Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article EMPHYTEUSIS

EMPHYTEUSIS. Grèce. Il est difficile de déterminer l'époque où les Grecs ont commencé de pratiquer l'emphytéose. 11 faut descendre assez bas pour en saisir la trace dans les auteurs' ; mais une inscription nous atteste qu'elle était en vigueur dès leva siècle avant notre ère On ignore si, à ce moment-là, cette forme de tenure était déjà ancienne ou d'institution récente. Sur ce point, il serait oiseux d'émettre aucune conjecture. J'inclinerais pourtant à penser qu'il y a eu une certaine corrélation entre les progrès de l'emphytéose et la décadence du colonat. L'hilote de Laconie, le péneste de Thessalie, le thète de l'Attique ressemblaient beaucoup à un fermier emphytéotique. Ils en différaient sans doute à bien des égards, puisque leur personne était réduite à une demi-servitude; mais le trait essentiel de l'emphytéose, à savoir la perpétuité du droit de jouissance attribué au détenteur, se retrouve aussi dans le colonat hellénique. L'emphytéose, en somme, nous apparaît comme une sorte de colonat mitigé. La principale distinction qu'on aperçoive entre l'un et l'autre, c'est que l'emphytéote traite d'égal à égal avec le propriétaire et reste libre, tandis que le colon est subordonné au sien et lui sacrifie une partie de sa liberté. II est donc possible que l'abolition graduelle du colonat ait eu pour conséquence l'extension progressive de l'emphytéose, et que ce dernier mode de fermage ne soit rien de plus au fond que l'ancien colonat, dépouillé de tout ce qui pouvait blesser les sentiments démocratiques des Grecs_ La plupart des baux emphytéotiques que nous possédons concernent des terres qui appartenaient à une cité, un temple, ou une association. Quelques-uns laissent dans le vague le caractère véritable du bailleur. Mais on peut affirmer que celui-ci était toujours une personne morale, j'entends un être collectif destiné par son essence même à vivre éternellement. Voici par exemple un contrat passé entre Anaxidème et les « Klytides» de Chio'. On ne sait pas ce qu'est au juste cette communauté. Si c'est une phratrie, nous avons là une subdivision de la cité, faite pour durer aussi longtemps que la cité elle-même. Si c'est un yEVoç, c'est-à-dire une famille demeurée fidèle à sa vieille organisation patriarcale, elle est presque à l'abri de toute chance de destruction, en raison du nombre considérable de ses membres. Dans un autre contrat, huit individus appelés KuOilp(wv p7Tat cèdent à bail perpétuel un atelier situé au Pirée, une maison et un terrain à bâtir4. Sur cette expression, on n'a pas énoncé moins d'une dizaine d'opinions divergentes, et aucune n'est pleinement justifiée. En tout cas, ces huit personnages sont, soit des fonctionnaires, et dès lors ils représentent une personne morale, cité ou dème, soit de simples particuliers qui possèdent une propriété commune, et il se peut que cette société ait été constituée sans limite de temps, de telle sorte que chaque vide produit par la mort y fût aussitôt comblé. Un troisième contrat débute par ces mots : SuveExateépov(t x) Aechmanor sont peut-être, l'un le propriétaire, l'autre le fermier du domaine. Mais peut-être aussi sont-ils tous les deux fermiers d'une terre publique. S'il en était ainsi, le bailleur ici encore serait une personne morale. Il n'y a guère qu'une exception à cette règle, et elle nous est fournie par une inscription du règne d'Alexandre découverte dans la région de Pergame °. On y constate que Crateuas donne à Aristomène « une terre non plantée à cultiver ». Puis le texte note la superficie de l'immeuble et le taux de la redevance. A la rigueur, on pourrait contester qu'il s'agisse là d'un bail perpétuel; mais, à défaut de preuves directes, la modicité de la rente et l'absence de toute clause de durée suffisent à établir qu'Aristomène reçoit vraiment la terre en emphytéose. On pourrait encore alléguer que Crateuas n'est qu'un simple mandataire et qu'il stipule pour le compte d'autrui, peut-être pour le compte d'un dieu ou d'une cité. Mais, si cette hypothèse était fondée, il est probable que le document, malgré sa concision, ferait quelque allusion au propriétaire