Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DONATIO

DONATIO. I. GRÈCE. Donations entre-vifs. Les législateurs grecs, qui ont minutieusement réglé l'exercice du droit de disposer à titre gratuit par testament, ne paraissent pas s'être beaucoup occupés de la donation entrevifs. On ne trouve même pas dans la langue juridique un mot spécial pour désigner cette espèce d' aliénation. Le mot Sévis, que l'on pourrait être tenté d'employer', est souvent pour les Grecs synonyme de Staer',xn ou disposition à cause de mort, puisqu'ils opposent la succession mut S~cty, la succession par la volonté de l'homme, à la succession xaeà téva;, la succession légitime en vertu de la parenté', vient à toute libéralité à titre particulier, soit entre-vifs, soit testamentaire ; dans les testaments, les legs sont appelés Siapeai, par opposition aux institutions d'héritier; à côté de l'héritier institué, xArpov6pos xxtà S61ty, il y a le simple légataire, qui reçoit à titre particulier une Sep_ i'. La donation entre-vifs n'était probablement aux yeux des Grecs qu'un contrat comme les autres contrats, exempt de toutes formalités solennelles, ne requérant, soit du donateur, soit du donataire, que la capacité de droit commun, et produisant tous les effets que les parties contractantes désiraient v attacher. On ne trouve, en effet, dans les orateurs, aucune trace de restrictions qui auraient été apportées au droit pour un propriétaire de disposer entre-vifs de ses biens, soit au profit de l'un de ses héritiers présomptifs, de ses enfants par exemple, soit au profit d'un étranger. C'est seulement contre les Iibéralités testamentaires, universelles ou à titre universel, que le législateur protège la famille. Les lois ne veulent pas qu'un descendant soit arbitrairement privé de la qualité d'héritier et remplacé au foyer domestique par le premier venu qu'il plaira au père de famille de choisir. Mais les donations entre-vifs n'altèrent pas les vocations héréditaires et laissent intacte l'unité du patrimoine; aussi le législateur n'y met pas d'entraves. Il n'y avait même pas, pour les libéralités faites à des temples ou à des congrégations religieuses, ces obstacles que nos Codes ont établis pour protéger les familles contre des influences spirituelles et même contre les entraînements spontanés d'une piété excessive. Platon recommande, il est vrai, de ne faire aux dieux que des offrandes de peu de valeur; pas d'immeubles, pas de métaux précieux; l'hommage doit être limité à des objets en bois ou en pierre, à de modestes tentures; de petits oiseaux, des images_ sont les dons les plus agréables à la Divinité naient pas à ces cadeaux peu coûteux. Les inventaires des temples prouvent que l'ivoire, l'or et l'argent leur étaient prodigués ; non seulement ils recevaient des meubles d'un grand prix, mais encore les libéralités qui leur étaient faites consistaient souvent en fonds de terre et en maisons [DONAR1uM]. Ces donations n'étaient pas toujours pures et simples ; elles étaient souvent accompagnées de charges plus ou moins lourdes énumérées dans l'acte dressé pour constater la disposition et reproduites sur la stèle élevée en mémoire du donateur. La donation d'immeubles faite par Nicias au temple de Délos 6, le don de cent vingt mines de Corinthe fait à la ville de Corcyre par Aristomène et Psyllas 7, nous offrent des exemples frappants de conditions absorbant la totalité du revenu des biens donnés. Le gratifié n'était guère que l'administrateur de ces biens, l'exécuteur des volontés généreuses du disposant. Mais, en somme, les villes et les temples, les temples surtout, arrivaient à posséder de grandes fortunes. II. Donations à cause de mort. Entre les donations et les testaments, les Grecs avaient fait une place aux dona I)ON -383 DON (ions à cause de mort, c'est-a-dire à des libéralités entrevifs qu'une personne fait en prévision d'un danger auquel elle va être exposée, mais sans vouloir se dépouiller irrévocablement, comme dans le cas de donation entre-vifs ordinaire. 