Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DONATIVUM

DONATIVUM. On appelait ainsi les largesses faites au soldat, par opposition aux largesses faites au peuple qui étaient désignées sous le nom de CONGIARIUM. La distinction est nettement indiquée dans plusieurs textes : additum donativum milili, congiarium plebi 1 1. Sous la République. L'institution du donativum exista avant le nom par lequel elle fut désignée plus tard. Nous n'avons pas à nous occuper ici des gratifications prélevées sur le butin et accordées aux soldats de la République, soit pendant une campagne, soit au moment du triomphe2. Ces largesses n'étaient pas à la charge du L'usage de distribuer de l'argent aux soldats à la suite des triomphes une fois établi, on ne crut pas devoir supprimer cette largesse quand le butin ou les contributions levées sur l'ennemi ne suffisaient pas à en couvrir les frais. C'est ce qui arriva aux triomphes d'Aemilius Pauli us 3 et de Q. F'ulvius4 sur les Ligures. On pourrait, à la rigueur, faire remonter à cette époque les origines du donativum. Cependant c'était, dans des conditions il est vrai moins favorables pour le trésor, la continuation d'un ancien usage plutôt que la création d'un nouveau, et ces distributions faisaient partie de la cérémonie du triomphe Salluste accuse Sylla d'avoir, le premier, corrompu les soldats par le luxe et par des largesses non justifiées6. Le reproche est juste, mais deux causes, plus puissantes que Sylla, conspirèrent contre l'armée et la rendirent apte a être corrompue par le donativum : la réforme de Marius, qui jeta dans ses rangs des aventuriers avides de rapine et de gain, puis les guerres civiles, qui, à la fin de la République, contraignirent les chefs de parti à s'attacher ou à retenir les soldats par des largesses dont le chiffre allait toujours croissant. C'est à cette époque tourmentée de l'histoire romaine qu'apparaît réellement le donativum tel qu'il subsista pendant tout l'Empire. En voici quelques exemples : à l'occasion de son quadruple triomphe, César donna à chaque soldat cinq mille de 111. niers G; avant la bataille de Philippes, Brutus promit à son armée mille deniers par tète et le pillage de Sparte et de Thessalonique'; les triumvirs, de leur côté, s'étaient engagés à donner à chaque soldat cinq mille deniers, aux centurions le quadruple et aux tribuns le double de ce que recevraient les centurions'. Octave distribua, en plusieurs fois, quatre mille deniers à chaque soldat 0, sans compter les largesses aux vétérans mentionnées dans ses lies geslae 10. Ces quelques exemples suffisent pour nous faire comprendre le rôle et l'importance du donativum pendant cette période. D'ailleurs les soldas le regardaient déjà comme chose due, puisque, à la vue du luxe déployé dans le triomphe de César, ils se soulevèrent, prétendant qu'on dépensait leur argent, et César ne put réprimer ce commencement de révolte qu'en livrant l'un des coupables au supplice 11. Il. Sous l'Empire. Les donatica de l'époque impériale n'ont rien de commun avec les récompenses militaires distribuées par les empereurs après un acte de courage, comme les couronnes, les hastae purae, les pha Les donativa furent distribués par ies empereurs suivant les nécessités du moment, bien rarement pour un but désintéressé ou comme une récompense méritée, le plus souvent pour acquérir le pouvoir ou dans l'espérance de le conserver, souvent aussi pour acheter la fidélité des troupes ou leur complicité. Le seul moyen de se rendre compte du rôle que joua le donativum sous l'Empire est d'examiner rapidement les circonstances dans lesquelles les empereurs y eurent recours. L'élévation au pouvoir était précédée ou suivie d'un donativum. Tibère n'en distribua pas, Auguste ayant, par testament, légué un donativum de deux cent cinquante deniers pour chaque prétorien, de cent vingt-cinq pour chaque soldat des cohortes urbaines, de soixante-quinze pour chaque soldat des légions et des cohortes 12. Tibère, tant comme héritier d'Auguste qu'en son propre nom, distribua, en donativum, le chiffre rond de dix-huit millions de deniers, près de dix-neuf millions de francs 13. Lui-même, par testament, légua un donativum égal à celui qu'avait légué Auguste; mais, comme don de joyeux avènement et aussi pour avoir des droits personnels à la reconnaissance des soldats, Caligula le doubla 14. Claude, le premier, acheta l'empire en promettant d'avance aux prétoriens trois mille sept cent cinquante deniers par tête 16, munificence qu'il renouvela chaque année au jour anniversaire de son élévation au pouvoir