institution des Bousin fut causée, dans la première période, par un fait accidentel qui détermina la fondation d'une cérémonie expiatoire annexée à la fête primitive. C'est cet incident dramatique dont les rites des Bougdvta retraçaient tous les détails et qu'ils continuèrent à reproduire, même à l'époque où le sacrifice d'un boeuf cessa d'être regardé comme un sacrilège. L'usage de sacrifier un grand nombre de victimes, une fois passé dans les habitudes de la religion attique, avait-il modifié sur ce point le cérémonial de la fête? Certains lexicographes parlent, à propos des Bouta, du sacrifice d'un grand nombre de boeufs, xtoaaol 13étç36. Il est probable qu'il s'est établi quelque confusion entre les Boo' évta proprement dits et la fête des Atawrripta qui avait lieu le même jour, le 14 du mois Skirophorion, en l'honneur de Zeus Soter et d'Athéna Soteira37. Nous savons par les textes et par les inscriptions que le DERMATixox, résultant de la vente des peaux de boeufs, s'élevait pour ces fêtes à des sommes importantes, qui indiquent un nombre de victimes très considérable 3S fine me paraît pas possible d'assimiler ces sacrifices dispendieux au cérémonial si simple des Dipoleia, qui, de l'aveu de Pausanias, avaient gardé jusqu'à son temps les mêmes rites3°. D'ailleurs les Action4ta se célébraient sur un emplacement tout différent, peut-être dans la aioâ é)iu04toç40; il n'y a donc pas lieu de croire que les deux fêtes aient pu se confondre. Jusqu'à la fin, les Dipoleia ont dû garder leur caractère de fête agreste. Elles faisaient suite aux sxLBOPnonlA (12 du __moi,' S4irophcrion) et aux AP,nn PuoRiA (12 ou 13 Skirophorion), deux solennités qui se rapportaient aussi aux travaux de l'agriculture et qui avaient quelque lien avec les mystères'1. Nous ne chercherons pas si le sacrifice du boeuf à Zeus Polieus était destiné à implorer de la divinité le bienfait de la pluie r L et de la rosée abon dante'2 oit pour le remercier de la révolte déjà faite". Il nous suffit d'avoir montré le sens primitif et rustique de cette fête. Les monuments figurés ne nous ren seignent guère sur les Dipoleia. Certaines allusions qu'on a voulu voir dans des peintures de vases sont au moins GALLI E ICI gl[ C NCESSIMC Il; D1P 211 DIP très douteuses'". Il n'y a qu'une représentation qu'on puisse rapporter avec certitude à cette fête, mais elle est importante. C'est la figure du Bou?byte ou Bosvlros sur un calendrier liturgique trouvé à Athènes" (fig. 2453). Le prètre barbu est couronné, vêtu d'une courte tunique qui ne cache que les jambes et chaussé d'endromides ; il tient des deux mains la hache qu'il élève au-dessus de la tête d'un boeuf placé à sa gauche et figuré en petites dimensions; au-dessus, dans le champ du tableau, on aperçoit le signe du Cancer. E. Bornait.