Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ELEPHAS

ELEPIIAS, plus rarement ELEPHANS', Ordinairement ELEPHANTUS; aux cas obliques i poç. Le nom de cet animal est venu d'Orient avec l'ivoire, qui s'appelle déjà i;dpuç dans Homère 2, mais le premier auteur grec qui ait mentionné l'éléphant est Hérodote 3. L'étymologie du mot elephas a donné lieu à de nombreuses conjectures4 et, bien que la dérivation sémitique en soit généralement admise, on est encore loin d'être d'accord sur l'origine du prototype sémitique lui-même, qui contient peut-être un élément sanscrit'. On pense aussi que le latin barrus, par lequel on désigne quelquefois l'éléphant', est un mot d'origine indienne' ; de là vient barritus, le cri ou barrit de l'éléphant'. Les Romains ont désigné la trompe de l'éléphant par les mots brachium ou manus 0 ; quelques écrivains grecs l'ont appelée reip, d'autres 7cpoeoaxiç, d'où les Romains ont fait proboscis, promoscis, promuscisf0. Ses défenses étaient dites xépa-ra, cornue, et souvent assimilées aux cornes d'un taureau". Les anciens ont connu les deux variétés d'éléphants que l'on distingue aujourd'hui sous les noms d'asiatique (el. indicus, Cuvier) et africaine (el. capensist5). L'éléphant d'Asie est plus grand, a la tête proportionnellement plus forte, les oreilles et les défenses plus petites ; il est d'ailleurs plus intelligent, plus courageux et plus facile à dompterf3. Les anciens ont parfaitement apprécié la supériorité des éléphants de l'Asie sur ceux de l'Afrique, supériorité dont l'histoire militaire de ces animaux fournit des preuves. La variété africaine vivait à l'état sauvage dans la partie septentrionale de l'Afrique, à peu de distance du littoral et ; elle en fut chassée peu à peu par l'homme et se retira dans l'intérieur. Au vu° siècle après J.-C., Isidore de Séville dit qu'il n'y a plus d'éléphants dans la Tingitane et qu'on en rencontre seulement dans l'Inde f5. Les Grecs ne se familiarisèrent avec les éléphants que depuis l'époque d'Alexandre, comme les Romains depuis les guerres de Pyrrhus t6. La description que donne Aristote de cet animal est fort exacte17, et l'on a lieu de penser qu'il avait reçu des renseignements précis de quelqu'un des compagnons d'Alexandre 18. Mais il est remarquable que les auteurs postérieurs à Aristote, bien qu'ayant tous eu l'occasion de voir des éléphants, débitent à leur sujet des fables absurdes et leur attribuent, entre autres qualités imaginaires, des sentiments religieux" et moraux, l'intelligence du langage humain, etc. [BESTIAE, p. 691]. Les anciens ont été frappés de la longévité de l'éléphant, mais ils l'ont singulièrement exagérée". Les éléphants ont été rarement représentés dans les monuments de l'Egyte et de l'Assyrie 22; l'art grec archaï que les ignore, comme la.mythologie, et ils ne s'introduisirent dans les légendes helléniques qu'à l'époque alexandrine, lorsque la fable de l'expédition de Bacchus en Inde se forma ou se transforma sur le modèle de l'histoire d'Alexandre 23 [BACCIHUS, p. 613]. Les sarcophages romains représentent souvent des éléphants dans le cortège triomphal de Bacchus2'' ; tantôt ils traînent le char du dieu 2', tantôt ils sont montés par des Éros26, ou des Ménades L7, tantôt enfin on voit (fig. 2619) un Indien prisonnier attaché sur le dos d'un éléphant28. Les éléphants font aussi partie de l'armée indienne qui est attaquée et défaite par Bacchus 29. Dans la célèbre procession de Ptolémée Philadelphe10, un char à quatre roues portait une représentation du retour de Bacchus : le dieu, haut de douze coudées, chevauchait un éléphant, que conduisait un satyre assis sur le cou de l'animal. L'éléphant portait des ornements d'or. A la suite du char de Bacchus marchaient vingtquatre chars traînés chacun par. quatre éléphants. La statue d'or d'Alexandre é tait aussi placée sur un è)7 Jb ?la . char tiré par quatre de ces animaux. On remarquait encore dans le cortège des Éthiopiens qui portaient six cents défenses. Peut-être faut-il rattacher à cet ordre de représentations diony III. siaques un charmant groupe en terre cuite découvert a Myrina, où figurent deux jeunes filles couchées sur le dos d'un petit éléphant (fig. 2620)3'; mais cet objet appartient plutôt à la nombreuse série des motifs de genre qui n'ont plus qu'une relation très lointaine avec la légende de Bacchus. Les éléphants, employés comme engins de destruction, ont joué un grand rôle dans les guerres de l'antiquité; leur histoire militaire a été racontée avec détails par le colonel Armandi 33. Nous nous contenterons d'en indiquer ici les principaux épisodes. L'usage des éléphants de guerre est très ancien dans l'Inde 34, pays dont la mythologie et l'art font une grande place à cet animal 35. A l'époque des guerres médiques, il est certain que les peuples de l'Afrique n'avaient pas encore tiré parti de l'éléphant pour la guerre, puisque les Éthiopiens n'en amenèrent pas à Xerxès 36. La première apparition des éléphants de guerre à l'ouest de l'Indus remonte àl'an 331 avant J.-C., date de la bataille d'Arbèles. Les quinze éléphants que Darius avait opposés à Alexandre37 furent pris vivants par le conquérant macédonien, qui en reçut douze autres lors de son entrée à Suse. Il s'empara de nombreux éléphants sur les bords de l'Indus et le roi Taxile lui en amena lorsqu'il fit sa soumission 33. II est probable qu'Alexandre, qui ne faisait aucun cas des éléphants pour la guerre u, n'employa ces quadrupèdes que pour porter les bagages de l'armée et inspirer de l'effroi aux populations. A la bataille de l'Hydaspe, en 327, il munit ses soldats de haches et de sabres pour couper les jarrets et les trompes des nombreux éléphants de Porus 40. Alexandre consacra au Soleil, sous le nom d'Ajax, l'animal qui avait servi de monture au roi". Cratère fut chargé de ramener en Perse les éléphants qui étaient tombés au pouvoir des Grecs et Alexandre, à l'exemple des rois orientaux, les fit servir à rehausser l'éclat des cérémonies où il figurait42. A la mort d'Alexandre commence, pour durer pendant trois siècles, ce qu'Armandi appelle l'ère militaire des éléphants. Dès lors, ces animaux font partie de presque toutes les armées, malgré les inconvénients que présente leur usage et sur lesquels nous insisterons plus loin. Per3iccas se servit des éléphants d'Alexandre pour dompter une rébellion des Macédoniens ; après sa mort, ils furent répartis entre les autres généraux. Séleucus Nicator, qui épousa la fille de Sandrocottus, reçut en dot cinq cents éléphants de guerre n ; Eumène en avait déjà cent vingtcinq, qui lui avaient été amenés du royaume de Porus par Eudème =`. Les éléphants jouèrent un grand rôle aux 68 ELE 538 ELE batailles de la Gabiène (316) et de Gadamarta (315), où Eumène se mesura avec Antigone. Celui-ci, bien que s'étant rendu maître des éléphants d'Eumène, l'ut vaincu par Séleucus à la bataille d'Ipsus (301), où cinq cents éléphants environ se trouvèrent en présence 45. Ptolémée Céraunus, après avoir assassiné Séleucus en 281, s'empara d'une grande partie de ses éléphants, mais Antiochus Sôter, fils et successeur de Séleucus, en garda assez pour s'en servir contre les Galates. A la bataille dont Lucien nous a laissé le réciti6, les seize éléphants de l'armée grecque décidèrent de la victoire ; le roi ordonna que sur le trophée on ne sculptât que la figure d'un éléphant". Antiochus le Grand ramena un grand nombre d'éléphants de l'Inde. En 217, à la bataille de Raphia, son armée, forte de cent deux éléphants, se heurta à celle de Ptolémée Philopator qui en comptait soixante-treize, de race africaine et, par conséquent, inférieure. La journée commença par un combat entre les éléphants opposés, qui luttaient avec leurs défenses comme des taureaux à coups de cornes, tandis que les soldats, postés dans les tours mobiles, se servaient de leurs javelots et de leurs sarisses ". Vaincu à Magnésie par les Romains, Antiochus dut leur abandonner tous ses éléphants". Son fils Antiochus Épiphane en acquit de nouveaux qu'il employa dans des guerres contre l'Égypte et contre les Juifs 50. Antiochus Eupator entretint aussi des éléphants de guerre ". Cependant l'établissement des Parthes sur le Tigre et sur l'Euphrate rendait plus difficile le recrutement de ces animaux dans l'Inde. Leur dépôt principal, dans le royaume des Séleucides, était près d'Apamée de Syrie o2, ville dont quelques monnaies portent, en effet, l'imago d'un éléphant53. Ptolémée Lagus avait eu sa part des éléphants d'Alexandre et il l'augmenta encore par ses victoires; mais ne pouvant faire venir ses remontes de l'Inde, il commença à employer les éléphants de l'Afrique. La chasse des éléphants", leur capture et leur transport à Alexandrie préoccupèrent vivement ses successeurs, qui fondèrent à cet effet plusieurs établissements le long de la Troglodytique " ; les éléphants que l'on parvenait à prendre vivants étaient embarqués sur de grands bateaux d'une construction spéciale dits É e?c(VTI)yO(J6, Suivant saint Jérôme, Ptolémée Philadelphe eut quatre cents éléphants de guerre 57 et son fils Évergète en opposa quatre cents à Séleucus Callinicus 58. Il enleva à cette occasion beaucoup d'éléphants de la race indienne qu'il ramena dans Alexandrie. Ptolémée Philopator eut des éléphants à la bataille de Raphia; Ptolémée Philométor mourut d'une chute de cheval, causée par la vue d'un éléphant qui effraya sa monture 59. Le commerce de l'ivoire continua, pendant l'époque romaine, à se faire par ces échelles du golfe Arabique que les Ptolémées avaient établies en vue de la chasse des éléphants". Dans la Grèce continentale, le premier convoi d'éléphants paraît avoir été amené par Antipater, quatre ans après la mort d'Alexandre 6f. Les éléphants de Polysperchon ne l'empêchèrent pas d'être vaincu en 318 devant Mégalopolis". Olympias s'étant enfermée dans Pydna avec tous les éléphants qui existaient encore en Macédoine, ces animaux succombèrent à la famine lors du siège que Cassandre mit devant Pydna 63. Nous savons cependant que les rois de Macédoine conservèrent un train d'éléphants. Antigone Gonatas en montra un aux Galates pour les intimider 64. Mais quarante ans après sa mort, Philippe dut céder les siens aux Romains en s'engageant à n'en plus entretenir 6J. Pyrrhus épouvanta d'abord les Romains avec les éléphants qu'il fit débarquer en Italie; à la bataille d'Héraclée, c'est à ses vingt éléphants qu'il dut la victoire 66. L'année suivante, à Asculum, les Romains eurent moins à en souffrir à cause de l'inégalité du terrain : montés sur des chars armés de pointes de fer, ils les poursuivaient de traits en€lammés 57. Enfin, à la bataille de Bénévent, Pyrrhus perdit huit éléphants; quatre d'entre eux, tombés vivants aux mains des Romains, rehaussèrent le triomphe du consul Curius Dentatus 66. Nous ne savons à quelle époque les Carthaginois commencèrent à dresser des éléphants de guerre ni de quelle région de l'Afrique ils les tiraient 60. Toujours est-il qu'ils en avaient un grand nombre, puisque les murs de Carthage contenaient des loges ou écuries pour trois cents éléphants". Au commencement de la première guerre punique, Hannon en débarqua soixante en Sicile" et Xanthippe put opposer cent éléphants à l'armée de Régulus'"-. Mais en 251, à la bataille de Palerme, les éléphants d'Annibal, assaillis par une grêle de traits, se retournèrent contre les Carthaginois et causèrent leur déroute. Métellus, le vainqueur, en prit cent quatre, qui furent conduits à Rome et exterminés dans le cirque 73, tant les Romains étaient peu désireux d'adjoindre aux légions d'aussi dangereux auxiliaires. Malgré les pertes énormes qu'elle avait faite, Carthage put encore trouver des éléphants pour dompter la révolte des mercenaires. Elle en donna ensuite à Asdrubal pour conquérir l'Espagne (fig. 2621)76. Annibal en prit cinquante lorsqu'il quitta ce pays pour marcher sur l'Italie à travers la Gaule ; il lui en restait trente-sept au passage du Rhône, mais la plupart périrent dans les Alpes7S. Ce pendant, à la bataille de la Trébie, ils contribuèrent puissamment àla victoire' e. Des huit survivants, sept succombèrent le printemps suivant dans les Apennins, et il n'en resta qu'un seul, qui servit de monture à Annibal 77. L'armée carthaginoise ne put former un nouveau train d'éléphants qu'après la prise de Locres, mais ces animaux ne lui furent guère utiles ; à la bataille du Métaure, ils portèrent le désordre dans les rangs d'Asdrubal et ils ne rendirent pas de meilleurs services en Espagne, à la bataille d'Elinge 78, où Asdrubal fils de Giscon fut battu par Seipion l'Africain. La journée de Zama montra une fois de plus leur impuissance contre une infanterie bien armée. Par le traité qui mit fin à la guerre, Carthage livra tous ses éléphants et s'engagea à n'en plus entretenir 79. Massinissa fournit plusieurs fois des éléphants aux Romains pour combattre Philippe 80,Antiochus"1, Persée 82 et les Numantins 83. Pendant la troisième guerre punique, Gulussa, fils de Massinissa, amena des éléphants au camp romain n. Micipsa en envoya aussi aux Romains pour combattre Numance et Viriathe 85. Jugurtha eut de nombreux éléphants 86, dont Métellus tua quarante à la bataille du Muthul°7. Pompée s'empara de tous les éléphants de Hiarbas et en fit transporter un grand nombre à Rome; quatre d'entre eux furent attelés de front à son char de triomphe, mais la porte de la ville s'étant trouvée trop étroite, il fallut les remplacer par sept chevaux 88. Juba mit en ligne soixante-quatre éléphants, qui furent une des causes de sa défaite à Thapsus"; la cinquième légion, qui s'était distinguée dans la lutte contre les animaux, obtint le privilège de porter sur ses enseignes l'image d'un éléphant, distinction dont elle jouissait encore du temps d'Appien 90. Les pièces d'argent à l'effigie de l'éléphant, frappées par Jules César (fig. 2622)01, font sans doute allusion à la victoire de Thapsus, et aussi, dit-on, au nom du vainqueur, qui signifierait éléphant en langue punique 92. Les Romains ne se décidèrent pas sans hésitation à employer les éléphants. Ils figurèrent dans leurs rangs, avec plus ou moins d'utilité, aux journées des Cynoscéphales", des Thermopyles, de Magnésie, de Pydna"; dans cette dernière bataille, Paul Émile avait des éléphants de race indienne, qui avaient été pris dans les dépôts d'Antiochus85. Il y eut encore des éléphants dans les armées romaines qui opérèrent en Espagne, mais la nature du terrain ne permit pas souvent de les employer. En Gaule, les Romains durent aux éléphants leurs victoire sur les Arvernes et les Allobroges96. Mais ces succès ne leur firent pas illusion : ils reconnurent que les éléphants étaient, en général, aussi dangereux pour les amis que pour les ennemis97 et ils n'en mirent en bataille ni contre les Cimbres, ni contre Mithridate. Mithridate et Tigrane, de leur côté, paraissent avoir renoncé, pour les mêmes motifs, à l'emploi de ces dangereux animaux, et les Parthes eux-mêmes, quoique voisins de l'Inde, semblent les avoir toujours dédaignés. César ne fait nulle mention des éléphants dans son récit de la guerre des Gaules, mais Polyen raconte qu'il se servit d'un éléphant bardé de fer et chargé d'une tour pour effrayer les Bretons au passage de la Tamise 38. On dit cependant qu'au moment où il fut assassiné, il avait réuni un train d'éléphants pour conduire une expédition contre les Parthes °9. L'empereur Claude projeta aussi de conduire les éléphants en Bretagne 106. Didius Julianus essaya de faire dresser les éléphants que l'on tenait en réserve pour les jeux afin de les opposer à Septime Sévère 1Df. Caracalla mena des éléphants à sa suite, mais seulement pour imiter Alexandre 102. Dès l'époque d'Hadrien, Arrien disait que l'usage des éléphants était presque partout aboli 103 II reparut cependant dans l'armée des Sassanides, dont Alexandre Sévère et Gordien combattirent avec succès les éléphants : le Sénat leur décerna des chars de triomphe traînés par ces animaux10i et pareil honneur paraît avoir été accordé à Dioclétien, au témoignage d'une monnaie 105. Les Perses continuèrent à employer les éléphants dans les guerres qu'ils firent aux Romains au rvv siècle fob Sapor en conduisit au siège d'Amide 107 et Julien eut à lutter contre eux dans sa campagne de Médie 16e. Nous savons par saint Ambroise '09 que les éléphants des Perses étaient hardés de fer. Les Romains du Bas Empire et les Byzantins s'abstinrent toujours d'en adjoindre à leurs armées 110. Héraclius, vainqueur de Chosroës, qui lui avait opposé des centaines d'éléphants, fit son entrée dans Constantinople sur un char traîné par quatre de ces animaux; un grand nombre servirent aux jeux du cirque et de l'hippodrome. Les éléphants des Perses leur permirent cependant d'écraser l'armée d'Abou Obeida à la bataille de Koufah, que les annales de l'Islamisme désignent encore sous le nom de bataille des éléphants". ELE 540 ELE Les procédés des anciens pour capturer les éléphants ressemblent beaucoup à ceux qu'on emploie encore aujourd'hui'''. D'ailleurs, les chasseurs d'éléphants ne se proposaient pas seulement de prendre ces animaux vivants : les besoins toujours croissants du commerce de l'ivoire [EBUR] en faisaient tuer un bien plus grand nombre. Quelques personnages connus de l'antiquité, comme Pompée "3, ne cherchèrent dans la chasse à l'éléphant qu'un périlleux exercice. Quant au dressage de l'éléphant de guerre, nous connaissons mal les procédés qu'on y appliquait : on semble avoir surtout chercher à familiariser l'animal avec le contact des projectiles, qui étaient le principal moyen de défense employé contre lui 114. L'équipement d'un éléphant de guerre comprenait trois parties : les dispositifs en vue de l'offensive, les armes défensives et les objets de parure. Dans une armée, il n'y avait qu'un petit nombre d'éléphants qui portassent des tours 13, et cela explique la rareté des monuments figurés qui les représentent ainsi. Nous donnons ici le plus remarquable : c'est un groupe en terre cuite, découvert à Myrina, où l'on voit un éléphant foulant aux pieds un Galate, reconnaissable à son grand bouclier oblong (fig. 2623)16 Ce monument est le document le plus précis que l'on possède sur Ies tours des éléphants, appelés 0t,1p«xta'17, ligneae larves'''. Elles étaient fixées comme des selles par des courroies sur le dos des éléphants; on voit que c'étaient des cages assez hautes, sans doute recouvertes d'une peau épaisse et garnies latéralement de boucliers métalliques contre lesquels venaient s'émousser les traits 10. Il y a (lui cependant en avoir de plus grands, puisque elle lue tour pouvait donner abri à plusieurs hommes 1", qui lançaient des flèches et des javelots f2', et défendaient ainsi Ies approches de leur monture. Sur une pierre gravée ducabine tde France,un éléphant, enlevant un homme avec sa trompe, porte une espèce de bât muni d'un parapet peu élevé au-dessus duquel on aperçoit deux guerriers tournés l'un à droite, l'autre à gauche (fig. 2624)'2' Quelquefois, on fixait des pointes en fer au poitrail ou aux défenses des éléphants pour rendre leur abord plus redoutable'23. Les armes défensives, qui n'étaient pas d'un emploi général , consis taient en lamelles de fer formant cuirassei2' , dont l'éléphant était plus ou moins couvert suivant qu'on attachait plus de prix i. ;a conservation ou à la rapidité de son allure. Notre figure 2625 repro en bronze d'élé phant caparaçonné, qui a fait partie de Gréau125. L'éléphant découvert àMyrina porte de longues housses de rouleur rouge; nous savons qu'Antiochus avait ainsi paré les siens pour augmenter la terreur qu'ils inspiraient 126 A son cou est suspendue une clochette dont le son devait l'exciter dans le combat 127. On mentionne aussi des éléphants portant sur la tête de grands panaches ou frontaux, cristae, ELE 541 ELE frontalia (fig. 2626)'3, qui n'étaient peut-être pas de purs ornements. Quant au conducteur ou cornac de l'éléphant, qu'on appelait souvent Indus, à cause de la nationalité de la plupart d'entre eux 10, il était assis sur le cou de l'animal 13s et le dirigeait avec une sorte de harpon en fer (xua7dç, âpa'g, Spuaavov, stimulus) 131 dont il existe des représentations sur les monuments (fig. 2621 et 2627)130 Ce que l'on sait sur l'emploi stratégique des éléphants peut se classer sous deux chefs : la tactique offensive et la tactique défensive. Une brigade d'éléphants, comprenant l'aile droite et l'aile gauche d'une armée, comptait soixantequatre quadrupèdes sous un phalangarque, divisés en deux cératéchies ou marrarchiee, quatre éléphantarchies, huit ilarchies, seize épithérarehies, trente-deux thénarchies, commandées parles cératarques,élephantarques, etc. Un seul éléphant formait une zoarchie 133 On voit donc que l'éléphantarque n'était, à proprement parler, que le chef de seize éléphants, mais ce nom paraît s'être appliqué aussi, dans un sens plus large, au chef supérieur de tous ces animaux dans une armée'''. Chaque éléphant portait un nom, tel qu'Ajax, Patrocle, Nikon, Niké, Suros 135. Appien 135 nous montre les Carthaginois au désespoir, parcourant les rues de leur ville et appelant par leurs noms les éléphants qu'ils avaient livrés aux Romains. Il n'y avait aucune proportion fixe entre le nombre des troupes d'une armée et celui des éléphants. Dans les marches, ils figuraient à l'arrière-garde, mais on les plaçait en avant lorsqu'on était à proximité de l'ennemi. Le passage des rivières et des bras de mer par ces animaux offrait des difficultés qui furent habilement surmontées par L. Caecilius Métellus et par Annibal f37. A cause de leur intelligence, les généraux les employaient quelquefois à rechercher les gués des rivières 538; Perdiccas les fit placer en file dans la branche orientale du Nil pour rompre la force du courant t39 Sur le champ de bataille, les éléphants étaient rangés en une seule ligne, mais à une certaine distance en avant de l'armée, pour n'y point porter le désordre dans le cas où ils seraient mis en déroute par les projectiles de l'ennemi. Un éléphant plus grand et plus fort que les autres était quelquefois placé en tête '''°. Des détachements de troupes légères étaient postés entre les éléphants pour repousser les tirailleurs ennemis "l. Quand on n'avait qu'un petit nombre d'éléphants, on les employait à fortifier les ailes'' et à les protéger contre la cavalerie de l'adversaire; dans ce cas, on les disposait parfois en forme de croissant, la convexité tournée du côté de l'ennemi73. Il est rare qu'on les plaçât immédiatement devant le corps de bataille, comme Darius le fit maladroitement à Arbèles "`. Il arrivait aussi qu'un général, ayant très peu d'éléphants, les tenait tous en réserve pour les lancer au moment décisif, comme Antiochus dans la bataille contre les Galates et Pyrrbus à Iléraclée15. A la bataille de Magnésie, en 191, Antiochos encadra ses éléphants clans les divisions de la phalange, mais cette disposition paraît avoir été exceptionnelle En général, on chercha à tirer parti de l'impression de terreur que produisait la vue d'une longue file d'éléphants s'avançant sur l'ennemi pour l'écraser, impression qui les a fait comparer par les anciens à des forteresses ambulantes ou à des collines en marche"]. Leur masse était si écrasante, si l'on ne parvenait à l'arrêter à temps, que la phalange même d'Alexandre dut s'ouvrir devant les éléphants de Porus fét, Ils étaient dressés à faire un usage meurtrier de leurs défenses 19 et de leurs trompes, avec lesquelles ils saisissaient les ennemis et les lançaient au loin, ou bien les soulevaient au-dessus de leur tête pour les livrer à leurs conducteurs tJ0 D'autre part, ils produisaient un grand effet sur la cavalerie, parce que leur masse, leurs hurlements et l'odeur qu'ils exhalaient jetaient l'épouvante parmi les chevaux '". Quand les éléphants des deux armées en présence se rencontraient, ils se livraient des combats terribles dont Polybe nous a laissé la description'. Pour exciter leur fureur, on leur donnait, au moment de l'action, des boissons enivrantesf53, usage qui a subsisté au moyen âge en Orient 15'`. Citadelles ambulantes, les éléphants furent employés quelquefois contre des palissades ou même des remparts, soit pour arracher les pieux avec leurs trompes, soit pour ébranler les murs par leur tuasse, à la façon de béliers 755 De là le nom poétique de rfmyoxa'a)c(rat e destructeurs de murs », qui leur est donné par Ctésias 100, Les anciens ne tardèrent pas à s'apercevoir des dangers que présentaient les éléphants pour l'armée qui s'avançait derrière eux. Il suffisait souvent, pour faire rebrousser chemin à toute la ligne, qu'un seul tombât blessé et se mît à pousser des cris de douleur. a Blessés et effrayés, dit Pline, ils reculent toujours, et alors c'est pour leur propre parti qu'ils sont dangereux'''. » Aussi l'histoire militaire des éléphants est-elle pleine d'épisodes LIE -5~•2r -ELE où ces animaux ne firent qu'écraser leurs maîtres' . Asdrubal fut obligé de munir ses conducteurs d'éléphants d'une sorte de poignard, avec lequel ils devaient tuer leur monture aussitôt qu'elle se retournerait vers l'armée cnrth a inolse 10. C'est sur ces inconvénients de l'emploi é' ''p) nits, non moins prompts à ressentir qu'à inspirer la terreur, qu'est fondée la tactique défensive qu'on leur opposa. Tantôt, comme au siège de Mégalopolis, on disposa sur le sol des herses dont les pointes leur blessaient les pieds Y6', tantôt on les fit attaquer par des frondeurs T51 par des cavaliers ou des fantassins armés à la légère qui lançaient contre eux des javelots ou des traits enflammés "8, par des soldats armés de haches qui. cherchaient à couper leurs pieds, leurs jarrets ou leurs trompes On profita aussi, dans quelques circonstances, de la frayeur que causent à ces animaux les clameurs soudaines et aiguës, notamment le grognement du porc, dont les éléphants, au dire des anciens, ne pouvaient même pas supporter la vue'''. On cherchait aussi naturellement à engager l'action sur un terrain inégal, dont les aspérités devaient arrêter les éléphants plus aisément que la cavalerie, ou bien l'on suppléait à l'absence d'accidents naturels en creusant des fossés, en plantant dans le sol des pieux, des palissades, des chevaux de frise, des chaussetrapes, etc.15. Les Romains, à l'imitation d'Alexandre '6' eurent aussi recours à un procédé très ingénieux, consistant à ménager dans les lignes de leur infanteriedes sortes de couloirs (vice) où les éléphants venaient s'engager et se trouvaient cernés un moment après'''. On essayait d'ailleurs de familiariser les hommes et les chevaux avec l'aspect des éléphants 168 et l'on ÿ; réu.,sis..ait si bien que l'histoire militaire compte de nombreux épisodes où un homme seul combattit avec succès contre l'un de ces énormes pachydermes. Il suffit de rappeler l'héroïque exploit d'un vétéran de la cinquième légion à la bataille de Thapsus'''. C'est le développement de la tactique défensive qui, au 1°r siècle avant j.