Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article EMISSARIUM

EMISSARIUM. Canal d'écoulement, souterrain ou à ciel ouvert, naturel ou artificiel, déchargeant une cuvette quelconque, un étang, un lac. Le plus souvent les émissaires naturels sont superficiels; parfois on a pu se contenter, comme déversoirs artificiels, de canaux de cette même espèce, qui n'ont été, très fréquemment, que le lit primitif arrangé : tels l'Arrone épanche le lac de Bracciano, et la Marta le lac de Bolsena. Mais, la plupart du temps, les bassins lacustres ou palustres que les anciens ont dtî pourvoir d'une fuite sont entourés de reliefs assez forts, et il a fallu recourir à des creusements de tunnels : tel celui qui existe en Afrique, à l'ouest de Rusicade (Philippeville), près de Stora. Ce sont là proprement les emissaria, dont la création a été l'un des plus grands efforts techniques des Hellènes et des Italiens. Dans ce sens, les écrivains grecs emploient parfois le mot trrovoEa.oç [AQUAEDUCTUS, p. 3371, bien qu'il corresponde plutôt à curilcuLUS, et s'applique, comme ce dernier, égalementaux galeries de mine; le terme itopuyrj, plus général encore, désigne toute percée souterraine. De toutes les espèces de cuniculi, c'est aux égouts ou CLOACAE que les émissaires sont le plus assimilables. L'usage de ces égouts en tunnels n'a pas été connu uniquement des populations italiennes. Nous savons par Diodore' que, vers 480 av. 3.-C., Phacax établit à Agrigente, pour drainer le sous-sol de la ville, des souterrains qui ont toujours duré, travail grossier, mais très curieux. Mais l'exemple le plus remarquable que la Grèce puisse montrer, celui qui rappelle le plus les célèbres monuments de ce genre qui existent en Italie, c'est l'ensemble, non moins fameux, de travaux qui régissait le lac Copaïs. Émissaires du lac Capais'. Le Copaïs, dont une compagnie française vient d'exécuter le desséchement, occupait, au centre de la Béotie, environ 25000 hectares. C'est un bassin entièrement fermé, à côté duquel, vers l'est, se trouvent deux autres lacs, l'Hylice et le Paralimne, beaucoup plus petits et plus creux. Les monts Sphingion, Ptoon, Messapion divisent ces trois nappes et les séparent du détroit de l'Euripe. Le fleuve Céphise traverse le Copals, au nord, près d'Orchomène, dans la partie la moins profonde ; la plus grande dépression est du côté du sud. Ce qui caractérise ces lacs, c'est qu'ils sont étagés : le Copaïs, que des atterrissements ont exhaussé depuis les temps antiques, est à 100 mètres d'altitude, l'Hylice à 52, le Paralimne à 36. Étant donné l'espace très court qui les sépare les uns des autres et tous de la mer, ce fait a beaucoup d'importance. D'autre part, ils ne sont pas privés de déversements naturels. Les montagnes calcaires qui les ceignent sont traversées de nombreuses cavernes, dans lesquelles les eaux de la plaine trouvent des chemins analogues aux o pertes » de certaines rivières. Ce sont les xuzue60pu, dont il existe quatre lacis principaux. L'un file au nord par les monts Opuntiens, et gagne la mer près d'Opunte, desservant le nord de la plaine. Le second, qui emporte surtout le Céphise, vient déboucher près de Larymna. Le troi sième, qui épanche le Copaïs seul, arrive entre Anthédon et Phocae. Le quatrième enfin, qui embrasse les trois lacs, finit entre Anthédon et Khalia. Grâce à cette disposition, le Copaïs, sujet à de fortes crues par l'apport de nombreux torrents, n'était un lac, anciennement, que dans sa partie méridionale; sur tout le reste s'étalait un marais pestilentiel. On n'a jamais pu exploiter cette vaste plaine, ni l'habiter en peuplement serré, avant d'avoir pris des mesures pour l'assécher et la défendre. C'est à quoi il était pourvu par l'entretien des x xcs Opa, par l'établissement de chaussées, et surtout par le creusement de deux émissaires, suppléant à l'incertitude de l'écoulement naturel. Étant donné que le