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ELOGIUM. Ce mot n'a jamais eu par lui-même le sens de louange, comme le français éloge ; quelquefois il doit être traduit, au contraire, par grief, accusation, condamnation'... Mais il est assez difficile de saisir un lien entre les diverses acceptions qu'il présente dans l'usage classique et de décider quelle est celle qui a donné naissance aux autres. L'étymologie, en effet, est des plus obscures; jusqu'à Mommsen on la cherchait généralement dans la langue grecque Le premier il s'est efforcé de montrer qu'il fallait la demander au latin ; pour lui elogium vient d'elegere, comme fors de fero, sors de ser) et toge de tego ; par conséquent on aurait désigné parlé toute pensée choisie dans un grand nombre, toute expression qui rendrait une idée, ou une suite d'idées sous une forme brève et rapide, telle qu'une sentence, une formule, un extrait, un sommaire... etc'. Cette hypothèse a été combattue par Curtius `; suivant lui l'étymologie grecque est seule plausible ; mais il faut écarter des mots comme iAAdytov ou ixAoyeiov, qui semblent avoir été inventés pour les besoins de la cause ; reprenant une idée, qui avait été déjà mise en avant par Saumaise et par Orelli 5, mais sans être appuyée d'une démonstration, Curtius tire la forme elo
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giurn du grec E)Eyotov et il entend par là une épigramme composée d'un distique. Ce n'est pas ici le lieu d'exposer les preuves par lesquelles cette étymologie peut être justifiée au point de vue de la linguistique ; mais il importe de retenir de l'argumentation de Curtius qu'elogium se rencontre déjà chez Plaute et que le passage de cet auteur, où on le relève pour la première fois, se prête fort bien à l'interprétation proposée, au lieu qu'il en comporte difficilement une autre. Un personnage, à qui on veut donner comme servante une fille qu'il trouve trop jolie, la refuse en ces termes : «Les amoureux viendraient faire leur carillon devant ma porte ou la charbonneraient partout d'inscriptions galantes; impleantur meae forcis elogiorurn 7 carbonibus. n L'épigramme, on le sait, était un des genres les plus populaires de la littérature grecque; elle servait à exprimer les idées et les sentiments les plus divers ; il suffit, pour s'en convaincre, de parcourir l'Anthologie. Partout où la civilisation hellénique avait pénétré, des inscriptions, sous forme d'épigrammes, se lisaient sur les temples, sur les tombeaux, sur les oeuvres d'art de toute espèce. Est-il vraisemblable que les Romains, qui empruntèrent aux Grecs la plupart des mots de la langue savante, leur aient laissé i)e rtov, qui désignait un genre littéraire plus répandu qu'aucun autre? Il semble au contraire qu'il ait été un des premiers parmi ceux auxquels ils devaient accorder droit de cité. Il est vrai qu'on trouve dans les écrivains à partir du temps d'Auguste la forme elegi, elegeia, elegia; mais elle désigne généralement l'élégie savante et de longue haleine, telle que l'ont traitée Tibulle, Properce et Ovide, et non cette épigramme v ulgaire, composée de quelques vers, parfois même d'un seul distique, qui couvrait les murailles des villes grecques. Comment aurait-on attendu si longtemps pour donner un nom chez les Romains à cette poésie légère, et quel était ce nom, avant le siècle d'Auguste, si ce n'était pas elogium? Curtius a donc été amené à conclure qu'elogiutn est une forme latinisée d'in=_ymiov, qui a été en usage assez longtemps avant qu'elegi, elegeia et elegia fussent mis en circulation par les lettrés ; du reste elle ne s'appliquait pas au même genre que ces mots plus récents ; néanmoins, à partir du temps d'Auguste, on a souvent pris la forme vulgaire pour la forme savante et réciproquement ; ainsi s'expliquent les variantes, auxquelles cette confusion a donné lieu dans plus d'un texte classique g. Mais tandis que la forme savante restait toujours appliquée dans le langage à un genre littéraire, le sens d'elogium s'est modifié ; 6naymtov, qui désignait à l'origine le distique composé d'un hexamètre et d'un pentamètre, a fini par être employé aussi bien lorsqu'on voulait parler d'une couple d'hexamètres 9 ; il en a sans doute été de même d'elogium. Puis on a été plus loin ; le mot s'est appliqué àde courtes pièces de vers, admettant des mètres de toute espèce, et même à des morceaux en prose de quelques lignes, où l'on enfermait la matière ordinaire d'une épigramme. Plus tard encore il arriva sans doute que la variété, qui faisait chez les Grecs un des charmes
du genre, s'effaça de plus en plus, et comme les Romains, qui en goûtaient avant tout l'utilité pratique, l'avaient consacré principalement à célébrer leurs grands hommes, le sens de louange, qui, à l'origine, ne convenait qu'à une seule classe d'elogia, resta désormais attaché à ce mot et l'emporta sur tous les autres. Encore ce changement ne se produisit-il qu'à une époque postérieure aux temps antiques ; car, même dans la basse latinité, nous voyons subsister toutes les nuances du sens primitif. II faut aller jusqu'au xvte siècle pour trouver le mot éloge avec le sens qu'il a conservé dans notre langue 1e. L'explication de Curtius a été acceptée sans difficulté par plus d'un érudit" ; elle est repoussée cependant par Ditntzer, comme inconciliable avec les lois de la phonétique 12. Il a été surtout frappé d'un fait, qui n'avait pas échappé à Curtius; c'est que le sens d'elogium s'est étendu au point que, dans certains textes, il semble désigner d'une façon générale toute expression de la pensée u ; Curtius citait à ce propos parabola, qui a donné parole, et Tps oulis, qui dans le grec moderne s'applique à toute espèce de chanson, Düntzer pense que ce sens est le primitif, bien loin d'être un sens dérivé, et il considère elogium comme une forme plus ancienne d'eloquium. Il s'accorderait donc en un point avec Mommsen : c'est que le mot vient du latin, et non du grec.