-C., fit renoncer les princes asiatiques eux-mêmes à l'emploi des éléphants de guerre, devenus impuissants contre des troupes aguerries. fies éléphants ont rarement été employés pour la trac ti l des farde ativ ; radant nous savons qu'Hadrien fit de placer par un 1 ;e de vingt-quatre de ces animaux la statue colossale de Néron qu'il plaça près du Colisée 10. Ln général, on aie 1-s attelait qu'à des chars de triomphe, usage qui remonte à l'époque d'Alexandre et se prolongea pendant toute la durée de l'Empire. Il a déjà été question de la procession de Ptolémée Philadelphe t71. Antiochus Épiphane en organisa plus tard une semblablei72, où des chars magnifiques étaient traînés par des éléphants richement parés. A nome, les éléphants parurent d'abord dans des cortèges triomphaux après la défaite de Pyrrhus et la conquête de la Sicile'. Pompée voulut entrer dans Rome sur un char traîné par quatre éléphants et n'en fut empêché que par l'étroitesse de la porte. Cn. Domitius, après sa victoire sur les Allobroges, parcourut sa province monté sur un éléphant', et l'on racontait que L. Corniflcius, fier d'avoir sauvé une armée romaine en Sicile, rentrait chez lui à dos d'éléphant lorsqu'Il allait dîner dans quelque maison de Rome '7". César, montant au Capitole la nuit, fit éclairer la route par des éléphants porteurs de torches "', comme on en voit sur une monnaie d'Antiochus VI i77 Héliogabale parut en public sur un char attelé de quatre éléphants qu'il conduisait lui-même 178, Aurélien, le jour de son triomphe, monta avec vingt éléphants au Capitole 12, Les éléphants traînent aussi les statues d'empereurs divinisés, comme on le voit sur un médaillon de Tibère, où figure une statue assise d'Auguste dans un quadrige avec la légende DIVO AUGUSTA sPQn 180 (fig. 2628). II s'agit donc d'un char d'honneur décerné à l'empereur déifié par le Sénat et le peuple. Le même honneur fut décerné a Livie, à Vespasien, à Julie, à Faustine Mère, à Pcrtinax 181. Sur un médaillon de Marc-Aurèle, on voit un arc de triomphe, peut-être celui d.e Domitien, surmonté d'un quadrige d'éléphants f 82 ; nous sa vons que Domitien avait été représenté ainsi de son vivant même Cet usage de placer les dieux dans des chars traînés par des éléphants date de l'époque alexandrine, comme on le voit par des monnaies de Ptolémée Sôter et de Séleucus, ou Jupiter et Pallas paraissent dans des chars de ce genre" Les éléphants attachés à des chars étaient quelquefois harnachés comme des chevaux ; on leur mettait un joug et l'on passait un mors dans leur bouche 185. En général, EL E --543 -I?,LE cependant, toute indication de ce genre manque sur les monuments'88 A l'époque impériale, les éléphants servaient surtout aux jeux du cirque et de l'amphithéâtre. Comme ces spectacles en consommaient un grand nombre, il en existait des dépôts près de Rome, à Ardée et à Laurentum 187. Il y avait à Rome des écoles pour le dressage de ces éléphants 188. L'empereur seul avait le droit de posséder des éléphants 189, mais cette règle n'était pas si absolue qu'elle ne souffrit parfois des exceptions 190. Les éléphants parurent pour la première fois dans les jeux du cirque en l'an 586 de Rome'°'-. On tua dans le cirque, à coups de javelots, ceux que L. Métellus avait pris en Sicile. Des combats d'éléphants eurent lieu en 655 de Rome et en 700, sous le second consulat de Pompée, où vingt éléphants furent percés de traits par des Gétules 193 Le massacre de ces éléphants, qui semblaient demander grâce au peuple, souleva des imprécations contre Pompée'93. César en fit combattre contre des fantassins et des cavaliers lors de son troisième consulat 49', Du temps d'Auguste, on vit peut-être à Rome le premier éléphant blanc'9'. Les auteurs ont parlé [BESTIAE, p. 691] des danses et des pantomimes auxquelles se livrèrent des éléphants dressés, que l'on vit même marcher sur des cordes raides 198 ; un chevalier romain monta sur l'un de ces éléphants funambules aux jeux donnés par Néron_ 137. Le plus souvent, les éléphants combattaient contre des gladiateurs appelés bestiat'ii, ou des animaux tels que les taureaux et les tigres '9R. Sous les règnes de Claude et de Néron, le dernier exploit des gladiateurs qui demandaient leur congé était de les combattre seul à seul'°9. Les jeux où Antonin le Pieux fit paraître des éléphants sont rappelés par les monnaies de ce prince 2°0Commode descendit dans l'arène et tua lui-même un éléphant d'un coup de pique201. Sur le revers d'un médaillon de Gordien III, on voit l'ampithéâtre du Colisée, où un éléphant monté par un cornac s'apprête à lutter contre un taureau 3u2 La même scène se voit sur un bas-relief inédit à Rome "3; un pavé en mosaïque, découvert au temple de Diane sur l'Aventin, représente un éléphant abattu sur ses jambes de devant qui enlève un taureau avec sa trompe, tandis que celui-ci essaye de le percer de ses cornes 2°b. Des monnaies de l'empereur Philippe, portant les légendes Aeternitas Augg., Aetei'nitas Imper., présentent un éléphant avec son cornac ou l'image du Soleil marchant. Les numismatistes ont voulu reconnaître dans ces figures un double symbole d'éternité 208, mais il est peut-être plus naturel d'y voir une allusion aux jeux séculaires célébrés par Philippe en ) 4S, eè l''on vit pat=aitre trente-deux éléphants à la fois 2°c A Byzance, les empereurs recommencèrent à. faire paraître des éléphants dans les jeux après la bataille de Mélitène (576), qui fit tomber vingt-quatre éléphants au pouvoir de l'armée byzantine. Au milieu de xte siècle, Constantin Monomaque eut encore des éléphants pour ses spectacles 2". L'emploi des éléphants pour le labourage n'est signalé par Pline que pour l'Inde 208, où il existe encore aujourd'hui. Perdiccas, Amilcar, Annibal et Paul Émile employèrent leurs éléphants comme exécuteurs des hautes rouvres, autre usage barbare que l'Inde moderne a conservé ", La chair de l'éléphant servait de nourriture à certains troglodytes riverains du golfe arabique que l'on appelait éléphantophages n°. Avec la peau de cet animal, que Cassiodore qualifié d'osseaZ14, les Maures et les Numides fabriquaient des boucliers 299 ; tel était celui de Massinissa 313. Méfia vit à Tingis un bouclier fai) de imita d'éIépliant, d'une grandeur extraordinaire, que l'on croyait avoir appartenu au géant Antée 2". Il a été question ailleurs du parti que l'antiquité tout entière a tiré des défenses de l'éléphant [EBIIR]. Pline dit aussi que l'on se servait de crins d'éléphant pour enfiler des pierres précieuses 318. Il nous reste à dire quelques mots des représentations de l'éléphant dans l'art antique 'a' et de sens symbolique attaché à la tête de cet animal. On peignit des éléphants sur le char de parade destiné à transporter le corps d'Alexandre le Grand en Égypte 21'. Le second exemple fourni pal l'art grec est l'éléphant élevé marathe trophée par Antiochus, après sa victoire sur Ies Galates en 275218. Auguste fit placer dans le temple de la Concorde des éléphants en obsidienne 219. Sur l'arc de triomphe de Domitien, on avait placé deux chars ;, I ielé d'éléphants que semblait diriger une statue do; l'empereur. LeSénatromain décerna à Maxime, à Bali. n et àGordien des « statues avec des éléphants » (statuas Cuna elephantis) Ce sont peut-être les mêmes que les Mt, pliants de bronze placés à Rome dans la voie sacrée, dont Cassiodore demandait la réparation 221. Une tête (Télé phant colossale a été découverte sur le forum de. Trajan, avec d'autres têtes d'animaux de très grandes dimensions'''. Des têtes d'éléphants sculptées en relief de,'urent souvent les cuirasses des empereurs 27. L'Afrique personnifiée [As'aacA] porte sur la tète une dépouille d'éléphant, dont la trompe se recourbe en forme de cimier 22' ; cette même coiffure est attribuée sur les mon ELE 544 ELE Haies à des villes d'Afrique comme Alexandrie 9n, et à différents personnages, entre autres Démétrius roi de Bactriane 226, Cléopàtre femme de Ptolémée VII'", Alexandre II d'Épire 228, Ptolémée IX 229, etc. La tête d'éléphant seule figure aussi sur quelques monnaies africaines et asiatiques'''. Enfin, certaines pierres gravées, qu'on a proposé d'appeler grylles 291, présentent des têtes d'éléphants associées d'une façon bizarre à des têtes de philosophes ou à divers objets 232. S. Rr1NACU. étaient les plus importants et les plus renommés parmi les mystères de la Grèce. Renvoyant à l'article MYSTERIA ce qui touche au caractère général des institutions de cette nature dans la religion hellénique, à leur objet et à l'esprit qui y présidait, nous nous occuperons ici des Éleusinies d'une manière tout à fait spéciale et exclusive, en nous attachant principalement aux données que l'on peut recueillir sur leur histoire, leur organisation et la manière dont on les célébrait. Nous n'essayerons pas d'en pénétrer le symbolisme, recherche qui nous entraînerait trop loin et qui demanderait à elle seule un gros livre, en même temps qu'elle sortirait du caractère précis et positif que doivent avoir les articles d'un dictionnaire. 1. Origine et histoire des mystères d'Éleusis. La tradidition attribuait à Eumolpe la fondation de ces mystères; la famille sacerdotale [EUMOLPIDAE] qui demeura, jusqu'à l'extinction du paganisme, en possession de l'office d'hiérophante à Éleusis prétendait descendre de ce personnage héroïque. On faisait d'Eumolpe un Thrace' ; la qualité de fils de Poseidon et de Chioné, c'est-à-dire de la mer et de la neige, ou bien de Borée, que lui donnent les mythographes postérieurs, se rapporte clairement à une contrée plus septentrionale que l'Attique, c'est-à-dire à la Thrace des premiers siècles de la Grèce, qui n'était pas celle des âges historiques, voisine de l'Ilellespont, mais la Thessalie et la Piérie2 et même la Phocide et le nord de la Béotie. Il y a là sans doute le souvenir de la migration d'une de ces tribus thraces qui exercèrent tant d'influence sur les origines religieuses de la Grèce, sous la conduite de chefs qui étaient en même temps pontifes et poètes sacrés (âouSof). Le nom même d'Eumolpe, comme celui de Musée, semble devoir faire reconnaître dans ce personnage une personnification des premiers aèdes', dont on place toujours l'origine en Thrace. [C'est sans doute pour cette raison qu'un cygne est placé auprès d'Eumolpe, comme une allusion aux chants harmonieux de l'aède, dans la peinture d'une coupe attique signée par Hiéron, où l'on voit réunis et désignés par des inscriptions Éleusis, personnifiée sous les traits d'une femme, Déméter et sa fille avec Triptolème, Zeus, Dionysos, Poseidon et Amphitrite 4. (fig. 26'29).] Il faut remarquer ici, conformément à ce qu'a déjà fait Ottfried Müller 5, que le nom d'Éleusis se retrouve, en même temps que celui d'Athènes et celui du fleuve Céphise, dans les plus vieilles traditions de la Béotie des bords du lac Copaïs 6, c'est-à-dire d'un des cantons de la Thrace mythique; on y prétendait l'Éleusis béotienne, engloutie sous les eaux du lac, antérieure à l'Éleusis de l'Attique. S'il n'est pas possible, dit M. Maury 7, d'assigner une personnalité distincte aux aèdes de l'époque qui a précédé Homère et Hésiode, l'existence d'aèdes qui avaient été, dans la Thessalie et la péninsule livadique, les pères de la religion hellénique et de la poésie théogonique, n'en demeure pas moins constatée e. Il est vraisemblable que ces aèdes, prêtres d'Apollon, présidant aux purifications et aux expiations qui caractérisaient le culte de ce dieu, avaient composé des charrues et des rites expiatoires (Tm),E-cat), qui furent l'origine des mystères. C'est donc à cette école sacerdotale qu'il faut rattacher l'institution des mystères d'Éleusis'. L'hymne homérique à Déméter, un des plus curieux monuments de cette poésie lyrique sacrée, sortie de l'école thrace, me paraît en être la preuve S°. Un autre fait vient à l'appui de l'origine que j'attribue aux mystères éleusiniens; c'est que les mystères de Dionysos étaient aussi regardés comme ayant pour fondateur un Thrace ,Orphée.» Mais il est manifeste qu'en fondant cette institution, en la régularisant, en la développant et en lui donnant son caractère de mystères purificatoires, les aèdes thraces travaillèrent sur un fond antérieur, celui des croyances et du culte de la population pélasgique. Il y a quelque chose de vrai dans les théories d'Ottfried Müller et de Preller qui rapportent aux Pélasges, avant le triomphe des tribus proprement helléniques, la première origine des cultes mystiques. L'adoration des divinités chthoniennes et productrices est le fond de tous les mystères grecs, et en particulier de ceux d'Éleusis. C'était certainement la religion essentiellement propre aux Pélasges. Or ce culte avait généralement un caractère secret et quelque peu effrayant, qui devint naturellement le point de départ de formes mystérieuses. Déméter était une des plus vieilles divinités pélasgiques; il semble même que son adoration avait été précédée à Éleusis par celle d'une autre personnification de la divinité féminine chthonienne, Daeira n, reléguée plus tard sur un plan tout à fait effacé [DAEIRITÈS]. Dans l'Arcadie, où la religion des Pélasges s'était conservée plus intacte que nulle part ailleurs en Grèce, avec ses formes primitives, le culte tout national de Déméter comprenait certains rites, entourés d'un caractère secret qui en faisait de véritables mystères". Pausaniasf3 dit qu'il n'était pas permis à ceux qui n'avaient point été initiés de savoir le nom de la fille que Déméter, transformée en cavale, avait eue de Poseidon. Le mythe avait un sens symbolique que l'on révélait sans doute dans les mystères; il rappelle beaucoup celui qui avait cours sur lamème déesse à Éleusis et qui servait de fondement au culte mystique f4. Ainsi que l'a montré O. Mül, ler, la parenté tique 'A. Quand nous voyons qu'au temps de Pausanias f3, il y avait encore un temple de Poseidon Pater à Éleusis, on est induit à penser qu'il subsistait comme dernier vestige d'un temps primitif où le dieu des eaux avait eu dans les légendes éleusiniennes un rôle pareil à celui que lui donnaient les mythes arcadiens, rôle qu'il cessa de bonne heure d'avoir dans les fables sur lesquelles étaient fondés les mystères, car on n'en retrouve plus de trace à l'époque pleinement historique . [Remarquons encore que dans la peinture du vase précédemment cité (fig. 2629), Poseidon figure parmi les divinités spécialement attachées à la protection d'Éleusis.] En somme, on ne doit sans doute attribuer aux aèdes venus de la Thrace à Éleusis et personnifiés par Eumolpe que la réglementation définitive d'un culte existant antérieurement et déjà marqué d'une tendance mystique, une organisation plus savante et l'institution de mysté III. originaire entre le culte mystérieux de la Déméter d'Éleusis et celui de la Déméter Érmnys de l'Arcadie n'est pas seulement attestée par la ressemblance des fables. Elle ressort aussi des traditions relatives à Cercyon, l'un des ancêtres de Musée et l'un des héros autochthones d'Éleusis 76. De Poseidon et d'Alopé, fille de Cercyon, est né Hippothoon 19 l'éponyme de la tribu Hippothoontide, de laquelle dépendait la cité des mystères. Rapprochons de ces noms celui de Poseidon Iiippios, époux de Déméter en Arcadie" et adoré aussi dans l'At rieux rituels, faits qui ne durent pas se produire sans une certaine fusion d'idées religieuses entre les nouveaux venus et les premiers occupants du sol zo [M. Foucart est arrivé à des conclusions analogues en s'appuyant sur l'étude des textes épigraphiques 29. Il montre qu'au début on entrevoit un culte antérieur à l'organisation attique de la religion éleusinienne, culte commun aux tribus ioniennes, peut-être emprunté aux anciennes populations de la Carie, aux Lélèges et Pélasges. C'est le culte d'une divinité chthonienne double, qui réunissait en elle le principe mâle et le principe féminin comme beaucoup de divinités asiatiques ; c'est le dieu et la déesse, 6 6ciç xal 72) Oui, sans épithètes, auxquels s'adjoint bientôt une déesse fille. Cette triade est essentiellement agricole. Lorsque ces divinités commencent à être adorées à Éleusis, le rôle des deux déesses devient prédominant, la mère et la fille usurpent une 69 ELE FLF b46 place de rlius en plus grande, aux dépens du dieu, sorte de Z;u.s chthonien, que l'introduction de Dionysos et plus tard d'Iacrhos achèvera de reléguer dans J'ombre. On a eu tort de croire qu'il était complètement oublié. Il subsiste encore des traces de la tradition primitive pendant ie vr et le iv siècle; on ordonne encore des sacrifices , au dieu et à la, déesse auxquels sont adjoints Triptolème et le héros Euhoulas. Enfin, sous 7 administrabort de Lycurgue, on assiste à une véritable restauration du dieu chthonien sous le nom de ll?,oénev [; i.i,'To], qui n'est pas l'tiadès destructeur, mais le dieu qui veille sur la semence jetée dans le sol, le dieu de la richesse. On lui construit un temple, on associe son ardel à celui de Déméter et Coré..Iusqu'à l'époque macédonienne et même romaine on retrouve les vestiges de ce culte fondamental, que les mythes locaux d'Éleusis n'ont pas réussi à obscurcir complètement. Il subsiste plus vivace Ti :ailleurs dans les îles de l'Archipel et en Carie, région oti la race ionienne avait importé le même culte initial, qui se garda plus intact et plus fort qu'à Éleusis, n'ayant pas subi au même degré l'influence dionysiaque. Ajoutons que ces réflexions sur la persistance du culte plutonien sont confirmées par la découverte récente de bas-reliefs éleusiniens d'une époque assez tardive, où. l'on voit le dieu associé à Proserpine sous les noms mystérieux de hé,; et Oné, puis le même dieu sous le nom de Fd?,oériev uni à la Aeâ et à Triptolème 22.] Quand ies mystères de Dionysos s'introduisirent à Éleusis, que ce dieu fut donné comme époux à Proserpine et prit la place de Pluton, qu'il repartit ensuite enfant ilins le personnage d'fa,cchos, l'imagination n'en devint que plus empressée à forger des légendes qui confirmassent l'origine thrace des mystères 23. Eumolpe fut transforme en un prêtre de Dionysos et de Déméter, auquel cette déesse avait révélé son culte et qui avait découvert la culture de la vigne et l'élève des bestiaux". On représenta Orphée comme le fondateur par excellence des mystères d''Éleusis2o. Le dévot Pausanias lui-même reprochait aux Éleusiniens la facilité avec laquelle ils avaient inventé des généalogies mythiques pour expliquer toutes les origines de leur culte". La part tic l'ancien culte d'Éleusis resta toujours marquée, du reste, dams les mythes qu'on racontait et qui servaient de base aux mystères ; à côté des Eumolpiiles descendant 'du Thrace Eumolpe, une partie des familles sacerdotales attachées à la religion éleusinienne revendiquait une origine purement autochthone. Guiguiaut 27 a eu raison d'attacher sous ce rapport une importance considérable aux données de l'hymne homérique ou pnsthomérique à Déméter; Eumolpe y est représenté" comme établi déjà. dans Éleusis quand y arrive Cérès après l'enlèvement de sa fille; aucune allusion n'y est faite à sa venue d'un autre pays. Plus tard, certaines formes de la légende allèrent jusqu'à le faire descendre de Triptolème, en rattachant ensuite à lui les principaux personnages de la légende de Déméter 29. En tous cas, c'est Triptolème qui est le représentant par excellence des autochthones dans les mythes éleusiniens. Dans l'hymne homérique il n'est encore que l'un des princes (âva5'111) d'Éleusis, auxquels la déesse ellemême confie le dépôt de son culte mystérieux. Tout indique en lui à l'origine une personnification du blé semé dans le champ de Rharos 70, dans un sillon trois fois labouré (7p(7Coi,oÿ)u1. De là on en fit, par un enchaînement d'idées assez naturel, l'élève et le favori de la déesse, presque une sorte d'autre Iasion 32 [C'ÉRÈS, tome Ier p. 1038]. Fils de l'Océan et de la Terre dans sa signification symbolique primitive, on le représenta dans ce nouveau rôle comme le type même de l'indigène d'Éleusis J3. C'est à lui que la famille des daduques rattachait son origine 34 [DADUCRUS]. comme celle des hiérophantes à EumoIpe. Une fois en possession du précieux enseignement de la déesse, Triptolème, disait-on, l'avait communiqué aux hommes en parcourant la Grèce 3° et porté jusqu'en Italie, en Sicile , même en Ligurie 36 et en Scythie 37. Nous montrerons ailleurs l'importance qu'ont, dans le cycle des représentations éleusiniennes sur les monuments figurés, celles qui se rapportent à Triptolème et à son voyage [TRIPTOLEMUS]. Ce héros autochthone eut, comme les grandes déesses, son temple à Éleusis 38. [L'importance donnée à Triptolème dans les mythes éleusiniens atteste surtout la survivance du principe tellurique et agricole, qui est le fondement même de toute cette religion et qu'il ne faut jamais perdre de vue. Les rites sanctionnés par les décrets athéniens en sont la preuve. A plusieurs reprises, des lois rappelèrent à tous les membres de la confédération athénienne que les prémices des récoltes étaient chaque année dues aux deux déesses, à raison d'un setier au moins pour 100 médimnes d'orge et d'un demi-setier pour 100 médilnnes de froment. Les grains perçus étaient déposés dans trois fosses à blé n. Nous verrons plus loin que le dernier spectacle de l'époptie dans les mystères, qui résumait toute la fable sacrée, était un épi moissonné que l'on présentait en silence à la foule assembléeb0,] « Lorsque l'histoire, remarque M. Maury °f, eut commencé à avoir pour les Grecs plus d'attrait que la fable, on chercha à concilier les légendes mythologiques sur la fondation des Éleusinies et les traditions tout aussi incertaines qui couraient sur les premiers rois de l'Attique. Éleusis ayant perdu en importance ce qu'Athènes avait gagné, cette dernière ville revendiqua l'honneur d'avoir contribué à la fondation des mystères °'. On mêla au récit d'une guerre entre les Athéniens et les Éleusiniens, récit dont on ne sait si le fond est vrai ou supposé b3, le nom du fabuleux roi Érechthée °''. Ce fut, suivant la légende, au prix d'un sacrifice humain accompli sur lainée de ses filles, que ce monarque obtint la victoire 43, ELE -547ELE Ces souvenirs constatent l'admission dans Athènes du culte éleusinien et le respect qu'eurent ses habitants pour le droit héréditaire, dont étaient en possession les Eumolpides, de présider à la cérémonie. » [D'après M. Foucart, les hiéropes chargés de l'administration du temple devaient être choisis parmi les habitants d'Éleusis. A l'époque historique, les Ileusiniens continuèrent à frapper des monnaies spéciales à leur ville. Peut-être même avaient-ils tenu à maintenir leurs fêtes nationales, 7tzrptoç âytdrv, à côté des grandes solennités communes à tous les Athéniens 46. ] La soumission d'Éleusis à Athènes et l'adoption du culte éleusinien dans cette dernière ville sont, malgré l'affirmation de Lobeck qui rajeunit outre mesure l'institution des mystèresn, des faits d'une haute antiquité, qui remontent au moins à la période ionienne représentée par les noms d'Égée et de Thésée u. Les Ioniens adoptèrent certainement ce culte, en organisant le pays sur le plan d'une royauté fédérative. La meilleure preuve de la réalité comme de la date reculée du fait, c'est que ces mêmes Ioniens, lors de leur émigration en Asie Mineure, portèrent, avec l'organisation politique qui leur était propre, le culte et les fêtes de Déméter dans les établissements qu'ils formèrent sur les rivages de la contrée appelée de leur nom Ionie. Telle est la conclusion qu'O. Müller40 et Boeckh50 se sont crus l'un et l'autre autorisés à tirer du passage de Strabon51 où l'on voit que, de son temps même, les Nélides ou Androclides d'Éphèse, descendants des anciens rois de l'Attique, conservaient, avec le titre de 3zat)Aaiç, comme l'archonteroi d'Athènes, le privdege des sacrifices en l'honneur de Déméter hleusinienne. On voit aussi dans Hérodote u Philiste, fils de Pasiclès, venu à la suite de Nélée, fils de Codrus et fondateur de Milet, consacrer un temple à la même déesse sur le promontoire de Mycale. Ce furent les colonies ioniennes, parties de l'Attique, qui propagèrent au loin la légenden3, d'abord toute locale, de Triptolème" et les initiations formées sur le modèle de celles d'Éleusis 55. Celles-ci étaient déjà établies en Messénie avant la première guerre Messénienne n survenue dans le vine siècle av. J.-C.; elles n'y venaient même pas directement de l'Attique, mais de Phlionte en Argolide, où elles avaient été apportées plus anciennement encore J7. Ces faits achèvent d'enlever toute signification décisive au silence d'Homère et d'Hésiode sur les mystères d'Éleusis 58, d'où quelques érudits, comme Lobeck50, ont cherché à tirer cette conclusion que l'institution des mystères fut postérieure à l'époque où naquirent les poésies placées sous ces deux noms. On l'a très bien montré 80 d'ailleurs : le silence d'Homère s'explique fort naturellement, car ses poèmes n'embrassent pas un exposé complet de la religion hellénique, et le théâtre de l'Iliade et de l'Odyssée nous transporte fort loin d'Éleusis. Athènes, qui était encore privée à cette époque de toute importanee, n'avait pu valoir au sanctuaire des grandes déesses la célébrité qui contribua tant à populariser les mystères. D'ailleurs le culte d'Éleusis, sombre autant que solennel, n'avait rien à voir avec les héros achéens, avec les dieux favoris de l'épopée 51, L'absence de toute mention des mystères chez Hésiode a droit d'être considérée comme un fait plus grave. Ce poète, natif de la Béotie et y ayant passé sa vie, devait connaître Éleusis, et l'on s'étonne qu'il n'ait fait aucune allusion au culte mystique en parlant de Déméter. Mais ceci peut s'expliquer par le rôle effacé que l'Attique jouait encore de son temps, par le défaut du rayonnement et d'influence extérieure de cette contrée. Tout ce qu'on doit conclure du silence d'Hésiode, c'est qu'au temps où il composait ses vers, les mystères d'Éleusis, bien qu'existant déjà, étaient encore obscurs, d'un caractère local et exclusivement bornés à l'Attique, bien que de véritables missionnaires les eussent déjà portés sur quelques autres points de la Grèce. En un mot, ce n'était encore aucunement, comme ils le devinrent plus tard, une institution panhellénique. Mais il est difficile de ne pas admettre, avec Voss et Guigniaut, que l'hymne à Déméter, compris dans la collection homérique, est de peu postérieur à Hésiode, composé à la fin du vm° siècle ou au commencement du via°, entre ce poète et Archiloque 62. Or, l'hymne tout entier se rattache aux mystères ; il a été fait en vue de ces cérémonies, il se termine par un appel aux Initiations. Quand il a été composé, les mystères étaient une institution déjà ancienne, complètement organisée et revêtue du caractère le pies auguste L'importance et la célébrité des mystères éleusiniens dans le monde grec a toujours été étroitement liée au rôle d'Athènes. L'éclat de ce rôle fut tardif, et c'est seulement à l'époque où la cité de Minerve prit la tête du mouvement de l'hellénisme que les mystères d'Éleusis devinrent la première des institutions religieuses de la Grèce, celle où tous aspiraient à être admis et celle à laquelle on attribuait généralement les effets les plus grands et, les plus enviables. Au temps des guerres médiques ils étaient peu connus des Grecs autres que les Athéniens 63. Mais avant de voir leur gloire et leur importance se développer tout à coup avec celle d'Athènes vers le milieu du ve siècle avant notre ère, les mystères d'Éleusis, gardant encore leur premier caractère exclusivement local et renfermé dans l'Attique, avaient déjà, subi des modifications intérieures importantes, qui en avaient élargi le cadre et dont on peut reconstituer les principales phases. L'hymne soi-disant homérique à Déméter nous offre. comme l'a si bien établi Guigniaut, le tableau presque complet des mystères des grandes déesses sous leur forme primitive, telle qu'elle se maintenait encore à l'époque où il fut composé. On peut restituer en partie les cérémonies qui les constituaient alors, T« Sps'.y.EV1, et les spectacles qu'on y présentait aux initiés, T« oetxaé.EVa s`, au moyen des allusions directes qui sont faites, dans l'hymne, à ces cérémonies et à ces spectacles. Le savant interprète de Creuzern signale ainsi les principales : « Cérès cherche sa fille pendant neuf jours par toute la terre, portant des flambeaux dans ses deux mains", et le dixième elle arrive à Éleusis, où elle se repose et où elle rompt son long jeûne en buvant le cycÉox réparateur, dont elle a elle-même prescrit la formule. Ce sont là autant de points de rapport, mais non point de correspondance rigoureuse, entre la légende si poétiquement développée par l'auteur de l'hymne, et les rites observés durant les neuf premiers jours de la grande fête éleusiniaque. Les flambeaux donnés, non seulement à Déméter, mais à Hécate, peuvent être, en outre, comme l'observe M. Prellerfi7, une allusion à la nature de ces divinités chthoniennes et à leurs représentations mystiques. lambé, qui, par ses plaisanteries, distrait la déesse de la morne douleur où l'avait plongée la perte de sa fille, personnifie, avec les vers iambiques, les scènes comiques qui interrompaient ledeuil [GEPnYRISMOI], comme le cycéon rompait le jeûne des initiés; scènes communes, d'ailleurs, aux Éleusinies et aux Thesmophories [TIIESMOPIIORIA]. Le pannychisme ou la veillée sainte semble indiqué aussi dans les vers où les filles de Céléus passent la nuit en prières 68, pour fléchir la nourrice divine qui a rejeté loin de son sein Démophon, qu'elle voulait rendre immortel, et que la faiblesse de sa mère mortelle a frustré de ce grand bienfait. Cette nourriture de Démophon par Cérès, les moyens qu'elle emploie pour donner au fils de Céléus et de Métanire l'immortalité, avec une éternelle jeunesse, les flammes par lesquelles elle le fait passer, et surtout l'honneur sans fin qu'elle promet à son nourrisson, même déchu, « d'une guerre, d'un combat terrible, que se livreront à jamais en son nom les enfants d'Éleusis 69, )) ce sont là, sous la forme mythologique et prophétique à la fois de la légende, des articles fondamentaux, soit des dogmes, soit des cérémonies symboliques des mystères. Voss lui-même a compris que l'idée de la vertu purifiante du feu est mise en rapport avec la grande idée de l'immortalité, de la vie divine 70. Triptolème fut, dans la suite, substitué à Démophon, et comme fils de Céléus, et comme nourrisson ou favori de Cérès. Mais la mémoire de Démophon demeura attachée à une fête manifestement symbolique, si l'on en juge par la manière dont s'exprime Athénée 7t, fête qui était célébrée à Éleusis en l'honneur du héros [BALLÉTYS]. C'était une lithobolie, c'est-à-dire un combat dont les acteurs s'attaquaient réciproquement à coups de pierres, comme dans la fête analogue de Trézène, dont il est question chez Pausanias 7E. Est-ce là le combat périodique prédit par Cérès dans l'hymne, ce combat terrible que doivent à jamais se livrer entre eux, et pour Démophon, les enfants d'Éleusis? Il nous paraît, comme à Ottfried Müller 73, qu'il n'y a pas lieu d'en douter. e L'époque périodique de la descente (xa'6oSos) de Coré auprès de son époux infernal et de la montée (âvolos) à la lumière pour rejoindre sa mère, époque déterminée par la succession des saisons et qui entraînait celle des grands et des petits mystères 74, est également indiquée par l'hymne avec une précision remarquable M et presque de nature à faire supposer qu'il y avait déjà deux cérémonies mystiques. Enfin l'institution des mystères, révélés par la déesse elle-même, y est placée après le premier retour de Proserpine 7G, tandis que Déméter s'est installée dans le temple que lui ont élevé Céléus et les l.'leusiniens au plus fort de sa douleur, qui la portait à refuser le développement de toutes les productions de la nature n. Il semble, comme l'a discerné Guigniaut 78, qu'il y ait dans cette dernière circonstance comme un souvenir de la plus ancienne idole qui ait représenté la déesse dans le temple d'Éleusis, idole' qui lui aurait donné le type d"A1a(a ou désolée. Ainsi par l'hymne à Déméter on peut se rendre compte