Copaïs n'a presque pas de profondeur et occupe un très vaste espace, que l'Hylice et le Paralimne sont de petites dépressions très creuses, à un niveau fort inférieur, la science moderne a opéré le desséchement du premier en le vidant dans les deux autres, et en versant ceux-ci dans la mer3. Les anciens peuples eurent la même idée : un passage souterrain, courant sous le plateau d'Acraephiae, sur une longueur de plus de 3 kilomètres, amena dans l'Hylice le tribut du Copals. Mais ils n'allèrent pas plus loin et laissèrent aux catavothres du Paralimne le soin d'emporter ce liquide à l'Euripe ; l'Hylice ayant environ 2000 hectares, le fond de sa cuvette étant à 50 mètres au-dessous du radier de l'émissaire, et le Paralimne se trouvant dans des conditions analogues, il n'y avait pas grand danger, si les catavothres fonctionnaient bien. Mais, pour une raison qui nous est inconnue, au lieu d'un débouché unique, on en avait établi deux. Le tunnel d'Acraephiae ne déversait que le lac méridional, dit proprement. Copals; la partie septentrionale, que l'on appelait Céphissis, c'est-à-dire le marais où vaguait le Céphise, que le catavothre de Larymna évacuait assez mal, reçut aussi un émissaire. Cet ouvrage est plus grand que l'autre : il a environ 6 kilomètres et demi ; c'est la plus longue galerie que nous aient laissée les anciens; il se termine par une cascade dans le lit issu du grand catavothre. Comme nous ne pouvons plus reconnaître, dans la plaine Copaïque exhaussée par trente siècles de colmates, le tracé précis des canaux qui saisissaient l'eau des torrents pour les mener aux tunnels, nous ne saurions apprécier les raisons qui déterminèrent les peuples à ne pas faire tout converger dans la région la plus basse, vers un unique évacuateur. Mais on ne doit pas admettre, comme certains l'ont pensé, que le souterrain d'Acraephiae soit postérieur à celui du nord-est et ait été créé pour suppléer à son insuffisance ; nul n'a jamais pu espérer, en effet, que celui-ci desséchât tout l'espace; c'est plutôt l'autre qui EMI -598 EMI eût pu le faire. Évidemment ils sont tous les deux le produit d'une morne pensée, d'un plan déjà bien merveilleux pour une époque si reculée, et suivant lequel l'opération fut divisée en deux parties : d'une part éliminer le Céphise, d'autre part épuiser le lac °. L'entreprise réussit-elle? Il y a tout lieu. de le croire. La fixation du lit du Céphise et des autres torrents, l'entretien des catavothres, la création et le curage régulier des deux émissaires, suffisaient parfaitement à conserver en bon état la plaine d'Ilaliarte à Copae et d'Orchomène à Acraephiae. Mais cet état, tout artificiel, ne pouvait être maintenu que par un travail incessant. Du jour où celuici manqua, tout fut perdu : les lits, comblés et relevés, n'amenèrent plus les eaux jusqu'aux tunnels ; les troubles charriés par les crues haussèrent le niveau générai ; les galeries s'obstruèrent; on fut encore une fois réduit à l'écoulement imparfait que procuraient les catavothres. id's lors le terrain jadis conquis devint inhabitable, désert, et se couvrit du marécage qu'on y trouve à l'âge classique. Otfried Muller, d'accord en cela avec tous les auteurs modernes, n'hésite pas a attribuer aux Minyens les deux percées. En effet, on n'expliquerait pas la richesse de leur ville d'Orchomène, la nombreuse population dont ils garnirent la Béotie et le grand empire agricole qu'ils fondèrent dans ce pays, s'ils n'avaient pas, avant toute chose, arraché à l'inondation le sol même où ils ont régné. L'histoire de ces grands travaux est celle nmine de leur fortune : tant qu'ils durent, elle est brillante ; et le jour oit ils sont détruits, le peuple disparaît avec eux. Les anciens ne s'y sont pas trompés : leurs higendes disaient qu'Hercule, en bouchant les issues des lacs, avait ruiné ce peuple si puissant. Les races qui vinrent plus tard croyaient, quand d'extrêmes