I. INSCRIPTION. Quoi qu'il en soit de la question d'origine, on ne saurait douter que de bonne heure les Romains aient donné le nom d'elogia à des inscriptions, et à des inscriptions de nature très diverse. Le passage de Plaute, reproduit plus haut, fait penser à des inscriptions en lettres cursives, contenant une plaisanterie plus ou moins triviale, comme celles que les oisifs ont tracées avec une pointe sur les murs de Pompéi. Caton 14 appelle elogia les inscriptions que l'on voyait en Grèce sur les monuments élevés à la gloire de Léonidas et de ses compagnons ; il est vraisemblable qu'il désigne surtout par là des épigrammes funéraires semblables à celles de l'Anthologie 15, où est célébré le beau trépas du héros spartiate, et dont la plus connue est celle que Simonide de Céos, le maître du genre, avait composée pour être gravée aux Thermopyles, On lisait à Reine, près de la porte Capène, sur le tombeau d'A, Atilius Caiatinus (consul en 258 avant J.-C.), une inscription en vers saturniens, qui perpétuait le souvenir de ses vertus; pour Cicéron, c'est un elogiumfb. Ce témoignage de l'orateur et d'autres encore montrent clairement qu'il applique le mot à certaines inscriptions funéraires", avais non à toutes indistinctement. Il s'en sert aussi pour désigner un distique élégiaque de Solon, qui n'est pas uneépitaphe fe. Ainsi dans sa pensée elogium doit représenter une épigramme, quels qu'en soient le sujet et la destination. L'auteur du Cules imagine que sur la tombe où est enfermé le moucheron, le berger reconnaissant trace un elogium 19. Enfin Suétone raconte que lorsque Drusus mourut (en l'an 9 av. J.-C.), Auguste le célébra dans un elogium en vers, qui fut gravé sur son monument funèbre : elogium tumulo ejus versibus a se cornpositis excuipsit 20. Mais le même historien, dans un autre
hlilllllilili1;1;1jlihl,hl,1'lil~l l 111111111 Ii1111111,1.1'! 1111111111
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passage, appelle elogium une inscription votive; lorsque Caligula, dit-il, eut découvert la conspiration formée par IEmilius Lepidus, et qu'il eut enveloppé ses propres soeurs, Agrippine et Livilla, dans l'accusation intentée à ce personnage, il consacra les trois épées, préparées contre lui, à Mars Vengeur en y ajoutant une inscription : addito elogio2t. Ce mot est même encore employé par Suétone dans une autre acception ; parlant de Galba et de l'origine des Sulpicii, il s'excuse de ne pas énumérer, parce qu'il lui faudrait trop de temps, toutes les inscriptions placées sous les portraits des ancêtres de l'empereur : imagines et elogia universi generis e.xsequi lingum est 22. Peut-être a-t-il eu sous les yeux des documents analogues en écrivant la biographie de Vitellius 23. Si l'on rapproche ces témoignages les uns des autres, on voit que le mot elogium pouvait désigner également bien : 1° une inscription griffonnée sur un mur; 2° une inscription funéraire; 3° une inscription votive ; 4° une inscription placée sous un portrait pour indiquer les noms et les titres du personnage représenté. Cependant on ne saurait admettre qu'elogium ait jamais été, d'une façon absolue, synonyme de titulus. Il faut donc avouer que si les philologues ont des raisons pour repousser l'étymologie proposée par Curtius, le sens général d'épigramme convient parfaitement pour rendre compte de ces différents emplois.
Aujourd'hui le mot elogium est reçu dans la langue des épigraphistes ; en l'adoptant, ils en ont déterminé l'application comme il suit :
1° Elogia funéraires. Sous la république romaine, quand un membre d'une famille noble mourait, on luicomposait une épitaphe, où l'on énumérait, à la suite de son nom, les charges qu'il avait remplies. A l'origine elle était rédigée tout entière au nominatif et les magistratures curules étaient seules indiquées ; c'est là la forme la plus ancienne des elogia ; ils étaient extrêmement brefs et pour les personnages même les plus illustres se composaient à peine de quelques mots. Nous avons une série très complète d'elogia funéraires dans les inscriptions que renfermait le caveau des Scipions, près de la porte Capène, où on les a retrouvées au xvi° et au xvlll° siècle24. Ils se répartissent sur une période qui va de l'an 290 environ jusqu'à l'an 130 avant notre ère. Un des premiers en date, celui de L. Scipio, consul en 259, est ainsi conçu 26 : « L[ucio] Cornelio26, L[ucii] f[ilio], Seipin, aidiles, cosol, cesor. » Cet elogium et celui de L. Scipio Barbatus, père du précédent (fig. 2641), n'ont pas été gravés dans la pierre, mais simplement tracés en rouge avec un pinceau immédiatement après le décès. Plus tard, vers l'an 200 peut-être, on a gravé au-dessous de l'un et de l'autre une pièce de six vers, dans le mètre saturnien, où l'on a enfermé un sommaire des hauts faits accomplis par les deux Scipions ; dans celui du consul de 259 on a répété, en modifiant l'ordre historique, pour obéir aux nécessités de la mesure, les magistratures déjà indiquées plus haut dans l'épitaphe ; on a complété cette courte biographie par une appréciation morale sur les vertus du personnage. L'ensemble est ainsi conçu : « Banc oino
ploirume cosentiont B[omane] Duonoro opium) fuise viro [viroro] -Luciom Scipione. Filins Barbati, Consol, censor, aidilis hic fuel a[pud vos]. Bec cepit Corsica Aleriaque orbe [pugnandod], Dedet tempestatebus aide mereto[d] 27. Mommsen pense que ces elogia en vers,
qui appartiennent au second âge du genre et qui en marquent déjà la transformation, ont été introduits par imitation des épigrammes funéraires si communes en pays grecs. II est remarquable que l'elogium de Caiatinus, consul en 258, qu'on pouvait voir près de la porte Capène, tout auprès de celui de Scipion, consul en 259, débutait en termes presque identiques. Voici les deux premiers vers, tels que les donne Cicéron 28 : « Unum hune plurimae consentiunt gentes Populi primarium fuisse virum 29
Il faut rapporter à la même classe plusieurs petites pièces de vers latins, composées en l'honneur de poètes qui ont vécu au ue siècle avant Jésus-Christ". Aulu-Gelle, qui nous les a conservées u, les appelle des épigrammes et croit qu'elles ont été écrites par ces poètes mêmes pour être placées, après leur mort, sur leur propre tombeau ; mais il est prouvé qu'elles ne sont pas de leur main 32 ; ce sont de véritables elogia tout à fait comparables à ceux des Scipions; nous en avons un sur Naevius en vers saturniens, un sur Plaute en hexamètres dactyliques, un sur Ennius en vers élégiaques et un sur Pacuvius en iambiques sénaires. A l'époque républicaine on a encore rédigé des elogia pour des personnages de bien moindre importance, qui ne s'étaient distingués ni dans les hautes fonctions de l'État, ni dans les lettres ; nous en connaissons un qui est consacré à un riche affranchi". Ce qui les caractérise tous, c'est que le nom de la personne y est toujours au nominatif. Suivant Mommsen, ceux des magistrats, qui avaient rempli des fonctions curules, n'auraient jamais été exposés en public avant Auguste ; car nous voyons que ceux des Atilii et des Cornelii, par exemple, étaient enfermés à l'intérieur d'un caveau 34. Au temps de l'empire, les elogia furent gravés sur la paroi extérieure des tombeaux, le long de la voie publique, de sorte qu'ils pouvaient être lus par tous les passants ; en outre, le nom de la personne y est mis au datif ; dès lors, toutes les inscriptions funéraires, qui contiennent l'énumération des titres du défunt et un éloge de ses vertus, peuvent s'appeler indistinctement elogia 36•