1,e donataire ne conservera l'objet donné que si le donateur succombe. Si, au contraire, le donateur échappe au péril qu'il redoute, la donation cessera de produire effet. Les jurisconsultes romains avaient déjà remarqué que l'Odyssée nous offre un exemple bien caractérisé de cette espèce de donation B. Télémaque, craignant de succomber dans sa lutte contre les prétendants, fait donation à Pirée des trésors qu'il doit à la générosité de Ménélas et qu'il dépose entre les mains du donataire, en stipulant toutefois que, s'il survit au combat, Pirée devra les lui rapporter intégralement'. On pourrait voir également une donation mortis causa dans certaines libéralités dont parle Démosthène, qu'une personne fait à un ami sous cette III. Donations entre époux. -Nous n'avons trouvé pour Athènes aucun texte relatif aux donations entre époux. Nous ne pouvons pas, en effet, considérer comme des donations proprement dites les cadeaux ou présents d'usage que le mari faisait à sa femme à l'occasion des noces, «vexa Tot; yégou, et que les grammairiens décrivent d'une façon peu précise sous les mots ANAISALYPTERIA, â7tTr,ptx, 7rporsa0sy xTi ptoi, iirséXata ou itr'û)ox, etc. De petites libéralités entre conjoints étaient certainement tolérées par la loi. Mais on ne peut rien en conclure pour les donations proprement dites. Les seuls textes qui nous aient offert de véritables avantages entre époux se rapportent au testament. Ainsi, le riche banquier Pasion, voulant faciliter à sa femme un subséquent mariage, lui légua deux talents d'argent, une maison d'une valeur de cent mines, des esclaves, des bijoux d'or, etc. " A défaut de renseignements pour Athènes, nous pouvons analyser les dispositions que contenait sur ce sujet la loi de Gortyne retrouvée en 1881x. Cette loi distingue entre les donations entre-vifs et les donations à cause de mort. Les donations entre-vifs ne sont pas absolument prohibées. Le législateur autorise le mari à faire à sa femme, la femme à son mari, des donations modiques, à donner, par exemple, un vêtement, une somme n'excédant pas douze statères, ou un objet de pareille valeur. Les donations plus importantes sont défendues 12. Quant aux donations à cause de mort, il est possible que, jusqu'à la promulgation de la loi qui nous a été conservée, aucune limite n'ait été mise au droit, pour le mari, de faire des libéralités à sa femme. La loi adoptée vers le v[° siècle se présente, en effet, comme une loi restrictive du droit antérieur, lorsqu'elle décide que ces libéralités ne pourront pas excéder cent statères", tout en maintenant les donations plus considérables faites sous l'empire de la loi antérieure". Ces donations au profit de la femme, qui peuvent s'élever jusqu'à cent statères, ont bien le caractère de donations à cause de mort 15, car la femme ne peut s'en prévaloir que si le mariage se dissout par la mort du mari donateur 1G. Si la dissolution du mariage avait lieu par la mort de la femme ou même par le divorce, la donation serait caduque. Remarquons 1° que les donations excédant la quotité disponible entre conjoints n'étaient pas nulles ; elles étaient seulement réductibles au maximum légal de cent statères; 2° que, si les héritiers du mari y trouvaient quelque avantage, ils pouvaient, au lieu de remettre à la femme les corps certains qui lui avaient été donnés par son mari, se libérer en argent, à la condition de payer à la femme le maximum fixé par la loi S7; 3° que la femme, lorsque le gain de survie lui avait été une fois acquis, en conservait le profit, quand bien méme elle eût contracté une nouvelle union". La loi de Gortyne exigeait pour la validité de cette donation entre époux qu'elle fût faite en présence de trois témoins, citoyens majeurs et de condition libre (civil gap Notons, en terminant, une disposition de cette loi crétoise, inspirée par la faveur dont nous paraît digne la femme qui survit à son mari. Quand l'époux prédécedé n'a pas assuré à sa veuve le gain de survie dont nous venons de parler, le fils, héritier de tous les biens de son père, peut craindre que, s'il vient à mourir avant sa mère, celle-ci n'ait aucune ressource pour vivre. Le législateur de Gortyne l'autorise alors à faire à sa mère, jusqu'à concurrence de cent statères, une