de presque toutes les cérémonies qui composaient la fête des mystères à l'époque encore reculée où ce poème fut composé, avant les premières additions qui commencèrent à la modifier. On est également en droit d'en conclure qu'à cette époque la représentation symbolique de la nuit des initiations, le drame mystique, comme on l'appelait M, se composait presque exclusivement des scènes du mythe raconté dans l'hymne, scènes que l'on sait y avoir été toujours représentées jusqu'à la fin de l'institution des mystères S0. C'était la légende des deux déesses sous la forme qu'on peut dire typique, l'enlèvement de Proserpine, les courses de Déméter à la recherche de sa fille, le sombre deuil de la mère affligée, sa réception chez Céléus et Métanire, le cycéon que lui offrait Iambé, l'éducation de Démophon, remplacé, semble-t-il, plus tard par Triptolème, la révélation de la divinité d'abord dissimulée de Déméter, enfin le retour de Coré à la lumière, après que son époux infernal lui a fait manger le pépin de grenade qui la lie à lui pour jamais, et l'établissement de la loi éternelle et immuable qui périodiquement la ramènera des bras de sa mère à ceux de son époux [cÉBÉs, tome ICB, p. 1054-1057]. C'est le mythe dans sa donnée essentielle, la plus simple et la plus antique, tel que l'a inspiré l'observation des phénomènes naturels de la végétation. Les semences de la terre demeurent cachées sous le sol durant l'une des trois saisons entre lesquelles se partageait l'année primitive des Grecs 8t, c'est-à-dire pendant l'hiver. Durant les deux autres saisons, la semence germe et s'épanouit au grand jour. Tant que Proserpine est absente, qu'elle habite dans les enfers, Cérès est désolée, c'est-à-dire que la terre est sans culture et ne produit rien 82, mais sitôt que le printemps renaît83, la fille de la terre, Proserpine, c'est-à-dire la graine, lève et se dresse en plante vers les cieux. C'est la pure conception du naturalisme primitif; c'est un fait physique dont la poésie s'est emparée et qu'elle a embelli des couleurs de l'anthropomorphisme le plus brillant". Mais il est une idée plus haute et plus générale qui dès l'origine existait en germe dans la légende de Déméter et de sa fille et qui s'y était graduellement deve ELE 549 ELE loppée. C'est celle du vaste ensemble de phénomènes qui font continuellement succéder la mort à la vie, puis la vie à la mort, dans le sein de la nature, phénomènes au milieu desquels l'homme se sentait lui-même emporté. Par une assimilation qui s'imposa de bonne heure à l'esprit, car nous la retrouverons chez des peuples très divers, en Égypte aussi bien qu'en Grèce, la destinée humaine après la tombe fut comparée au grain qui, déposé en terre, renait en produisant une plante nouvelle. Cette dernière notion, développée dans ses dernières conséquences, est empreinte partout dans l'hymne homérique, et avec elle l'autre dogme, connexe et exprimé en termes formels85, de la double destinée des âmes, le bonheur des initiés et le malheur des non-initiés. La première modification que subirent les mystères d'Éleusis, postérieurement à la composition de l'hymne homérique, mais à une époque encore assez reculée et avant les débuts de leur grande renommée extérieure, consista dans l'introduction d'un élément bachique qui y tint désormais une place importante 86. Les origines des cultes de Dionysos et de Déméter sont si distinctes, qu'il est difficile de croire, surtout avec les données de l'hymne que nous avons longuement étudié, à la présence primitive du dieu du vin dans la religion mystérieuse des grandes déesses. Bien qu'également sortis de la Thrace mythique, les mystères de Dionysos et de Déméter étaient cependant rapportés à des fondateurs différents. Mais, à dater d'une certaine époque, les orgies dionysiaques furent intimement unies aux mystères des grandes déesses et fournirent une large part de cérémonies nouvelles à la fête publique des Éleusinies. Développant, comme ils ne l'avaient pas été d'abord, certains côtés du personnage d'Iacchos-Pluton et ajoutant des traits nouveaux à sa physionomie, on l'identifia à Dionysos, on en fit le Bacchus des mystères [BACCHUS, sect. XV, p. 632-636]. Mais là même ne se borna pas l'ouvre de transformation, atteignant jusqu'aux mythes essentiels et aux doctrines fondamentales qui avaient servi de point de départ à l'institution. Il y eut un véritable travail de syncrétisme, où les deux déesses, si intimement unies, se confondirent partiellement en une seule, donnée pour épouse au Zeus infernal, assimilé à Dionysos 87. Le dieu de la végétation se trouva naturellement substitué, dans un mythe qui représentait le phénomène de la germination, au dieu des enfers, à Hadès ou Aïdoneus, dont le caractère de divinité de la terre et de la production, rappelé par le nom de Pluton, allait en s'effaçant de plus en plus. Se divisant lui-même en deux personnages, en père et en fils, ce dieu se manifesta sous la forme ordinaire de Dionysos comme époux de Perséphoné dans les mystères d'Agrae aussi bien que dans les Anthestéries, et, sous la forme d'Iacchos, comme enfant de la même déesse et nourrisson de Déméter dans les grandes Éleusinies [IACCHUS]. A l'époque des guerres médiques la procession d'Iacchos n'était plus une nouveauté, mais une institution déjà complètement passée dans les moeurs°B. En prenant ce fait pour point de départ d'un côté, et de l'autre la date approximative que nous avons été amené à attribuer à l'hymne homérique, l'association du culte dionysiaque à celui d'Éleusis et l'introduction des rites nouveaux qui en fut la conséquence semblent devoir être rapportées à la première moitié du vie siècle S9. C'est précisément l'époque où tous les cultes de l'Attique furent soumis à un travail général de réforme et de coordination systématique, tendant à les amalgamer ou du moins à les affilier les uns aux autres, malgré la diversité de leurs origines 90. Dès le temps de la guerre du Péloponnèse, les cérémonies de la partie publique des Éleusinies paraissent avoir été toutes constituées et organisées d'une manière complète, telles qu'elles se maintinrent jusqu'aux derniers jours du polythéisme grec. Mais postérieurement à l'association des rites dionysiaques à l'ancien fonds des Éleusinies, les doctrines fondamentales des mystères, les mythes qui les exprimaient et le drame secret représenté dans les initiations subirent encore une transformation radicale sous l'influence de l'orphisme [oaPHICi]. MM. Preller, Maury et J. Girard ont retracé, mieux que personne, le tableau de l'influence des idées de l'école orphique sur la religion grecque 91. Nous ne pouvons que renvoyer aux pages où ils ont exposé les doctrines de cette secte, qui eut tant d'action à partir du ve siècle, et le caractère de sa tentative pour restaurer, sous une forme plus systématique et plus élevée, le naturalisme des anciens âges. Ainsi qu'ils l'ont montré, l'orphisme n'arriva pas à influer sérieusement sur le culte populaire, mais il parvint à se rendre maître de la religion des mystères, et en particulier de ceux d'Éleusis. Il y fit prévaloir ses conceptions dogmatiques sur la nature des dieux de la théogonie. Les Orphiques introduisirent dans le sanctuaire d'Éleusis leur Dionysos ZAGREUS [BACCHUS, sect. XV, p. 632-633], qu'ils avaient été chercher en Crète g2, dont la première apparition dans le Péloponnèse avait eu lieu vers le temps de Clisthène de Sicyone (600 ans av. J.-C. 93), mais qui dut surtout la diffusion de son culte au succès des prétendus poèmes d'Orphée, forgés par Onomacrite à la cour des Pisistratides". Sa légende se greffa sur les anciens mythes éleusiniens comme une continuation et un développement. On la représenta dramatiquement dans les nuits des initiations 95. Les innovations orphiques semblent avoir été facilitées par la mode de croyance à l'origine égyptienne de la religion grecque, et en particulier des mystères d'Éleusis, qui commença à se répandre parmi les lettrés grecs vers le milieu du ve siècle. Les Hellènes instruits qui visitèrent l'Égypte ne purent manquer d'être frappés de la ressemblance singulière qui existait entre le symbolisme du culte mystique de Déméter et celui des livres sacrés égyptiens relatifs au sort de l'âme après la mort". Aussi Hérodote n'hésita-t-il pas à proclamer que les Thes ELE 550 ELE mophories avaient été importées d'Égypte en Grèce°`. A Saïs et sur d'autres points des bords du Nil, il y avait des mystères dont l'institution offrait une certaine analogie extérieure avec ceux des contrées helléniques. Plus d'un Grec, à la suite d'Hérodote, en remarquant toutes ces analogies, accepta l'idée que les initiations mystérieuses d'Éleusis avaient eu leur berceau en Égypte9fl. Les Orphiques avaient beaucoup emprunté à cette dernière contrée; l'histoire de leur Zagreus, qu'ils tendaient à appliquer à l'Iacchos des mystères, n'était autre, en particulier, que celle de la mort d'Osiris, le dieu dans le culte duquel le blé, comme symbole de la vie future et de la science nécessaire au salut, jouait un rôle qui rappelait si étroitement les données des Éleusinies. Malgré la faveur dont Onomacrite et les Orphiques jouirent auprès des fils de Pisistrate, ils ne parvinrent pas dès cette époque à faire pénétrer leurs doctrines et leurs légendes dans le sanctuaire mystique d'Éleusis. Aristophane, les tragiques et les autres écrivains de même date parlent souvent d'Iacchos, mais on chercherait vainement chez eux une seule allusion qui puisse faire croire qu'alors au nom du Dionysos des mystères s'attachait un mythe pareil à celui que prônaient les Orphiques. Au contraire, pour les auteurs postérieurs à Alexandre, pour les poètes comme Callimaque, Iacchos est déjà certainement le même que Zagreus. L'époque où eut lieu l'établissement et le triomphe définitif de l'orphisme, dans la partie secrète des Éleusinies, est circonscrite par cette observation dans des limites de temps assez étroites. Dans la période historique que nous venons de déterminer, la transformation que subirent les mystères et l'introduction de nouveaux mythes dans le drame sacré furent puissamment favorisées par deux faits auxquels il ne semble pas que l'on ait attaché jusqu'ici l'importance qu'ils méritent. Ce fut d'abord le renouvellement du local où avaient lieu les initiations. L'ancien temple de Déméter à Éleusis, de proportions fort restreintes, avait été brûlé par les Perses". Pendant le temps qui suivit, les cérémonies mystiques durent avoir lieu dans un local provisoire et sans doute très imparfait. Sous l'administration de Périclès, Ictinos projeta la construction d'un .eÀEa2rjrtov ou sanctuaire des initiations i06 de proportions énormes, permettant pour le drame mystique un développement du spectacle jusqu'alors inconnu (voy. plus loin sect. V). II mourut sans l'avoir commencé, et le monument, édifié par Coroebos et par Métagère de X.ypète, fut seulement terminé par Xénoclès de Cholarge loi, succession d'architectes qui reporte certainement la dédicace du télestérion après la guerre de Péloponnèse. Il est probable qu'il y eut alors un règlement nouveau de la liturgie et particulièrement des spectacles des nuits mystiques, pour leur donner la splendeur que permettait le théâtre où ils allaient se déployer désormais. C'était une occasion naturelle pour des changements et des inovations que l'on préméditait peut-être depuis quelque temps. Déjà une première revision du règlement des mystères avait eu lieu après les guerres médiques102, par un décret dont nous possédons une partie f03. Ce règlement s'appliquait sans doute à l'installation provisoire résultant des ravages des Perses70''. L'achèvement du télestérion en appelait nécessairement un nouveau. Vers la même époque, une race sacerdotale, qui y avait été jusqu'alors étrangère, fut introduite dans les rangs supérieurs du sacerdoce éleusinien. L'ancienne famille des daduques, qui prétendait descendre de Triptolème, s'étant éteinte vers 380 av. J.-C., dans la personne du quatrième Hipponicos connu100, on confia l'office de la daduchie, le plus important de tous après celui de l'hiérophante, à la famille des Lycomides, qui avait jusque-là ses propres mystères dans le pastos de Phlya f06 [DADUcuus]. C'est dire que, malgré l'analogie de ces mystères avec ceux d'Éleusis, ils avaient leurs usages, leurs traditions et leurs doctrines propres, qu'ils apportèrent nécessairement avec eux dans leurs nouvelles fonctions et qu'ils introduisirent dans les Éleusinies. Or, les Lycomides se prétendaient dépositaires des hymnes attribués à Pamphos, à Orphée 107 et à Musée 108, qui depuis lors se chantèrent dans les cérémonies des mystères. Ils étaient donc affiliés à l'orphisme, possesseurs d'une branche des poésies falsifiées qu'invoquait cette école pour attribuer une haute antiquité à ses doctrines. Il nous semble alors qu'on est en droit de considérer le moment où la daduchie leur fut confiée comme celui même où l'orphisme s'établit avec eux en maître à Éleusis. Et c'est précisément dans la période suivante que Démosthène 100 nomme aux Athéniens Orphée comme le fondateur des mystères d'Éleusis, à la façon d'un homme qui exprime un fait généralement admis. Dans le tableau des Éleusinies que nous allons essayer de reconstituer, nous devrons prendre les mystères sous leur forme définitive et dernière, après les innovations orphiques, puisque c'est la seule forme de cette grande institution sur laquelle nous possédions des renseignements assez complets pour permettre d'entreprendre un pareil travail. C'est pour cela que nous avons cru nécessaire d'insister ici sur les époques antérieures et de préciser les phases successives qui amenèrent les mystères jusqu'à ce point de leur développement. Considérés désormais comme l'institution religieuse la plus auguste et la plus sainte de la Grèce, les mystères d'Éleusis ne subirent plus de modification sérieuse jusqu'à la fin du paganisme. Tout au plus, au temps de Lycurgue, de Démétrius Poliorcète et sous les Romains, ajouta-t-on quelques jours aux jeux gymniques et aux représentations théâtrales qui succédaient aux journées des initiations 110. La splendeur et la gloire des Éleusinies survécurent à la puissance politique d'Athènes et même à l'indépendance de la Grèce. Les plus illustres des Romains et les empereurs même, comme Hadrien 111, tinrent à honneur de s'y faire initier. [Même après que le carac ELE -MI ELE tère fondamental de l'institution eut disparu, comme le prouve l'exemple typique d'Hadrien unissant le culte funéraire de sa femme Sabine aux cérémonies même des mystères "i, l'aspect extérieur du culte resta presque immuable.] En étudiant les détails de l'organisation des mystères, nous constaterons plusieurs faits qui sont de nature à faire croire qu'en présence des progrès du christianisme et pour les besoins de la lutte avec la religion nouvelle, on réforma certains abus qui s'étaient introduits et que l'on tendit à renforcer l'institution en lui donnant plus de rigueur. Dans la même lutte, le sacerdoce d'Éleusis s'appuya aussi sur le mouvement de la philosophie néoplatonicienne et sur sa tentative de régénération du polythéisme par un nouveau système de doctrines. Aussi voit-on à cette époque plusieurs philosophes de l'école platonicienne élevés à la dignité d'hiérophantes' }3. Les Romains de la fin de la République, comme Appius Claudius Pulcher (voy. plus loin le § V), avaient ajouté par des constructions coûteuses à la splendeur des édifices sacrés d'Éleusis. On fit de même à l'époque impériale. L'incendie du grand temple sous le règne d'Antonin le Pieux, attribué aux chrétiens, fut rapidement réparé sous la direction du rhéteur Aristide w, qui exécuta des travaux somptueux, au nombre desquels il faut peut-être compter la réédification des Propylées de l'enceinte extérieure'''. La célébration des mystères se continua fort tard. interrompue momentanément "2, à la suite des édits rendus par Jovien contre les cérémonies du paganisme' 17 elle reprit après les constitutions par lesquelles Valens, cherchant à se procurer l'appui des païens contre les catholiques, permit la célébration des mystères, des jeux et des rites de toute sorte se rattachant à l'ancienne religion "e. On ne tint aucun compte à Éleusis de l'édit de Théodose prohibant l'exercice du culte païen"' et, malgré cet édit, les mystères furent célébrés encore avec éclat pendant quelque temps. Dans la décomposition de l'Empire au me siècle, l'hiérophante était devenu le premier magistrat civil d'Éleusis, de même que le professeur public de philosophie fut jusqu'à Justinien celui d'Athènes, après la cessation des archontes éponymes. Aussi était-ce un hiérophante qui avait repoussé les Goths de la ville sacrée 120, en 269, lors de leur première invasion, quand Athènes fut également sauvée par l'historien Dexippe 121 A la fin du Ive siècle de l'ère chrétienne la famille sacerdotale des Lycomides subsistait encore et se maintenait en possession de la daduchie 122 [DADUCHUS]. L'hiérophante qui initia le philosophe Maxime et Eunape, vers le milieu du Ive siècle, était un Eumolpidef23, mais le dernier de sa race. Après lui on se vit obligé de faire venir de Thespies, pour lui confier cette fonction, un chef des mystères mithriaques 124, qui n'était plus même Athénien. Ce personnage apporta sans doute avec lui les rites auxquels il était attaché jusqu'alors et les installa à Éleusis (voy. ce que nous disons dans le § V de l'existence d'une fosse taurobolique dans le péribole sacré de Déméter). Les Éleusinies, à ce dernier moment de leur existence, durent quelque peu ressembler à ces mystères syncrétiques révélés par les peintures d'une catacombe non chrétienne de Rome, où la légende éleusinienne de l'enlèvement de Proserpine s'associe au culte de Sabazios et à celui de Mithra 12o Mais le nouvel hiérophante n'était pas depuis longtemps en fonctions lorsqu'en 396 Alaric envahit l'Attique avec ses Goths. On sait qu'il épargna Athènes ; hais à É[eusis les moines qui accompagnaient son armée obtinrent de lui la destruction complète des temples et des édifices où se célébraient les mystères 126. On a retrouvé sous les décombres des grands Propylées les cadavres, reconnaissables à leurs armes, des guerriers goths surpris par l'écroulement de l'édifice 127. Après cette catastrophe; personne n'essaya de faire revivre les Éleusinies. II. Les grands et les petits Mystères. Il y avait deux sortes de mystères de Déméter liés les uns aux autres, chez les Athéniens; c'est ce qu'on appelait les petits et les grands mystères '22, ou abusivement les petites et les grandes Éleusinies. Ces deux fêtes mystiques correspondaient aux deux époques agricoles principales , mises en rapport avec les moments décisifs de l'histoire mythique des grandes déesses. Les petits mystères se célébraient, de même que les Anthestéries, dans le mois d'anthestérion, le mois de la germination printanière, représentée mythiquement par le retour ou ascension (rzvoioç) de Proserpine. Les grands mystères ou Éleusinies proprement dites avaient lieu chaque annéei2Y dans le mois de boédromion'30, c'est-à-dire, à peu de chose près, à l'époque des semailles'"' : on y commémorait l'enlèvement de Proserpine et sa descente (xzOoSo;) aux enfers. Déméter, avec sa douleur et la recherche persévérante qu'elle avait faite de sa fille, tenait le premier rang dans la fête d'automne, tandis qu'à celle du printemps la dévotion se préoccupait particulièrement de Proserpine'3z. Elle y apparaissait comme l'épouse de Dionysos 533, union mystérieuse qui faisait aussi le fond de la fête des Anthestéries [DIoNys1A, p. 238]. Aussi disait-on que les petits mystères appartenaient à Proserpine et les grands à sa mère ; pourtant celle-ci n'était point étrangère à la fête du printemps 134 [Une inscription récemment découverte à Éleusis montre qu'à une certaine époque, probablement au me siècle avant notre ère, l'usage s'établit de procéder deux fois dans l'année à la cérémonie des petits mystères. On pense que cette modification eut pour but de permettre aux étrangers, qui habitaient loin de l'Attique et qui voulaient se faire initier, de ne faire qu'une fois le voyage d'Athènes, au lieu d'être obligés de venir au printemps pour les petits mystères et en automne pour les grands. Dans ce cas, la répétition des petits mystères devait avoir lieu en automne, peu de jours avant la célébration des grandes Éleusinies. Il n'est pas probable que cette double initiation aux petits mystères eut lieu chaque année ; c'était plutôt une sorte de session supplémentaire pour les initiés étrangers qni avait lieu périodiquement tous les cinq ans, quand revenait la 7rEVTETtp(ç des Éleusinies '".] PrellerS36 et Gerhard137, frappés de l'analogie de la donnée religieuse des Anthestéries et des petits mystères [DIONYSIA, p. 239], ont cherché à confondre ces fêtes. Mais une inscription postérieurement découverte'33 a démenti la théorie des deux savants que nous venons de nommerf39. Les petits mystères avaient lieu à la fin du mois d'an thestérion, probablement le 20 et le 24fb0, tandis que les Anthestéries se célébraient auparavant, du 41 au 13 du même mois". Les Anthestéries correspondaient aux Thesmophories comme les petits mystères aux Éleusinies ; il y avait là deux groupes parallèles, constituant également la fête de printemps et la fête d'automne, la fête de la végétation et la fête des semailles. D'institution distincte, ces deux groupes représentaient à l'origine l'indépendance réciproque du culte de Déméter à Athènes et du même culte à Éleusis, au temps où les deux cités étaient religieusement et politiquement séparées''' Les petits mystères avaient pour théâtre la localité d'Agra ou A grae f 43' sorte de faubourg d'Athènes, si tué audelà de l'Ilissus, tout auprès de la fontaine Callirhoé 146. On y voyait un temple de Déméter et de Perséphoné, et un autre de Triptolème f45, lequel subsista jusqu'au temps de Stuart'". Le nom d'Agra, donné à la colline qui dominait toute la localité et s'appelait d'abord Hélicon" semble, d'après la forme habituellement employée pour désigner les petits mystères (Tâ llv 'Aypaç, forme analogue à celle que prend quelquefois la dénomination même du lieu, Tô tris A'; etxç), provenir de l'appellation d'une divinité; et en effet nous savons qu'Artémis Agraea ou Agrotera avait là son sanctuaire 148, tout comme Poseidon Héliconios y avait son autel f59. C'est exactement la même association de dieux et de cultes que nous retrouverons à Éleusis (voy. le § V). Au reste, la situation du temple de Déméter à Agrae était semblable à celle du temple Éleusinien "0, et il semble que l'on ait cherché en cet endroit à créer une petite Éleusis suburbaine, copiant celle où se célébraient les grandes initiations. Le nom de Phéréphatta était spécialement donné à Proserpine dans le culte d'Agrae f 6f, comme celui de Coré à la déesse d'Éleusis. Aussi le prêtre du principal temple d'Agrae est-il appelé €Epci àlim.l'rpos xxt tEppanâTts1ç sur son siège d'honneur au théâtre de Bacchus'''. Hercule, racontait la tradition, se présenta un jour à Athènes pour être initié aux Éleusinies; mais à cette époque la coutume était de ne point y admettre d'étrangers. Les Athéniens, ne voulant pas éconduire leur bienfaiteur, imaginèrent les petits mystères, qui pouvaient être conférés à tout le monde 163. [C'est le sujet de la peinture d'un vase trouvé en Crimée (fig. 2630) : on y voit le héros reçu par les principales divinités du mythe Éleusinien, Déméter, Coré avec sa torche et le petit Iacchos tenant une corne d'abondance, par assimilation avec le dieu IIXoûtwv dont nous avons parlé plus haut, Triptolème et Dionysos, puis Aphrodite avec Éros à ses pieds, que la religion du ive siècle adjoint, par habitude à Dionysos et qui s'introduit même officiellement parmi les divinités Éleusinienlies, enfin une figure de femme assise qui est peut-être Peitho, puis le DAnucnusdebout ettenant deux torches enflammées "4. Les furent comme Hercule initiés aux mys tères d'Agrae f 55.] On pourrait conclure de ces légendes que les mystères d'Agrae étaient, dans l'origine, destinés aux étrangers plutôt qu'aux nationaux 166 Mais plus tard ils furent considérés comme une purification et une consécration préalable qui préparait aux grands mystères, comme un premier degré d'initiation 167. Quand ELE 553 ELE Démétrius Poliorcète arriva à Athènes, il demanda d'être admis aux Éleusinies et de recevoir d'un seul coup l'initiation entière, depuis les petits mystères jusqu'à l'époptie, ce qui était doublement contraire aux règlements sacrés, d'abord parce qu'on n'était à l'époque des fêtes ni d'Agrae ni d'Éleusis, puis, ajoute Plutarque, « parce que, les petits mystères se célébrant en anthestérion, les grands en boédromion, l'époptie ne pouvait avoir lieu qu'un an au moins après l'initiation aux grands mystères 16" ». La basse flatterie des Athéniens, malgré l'opposition du daduque Pythodore, donna satisfaction au désir de Démétrius, en attribuant successivement au même mois, celui de munychion, les noms d'anthestérion et de boédromion. « Cette exception, remarque à juste titre Guigniaut 159, et bien d'autres qui suivirent, au temps des Romains, ne font que prouver l'existence de la règle antique, par sa violation même, dans la décadence des institutions politiques et religieuses d'Athènes. » L'usage n'en subsista pas moins pour le plus grand nombre, et même à l'état de règle générale, de ne se présenter à l'initiation des Éleusinies du mois de boédromion qu'après avoir passé par les petits mystères d'anthestérion f G0. C'est pour cela que, dès le début de la fête, dans les journées préparatoires elles-mêmes, le candidat à l'initiation d'Éleusis était appelé mystès ; il était déjà un initié par la vertu des cérémonies d'Agrae f61. On ne sait rien de précis, comme l'a dit Guigniautt8'-, sur les rites et les cérémonies dont se composaient les petits mystères et c'est fort arbitrairement fG3 que SainteCroix en a tracé le tableau. Il est fait mention seulement, d'une manière positive, d'une purification ou lustration accomplie sur les bords de l'Ilissus f 6.. [M. Visconti a cru en retrouver l'image sur un bas-relief recueilli dans les jardins de Salluste ; il représente une femme vêtue que paraissent plonger dans un bain deux autres femmest65: mais le sens de cette sculpture est douteux.] Preller a conjecturé 166 que la fête était du genre orgiastique et mimique i67, comme les fêtes dionysiaques en général, qu'elle se célébrait en partie la nuit, et qu'en partie aussi elle se rapportait au culte des morts 16", ce qui la rapprocherait d'autant plus des Anthestéries. Il est certain que l'initié rapportait des mystères d'Agrae un certain bagage de science religieuse, qui le mettait en état de comprendre les symboles et les spectacles qui plus tard se déroulaient sous ses yeux dans les grandes Éleusinies 169. Mais comment se donnait cet enseignement? Résultait-il uniquement des formules symboliques prononcées à certains moments de la fête par les ministres du culte, acteurs du drame mimique, comme cela avait aussi lieu dans les grands mystères? Ou bien provenait-il des communications particulières faites au myste par le mystagogue qui le dirigeait III. [MYSTAGOGUS]? C'est ce que l'on ignore absolument et ce qui ne sera probablement jamais éclairci. [On pourrait supposer que cet enseignement préliminaire portait simplement sur les divers épisodes du mythe de Déméter et de sa fille Coré. Les candidats à l'initiation étant très souvent des illettrés, des gens du peuple, il était naturel qu'on les mît d'abord au courant du drame sacré, afin que la vue même des mystères, dans la dernière phase de l'époptie, fût compréhensible à leur intelligence et éveillât en eux des émotions religieuses, capables de faire naître ensuite des réflexions intimes et morales.] Le passage de Plutarque sur Démétrius Poliocrète, que nous citions tout à l'heure, établit qu'outre les petits mystères d'Agrae, il y avait, à Éleusis même, dans les grands mystères, deux degrés d'initiation, qui ne pouvaient être reçus qu à un an d'intervalle 170. Ce second degré constituait ce qu'on appelait l'époptie, E7to11T0(y, ?irotd(a, ou l'autopsie, aètOqila 171. Nul doute qu'à cette gradation si bien établie ne correspondît une sucession de rites, de pratiques, d'instructions et de révélations quelconques, tendant de plus en plus vers ce but élevé, vers cette sorte de perfection religieuse qui est l'idée même de la TEÀETŸi, mot qui exprime à la fois l'ensemble des mystères et le dernier résultat de l'initiationf72. Il est surtout positif que l'époptie consistait dans un spectacle particulier, dans une partie du draine mystique, représentée sans doute pendant une nuit spéciale où les mythes du premier degré n'étaient pas admist73. Il va sans dire que tous ceux qui se faisaient initier aux petits mystères n'étaient pas nécessairement initiés aux grands, et que l'initiation à ceux-ci n'entraînait pas non plus, de toute nécessité, la seconde initiation, èwUTipa 1.t tç f74, qui était l'époptie. Beaucoup la négligeaient ou ne l'attendaient point; beaucoup aussi ne la recevaient que tardivement, après des formalités et des délais prescrits dans certains cas et qui dépendaient plus ou moins des prêtres d'Éleusis. C'est ce que signifient les expressions de Plutarque 176 « après un an au moins » (TOa1x-/taTOV iVtOtUTÔV aatirdsTEç). Quand Tertullien parle du quinquennium1 it, il semble bien, quoique Lobeck rejette ce témoignage 177, qu'il fasse allusion à un stage Imposé aux initiés d'Éleusis avant d'atteindre le dernier degré de l'époptief7B. III. Personnel et règlements des mystères. La hiérarchie sacerdotale attachée au sanctuaire d'Éleusis et à la célébration des mystères était fort nombreuse. Des articles spéciaux du Dictionnaire sont consacrés à chacun des prêtres qu'elle comprenait. Nous nous contenterons ici de présenter une sorte de tableau d'ensemble, sans entrer dans le détail de chaque fonction. Au sommet de la hiérarchie nous trouvons d'abord deux séries parallèles de prêtres et de prêtresses 173, qui ne s'occupaient pas spécialement des initiés de leur '70 propre sexe, mais dont l'office s'appliquait à la généralité de l'initiation des hommes et des femmes : Ces ministres supérieurs étaient choisis dans des familles déterminées d'Eupatrides ou de noblesse sacrée, l'HIÉROPHANTÈS dans celle des Eumolpides, l'HIÉROPHANTIS probablement dans la même ou dans celle des Phillides. Les daduques [DADUCRUS] appartenaient d'abord à une race qui prétendait descendre de Triptolème et dont les membres s'appelaient en général Callias et Ilipponicos; à l'extinction de cette famille, ce fut celle des Lycomides qui reçut l'office de la daduchie. L'HIÉROKÉRYx se prenait dans le sang des Kérykés, la prêtresse éponyme primitivement chez les Phillides et ensuite chez les Eumolpides. [Elle représentait peut-être le culte plus ancien et avait droit d'offrir certains sacrifices à l'exclusion de Fhiérophante leo La famille qui fournissait l'épibomios serait celle des Kérykès, d'après M. Dittenbergertel ] Les ministres inférieurs se recrutaient aussi généralement parmi les membres des trois grandes races attachées spécialement au culte d'Éleusis et faisant remonter leur origine aux fondateurs des mystères ou aux héros autochthones qui avaient accueilli Déméter et reçu d'elle la révélation des rites secrets. On les connaît presque tous. L'IACCHAGDGOS, la KOUROTROPIIOS et le BAKFRITÊS ou la DAEIRITIS figuraient spécialement dans la pompe d'lacchos. Le LIKNoPnoaos portait le van mystique ou le KERNOS, Les nYDRANOI purifiaient les candidats à l'initiation dans les lustrations par lesquelles commençait la fête. Les SPONDOPROROI proclamaient la trêve sacrée qui devait permettre la paisible célébration des mystères. Les PYRPROROI apportaient et entretenaient le feu pour les sacrifices, Le HIÉRAULÊS jouait de la flûte pendant ces sacrifices et était le chef de la musique sacrée; il avait sous ses ordres les hymnodoi et les hymnêlriai. Les NÉOKOROI entretenaient les temples et les autels, les PHAIDRYNTAI les statues des divinités. Lei PANAGEIS formaient une classe à part, intermédiaire entre les ministres proprement dits du culte et les initiés; ils avaient aussi un rôle actif dans la cérémonie. Enfin l'on comptait comme investis d'un véritable office religieux les MYÉTHENTES APR'HESTIAS ou « initiés de l'autel» de chaque année, enfants choisis par la voie du sort dans les familles d'Eupatrides, qui accomplissaient certains rites expiatoires au nom et à la place de tous les autres initiés. Les esÉseoPoTOI officiels de la république athénienne, Audoeid. De My«. 