2° Elogia dans le domicile particulier d'une famille
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noble30. A l'origine les grandes familles nobles de Rome ne gardèrent d'autres témoignages biographiques sur leurs ancêtres que les documents qu'elles recueillaient dans leurs archives privées; ces commentarii genlilicii indiquaient les noms des anciens membres de la gens, les liens de parenté qui les avaient unis les uns les autres, les hautes charges qu'ils avaient remplies dans l'État et les services qu'ils lui avaient rendus. Lorsque leurs descendants voulaient se renseigner sur leur carrière, c'était à cette unique source qu'ils allaient puiser et ils s'en contentaient. Il vint un jour où on imagina de tirer de l'obscurité des archives ces généalogies glorieuses; alors chaque famille noble dressa la sienne et reçut de la loi le privilège héréditaire d'en conserver le tableau exposé, sous une forme saisissante pour les yeux, dans l'endroit le plus apparent de la maison. On rangea les portraits des ancêtres le long des murs de l'atrium, en les reliant les uns aux autres par des lignes tracées au pinceau, qui figuraient les liens de parenté. Au-dessous de chaque portrait fut placée une inscription ; on l'appelait titulus imaginis [IMAGO, TITULUS], mais aussi elogium 3T. Dans les premiers temps elle devait être très brève ; elle indiquait d'abord les noms propres au nominatif, puis les charges curules, qui constituaient les titres mêmes de la noblesse de la gens. L'épitaphe de L. Cornelius Scipio, consul en 250 avant Jésus-Christ, en reproduit la teneur ordinaire. Du reste, en général l'inscription, quand on la traçait aussitôt après le décès, ne devait être qu'une copie de l'épitaphe. Il faut noter toutefois que dans plusieurs épitaphes des Scipions la biographie du mort a donné matière à une courte pièce de vers; Mommsen pense que c'est là une coutume qui s'introduisit au ule siècle sous l'influence des moeurs grecques, mais que les elogia les plus anciens, placés sous les portraits de l'atrium, ne comportaient pas de développement poétique. S'il s'était écoulé un long intervalle de temps depuis le décès, la matière de l'elogiunz était empruntée aux comnzentarii gentilicii; c'était un extrait de documents plus étendus; d'où l'hypothèse qu'elogium viendrait d'elegere. Lorsqu'il y avait lieu, on ajoutait aux noms propres un surnom qui rappelait une victoire 38, et aux charges curules les grands sacerdoces, le pontificat et l'augurat n. Peu à peu on donna plus de développement à ces inscriptions ; on y fit entrer même les magistratures non curules, et cette coutume prévalut si bien qu'à la fin de la république certaines familles, en composant des inscriptions de toutes pièces pour des ancêtres morts depuis trois ou quatre siècles, et sur lesquels elles n'avaient que des renseignements insuffisants, y appliquaient abusivement la nouvelle forme de rédaction. Tite-Live parle d'un texte de ce genre qu'on voyait de son temps chez les Minucii, sous le portrait d'un membre de la famille40; on y lisait qu'il avait été tribun du peuple (en 439 av. J.-C.). L'inscription était deux fois fautive; d'abord parce qu'elle contenait une erreur de fait, qui est relevée par l'historien, et aussi parce qu'à une époque plus ancienne le tribunat n'y aurait même pas été indiqué ; c'était, pour employer l'expression de Tite-Live lui-même, un faims
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imaginis titulus. Sous l'empire, les elogia de cette catégorie prirent encore une forme nouvelle; le nom de la personne y fut mis, non plus au nominatif, mais au datif comme dans les dédicaces; en outre on y introduisit des détails biographiques, des appréciations morales ; larédaction en devint plus verbeuse. Au temps de Néron, C. Cassius Longinus fut accusé d'avoir, dans l'atrium de sa maison, le portrait de son grand-oncle, le meurtrier de César, avec une inscription ainsi conçue : Duci partiuen 6. Des elogia exposés dans la demeure des particuliers il n'est rien resté et il ne pouvait rien rester; car ils ne devaient pas être gravés dans le marbre, mais bien tracés au pinceau sur le mur, comme les lignes qui allaient d'un portrait à l'autre pour figurer les liens de parenté des anciens membres de la gens.
3° Elogia dans divers monuments sacrés ou publics. Des elogia de famille purent être d'abord reproduits dans des monuments sacrés ou publics, mais à titre purement privé. Appius Claudius Caecus, qui fut consul en l'an 313 avant Jésus-Christ, en donna le premier l'exemple ; ayant élevé un temple à Bellone, au Champ de Mars, il le décora de boucliers, où les membres de la gens Claudia étaient représentés et désignés chacun par une légende explicative 42 ; mais Pline, qui rapporte le fait, a soin de dire : in sacro vel publico dicare privation primus instituit. Sauf cette condition essentielle, la loi, pendant la période qui suit, n'interdisait pas à un magistrat d'ajouter son portrait et son elogium à ceux de ses ancêtres dans un monument public, ni même de les y placer seuls; ainsi L. Papirius Cursor et M. Fulvius Flaccus s'étaient fait peindre, revêtus du costume des triomphateurs, dans un temple qu'ils élevèrent sur l'Aventin à Cousus et à Vertumnus après des expéditions heureuses (272 et 264 av. J.-C.) 43 ; à coup sûr un elogium placé sous leurs portraits devait mentionner leurs noms et leurs titres 44. De même lorsque M. Valerius Maximus Messalla fit représenter ses exploits sur les murs de la curie Hostilia, après avoir battu Hiéron et les Carthaginois (263), il est bien probable qu'il ne négligea pas d'expliquer par une légende les diverses parties du tableau, tabulam rerum ab se gestarurn 4'. C'est ce qui doit nous faire comprendre comment le premier Africain put avoir son portrait au Capitole dans le sanctuaire de Jupiter ; il l'y plaça sûrement lui-même 46 ; mais il y avait des précédents, et du reste Valère Maxime fait bien ressortir le caractère privé de cette dédicace, quand il raconte que la gens Cornelia, à chaque deuil qui la frappait, allait chercher le portrait du grand homme au Capitole ; elle était la seule dans Rome pour qui le temple de Jupiter fût comme un atrium, instar atrii 47. M. Claudius Marcellus, le vainqueur de Syracuse, avait fait restaurer et agrandir le temple de l'Honneur près de la porte Capène ; après sa mort, son fils l'avait dédié solennellement; plus tard encore son petit-fils, consul en 166, plaça dans l'édifice leurs statues à tous trois avec un elogium ainsi conçu : T res hfarcelli novies consoles. Le dernier Marcellus avait été consul trois fois, tandis que son père ne l'avait été qu'une seule, de sorte qu'il reportait sur lui, par piété filiale, une partie de ses propres honneurs48.