sécheresses ou un enrage plus actif découvraient tout à fait la plaine, y revoir des villes submergées, une Athènes, une Éleusis, premières fondations de Cécrops, et les bourgades minyennes. Par contre, si les crues étaient fortes, Copae et Orchomène se trouvaient en danger, et cette dernière se réfugiait sur la pente de 1'Ilyphanteion. On ne f t. plus, pour évacuer les eaux, que d'imparfaites tentatives; nous connaissons celle de Cratès, qu'ordonna Alexandre le Grand : elle neut pas de résultat durable. Les émissaires du Copaâs se composent chacun dune galerie entièrement creusée dans le roc et munie, de distance en distance, de puits verticaux ; le plus long en a vingt, le plus court en a quinze. Ces puits rappellent la disposition des rumina des «Nutum qu'on trouve dans la campagne romaine. Larges de 4 à 6 pieds en moyenne, ils vont souvent en se rétrécissant de manière à rie laisser dans la voûte que juste le passage d'un homme. Le specus égaiement rappelle, en grand, ces mêmes ouvrages : il prend soin d'éviter l'axe d'écoulement superficiel du col sous lequel il passe, et il s'appuie, d'abord à l'un des coteaux, ensuite à l'autre ". Si l'on songe que cet ouvrage, long de plus de 6 kilomètres, est parfait, que, courant à près de 50 mètres de profondeur maximum sous les roches, il n'offre pas une seule erreur de niveau nI de direction; que, d'au tre part il n'est pas moins réussi que les émissaires italiens, postérieurs de plusieurs siècles; si on le compare à la petite galerie, beaucoup moins ancienne que lui, oit passe l'eau de Siloê, et qui est si mat établie, on ne peut s'empêcher d'y voir ce que la haute antiquité a produit de plus étonnant. C'est, en tout cas, le témoignage irrécusable de la puissance des Minyens, que les légendes n'ont pas exagérée. Car il n'a pas été possible que de pareilles créations fussent entreprises et maintenues sans qu'un empire, ou tout au moins une confédération étroite et sévèrement disciplinée, réunît sous une même action tous les territoires que traverse, intéresse ou dessert cet ensemble, c'est-à-dire plus de la moitié de la Béotie et de la Locride. Émissaires des lacs Albains Les émissaires italiens sont nombreux, quoique d'àge divers, l'Italie centrale possédant beaucoup de lacs, et ayant été occupée par des populations amies des travaux de terrassement et habiles à, toutes les fouilles. Presque aucune de ces nappes dormantes, du Thrasimène jusqu'au Fuciu, n'a été laissée à elle-même; l'aménagement de la plupart d'entre elles est lié à l'un des plus grands faits de l'histoire de l'Italie. On peut voir en effet, à, l'article cumulais IV, que, dans toute la région des tufs du Latium et de l'Étrurie, partout où la culture étrusque a amené le peuplement serré et la mise en valeur des campagnes, celles-ci n'ont pu être habitées et travaillées que moyennant une transformation profonde de leurs conditions naturelles. Cette transformation s'est faite, pour les bassins du l'ire et de t'Auio, pour toutes les terres autour des monts Albains, autour du massif Sabatin, pour tout le pays en un mot où Rome est née et a grandi sur les ruines des vieux peuples, par le drainage cunicuiaire. La création des émissaires des lacs qui dominent ce territoire est du même âge que le drainage, comme l'attestent d'ailleurs les traditions romaines, qui mêlent à la légende de Véies l'origine du plus connu d'entre eux. L'aménagement des monts Albains n'a pu se faire beaucoup plus tard que celui des campagnes latines ; l'hygrométrie des deux régions n'est nullement indépendante; et l'on n'a pu toucher à l'une sans s'obliger à embrasser l'autre aussi dans le même effort. Le massif du volcan Latial, volcan éteint et dont les restes forment le groupe des monts Albains, présente une série de cratères, les uns d'éruption, les autres d'éboulement, étagés d'une tacon remarquable. Tout en haut, vers 650 mètres d'altitude, les Campi