111. [Les textes et les inscriptions sur le rôle de ce magistrat dans les fêtes d'Éleusis sont réunis par Nebe, Dissert. Hal. philol. VIII, p. 117 Op. 1. p. 118. Sur les revenus et les dépenses du Trésor sacré, id. p. 132-136.] chargés aussi de figurer dans d'autres cérémonies religieuses, avaient leur place dans les Éleusinies. [Les ispoaoto( iy p:u),-'iiç représentent le conseil des Cinq-Cents; ils perçoivent les prémices de blé et d'orge, achètent les victimes pour le sacrifice et veillent àla consécration des offrandes; ils étaient au nombre de dix 182. Les inscrip atv(wv. Étaient-ils pris parmi les habitants d'Éleusis, en vertu du contrat fort ancien d'après lequel, après la soumission de leur ville à Athènes, les Éleusiniens stipulèrent qu'ils resteraient maîtres des initiations? Ou bien sont-ils les représentants officiels de la cité athénienne déléguée à Éleusis? La question est encore discutée183. Les 'Émanerai 'L' l,suatvé.0ev semblent avoir succédé aux hiéropes pour remplir des fonctions analogues 184.] La direction de toute la fête, au double point de vue de la police et de l'administration financière, appartenait à l'Archonte-Roi [ARCHONTES] 38'. C'était un dernier vestige de l'ancienne autorité religieuse des rois dans la célébration des mystères, autorité qui devait, du reste, être encore plus étendue et présenter un certain caractère sacerdotal. On en peut juger par le privilège que les Nélides et les Androclides, descendants des anciens rois d'Athènes, gardèrent sur le culte de Déméter à Éphèse4S6 et sans doute aussi dans d'autres colonies ioniennes. Pour la gestion financière des fonds des Éleusinies, dans laquelle il avait à intervenirf87, l'ArchonteRoi était assisté de quatre ÉPIMÉLÊTAI TON MYSTÊRIÔN élus par le peuple, un parmi les Eumolpides, un parmi les Kérykès et les deux autres sur l'ensemble des citoyens d'Athènes 188. Ces épimélètes s'occupaient aussi des sacrifices 189. Pour la police, l'Archonte la dirigeait exclusivement lui-même, avec l'aide de sols parèdre 190. Les Kérykès servaient d'agents sous sa direction 191. Les délits commis pendant la célébration des mystères, les contraventions aux règlements et même les accusations d'impiété touchant aux mystères, étaient déférés par l'Archonte-Roi au jugement des Eumolpides et des Kérykès constitués en HIÉRA GÉROUSIA ou Sénat sacré 152. Pour les accusations d'une nature particulièrement grave, après un premier examen par cette juridiction, elles étaient ensuite portées par l'Archonte-Roi devant le Sénat des Cinq-Cents t93 [BOULÊ] ou dénoncées à cette assemblée par les ministres supérieurs du culte 394, En vertu d'une loi de Solon, le Sénat athénien s'assemblait chaque année le lendemain du dernier jour des mystères, dans l'Éleusinion d'Athènes f8', pour entendre le rapport de l'Archonte-Roi sur la manière dont la fête avait été célébrée et juger les affaires de contravention ou d'impiété qu'il pouvait avoir à soumettre à ce grand corps 195. Enfin, quand les accusations étaient de Vlll, 9, 92. 191 F. Lenormant, Recherches, inscr. n' 28. Sur les Kérykès, voy. une étude de M. Dittenberger dans l'Hermès, XX (1885), p. 1-40. 192 Demosth. pides et des Kérykès aurait formé un conseil sacré, unique organe de la commune éleusinienne. M. Haussoullier (Le dème d'Éleusis, p 5-7) combat cette opinion et établit une distinction essentielle entre l'assemblée des démotes éleusiniens, convoquée par le démarque et traitant des affaires du dème, et l'assemblée des deux Tt ,, jouissant de privilèges religieux, Eumolpides et Korykès : cette dernière réunion avait lieu rarement, au lendemain des grandes fêtes, et jugeait des affaires concernant la cérémonie sacrée.] 183 Demosth. Corttr. Androt. p. 601; Ulpian. Schol. a. h. 1. p. 208, éd. Wolf. t0. Andocid. De myster. 1 t0-116. [Cf. Foucart, Bull. concernant la terre sacrée' de l'Orgas.] 196 Anaocid. De myster. 111. nature à entraîner la peine capitale, le jugement en dernier ressort était réservé aux tribunaux héliastiques II97 [DIISASTAI]. Mais s'il y avait flagrant délit d'impiété ou de profanation pendant la cérémonie même, le coupable, aussitôt arrêté, pouvait être conduit devant la réunion des Eumolpides et des Kérykès, jugé séance tenante et exécuté immédiatement sans appel 193. La peine de mort était portée contre toute profanation des mystères. Les biens des condamnés étaient en outre confisqués 199. La plus fameuse affaire de ce genre fut celle d'Alcibiade et d'Andocide. Ils se virent, à la suite du scandale du bris des Hermès, accusés avec un certain nombre de citoyens d'avoir, en état d'ivresse, parodié les mystères20o. Alcibiade aurait joué le rôle de l'hiérophante, en revêtant son costume. Suivant d'autres, c'est. Andocide qui aurait tenu ce rôle, Polytion celui de daduque 2Ôi, Théodore de Phégée celui d'hiérokéryx, tandis que les autres convives représentaient les mystes et les époptes 202. Alcibiade succomba sous cette terrible accusation et fut condamné à mort par contumace 205 ; les prêtres d'Éleusis prononcèrent contre le contumax leurs imprécations solennelles. Conformément à l'usage, ils secouèrent, en se tournant vers le couchant, leurs robes teintes de pourpre204, en même temps qu'ils lançaient les paroles de malédiction. L'anathème fut gravé sur une stèle de marbre qu'on érigea dans Athènes 20s La loi athénienne avait pris soin, du reste, que des accusations d'une nature aussi grave et entraînant d'aussi fatales conséquences ne pussent pas être intentées à la légère; elle frappait d'ATIMIAle dénonciateur qui n'obtenait pas au moins le cinquième des suffrages des juges en faveur de son accusation 206. De plus, considéré lui-même comme ayant commis un acte d'impiété envers les grandes déesses, il lui était interdit d'entrer désormais dans leur sanctuaire mystique; il pouvait être mis à mort si on l'y surprenait. Ces dispositions étaient aggravées par la sévérité des prêtres, dont la vigilance épiait toute tentative de profanation sur ces mystères 207. Diagoras, que l'on accusait d'avoir révélé les mystères de Samothrace 208, qui raillait la sainteté de ceux d'Éleusis, de manière à détourner de l'initiation200, et qui avait tenu des propos particulièrement outrageants sur Iacchos 290, vit sa tête mise à prix par un décret spécial, gravé sur une table de bronze, lequel promettait un talent de récompense à son meurtrier, et deux à celui qui l'amènerait vivant2''. Un peu plus tard, l'hiérophante Eurymédon porta contre Aristote une accusation d'impiété, pour avoir fait en l'honneur de sa femme un sacrifice funéraire avec les cérémonies usitées dans le culte de Déméter Éleusinienne 212. En 200 avant J.-C., le Sénat de Rome accueillait encore, comme un prétexte suffisant pour faire la guerre à Philippe V, la plainte des Athéniens contre le roi de Macédoine, qui voulait les punir d'avoir appliqué la loi rigoureusement à deux jeunes Acarnaniens cou pahles d'avoir pénétré, sans être initiés, dans le sanctuaire d'Éleusis 295. Mais c'était déjà un scandale pour les autres Grecs que ce règlement implacable, et l'on ne trouve pas que depuis lors il ait reçu d'application. Les moeurs réprouvant désormais la rigueur des condamnations pour impiété, elles tombèrent complètement en désuétude, et les lois au nom desquelles on les prononçait jadis ne furent plus qu'un thème pour les exercices de rhétorique dans les écoles 214. Au temps de l'empire romain, il n'y eut pas de pénalité judiciaire pour cet eunuque fanatique d'épicuréisme qui, voulant prouver que les dieux n'existaient pas, pénétra en blasphémant jusque dans la partie du sanctuaire où l'hiérophante avait seul le droit de se tenir ; d'après le récit d'Élien, contemporain du fait, on vit seulement un châtiment divin dans la maladie qui frappa ensuite ce personnage 213 Les simples délits portant atteinte au bon ordre de la cérémonie, les infractions aux règlements de police étaient passibles de fortes amendes. Ainsi les femmes riches d'Athènes avaient pris l'habitude de se faire conduire à Éleusis sur des chars à deux chevaux pour assister à la partie publique de la fête ; quelques-unes faisaient scandale en cherchant à se dépasser et en s'injuriant mutuellement 216. L'orateur Lycurgue, voulant y mettre un terme, fit passer un décret qui défendait aux femmes de se servir de chars dans les Éleusinies, sous peine de 6000 drachmes d'amende; sa propre femme ayant la première enfreint le décret, en sus du payement de l'amende il donna lui-même un talent au dénonciateur 217 Le second procès d'Andocide souleva la question de savoir si le fait de s'être présenté à la porte de l'Anactoron d'Éleusis ou de l'Éleusinion d'Athènes avec un rameau de suppliant, pendant la durée des mystères, constituait, comme le prétendait le daduque Canins, un crime d'impiété emportant la peine de mort, ou bien, comme répliquait Céphale, un simple délit de police, puni de mille drachmes d'amende'''. Le tribunal saisi de l'affaire la décida en faveur de Céphale. Dans tous les procès relatifs aux mystères d'Éleusis, les tribunaux, même ceux des Héliastes, ne jugeaient pas seulement d'après les lois écrites de la République, mais aussi d'après des lois non écrites et traditionnelles qui constituaient la jurisprudence sacrée du sacerdoce d'Éleusis 219 ; ces 7t«e•ptu Eûµo),7slSwv furent plus tard consignés par écrit et Cicéron demandait à Atticus de lui en envoyer une copie d'Athènes 240. [Les Eumolpides avaient seuls le droit d'interpréter les lois sacrées d'Éleusis, à l'exclusion de toutes les autres familles sacerdotales, même des Kérykès 224]. Aussi la IIÉaA GÉaousiA,par son jugement en premier ressort de toutes les affaires de ce genre, faisait-elle en réalité une véritable instruction qui définissait la nature du crime ou du délit. De plus, quand le procès arrivait devant les tribunaux de droit commun, les ministres supérieurs d'Éleusis intervenaient avec un rôle analogue à celui du ministère public et dis Laert. V, 1, 4 et 5. 213 Tit. Liv. XXXI, 14. 212 Voy. Ch. Lenormant, Mémo cle 10, p. 191, éd. Hercher; Suid. s. v. '1*0ov4c, 0, s7Ys2,eç. 216 Aristoph. Plut. ELE -:156 ELE tinct de celui de l'accusateur, pour réclamer l'application de la loi 222 ; c'est de cette façon que l'hiérophante intervint dans le procès des Hermocopides et le daduque dans le second procès d'Andocide. Quand les circonstances de l'affaire auraient pu entraîner quelque révélation de nature à porter atteinte au secret des mystères, au lieu de donner le jugement en dernier ressort aux tribunaux héliastiques, on constituait des commissions spéciales, exclusivement composées d'initiés 22' [S'il s'agissait d'ordonnances (au'yypn ai) destinées à régler certains détails du culte ou à remettre en vigueur des usages tombés en désuétude, on nommait des commissaires spéciaux (auyypaisiç) dont le pouvoir était borné à la présentation d'un règlement sur un point déterminé 224. En certains cas plus graves, comme des litiges avec les peuples voisins, des invasions du territoire sacré, on avait recours au tribunal suprême, l'Aréopage 222.] La jurisprudence traditionnelle d'Éleusis n'embrassait pas seulement les matières criminelles. Toutes les questions de droit touchant au service divin des mystères et aux devoirs, soit de l'État, soit des particuliers à cet égard, étaient jugées par la JIÉHA GÉIIOUSIA "6. De plus, on choisissait parmi les Eumolpides un exégète qui avait pour office de donner dans les cas ordinaires, sur les questions tranchées par cette jurisprudence, des décisions analogues aux responsa des jurisconsultes romains 227 La IIIÉRA GÉROUSIA jugeait aussi les questions d'état civil concernant les membres des familles sacerdotales éleusiniennes. Quand la phratrie à laquelle appartenait le daduque Caillas eut refusé d'inscrire l'enfant qu'il avait eu de Chrysiade, ce fut ce Sénat sacré qui, sur l'appel de Callias, l'admit à jurer que ce fils était bien le sien 220 Ce n'est pas, du reste, devant cette juridiction spéciale, mais devant l'assemblée du peuple et devant les tribunaux publics, que les titulaires des fonctions même les plus élevées de la hiérarchie sacrée d'Éleusis, ainsi que tous les membres des familles attachées à ce culte, Eumolpides, Kérykès et autres, étaient responsables de l'exercice de leurs fonctions sacerdotales et des actes irréguliers qu'ils pouvaient y commettre 229, en sorte que, suivant la remarque d'Ottfried Müller, les tribunaux populaires pouvaient décider en dernier ressort sur l'observation des rites d'Éleusis230 Mais l'ordre et le rituel des mystères, dans leur partie publique aussi bien que dans leur partie secrète, n'étaient livrés ni à la volonté mobile du peuple athénien ni au caprice des prêtres. Il existait des livres où se trouvaient consignées les règles à suivre dans ces cérémonies, livres dont la lecture n'était, comme de raison, permise qu'aux seuls initiés 231. C'est vraisemblable ment dans ces livres qu'avaient puisé les auteurs qui écrivirent sur les mystères, quand la prescription du secret ne fut plus observée avec la rigueur primitive. Cléanthe 232 et Mélanthios 233 composèrent des ouvrages sur les mystères en général ; Icésius 23', Démétrius de Scepsis ua et Sotade d'Athènes 236 en avaient rédigé d'analogues; Arignoté de Samos, pythagoricienne célèbre, avait écrit des traités spéciaux sur le culte mystique de Dionysos et de Déméter 237; enfin, sous le nom d'Eumolpe, les Orphiques publièrent un livre de prescriptions pour les Éleusinies, qui n'avait pas moins de trois mille vers 2'0. Ce fut, du reste, sous l'influence de cette secte, que les rites de l'initiation commencèrent à être entourés d'un secret moins impénétrable. Il est d'ailleurs probable qu'outre les livres secrets développant toutes les prescriptions de la liturgie mystique, il y avait à Éleusis un règlement sommaire des mystères, placé dans les enceintes sacrées à portée du regard des candidats à l'initiation, soit écrit sur une tablette, comme celle qu'on voyait à la porte du temple de Despoiné à Acacésion en Arcadie 2'9, soit gravé sur une stèle de pierre, comme le péti'oma de Phénée"2G0, ou comme I'inscription que l'on a retrouvée à Andania en Messénie'. IV. Les initiés et leurs obligations. L'initiation d'Éleusis était accessible aux femmes comme aux hommes. Originairement elle constituait un privilège exclusif des citoyens d'Athènes ; à l'époque de la guerre du Péloponnèse, elle était regardée comme un acte religieux presque obligatoire 212. Les étrangers et les enfants illégitimes, que leur naissance privait des droits civiques, étaient rigoureusement exclus des mystères 243. Il fallait donc qu'un individu né hors de l'Attique se fît adopter par un Athénien pour être admis à l'initiation 244, et la légende mythologique racontait qu'Hercule et les Dioscures s'étaient soumis à cette formalité 245. La naturalisation produisait le même effet, et l'on prétend qu'elle fut accordée à Hippocrate 240 et à Anacharsis 247 pour leur permettre de se présenter aux mystères. Plus tard, la rigueur de ces préceptes se relâcha dans la pratique. La loi d'exclusion des étrangers, qu'on faisait remonter à Eumolpe 240, fut toujours maintenue 210, mais on l'entendit comme faisant de l'initiation un privilège, non plus exclusivement attique, mais hellénique. L'exclusion des étrangers fut celle des barbares en général 26i et de plus, à. la suite des guerres médiques, on en prononça une spéciale, et plus absolue encore, contre les Mèdes et les Perses 251. Tous les Grecs étrangers à l'Attique furent admis dans le sanctuaire d'Éleusis à condition d'être présentés par un mystagogue athénien25' [MYSTAGoCus]. Les isotèles étaient alors placés à. ce point de vue sur le même pied que les citoyens et pouvaient servir de mystagogues 253. Le grand nombre d'exemples que l'on connaît de Romains qui furent reçus sans difficulté à l'initiation prouve que plus tard encore, quand la puissance de Rome s'étendit sur la Grèce, on leur appliqua le privilège des Hellènes, cessant de les considérer comme barbares. Et c'est ainsi que Cicéron pouvait dire que les habitants des contrées les plus lointaines accouraient à Éleusis pour se faire initier 254. Les esclaves, sauf les esclaves publics (ôruµdatot) dont la condition sociale était plus relevée 255, étaient formellement frappés d'exclusion 256, ainsi que les courtisanes 257. Mais ces dernières défenses étaient constamment enfreintes. On laissait, en effet, les maîtres se faire suivre jusque dans le téiestérion par l'esclave attaché à leur service personnel, et dès lors celui-ci avait le droit de se considérer comme initié 258. Quant aux femmes de mauvaise vie, il suffisait de la complaisance d'un mystagogue peu scrupuleux pour les introduire malgré les prescriptions contraires; les exemples de ce genre ne manquent pas 25s. La proclamation de l'hiérophante et du daduque, au premier jour de la fête, repoussait des initiations, avec les barbares, les homicides 26o volontaires ou non, du moins jusqu'à ce qu'ils eussent accompli les expiations auxquelles Hercule lui-même avait dû se soumettre'. Étaient également exclus tous ceux qui avaient encouru la peine capitale pour conspiration ou trahison 262. En revanche, les exilés, que ne frappait pas une condamnation de ce genre, pouvaient librement venir aux Éleusinies, sans être inquiétés pendant tout le temps de la fête 263. L'exclusion frappait encore les magiciens 264, et celle qui les atteignait paraît dans la suite s'être étendue nommément aux épicuriens et aux chrétiens 266. Excepté, du reste, dans le cas où il s'agissait de personnes que leur notoriété pouvait faire reconnaître à première vue par les ministres du culte, comme les citoyens condamnés pour haute trahison, ou comme Apollonius de Tyane, que l'hiérophante empêcha d'entrer en tant que suspect de magie, les défenses que nous venons d'énumérer étaient à l'état de recommandations denuées de sanction directe et positive, par lesquelles on s'adressait à la conscience des candidats à l'initiation. C'était une autre forme de celles qui, dans la proclamation initiale, demandaient aux mystes la pureté des mains et de l'âme, avec la qualité d'hommes civilisés, c'est-à-dire de Grecs, attestée par le langage "Al est certain qu'il n'y avait aucun examen tant soit peu détaillé, ni sévère, de tous ceux qui se présentaient en foule pour être admis aux Éleusinies et qui venaient, hommes et femmes, de toutes les parties de la Grèce. On peut admettre 207 qu'on leur demandait de jurer qu'ils étaient purs, ainsi que le faisait, dans les Anthes téries, la femme de l'Archonte-Roi 266. Mais il n'y avait et ne pouvait matériellement y avoir rien de plus; la confession n'était pas en usage dans les mystères d'Éleusis comme dans ceux de Samothrace 202. De ce qui vient d'être dit et des nombreux exemples que l'on cite de personnes indignes et incapables de l'initiation qui y furent pourtant admises par une complaisance répréhensible des mystagogues, il résulte que l'accès aux mystères d'Éleusis offrait dans la pratique d'étranges facilités, et que la masse des mystes présen tait un pêle-mêle qui devait être quelquefois fort peu édifiant. Lobeck l'a sans doute exagéré 376, mais Ottfried Müller et Guigniaut, bien que très favorables aux Éleusinies, sont obligés de l'admettre 271. Déjà Diogène en faisait un grief très juste contre cette institution'-72. Ce qui resta toujours un privilège particulier aux Athéniens, ce fut la possibilité d'être initiés dès l'enfance, sur la présentation de leur père 276. C'était pour les parents l'occasion d'une fête de famille dans laquelle ils recevaient des présents de leurs amis et de leurs proches 244. Le même usage existait dans les mystères de Samothrace 275. Aux Éleusinies même, chaque année, un ou deux enfants, choisis par la voie du sort dans les familles d'Eupatrides 241, étaient présentés officiellement par l'État et avaient leur rôle déterminé 277 c'étaient Ies MYÉTHENTES APH' IIESTIAS. Mais on ne pouvait recevoir dans l'enfance que le premier degré d'initiation aux grands mystères, µtSlatç ; pour être admis au second, à l'époptie, il fallait avoir atteint l'âge d'homme 276. C'est ici le lieu de dire un mot des différents termes par lesquels on désignait les initiés, L'expression la plus générale et la plus compréhensive était celle de g u'rr,ç, qui s'appliquait à tous ceux qui avaient reçu un degré d'initiation quelconque, même à ceux qui avaient assisté à l'époptie, même aux mystagogues. Comme on n'était reçu aux Éleusinies qu'après avoir passé par l'initiation préparatoire d'Agrae, ceux qui se présentaient aux grands mystères étaient déjà qualifiés de tut dès le début des cérémonies, avant le spectacle nocturne qui constituait la µutlatç proprement dite ; c'est ce que prouve le nom donné au second jour des Éleusinies, "A?tale N.vnvat. Mais on prenait aussi N.l'. r ç dans une signification plus restreinte et plus précise, quand on l'opposait à 7rd7ct7,; 279. La désignation consacrée des deux degrés d'initiation, à Éleusis même, était pr,at; pour le premier et inortTeie pour le second 280. Il en résultait que µva'l;, au sens spécial, désignait l'initié du premier degré, tandis que le nom d'€7to77T71; 281, Ou le synonyme plus rare, i opoç 282, était réservé à celui qui avait reçu la seconde initiation28a catégorie encore plus haute et plus parfaite. A l'origine l'initiation était absolument gratuite; mais cet état de choses cessa dans le cours du Ive siècle avant l'ère chrétienne. Les finances publiques supportaient les ELE -558 ,_ ELE frais des Eleusinies ; on chercha dans ces fêtes une source de revenus qui en couvrît les dépenses. En vertu d'une loi que, proposa l'orateur Aristogiton, on ne fut h us ad;3lis aux mystères qu'en acquittant un droit au lise. 221 [Dans une inscription d'Éleusis, datant de l'an 329. on trouve mentionnés les frais de l'initiation aux petits mystères de deux esclaves publics pour la somme de trois dracomes 2B',] Les rhéteurs prétendent que cette proposition fut d'abord vue d'un assez mauvais oeil et qu'elle exposa son auteur à une accusation d'impiété. Mais il est certain qu'une fois établi, l'usage de payer pour être initie, fut maintenu"' jusqu'à la fin de la célébration des .ideisinies. Pour les MYÊTHENTES APU' HsSTIAS le droit den. it être acquitté par l'État. S'il y avait dans le 1-modal, Lies ainsi encaissées un excédent sur les frais des Éleusinies, les finances de la République en bénéficiaient 2E'7. Les initiés étaient soumis à diverses observances dié ues, soit avant, soit pendant les mystères. Ils rt notamment s'abstenir de la chair des animaux, même des oiseaux domestiques 223, de poisson, du moins de certaines espèces 283, des fèves 20, des grenades et des pommes "1. Les femmes qui fêtaient les Thesmophories se soumettaient à des privations et des jeûnes analogues 202. Ainsi qu'on l'a déjà remarqué 093, ces a.bstinenc.es n'étaient pas fondées, comme chez les chrétiens, sur un principe de mortification i elles tenaient à certa -.es idées mystiques, attachées aux aliments dont l' :tait défendu. Ainsi l'interdiction des grenades ral-lortée à la légende qui disait que Proserpine co fruit lorsqu'elle fut découverte par sCalàs bos 234, ou bien è. celle qui le faisait naître du sang de Dionysos-Zagreus répandu à terre 286. L'or grue del'abstmneirre des fèves était de même nature [FABA]. Quant aux poissons, on les interdisait aux initiés parce qu'ils étaient, en vertu de leur action aphrodisiaque, des emblèmes de génération et de fécondité 296 « il n'est pas invraisemblable que quelques-unes de ces prescriptions aient été d origine asiatique ou égyptienne, puisqu'elles sont tout t rai: particulières aux religions de l'Orient. Comme les rges qui en établissent l'existence ne remontent caque. de Périclès, on peut ,,raire qu'elles se t introduites sous l'influence des doctrines sro égyptiennes » Les observances upat' nous venons d'indiquer devaient èlre tes mêmes pour les prêtres d'Éleusis et sans doute encore plus rigoureuses. La, chasteté absolue était même. exigée de quelques-uns d'entre eux t. partir de leur entrée en fonctions; c'est ce qui est probable pour l'hiérophante"8 [tlE!torHANTLs et certain pourl'hiérophantis20 [urÉ ua'aAN rlsj. Mais la condition la plus absolue et la plus rigoereu'cerlrent imposée aux initiés dans les mystères .'Éleusis était, celle du secret. 