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Il est évident que le droit d'exposer des elogia dans un lieu public dut être soumis aux mêmes règlements et passer exactement par les mêmes phases que le droit d'y exposer les portraits pour lesquels ils étaient faits. Par conséquent, les témoignages qui s'appliquent aux uns s'appliquent aux autres [maso] n. II n'est pas vraisemblable que la loi ait jamais reconnu ce droit à personne jusqu'à l'an 114 avant Jésus-Christ. En 114 en effet, on commença à émettre une nouvelle série de monnaies, où les magistrats monétaires furent autorisés à faire figurer soit des symboles rappelant l'origine et les grandes actions de leur famille, soit les portraits des personnages les plus illustres qu'elfe avait autrefois donnés à l'État. Quelques-uns de ces types sont accompagnés de légendes au nominatif, absolument comparables à des elogia ; ainsi le portrait de Marcellus, le vainqueur de Syracuse, se voit (fig. 2642) sur un denier frappé en 48 par un de ses descendants ; à côté on lit : Marcellus consul quinguies 50 ; un autre, au temps de Pompée, rappellera en ces termes qu'un de ses ancêtres a institué (vers 210) les fêtes de Cérès : Memmius aedilis Cerialia primas fecit 51, Lépide, le futur triumvir, fait graver, en 61, cette légende autour du portrait d'un de ses ancêtres, qui en l'an 200 avait été nommé tuteur du roi d'Égypte Ptolémée V Épiphane : Marcus Lepidus, tutor regis senatus consulta pontifex maximus 52. 11 suffit de comparer ces légendes aux plus anciens elogia recueillis dans le premier volume du Corpus pour s'apercevoir que la similitude est complète ; c'est donc en l'an 114 au plus tôt que les magistrats ont dû commencer à dresser sur les places publiques des statues à leurs ancêtres, en inscrivant un elogium sur le piédestal. Pendant la période qui s'ouvre alors et qui se termine avec la chute de la république, ces sortes de textes ont dû être singulièrement multipliés dans Rome. II y avait surtout un endroit où on en avait accumulé un grand nombre : c'était le Capitole ; if y en avait tout autour du Grand Temple 53. La galerie commerçait aux rois et s'arrêtait à César ; il n'est pas douteux que le piédestal de chaque statue portait un elogium ; nous en connaissons quelques-uns. Le même Marcus Lepidus, dont il est question plus haut, avait, à l'âge de quinze ans, dans une expédition à laquelle il prenait part, tué de sa main un ennemi en combat singulier et sauvé un citoyen; un sénatus-consulte, rendu sans doute au temps de Sylla ou de Pompée, lui décerna une statue équestre, qui lui fut élevée au Capitole ; l'elogium est reproduit sur un denier de son descendant le triumvir : Marcos Lepidus, annorum XV, progressas hostem occidit, civen2 servavit u. Q. Marcius Rex, étant préteur en 146, avait amené sur le Capitole l'eau qu'on désigne encore aujourd'hui à Rome sous le nom d'Acqua Marcia ; on lui éleva en ce lieu même une statue équestre avec un elogium, qui est reproduit en
partie sur un denier de L. Marcius Philippus, tribun du peuple en 49 (fig. 2643)". Q. Caecilius Metellus Pins Scipio, consul en 52, fit
placer dans la galerie du Capitole les statues équestres et dorées des Metelli; Denys d'Halicarnasse vit encore l'inscription gravée sous la
statue de L. Caecilius Metellus, consul en 6856; mais, dans la rédaction des elogia, Pius commit une erreur, qui divertissait fort Atticus et Cicéron, tous deux très soucieux du respect que l'on doit à la vérité historique ; il mit l'elogium de Scipion l'Africain sous la statue de Scipion Sérapion, consul en 138, et vice versa"; ce qui prouve que ces documents, rédigés par séries, longtemps après la mort des personnages à qui ils s'appliquaient, ne pouvaient, pas plus que ceux des atrium, être consultés sans précaution. Il est probable que plusieurs des légendes que nous lisons sur les monnaies du temps de Sylla et de Pompée reproduisent en tout ou en partie des elogia composés pour d'autres statues de la même galerie qui ne nous sont pas connues par les textes. Tous les elogia qui viennent d'être cités ont un caractère commun : ils ont été composés plus ou moins longtemps après la mort de la personne qui s'y trouvait mentionnée et les éléments en étaient puisés dans les archives publiques ou privées, voire même dans les ouvrages d'histoire, lorsque ce n'était pas simplement une reproduction des elogia qui tapissaient l'atrium d'un particulier. Toutefois, en parcourant la série des monnaies frappées à la fin de la république, entre 114 et 44, on peut constater que si beaucoup de monétaires choisissent des légendes relatives à des ancêtres éloignés, il y en a d'autres qui se font gloire des titres et des services de leur propre père ; en pareil cas la recherche n'était pas longue à faire et il est certain qu'on a dû arriver peu à peu à composer des elogia, à titre public, pour des personnages récemment décédés, comme le troisième Marcellus l'avait fait pour son père à titre privé. Enfin, de même que le monétaire, indépendamment du type où il reproduisait d'anciens elogia, gravait son nom au droit de la pièce, de même des magistrats, qui exposaient en public les portraits et les elogia de leurs ancêtres, y joignaient leurs propres noms; et même bien souvent ceux-ci devaient être le principal ; les autres n'étaient destinés qu'à en rehausser l'éclat en les entourant comme d'un cortège choisi. Q. Fabius Maximus Allobrogicus, consul en 121 avant Jésus-Christ, avait élevé sur la voie Sacrée un arc, où il avait placé les statues de Paul Émile et de Scipion Émilien, ses ancêtres naturels, dont il s'était cependant séparé en passant chez les Fabii par adoption. Vers l'an 56, son petit-fils, Q. Fabius Maximus, édile curule, restaura le monument ; il saisit cette occasion pour graver son nom entre ceux de Paul Émile et de Scipion ; ainsi ce personnage, qui a joué dans l'histoire un rôle des plus effacés, se grandissait aux yeux de ses concitoyens par le voisinage des deux fameux capitaines de la gens Aemilïa 58
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Mais que l'elogium fait consacré à des faits anciens ou récents, à un mort ou à un vivant, il se distinguait toujours d'une inscription honorifique par un trait essentiel : c'est que le nom de la personne, comme dans l'atrium, était mis au nominatif et non pas au datif''. C'est ce que nous pouvons voir par les inscriptions de l'arc Fabien, qui sont parvenues jusqu'à nous; elles peuvent être considérées comme le type des elogia gravés à la fin de la république. Au milieu de l'entablement de l'arc on lisait ces mots : [Q(uintus)] Fabius, Q(uinti) f(ilius), Maxsumus, aed(ilis) cur(ulis) ; sous la statue de Paul Émile : L(ucius) Aem[il]ius, L(ucii) f(ilius), Paullus, co[nsul bis], cens(or), augur, tr[i]umphavit ter; sous la statue de Scipion Émilien : P(ublius) Cornelius, Paulli f(ilius), Scipio » Manus, eo(n)s(ul) bis, cens(or), augur, triumpha.vit bis. Il est à remarquer qu'en réalité Paul Émile ne triompha que deux fois, mais il fut trois fois salué du titre d'imperator ; Fabius s'en est autorisé pour ajouter un peu à sa gloire; nous avons là un exemple des libertés que prenaient les descendants d'un grand homme lorsqu'ils rédigeaient son elogium; comme dit Tite-Live, augebant titulum imaginis posteri 60.
Nous avons conservé un certain nombre d'elogia du même genre qui ont été gravés au temps de l'empire en l'honneur des grands hommes de la république. Tel est par exemple celui qu'on lisait au Forum sur la colonne rostrale de Duilius. Il fut rédigé sous un des premiers empereurs, peut-être sous Claude, dans un style et avec une orthographe d'un archaïsme voulu pour perpétuer le souvenir de la victoire navale remportée par Duilius sûr les Carthaginois en l'an 260 avant Jésus-Christ. Il est possible que ce document reproduise en partie un original plus ancien;
mais si on fit pour Duilius immédiatement après son triomphe un elogium public, il fut assurément beaucoup plus bref et dut, comme ceux des Scipions, tenir tout entier dans quelques mots". Certains elogia , qui mentionnent d'anciens membres des familles Julia, Octavia, Livia et Claudia, doivent provenir d'un sanctuaire consacré à la maison impériale ; d'autres, trouvés
en divers endroits de Rome et de sa banlieue, appartiennent aux familles Aemilia, Caecilia, Cornelia et Valeria 62. Le nom de la personne y est mis au nomi
natif ; toutes les charges qu'elle a remplies, même les magistratures non curules, sont indiquées sans exception. Comme ces elogia ont été rédigés pour des galeries de portraits, il est arrivé que plusieurs ont été trouvés en nombre et par séries dans le même endroit. Ce qui les caractérise encore, c'est qu'ils ont la forme d'une biographie sommaire, complétant les titres par l'énumération des faits les plus importants qui ont signalé la carrière du personnage. On peut citer comme exemples ces deux elogia gravés sur le même marbre pour des portraits de la gens Claudia; l'un mentionne un consul de l'an 184 avant Jésus-Christ : [P(ublius) Claudius, Ap(pii) f(ilius), P(ublii) n(epos), Pulcher. Colono]s adscripsit Cales, co(n)s(ul) cum [L(ucio) Porcin, triumvir coloniam deduxit Graviscam. L'autre mentionne un consul de l'an 92 : naias) Claudius, Ap(pii) f(ilius), ((ah) n(epos), Pulcher,] q(uaestor), triumvir a(uro), a(rgento), a(ere) fl(ando) f(eriundo), aed(ilis) cur(ulis), judex q(uaestionis) veneficiis, pr(aetor) repetundis, curator vus sternundis, co(n)s(ul) men M(arco) Perpena 63. Le droit d'exposer en public le portrait et l'elogium d'une femme ne dut être reconnu par la loi qu'à la fin de la république 64. En tout cas, sous l'empire il n'était plus contesté ; nous avons un elogium relatif à Cornélie, mère des Gracques ; il a été rédigé au 1°r siècle de notre ère pour une statue de cette femme célèbre, qu'on voyait alors à Rome sous le portique d'Octavie 66.