d'Annibaie, dont le mont Cavo (point culminant 967 mètres) forme la lèvre; autour et au-dessous, à 550 mètres au moins, la Val Molara, limitée par I'Arternisio; plus bas encore le lac de Nemi, à 321 mètres, celui d'Albano, à 293 ; enfin, tout en bas, presque en plaine, la Val la Riccia, à 285, et le lac de Juturne, desséché par Paul V, à 177. De ces cratères, les premiers sont remplis de matériaux meubles, les moyens occupés par les lacs, les derniers vides aujourd'hui. Mais tous ensemble viennent constituer une série de réservoirs, en quelque sorte superposés, E Il 59 --E _TI dont l'action est encore énorme. Car chacun d'eux reçoit les eaux sur sa surface infundibuliforme, où elles pressent vigoureusement sur les berges et sur le fond. Il reçoit en plus Le tribut de ceux qui sont au-dessus de lui, dans des conditions identiques de pression. Le long de ces parois d'entonnoirs, tous les terrains sont perméables ou fissurés. Le comblement des cratères supérieurs par des matières détritiques n'est pas un obstacle à cette infiltration ; il la règle au contraire et la rend durable, restituant plus lentement aux lacs ce que ceux-ci perdraient plus vite. L'effet d'un pareil. phénomène sur les pentes des monts Albains et les campagnes sous-jacentes a été ailleurs indiqué". C'est une copieuse injection d'eaux souterraines, qui circulent, non seulement au-dessous du sol, mais au-dessous des tufs qui le portent. Elles y suivent les vallonnements d'un étage inférieur raviné par le plus ancien travail des volcans et de l'érosion. Le sous-sol des campagnes latines a ses sources, ses lacs, ses ruisseaux, ses fleuves, ses étangs, ses marais, le tout garni d'un remplissage peu dense et recouvert par la masse des tufs, A 40 mètres de profondeur, l'eau y séjourne, l'eau y coule, comme autre part à, ciel ouvert ; mais elle séjourne comme dans une éponge, et elle ne coule qu'en filtrant. Elle n'apparaît que quand les couches qui la contiennent viennent affleurer, à la fin de la zone des tufs, ou dans le lit des fleuves, auxquels elle donne une pérennité singulière, ou, si elle est retenue par un obstacle, au pied des côtes, sous forme de grosses sources'. Et surtout elle maintient saturés les deux étages supérieurs, qui ne peuvent abandonner aux strates où elle est renfermée l'humidité dont ils regorgent. Contre l'eau du premier sous-sol, les anciens avaient établi le drainage caniculaire; contre celle du second sous-sol, ils n'avaient qu'un moyen d'agir, l'attaquer à son origine, aux réservoirs des monts Albains. Ils ne pouvaient penser à l'atteindre dans les cratères supérieurs : comment la chercher au milieu de l'éponge qui la renferme? Et puis, comment percer des monts aussi gros que l'Artemisio? Peut-être aussi se rendaient-ils moins compte de l'action de ces dépressions où le liquide était caché. Mais il n'est point tesnéraire de croire que ces patients observateurs, que ces hommes pratiques, capables de concevoir et de créer le système des cuniculi, ont observé l'action des lacs, où l'élément lui-même était à découvert. S'ils ne l'ont pas su faire, l'effort qu'ils se sont imposé ici paraîtra presque inexplicable, tant le résultat immédiat serait peu en rapport avec lui, On ne peut perdre son temps à discuter le conte de Tite-Live. les neiges et les pluies tombant par ciel serein, le lac gonflant et débordant hors de proportion avec les eaux reçues, l'oracle de Delphes liant la prise de Véies au percement de l'émissaire, celai-ci achevé en un an, et tout le fatras légendaire'. C'est le terrain, c'est le monument qu'il faut, avant tout, consulter. A-t-on voulu dessécher le lac d'Albe? Non certainementÉtaitil bien utile de l'abaisser de la moitié, du tiers? Les bords sont presque à pic; ceux du lac de Nemi de noème: quelques hectares de précipice valaient-ils un si grand travail? Mais si les hommes des anciens temps ont remarqué que les crues du Tibre, de