donation analogue à celle qu'elle aurait pu recevoir de son mari". Le fils se substitue en quelque sorte à son père pour acquitter la dette alimentaire dont ce dernier était tenu envers sa femme. E. CAILLEMER. Roi«. -La donation a été présentée par les Institutes de Justinien20 comme une espèce particulière d'acquisition ; cependant son vrai caractère dans l'ancien droit romain n'est que celui d'une libéralité pouvant s°efi'eetuer par tous les modes ordinaires de transmettre la propriété des choses. La libéralité peut même consister dans la remise d'une dette, ou dans une obligation valablement contractée, ou enfin dans la cession d'une créance, opérée par les moyens détournés qu'imposait la rigueur du droit civil, La donation exige : 1° un concours de volontés; 2° un acte positif du donateur par lequel il enrichit le donataire en s'appauvrissant". La donation, qu'il tant distinguer d'autres actes gratuits comme le mandat, la gestion d'affaires, est soumise à des règles spéciales, soit au point de vue des formes, de la prohibition établie inter virum et uxorem, soit de certaines causes de révocation, par exemple pour ingratitude. Dans le droit classique, pour donner une chose à quelqu'un, il fallait lui en transmettre la propriété soit par TnAnIT1o, soit par MANCIPATIO, etc., suivant la nature de l'objet donné [noMINIUM]. Une promesse de donation n'aurait eu aucune valeur si elle avait été faîte par un simple pacte et sans être revêtue des formes solennelles de la STIPULATIO, qui la transformait en contrat verbal. Ainsi, aucun mode particulier d'acquisition ne caractérisait la donation; ce qui la constituait telle au milieu des modes ordinaires, c'était l'intention de gratuité et de libéralité. Les donations furent restreintes dans leur quotité par la Mais sous l'empire, la législation des donations se modifia peu à peu. Antonin le Pieux" relâcha la stricte observation des formes dans les donations des ascendants DON 384 DON aux descendants. Dioclétien l'imita23; et plus tard, Constantin commença à valider généralement les conventions relatives aux donations, en soumettant celles qui dépassaient une certaine valeur à la nécessité d'être rédigées par écrit et insinuées, c'est-à-dire enregistrées parmi les actes du magistrat compétente". Justinien, complétant cet état de choses, prononça la validité des simples pactes en matière de donation, avec nécessité d'insinuation pour ceux qui dépasseraient 500 solides, et en fixant les cas dans lesquels les donations pourraient être révoquées pour cause d'ingratitude 23. Constantin avait déjà prononcé la révocation, pour cause de survenance d'enfants, des donations, de la totalité ou d'une quote part des biens, faites par un patron sans enfants à son affranchi26 Telles sont les règles générales auxquelles fut successivement soumise la donation ordinaire ou donation entre vifs (inter vivos); mais il y en avait d'autres espèces. D'abord, la donation pour cause de mort (ntortis causa) qui, elle-même, pouvait être subordonnée de deux manières différentes à la condition du décès. On pouvait dire : « Je vous donne tel objet, dont vous deviendrez propriétaire à ma mort si je meurs avant vous, ou à la mort d'un tiers; » ce serait en droit moderne une donation sans condition suspensive; ou «Je vous donne aujourd'hui tel objet, et si j'échappe à un danger que je vais courir, vous me le restituerez. n Telle est la donation de Télémaque à Pirée 27, citée comme exemple aux Institutes de Justinien 27. On la nommerait, en droit moderne, une donation sous condition résolutoire. Le caractère commun des donations à cause de mort était d'être révocables par le donateur jusqu'à sa mort, qui seule les rendait définitives. Ainsi la volonté du donateur, ou le prédécès du donataire opérait la révocation; le maintien de l'une au moins de ces deux causes de révocation constituait l'essence des donations à cause de mort. On les assimilait aux legs, surtout celles de la première espèce. Cependant elles en différaient de plusieurs manières, notamment en ce qu'elles existaient sans testament. Justinien trancha à cet égard d'anciennes