4° Elogia placés sous des portraits dans des musées et des bibliothèques. ® Les Romains empruntèrent aux Grecs l'usage de placer dans les musées et les bibliothèques les portraits des grands hommes. Le plus souvent c'étaient des bustes ou des hermès en marbre,
comme ceux qui ont été retrouvés dans les fouilles et qui décorent aujourd'hui les galeries d'antiques dans les divers musées de l'Europe. Les épigraphistes rangent au nombre des elogia les inscriptions qui se lisent audessous de ces portraits. La plupart de ceux qu'on a exhumés à Rome ou dans ses environs, sous les ruines des édifices somptueux habités jadis par de riches et puissantes
familles, sont rédigés en grec 66. Cependant on en possède quelques-uns dont le texte est en latin, par exemple ceux qu'on voit gravés sous les portraits de Scipion l'Afri
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taro (fig. 2644), d'Hortensius (fig. 2645) et de Cicéron 67. 11s ont ceci de commun avec les elogia des autres classes que le nom y est au nominatif. On ne mettait pas toujours dans les elogia autant de concision. Ils étaient quelquefois en vers. Sans parler ici des nombreuses épigrammes de ce genre qui figurent dans le recueil de l'Anthologie grecque [EPIBRAMMA], ii y a lieu de rappeler que plusieurs écrivains latins en composèrent aussi et qu'ils les publièrent réunis en volumes. Varron, le premier, écrivit, vers l'an 39 avant Jésus-Christ, un ouvrage intitulé Portraits (Imagines) ; il y faisait la biographie de sept cents hommes illustres, choisis aussi bien dans l'histoire de la Grèce que dans celle de Rome ; en dehors du texte en prose, il donnait un portrait de chacun d'eux et, au-dessous, un elogium en vers 6BAtticus publia sous le même titre un ouvrage tout semblable ; il est vraisemblable qu'il ne contenait que des portraits de Romains G8. Chacun des grands hommes de cette galerie était l'objet d'un elogium de quatre ou cinq vers, où étaient énumérés ses hauts faits et les magistratures qu'il avait remplies u. Peut-être étaient-ce des elogia qu'écrivait Titinius Capito, l'ami de Pline le Jeune n. Symmaque le père, qui fut préfet de Rome en l'an 364, attacha son nom à un recueil imité de ceux de Varron et d'Atticus ; nous en avons conservé quelques fragments, qui se rapportent à des hommes célèbres du temps de l'auteur72. Certains manuscrits de date récente donnent73 une suite de vingtquatre elogia, qui avaient été destinés, comme l'explique le préambule, à prendre place dans la galerie d'une riche demeure sous des portraits de Romains célèbres ; ils se composent chacun de six hexamètres dactyliques. Un autre groupe, inséré dans l'Anthologie latine par quelques éditeurs modernes 74, comprend huit elogia de quatre hexamètres dactyliques chacun. Les inscriptions latines ne nous fournissent qu'un seul elogium en vers 15, qui puisse être rapporté à cette catégorie ; il était, dans l'antiquité, gravé sous un portrait de Miltiade; au-dessous du nom de ce personnage, et à côté d'une épigramme, écrite en grec comme le nom, on lit ce qui suit : « Qui Pensas bello vieil Marathonis in arvis, Civibzts ingratis et patrie intert. i, »
5° Elogia du forum d'Auguste 16 En l'an 2 avant J.-C., Auguste célébra la dédicace du temple qu'il avait voué à Mars Ultor, lorsqu'il livra bataille, dans les plaines de Philippes, aux meurtriers de Jules César. Devant le nouvel édifiee s'étendait un forum, que l'empereur fit décorer d'oeuvres d'art magnifiques. On y voyait, probablement au centre, la statue d'Auguste sur un quadrige ; une inscription placée au-dessous, énumérait ses succès militaires T7. Tout le long des portiques qui entouraient le forum étaient rangées des statues en marbre 78, représentant les grands capitaines de Rome en costume de triom
phateurs ; au-dessous de chaque statue on avait gravé un elogium contenant la biographie sommaire du personnage, addita erant gesta80. Les auteurs mentionnent, dans le nombre, les statues d'Énée et de Romulus, celles des rois d'Albe 8t, de Valerius Corvus, tribun des soldats en 349 avant J.-C. 82 et de Scipion Émilien S3. L'emplacement du forum d'Auguste est parfaitement déterminé; il est occupé aujourd'hui par l'église de l'Annunziata, jadis appelée Saint-Basile et une partie du temple de Mars Ultor est encore debout. Nous possédons un elogium qui provient sûrement de cet endroit; c'est celui de C. Julius Caesar Strabo, oncle du dictateur, édile curule en 90 avant J.-C ; au moyen âge le marbre était enclavé dans un mur près de Saint-Basile 86 ; Jordan l'a restitué au forum d'Auguste avec grande apparence de raison 86 D'autres elogia, trouvés à Rome, paraissent provenir du forum d'Auguste ; il yen a deux, ceux du roi Fertor Resius et de Marius, qui, suivant Mommsen, ont été gravés en l'an 2 avant J.-C. ; deux autres, ceux de L. Albinius et de L. Furius Camillus, sont d'une date moins certaine ; deux autres encore, ceux de M. Furius Camillus et de L. Papirius Cursor, semblent avoir été restitués au 11e siècle après un incendie ou après quelque autre accident survenu dans l'édifice ; mais il faut bien reconnaître avec Jordan qu'aucun des six n'a été trouvé dans le terrain du forum d'Auguste; s'ils en proviennent réellement, ils ont été, au moyen âge, portés bien loin de leur emplacement primitif. En 1889 on a entrepris, sur l'emplacement du forum d'Auguste, des fouilles systématiques qui ne sont pas encore achevées au moment où nous écrivons : elles ont ramené à la lumière six fragments d'elogia, parmi lesquels on a pu reconnaître ceux d'un Ap. Claudius Pulcher, d'Ap. Claudius Caecus et de Sylla le dictateur88. Lorsque Auguste eut dédié la galerie de son nouveau forum, des villes d'Italie s'empressèrent d'en faire copier les statues et les inscriptions pour orner leurs places publiques. Nous avons en effet une série de sept elogia, qui ont été trouvés à Arezzo ; ils se rapportent à M. Valerius Maximus, Q. Fabius Maximus, L. Aemilius Paullus, Ti.Sempronius Gracchus, L. Licinius Lucullus; deux autres, ceux d'Ap. Claudius Caecus et de C. Marius, reproduisent exactement des originaux trouvés a Rome; la rédaction est identique des deux parts. Des elogia, consacrés à Énée et à Romulus, ont reparu au jour au milieu des ruines de Pompéi. Des fouilles pratiquées à Lavinium nous ont rendu celui de Silvius, fils d'Énée 87 ; enfin Mommsen avait déjà publié son travail sur les Elogia dans le 1°r volume du Corpus, lorsqu'on a retrouvé dans la même ville de Lavinium un marbre où on lit le nom de Lavinia, fille de Latinus et femme d'Énée ; cette découverte suggère nécessairement une conclusion nouvelle : ou bien l'inscription de Silvius ne reproduit pas