l'Astura, du Numieus, de l'Aqua Ferentina et des autres « fassi », que l'abondance des eaux dans le sous-sol, coïncidaient avec les crues de ces nappes, s'ils ont reconnu que l'infiltration, sur les pentes du massif, n'est copieuse qu'audessous de leur niveau, ils ont pu avoir d'autres vues. A l'intérêt de défendre les terres situées au bord même des lacs, à l'utilité de maintenir ceux-ci dans des limites déterminées, a pu s'ajouter le désir, en réglant leur niveau gai° des déversoirs surs, de régler en même, temps tout le régime des eaux profondes, et de débarrasser de ces eaux les flancs mêmes de ces collines jusqu'au-dessous de 200 mètres, Or 150 mètres d'altitude, c'est la fin du pays albain ; c'est, d'une part la terre Pontine et le royaume des Rutules, et de l'autre le bas Latium et bientôt 1.'Ager Romanus ; c'est aussi, en plein, le pays ou les réseaux de cmiiculi drainaient alors toutes les campagnes. Les deux systèmes se complétaient, et s'aboutaient pour ainsi dire 1°. L'émissaire du lac d'Albano"t (fig. 2657) s'ouvre à 123 mètres au-dessous du bord du cratère d'éboulement où gît ce lac, et è peu près à même hauteur au-dessus du point le plus profond, par conséquent environ à mi-flanc. Il a 2234 mètres de long, et ses eaux forment un affluent du Tibre, qu'on appelle Rio Albano, et qui finit au pied des 1dlonti di Decirno après un parcours de 15 milles. Son exécution est parfaite; il n'a jamais cessé de fonctionner et si ses deux extrémités, où sont des constructions importantes, ont été l'objet de réparations et de remanie ments, dont les principaux semblent dater d'Hadrien, en revanche le tunnel lui-même, qui est la partie essentielle, est bien l'oeuvre, et l'oeuvre exclusive, des premiers et antiques créateurs. Comme tous les travaux de ce genre, il présente de place en place des puits de curage et d'aération, espacés d'environ 35 mètres, d'où Nibby a supposé qu'il y en avait soixante-deux; la plupart sont oblitérés. On trouve également des cuniculi à 45°, presque tous bouchés aujourd'hui, ayant servi au creusement. La section moyenne du tunnel est d'environ 2 mètres de haut sur 1m,20 de largeur. Les roches traversées sont presque uniquement des pépérins, interrompus de temps en temps par des coulées de lave. L'opération du creusement n'a pu se faire qu'en remontant, c'est-à-dire partant de l'embouchure, et par tronçons, d'un puits à l'autre, ce qui suppose un nivellement bien fait et une direction des plus justes. On a les deux tronçons les plus voisins dû réserver d'abord du lac. Un long cuniculus oblique, dont les modernes ont revu les traces, écoula dans le tunnel, en arrière de ces tronçons, toute une tranche des eaux de la cuvette; puis le specus fut continué, toujours en remontant, jusqu'au-dessous de la bouche de cet ouvrage désormais inutile. Un puits vertical fut alors creusé jusqu'à larencontre du specus, et il suffit d'abattre tranche par tranche le talus en dehors de ce puits, pour obtenir à chaque fois un nouvel écoulement des eaux, une nouvelle baisse de la surface. Enfin , quand il ne resta plus qu'une faible hauteur de berge, on procéda, en dedans et à l'abri de sa partie antérieure, à la construction de l'orifice. Puis, par le m me moyen, avec la même prudence, perçant d'abord, démolissant ensuite le massif naturel réservé jusque-là, on jeta l'eau dans le tunnel, et le réglage se fit par le moyen de vannes. Bien entendu, longtemps avant, l'orifice de sortie avait été muni des constructions nécessaires, et les vannes mises en place. Le specus est une simple galerie forée à même le rocher. Jamais on ne l'a retouché : les coups d'outil qui l'ont ouvert se voient encore sur les parois ; on se rend compte que le tranchant avait un pouce. Il n'était pas possible à plus de deux fossores de battre ensemble en un même point. Lorsqu'on examine ce travail, dont la marche se suit sur le monument même, on remarque