1 'hierokéryx, au début des cérémonies, le premier jour, dans une proclamation publique, recommandait aux mystes de retenir leur langue et présentait ce silence absolu comme une partie même de l'initiation 300. Un peu plus tard, au moment où les spectacles secrets de l'initiation allaient être montrés aux mystes, le mystagogue exigeait de ceux-ci le serment individuel du secret 301. Telle était la rigueur avec laquelle ce secret était gardé, que Démosthène déclarait que ceux qui n'avaient pas été initiés ne pouvaient rien savoir des mystères par ouï dire 302, Et c'est à bon droit que, prenant les choses dans leur généralité, plusieurs écrivains ont affirmé que la loi du silence n'avait jamais été sérieusement violée. Il est vrai que le législation y veillait avec une sévérité terrible. La peine de mort, accompagnée de la confiscation des biens, frappait les révélateurs des mystères aussi bien que les profanateurs'''. On ne devait pas seulement se taire, en présence des non-initiés, sur le sens et l'ensemble de la cérémonie, mais encore sur les moindres détails. Eschyle fut traduit en justice pour avoir dévoilé ou imité sur le théâtre certains détails des mystères ; il n'échappa au supplice que par le beau mouvement de son frère Aminias 301, et il dut prouver de plus que, n'étant pas initié, il n'avait pas contrevenu à l'obligation du secret302. Par ces raïsons on conçoit facilement les réticences de tous les écrivains antiques au sujet des mystères, le caractère énigmatique et obscur de leurs expressions toutes les fois qu'ils sont obligés d'en parler 3°6. Ce qui rendait les accusations pour crime d'avoir révélé les mystères encore plus dangereuses, c'était la définition vague et élastique que la loi donnait de ce i,ion+307, On pouvait incriminer autre chose qu'une révélation formelle faite à des profanes. De là le thème ancien 302 de composition oratoire qui se conserva traditionnellement dans les écoles des rhéteurs grecs, et même dans celles des latins 300, et qu'au vie siècle après notre ère Sopater 310 développait encore pour l'usage de ses élèves : « La loi punit de mort quiconque aura révélé les mystères . quelqu'un à qui l'initiation s'est montrée dans un rêve, demande à l'un des initiés si ce qu'il a vin est conforme à la réalité ; l'initié acquiesce par un signe de tête, et c'est pour cela qu'il est accusé d'impiété. » V. Les sanctuaires d'Éleusis et la Voie Sacrée. Avant d'aborder la restitution des cérémonies qui composaient les Éleusinies, il est nécessaire d'esquisser le tableau des édifices sacrés d'Éleusis qui en étaient le théâtre, d'après les indications des auteurs anciens et les vestiges encore subsistants. Il y a eu trois explorations successives des ruines d'Éleusis accompagnées de fouilles ; la première, en 1814, par une commission d'architectes anglais, qu'avait envoyés la Société des Dileltanti et qui publièrent les résultats de leurs travaux dans le bel ouvrage des Antiquités inédites de l'Attique"' ; la seconde, en 1860, par l'auteur du présent article, aux frais communs des gouvernements français et grec312, [la troisième en 1881-1888 par la Société archéologique d'Athènes "13]. Pausanias"' dit : .1 A Éleusis, il y a un temple de Triptolème, un autre d'Artémis Propylsea et un de Poseidon Pater, ainsi que le puits appelé Callichoron, où, pour la première fois, les femmes d'Éleusis instituèrent les choeurs de chant et de danse en l'honneur de la déesse. Quant à la plaine dite Rharienne, on raconte que ce fut la première semée et la première à produire des moissons; c'est pourquoi il est établi que c'est l'orge qu'on y récolte qui sert à faire les gàteaux pour les sacrifices. On y montre l'aire et l'autel de Triptolème. Pour ce qui est à l'intérieur des murs de l'enceinte sacrée, un songe m'a défendu d'en écrire, car à ceux qui n'ont pas été inities et qui sont exclus de le voir il n'est pas même permis de s'en informer ni d'en entendre parler. » Le périégète ajoute un peu plus loin an qu'en sortant d'Éleusis pour aller à Mégare on trouvait immédiatement le puits Anthion, auprès duquel les filles de Céléus avaient rencontré Déméter. Ce puits, de grande dimension, subsiste encore sur le bord de la route moderne de Mégare et sert aux habitants du village; on distingue autour les arasements d'un portique carré, ayant douze colonnes sur chaque côté et. s'interrompant sur une de ses faces pour faire place â un petit suédine" que Pausanias dit avoir été consacré à Métanire°13. L'emplacement du temple de Poseidon est encore douteuxm, mais le temple de Triptolème a laissé des vestiges certains, à L'endroit où s'élève une petite chapelle à demi ruinée dédiée à saint Zacharie; c'était l'entrée de la ville en venant d'Athènes. On y a découvert le grand bas-relief qui représente Déméter remettant à Triptolème, en présence de Proserpine, le grain de blé qu'il doit semer3ta [Tai: TOLEfrius], quelques fragments mutilés de l'architecture du temple et plusieurs ex-voto plus ou moins brisés où figurent Triptolème, assis sur un char ailé que traînent des serpents, entre les deux grandes déesses debout'''. En avant du 'emple se dressaient deux torchères en marbre de l'Hymette, de 210,50 de haut, imitant la forme des flambeaux que les monuments de l'art mettent souvent aux mains des déesses d'Éleusis. Ces deux torchères subsistent encore dans la chapelle 320 Par bonheur, tous les écrivains antiques n'ont pas gardé sur les édifices contenus dans les enceintes sacrées le même silence que le superstitieux Pausanias ; on peut donc s'aider de leurs témoignages pour l'intelligence des ruines. Le grand temple où se célébraient les initiations était à mi-côte, sur le flanc sud-est de la colline où s'élevait la ville du temps des Pélasges et qui fut p[tly tard l'Acropole. Adossé au rocher, ii avait sa façade tournée à l'est-sud-est (Il du plan ci-ini; t, fig.631) 3 '. Une double enceinte ou péribole (Q, U, Y) enveloppait le temple, et deux propylées succciab. (C., E), situés à l'angle nord-est, y donnaient a, . Cet, propylées n'étaient pas dans l'axe l'un de l'autre ; le plus in! 'sieur amenait, non sur ]a façade, mais sur le `alto temple, disposition évidemment intentionnelle, tin: pour but, aux jours de grandes fêtes religieuses, I, tic les portes des différents propylées étaient ouvertes zt. deux battants pour le passage des processions, que 'es profanes non initiés et consignés à l'entrée ne pussent apercevoir de l'extérieur rien de ce qui se faisait danse péribole le plus reculé, et à plus forte raison dans Fin t. rieur du sanctuaire. [Une balustrade ou grille, appariée sur une base de marbre, reposait sur levant 1,; iuère marche devant les colonnes extérieures des grands propylées; mais c'est sans doute une addition e' date postérieure, car on remarque que ]es pieds des rïns avaient usé déjà les arêtes des gradins sur toit la longueur322,] En avant des grands propylées de l'enceinte extérieu était une vaste place pavée, au milieu de laquelle s'élevai t le petit temple d'Artémis Propylana (A), d'ordre dorique, d'une architecture très fine et de la meilleure époque.. [On ne peut décider s'il était construit in niais, ou avec quatre colonnes de face; ce qu'on est en droit d'affirmer, c'est que le vestibule antérieur a une largeur environ double du vestibule postérieur 23, j. Aux temps romains, la place fut en outre décorée de deux autels monumentaux dédiés par les Achéens, de deux colonnes isolées surmontées de Victoires, enfin d'édicules d'or:ir corinthien 72u. Les propylées eux-mêmes, entièrement bâtis en marbre pentélique, reproduisaient trait pour trait le plan, les dispositions et les proportions ale la partie centrale des propylées de l'Acropole d'Athènes'''. ides indications d'un caractère très positif prouvent que ceux dont on retrouve les débris avaient été bâtis seulement à l'époque romaine et sous l'empire., mais ils succédé a un édifice antérieur 327. A. côté des ps on a retrouvé le logement des pylores ou gui°d portes 321. En dedans de l'enceinte et sur le banc t des premiers propylées, les fouilles ont égaler découvrir une construction souterraine de la plus bs= époque 329, dont on ne peut expliquer la destin qu'en la considérant comme une fosse taI'robolie établie là quand les mystères rnithriaques se greffent sur ceux d'Éleusis, bien peu de temps avant la destruction du sanctuaire des grandes déesses par Marie 3a° En pénétrant par les propylées, précisément dans nixe de cet édifice, on aperçoit en face de soi une grotte peu profonde, dans le pied du rocher dont le sommet portait ELE 560 ELE un dernier temple dont nous reparlerons tout à l'heure : cette grotte présente des traces incontestables de consécration, et l'on a découvert à l'entrée un puits profond, creusé dans le roc, surmonté d'une margelle cylindrique en marbre de l'Hymette, fort simple, mais dont les moulures accusent par la finesse de leur profil la belle époque hellénique. Des raisons topographiques, dont la principale se tire de l'hymne homérique à DéméterJ31, ont conduit l'auteur des fouilles de 1860 à y reconnaître la fontaine Callichoros 332. En effet, la Callichoros était située juste au pied du rocher où avait été bâti le plus ancien temple. A côté, se trouve une autre grotte, plus large, mais également peu profonde, qui avait aussi un caractère sacré "2; c'est peut-être celle à l'entrée de laquelle se dressent Déméter et Coré dans les représentations du célèbre vase d'onyx dit de Mantoue ur. Cicéron parle â deux reprises 335 d'un propylée que fit construire à Éleusis son prédécesseur dans le gouvernement de la Cilicie, Appius Claudius Pulcher, frère du fameux démagogue Clodius. C'était celui de l'enceinte intérieure (E), ainsi que l'établit l'inscription dédicatoire latine découverte dans les fouilles'''. Cet édifice était de plus petite dimension que les propylées du premier péribole. En combinant les données recueillies par les architectes anglais 337 et celles qui proviennent des excavations plus récentes, on peut se faire une idée corn plète de la disposition du bâtiment et de son architecture, d'une élégance étrange, avec son entablement composite et ses chapiteaux corinthiens dont l'abaque est soutenu aux angles par des lions ailés et cornus. La frise, à triglyphes et métopes, présente une série de symboles relatifs au culte des grandes déesses 338. [Ces propylées ont eu, à une certaine époque, trois portes; mais à l'origine, il n'y en avait probablement qu'une, car les deux passages latéraux sont exécutés d'une façon très maladroite 339. M. Julius a exprimé l'opinion que ces petits propylées existaient déjà à l'époque grecque et qu'Appius Pulcher s'est contenté de les restaurer et de les agrandir 3a0.] A l'occasion des propylées d'Appius, il'faut signaler une curieuse méprise des architectes de la Société des Dilettanti, qui a eu son écho jusque dans quelques-uns des travaux les plus savants dont les Éleusinies ont été l'objet 3f1. On remarque sur leur plan deux longues ELE 564 ELE rainures régulières et parallèles, taillées avec soin, disent-ils, dans le pavé en pente de l'entrée centrale. Ces mystérieuses rainures ont beaucoup préoccupé les savants et les architectes. On y a vu les traces d'une machinerie compliquée, destinée à épouvanter les initiés par des effets de fantasmagorie grossière, en leur faisant croire que la terre allait céder sous leurs pas. Mais le premier fondement de toutes ces hypothèses, les fameuses rainures, n'existent pas. Il y a seulement dans le pavé deux sillons peu profonds, irréguliers et serpentants, dus manifestement à l'usure produite par le passage des eaux pluviales qui descendaient de l'intérieur de l'enceinte. Le grand temple ou sékos (L) occupait une très notable partie du téménos enveloppé par le second péribole. De nombreuses édicules (P) se pressaient autour; on distingue encore les vestiges de quelques-unes, mais malheureusement aucun texte antique ne nous renseigne sur leur destination. Nous savons seulement qu'un certain nombre de corporations religieuses attachaient un très grand prix à posséder leur petit sanctuaire propre dans l'enceinte mystique, à côté de l'Anactoron. C'est ainsi qu'une inscription 342 parle de l'autel et de la chapelle particulière que les Dionysiakoi technitai [DIONYSIACI ARTIFICES] y possédaient dans ces conditions. De plus, comme à l'Acropole d'Athènes, à Delphes, à Olympie, tout un peuple de statues et d'offrandes de toute nature dédiées aux grandes déesses remplissait les parties du téménos où ne s'élevaient pas des édifices 3:3 En 1860, on a poussé des recherches dans l'intérieur de cette enceinte, partout où l'on pouvait espérer rencontrer l'ouverture des souterrains admis par un si grand nombre d'érudits, et l'on est arrivé à se convaincre pleinement de leur non-existence. A très peu de distance après les propylées d'Appius, on remarque un morceau de rocher détaché en avant du promontoire qui domine toutes les enceintes et la grotte du puits Callichoron. C'est sur ce rocher que s'élevait la statue colossale de Dé méter, dont la partie supérieure, après être demeu rée pendant des siècles gisante sur le sol, tout auprès, a été transportée en Angleterre et se voit dans la bibliothèque de Cambridge (fig. 2632) ". Le sommet du rochera été, en effet, coupé horizontale ment de main d'homme pour porter la statue et on y voit une cavité circulaire, très profondément creusée, dans laquelle était encastré l'énorme tesson qui fixait le colosse 346. Dans le fragment conservé, Déméter a la tête surmontée du CALATHUS mystique , que décorent une série de symboles sculptés en relief. Le gorgeneion placé sur sa poitrine la caractérise, ainsi que l'a remarqué M. Guigniaut 346, comme la déesse représentée sous sa forme sombre et terrible, en Déméter Achaea ou Affligée, III. retenant les germes confiés à la terre et en empêchant le développement, telle que l'hymne homérique nous la montre, assise dans son temple d'Éleusis, jusqu'à ce que Jupiter eût ordonné à Mercure de lui ramener pour un temps sa fille 3`7. 11 est certain qu'on montrait dans l'enceinte mystique d'Éleusis, non loin du puits Callichoron, un rocher consacré, appelé âyéaxaro; 3tirpx, « la pierre triste 363 », où l'on racontait que Cérès était venue s'asseoir, absorbée dans la douleur de la perte de sa fille, pendant le temps qu'elle avait passé dans la de meure de Céléus 3'r9. On faisait voir à Salamine une autre âyéiaaro; a=rpa, consacrée par la même tradition 35Q et Mégare se vantait de posséder également, sous le nom d'av:tx?,716pi; 7d-tp«, une roche d'où Déméter avait appelé sa fille avec de grands cris de désespoir351. En rencontrant dans le téménos le plus saint d'Éleusis, tout auprès du Callichoron, au pied du promontoire rocheux où s'élevait le plus ancien sanctuaire du culte mystique, un rocher isolé, consacré par la piété des adorateurs de Déméter et sur lequel on avait dressé un colosse de la déesse sous sa forme d'« affligée », il est bien difficile de ne pas considérer ce rocher comme étant la « pierre triste» elle-même. C'est en avant de la façade du grand temple, tout auprès de l'angle est de l'enceinte, qu'était situé 352 l'autel monumental destiné aux sacrifices, dont il a été déjà question dans cet ouvrage [ARA] et dont la frise portail une série de symboles du culte de Déméter 353 (fig. 2633). Venons maintenant au grand temple lui-même (I1,L), dans lequel se célébrait la partie essentielle des mystères, les représentations des nuits sacrées. Strabon 354 l'appelle uuartxbç a7ix4ç, d'autres auteurs rE,Earr,ptpov ou uéyaeov, ce dernier mot plus spécialement appliqué aux temples de Cérès et de Proserpine 355; mais le nom qu'on lui voit le plus habituellement donné est celui d'ûv«xropov ou « palais » des Grandes Déesses. C'était le plus vaste des édifices sacrés de la Grèce, celui que ses dimensions rendaient capable de contenir le plus de monde dans ses murs. Strabon 356 dit qu'il pouvait renfermer la même foule qu'un théàtre. Aristide, exagérant ces données, rapporte que toute la population d'Athènes '71 Eb,E 562 _ ELE eùt ienu dans le temple 1 Éleusist En effet, ]'aire :] °t occupait, laciiement reconnaissable, sur• nsions de tous les autres temples de la Flie a 68 mètres de long et 54m,66 de large, c'est 3716m",88 de superficie, espace dont la, cella tient tt-à-dire 53m,33 de longueur sur la même largeur e 66. [Les fouilles de la Société archéologique, 's 1 M, Philios, ont permis de constater, d'après apport " que le sèkos avait contenu 42 colonnes et que l'on distingue plusieurs époques successives dans les constructions : l' un édifice primitif dont la date reste indo'teri' inée; ; .° les substructions du temple détruit par les Perses ; 3° la reconstruction du même sanctuaire, qui date sans doute du temps de Cimon; 4° le nouveau temple élevé sous Périclès; 5t la construction du portique de Philon; 6° la transformation de la partie extérieure du sééos qui date probablement de l'époque romaine.] Strabon 35' attribue t. Ictinus la construction du temple d'Éleusis comme celle du Parthénon. Vitruve 360 rapporte qu'Ictinusavait faiteet édifice d'ordre dorique, mais sans colonnes à l'extérieur, et que ce fut sous l'administration de Démétr-ius de Phalère que l'architecte Philon ajouta un portique en avant de la façade (F). Plutarque u' nous a conservé les plus précieux détails sur l'histoire de la construction du corps de l'édifice avant l'addition du portique de Philon ; il résulte de son texte que, si ce fut Ictinus qui conçut le plan de l'Anactoron d'Éleusis, ce ne fut pas lui qui l'exécuta. o Coroebos commença les travaux et éleva le premier ordre des colonnes intérieures avec leurs architraves, Après sa mort, Métagène de Xypète y ajouta la frise qui séparait les deux ordres et les colonnes supérieures ; enfin Xénoclès de Cholarge construisit le toit avec soi. ouverture centrale. L'édifice avait sa façade regardant la chaîne du mont Corydalios. Le fond de ]a cella était adossé au rocher (K) taillé perpendiculairement de main d'homme à cet endroit et formant, derrière le temple, une longue terrasse qui dominait l'ensemble du térrénes., L'anaetoron n'avait pas de colonnes latérales et présentait sur ses flancs, c ? ; e sur ;sa face postérieure, un simple mur, revêtu intérieurement et extérieurement de marbre noir, couronné d'une irise dorique, à triglyphes et à métopes, en marbre pentélique. On possède tous les éléments de la restitution de la façade du temple (H) et du portique de Philon (F), entièrement exécuté en marbre pentéliqueJev, (Sur l'intérieur de la cella les connaissances sont aujourd'hui plus complètes qu'en 1814 et en 1860, où l'an n'avait pu faire aucun sondage dans le centre et dans la partie antérieure, Les travaux de, la Société archéologique d'Athènes, si bien résumés et éclaircis par le plan d?i à M. Blavette (fig. 2631), ont déblayé toute la partie occupée par le aè/,os et par le portique de Philon. On a constaté que l'édifice, avant l'addition rtn portique de Philon (303 a v, J.-C.) n'avait ni por te, ai cella, ni opisthodome, ni. rien qui rappelât l'ordnnnance accoutumée d'un temple grec Il se composait d'une immense salle, sans division intérieure, munie sur toril, le périm.étre intérieur de huit gradins taillés dans le roc (K) ; le plafond était supporté par six rangées de sept colonnes, chacune en pierre poreuse reposant sur des hases cylindriques en marbre noir d'Éleusis 353. La plantation des colonnes offre quelque irrégularité dans les rangs qui vont de l'est à l'ouest, bizarrerie de disposition dont on n'a pas encore trouvé l'explication, La décoration intérieure n'a jamais été achevée, comme le prouve la présence des tenons destinés à disparaître au moment du ravalement définitif : il en est de même pour le portique de Philon, dont les colonnes ne sont cannelées qu'en haut et en bas. Au milieu de la salle une saillie du rocher (L) subsiste, haute de Om,28 ; elle supportaitprobablement un motif central. M. Blavette a démontré 354 au moyen des nouvelles fouilles, que l'ouvrage des Dilettante supposait à tort une erreur de Vitruve mentionnant l'adjonction d'un portique de douze colonnes en avant de la façade, Il n'y a pas non plus d'espacement anormal entre la colonne d'angle et celle de la façade principale, car on a retrouvé entre les deux la trace d'une autre colonne qui ne figure pas sur le plan de l'ouvrage anglais. Le même plan est encore inexact en ce qui concerne les portes de la salle : outre la façade principale, qui avait une porte à gauche et une à droite (H), et non pas une seule au milieu, chaque façade latérale portait une ouverture dans l'axe de l'avant-dernier entre-colonnement du fond (J,J). Enfin, contrairement à ce qu'avancent les Dilettanti 355 le sol du sèkos n'est pas à un niveau plus bas que celui du portique ; au contraire, vers le fond, il est plus haut d'un demi-métre. Il ne peut donc plus être question de la crypte établie en sous-sol et destinée aux apparitions des pannychies, dont on fondait l'existence sur un texte d'Himérius mentionnant tieixa'rw 2ɵevo53 a. La différence des niveaux sur ce sol mouvementé dans toute la périphérie de l'enceinte sacrée suffit à expliquer ce terme] La, terrasse longue et étroite qui régnait derrière le temple et à laquelle donnent accès des escaliers (X,X) taillés dans le roc, en dehors du sèkos, n'offre aucune trace de constructions. A sept mètres environ au delà de l'angle nord de la cella d'tctinus, cette terrasse aboutit à un perron de six marches qui conduisait à un dernier petit temple tétrastyle, occupant la plate-forme supérieure du promontoire de rochers qui dominait le puits Callichoron et la Pierre Triste. Ce temple (S), auquel a succédé une église dédiée à la Vierge, avait sou entrée au sudouest, juste en face de la plus grande longueur de la terrasse. C'est là, d'après les expressions formelles de l'hymne à Déméter, qu'avait été construit le premier temple de la déesse, temple épargné par, les Doriens dans leur invasion, suivant le dire du rhéteur Aristide, mais dévasté par Cléomène, roi de Sparte3e', et brûlé par les Perses avant la bataille de Platées 366. En effet, cet édifice s'élevait sur un rocher projeté en avant, sous le mur de la ville pélasgique, qui devint plus tard celui de l'Acropole, et immédiatement au-dessus du Calllchoron a5s. Strabon 370, du reste, distingue soigneusement o. dans l'intérieur du téménos mystique », comme deux monuments tout à fait séparés, le temple de Déméter Éleusinienne, c'est-à-dire l'ancien temple recon ELE 563 ELE struit, et le »uestxiis anxôç ou Anactoron, projeté par Ictinus. Ce temple de Déméter, distinct de l'Auaetoron, ne peut absolument être que celui qui couronnait la plate-forme culminante. A. Athènes même, il y avait un temple qui jouait un grand rôle dans les fêtes des mystères ; on l'appelait « l'Éleusinion de l'Asty », €v zrrnt 'E)sEtdrC1ltov 371, ou bien « l'Éleusinion sous la ville », 831. 'do àA Il était situé au bas de l'Acropole, et en même temps à l'extrémité de l'agora opposée à celle où se terminait la rue des Hermès 373. Son emplacement précis est fort difficile à déterminer dans l'état actuel et dépend de l'obscure question du site de l'Agora "4. Le tombeau d'Immarados, fils d'Eumolpe, se montrait dans l'enceinte de l'Éleusinion d'Athènes. La route qui menait d'Athènes à Éleusis était jalonnée de sanctuaires sur tout son parcours et participait de la sainteté de la ville à laquelle elle aboutissait ; on l'appelait par excellence en Grèce la « Voie Sacrée 37a » Les autres voies sacrées, comme celle de Delphes, devaient être désignées par des épithètes spéciales. Polémon le Périégète avait consacré un ouvrage entier à décrire les édifices qui bordaient cette voie et à raconter les traditions qui s'y rapportaient376. Pausanias y emploie deux chapitres. Un certain nombre d'érudits modernes se sont occupés des vestiges antiques qui subsistent encore aujourd'hui sur la route d'Athènes à Éleusis et ont essayé de les rapprocher des indications de Pausanias et d'autres auteurs 377. La voie partait de la porte Dipyle378, appelée aussi Thriasienne37s et Porte Sacrée'». Immédiatement ad sortir de la porte était le tombeau d'Anthémocrite, héraut mis à mort par les Mégariens au début de la guerre du Péloponnèse, quand il leur apporta la défense de mettre en culture les champs sacrés d'Éleusis appelés hiéra argas 381. On a retrouvé tout un ensemble de monuments funéraires importants qui bordaient la route après la sortie du Dipylon382 Traversant ensuite le bourg de Skiroll", auquel se rattachait le souvenir d'un devin nommé Skiros, venu de Dodone à Éleusis et tué dans les rangs des Éleusiniens lors de leur guerre contre Érechthée386, et où se célébrait la fête des SKIROPHORIA 386, la Voie Sacrée gagnait le bois des oliviers, si poétiquement décrit par Sophocle386, qui le met en rapport avec les traditions du culte éleusinien. Elle y rencontrait d'abord le dème des Lakiades367, avec le téménos du héros éponyme Lakios ou, puis un autel de Zéphyre 389 et arrivait à l'endroit que marque aujourd'hui l'église de Saint-Babas 3a0, laquelle a succédé au temple consacré à Déméter, Coré, Poséidon et Athèn.e dont parle P u,ania. °4t. Ce temple avait été bâti sur le site de la maison du hélios Phytalos, que l'on prétendait avoir hébergé Cérès pendant, ses courses à la recherche de sa fille et a-soir reçu de la, déesse, en récompense de son hospitalité, le premier plant de figuier. On montrait encore à cet endroit le figuier donné par Déméter, d'où le lieu avait reçu le nom de a Figuier sacré, » 'loVA dut 3l2 Ce n'était pourtant pat; la famille des Phytalides, prétendant descendre de Phyta,los, qui desservait le temple, car elle avai@ été attachée au culte d'Égée, père de Thésée303. Le sanctuaire du Figuier Sacré était le siège des sacra gcnttilities des Géphyréens 39G, venus de la Béotie en Attique et descendants, d'après Hérodote, des compagnons de Cadrans'. La Déméter du temple était appelée Géphyo nea 366 ; on y conservait un palladium tombé, disait-on, du met sur le pont du Céphisess7 Le pont lui-même, théâtre des GFPHVRISMOi, était situé â. peu de distance. La tradition le disait bàti d'abord par les Géphyréens 383, mais il avait été refait magnifiquement au me siècle avant l'ère chrétienne par un certain Xénoclés de Lindos 3s9 probablement le même que le Rhodien anonyme dont Pausanias ioe signale le vaste tombeau un peu plus loin, sur la, Voie Sacrée. Entre le figuier sacré et le pont etait le lieu nommé Écho 603, d'après les minahales mystiques, éi i ov6c2 [ECUEJON], que les ministres sacrés d'Éleusis y faisaient retentir au retour de la procession des nssystes à Athènes403 Un peu au delà du Céphise athénien venaitl.'autet de Zeus Meillchios 4Q1, oh Thésée avait été purifié psi' les enfants de Phytalos du meurtre des brigands et en partica fier de celui de son parent SinisL05 puis un petit temple consacre à lacchos Kyamitès 676, au dieu déchiré par tes Titans dont le sang avait fait naitre la fève" Les réticences superstitieuses de Pausanias au sujet du niylhe essentiel de ce temple en prouvent l'importance mystique [FADA]. A partir de cet endroit la route s'élevait pour atteindre le défilé du mont Corydallos "' Nous attachant exclusivement aux hem: sac v qui bordaient la voie, nous ne nous arrêterons pas aux deus sépultures monumentales que Pausanias signale à l o la du défilé 50°. Un peu plus loin, dans sa partie culm ale,, se trouvait un temple d'Apollon, temple c ab; auquel a succédé le monastère de Daphad °'0 Ce etait d'abord, suivant ce que nous apprend Pausan;e s a dédié à Apollon seul. 11 n'avait aucune retation avec la religion d'Éleusis et ii =.e rattachait directement au culte ELE 564 ELE national des conquérants ioniens pour l'Apollon Patroos4f2, culte que ceux-ci avaient installé dans l'Acropole d'Athènes, où ils l'avaient enté sur les vieux cultes pélasgiques des Cécropides. Le dieu y était seulement associé alors à Minerve, la compagne habituelle d'Apollon Patroos et sa mère dans les mythes spéciaux à cette forme d'Apollon'f3. Plus tard le sanctuaire du mont Corydallos fut agrégé à la religion d'Éleusis. Déméter et Coré y devinrent, à côté d'Athèné, les compagnes associées d'Apollon L1b, ce que facilitèrent certainement les analogies que l'on tendit à développer entre Apollon Patroos et Dionysos ou l'Iacchos des mystères 416. Au reste, l'association d'Apollon aux grandes déesses est le point caractéristique du culte triopien'•16, l'une des formes les plus importantes de la religion de Déméter; le nom de Triopas4{7 qui se fit, lui et sa descendance, fondateur du culte de la déesse à Argos418 et à Cnide419, indique un rapport certain avec l'Attique. En descendant le défilé dans la direction de la baie d'Éleusis, on rencontrait un temple d'Aphrodite b20, dont on voit aujourd'hui encore les décombres, avec les restes d'une muraille d'un style aussi primitif que celles de Tirynthe, signalée déjà par Pausanias comme étant en avant du temple 421. Le rocher auquel était adossé le sanctuaire est rempli de niches pour les offrandes votives42a dont quelques-unes accompagnées d'inscriptions623 Débouchant ensuite au bord de la mer, la Voie Sacrée tournait à droite et longeait le rivage jusqu'à ce qu'elle atteignit les Jlheitoi, `Pei-roia24. On appelait ainsi deux petits lacs salés, alimentés par des sources situées au pied du Corydallos, qui se déversent dans la mer; comme le niveau de leurs eaux change plusieurs fois par jour, à cause du caractère intermittent des sources, on croyait à une communication mystérieuse entre ces lacs et l'Euripe 420. On leur attribuait un caractère de sainteté toute particulière ; l'un était consacré à Déméter et l'autre à Coré"; les prêtres d'Éleusis seuls avaient le droit d'en pêcher les poissons. Les Rheitoi dépassés, l'endroit précis où la Voie entrait dans la plaine Thriasienne est appelé par Pausanias 42' « le palais de Crocon, » héros donné pour mari à Sæsara, fille de Céléus, et qui, d'après le périégète, jouait un rôle spécial dans les traditions du dème urbain des Scambonides. C'était l'ancienne frontière des royaumes mythiques d'Athènes et d'Éleusis. La plaine Thriasienne devait son nom au dème de Thria, qui en occupait le centre 426. La Voie Sacrée, dans cette plaine qu'elle traversait jusqu'à Éleusis, se tenait à peu de distance du rivage de la mer et rencontrait encore trois lieux consacrés, dont les deux premiers ont laissé des vestiges reconnaissables 429. C'étaient l'héroon d'Eumolpe, recouvrant, disait-on, sa sépulture celui d'Hippothoon m, héros éponyme de la tribu Hippothoontide à laquelle appartenait Éleusis, enfin celui de Zarex 432, qu'on disait avoir été instruit dans la musique par Apollon luimême 633. On atteignait ainsi la petite rivière du Céphise éleusinien, sur laquelle l'empereur Hadrien fit construire, l'année de son initiation, un pont monumental 434, enfoui maintenant en grande partie dans le sol435. C'est au passage de ce Céphise que se trouvait le lieu nommé Érinéos, où la tradition locale d'Éleusis plaçait la descente aux enfers de Pluton enlevant Proserpine 436, et aussi la victoire de Thésée sur le brigand Procruste 437 Quelques pas encore, et l'on arrivait à l'entrée de la cité d'Éleusis, à la porte voisine du temple de Triptolème. Les champs de Rharos, si fameux dans la légende éleusinienne, avec leur « aire de Triptolème 438 , s'étendaient immédiatement sous les murs de la ville, du côté du nord. VI. La fête publique des Éleusinies. On distinguait dans les mystères d'Éleusis quatre actes successifs : 1° la purification, xxOapctç ; 2° les rites et sacrifices qui préludaient à l'initiation, atiaraatç ; 3° l'initiation propreavons déjà dit que la 2S] atç et l'inosrEia constituaient deux degrés obtenus par des moyens analogues, par l'assistance à des spectacles interdits aux profanes, et qu'on ne pouvait les recevoir qu'après un an au moins d'intervalle. Les trois premiers actes étaient, au contraire, continus : la o Oapatç et la aûataatç constituaient la partie publique de la fête des Éleusinies, à laquelle tout le peuple pouvait assister, la ta tç la partie secrète, renfermée dans les enceintes sacrées d'Éleusis et réservée aux seuls mystes. Après qu'elle était terminée, la fête publique reprenait pendant quelques jours marquée principalement par des solennités agonistiques et par le retour des mystes à Athènes. La fête des Éleusinies était annoncée par l'envoi des spoNDOPHOItoI chargés de proclamer la trêve sacrée 460. En effet une trêve analogue à celle des jeux olympiques protégeait la libre circulation des mystes. Dans la guerre avec les Lacédémoniens qui précéda la paix de Trente ans, cette suspension d'armes sacrée fut assurée par un traité entre les belligérants, dont le texte nous a été conservé par une inscription 441 ; il y est dit qu'elle devait s'étendre du 15 gamélion au 10 élaphébolion pour les petits mystères et du 15 métagitnion au 10 pyanepsion pour les grands. Pendant la guerre du Péloponnèse, après l'occupation de Décélie, la trève mystique ne fut pas respectée par les Spartiates et, devant les menaces de leurs coureurs, on dut pendant plusieurs années renoncer à faire aller par terre la procession des mystes d'Athènes à Éleusis". [Dans la journée du 14, jour qui ne fait pas partie des Éleusinies proprement dites, les éphèbes, convoqués officiellement par leur cosmète et partis d'Athènes le 13, allaient prendre à Éleusis certains objets sacrés, tepci, qui devaient figurer dans le cortège officiel"' : il s'agit sans doute du calathos et de la ciste renfermant les objets mystiques, ou plutôt encore des idoles sacrées représentant Déméter et sa fille. La procession faisait halte, au retour, près du Figuier Sacré 444. C'est à tort qu'on a voulu placer cette cérémonie au 16 boédromion, ou même au 18 et au 1. 