Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

ELAGABALUS

ELAGABALUS ('E7,ayci60,oç 'EAsy6xAoç, 'EÀsayano; `E4csay6u)o;3, 'HAloy6uAoç 4, Elagabalus Alagabalus Heelagabalus 6, Eliogabaluse, Heliogabalus9. Le grand dieu d'Émèse en Syrie, adoré sous la forme d'une pierre noire conique de forte dimension 19, à la surface de laquelle on voyait certaines empreintes mystérieuses" : un aureus de l'empereur Uranius Antoninus nous montre qu'elles étaient regardées comme la figure du xzsi;. On disait que cette pierre était tombée du ciel, simulacre divin que n'avait pas façonné la main des hommes 13 Elle rentrait donc dans la catégorie des bétyles aérolithiques, qui tenaient tant de place dans la religion syrophénicienne [BAETYLIA]. Le nom araméen sur la transcription duquel les Grecs et les Latins ont varié, était Elah-gabal, « le dieu Gabal » ; c'était l'ancien dieu Feu de la Chaldée antésémitique 1i, appelé Gibil dans la langue accadienne'6, dont le culte et le nom avaient été ensuite adoptés par les Chaldéo-Babyloniens de race sémitique, et que le rayonnement de l'influence religieuse de Babylone avait transmis aux populations de la Syrie. Comme la plupart des dieux adorés dans le même emblème, Elagabal était un dieu igné et solaire. De là l'assimilation qu'on en faisait le plus généralement au Soleil 16, de là le nom officiel qui fut donné au dieu quand son culte eut été installé à Rome, Deus Sol Elagabalus', Sanctus Deus Sol Elagabalus 18 Deus Invictus Sol Elagabalus" , de là enfin la forme hybride `HAsoy6s)oç. Aussi la tête du soleil radiée figure-t-elle sur quelques monnaies d'Émèse, soit du temps des rois locaux 2D, soit de l'époque des empereurs romains". Les jeux célébrés en l'honneur du dieu dans cette ville s'appelaient RELIA PYTHIA 22. Sur les monnaies d'or et d'argent qu'il fit frapper à Rome, l'empereur Elagahale a fait quelquefois représenter son dieu sous les traits du Soleil debout, la tête ceinte de rayons u, et non plus sous la forme de sa pierre sacrée. Ce type de représentation est le seul qu'admit le sénat sur la monnaie de cuivre 2'', dont il avait la direction [MONETA]. Mais, comme tous les dieux sémitiques, Elagabal était d'une nature très compréhensive et très complexe; aussi l'assimilait-on à Jupiter aussi bien qu'au Soleil". Au reste, les Grecs et les Romains ont prodigué ce nom de Jupiter aux divinités les plus diverses de l'Asie, en l'appliquant au dieu qui tenait le premier rang dans presque tous les cultes locaux 26 [JUPITER]. CO qui dut encore faciliter le rapprochement entre Elagabal et Jupiter, c'est que l'aigle était un des symboles et l'animal sacré du dieu d'Émèse. On voit cet oiseau au revers de la tête du Soleil sur la seule pièce royale de cette ville que nous possédions 27; sur les monnaies impériales de la même cité, l'aigle est posé sur la pierre sacrée", placé devant elle 29, ou bien figure seul 30. I1 est à remarquer que sur ces dernières espèces monétaires l'aigle est placé devant la pierre toutes les fois qu'on la figure dans son temple, c'est-à-dire quand le graveur a voulu la représenter telle qu'on l'adorait réellement, et non la faire entrer dans un type combiné à plaisir. L'aigle se retrouve à la même place sur les monnaies romaines de l'empereur Elagabale, non seulement quand la pierre sacrée y figure seule 31, mais quand elle est posée sur unchar3°(fig. 261'7), pour une cérémonie que décrit Hérodien 33. Ceci paraît indiquer que dans la réalité un aigle de métal, les ailes éployées, se dressait en avant de la base où l'on posait la pierre sacrée et couvrait en partie celle-ci. Mais la pierre n'était pas à demeure sur cette base ornée de l'aigle. Quelquefois on l'exposait seule et dans son entier à la vénération des dévots, telle