véritable. Il faut donc admettre que cette inscription contient une dérogation formelle, mais jusqu'à présent unique, au principe que nous avons énoncé plus haut. Toutefois, si l'on réfléchit à la provenance et à la date de ce texte, on se gardera provisoirement d'appliquer à toute la Grèce ce qu'il nous apprend des usages d'une contrée longtemps placée sous la domination perse. Les Romains ont emprunté aux Grecs le mot entphytéose. Mais on ne remarque pas que les Grecs eux-mêmes s'en soient jamais servis, du moins à l'époque de leur indépendance. Ils emploient des locutions coinme c hv vosç 7, ou Eig T0v «1'avTa ;Opivov 8. On rencontre encore la formule eh 7C0uTptX, dont le sens étymologique indique que l'immeuble sera pour le fermier un bien patrimonial'; ce sens d'ailleurs est confirmé par les lignes suivantes ou on lit expressément que la terre sera occupée « par le preneur actuel, par ses descendants, ou par ses héritiers ». Dans le bail d'Héraclée, la location est faite à vie (xaT i3(ou) 10. Il ne s'ensuit pas que la convention fût valable seulement jusqu'à la mort du contractant, et qu'après lui la terre dût nécessairement revenir au propriétaire en titre. On trouve plus bas cette phrase : « Si le fermier meurt sans laisser d'enfants ni de testament, toute la récolte sera recueillie par la cité ". » Cette EMP --606 EMP clause prouve que le fermier avait le droit de transmettre l'immeuble à sa postérité, et même d'en disposer par acte de dernière volonté. La concession était donc perpétuelle, et non pas viagère. L'emphytéote n'était pas complètement assimilé à un propriétaire. Il avait beau dire comme cet Anaxidème de Chio : « La terre que je détiens est toute entière à moi". e En réalité, ses droits étaient strictement délimités. Le contrat d'Héraclée lui refuse la faculté de vendre ou d'hypothéquer". Cette défense n'est pas inscrite dans tous les documents; mais elle figure dans un contrat de Mylasau, Ici même, on va encore plus loin, et on prohibe toute cession gratuite du fonds. La plupart des autres contrais se montrent moins rigoureux. Ils permettent au fermier de faire abandon de son bien, mais sous certaines réserves. 11 ne peut par exemple le diviser en plusieurs lots : la terre doit demeurer telle qu'elle est et passer intacte à un tenancier unique''. Il ne peut pas non plus modifier en quoi que ce soit les clauses du bail primitif, ni stipuler pour lui-même le moindre avantage 1f. Est-il libre de sous-louer? Les textes gardent tous le silence sur ce point. Le droit de céder implique apparemment le droit de sous-louer; mais s'il est vrai que le nouveau locataire n'est astreint qu'aux obligations de son prédécesseur, celui-ci n'a aucun intérêt à conserver la possession nominale de l'immeuble, puisqu'Une peut désormais en rien retirer ".Dira-t-on qu'il lui reste au moins la faculté de le reprendre au terme qu'il aura fixé? Cela même est fort douteux. Les contrats que nous avons déclarent que le second fermier sera placé exactement dans les mêmes conditions que le premier, et il n'est guère croyable qu'on ait excepte la plus importante de toutes, c'est-à-dire la perpétuité du bail. L'esprit de toutes ces règles est facile à pénétrer. L'emphytéote est généralement enclin à se considérer comme le possesseur légitime de son fonds, surtout s'il a versé un prix d'achat. En Grèce, un pareil abus n'était pas à redouter. On a vu à quoi se réduisait pour le fermier la liberté d'aliéner. Il était peu probable qu'enchaîné par tant de restrictions il oubliât jamais qu'il était un simple usufruitier. Les Grecs ne voulaient pas non plus qu'il fit de la terre un objet de spéculation. C'est en partie pour cela qu'ils lui interdisaient de la vendre. Au fond leur pensée véritable était que l'immeuble ne devait pas sortir de la famille. Il est vrai que le détenteur semble avoir eu pleine licence d'en disposer à sa guise par testament et qu'au besoin une vente pouvait se dissimuler sous la forme d'un legs. Mais je présume que ce genre de fraude était assez rare. On sait quelles étaient les habitudes helléniques. Un Grec n'avait pas de plus grand souci que de laisser son héritage à quel qu'un de ses