944° : l'inscription citée dit formellement, l'va Tilt TETpâ t irl SÉrx 7tapx7téuJ.ddaty Tâ tepâ cty,pi Tot 'L)e'jato (ou TOU Û7[0 TAC I d?eI.] Le premier jour des Éleusinies était le 15 du mois de boédromion"'. Il était appelé âyupadç, « rassemblementah7, » parce que les mystes s'y rassemblaient, sous la conduite de leurs mystagogues qui devaient diriger leur conduite et tous leurs mouvements pendant la durée des cérémonies 448, comme ils les avaient préparés à l'intelligence de ce qu'ils allaient voir [MYSTAGOGUS]. Ce rassemblement se faisait avec un certain tumulte, que l'on semble même avoir affecté, par contraste aveu la tenue grave et silencieuse que les mystes gardaient ensuite"49. Le lieu de la réunion paraît avoir été le portique appelé Poecile b50, car c'est là qu'avait lieu ce qu'on appelait « la proclamation » 7tpdapoictç ouitpdppnctç. L'Archonte-Roi, chargé de la police de la fête, y prenait d'abord la parole pour intimer l'ordre de se retirer à tous ceux qui se trouvaient sous le coup de poursuites ou de condamnations pour crimes entraînant incapacité de prendre part aux mystères"o1 L'hiérophante et le daduque faisaient ensuite la 7tsdppolatç proprement dite 452, dans laquelle ils proclamaient les conditions exigées pour l'admission aux mystères453 avec l'exclusion des barbares, des homicides et des impies", et recommandaient aux mystes d'avoir les mains et l'âme pures, de même que leur langage attestait leur qualité de Grecs et d'hommes civilisés 455. Chaque mystagogue répétait ces recommandations au groupe de ses mystes 456. Enfin l'hiérokéryx annonçait l'obligation du secret absolu, ordonnant aux candidats à l'initiation de ne pas révéler les mystères et les engageant à garder le silence, à ne pas même prononcer d'exclamations ". On publiait aussi dans ce jour un programme des cérémonies", dont il était donné connaissance aux mystes et que les mystagogues devaient particulièrement savoir à fond pour en rappeler les dispositions à ceux qu'ils guidaient. La seconde journée de la fête est fixée d'une manière positive au 16 boédromion par la victoire navale que Chabrias remporta à Naxos, après avoir choisi ce jour sacré pour livrer bataille avec la protection des dieux". On appelait cette journée °Aax,E uA-mi, « à la mer les mystes'.G0 », parce que les candidats à l'initiation se rendaient en troupe au bord de la mer pour se purifier en se baignant dans son eau, que l'on considérait comme possédant une vertu lustrale toute particulière 461 ; chacun d'eux y portait avec lui et y lavait dans les flots le jeune porc qu'il devait sacrifier le lendemain 462. C'est là évidemment que le ministre spécial des purifications, appelé IIYDRANOS463, remplissait son office. Les initiés etaient alors revêtus d'une simple peau de faon ou NÉBRIS 464, usage emprunté au culte de Dionysos : Arignoté, dans son ouvrage sur le culte de Déméter, avait disserté sur le sens de ce rite, appelé ve6ptaptd;. [Ce costume est nettement indiqué dans un relief sculpté sur un vase de marbre trouvé à Rome : on y voit différentes scènes relatives aux mystères, un initié ou un mystagogue debout devant les grandes déesses, la xo] upatç avec l'élévation du van mystique [vANNUS] au-dessus de la tête de l'initié voilé, enfin le sacrifice du porc (fig.26344)46a Le dernier personnage placé à droite porte la nébris. Le même motif est reproduit sur un bas-relief du musée de Turin "6.] On a disputé'" sur le lieu où les mystes se rendaient, à cause d'un passage de la Vie de Phocion par Plutarque, où il est question d'un myste se baignant avec son porc dans le bassin Cantharos au Pirée 46a. Mais on n'a pas suffisamment remarqué que le passage de Plutarque ne se rapporte pas à des circonstances paisibles et normales, d'où l'on puisse inférer ce qui se passait dans une célébration régulière des Éleusinies. II s'agit d'un fait arrivé quatre jours avant l'entrée des troupes d'Antipater à Athènes, quand l'armée macédonienne marchait sur la ville, sans respect pour la trêve sacrée. Rien de plus naturel que de penser qu'une raison de prudence et de force majeure avait empêché cette année-là d'envoyer les mystes au lieu ordinaire de leurs ablutions, et qu'on les avait fait aller simplement au Pirée, sous la protection des Longs-Murs. En temps normal, nous le savons d'une manière positive, c'est par la Voie Sacrée que les mystes s'en allaient à la mer469, et c'est dans les Rheitoi qu'ils se purifiaient par des ablutions 47°. C'est là, sur la plage au sable fin de la baie d'Éleusis, qu'au jour de la cérémonie sacrée Phryné se montra une fois aux regards émerveillés de la foule, sous l'aspect de Vénus Anadyomène 4if. Il est probable que chacun ne se purifiait pas de la même manière, mais que le nombre et le mode des ablutions variait, suivant les indications des mystagogues, d'après les fautes dont le myste reconnaissait avoir à se laver 672, C'est évidemment le même jour des purifications, soit en allant aux Rheitoi, soit en en revenant, qu'auprès dé l'autel de Zeus Meilichios, sur la Voie Sacrée 47', quelquesuns des mystes 474 se soumettaient à une purification spéciale et particulièrement compliquée qu'on appelait mos xoDloN (fig. 2450). [Il y a sans doute une allusion à ce rite dans le groupe central de la figure 2634, où l'on remarque à terre une corne de bélier immolé sur laquelle l'initié paraît poser le pied, pendant que le prêtre procède à la xOupen; au moyen du van mystique 475.] On disait que cette cérémonie avait été pratiquée pour la première fois, par les enfants de Phytalos, pour purifier Thésée du meurtre des brigands s74; il est donc possible qu'elle fût réservée à ceux qui avaient à se laver de la souillure d'un meurtre excusable avant de pouvoir se présenter à l'initiation. Le 17 était la grande fête publique dans la partie de la solennité qui avait Athènes même pour théâtre. Ce jour--là, l'Archonte-Roi4'', offrait « à Déméter, à Coré et aux autres dieux, pour le Sénat et le peuple, et pour le bien des femmes et des enfants 478, » le grand sacrifice public appelé 'n pta, qui avait lieu également lors des petits mystères 479. Le lieu de ce sacrifice était l'Éleusinion d'Athènes460. Les villes étrangères y envoyaient des représentants 4n. Après le sacrifice public venait le sacrifice privé. Chacun des mystes immolait, sans doute dans l'enceinte de l'Éleusinion, le porc mystique, yoéaoç p.ue4txôç 4a2, qu'il avait lavé avec lui la veille dans la mer. [La déesse elle-même est représentée souvent avec cet attribut caractéristique, comme on peut le voir en parti. culier dans une terre cuite trouvée par l'auteur dans la nécropole d'Éleusis (fig. 2633) 48'.] Un grand nombre de terres cuites antiques reproduisent ce motif 484 ; l'immolation du porc, appelée Otloc L85, est retracée dans une série ( de bas-reliefs et de peintures l (voy. t. I, fig. 1310) 400. Le même jour, les particuliers offraient également un porc comme sacrifice domestique 48'. «Auguste et vénérée Déméter, » s'écrie Xanthias dans les Grenouilles d'Aristophane 488, au moment où va paraître le choeur des mystes, « quelle délicieuse odeur de porc rôti je respire! » Le 18 et le 19 étaient de nouveau des jours ouvrables pour ceux qui ne participaient pas à l'initiation de l'année, et l'on possède des décrets qui en sont datés 489. Le 18, les particuliers faisaient chez eux une offrande de fruits à Dionysos et aux autres dieux499. Comme on l'a déjà remarqué 491, cette offrande domestique devait, aussi bien que le sacrifice du 17, correspondre à celles que les mystes faisaient le même jour. Une offrande de ce genre s'accorde très exactement avec la définition que l'on donne du mot lepei« 492 et Philostrate 499 compte précisément les lepel« comme un des premiers actes des mystères. Nous n'hésitons donc pas à penser, avec Preller, que la journée du 18 leur était consacrée. [Les statuettes de terre cuite qui figurent des femmes accompagnées du porc et portant la scaphé pleine de fruits 494 font peut-être allusion à cette cérémonie (fig. 2636).] C'est Preller 495 qui a le premier déterminé le véritable emploi de la journée du 19. On y célébrait les ÉPIDAURIA, institués, suivant la légende, en faveur d'Esculape, venu d'Épidaure trop tard pour avoir pu participer aux cérémonies des jours précédents. Philostrate dit qu'ils succédaient aux îsp£c« 496. L'objet de cette partie de la fête démontre suffisamment par lui-même qu'on devait y recommencer des purifications, de même qu'on y offrait un second sacrifice, Oust« Sein€p«. Mais la partie principale des Épidauria consistait dans un grand sacri ELE ---5G7 -ELE ficc à Esculape 49", dieu mort et ressuscité comme lacchos 498. Ii se célébrait probablement dans un des temples qu'Esculape avait à Athènes même 4°9 et des canéphores y figuraient 600. Les épimélètes des mystères y prenaient part". Cette fête d'Esculape, suivant la remarque très juste de Preiler, dut prendre place dans les Éleusinies quand les cultes d'Épidaure firent alliance avec ceux d Éleusis, dans une circonstance racontée par Hérodote 503, à une époque assez reculée de l'histoire grecque. Le même jour, le cosmète des éphèbes recevait, sans doute de la part de l'Archonte-Roi, la notification officielle d'avoir à rassembler ceux-ci en armes pour accompagner la grande procession du lendemain 503. [D'après une inscription attique, les éphèbes partaient dès le 19 504 il semble qu'il y ait là une contradiction avec les textes des auteurs qui fixent au 20 la procession. La solution de la difficulté a été indiquée par plusieurs érudits qui admettent que la procession tout entière partait le 19, mais vers la fin de la journée, après la célébration des Épidaua'ia; elle n'arrivait à Éleusis que dans la nuit avancée, c'est-à-dire à la date du 20 505 ] En effet, la journée du 20 de boédromion, qui était celle du cortège d'Iacchos 506 ouvrait une nouvelle période de la fête, qui se transportait d'Athènes à Éleusis. C'est ce jour-là même ou le lendemain que la victoire de Salamine avait été remportée o07, et on disait qu'au lever du soleil deux hommes, égarés dans la plaine de Thria déserte, avaient vu Ies dieux faire la procession dont les hommes étaient empêchés, les Barbares occupant l'Attique''' Son objet était la conduite de la statue d'Iacchos d'Athènes à Éleusis, entourée des prêtres et des mystes, auxquels se joignait une foule immense de peuple 509. Il pouvait y avoir le jour d'Iacchos des actes de procédure pour des affaires touchant aux mystères 510, mais la vie civile était suspendue pendant cette journée'd', officiellement fériée, comme aussi le 21. La procession partait de l'Éleusinion, traversait l'Agora dans sa plus grande longueur en chantant des hymnes à iacchos610, gagnait la rue des Portiques 513, par ohh commence l'itinéraire de Pausanias en entrant dans la ville, et allait chercher la statue du jeune dieu dans le temple qu'on appelait Iaceheion 400, Auprès de l'Iaccheion, et tout à côté de la porte Piraïque, se trouvait le IIop.7stëov, ou édifice destiné à la préparation des processions sacrées 545. Les mystes devaient s'y rendre et y organiser définitivement leur cortège, car Pausanias remarque que l'on préparait en ce lieu toutes les grandes pompes relie gieuses « aussi bien celles qui avaient lieu annuellement (comme les Éleusinies) que celles qui se célébraient à un plus long intervalle (comme les Panathénées) ». De cet endroit la procession des initiés gagnait le Céramique non pas probablement par la rue principale entre l'Agora et la porte Dipyle °t7 mais par quelque rue parallèle aux remparts 518, et sortait enfin de la ville par la porte à laquelle nous avons, comme Pausanias '19, commencé notre description de la Voie Sacrée. La statue d'tacchos, portée dans la procession 520, était sans doute conforme au type de la figure de marbre, exécutée par Praxitèle52f, que l'on voyait dans le temple même où l'on allait la chercher 622, â celui que reproduisent le symbole accessoire d'un tétradrachme d'Athènes 523 et une pierre gravée 5'4 [IACCItUS]. C'était un bel enfant, couronné de myrte et tenant une torche à la main 526. C'est pour cela que le choeur des mystes, dans Aristophane 520, l'appelle çwspdpo, eiaT;jp 527, Conduit par le IACCUAGOGOS 528, qui semble avoir eu la direction. de toute la procession, le jeune dieu était escorté de deux prêtresses, la DAEIBITIs et la KOUBOTBOPHOS 629 cette dernière tenant le personnage de sa nourrice. On portait auprès de lui le liknos ou van sacré [VASNUS], qui lui appartenait spécialementb30 ou peut-être le KEBNOS, qui paraît avoir tenu une place spéciale dans les Éleusinies. On portait aussi, dans un sac de riches étoffes 531, ses jouets d'enfant, osselets, ballon, sabot, pomme, toupie, miroir et poupée de laine, suivant l'énumération de Clément d'Alexandrie 633, jouets dont on faisait des symboles augustes et qui avaient un rôle dans la légende orphique de la mort de Zagreus 533 A l'imitation du dieu, chacun des mystes tenait un long flambeau allumé; c'est ainsi que nous les voyons dans un dessin malheureusement très incorrect que Spon 034 nous a conservé d'un piédestal colossal dédié à Éleusis par l'hiérokéryx Numérius Nigrinus 535, sur les quatre faces duquel se développait l'image de la procession. Le flambeau revient à chaque instant comme un des principaux symboles du culte éleusinien, soit aux mains du daduque et de la prêtresse homonyme, soit en attribut des divinités. Ici, porté par tous les mystes, on y attachait surtout l'idée de purification 530 que le mythe d'Éleusis met en action dans l'histoire de Démophon 537 La procession d'Iacchos étant considérée comme le début des mystères proprement dits, c'est en ce jour que les mystes prenaient leur habit d'initiation, qu'ils dédiaient ensuite en offrande aux Grandes Déesses'3'. Sainte-Croix639, suivi depuis par beaucoup d'autres 550, a supposé gratui ELE 568 ELE tement et bien à tort qu'ils étaient revêtus de l'ancien costume des Athéniens d'avant les guerres Médiques, tel que le décrit Thucydide 5''', avec la longue tunique et les cheveux relevés en crobyle par des cigales d'or. Même sur le mauvais dessin de Spon, on distingue très bien que dans le bas-relief de la procession ils étaient vêtus d'une tunique courte, descendant seulement à mi-jambe et serrée à la taille par une ceinture. Tous étaient couronnés de myrte 512. [Nous pensons que l'on peut considérer le costume du troisième personnage reproduit à la figure 2634 comme l'habit de cérémonie d'un mystagogue ou de quelque autre personnage important dans la procession des initiés. La même tunique à franges est donnée au prêtre qui préside au sacrifice du porc mystique "3.] Les éphèbes escortaient en armes la procession, formant comme une garde d'honneurLa libéralité d'Hérode Atticus leur permit de porter dans cette solennité des chlamydes blanches 5''. On y voyait aussi figurer un détachement des hoplites conduits par leur stratège 6'6 Mais tout cet appareil militaire ne fut en usage que dans les bas temps. Autrefois la procession se faisait sans escorte, et ce fut une nouveauté lorsqu'Alcibiade employa des soldats pour en couvrir la marche contre les Lacédémoniens établis à Décélie s". La procession était bruyante et d'un caractère orgiastique. Les mystes y chantaient l'hymne appelé lui-même iaxyoç 518, qu'Aristophane a imité dans sa comédie des Grenouilles, ce qui prouve que toute cette partie de la fête, à laquelle le public se portait en foule, n'était point soumise à la loi du secret. Ils interrompaient leurs chants de temps à autre en poussant de grands cris d'invocation (taxxot xni oai 5i9), dont les principaux étaient 'I«xys, c 'Iax7E 550, ou encore Éi1EAE xdps 8fµof fE551, par allusion aux représentations d'Iacchos qui unissaient la nature de taureau à celle d'homme J5', ou bien au caractère androgyne qu'on prêtait fréquemment à ce dieu 553 [IAccitus]. A chacun des sanctuaires situés sur la Voie Sacrée, la procession s'arrêtait pour offrir des sacrifices et des libations, chanter des péans et exécuter des danses religieuses (yopaTat) 556. M. A. Mommsen"' a essayé très ingénieusement de restituer les principales de ces stations;:seulement c'est à tort que, comme d'autres du reste", il place dans ce jour les GÉPUVHISMOI, qui avaient lieu certainement plus tard, au retour des mystes vers Athènes 567. La seule circonstance des stations de la route qui soit précisée par les écrivains anciens se passait, suivant toutes les vraisemblances, au lieu dit le palais de Crocon, à l'entrée de l'ancien territoire d'Éleusis 558. Les membres de la famille sacerdotale des Croconides 55", qui s'attribuaient une origine mythique éleusinienne 560 mais dont le nom provenait évidemment de ce rite (du verbe x(ioxe,w), attachaient à chacun des mystes des bandelettes teintes en safran au poignet droit et au pied du même côté 551. Il semble que l'on regardait ces bandelettes comme préservant du mauvais oeil 562 Naturellement, avec toutes ces stations, la procession n'avançait que très lentement. Il faut quatre heures à un homme à pied, marchant d'un bon pas, pour aller d'Athènes à Éleusis ; le cortège d'Iacchos [parti d'Athènes dans l'après-midi du 19, comme nous l'avons indiqué plus haut], n'arrivait à Éleusis qu'à une heure avancée de la nuit [c'est-à-dire le 20], à la lueur des milliers de flambeaux que portaient les mystes 563. Les édifices sacrés eux-mêmes étaient illuminés, et certaines traces des dispositions pour cet objet se remarquent encore parmi les débris du temple de Triptolème 5fi'. On ignore absolument le cérémonial qui marquait à ce moment l'entrée d'Iacchos dans le sanctuaire où allaient bientôt se faire les initiations. La journée du 21 s'ouvrait par le sacrifice solennel offert au nom de la République, à l'intérieur des enceintes sacrées 565, sur le grand autel, par les HIÉHOPOIOI officiels. Une inscription d'ancienne date, antérieure au siècle de Périclès, donne la composition de ce sacrifice 566: une chèvre à Gê Kourotrophos, à Hermès Enagonios et aux Charites, une chèvre à Artémis, une chèvre à Triptolème, une trittye composée d'un taureau, d'un bélier, et d'un verrat567 à Iacchos et aux Grandes Déesses. Sauf l'addition du personnage tout local de Triptolème; c'est la même réunion de divinités qu'on invoquait dans les Thesmophories 558. [Une inscription d'Éleusis plus récemment connue, du Ive siècle, indique quelques modifications dans le choix des victimes et dans l'attribution aux divinités : une trittye d'animaux aux cornes dorées, dont le premier sera un boeuf, pour chacune des deux déesses; une victime adulte pour Triptolème, pour le dieu et la déesse, pour. Euboulos; un boeuf aux cornes dorées pour Athéna; mais il n'estpas spécifié que ce sacrifice ait lieu à l'occasion des grandes Éleusinies569.] Le sacrifice qui suivait la procession dans les mystères d'Andania, en Messénie, imités de ceux d'Éleusis, se composait d'une truie ayant mis bas, immolée à Déméter, d'une truie vierge de deux ans pour les Grands Dieux, d'un bélier pour Hermès, d'un verrat pour Apollon Karnéos et d'un mouton pour Hagné 570. D'autres sacrifices suivaient celui-ci, sur le même autel. Ainsi les éphèbes immolaient dans le péribole du temple 571 deux vaches n , et après ce sacrifice dédiaient à Déméter et à Coré une phialé d'argent 670. Les cités alliées faisaient célébrer par leurs ambassadeurs des cérémonies analogues 571. Diverses corporations religieuses, comme les nIONYSIACI ARTIFICES 57J, offraient aussi des sacrifices, ceux-ci dans leur petit sanctuaire particulier. Les taureaux destinés à être immolés étaient amenés en liberté près de l'autel, et les éphèbes luttaient avec eux 676 pour les dompter et les contenir devant le sacrificateur. Le même usage s'observait encore à Éleusis, pour le sacrifice de la fête des PRoÉaosIA577. C'étaient là ces combats de taureaux que l'on signale dans les fêtes d'Éleusis et dont les émigrés d'origine athénienne avaient transporté l'habitude à Éphèse 5i8. Devant le temple de Triptolème, contenant la statue du héros, à Agrae, Pausanias signale un taureau de bronze amené, dit-il, pour le sacrifice 570 [Dans les sacrifices éleusiniens mentionnés par les textes épigraphiques, il est question de gâteaux sacrés, ItAocvoç, apoxc via, que l'on offrait aux déesses et aux héros locaux ; ils étaient faits avec l'orge des prémices prélevées sur les récoltes de la confédération attique580.] Le 21 voyait ainsi les sacrifices, 6ua]21, que l'on distinguait des uuarrjptx, ou mystères proprement dits, parmi les actes accomplis à ÉleusisB81, distinction faite aussi à Andania 582. Mais c'était en même temps la première des journées qu'on appelait par excellence oumrilpit:iWeç pxt 6n, iniliorum dies, dit Tite Live 581. Sopater 685, avec plus d'exactitude encore, se sert de l'expression vlix'reç .muc'rtx C, car c'est dans la nuit qu'avaient lieu les initiations 586 M. A. Mommsen587 a très justement admis qu'il fallait compter trois journées ou trois nuits mystiques, les 2i, 22 et 23 boédromion. Nous partageons entièrement sa manière de voir, non pas tant comme lui à cause des trois nuits que duraient les mystères du devin Alexandre 588, imités dans une certaine mesure de ceux d'Éleusis, que parce qu'il faut aller du 15 au 23 pour compléter le nombre sacramentel de neuf journées, qui tient au fond même du mythe d'Éleusis et qui devait nécessairement servir de cadre aux mystères 589, puisque c'était le temps que Déméter avait passé à la recherche de sa fille. Cependant M. A. Mommsen 090 a très bien établi aussi qu'il n'y avait que deux nuits d'initiations proprement dites, le 22 et le 23, l'une pour la µûrlatç, l'autre pour l'i 7o,1Te(2. Ceci reconnu, l'emploi de la soirée et de la nuit du 21 est certain et s'impose nécessairement. C'est ce que Fulgence appelle lampadum dies 59', la soirée où les mystes, désormais seuls, partageaient le deuil de Cérès et commémoraient en les imitant ses courses désolées après l'enlèvement de Proserpine. Portant de nouveau des flambeaux, à l'exemple de la déesse Sit, ils allaient sans doute visiter les lieux témoins de sa douleur, peut-être l'Érinéos, certainement la Pierre Triste et le puits Anthion. Mais il était défendu aux initiés d'imiter l'attitude de la déesse assise 593 Cette soirée de deuil se terminait, comme les courses même de Déméter, en buvant le cYCÉON mystique 594. Les mystes rompaient ainsi le jeûne qu'ils avaient gardé toute la journée, comme les précédentes et qu'ils devaient encore observer le 22 et le 23. En effet, le jeûne de la déesse ayant duré neuf jours 59', ils devaient jeûner le même temps 596. Leur jeûne était, du reste, semblable à celui des musulmans pendant le ramadhan : ils ne prenaient aucune nourriture tant que le soleil était sur l'horizon, mais seulement au lever des étoiles, cette heure étant celle où la déesse avait mangé de nouveau pour la première fois 597. La durée de neuf jours pour le jeûne des initiés d'Éleusis est encore confirmée par la comparaison avec les neuf nuits de continence parfaite imposées aux femmes romaines dans la célébration des fêtes de Cérès 598 L'acte de boire le cycéon avait dans les Éleusinies le caractère d'un véritable sacrement o99, ainsi que le prouvent les nombreuses peintures de vases (vny. tome Irr fig. 1298) où les Grandes Déesses versent ce breuvage à Triptolème, comme signe de son initiation 600 [TRIPTOLEMUS]. Nous pensons qu'il précédait la aapoiloatç 'c iv tept~ly 60f. On appelait ainsi, par une expression consacrée et rituelle, la collation qui se faisait dans tous les mystères de certains objets sacrés et secrets, cachés aux regards des profanes et dévoilés aux initiés comme des symboles particulièrement vénérables. Les mystes les touchaient ou les baisaient, goûtaient à quelques-uns d'entre eux fi02 et en recevaient certains, qu'ils conservaient en souvenir de leur initiation, loin de tous les yeux, enveloppés dans une toile de lin fi03. Dans chaque espèce de mystères, ces objets étaient différents ; à Éleusis c'étaient ceux que contenaient le calathos et la ciste et que Clément d'Alexandrie 605 énumère ainsi : des gâteaux de sésame et de farine de blé, des tourtes et des galettes avec de nombreuses protubérances à la surface, des grumeaux de sel, des grenades et de jeunes pousses de figuier (xpdâxt), des férules, des branches de lierre, des gâteaux au fromage et des coings, sans oublier le serpent familier de Bacchus qui se blottit au milieu de tous ces objets. Les mystes goûtaient à quelques-uns des gâteaux sacrés après avoir bu le cycéon, comme le prouve la célèbre formule mystique qui réunit les deux actions en une seule cérémonie : « J'ai jeûné, j'ai bu le cycéon, j'ai pris dans la ciste et, après avoir goûté, j'ai déposé dans le calathos; j'ai repris dans le calathos et remis dans la ciste 6'J. n [Nous sommes fort tenté de voir une allusion à cette cérémonie dans une peinture de vase conservée au musée de Naples et interprétée, à tort, selon nous, comme une représentation des sacri E LE -p 570 E LE Lices à Hécate et des repas offerts aux pauvres dans les rues d'Athènes 606 Le mot MY2TA [i] 6°7 qui accompagne le tableau (fig. 2637) ne saurait être « une invention ca pricieuse de l'artiste », comme le prétend M. LtSbbert il donne, au contraire, le sens très clair du sujet. Un couple de mystes, homme et femme, couronnés de myrtes, est assis devant une table chargée de mets; à leurs pieds, le calathos rempli de pains. Un prêtre ou un mystagogue passe devant eux, tenant l'outre de vin ornée de rameaux en signe de consécration religieuse ; il leur tend la coupe contenant le cycéon qui rompt le jeûne mys tique. Dans le fond une édicule, portée sur une colonnette, figure d'une façon conventionnelle le temple lui-même ou bien les nombreuses chapelles élevées autour du sanctuaire. L'arbre indique que la scène se passe dans le péribole du temple 668J D'autres textes disent aussi que l'on goûtait des grains portés dans le KERNOS boa La formule sacramentelle, telle que nous venons de la rapporter, a donné lieu à une infinité de conjectures; les uns 6'0 y ont vu une sorte de mot de passe que les mystes devaient prononcer pour être admis; mais Lobeck'" n'a pas eu de peine à démontrer, par un exemple positif'', qu'on y entrait sans qu'il fût rien demandé. D'autres°i3 ont pensé que c'était une des paroles explicatives prononcées par l'hiérophante au moment d'un des actes du drame, ce qui n'est pas non plus admissible, car la phrase est certainement dans la bouche du myste, et non de l'hiérophante. Il n'y avait pas lieu de recourir à toutes ces hypothèses, car Arnobe 611 dit en termes formels que chacun des mystes répondait par ces paroles à la question du prêtre au moment de la ;rapSoa'tç Toiv iepity (quue rogati sacrorutn ire acceptionibus respondetis). Avec la xexp:iôoert; Tmv iepô3v on était déjà dans la partie secrète des mystères. C'est donc avant qu'il faut placer nécessairement le seul acte par lequel on cherchât, du moins pour la première initiation, à distinguer les mystes des profanes, la question que chaque mystagogue adressait individuellement à ceux qu'il amenait, demandant s'ils avaient mangé des aliments défendus". Peut-être à ce moment y avait-il une nouvelle proclamation, rpipprietç, pour éloigner les barbares et les impies; mais cela n'est pas bien établi 616. Du moins il paraît probable que l'hiérokéryx prenait la parole encore une fois pour recommander