immédiatement combien il rappelle celui des CUNICULl de drainage. Mais il fut bien plus difficile, et certainement très dangereux. Il n'est pourtant pas moins réussi. Il demeure le chef-d'oeuvre des anciens en matière d'émissaire ; c'est un modèle que le plus brillant siècle de la civilisation romaine a en vain tenté d'imiter(fig.2658). Les constructions de la bouche d'entrée se composent d'un petit quai entourant un bassin antérieur, au fond duquel l'eau rencontrait une large pierre percée de trous, faisant office de gros filtre; la moitié de cette dalle est brisée, et remplacée par une grille. Au-dessus était un pont porté sur trois piliers de pierre, et où passait le chemin du tour du lac. Un escalier menait latéralement dans une vas te chambre, où était la vanne d'admission, et au fond de laquelle commençait le specus. A la bouche de sortie était un long conduit maçonné prolongeant le specus, soit sur terre soit à couvert, jusqu'à un point où les proportions devenaient plus larges et plus hautes : cette dernière partie subsiste. Là un système de vannes et de portes permettait, soit d'écouler l'eau dans un lit s'échappant à travers la campagne, soit de l'élever au niveau d'ouvertures ménagées dans la façade de cette chambre, pour en faire la distribution (fig. 2659). L'émissaire du ac de Nemit2, que Westphal, probablement à tort, jugeait encore plus ancien que celui d'Albano,parce que sa création n'est même pas mentionnée dans les légendes romaines, lui est semblable, sinon qu'il est plus petit, plus court, qu'il n'a pas de constructions grandioses à ses bouches, et qu'il est d'un travail plus sommaire et EMI 601 EMI moins beau. Mais il est fort intéressant, en ce qu'il est lié au système de desséchement de la Val la Riccia. Ce n'est qu'à sa bouche de sortie que, sur 2m,23 de haut, il atteint 1°,41 de large ; partout ailleurs, c'est un boyau, large de 0'1,75 à l'entrée. Comme ouvrage, rien n'est plus grossier; c'est une simple excavation dans le roc, nullement parée, assez inégale de section, et dans le radier mal dressé, ou fortement usé, de laquelle existent des flaques, que traverse le courant de l'eau emportée. Cette eau, par un canal découvert, se rend dans la Val la Riccia, qui est l'ancien lac d'Aricie. Après un kilomètre de course, elle entre dans un cuniculus, où s'en jette un second, qui apporte les eaux du Fosso del Vico. Parce souterrain elle franchit la lèvre méridionale du cratère dont cette vallée est formée. Cet émissaire de la Val la Riccia, dont la longueur est de 500 mètres, et qui plonge sous le sol à 6'1,70, a toujours été entre tenu pour les besoins de deux gros moulins. Aussi est-il remanié, et ses neuf regards sont garnis de coupoles ; mais ce sont bien les putei d'un cuniculus fort antique, très semblable à l'émissaire de Nemi pour la rudesse du travail, pour les inégalités du radier et de la section, mais très semblable également aux drains-tunnels de la campagne, notamment par ses dimensions, qui sont de 2 mètres en moyenne sur 0'1,45 à 0', 70 de largeur. Toutes ces eaux forment le Rio di Nemi, qui se rend à la mer sous Ardée. Leur aménagement est des plus curieux. On y surprend le lien des deux systèmes, celui des émissaires, qui atteignent les cratères et éliminent les eaux profondes, et celui des cuniculi, qui drainent les collines latines et soutirent l'humidité des tufs. En effet, les eaux qui ont passé des Campi d'Annibafe à la Val Molara, puis au lac de Nemi, puis au lac d'Aricie, ne viennent plus, grâce au premier, s'insinuer sous les tufs du pays des Rutules : un lac est desséché, l'autre est réglé, et leur double émissaire, recevant déjà un ou deux cuniculi du haut pays, prépare l'oeuvre de ceux de la plaine, qui en est entièrement garnie. Dans de petites proportions, les environs de Giulianello nous offrent le problème inverse, aussi élégamment résolu (fig. 2660) ". Un cuniculus de drainage, après