qu'on la voit dans le temple sur un bronze de l'usurpateur Sulpicius Antoninus entourée comme sur la monnaie précédemment figurée de quatre parasols, antique symbole oriental de puissance souveraine qui était déjà usité chez les Assyriens. D'autres fois, sans doute pour certaines fêtes solennelles, on l'habillait comme tous les bétyles 35 [BAETYLIA], et alors elle disparaissait Fig. 2618, presque entièrement sous les parures dont 1'aureus d'Uranius Antoninus la montre chargée (fig. 2618). Les grands prêtres du dieu Elagabal étaient héréditaires; dans la décomposition de la monarchie des Séleucides, ils se rendirent souverains d'Émèse, et prirent le titre de rois, tout en gardant leurs fonctions sacerdotales 36. Les princes les plus célèbres de cette dynastie de rois-prêtres furent Samsigéramus et son fils Iamblichus, contemporain de Cicéron", qui donne par plaisanterie à Pompée le nom de Sampsicéramus 38. Dans la guerre entre Octave et Antoine, cet Iamblichus prit le 67 ELA 530 ELA parti du dernier; mais Antoine, craignant sa trahison, le fit mettre à mort" et institua à sa place son frère Alexandre, qu'Octave fit bientôt après prisonnier et qui orna le triomphe du vainqueur, après quoi il fut exécuté Ln l'an ?O de notre ère, Auguste rétablit la petite souveraineté d'Émèse en faveur du fils d'lamblichus, nommé comme son père'''. Elle subsista certainement jusqu'au temps de Vespasien42 et même probablement jusqu'à Antonin le Pieux, avec lequel commencent les monnaies impériales d'Émèse 4a; un de ses derniers rois fut le Dabel dont nous possédons une médaille'''. Mais l'indépendance de la ville était déjà supprimée depuis un certain temps quand Septime Sévère épousa Julia l)omna. Caracalla donna à Émèse le titre de colonie de droit latin". Même après le changement de condition de la ville, la race des pontifes, autrefois rois, du dieu Elagabal, à laquelle appartenaient Julius Bassianus, père de Julia Domna et de ses soeurs, ainsi que C. Julius Flavius Samsigéramus, connu par une inscription 66, resta en possession du sacerdoce et d'une certaine autorité politique au moins jusqu'à l'époque des guerres de Sapor contre les Romains"; c'est de cette famille que prétendait ensuite descendre le philosophe Iambliqueb8. Quand, à l'avènement de Macrin, les deux filles de Julia Musa furent obligées de quitter Rome et de retourner à Émèse, leurs fils Bassianus et Alexinus furent attachés par le droit héréditaire de leur ligne maternelle au sacerdoce d'Elagabal. Bassianus, âgé de quatorze ans, en était le grand prêtre, quand sa mère Julia Soumias parvint à persuader aux soldats, séduits par la beauté de l'enfant, de le proclamer empereur". Le nom officiel sous lequel il fut appelé au trône était Mareus Aurelius Antoninus, et son nom antérieur Varius Avitus Bassianus ; mais il est connu dans l'histoire sous l'appellation d'Elagabale ou Héliogabale, surnom populaire qui lui fut donné, avec beaucoup d'autres sobriquets injurieux, d'après son dieu. Il montra au monde surpris et indigné un fanatique des religions syriennes investi de la puissance impériale et adonné tout entier aux moeurs asiatiques et aux immondes débauches qui constituaient l'existence des lriérodules des religions syrophéniciennes appelés gedescâini 56 A son titre d'empereur il joignit toujours dans les inscriptions celui de prêtre d'Elagabal o2 ; sur les monnaies d'or et d'argent, qu'il frappait en vertu de son autorité propre, et sur celles de cuivre que fabriquait le sénat, il se fit le plus habituellement représenter en action dans son office sacerdotal", souvent avec les qualifications de Iuvictus ,Sace2°dos Âugustus o3 Summus Sacerdos ,4ugustus n, Sacerdas Dei Sottie Elagabali 55 A peine Elagahale fut-i1 assuré de