aux mystes un silence absolu pendant les cérémonies'', Nous consacrons une section particulière aux renseignements que les écrivains anciens fournissent sur les deux nuits des initiations proprement dites, remplies par les spectacles mystiques, le 22 et le 23, ravvuy(Seç 6" ou nxvv,z(ç au singulier 6'9, désignant plus spécialement la seconde nuit, celle de l'époptie. Les mystes s'y présentalent couronnés de myrte et tenant à la main un bâton de forme particulière, sorte de thyrse très court r,20. Ainsi sont représentés Hercule et les Dioscures, sur un vase de l'ancienne collection Pourtalés 624, Hercule seul sur un vase de Panticapée (fig. 2630)'x2. Le même attribut, groupé avec les pavots de Coré 623, figure au nombre des symboles principaux du culte mystique sur la frise du grand autel d'Êleusis (fig. 2633)'4 et sur l'autel de l'leusinion d'Athènes (fig. 2638) 8". La véritable explication de ces objets a été donnée par M. Stephani6269 qui y a reconnu le BACenos627 ; la ressemblance de cet attribut sacré avec une torche est indiquée par un témoignage ancien'''. Ce pouvait être aussi un simple rameau fi39, et c'est ainsi que sur le célèbre vase à reliefs de Cumes (fig. 2639)6" Céléus ou Eubouleus porte, en guise de bacchos, un rameau d'arbre. S'il est vrai que l'on entrait sans mot de passe ni signe de reconnaissance à la tCÛrlatç proprement dite, et que bien des fois des gens indignes purent s'y glisser, il n'en était pas de même pour I sreoarTa(es, réservée à un plus ELE 571 -ELE petit nombre d'individus, que beaucoup se dispensaient d'acquérir, et où l'on ne fut admis, du moins à partir d'une certaine époque, qu'après un assez long stage d'épreuve (voy. plus haut, § III). Il est aujourd'hui certain qu'on n'y entrait que sur la présentation d'une tessère spéciale. Déjà un passage de Julius Firmicus Maternus 63f signalait l'emploi de signes de ce genre dans certains mystères : Libel none explanare quibus se signis vel quibus symbolis in ipsis superstitionibus miseranda bominum turbo cognoscal. Mais fallait-il appliquer ce texte aux mystères d'Éleusis? C'est ce dont on pouvait douter jusqu'au moment où un monument signalé par M. Albert Dumont 632 est venu trancher la question dans un sens affirmatif. C'est une tessère ronde de plomb, trouvée en Attique, qui porte l'épi et le pavot, symboles de; Déméter et de Coré, avec les quatre lettres Er1owV, lesquelles ne peuvent s'expliquer que par le mot inoyta ou ënoslrtç. D'autres tessères analogues 633, avec les mêmes symboles ou la tête de Cérès, ou celle d'Athéna, présentent les lettres AA ou AAA, dans lesquelles il faudrait reconnaître le nom du S«Soû'oç. Ceci serait de nature à faire croire que ces tessères, spéciales à l'époptie, étaient distribuées au nom et par les soins du daduque. En effet, une phrase de Sopater n'' montre ce ministre du culte mystique comme chargé spécialement de reconnaître les individus qui doivent être admis comme époptes : « Daduque, je le considérerais plutôt comme épopte que comme myste (S«Soûyoç (là ToûTov tin éndnnryv aaov uôa r 'bpi")) », dit-il en parlant du jeune homme qui a vu tous les mystères en songe et qu'il s'agit de conduire ensuite réellement à l'initiation. Le daduque était donc l'introducteur officiel des époptes, et c'est pour cela que Tertullien 636 résume les deux côtés principaux de ses fonctions en l'appelant deduetor et iliurrainator. Clément d'Alexandrie 636 et le Scholiaste de Platon 637 rapportent une autre formule symbolique en usage dans certains mystères; elle offre une certaine ressemblance avec celle que nous avons tout à l'heure rapportée au moment de la rcapoiSoatc ztûv iepwv : « J'ai mangé dans le tympanon, j'ai bu dans la cymbale, j'ai porté le kernos, je me suis glissé sous le pastos » (Le 'cuu.ncivou 46(1°ov, 6x Scholiaste de Platon qui, bien que de date assez basse, était fort au courant des choses attiques, attribue formellement ces paroles sacramentelles aux mystères d'Éleusis. Clément d'Alexandrie les met en rapport avec les scènes de drame mystique qu'il dit avoir fait partie de ces mystères et qui, en effet, avaient leur place dans la nuit de l'époptie; mais il fait à cet endroit une comparaison avec ce qui se montrait aussi dans les mystères phrygiens de Sabazios et son texte est rédigé de telle façon qu'on ne sait pas auxquels, dans sa pensée, ELE 572 ELE appartenait la formule. Lobeck G38, avec le ton tranchant qui est habituel à sa critique, tourne en dérision ceux qui ont pu croire qu'il s'agissait ici d'une formule des Éleusinies, en s'appuyant sur cette raison que tous les symboles qui y sont mentionnés appartiennent exclusivement à la religion phrygienne de Cybèle. Il est facile de réfuter son argumentation, car les symboles en question sont aussi proprement éleusiniens °. La cymbale, sous le nom sacramentel d'ÉcHEloN, jouait un talle capital dans le culte mystique de Déméter; le KERNOS était un des attributs essentiels de ce culte, encore plus que de celui de Cybèle. Enfin l'on verra à la section suivante qu'à un certain moment des scènes représentées dans l'époptie on dressait le PASTOS ou lit nuptial. La question de l'attribution de la formule que nous venons de porter resterait néanmoins obscure et difficile, si elle n'avait reçu un jour très nouveau grâce à la publication du texte du traité de Julius Firmicus Maternus sur les Erreurs de la religion païenne, pour la première fois donné conformément aux manuscrits, publication faite à Vienne par M. Halm. L'apologiste chrétien cite en effet une sorte de formule ou de mot de passe (c'est ainsi qu'il semble la présenter), qui ressemble par plusieurs de ses expressions essentielles à celle que nous avons empruntée à Clément d'Alexandrie et au Scholiaste de Platon; il dit qu'elle était usitée dans des mystères, qu'il ne précise pas d'ailleurs, et la rédaction en avait été fort altérée par les premiers éditeurs. Mais la vraie leçon, fournie par les manuscrits, est absolument claire et atteste son origine aussi nettement que possible : « J'ai mangé dans le tympanon, j'ai bu dans la cymbale, je suis devenu myste d'Attis» (éxTni t vou R€7(Mcaxa, ht xuu6âaou 7t€1rtux«, v, éyova µéaTriç °ATTaolç Si0). Voilà la vraie formule des mystères phrygiens, sur le caractère de laquelle la mention d'Attis ne laisse pas de doute. Celle de Clément d'Alexandrie et du Scholiaste de Platon en est certainement différente, quoiqu'en ayant avec celle-ci les deux premières phrases communes ; le nom d'Attis est absent et ne la reporte plus aussi formellement à la Phrygie ; offrant des divergences de rédaction très considérables, mentionnant d'autres symboles, il est probable qu'elle appartenait à d'autres mystères. Rien ne s'oppose donc plus réellement à ee qu'on admette la pleine exactitude du dire du Scholiaste, qui affirme qu'elle appartenait aux Éleusinies, ce qui paraît aussi le plus conforme à. la pensée de Clément d'Alexandrie, dont le témoignage est si important en pareille matière, puisque, avant de devenir chrétien, il avait été lui-même initié. L'analogie de cette formule éleusinienne avec la phrygienne s'explique naturellement par l'analogie très réelle qui existait entre le spectacle de l'époptie et les données fondamentales des mystères de SABAZIOS, par les emprunts directs faits à la Phrygie que les Orphiques avaient introduits dans sér. t. XXIV, I" part., p. 379 et s., 430 et s.G40 Firmic. Matera. De error. profan. relig. 18, éd. Hahn. 641 X I, 52, p. 476.642 Plut. Quaest. Symp. Il , 2.643 Demosth. In Phaeitipp. t2, p. 1042; voy. A. Mommsen, Heortol. p. 95. 644 A. Mommsen, p. 231. 645 Schol. ad Pind. Olymp. IX, 150, p. 228, éd. Boeckh; Schol. Cern-mn. ad Pind. Olymp. IX, p. 47, éd. Mommsen; Corp. laser. gr. n° 1068; Rhangabé, Ant. inscr. att. Ill, 663,916, 1168. M. Foucart est beaucoup moins affirmatif sur lapériodicité des jeux. Il pense, d'après une inscription trouvée en 1884 à Éleusis (Bull. torra hell. 1884, p. 200), qu'ils avaient lieu seulement deux fois dans l'espace de cinq ans, une ap,cceet; et une aaviselpf,. D'après le même texte épigraphique, les concours éleusiniens, à la fin .du iv' siècle, réunissaient la triple série des exercices le sanctuaire d'Éleusis avec la légende de leur ZAGREUS. Mais là ne se borne pas la difficulté. D'après la scène à laquelle le père de l'Église d'Alexandrie la rapporte, la formule en question aurait appartenu à, l'époptie. Dès lors, il est difficile de ne pas la considérer comme le pendant plus symbolique et plus mystérieux encore de celle de la p.ératç : « J'ai jeuné, j'ai bu le cycéon, etc. » Celle-ci n'était pas un mot de passe; nous l'avons montré. Il devient donc plus douteux que celle de l'époptie en fût un, comme Firmicus Maternus l'affirme de celle des mystères phrygiens. Il est plus vraisemblable d'admettre que les deux formules parallèles, qui sont toutes deux dans la bouche de l'initié, se prononçaient dans des circonstances pareilles, l'une à la a,] rtç, l'autre à l'a'ao7Ta(«. Y avait-il donc, outre le spectacle mystique, une 7rupâd'oat; T 1v iapt;ly particulière à l'époptie? La chose n'est pas invraisemblable, puisque cette 7trxp;aoatç était un acte essentiel de toute initiation. Il serait même possible de conclure d'un passage d'Athénée 66' qu'elle consistait à goûter des grains symboliques contenus dans le KERNOS. Et ceci achèverait de restituer aux Éleusinies le mot ixapvogdppaa, par suite toute la formule à laquelle il appartient, telle qu'elle se lit dans Clément d'Alexandrie et chez le Scholiaste de Platon. Nulle part il n'est question de l'emploi des journées qui s'intercalaient entre les nuits mystiques. Il est en effet probable que l'on n'y faisait rien de particulier et que les mystes les donnaient au repos, puisqu'ils veillaient toute la nuit. Le 24 boédromion, la partie secrète des Éleusinies, les initiations étaient terminées; la fête redevenait publique et panégyrique, comme elle avait commencé ; des banquets, des jeux, diverses réjouissances égayaient la solennité 642 [Nous indiquons plus loin que ces jeux n'avaient pas lieu chaque année aux Éleusinies, mais seulement la troisième et la cinquième année de chaque période de cinq ans (xa9Ta7Ylp(ç). Il s'ensuit que dans les années de fêtes moins solennelles, le retour des mystes à Athènes pouvait avoir lieu dès le 24.) Les mystes restant seuls à Éleusis pour les nuits des initiations, le 23 était un jour ouvrable à Athènes', et sans doute aussi le 22. Le 24 était, au contraire, de nouveau un jour férié 644. C'est à cette date, en effet, que l'on célébrait les jeux appelés Eleusinia 045 ou nEMETRIA 646. On disait que c'étaient les plus anciens des jeux"' ; la chronique de Paros 648 en place l'institution cent ans avant la guerre de Troie, sous le règne de Pandion, ira peu moins d'un siècle après l'établissement des mystères par Eumolpe. Le prix consistait en une mesure d'orge 649 récoltée de l'année dans le champ sacré de Rharos 650 Les éphèbes prenaient part aux luttes des jeux éleusiniens G'', et c'est ainsi qu'Euripide y fut couronné quand son âge n'avait pas permis de l'admettre aux jeux gymniques, hippiques et musicaux, ces derniers comprenant sans doute les tragédies. M. Nebe admet aussi, d'après les inscriptions, une triétéris et une pentétéris pour la célébration des jeux (Dissert. Haleuses philolog. VIII, p. 8t), mais avec cette restriction que si ces années-là les jeux devaient être plus pompeux et plus solennels, cela n'empêchait pas les représentations d'avoir lieu chaque année.] 646 Schol. ad Pindar. éd. Boeckh, 1. c.; 'E{r,µ. py,. Mo 1098, 4105, 4107; [Corp. inscr. att. Il, 444-446, 451, 466-468; Corp. inscr. gr. 1068. Sur les jeux éleusiniens, voy. la dissertation de Nebe, Dissert. Haleuses philolog. VIII. 1887, p. 79-92.] 647 Aristid. Eleusin. p. 417, éd. Dindorf; Hellad. Chrestom. ap. Meurs. Opp. t. VI, p. 324; Schol. ad Pindar. éd. Boeckh, 1. c. 646 I.. 30; [Fragm. hist. gr. éd. Didot,ll; Aristot. Frag. 282.]-640 Schol,adéd. Pindar. Boeckh, l.c.-660 Aristid. olympiques'''. [Sous Hadrien la basse adulation des Athéniens fit créer des fêtes en l'honneur d'Antinoùs, C'est aussi parmi les réjouissances de la journée du 214 qu'il faut placer, avec M. A. Mommsen 65'`, le combat simulé qu'on appelait BALLÉTYS 555, cérémonie qui avait beaucoup d'analogie avec les jeux gymniques, mais à laquelle on prêtait une signification symbolique profonde. Il y est déjà fait allusion dans l'hymne homérique à Déméter''' Au temps de Démosthène 657 il n'y avait à ce moment des Éleusinies qu'un seul jour de fêtes et de jeux, et dès le 25 boédromion les affaires de la vie civile reprenaient leur cours, sans doute pendant que les initiés revenaient processionnellement à Athènes. A l'époque macédonienne. nous avons un décret du 26 658. Peutêtre, quand il fut rendu, y avait-il à la date du 25 un second jour de réjouissances, consacré aux représentations théâtrales 6ss. Ces représentations étaient données par la corporation des 0IONYSIACI ARTIFICES dont le siège était à Athènes et qui possédait un sanctuaire propre à Éleusis 66o Elles avaient lieu dans le théâtre 68f dont on voit encore les vestiges sur le flanc de l'Acropole qui regarde la mer; le stade d'Éleusis était entre ce théâtre et le rivage 663 Nous savons qu'on y jouait de préférence les tragédies d'Eschyle 660, à cause de leur caractère éminemment religieux. [On y proclamait, selon l'usage, les noms des citoyens qui avaient bien mérité du dème éleusinien et qu'on honorait d'une place particulière au théâtre 664.] Il y avait des représentations analogues à Andania, en Messénie, lors des mystères, et on purifiait le théâtre en aspergeant les bancs du sang de trois jeunes porcs immolés 665 Il est probable qu'on agissait de même à Éleusis, d'autant plus qu'à Athènes on purifiait ainsi les bancs de l'assemblée populaire sur le Pnyx avec le sang de victimes sacrifiées 66s Plus tard, à l'époque à laquelle remonte une inscription d'Éleusis 667 dont la date est malheureusement douteuse, mais semble par des raisons sérieuses pouvoir être rapportée aux années qui suivirent immédiatement la prise d'Athènes par Sylla668, on ajouta encore deux journées de jeux et de spectacles, c'est-à-dire le 26 et le 27 669. La fête continua dès lors à se célébrer avec cette prolongation. Nous avons un décret du temps d'Hadrien, rendu le 28 boédromion, à Éleusis fi70, par une (3ouX ltpti, qu'on a généralement prise pour le Sénat des Cinq-Cents, mais qui n'est peut-être pas autre que la HIÉRA GÉROUSIA des familles sacerdotales éleusiniennes. Quoi qu'il en soit, il résulte de ce document qu'alors il y avait le 28 une séance d'un Sénat politique ou sacerdotal à Éleusis même, sans doute dans le (3ou),EUT4tov qui était auprès des enceintes sacrées de cette ville 591. On y passait donc encore le matin de ce jour, et le retour à Athènes n'avait lieu que dans le courant de la journée. Il était précédé de la cérémonie des apo'ator,Tljpta 6"2, dont on ignore les rites, mais qui avait le caractère d'un adieu à Coré, quittant sa mère à ce moment, par l'ordre de Zeus, pour retourner dans le sombre empire de son époux infernal 673. C'est en procession que les initiés revenaient à Athènes, avec les prêtres. Mais ce retour, qui avait lieu d'abord le 25' et plus tard le 28, était, au moins dans une partie de son parcours, désordonné et bruyant. La populace, sortie d'Athènes, venait, le visage couvert de masques, attendre la procession au passage du pont du Céphise athénien, près de l'endroit appelé Écho, et l'accueillait par des injures et des plaisanteries grossières 674. Les initiés répondaient avec vigueur, et il s'engageait là des luttes bouffonnes à coups de langue, mêlées d'intermèdes comiques, où le vainqueur recevait pour prix une bandelette 675. C'est ce qu'on appelait GÉPHYRISMOI675 Mais à l'arrivée aux portes d'Athènes se passait une dernière cérémonie religieuse, d'un caractère à la fois funèbre 67 et agraire 678, qui ramenait la fête mystique des Éleusinies, pour son dernier acte, à la gravité de son institution. On remplissait d'eau (le sens du mot 7r)µ« l'indique d'une manière absolue) deux vases de la forme appelée PLÉMOCxoÉ ; on les posait sur le sol, l'un du côté de l'orient, l'autre du côté de l'occident, pour les dieux des vivants et des morts; puis on les renversait à terre en guise de libation, en prononçant une formule mystique 679, qui paraît 680 avoir été tE, féE, a féconde, enfante 661, » ou plus complètement tE, xua, ûatpxts, a féconde, enfante et réenfante ». On a trouvé cette formule gravée sur la margelle d'un puits sacré en avant de la porte Dipyle 682. Ceci nous parait déterminer à quel endroit avait lieu le rite des plémochoés. Terminant, avec l'ensemble des mystères, la procession du retour des initiés, il formait à la porte d'Athènes le pendant de ce qu'avaient été les 7tpoyatp,lTrjpta avant de quitter Éleusis 66a Le cycle de la légende de Cérès et de sa fille était clos, pour se rouvrir à Agrae le printemps ELE __ d'ié._ ELE suivant,. [tin connaît des monnaies d'Éleusis Mi est conservé le souvenir de cette cérémonie; d'un côté, la, tête de Déméter, de l'autre la lolémochoe entourée d'épis et de blé "1. (fig. 2640). La PI,iiMocuot. figure aussi parmi les motifs (décoratifs qui ornent 'autel de l' Clensiinion d'Athènes (fig. :'635).] La séance. du Sénat des Cinq-Cents dans l'h]eusinion d'Athènes pour en-tendre le rapport de l'Archonte-Roi sur la célébration des mystères, ordonnée par Solon "' avait lieu au lendemain de cette dernière cérémonie [c teà-dire à une date variable, suivant que les jeux avaient eu lieu ou non cette année-là]. ÎA propos des fluctuation de date concernant les derniers jours de r:le lsinies, il est important de remarquer d nt on vient de lire les détails ne, ue -dite qu'à la pompe ht plus solennelle des mystères d'Éleusis. S'il est exact, comme on l'a dit plus haute que la fête était annuelle, il n'en est pas moins vrai qu'on ne donnait pas chaque année aux concours et aux jeux, à la partie publique de la cérémonie, un développement également grand. C'est ce qu°ont établi, au moyen des inscriptions, M, Foucart eue et M. yebe 6". La, grande fête n'avait lieu que chaque troisième et chaque cinquième année (tptawaphro et 1cE,tut p(ç), Cette observation est confirmée par un texte de Pollux on l'on voit que des hiérop s athéniens étaient délégués officiellement pour célébrer des st fiscs tous les cinq la rptetrp e ne comportait pas autant de solennité que la ra °r,wiç. On s'explique ainsi le trempe de cr.t aa'D.Eur,utm que l'on rencontre dans une inscription de l'époque impériale689 : il s'agit là. de la solennité complète, avec tous les concours et tous les sacrifices publics, Il s'ensuit naturellement que la fin des mystères ne tombait pas tous les ans ir la même date. Dans les années de fêtes moins solennelles, la procession des initiés devait rentrer Athènes, a,ussitf'at les nuits mystiques terminées; c'està, dire le 9.i4 ou, après des jeux peu important ; le 26,1. Vil, des pec ac1 7 d, rsta'gites. Sil est une chose bien démontrée dépt travaux rie noneca, repris et remis à un plus juste point de vue pal' 0 ttfried Müller, Preller, Ch. Lenormant, Gcrhard et Guigniaut, c'est que les mystères d'Éleusis, et en général tous les mystères de la Grèce et du monde romain (aven etA[, n'étaient pas, à beaucoup près, soit dans le fond, soit dan' la forme, ce qu'on imaginait au temps de Warburton, Meisurs, Sainte-Croix et Creiizer. Il n'y avait aucun enseignement dogmatique, aucune révélation faite au mvste de croyances doctrinales formelles, différentes de la religion publique et supérieures à celles-ci, 1Cy avait simplement des rites et des spectacles d'une nature symbolique, destinés à éveiller des impressions religieuses dans 1' âme des initiés; à les faire pénétrer plus avant dans la science des choses divines. Mais partout, l'enseignement demeurait étroitement attaché aux cérémonies mêmes et il en ressortait immédiatement pour ceux qui savaient comprendre. Il n'en formait pas une partie distincte, destinée à donner le mot d'une énigme longtemps promenée devant les yeux. Aristote, dit Synésius 690, est d'avis que les initiés n'apprenaient rien précisément, mais qu'ils recevaient des impressions, qu'ils étaient mis dans une certaine disposition à laquelle ils avaient été préparés. » Plutarque, à, son tour, s'exprime ainsi : e J'écoutais ces choses avec simplicité, comme dans les cérémonies de l'initiation (zx9ânap is te?.et5 )(xi iu'aet), qui ne comportent aucune démonstration, aucune conviction opérée par le raisonnement 091. t Il faut encore citer le passage où GalienU92, opposant l'observation de la nature à la contemplation des mystères, caractérise le mode d'instruction et la portée de ceux-ci : « Prête-moi donc ton attention plus encore que si, dans l'initiation d'Éleusis ou de Samothrace, ou de quelque autre mystère sacré, tu étais tout entier aux actes accomplis, aux paroles dites par les hiérophantes, ne regardant pas comme inférieure cette autre initiation (l'étude de la nature), ni comme moins capable de révéler, ou la sagesse, ou la providence, ou la puissance du créateur de l'univers. » Et un peu plus loin : « Car chez tous les hommes, pris soit par nations, soit individuellement, qui honorent les dieux, il n'est rien selon moi de comparable aux mystères d'Éleusis et de Samothrace. Et cependant ces mystères ne montrent ce qu'ils se proposent d'enseigner que dans une espèce de demi-jour («.uupé), tandis que tout dans la nature est d'une clarté parfaite (isupyt'i), » Ces témoignages formels montrent bien clairement quel était l'état de l°initié en présence des spectacles proposés, des rites accomplis, des paroles symboliques proférées, soit dans la première, soit dans la seconde initiation, soit dans la z,i om6, soit dans l'Enoatein. a Ce n'était point"' un enseignement direct, rationnel, logique ; avais c'était un enseignement indirect, figuré, svmboitque, qui n'en était pas moins réel. D'ailleurs il avait pour soutien une véritable préparation ou instruction préalable, communiquée par le mystagogue s9s » [L'enseignement moral qui s'adressait directement aux initiés était d'ordre très général; il se résumait en quelques principes simples et concis, qui frappaient les regards des spectateurs quand ils s'arrêtaient devant les inscriptions renfermées dans le temple et contenant les lois anciennes du culte éleusinien. C'est du moins ce que l'on peut inférer d'un texte de saint Jérôme s9s rapportant qu'au temps du philosophe Xénocrate trois des lois attribuées à Triptolème subsistaient encore dans le temple et proclamaient ces trois préceptes : honorandospat'entes, venerandos deus, carnibus non vescendunt 690]. ELE --57 5 -EE-,E Clément d'Alexandrie 697 résume d'ailleurs en quelques mots ce qu'on peut dire de plus exact sur les Éleusinies : « Ce n'est donc pas sans raison que, dans les mystères des Grecs, ont lieu d'abord les purifications, analogues aux ablutions chez les barbares. Viennent ensuite les petits mystères, renfermant un certain fondement d'instruction (£tl«ax«nés) et une préparation à ce qui doit suivre. Quant aux grands mystères, dans toute leur teneur il ne reste plus rien à apprendre ; il n'y a qu'à contempler et à concevoir en esprit la nature (des objets que l'on montre, râ ietxvé;csva) et les choses (qui se font, Tâ pôiyao«). » Il n'y avait pas à Éleusis d'autre révélation que celte dont le mode et la nature ressort clairement des témoignages que nous venons de rassembler, Comme tous les cultes de l'antiquité, les mystères éleusiniens étaient fondés sur l'adoration de la nature, de ses forces, de ses phénomènes, conçus plutôt qu'observés, interprétés par l'iina,gination, non par la raison, traduits en figures et en histoires divines par une sorte de poésie théologique, qui allait d'une part au panthéisme, d'autre part à l'anthropomorphisme. La nature et l'enchaînement de leurs rites et de leurs spectacles se rattachaient à des croyances précises, qui tendaient à effacer les distinctions des personnages divins de la mythologie poétique et populaire, de manière à conduire à ce que l'on a appelé p+.uortx7~ 9eoxpaaia 698 et à. ramener ces dieux, exotériquernent si individuels, à des abstractions plus genéraies. Mais la forme sous laquelle on y présentait ces croyances était telle que, parmi les anciens eux-mêmes, les uns ont pu y trouver une sorte de philosophie de la nature, de physiologie o99, les autres en faire sortir l'évhémérisme"0 et avec lui l'athéisme. Ainsi l'épopte lui-même n'arrivait à « connaître, comme le dit Sopater701 qu'une partie du secret des mystères ii (yvwvai rt ,ri .11v âroppe,,TOiv). La tradition doctrinale qui donnait la clef des symboles, des cérémonies et des mythes dans leur ensemble, était conservée comme un privilège incommuniqué par les ministres supérieurs du culte, en particulier par l'hierophante [HIÉROPIAINTES]. « Tous ne connaissent pas, dit Théodoret7o2, ce que fait l'hiérophante ; la plupart ne votent que ce qui est représenté. Ceux qui s'appellent prêtres accomplissent les rites des mystères, et l'hiérophante sait seul la raison de ce qu'il fait et la découvre à qui il le juge convenable » Nous savons positivement que pour l'hiérophante et le daduque il y avait à leur entrée en fonction une véritable ordination, accompagnée d'une nouvelle et particulière initiation, que l'on qualifie de « dernier terme de l'époptie », Ts)oç r''21ç E74s7CTE2a;T°'' ; c'est ce que l'on appelait aiG£eatç rai orn a rtsv i7L(OIatç, parce que le signe en consistait à ceindre le front du nouvel hiérophante ou du nouveau daduque du diadème de pourpre et de la couronne de myrte qu'ils portaient en permadans cette initiation suprême qu'ils recevaient la tradition doctrinale, avec le pouvoir d'initier les rnystes. Il (p. 412, t. 1V de t'édit. Sehulz; p. 49 et 51 de l'éd. Gaisford). 