controverses en les assimilant le plus possible aux legs 20. Les donations entre époux (inter virum et uxorem) étaient régies également par des règles spéciales. L'ancien droit les interdisait; on craignait l'abus des influences diverses que les époux auraient pu exercer l'un sur l'autre. Un sénatusconsulte proposé par Caracalla du vivant de Septime-Sévère adoucit la rigueur de cette prohibition, en rendant seulement ces sortes de donations révocables jusqu'à la mort du donateur30. Cependant la nullité prononcée contre elles avait excepté les donations entre époux à cause de mort, celles qui étaient faites pour cause de divorce et pour aider à assurer des moyens d'existence au conjoint dont on se séparait et en général les donations qui n'enrichissaient pas le donateur, comme celle d'un esclave pour l'affranchir, et comme les secours d'argent donnés par la femme au mari pour lui faciliter l'accès aux honneurs 31. Le mari qui avait fait à sa femme une donation entre époux pouvait, à la dissolution du mariage, la révoquer par voie de rétention sur la dot. Les donations faites par un patron à son affranchi étaient révocables au gré et pendant toute la vie du donateur32. Le droit primitif, d'après Plutarque33, avait interdit également les donations du beau-père au gendre et du gendre au beau-père, peut-être parce qu'elles semblaient un moyen détourné de se donner entre époux. Dans le droit classique, on ne trouve plus de trace de cette prohibition. Enfin une donation d'une espèce particulière et inconnue aux anciens jurisconsultes s'introduisit à Rome sous l'empire. C'était celle que le futur époux faisait à la future avant le mariage, au moment de la constitution de la dot, et pour y servir en quelque sorte de compensation. Le grec, plus énergique que le latin, appelait ces sortes de donation contre-dots, âvr(pepvx3". Comme on pouvait augmenter la dot et même la constituer pendant le mariage, Justin permit d'augmenter, et Justinien de constituer dans les mêmes circonstances la donation correspondante, qui y perdit son nom d'anténuptiale, pour prendre celui de donatio pro pler nuptias.. Ce dernier, dans la Novelle 97, alla même jusqu'à donner à la femme le droit de réclamer une donation équivalente à sa dot. Elle en recevait la propriété, mais pendant le mariage le mari en conservait l'administration et les fruits. A la dissolution du mariage, la donation servait de garantie à la restitution de la dot; une fois la dot restituée, la donation l'était également. Elle était gardée seulement par la femme qui restait veuve avec enfants, à moins de conventions contraires. La donation anténuptiale rappelle le régime qui régnait en Gaule entre époux et dont César a conservé le souvenir 35 : « En se mariant, dit-il, les hommes mettent en commun (communicant) la même somme, estimation faite, que celle qu'ils ont reçue en dot de leurs femmes. On dresse du tout un état, et les fruits sont mis à part, et les deux sommes avec les fruits appartiennent à l'époux survivant. » Tout en tenant compte des différences, il ne serait peutêtre pas impossible de voir dans l'institution gauloise l'origine des donations anténuptiales, qui précisément n'apparurent dans la législation romaine qu'après que la Gaule eut été réunie à l'empire. Justinien a classé assez improprement parmi les donations36 un mode d'acquisition de la propriété qui avait lieu par droit d'accroissement (jus adcrescendi). Il s'agis 1)ON 385 DON sait du cas où un esclave appartenant à deux maîtres était affranchi par l'un d'eux seulement. Comme il ne pouvait être à moitié libre et à moitié esclave, il s'ensuivait que l'affranchissant perdait sa propriété, et que l'esclave appartenait en entier à l'autre maître, qui acquérait de cette façon une propriété à titre gratuit. On décidait ainsi dans les cas d'affranchissement solennel. Quand il s'agissait des manumissions inter amicos [MANUMISSIO] qui ne créaient que des affranchis latins-juniens, on doutait si, en pareil cas, l'affranchissement n'était pas simplement nul". Justinien déclara au contraire l'affranchissement valable, sauf à l'affranchissant à indemniser son copro