l'empire par la défaite de Macrin, qu'il n'eut plus qu'une pensée, installer son dieu à Rome et en faire le premier de l'empire, dominant sur tous les autres. En quittant Émèse pour la capitale du monde, il prit avec lui la pierre sacrée, et sur la route il consacra à Elagabal dans le Taurus un temple que Marc Aurèle avait élevé à Faustine, puisque Caracalla avait dédié à sa propre divinité 5E. Passant l'hiver à Nicomédie, il refusa d'adopter et le costume et les usages des Grecs ou des Romains, mais s'obstina à ne paraître que dans le costume asiatique de son sacerdoce, toujours accompagné des flûtes et des tympanums comme s'il célébrait les orgies de son dieu 5'. A Rome il continua cette manière d'être, si blessante pour l'orgueil romain, d'où lui vinrent les surnoms de l'Assyrien et le Sardanapale ; ce dernier est celui que Dion emploie le plus volontiers. C'est pendant son séjour à Nicomédie qu'il se fit peindre dans son costume de prêtre, officiant auprès de la pierre sacrée. Il envoya ce tableau à Rome, avec ordre de le placer dans la salle du sénat au-dessus de la statue de la Victoire, prescrivant de plus que chaque sénateur en entrant brûlât devant de l'encens et fît une libation de vin 58; c'est sans doute cette image que reproduisent les monnaies où il figure en prêtre. En mémo temps il décrétait que dans tous les sacrifices publics offerts à Rome et dans l'empire le nom d'Elagabal serait invoqué avant celui des autres divinités, même de Jupiter 50. Venu enfin à Rome, il y fit son entrée solennelle vêtu de ses habits sacerdotaux syriens. Son premier soin fut d'y faire construire à son dieu, sur le Palatin, tout auprès du palais impérial, un temple magnifique que le Chronographe de 35! 00 appelle Eliogaballium et saint Jérôme, dans sa Chronologie, Eliogabalum templum. La pierre sacrée d'Émèse y fut installée en grande pompe, et l'empereur y rassembla autour d'elle la pierre de la mère des dieux, jadis apportée de Pessinunte, le feu de Vesta, les anciles, toutes les reliques sacrées les plus augustes de Rome, voulant qu'il n'y eût plus d'autre dieu qu'Elagahal et d'autre pontife que lui; on prétendit ensuite que les Vestales ne lui avaient remis 6Y qu'un faux Palladium, gardant secrètement le véritable, à la conservation immuable duquel était attachée la fortune de Rome [PALLADIUM]. Il prétendait aussi forcer les Juifs, les Samaritains et les Chrétiens à concentrer leurs cultes dans le temple d'Elagabaln, et voulant donner à ce dieu des ministres pareils à lui-même, il faisait venir les pierres sacrées de Laodicée pour les installer comme chambellans, cubicularii, auprès de la pierre d'Émèse S4. Tout autour du temple étaient disposés de nombreux autels, où chaque jour l'empereur officiait en personne immolant des hécatombes de boeufs et de moutons, versant avec abondance en libations les vins les plus précieux, brûlant par masses les parfums les plus rares, exécutant des danses rituelles à la mode asiatique avec le tympanum et les cymbales, le tout en présence du sénat et des chevaliers rassemblés par ordre, tandis que les préfets des camps et les plus hauts personnages administratifs étaient contraints de l'assister dans ces cérémonies en costume syrien 6U. Il alla même jusqu'à y offrir des sacrifices humains, choisissant les victimes parmi des enfants de familles distinguées 66, car il n'était pas une des plus monstrueuses coutumes des religions syro-phéniciennes qu'il n'observât fidèlement. Bientôt il voulut inventer des fêtes nouvelles et marier son dieu. Pour lui trouver une épouse, il pensa d'abord au Palladium; mais l'idée d'une déesse guerrière lui déplut. Il lui parut mieux entendu de marier à Elagabal une déesse des mêmes religions, à un dieu-pierre une