proches, et, si par hasard il n'avait point de parents, il s'en créait un par voie d'adoption. Ce qu'on faisait pour ses biens propres, on le faisait aussi pour les biens emphytéotiques. La loi autorisait à les léguer même à des étrangers ; mais les moeurs, plus fortes que la loi, exigeaient qu'on les léguât de préférence à l'un des siens. Trois sortes d'obligations pesaient sur l'emphytéote. En premier lieu, il avait à payer une redevance annuelle, soit en argent, soit en nature. Dans l'un et l'autre cas, c'était toujours une rente fixe, je veux dire qu'elle n'était pas proportionnelle à la récolte, et qu'elle n'était point susceptible d'être augmentée ni diminuée pendant toute la durée du bail16. Le taux n'en était jamais élevé; il était surtout beaucoup plus faible que dans les fermages temporaires. Voici une terre estimée 5000 drachmes; elle est louée pour plus de .L00 drachmes et moins de 200, soit entre 2 et 4 p. 10070. Une autre a une valeur de 7000 drachmes; elle est affermée à 4,28 p. 10020, AOlymos,une terre donnée en emphytéose rapportait un intérêt moitié moindre qu'un capital en argent 21. A Chio, un individu prend un bien de 20000 drachmes pour une redevance de 420 drachmes et de 1084 kilogrammes de bois32. Un contrat éléen stipule que pour une terre de 18 hectares environ le fermier fournira 20 hectolitres d'orge 23. Nous ignorons sans doute dans quel état elle se trouvait, et il est possible qu'elle ait été inculte ; mais de toute façon la rente est assurément très légère. Dans le contrat de Gantbréon, le prix de fermage est d'un darique d'or, c'est-à-dire de 25 francs, pour une terre d'une superficie approximative de 12 hectares 2 . A Héra clée la location du domaine sacré de Dionysos se fit aux conditions suivantes'". Quatre lots furent formés par une commission d'arpenteurs. Les trois premiers mesuraient ensemble 277 hectares '75 ares '6; ils furent assujettis à une redevance de 77 hectolitres 60 litres d'orge ou de 28 litres par hectare. Je sais bien que toutes ces terres n'étaient pas de bonne qualité, et que les deux tiers étaient encore en friche. Mais ces dernières n'étaient pas entièrement stériles; les termes qui servent à les désigner, rxlppoc et apugéç,prouventau contraire qu'elles produisaient du bois 27. D'ailleurs, si l'on admet qu'elles n'entrèrent pas en ligne de compte et que la location en fut purement gratuite, il en résultera que les terres arables payèrent 87 litres par hectare, au lieu de 28, et on avouera que ce n'était pas là un gros chiffre. A l'époque où se place notre document, c'est-à-dire au Ive siècle, l'orge se vendait en moyenne Il francs l'hectolitre sur le marché d'Athènes 28. Si les prix étaient les mêmes à Héraclée, une redevance de 87 litres représentait 9 fr. 50. Or chez nous le prix de fermage des terres labourables de la EMP 607 EMP dernière catégorie monte à 33 francs29. Le rapprochement est déjà assez instructif par lui-même; mais nous avons un moyen de contrôle encore plus précis. A la suite du bail qui concerne le domaine sacré de Dionysos, les tables d'Héraclée énumèrent d'autres baux relatifs au domaine d'Athéna. Ces baux ne sont pas emphytéotiques ; aussi remarque-t-on que la rente y est beaucoup plus forte. Onze lots y sont affermés à raison de 30 hectolitres par hectare. Cet énorme accroissement de la rente ne vient pas seulement de ce que chacun d'eux renferme quelques vignes 30 ; il s'explique surtout par la différence des baux. Un autre devoir du fermier était d'acquitter l'impôt. « Si une contribution de guerre (eiQpop«) ou une charge quelconque, dit le contrat du Pirée, vient à être imposée, Eucrate la payera''. » Même prescription dans un document de Mylasa : « Les taxes et charges de toute nature qui seront établies par le roi ou la cité retomberont sur le preneur". » Quelques textes d'Asie Mineure se contentent d'énoncer que la redevance sera «vutcôaoyoç 311. Cette expression un peu vague signifie peut-être que la rente perçue par le bailleur sera pour lui un revenu net que rien dans la suite n'amoindrira. Le contrat de Chio enjoint au fermier « de payer tout ce qui incombe aux propriétaires» ; il mentionne notamment une taxe qu'il appelle :r,v €xmToet'gp(w, et dont le caractère nous échappe ". Enfin l'emphytéote était tenu d'exploiter son fonds de telle manière qu'au lieu de dépérir il s'améliorât entre ses mains. Parfois on se borne à dire qu'il devra donner à la terre les mêmes soins que si elle était son bien propre '1". Mais souvent aussi on entre dans les plus minutieux détails. Ainsi les Klytides de Chio défendent au fermier de convertir ses champs en pâturages et de couper plus de bois qu'il ne sera nécessaire pour acquitter sa redevance 3° ; ils veulent en outre qu'il consacre une somme de 16 mines (1528 francs) à des plantations et à des constructions". Le contrat d'Amorgos interdit également l'élève du bétail; il parle d'un mur de clôture à réparer et d'un autre mur à bâtir au-dessus de la cave; ii détermine à quelle époque les vignes seront travaillées, quelle quantité de fumier il faudra répandre sur le sol, combien il faudra chaque année planter de souches nouvelles et de figuiers 39. Celui d'Héraclée est encore plus explicite. Le preneur du premier lot plantera au moins dix sthènes de vignes (1 hectare 12 ares); dans chaque sellène, il intercalera au moins quatre oliviers, si la terre peut en produire. S'il prétend que ces arbres n'y viennent pas bien, les magistrats apprécieront, en la comparant avec les terrains avoisinants. Il entretiendra en bon état les arbres qui existent déjà. Si la vieillesse ou le vent en détruisent quelques-uns, le bois sera pour lui ; mais il en représentera un nombre égal dans la quinzième année du bail. Il remplacera de même les souches de vignes au fur et à mesure qu'elles péri ront. Les chemins qui traversent l'immeuble seront feujours libres et praticables. Les fossés d'écoulement seront régulièrement nettoyés et les eaux courantes ne pourront être accaparées par le fermier. Il ne pourra pas davantage couper, briser ou scier des arbres, ni faire de nouvelles levées de terre, si ce n'est pour construire, ni creuser des carrières de tuf. 11 n'aura droit qu'au bais dont il aura besoin pour sa consommation personnelle, pour ses bâtisses et pour ses vignes. Il fera une étable à bœufs de vingt-deux pieds de long sur dix-huit de large (30 mètres carrés et demi), un z.u/ôç de quinze pieds carrés" (17 mètres carrés), et un grenier à paille de dix-huit pieds sur quinze (17 mètres carrés 80 cent carrés), le tout clos et couvert' 30. Pour le deuxième et le troisième lot, il est dit simplement que le locataire e les exploitera conformément au contrai" ». Dans le quatrième, il suffira d'entretenir et, le Las échéant, de renouveler les vignes et les arbres ; mais dans les champs qui n'en ont point, on plantera quatre oliviers par sthène 42. Ces diverses charges étaient assez onéreuses. Je calcule par exemple qu'à Héraclée le fermier du premier lot, outre les frais annuels de culture, eut à dépenser plus de 4000 francs 43. Sans doute cette somme ne devait pas être employée immédiatement, et on lui laissait un délai de quinze ans pour exécuter tous ces travaux. Mais enfin cet argent, il était obligé de le jeter tôt ou tard sur l'immeuble, sans espoir de jamais le recouvrer. S'il avait été libre de vendre la terre à son gré, il serait évidemment rentré un jour dans ses fonds, car il est clair que toutes ces améliorations aecrrlrent sensiblement la valeur vénale du domaine. Mais on a vu plus haut qu'il ne pouvait aliéner qu'à titre gratuit. Il ne s'ensuit pas que ses déboursés fussent pour lui une perte sèche, un cadeau fait au propriétaire. Comme ils avaient pour effet d'augmenter ses récoltes, c'était lui qui en bénéficiait tout le premier. De plus, la modicdé de la rente le dédommageait assez vite de ses avances. Des précautions étaient prises pour garantir les droits respectifs des parties contractantes. Si le fermier n'acquittait pas la redevance au terme prescrit, elle était tantôt doublée, comme à Athènes, Élis et Héraclée'34, tantôt majorée de 50 p. 100, comme à Mylasa et à Olymos ". Dans quelques villes, le bail était aussitôt annulé; dans d'autres, il fallait que le fermier eût été insolvable deux ans de suite. La terre était alors remise en location, sur le même pied que précédemment. Qu'arrivait-il, si