f6. Néron acheta l'empire au même prix 17; la tradition une fois établie, tous les empereurs, sauf Galba qui s'en trouva mal18, versèrent aux prétoriens des sommes plus ou moins fortes". On eut une preuve des ravages exercés par le donativum dans Var 49 DON 386 DON mée et dans la situation politique de Rorne le jour où Didius Julianus obtint l'empire des prétoriens en mettant, sur Sulpicianus qui offrait cinq mille deniers par tête, une surenchère de douze cent cinquante deniers20. ],'usage s'établit aussi de distribuer un donativum quand il se présentait un événement important relatif à l'un des princes de la famille impériale ou intéressant la succession au trône : par exemple, quand un prince de la famille impériale prenait ]a toge virile 21, était proclamé César ou associé à l'Empire 22, quand l'empereur faisait une adoption 23. Antonin le Pieux donna un donativum quand il maria sa fille Faustine 24 Le donalïvu'en était naturellement de rigueur quand il s'agissait d'apaiser les soldats révoltés 2s, quand des prétendants se disputaient le pouvoir 26, quand l'empereur était menacé d'un danger27 ou avait commis des meurtres qu'il fallait faire accepter des soldats 23. Le donativum servit aussi de prétexte à des exactions29. Quelquefois aussi il fut distribué par pure fantaisie d'un prince prodigue ou débauché 30. Hadrien distribua un donativum après une inspection militaire à Lambèse a', Il semble qu'à la fin de l'Empire des usages fixes et réglés aient tendu à s'établir et nous voyons se produire des distributions de donativum à des époques déterminées : au temps de l'empereur Julien, on distribuait régulièrement des donati va aux calendes de janvier, le jour anniversaire de la naissance de l'empereur et les jours anniversaires des fondations de Rome et de Constantinople32. Justinien supprima un usage ancien (ex prisca lege) et jusque-là inviolablement observé (inviolato usu âabebatur) d'après lequel, sur toute l'étendue du territoire de l'Empire, les soldats recevaient, tous les cinq ans, une certaine somme en or". Le donativum subsista longtemps et il en est encore fait mention dans des lettres de Théodoric 34 Le propre de cette institution étant de n'être pas réglée par des lois, les textes juridiques sont muets sur le clonatimon. Nous savons seulement, par une réponse de l'empereur Antonin insérée dans le Code Justinien 3â, que le soldat fait prisonnier n'était pas admis à réclamer les donativa distribués pendant son séjour chez l'ennemi. Végèce 36 nous apprend que, d'après un règlement ah antipis divinitus institutum, la moitié des donativa devait ètre déposée ad signa, afin d'augmenter le castrense peculium. Cette mesure, dit Végèce, attachait les hommes au corps dont ils faisaient partie, les poussait à combattre avec courage pour défendre leur bien et empêchait les désertions. Le donativumn est aussi appelé, dans certains textes, congiarium 37, slipendium 38, largitio 39, calcearium 4° et clavarium 4t Sur les monnaies, le-donativum est figuré, comme le congiarium, par la Liberalitas Augusti 42. Un tasrelief de la colonne Trajane, ici reproduit 43 (fig. 2549), représente la distribution d'un donativum. L'empereur, entre deux de ses officiers, est assis sur un pliant ( sella castrensis ). Un soldat se retire emportant sur son épaule le sac d'argent qu'il vient de recevoir; le suivant embrasse la main de l'empereur pour le remercier de sa libéralité ; les autres soldats font cercle et lèvent la main en signe d'acclamation. On conserve au musée de Genève un beau disque en argent représentant l'empereur Valentinien, entouré de ses soldats, tenant le labarum et le globe surmonté d'une Victoire qui présente une couronne. La légende, Lar DOIl -387 DOH gitasD.N. Valentiniani Augusli'•`, indique que ce curieux monument est commémoratif d'une largesse faite par Valentinien à ses soldats sans doute après une victoire Telle fut l'institution du donativum. Elle servit souvent aux empereurs à monter sur le trône, mais souvent aussi elle se retourna contre eux ou fut, pour leur pouvoir et pour leur vie, une menace perpétuelle. Galba périt pour avoir voulu s'y soustraire, et son règne éphémère n'est qu'un drame qui se déroule autour du donativum''° ; Vitellius, manquant d'argent, fut obligé de le remplacer par l'abandon de la discipline46; Pline loue Trajan, comme d'un grand acte de courage, d'avoir osé, à son avènement, faire attendre aux soldats la moitié de leur donativurn b4, tant il était impossible à un prince, même arrivé légitimement au pouvoir, de secouer cette tyrannique obligation. H. TIICDENAT.