avoir fait son office à l'égard d'une petite plaine et des collines adjacentes, et avant d'aller l'accomplir sous les collines inférieures, rencontre, dans une dépression intermédiaire, qu'il dessert, une soufflure volcanique où s'extravase un petit lac. Il s'y déverse, puis reprend les eaux à la queue de cette faible nappe, dont il devient le régulateur. Émissaire du lac Fucin". Passant des émissaires 111. latins à l'émissaire du lac Fucin, exécuté sous les Césars, on ne change pas seulement de région de l'Italie, et aussi de région de l'histoire; on se trouve en présence, malgré l'énormité, d'un ouvrage moins intéressant. L'entreprise du Fucin n'a été qu'une affaire, qui pouvait modifier heureusement l'économie et la salubrité d'un canton du pays des Marses ; elle n'est pas, comme la création des issues des lacs Albains, une part d'un grand fait historique. Le problème d'ailleurs se réduit au desséchement d'une cuve lacustre. Mais ici l'opération nous est connue dans son détail, par des textes et des monuments, et par les restes de l'ouvrage. Comme chacun sait, Claude voulut reprendre les projets formés par César, en tête desquels figuraient l'évacuation du lac Fucin et le creusement du port d'Ostie. Son affranchi Narcisse se chargea du premier. Écartant les sociétés de spéculateurs qui se présentaient pour tenter l'entreprise moyennant concession des terres délivrées, il persuada à l'empereur qu'il valait mieux garder ces mêmes terres et exécuter tout en régie. Il voulait en réalité se réserver cette mission, où il ne vit qu'une occasion de rapines. C'est à lui, semble-t-il, que doit être imputé l'insuccès de cette oeuvre, qui dura onze années, employa d'une façon continue trente mille hommes, coûta des sommes invraisemblables, et parut aux contemporains le travail le plus gigantesque qui eût jamais été rèvé. Le lac Fucin, entouré de montagnes, ne pouvait être déversé par un canal à ciel ouvert. Entre lui et le fleuve Liris s'élève le Monte Salviano et s'étendent les champs Palentins. Il fallut percer un tunnel à 100 mètres environ sous cette plaine, à 300 mètres sous le sommet du mont, sur 5595 mètres de longueur. On a lieu de penser que le fond du lac était, à cette époque, de 19 à 20 mètres plus élevé que le fond du lit du Liris. Sur ces données, un ingénieur, dont l'histoire n'a pas conservé le nom, dressa un plan qui témoigne d'une grande science et d'un esprit juste et hardi. Le projet est aussi remarquable que l'exécution fut piteuse. On peut assez facilement en reconstituer les grandes lignes. Le fond du lac devait demeurer à l'état de bassin fixe, vraisemblablement garni d'un quai et de vannes d'admission, pour recevoir les torrents affluents, sans doute canalisés. Il eût présenté une surface égale au tiers de l'étendue primitive. A 1'1,207 du fond de ce bassin, à 18'1,20 au-dessous de la campagne, s'ouvrait le tunnel émissaire. Le fond du Liris est à 12m,642 au-dessous du débouché de ce même tunnel, à 21'1,087 au-dessous de l'entrée. Le radier devait donc avoir une pente totale de 8',444 uniformément répartie, soit environ 1'1,50 par kilomètre. Les nivellements avaient été très bien faits. La section type du tunnel, qui eût dû être partout maintenue, était d'une forme très simple, et suffisante pour le besoin (fig. 2661). L'emplacement était bien choisi, et le tracé est le même qui a servi pour l'émissaire par lequel le lac a été desséché avec plein succès aux frais du prince Torlonia". 76 EMI .