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plus que celle de Lavinia un original du forum d'Auguste, ou bien la galerie réunie par cet empereur comprenait même des femmes, et à plus forte raison des grands hommes, qui n'avaient jamais eu aucun titre militaire. Cette seconde hypothèse paraît de beaucoup la plus probable ; les deux inscriptions de Lavinium, suivant Dessau, dateraient du temps d'Hadrien 88. Ainsi à supposer que tous ces elogia proviennent bien, soit en original, soit en copie, du forum d'Auguste, nous aurions actuellement vingt-quatre documents de cette série. Ils embrassent une période qui va depuis les origines les plus lointaines de Rome jusqu'à L. Licinius Lucullus, consul en l'an 7/i avant J.-C. Comme l'a établi M. Lanciani, à la suite des fouilles récentes, les originaux de Rome formaient deux séries distinctes : ils étaient gravés les uns sur la plinthe même des statues, les autres sur des plaques de marbre appliquées au-dessous des niches qui renfermaient les statues; mais aucun ne s'est rencontré sur des bases massives. Tous ces textes ne sont pas également développés ; mais tous sont conçus à peu près sur le même plan ; le nom de la personne y est mis au nominatif ; ils mentionnent les magistratures curules, les magistratures non curules et les sacerdoces; puis vient un sommaire des grandes actions du personnage, énumérées, s'il y a lieu, dans l'ordre des consulats ; quelquefois on y a mêlé une appréciation sur son talent et ses vertus. L'elogium de Q. Fabius Maximus, le temporiseur, peut servir d'exemple : [Q(uintus) Fabius], Q(uinti) flilius), Maximus, dictator bis, co(n)s(ul) V, censor, interrex II, aed(ilis) cur(ulis), q(uaestor)1I, tr(ibunus) mil(itum) II, pontifex, augur. Primo consulatu Ligures subegit, ex iis triumphavit. Tertio et quarto Hannibalem, compluribus victoriis ferocem, subsequendo coercuit. Dictator magistro equitum Minucio, quojus populus imperium cura dictatoris imperio aequaverat, et exercitui pro/ligalo subvenit et eo nomine ab exercitu Minuciano pater appellatus est. Consul quintum, Tarentum cepit, triumphavit. Dux aetatis suae cautissimus et rei militaris peritissimus habitus est. Princeps in senatum duobus lustris lectus est 89. Ce qui fait pour nous l'intérêt de ces elogia, c'est qu'ils reproduisent souvent des traditions différentes de celles que Tite-Live a adoptées; ils ne respectent pas toujours la chronologie et brouillent l'ordre des événements. Mais il est manifeste que celui qui les a rédigés a eu sous la main des documents précieux qui nous font aujourd'hui défaut ; il a dû consulter des annalistes plus anciens que Tite-Live. Hirschfeld 9° pense que sa principale source a été Valerius d'Antium.
Il y a lieu de distinguer des elogia qui ont été copiés sur les originaux du forum d'Auguste les inscriptions que certaines villes ont fait graver, sous l'empire, en l'honneur d'hommes illustres du temps de la république, à qui elles attribuaient leur fondation. Celles-ci sont spéciales aux villes où on les a trouvées, et les noms y sont mis au datif; elles doivent être rangées parmi les inscriptions honorifiques u.
Plusieurs des savants qui ont traité des elogia relatifs
à des personnages de l'ère républicaine se sont montrés fort défiants sur la question d'authenticité ; Maffei allait même jusqu'à les déclarer tous apocryphes. La question est aujourd'hui tranchée et il est inutile d'y revenir; les elogia insérés dans le Corpus ne sont plus suspects à personne. Néanmoins les doutes auxquels ils avaient donné lieu s'expliquent par la grande quantité de pièces analogues qui ont été fabriquées dans les temps modernes avec des lambeaux d'auteurs anciens92
La liste des portraits dont on décora le forum d'Auguste ne fut pas arrêtée une fois pour toutes en l'an 2 avant J.-C. Mais les honneurs du triomphe, décernés par le Sénat, comportèrent toujours, sous Auguste et sous les princes qui suivirent, la dédicace d'une statue couronnée de lauriers u, que l'on dressait sur cette place 94. Il en fut ainsi jusqu'en l'an 113. Par conséquent des elogia durent être rédigés au fur et à mesure, sur le modèle des anciens, pour les statues nouvelles. Mais il est probable que ni la statue, ni l'elogium n'étaient mis en place du vivant du personnage que l'on voulait honorer. En l'an 23, on ajouta à la galerie la statue d'un ami particulier de Tibère, qui venait à peine de mourir, Lucilius Longus 9'. Juvénal parle d'une inscription qui mentionnait les titres d'un générai contemporain de Domitien ou de Trajan 98. Deux elogia de cette série sont parvenus jusqu'à nous ; l'un est celui d'A. Cornelius Palma, légat de Syrie, vainqueur des Arabes en 107 97 ; l'autre celui de Licinius Sura, légat de Belgique, qui,à la même époque, s'était distingué dans les guerres de Dacie 98. Ici, comme dans les elogia privés du même temps, le nom de la personne n'est plus au nominatif, mais au datif ; à la fin est indiqué le lieu où on a érigé la statue. Ainsi se termine l'elogium de Palma (le début est perdu) : [A(ulo) Cornelio Palmae oh quas t'es cum decrevisset] senatus supplicationes dis immortalib(us) i( pst' aute]m, a[u]c[tore] imp(eratore) Caes(are) Nerva Trajano Aug(usto) Germ(anico) Dacic(o), senatus ornament(a) triumphal(ia) decr(evit) statuamq(ue) in for() Aug(usti) ponendant censuit.