703 Cf. encor,. Theodoret. Sersn. I Lie fide, p. 482, t. 1V de l'édit. SchuIs, -905 Theo Smyru. I paraît.qu'à partir d'une certaine époque au moins, les hiérophantes, développant la tradition, furent conduits graduellement à une explication naturaliste de toute la mythologie, liée à une notion d'unité divine d'un caractère panthéistique 700. Mais la doctrine esotér que de l'hiérophante (i®pottxvrixôç Âayoç), restreinte presque à lui seul et au daduque, se trouvait par là même exposée à bien des variations sous l'influence des opinions personnelles de ces ministres supérieurs des initiations. Aussi est-il certain qu'elle se modifia profondément ? plusieurs reprises dans le cours des siècles. C'est par là que s'explique la façon dont l'orphisme pénétra dans le sanctuaire d'Éleusis, s'y installa en mitre et y fit longtemps prévaloir ses doctrines. Plus tard, à l'époque de la lutte contre le christianisme, on vit, comme pulls l'avons déjà dit, plusieurs philosophes neo-platoniciens parvenir à la dignité d'hiérolchaute. Ils y impatronisèrent avec eux les idées nouvelles au moyen desquiilles on prétendait rendre la vie au paganisme .expirant; et ils durent en plus d'un point modifier la tradition doctrinale, en substituant à la vieille théologie les spéculations de leur école philosophique. Il faut maintenant essayer de déterminer, d'après les indications des anciens, en quoi consistaient ces spectacles nocturnes qui formaient toute la révélation des mystères d'Éleusisi0'. Preller1C7 a résumé les principaux éléments qui les composaient, hymnes, danses sacrées, scènes mimiques, apparitions subites aceomnagnees de paroles solennelles (frlisst,) et de prescriptions (7apiené).uare) prononcées par l'hierophante. C'est ici, du reste, qu'il est nécessaire de se reporter aux détails que nous avons donnés dans la section V sur la disposition du télestérion ou anactoroa, pour se rendre compte de ce que les lieux où se passait la représentation mystique y permettaient comme développement de spectacle et de mise en scène. [Nous avons vu que les gradins destinés aux spectateurs occupaient sur huit rangs de profondeur tout le pourtour de la salle; la scène devai donc être placée dans le milieu, à la façon d'II drome ou d'un cirque plutôt que d'un tlteêtre.:^;otmis cependant une difficulté assez grave puer d'un spectacle au milieu de la salle di lifté non encore résolue . c'est que les Via2 coloritles soutenant le plafond devaient singulièrement gêneles regards des spectateurs. Il est établi également, contrairement à tout ce qu'on avait imaginé sur ce sujet, qu'a.ueun' crypte, aucun dessous de théâtre, aucune trappe ne pou vait prêter à des effets de machinerie fantastique.] Un précieux témoignage de Porphyre798 détermine les, personnages qu'à un certain moment de la représenta tion de l'époptie tenaient, dans la pantomime mystique, tous les ministres les plus élevés, l'hierokéryx et l'épihomios avec l'hiérophante et le daduque. On signale un autre épisode où l'hiérophante et l'hiérophantis jouaient un rôle personnel 703. il y avait donc des acteurs vivants qui étaient les prêtres; mais peut-être y avait-il en même temps et à côté des figures artificielles de plus grande ELE 576 ELE dimension. Sopater 710 parle, en effet, de « figure ou fantôme » (tl'Ap Tt), à propos des visions offertes dans les nuits d'initiations. C'est l'expression qu'emploie Proclus 711 lorsqu'il parle des diverses formes que prennent les dieux dans leurs apparitions. Lorsque Platon 712 fait allusion aux spectacles qui avaient lieu dans les mystères, il se sert des mots EûSaiµovx tfâaµaTa, et l'on sait que l'adjectif EuJaluwv, comme le substantif abstrait EûSaq ovia, est caractéristique de l'initiation éleusinienne (voy. la section VIII de cet article). L'auteur de l'Épinomis713 parle dans la même intention, mais en termes plus généraux, « de ce qu'il y a de plus beau à voir au monde ». La même largeur vague d'expression se retrouve dans les (uUeTtXva OE«1auta de Dion Chrysostome 71'0 et Plutarque75 laisse encore place au doute lorsqu'il indique les lEpx ôEtxvip.Eva 716. Mais quand Aristide 77 rappelle les xpp1Tx ptxuaextu d'Éleusis, quand Himérius 7", par une allusion empruntée à Platon, applique l'expression de Omiz tpâaµaTa aux spectacles sublimes dont le souvenir suit les âmes vertueuses à leur rentrée dans le corps des hommes, lorsqu'un morceau que Stobée 719 donne pour emprunté à Thémistius, mais que la critique a restitué à Plutarque 720, désigne directement des eyta tGavT«t1pzaTa comme propres aux mystères, tout montre qu'il y avait de véritables apparitions de figures, représentant sans doute les divinités chthoniennes721. Platon fournit encore une confirmation frappante à l'appui de cette opinion. « De combien, dit-il dans le Phèdre711, l'époptie dont les âmes bienheureuses jouiront dans le ciel ne sera-t-elle pas supérieure aux spectacles d'Éleusis [ Les apparitions, critsµara, y seront entières, SÀôx)cr,pa (donc, dans les mystères, on ne montrait souvent qu'une partie des figures, ou bien elles restaient dans la pénombre, faiblement éclairées); elles seront simples et claires, âs),a (donc les apparitions éleusiniennes devaient être quelquefois compliquées et obscures à l'intelligence); elles seront immuables, âpvgŸi (donc, à Éleusis, elles étaient en mouvement et se succédaient les unes aux autres). [Mais il est impossible de préciser et de dire quelle forme revêtaient ces apparitions, quels personnages ou quelles machines en tenaient lieu, comment elles pouvaient se montrer subitement aux yeux des initiés 7291. Dion Chrysostome724 parle de la voix qu'entendait l'initié en même temps qu'il contemplait les spectacles mystiques. Plutarque 723 vante « la solennité des paroles sacrées et des apparitions saintes ». Galien726 associe ce qui se fait dans les mystères picpoç ToTç ôpiaufvotç) avec ce que disent les hiérophantes (Àtyopuivotç Caro 'rwv 1Epopclvztov). C'est sans doute pour cela que la qualité de la voix (Eopwvia) était exigée chez l'hiérophante d'Éleusis727. L'auteur des Philosophoumena 728 parle d'un symbole, l'épi de blé, en disant qu'on le montrait en silence dans l'époptie, notant ainsi une circonstance qui lui semblait inusitée dans le spectacle. Mais nulle part l'étroite connexité du spectacle et de la parole, la relation nécessaire de ces deux moyens de révélation n'est établie aussi clairement et avec une aussi grande abondance de preuves que dans le morceau rhétorique de Sopater 729. Il résulte du témoignage de cet écrivain que les paroles énigmatiques de l'hiérophante accompagnaient toujours les scènes mimiques et les apparitions, souvent simultanées. Dans l'espèce de plaidoyer supposé, le jeune homme qui a rêvé n'a joui que du spectacle et, pour comprendre le sens de ce qu'il a vu, il lui manque la parole de l'hiérophante. Mystes et époptes, à l'une ou à l'autre des nuits mystiques, se rassemblaient le soir en dehors du téleslérion et attendaient l'ouverture des portes dans une profonde obscurité'''. L'attente pouvait être longue et il en résultait sans doute une disposition à la terreur religieuse dans les âmes capables d'impressions vives ; mais, au delà de ces données, il n'y a certainement plus que de l'exagération dans le langage des rhéteurs 73f. On a Supposé à tort que les initiés, dans leur attente, faisaient un chemin considérable, que le daduque, avant de les amener dans la salle inondée de lumière, les obligeait à passer par des grottes où étaient figurés les supplices de l'enfer732 et comme, après les fouilles anglaises à Éleusis, il avait été question d'une crypte située au-dessous de la grande salle de l'anactoron, cette circonstance a paru donner une nouvelle force à l'opinion que nous venons de rappeler. Mais nous avons montré que l'examen du local repousse toute induction de ce genre. L'idée si généralement répandue chez les modernes qu'on plaçait sous les yeux des initiés d'Éleusis les supplices du Tartare et les délices des Champs Élysées, ne repose, du reste, sur aucun texte positif, ni même sur aucun indice quelque peu probant. Lobeck a fait victorieusement justice des arguments de Warburton et de Sainte-Croix à ce sujet. Guigniaut93, qui tient pour l'opinion en question, invoque seulement certaines peintures de vases73', un passage de Lucien 73o et « le choeur même des mystes avec la procession d'Iacchus qu'Aristophane, dans ses Grenouilles, a transportés aux enfers, aux portes du palais de Pluton 73e. » Mais en admettant ELE 577 ELE même dans les compositions céramographiques citées un caractère mystique quelconque, leur rapport avec les Éleusinies et les représentations qu'on y plaçait sous les yeux des initiés n'est nullement démontré. Quant au dialogue de Lucien, il ne prouve absolument rien 737. Deux personnages, descendus aux Enfers, se trouvent plongés dans une profonde obscurité. « Dis-moi, Cyniscos, toi qui as été initié k Eleusis, ceci ne ressemble-t-il pas à ce qui s'y passe? » « Oui, répond Cyniscos, tu as raison ; mais voilà une femme qui vient à nous pour nous servir de daduque; elle a l'air terrible et menaçant : ce doit être une furie. » La ressemblance avec Éleusis se borne aux ténèbres et à l'apparition du daduque qui les dissipe. Mais il est impossible de voir dans une simple comparaison, qui veut être plaisante, une allusion aux scènes des Enfers qu'on aurait présentées aux initiés. Reste le choeur des Grenouilles d'Aristophane. Il nous semble que la hardiesse du poète démontre précisément le contraire de ce qu'on a voulu en conclure. Si le spectacle des Enfers avait été placé sous les yeux des initiés dans les mystères, une allusion aussi directe aurait été considérée comme portant atteinte au secret, et le comique se serait vu en butte aux mêmes dangers qu'Eschyle. Sans doute, on promettait aux initiés une béatitude parfaite et spéciale dans l'autre vie. Mais cette promesse, qui se trouve déjà dans les derniers vers de l'hymne homérique à Cérès, était publique. Quand les écrivains tels que Pindare 738 et l'auteur de l'Axiochos 739 décrivent le séjour délicieux où se rendront les âmes des initiés, ils n'ont rien de l'embarras qui arrête en général les Grecs quand ils vont toucher à un sujet couvert par la loi de secret des mystères et appartenant à la partie réservée des initiations. Nous ne croyons donc pas qu'aucune scène de la vie après la mort, soit des Enfers, soit des Champs Élysées, ait jamais fait partie des spectacles mystiques d'Eleusis. Nous ne croyons pas davantage qu'il y ait eu, dans les représentations d'Éleusis, des alternatives subites de lumière et de ténèbres; on a abusé, pour établir cette supposition, des expressions de Dion Chrysostome'`' (6xiTOUç TE xai pnr ç iva)J-r ?EvolxdVwv), quand cet auteur décrit la rapidité avec laquelle les mystes passaient de l'obscurité du dehors à la clarté brillante qui régnait dans l'intérieur du télestérion'" ; l'alternative qu'exprime l'adverbe iva?)e n'avait lieu sans doute qu'une seule fois'''. Somme toute, la description la plus exacte paraît être celle de Claudien 753, en tenant compte, bien entendu, du langage poétique. Effectivement les mystes, rassemblés en dehors de la salle, voyaient d'abord la lueur causée par l'illumination intérieure se répandre à travers l'bneov de la toiture (claram dispergere culmina lucem); on entendait en même temps le bruit des préparatifs du spectacle, un peu enflés seulement par le poète (trepidis delubra moveri sedibus) ; enfin les portes s'ouvraient, et le daduque se présentait ses flambeaux à la III. main (sanetasque faces attollit Eleusis). Il introduisait les mystes, et le premier objet qui frappait l'attention de ceux-ci à l'intérieur du télestérion était la statue de Déméter, qu'on venait de parer de vêtements et de bijoux, en ravivant ses couleurs74'`. Là se trouvaient réunies toutes les séductions des yeux qu'énumère Plutarque 743 « illumination merveilleuse, décoration élégante du local, chants et danses qui tempéraient la majesté des paroles sacrées et des apparitions saintes ». Peut-on essayer de déterminer, d'une manière générale, car on ne saurait naturellement prétendre entrer dans le détail ce que retraçaient ces spectacles dans les deux nuits entre lesquelles il faut répartir les rares indications littéraires qui nous soient parvenues à cet égard? Il paraît certain que dans une des nuits des initiations on représentait, sous forme mimique, tout le mythe de Déméter et de sa fille, à partir de l'enlèvement de Proserpine. « Déo et Coré, dit Clément d'Alexandrie X46, sont devenues un drame mystique ; Éleusis éclaire à la lueur des torches du daduque l'enlèvement de Coré, les courses errantes et le deuil de Déo. » Plusieurs circonstances de ce drame sont indiquées épisodiquement par les Pères de l'Église qui attaquent les mystères. Saint Astérius 7'7 parle de la « descente ténébreuse », Tb xaTaÊ tov Tb 6xoTEty®V, ce que l'on doit entendre peut-être, avec M. Stephani7''e, de la caverne par où descendait Pluton enlevant Proserpine. Les Pères de l'Église affirment aussi qu'on représentait la scène de BAUBO X59 dans toute son indécente grossièreté 750, mais on ne peut guère imaginer qu'un semblable personnage fût rempli par une prêtresse [et l'on ne doit d'ailleurs admettre qu'avec beaucoup de précautions les textes d'adversaires déclarés du paganisme qui faisaient arme contre leurs ennemis de tous les récits plus ou moins calomnieux qu'on répandait dans le monde chrétien sur les cérémonies de la religion grecque ; c'étaient des représailles naturelles contre ceux qui accusaient les chrétiens d'immoler des enfants nouveau-nés. Savons-nous si la première de ces accusations n'était pas aussi absurde que la seconde?' Le drame mystique ne devait pas se terminer au retour de Coré. Claudien 75t signale en termes très clairs la scène culminante qu'il prend comme type du spectacle, l'apparition de Triptolème dans son char attelé de serpents sifflant, la triple Hécate sortant de terre et le jeune Iacchos s'avançant couronné de lierre. Cette réunion d'lacchos et de Triptolème, les deux nourrissons de Déméter, l'un divin, l'autre humain, dans une même scène, se trouve sur un monument que nous avons déjà cité, sur le vase de Panticapée 782 (fig. 2630). On a pu y reconnaître de préférence une allusion aux petits mystères, parce qu'on y voit figurer Hercule, tenant le bacchos, en qualité d'initié. Ce personnage et celui de Dionysos, qui lui fait pendant, pour indiquer l'union des Dionysies et des Éleusinies, sont évidemment étrangers au drame même de l'initiation : mais le reste de la composition semble retracer avec exactitude le groupe de 73 .-578 ELE et qu"il devait s'offrir aux regards des mythes. les deux Grandes Déesses, Déméter, assise en en mère, et Coré, jeune et charmante, appuyée ser une stèle, tenant un long flambeau, s'avance l'enfant Iacchos, portant la corne d'abondance comme Triptolème dans son char ailé, prêt à partir pour porter dans toute le terre, avec le secret de la culture, des épie de blé qu'il tient à la main. Il ne manque, pour ts;mr':éter la description de Claudien, que le mannequin colossal de la triple Hécate s'élevant dans le fond. A droite du groupe des Grandes Déesses se tient Eumolpe en daduque, portant les flambeaux, vêtu du costume thrace qui indique son origine, mais le front ceint des insignes caractéristiques de sa fonction jnaDOCIUS1. Après lai vient Aphrodite assise, ayant auprès d'elle r:ros' +:in» femme également assise, lui fait pendant de l'autre côté et représente peut-être sa suivante Peitho. C'est le cas de se souvenir de ce que dit Thémistius'" du spectacle qui ravissait les initiés : « Vénus s'y montrait, à côté du daduque, et les Grâces prenaient p rt à l'initiation. » Que te drame mystique des aventures de Déméter et de Coré constituât le spectacle essentiel de l'initiation, c'est ce dont il nous semble impossible de douter. Mais on y représentait aussi des mythes plus compliqués, plus étrangers à la religion publique, des mythes auxquels on attribuait un sens plus profond et faisant pénétrer davantage dans ta conception de la nature intime des dieux. Peut-être ces spectacles plus mystérieux taient-ils réservés aux inities du degré le plus élevé. De là le nom d'~ co7r e6a, et surtout celui plus significatif d'aéo'lle'". qui indique si clairement que les époptes étaient censés voir en face les dieux dans leur essence même. C'est chez Clément d'Alexaadrie7u qu'il faut chercher une indication sur la nature de ces légendes mystiques où l'on voit la légende de Bacchus orphique se greffer sur celle de Déméter et de sa fille, Il raconte d'abord avec urne indignation véhémente « les mystères de Déo, » en prévenant ses auditeurs que s'ils sont pitiés, ils n'en "e' 5uuaitront que mieux le ridicule des folies auxquelles il fait allusion : c'est l'union de Zeus avec Déméter, nommée Brimo dans cette circonstance, les résistauces de la déesse, les violences impies du dieu et ses ruses cyniques ;--puis, Coré étant née de Déméter, c`est, l'union incestueuse du même Zeus changé en serpent avec sa fille qui enfante un fils à figure de taureau. Commence alors l'histoire de ce nouveau dieu, le Dionysos Zagreus, déchiré en morceaux par les Titans, la punition lies meurtriers foudroyés par Zeus, l'ensevelissement de la victime sur le Parnasse par les soins potion. Le tout est mêlé de comparaisons et de oeufs avec les mystères d'Attis en Phrygie, ôabazios, etc. Il y a 1k, de la part du Père de l'Église, un artifice de augustes et vénérables entre tous dans le monde hellénique et, pour les discréditer, il montre qu'ils reposent sur les mêmes conceptions que les mystères asiatiques, méprisés parle monde grec, qu'ils offrent sous des noms différents les mêmes mythes ; il les confond avec intention les uns et les autres d'une manière presque inextricable'''. Mais quels mystères a-t-il principalement en vue dans son invective? Malgré le dédain dont Lobeck'" accable ceux qui peuvent partager une semblable opinion, il nous parait indéniable que ce sont les Éleusinies7G3. Il affecte d'employer pour Déméter le nom essentiellement éleusinien de Déo n , qui a toujours été absolument étranger à la religion de la Phrygie. De plus, dans la péroraison qui termine le morceau : « Toutes ces cérémonies, dit-il, sont bien dignes de la nuit et du feu, dignes du magnifique ou plutôt de l'extravagant peuple des Érechthéides. » Puis, avant de s'écrier : « Hiérophante, éteins ton flambeau; daduque, rougis devant la lumière que tu portes! » ce qui ramène formellement à Éleusis, il mentionne « les mystères du dragon » (eoG Sp«xovROm z« µvara ma). Or, qu'est-ce que ces mystères du dragon, si ce n'est ceux où Jupiter, transformé en serpent, s'unissait à sa fille Proserpine? Les témoignages ne manquent pas, du reste, pour établir que, dans la dernière période des Éleusinies, une des nuits mystiques voyait se développer le spectacle du mythe complet d'lacchos-Zagreus, tel que le raconte Clément d'Alexandrie, depuis l'union incestueuse de Zeus jusqu'à la sépulture du jeune dieu. C'est à cela que faisaient allusion saint Grégoire de Nazianze 760, quand il flétrissait les spectacies révoltants qu'on voyait dans les mystères, et plus tard saint Jean Chrysostome 761, quand il parlait des unions contre nature qu'on y présentait aux initiés. Tatien" est bien autrement formel en disant : « Jupiter s'unit à sa fille, et cette union est féconde. J'en ai pour témoin Éleusis et le dragon mystique. » M. Maury ifi3 accepte l'idée que les passages de Théodoret76' et de Firmicus Maternus7o5 sur des mystères oh I'on représentait la légende de Zagreus ne sont autres que les Éleusinies, modifiées sous l'influence de l'orphisme, L'auteur des .Pitilosophaumena 766 décrit, dans la nuit d'Éleusis, l'hiérophante célébrant les grands mystères au sein d'une lumière éclatante et s'écriant de sa voix la plus forte : e La déesse vénérable a mis au monde l'enfant sacré ; Brimo est mère de Brimos. » Ainsi, voilà dans la partie la plus secrète des initiations éleusiniennes ce nom de Brime, dont le récit de Clément d'Alexandrie explique la valeur mythique. Le scholiaste de Platon 767, comme nous l'avons montré dans la section précédente, attribue formellement aux Éleusinies ia formule symbolique « j'ai mangé dans le tympanon, etc. », que le Père alexandrin lie à la légende religieuse qu'il rapporte. Tous ces faits, en se groupant, achèvent de démontrer, contrairement à Lobeck, que l'invective de Clément d'Alexandrie a trait réellement à l'epoptie, Toute cette légende, d'ailleurs, était certainement étrangère au fond primitif des mystères d'Éleusis. Le EL~ b'19 --E LE mythe de Zagreus est un emprunt que les Orphiques firent à la Phrygie et à. la Syrie" et ils ne l'introduisirent à Éleusis qu'à une époque relativement basse, comme nous avons essayé de l'établir dans la section I. C'est alors que ce mythe put devenir un spectacle spécial à l'époptie et que l'on porta, pour` pouvoir l'y représenter, le nombre des nuits mystiques ou aexvvuy,ifiû, à deux. En effet, si la distinction des mystes et des époptes existait déjà antérieurement à la guerre de Péloponnèse' et du temps d'Alcibiade"0, différents indices sont de nature à faire penser qu'il n'y avait alors qu'une axvvu-f»;. Et c'est ainsi qu'Alcibiade put ètre accusé d'avoir, en parodiant les mystères dans une nuit d'orgie, donné aux convives réunis dans le même souper, aux uns le rôle de mystes, aux autres celui d'époptes, La séparation complète de la cérat, et de l'Faeonve(ce en deux cérémonies différentes ne se montre à nous qu'au temps de Démétrios Poliorcète "t, c'est-à-dire au temps mèrne où l'identification d'lacchos et de Zagreus devint complète. Astérius77E signale avec indignation dans les mystères d'Él.eusis la rencontre de 1'hiérophante et de l'hiérophantis seul à seule. Il ne s'agit pas là de l'union de Proserpine avec son époux infernal, comme l'ont pensé quelques érudits, mais plutôt de celle de Déméter avec Zeus, puisque Tertullien'73 nous parle du rapt de l'hiérophantis représentant Cérès, et Cérès résistant à cette union, comme l'indique aussi Clément d'Alexandrie : Cur rapitur saeerdos Generis, si non tale Ceres passa est? C'est cet hymen qu'imitait le devin Alexandre dans ses nouveaux mystères, en plaçant une scène mimique du même genre dans la dernière nuit des représentations dont i1 avait calqué le plan général sur celui des Éleusinies77t. C'est alors sans doute qu'on dressait devant les yeux des époptes le lit nuptial que les Valentiniens avaient transporté dans leurs assemblées nocturnes'", où ils copiaient tant de choses des mystères d'Éleusis ", Nous avons parlé de la formule mystique où se trouvent les mots iii tiôv 7eaa'eôv taciluov, qui font directement allusion à ce lit nuptial, mais on ne peut pas décider avec certitude si cette formule appartenait aux Sabauies ou aux Éleusinies, En tout cas, il est réel que l'hiérophante s'enfermait seul avec l'hiérophantis pour donner aux spectateurs l'illusion de l'union conjugale entre le dieu et la déesse et, bien que cette épisode fût sans doute un pur simulacre, une sorte de symbole conventionnel777, la hardiesse d'un tel rite suffirait à légitimer les protestations et les révoltes des Pères de l'Église chrétienne, [Mais, comme nous l'avons dit plus haut, les témoignages des Pères de l'Église peuvent passer pour suspects, étant le résultat de polémiques violentes et de luttes passionnées où l'on accueillait, de part et d'autre, pour exalter le christianisme comme pour l'attaquer, toutes sortes de faits non prouvés, Aucun texte d'auteur païen ne fait allusion à des spectacles impurs, présentés aux initiés des Éleusinies. Certains détails peu décents r risLaient dans la légende de Déméter, on a, pu en conclure trop précipitamment qu'ils étaient représentés en acte dans les nuits mystiques. Le témoignage d'un esprit éclairé et impartial tel que Cicéron, parlant des mystères de Cérès comme d'une école de civilisation et de moralité7V6, est de nature à faire planer quelque doute sur la justesse des accusations portées contre les Éleusinies.] Dans le mythe raconté par les Orphiques, Zagreus, après son ensevelissement, ressuscitait triomphant. flous ne pensons cependant pas que cette résurrection fût représentée directement dans t èpoptie d'Éleusis, ? 's initiés, qui dans lie mythe de Déméter avaient -cl le i .:, enfant revenir des Enfers aux bras de Coré, n'avait. et plus besoin d'apprendre qu'il ne resterai: pas toujours dans la demeure des morts. C'est, croyons-nous, sous une forme symbolique que s'offrait alors aux époptes la résurrection, la palingénésie du dieu dans lequel ils trouvaient l'emblème de l'immortalité qui leur était promise. A la scène de la sépulture de Zagreus devait succéder immédiatement le dernier spectacle offert aux initiés, ce que Fauteur des Philosophaumena T79 appelle a le plus grand, le plus merveilleux et le plus parfait mystère de l'époptie ,, l'épi de blé.; présenté en silence à la foule assemblée. Le symbole essentiel et fondamental du culte de Déméter revenait ainsi comme le terme supréme de ta contemplation mystique, présenté sous son sens le plus élevé, résumant et éclairant toutes les scènes précédentes'100, VIII. Les mystères et l'autre rie. « Le sens mystique des cérémonies sacrées, dit Strabon781, est un hommage â la divinité, dont il imite la nature qui se dérobe aux sens, s Et Diodore de SicileT2" : a On dit que ceux qui ont participé aux mystères en deviennent plus pieux, plus justes et meilleurs en toutes chose. ,s Lutin, plusieurs siècles auparavant, Andocide disait aux. .àthénlens ses juges :. « 'Vous êtes initiés et sous avez =:ontemplé vos rites sacrés, célébrés en i'honr,eur des deux déesses, afin que vous punissiez ceux qui commettent l'impiété et que vous sauviez ceux qu'on accuse infuse tentent'$',D Si les Pères de l'Église ont été justement révoltés de l'indécence de certains symboles ou de certaines scènes présentées aux regards des initiés, d'un autre côté, étant donnée la société antique et ses croyances, on doit accepter l'exactitude de ce que disent tant de philosophes et de grands esprits du paganisme au sujet de l'heureuse influence des initiations d'Éleusis. Surtout, ce qui reste l'honneur et l'incontestable mérite des mystères d'Éleusis, c'est l'affirmation énergique, qui s'y maintint depuis le premier jusqu'au dernier jour, de la vie divine après le trépas et de l'immortalité de l'âme humaine78t. Dans le Rituel funéraire égyptien, l'homme, au moment de sa mort, est représenté comme un grain qui tombe dans la terre, afin de puiser dans son sein une nouvelle vie 78'. Sans qu'il faille pour cela en chercher l'origine sur les bords du Nil, la symbolique des mystères d'Éleusis était la même 786, et la fable de Proserpine est aussi bien l'image de la destinée de l'homme après la mort que celle de la reproduction de la vie végétative par la semence confiée à la terre. Mais dès que l'on s'élève audessus de l'idée grossière et primitive d'une palingénésie purement terrestre, d'un retour à l'existence de ce monde, l'immortalité, la vie par delà la tombe se présente à l'esprit de l'homme avec des peines et des récompenses, des élus et des damnés. Il était naturel qu'en proclamant l'existence de l'autre vie, les mystères affirmassent leur pouvoir de donner la béatitude à ceux qui participaient à leurs purifications et à leurs rites. Ce sont là les « belles espérances » ()Caaai Derriase787) qui accompagnaient dans la tombe les initiés de Déméter. L'auteur de l'hymne homérique s'écrie en finissant : « Heureux celui des hommes qui a vu ces mystères; mais celui qui n'est point initié, qui ne participe point aux rites sacrés, ne jouira point de la même destinée après sa mort dans le séjour des ténèbres 788. » Sophocle 7B9 dit de même : « 0 trois fois heureux ceux des hommes qui descendent dans l'Hadès après avoir contemplé ces spectacles ; seuls ils ont la vie ; quant aux autres, il n'y a pour eux que des souffrances. » Platon 79° nous représente celui qui n'a pu être. initié croupissant dans le bourbier des Enfers, tandis que celui qui a été purifié et initié jouit, dans l'autre vie, de la société des dieux. Suivant l'Axiochas u1, les initiés devaient avoir la première place dans l'empire de Pluton. Les Athéniens, pour engager Diogène à se faire initier aux mystères, lui assuraient que ceux qui avaient accompli ces cerémonies sacrées présidaient, après leur mort, sur les autres hommes dans les Enfers 792. Plutarque dit aussi: «Mourir, c'est être initié aux grands mystères... Toute notre vie n'est qu'une suite d'erreurs, d'écarts pénibles, de longues courses par des chemins tortueux et sans issue. Au moment de la quitter, les craintes, les terreurs, les frémissements, les sueurs mortelles, une stupeur léthargique viennent nous accabler ; mais dès que nous en sommes sortis, nous passons dans des prairies délicieuses, où l'on respire l'air le plus pur, où l'on entend des concerts et des discours sacrés, enfin où l'on est frappé de visions célestes. C'est là que l'homme, devenu parfait par sa nouvelle initiation, rendu à la liberté, vraiment maître de lui-même, célèbre, couronné de myrte, les plus augustes mystères, converse avec des âmes justes et pures et voit avec mépris la troupe impure des profanes, ou non initiés, toujours plongée et s'enfonçant d'elle-même dans la boue et dans de profondes ténèbres793. » Aristophane, dans ses Grenouilles, n'est pas moins explicite, qu'il.fasse parler Hercule 794 ou le choeur des initiés jouissant de la béatitude dans les Enfers'''. Cette béatitude est celle qui est promise aux justes (oixxtot), aux saints (calot), aux bons (XpaTOi 796). Mais ne nous exagérons pas la signification morale de ces dernières expressions, employées par des écrivains qui se font l'écho des mystères. Les qualifications que nous venons d'énumérer appartiennent de droit aux initiés, que les cérémonies sacrées et le spectacle des choses divines ont purifiés, justifiés, rendus parfaits; l'immortalité bienheureuse leur est définitivement acquise par le seul fait d'avoir participé aux mystères. Si l'on a, sous l'influence des doctrines éleusiniennes, ajouté Triptolème après Éaque aux juges des Enfers 797, ce n'est pas tant pour prononcer une sentence que pour recon= naître les siens et pour leur assurer le sort qui leur a été promis. L'effet de l'initiation est exactement la grâce inamissible de certaines sectes chrétiennes, avec ses dangereuses conséquences morales, qui portent si profondément atteinte à la responsabilité humaine et à la justice de la rémunération dans l'autre vie. Diogène comprenait bien l'écueil d'une telle doctrine, quand il disait ne pas pouvoir admettre que le sort du brigand Patécion, parce qu'il avait été initié, pût être meilleur dans l'autre vie que celui d'Épaminondas, qui ne l'avait point été 798. Plutarque nous a dépeint sous quels traits on se figurait la béatitude des justes, c'est-à-dire des initiés. Le choeur des lnystes, cher Aristophane, décrit aussi ces jardins délicieux, où règnent tous les plaisirs, et sur lesquels s'étendent encore avec complaisance Pindare799 et l'auteur de l'Axlbchos 800. Il y a là un thème de description consacré, qui est devenu plus tard un lieu commun poétique et que Virgile a repris pour ses ChampsÉlysées, mais qui à l'origine était intimement lié avec la doctrine mystique et y occupait une place essentielle. Polygnote, dans les scènes des Enfers qu'il avait peintes à la Lesché de Delphes, avait retracé le supplice de ceux qui avaient méprisé les mystères d'Éleusis et négligé de s'y faire initier 801; ils portaient de l'eau dans des vases brisés ou en versaient, comme les Danaïdes, dans un pithos sans fond. L'idée essentielle de ce supplice est facile à pénétrer et, sans aucun doute, était empruntée à quelqu'un des préceptes (7rap«yYéXp.aTa) énoncés dans les mystères mêmes 80'. C'est celle du plérome ou de la plénitude de science et de perfection, donné comme le résultat de l'initiation. L'on discerne ainsi où les gnostiques ont été chercher leur notion du plérome, qui existait déjà avant eux, puisque saint Paul y fait clairement allusion'''. C'est en vain que ceux qui sont restés étrangers aux mystères s'efforcent d'atteindre à l'état parfait exprimé par ce mot. Leur âme, avide de connaissances et de biens imaginaires, est comme le tonneau des Danaïdes qui ne se remplit jamais. Mais si le vase brisé ou sans fond, ne pouvant plus contenir ELE i 81 ELE l'eau, est le symbole de l'âme non initiée qui ne peut point parvenir à la béatitude, le vase entier, qui ne laisse pas échapper le liquide qu'on y dépose, doit être naturellement celui de l'âme initiée, en possession de la science religieuse, et par conséquent de l'âme arrivée après la mort à ce bonheur dont l'initiation donnait la garantie. En somme, malgré l'emploi de certains symboles grossiers, qui choquaient moins les anciens que nous, les Éleusinies peuvent être considérées comme une des fêtes les plus graves et les plus morales du paganisme et c'est avec raison que le culte de Déméter, fondement de ces mystères, passait encore aux yeux des plus sages Romains 804 pour un agent puissant de civilisation et de progrès social. F. LENORMAN'T. [E. POTTIER].