-602 __ EMI L'oeuvre d'ailleurs ne présentait pas de difficultés insurmontables. Plus profond que l'émissaire d'Albano, l'aération de la mine et l'extraction des matériaux. C'était là un travail immense, mais qui n'avait rien d'impossible. On est toutefois confondu en remarquant que tes Romains n'ont pas imaginé un seul perfectionnement à la technique, à l'outillage des plus antiques fouisseurs. Ils ne s'avisèrent même pas de faire des manèges pour la manoeuvre de leurs bennes, tandis que, depuis l'aurore des temps, les paysans d'Afrique et d'Assyrie s'en servent pour puiser de l'eau. Une centaine de bœufs ou de chevaux auraient produit plus de travail que leurs milliers de malheureux. Une de leurs bennes, un grand seau cylindrique, a été retrouvée dans un puits. Un bas-relief montre l'appareil qui servait à les faire courir: « Deux tambours sont fixés autour d'axes verticaux ; sur l'un et l'autre sont adaptés horizontalement, mais enroulés en sens contraire, deux cordages qui sont passés sur deu poulies, grâce auxquelles, dès que le tambour se meut, l'un monte et l'autre descend; deux travailleurs font tourner la machine (fig. 266'416 ». Mais toutes ces imperfections, causes de dépenses exagérées, ne sont pas des causes d'insuccès. Quant à la fouille elle-même, un accident la contraria, un éboulement terrible, suivi d'une effrayante irruption d'eaux. Cela même n'arrêta pas la marelle ;l'éboulement fut muré, tourné courageusement par une galerie nouvelle, à 90 mètres de profondeur; et l'ouvrage, déformé en partie, n'en fut pas moins poursuivi. La pratique des Romains pouvait donc donner du problème une solution, quelque peu enfantine, et par-dessus 'outtrés coûteuse, mais certaine. mais moins long que celui du Copras, sperus pouvait se creuser par les moyens déjà connus. Quarante puits et un nombre plus grand encore de cuniculi assurèrent Pourquoi ils ne réussirent pas, les figures ci-jointes malgré la petitesse de l'échelle, voir combien le radier du l'expliquent. On pentdéjè, dansle profil en iong(fig. 26G3), speeus est inégal, accidenté, combien de contre-pentes, de EMI 603 -- barres, de rav inenlcnté s'y dessinent, difformités imparMais le témoignage essentiel, c'est la section du tunnel donnables, pui qu'on l de nivellements très bons. reproduite en huit points de son parcours (fig. let 1). Lors qu'on voit cette galerie, tantôt voisine de la section type, tantôt réduite au tiers, au quart, parfois triangulaire, carrée, plus sou vent biscornue et ne tenant à rien, on comprend que, si elle a pu sous la pression des eaux. f au début, évacu mr. et encore par àcoups, une bonne quantité de liquide, elle n'a jamais pu procurer, d'une manièrepermanente , qu'un écoulement im parfait. Que la faute en soit à Nain cisse, à ses entrepreneurs, ou aux deux, le projet, qui était fort beau, fut défiguré à jamais par des malfaçons inouïes. L'adduction de l'eau dans l'émissaire se faisait au moyen d'un ensemble d'ouvrages qu'il serait long de décrire ici, et qui, préparés en deux fois, ont été augmentés plus tard. II semble bien que, là, il n'y ait eu rien à redire (fig. 2665). Comme Tacite le raconte, c'est en deux coups que les eaux furent admises. Une première tranche fut émise lors de l'ouverture du specus, et, grâce à sa hauteur de chute, franchit les obstacles intérieurs; puis l'écoulement s'arrêta. Les ennemis de Narcisse l'accusèrent, mais cette fois à tort; il dut prendre le temps de faire abaisser sa prise d'eau, et une nouvelle tranche fut envoyée dans le tunnel. C'est dans ce second acte qu'arriva l'accident qui faillit noyer tout le monde, et que les eaux, d'abord acheminées, s'arrêtèrent brusquement. En tout, le lac ne descendit que de deux mètres. Trajan, puis surtout Hadrien, reprirent l'opération. Que firent-ils? On ne le sait pas exactement. Des vestiges, retrouvés de nos jours, ont montré qu'une zone demeura reconquise à l'agriculture ; mais l'abaissement de 5 mètres dont Narcisse s'était flatté, ne fut certainement pas obtenu. Le lac Fucin semble du moins avoir eu, pendant tout l'empire, une administration chargée de le maintenir en état". Après les invasions barbares, rien ne l'ut plus entretenu, et il retomba dans la condition, peut-être pire qu'à l'origine, dois l'a tiré, pour aboutir au desséchement intégral, le talent d'ingénieurs frant çais. M.-R. D ri LA