6° Elogia du forum de Trajan. En l'an 113, Trajan dédia le forum auquel son nom est resté attaché et dont la colonne Trajane était un des principaux ornements S9. L'empereur avait voulu ouvrir un nouvel espace pour y dresser les monuments de son principat, que le forum d'Auguste, encombré d'oeuvres d'art depuis un siècle, ne pouvait plus contenir ; il en conserva du reste le plan, à peu de chose près. Au centre on voyait sa statue équestre avec une inscription sur le piédestal. Il fut décidé qu'à l'avenir on rangerait tout autour les portraits des généraux et des magistrats, qui se rendraient dignes de cet honneur par des services éclatants. Il est probable que des distinctions triomphales [ORNAMENTA], que l'on voit tomber en désuétude à ce moment-là même, ce fut la seule qui subsista. Nous avons un grand nombre d'eiogia qui ont été gravés pour le forum de Trajan depuis l'an 113 jusqu'au milieu du ve siècle; la plupart proviennent de ses ruines. On y trouve mentionnés non seulement
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des généraux et des magistrats, mais encore des hommes de lettres, entre autres Claudien. Le plus ancien, celui de M. Claudius Fronto, a été gravé entre 170 et. 172 106 ; le plus récent, celui d'Auxentius, entre 441 et445 "1. Mommsen pense que jusqu'au temps de Dioclétien (284) on a toujours attendu qu'un citoyen têt mort pour lui rendre cet hommage"' ; on ne saurait douter en effet que plusieurs des elogia du forum de Trajan ontété rédigés après la mort des personnages qu'ils mentionnent1'3. Dans tous, le nom est au datif. A l'énumération des charges civiles ou militaires sont souvent jointes des appréciations, qui deviennent de pies en plus verbeuses à mesure que l'on approche du bas-empire. En général le lieu oit devra être élevée la statue est expressément déterminé. Un elogium du 1v' siècle nous apprend qu'outre une statue sur le forum de Trajan, le personnage honoré en aura une seconde à Constantinople ; sur le piédestal on gravera une pièce, qui sans doute n'est autre que l'elogium luimême, adpositci oratione, quae meritorum (gus ordinerrt ac
seriem contineret'0`. Un autre marbre reproduit in extenso,
au-dessous des noms et des titres, un édit rendu en 431 par les empereurs Théodose II et Valentinien à l'effet d'élever une statue à Nicomachus Flavianus, ancien consul, mort depuis de longues annéest02, L'elogium de Claudien, rédigé entre 400 et 402, est ainsi conçu ; le nom, au génitif, est détaché en tête de l'inscription, puis répété au datif, suivant l'usage du temps : Cl(audii) Claudiani, v(iri) c(larissimi). Claudio Claudiano, v(ira) c(larissimo), tribuno et notario, inter ceteras vigentes ailes praegloriosessimo poetarum, lice' ad memoriam sempiternam carmina ab eodem scripta su/limant, adtamen, testimonii gratin oh judicii sui filent, d(omini) n(ostri) Arcadius et Honorius, felicissimi ac doetissimi imperatores, sertatu petente, statuera in foro divi Trajani erigi collocarique jusserunt. Eiv lvl
aussi commun que le précédent et ne peut faire l'objet d'aucun doute. Une inscription de Brescia 107 nous apprend qu'un habitant de cette ville a ordonné par testament à ses héritiers de lui élever un tombeau ainsi qu'à ses affranchis ; il avait ajouté à ses dispositions dernières un article spécial, qui était reproduit sur l'épitaphe (deinde hoc elogium breve), mais qui nous est parvenu en trop mauvais état pour qu'on en puisse déterminer exactement l'objet. L'exemple le plus connu est celui que nous offre le testament de Mécène : il y recommandait Horace à Auguste par un article spécial (tali elogio) en ces termes : Horati Flacci, ut met, memor esto f09 Dans bien des cas, comme dans celui-ci, l'article était favorable à la personne qui s'y trouvait désignée 9f0. Mais souvent aussi l'elogium contenait un blâme ou une plainte et avait pour but de justifier une exhérédation. Cicéron discute l'elogium d'un testament, où un père expliquait qu'il avait déshérité son fils, parce que celui-ci s'était
déshonoré, en se laissant corrompre à prix d'argent au cours d'un procès1'. L'elogiumpouvaitencore avoir pour but de transformer un héritage en fidéicommis" ', Dans ce cas, comme dans le précédent, on disait : adjicere testamente elogium 12. Non seulement l'acception défavorable du mot n'est pas rare, niais même les exemples en sont plus nombreux i'a ; d'où l'expression elogium gravissimum, employée par Apulée pour désigner un article ajouté par une femme à son testament, pour déshériter son fils qui lui avait donné de graves sujets de mécontentement "`. Sous le bas-empire le sens s'est étendu ; elogium n'a plus désigné seulement un article testamentaire, mais le dernier, celui qui fait autorité, et par suite les volontés suprêmes d'un mourant, enfin le testament lui-même ; c'est en ce sens que le Code Justinien emploie l'expression condere ultimum elogium, ultima elogia "", Flot/ huit était encore en usage à la fin du xlvr siècle avec le sens général de testament 16
HL Sous l'empire, elogium désigne aussi certains actes de la procédure criminelle. Ce sens n'apparaît pour la première fois qu'au temps d'Hadrien ; le plus ancien exemple nous est fourni par Suétone ; il est vrai qu'il se rencontre dans un texte relatif à Caligula ; mais il est possible que ce soit un anachronisme de l'écrivain. Au contraire cette acception est commune après lui.
1° Rapport de police. Sous l'empire, lorsque le système inquisitoire se substitua, dans la procédure criminelle, au système accusatoire 148, tout magistrat, chargé de juger au criminel. dut exiger des l'onctionnaires de la police placés sous ses ordres, qu'ils lui fissent des rapports sur les affaires de sa compélence. Cette tâche, dans les pays d'Orient, était confiée à un officier de police d'un rang supérieur, qu'on appelait
l'elp297ipyr17 [IRENARCIIA]. Suivant toute probabilité il y en
avait un dans chaque ville ; il centralisait les renseignements que lei fournissaient ses agents et les transmettait aux magistrats, qui devaient instruire et juger l'affaire, mais non sans avoir lui-même au préalable fait comparaître et interroge le prévenu. Il devait, dit le Digeste, tacher de savoir de lui les noms de ses complices, ceux des receleurs, qui avaient pu lui prêter leur aide. Il rédigeait alors un procès-verbal, qu'il transmettait, clos et scellé, au magistrat instructeur; ici ce magistrat était le gouverneur de la province. La pièce rédigée par firénarque s'appelait elogium i19. C'était une feuille f 20, dont le modèle avait été sans doute arrêté, une fois pour toutes, par la chancellerie impériale, et sur laquelle l'officier de police n'avait qu'à répondre par des indications très succinctes à des formules invariables. S'il s'agissait, par exemple, d'un meurtre, il devait dire, à la suite des noms du prévenu : 1° quem occiderit; 2° quo tempore; 3° quo loto; 4° quo tel, ; quot plagis; 6° quibus insidiis;
quibus spoliis; 8° quibus sociis; 9° quibus receptoribus; et, en cas de récidive, quotiens caedem egerit 121 , L'elogiuin était obligatoire dans les affaires d'homicide, d'attentat