déesse-pierre, à une personnification solaire une personnification lunaire; en conséquence il fixa son choix sur la Dea coelestis de Carthage. Il fit venir à Rome son idole vénérée, une pierre conique que l'on disait avoir été consacrée par Didon, et il célébra les noces des deux divinités avec toute la pompe imaginable 67. L'empereur fit aussi construire un second temple au dieu Elagabal dans ses jardins du faubourg de Spes vetos". Chaque année, à l'été, la pierre divine y était conduite processionnellement. On la plaçait sur un char magnifiquement décoré de pierreries, traîné par six chevaux blancs, où aucun homme ne montait, comme si le dieu lui-même eût tenu les rênes; c'est ainsi qu'elle est représentée sur plusieurs pièces d'or et d'argent d'EIagabale, les unes avec la légende Sancto Deo Soli Elagabal) (fig. 2617), où quatre parasols se dressent sur le char, entourant la pierre 69, les autres à la légende Conservai or Augusti, où les parasols manquent et où le soleil rayonnant est représenté dans le champ de la monnaie, près de la pierre sacrée 70. L'empereur lui-même, en costume asiasique, menait les chevaux par la bride, marchant à pied à la tête du char, toujours à reculons pour ne pas quitter des yeux son dieu. Les gardes entouraient le char. A sa suite on portait les statues de tous les dieux de Rome, transformés en serviteurs d'Elagabal. Puis venait le peuple, tenant des flambeaux, jonchant la route de couronnes et de guirlandes; enfin les troupes en armes fermaient la procession. A l'arrivée au sanctuaire du faubourg, on offrait des sacrifices et on célébrait tous les rites des cérémonies syriennes. La fête se terminait par des courses de chars, des représentations théâtrales et des distributions de vêtements au peuple 7f. Tout cela finit avec la vie du jeune insensé qui outrageait si profondément les Romains en subordonnant ainsi la religion nationale au culte d'un dieu étranger, à ses rites obscènes et bizarres. Quand le fils de Sommias eut été massacré avec sa mère, quand son corps eut été traîné par les rues et jeté au Tibre, on se hâta de chasser son dieu de Rome. On renvoya la pierre d'Elagabal à Émèse, où les deux usurpateurs Uranius Antoninus et Sulpicius Antoninus, qui paraissent avoir eu des liens de parenté avec la famille sacerdotale, se mirent sous sa protection, en plaçant son image sur leurs monnaies, et où plus tard Aurélien vint l'adorer, après la défaite de Zénobie". Pourtant un des temples d'Elagabal subsista clans Rome même jusqu'au temps de Constantin, où Lampride"4 le mentionne comme encore ouvert au culte, Alexinus, devenu Alexandre Sévère, ne pouvait proscrire absolument le dieu au culte duquel il avait été attaché dans son enfance, On trouve encore, dans plusieurs inscriptions latines postérieures à cette époque n, des dédicaces au dieu Elagabal ; il a même des prêtres. Mais son culte paraît être assez restreint et exister principalement chez les légionnaires qui ont tenu garnison en Syrie, ou qui sont originaires de ce pays. F. LENORMINT, ELARATIA. Fête célébrée à Lacédémone en l'honneur d'Elakatos, favori d'Iléraklès'. Le nom du héros et celui de la fête dérivent de -ilaxxri, la quenouille, emblème d'Héraklès dans la légende où il est mis en rapport avec Omphale 2. Nous ne savons rien de plus sur le but et la nature de cette fête ; on peut conjecturer toutefois, à cause de la ressemblance d'Elakatos avec Hylas', qu'elle était analogue à celle que l'on célébrait tous les ans au solstice d'été, en Mysie, pour rappeler l'enlèvement de ce dernier par les nymphes. Ce serait alors une des nombreuses variétés de l'antique fête du Soleil, que l'on rencontre dans toutes les religions populaires, et dont le sens exact s'est perdu peu à peu. J.-A. HILO.