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aux moeurs, de lèse-majesté, de concussion, de sacrilège, et aussi dans les affaires de vol, qui, à la fin de l'empire, ressortissent à la juridiction criminelle 122. Rien ne pouvait dispenser l'officier de police du devoir de rédiger l'elogium, pas même un aveu complet du prévenu 123. S'il avait recueilli des observations particulières, qui ne rentraient point dans les cadres fixés d'avance, mais qu'il jugeait utiles pour éclairer la justice, il les ajoutait à la suite, adscribebatf2{, L'elogium ne devait jamais tenir lieu d'un arrêt et transformer le prévenu en condamné; mais, en fait, c'est ce qui arriva quelquefois. Des officiers de police, peu soucieux de leur devoir, interrogeaient le prisonnier à la légère et certains magistrats non moins coupables s'en rapportaient aveuglément dans leurs arrêts à l'elogium qu'ils avaient reçu comme s'il eût constitué, à lui seul, une preuve suffisante de culpabilité ; deux abus, qui, se greffant l'un sur l'autre, pouvaient déconsidérer 1'oeuvre de la justice. A plusieurs reprises, des empereurs et des gouverneurs de province furent obligés d'intervenir pour rappeler les officiers de police à l'observation des lois dans cette matière et les gouverneurs eux-mêmes eurent quelquefois besoin que l'empereur leur donnât, un avertissement semblable. On nous cite, entre autres, un rescrit d'Hadrien et un édit rendu par Antonin lorsqu'il administrait la province d'Asie, Il était enjoint aux gouverneurs de ne pas s'en tenir aux renseignements contenus dans l'elogium, mais de faire subir au prévenu un nouvel interrogatoire, comme s'ils n'avaient rien reçu ; ils devaient même mander l'irénarque et comparer les résultats de l'instruction avec l'elogium rédigé par lui ;sils constataient qu'il y avait apporté tous ses soins, ils devaient le féliciter ; s'ils y trouvaient des traces de négligence, ils devaient simplement noter que son rapport était mal fait; mais s'ils y relevaient des fautes attestant qu'il avait dirigé l'interrogatoire dans un esprit de malveillance, ou qu'il avait altéré sciemment la vérité, ils devaient le punir sévèrement 12S, Les premiers chrétiens que la police déféra aux tribunaux comparurent toujours accompagnés d'un elogium. Tertullien se plaignait que, faute de preuves, cette pièce fût rédigée d'une façon beaucoup plus sommaire que ne l'exigeait la loi; comme on ne trouvait aucun crime qualifié que l'on pût reprocher aux fidèles, l'officier qui avait présidé à l'arrestation se contentait d'inscrire sur l'elogium : christianats, ou encore hostis publicus, dénomination vague, dans laquelle on pouvait toujours enfermer, sous couleur de lèse-majesté, les accusations mal définies 13P, L'apologiste chrétien va même encore plus loin : de son temps la procédure inquisitoire l'avait emporté d'une façon à peu près définitive ; il soutient qu'il est inique de l'appliquer à ses coreligionnaires, parce que le délit qu'on leur impute ne rentre pas dans la catégorie des affaires qui doivent être instruites et jugées suivant ce système. Telle avait été du reste la manière de voir de l'empereur Hadrien; il l'avait lui-même exposée dans une lettre adressée en 124 à C. Minucius Fundanus, gouverneur de la province d'Asie 127. Q. Servilius Pudens, consul en 166,
se prévalait encore de cette autorité dans une afâ'aite ui. lui fut soumise 123; il refusa de juge,' me chrétien traduit à son tribunal sur un simple rapport de police ; il déchira l'elogium et déclara que l'affaire n'irait pas plus loin tant qu'on n'aurait pas produit un accusateur
La tradition constante de la jurisprudence sous l'empire fut qu'un gouverneur jugeait tous Ms urime; commis dans sa province, quel que Mt le lieu de naissance du prévenu. Toutefois, dans certains cas, il pouvait renvoyer l'affaire devant le gouverneur de la province où le prévenu était né ; alors il faisait suivre l'elogiunn, rédigé par l'officier de police qui était responsable de l'arresta.lion i° Si le prévenu était un soldai, accusé de désertion, le gouverneur le renvoyait avec l'elogiurn de la police au général dont il dépendait et qui seul avait qualité pour le juger ; mais si le déserteur avait commis un crime dans la province on on l'avait arrêté, u n', avait pas lieu de faire suivre le dossier, le gouverneur jugeai l'affaire et le condamné subissait le peine au lieu de le capture 9al. Dans tous les cas où on faisait suivre le dossier d'un prévenu renvoyé à la juridiction compétente, cet acte de procédure s'appelait mittere, ou remittere aliquem ad alium curer efogie.
Elogium désignant un rapport de police paraît ai,été absolument synonyme de notoria [yOTORes ; un vieux glossaire le définit : texture realorum gestorum, quod notoriam dicunt 932, Par suite il a pris quelquefois, au figuré, dans le latin de la basse époque, le sens général d'accusation 423
'20 Verdict, -Le verdict que rend l'empereur en son conseil, lugeant au criminel, est quelquefois appelé elogium ; le mot parait ici tout à fait synonyme de,judi-ciurn ou sententia, Ainsi Alexandre Sévère, en arrivant au pouvoir, dispersa les eunuques dont Héliogabale avait rempli sa cour suivant l'usage des monarques d'Orient ; il les donna à ses amis, c'est-à-dire aux membres mêmes du conseil [Amict AUGIi6TI ]; dans ta séance où ils furentjugés en vertu des lois sur les moeurs, Sévère rendit un elogium, portant que si. leurs nouveaux maures avaient à se plaindre d'eux ils pourraient les faire périr sans avoir besoin d'y être autorisés par un jugement exprès; c'était une dérogation exceptionnelle à unF constitution d'Hadrien air. Elogium s'applique encore aux sentences prononcées par l'empereur dans les autres affaires qui lui sont directement soumises, comme les cas de sédition135 et de lèse-majesté ,30, que la peine a subir soit la mort ou la torture, A partir de Dioclétien, lorsque l'empire fut partagé entre plusieurs collègues, chacun d'eux eut le droit de juger au criminel., en 354 le césar Gallus rendit un elogium, où il condamnait à mort, en masse, les citoyens les plus notables d'Antioche ; leur crime avait été de protester contre un abaissement arbitraire de tarif au moment où une disette était imminente }27. Les clopE pouvaient, émaner de diverses juridictions criminelles autres que celle de l'empereuri20; avais par quelque trifilmai qu'ils eussent été rendus, ils étaient régulièrement portés à la connaissance du prince lorsqu'ils contenaient une condamnation motivée par un complot contre sa vie
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ou son pouvoir ou par quelque crime d'une haute gravité ; on reprochait à Caligula d'avoir désigné des condamnés pour le supplice de l'amphithéâtre, sur une liste qu'on lui présenta, sans consulter leur elogium, c'està-dire qu'il négligea d'user de son droit de grâce, en s'éclairant par la lecture du dossier de ces misérables ; il s'en rapporta, sans y regarder de plus près, à la décision des juges 139 Chez Constance Il il y avait un parti pris de ne jamais faire grâce lorsque le condamné avait été convaincu du crime de lèse-majesté ; en pareil cas il ne lui arriva jamais de reviser la sentence, que, suivant l'usage on faisait passer sous ses yeux (oblato de more elogio) ; clémence assez commune pourtant même chez des empereurs inexorables'''. Les gouverneurs de provinces et leurs légats, jugeant au criminel, rendent aussi des elogia ; lorsque Septime Sévère était légat en Afrique, un de ses concitoyens du municipe de Leptis, obscur plébéien, le voyant passer au milieu de ses licteurs, avec les insignes du pouvoir, accourut pour l'embrasser comme un vieux camarade; Sévère le fit bâtonner, tandis que le crieur public, récitant à haute voix la sentence (elogium), disait : « Un plébéien ne doit pas embrasser mal à propos un légat du peuple romain 11.» Lorsque le mot elogium a, comme dans les exemples que nous venons d'énumérer, le sens de verdict, on dit d'un condamné qu'il subit sa peine, qu'il est frappé sub elogio. Le motif principal de l'arrêt, au lieu d'être publié par le crieur, pouvait être affiché au-dessus de la tête du patient: en pareil cas, un seul mot tracé sur un écriteau suffisait pour faire connaître son elogium "2.
Aux jeux de Flore )FLOBALIA], qui se célébraient chaque année du 30 avril au 3 mai, au milieu d'un grand débordement de licence populaire, on donnait des représentations de mimes ; l'usage voulait qu'à la fin du spectacle les actrices qui y avaient figuré fussent mises à, nu lorsque la foule l'exigeait. Le crieur public proclamait alors à haute voix les noms, I'origine de chacune d'elles, et aussi son elogium'" , c'est-à-dire très probablement un sommaire de son dossier. Ces infortunées étaient en général des courtisanes de bas étage ; comme telles elles étaient infarnes et devaient être inscrites sur les registres de la police.
Du sens de verdict, sentence, condamnation, on est passé au sens moral de flétrissure, qui se rencontre fréquemment chez les écrivains de basse époque 144 ; ils se servent encore du mot elogium au figuré pour désigner l'ensemble des péchés commis par un homme pendant sa vie 16. On trouve jusque dans un document de 894 l'expression : in fami salis elogio notare 16. G. LAFAYE.