à ce prix elle ne trouvait point preneur? Un seul texte nous le dit, et il n'est pas sûr que cette règle fût partout adoptée. En pareil cas, on avait coutume à Héraclée de faire payer pendant cinq ans par le fermier évincé la différence entre l'ancienne rente et la nom elle 'G. On n'était pas moins attentif à punir Ies autres 't iolations du contrat. Le bail du Pirée prononce l'expulsion EMP 608 EMP du fermier et lui inflige une amende égale à laredevance, s'il ne fait pas telles réparations dans un an. A Amorgos, chaque négligence a sa sanction pécuniaire. Si le locataire entretient des troupeaux sur l'immeuble, on les lui confisquera; s'il ne répand pas tant de corbeilles de fumier, il devra trois oboles par corbeille. S'il ne bâtit pas tel mur, il devra tant par orgyie. S'il ne plante pas le nombre convenu de figuiers ou de ceps de vigne, il devra tant par plèthre. Des dispositions analogues figurent dans le contrat d'Héraclée. Toute infraction aux clauses qui concernent les plantations, les bâtiments ruraux, les chemins et les fossés, est frappée d'amende. Suivant l'usage hellénique, le fermier fournissait des cautions. Celles-ci devaient être solvables et agréées par le bailleur. Leur responsabilité n'était parfois renfermée dans aucune limite de temps; parfois aussi elle s'éteignait au bout d'un certain délai, par exemple après cinq ou six ans, et le locataire était alors tenu de s'en procurer d'autres. Elles prenaient l'engagement de veiller à la stricte exécution de tous les articles du contrat. C'est ainsi qu'Exécias d'Aphidna promet qu'Eucrate « fera tout ce qui est écrit dans l'acte ». Ailleurs, les cautions garantissent « le payement de la rente et tout le reste 11. A Héraclée, elles se portent « garantes des fermages, des amendes, des dommages-intérêts, des jugements, elles et leurs biens déclarés sous la foi du serment » ; elles s'interdisent « de créer des embarras à la cité ou a ses représentants, soit par des dénégations mal fondées, soit par des chicanes de procédure, soit de toute autre façon" ». Le service qu'elles rendaient au fermier n'était probablement pas gratuit, et je sup pose que ce dernier avait encore de ce chef un supplément de charges. Tant que le preneur remplissait ses obligations, il était, semble-t-il, à l'abri de toute chance d'éviction. Le seul document qui énonce une réserve à ce sujet est l'inscription du Pirée. Les bailleurs y « confirment la location à Eucrate et à ses descendants », sous peine de lui payer 1000 drachmes G8. Ces 1000 drachmes forment l'indemnité que touchera Eucrate, s'il est dépouillé indûment de l'immeuble. On remarquera qu'elle est assez forte. puisque le prix de fermage n'est que de 54 drachmes. Dans tous les autres documents, le propriétaire paraît renoncer au droit de reprendre son bien. Le bail ne peut être résilié par lui que si le fermier enfreint tel ou tel article du contrat. Quant au locataire, il est autorisé à en réclamer dans certains cas l'annulation. A Héraclée, « s'il était chassé par la guerre et qu'il fût mis dans l'impossibilité de récolter », le bail était rompu, non de plein droit, j'imagine, mais sur sa requête '9. A Chio, la guerre était également considérée comme un motif de résiliation ; mais on admettait aussi, même en temps de paix, d'autres causes qui ne sont pas spécifiées, et que peut-être on laissait à l'appréciation des parties". A l'égard des tiers, l'emphytéote était protégé par les règles ordinaires du droit civil et du droit pénal. Toutefois, à Héraclée, un surcroît de précautions avait été jugé nécessaire. « Si quelqu'un, dit le contrat, pénètre dans le domaine, y envoie ses troupeaux, enlève un des objets qui s'y trouvent, coupe, brise ou scie un arbre, ou fait d'autres dégàts, le fermier le traduira en justice, et gardera pour lui ce qu'il aura pris 5f. » Jusqu'ici l'article n'offre rien d'insolite; mais il ajoute que le coupable sera traité devant les tribunaux âç 47[0;4 i mv, c'est-à-dire comme s'il appartenait à la catégorie des ed.c atazot 53. Ce terme, presque identique au mot à7oat;, désigne évidemment un individu qui n'a point les prérogatives du citoyen, et probablement un individu frappé d'atimie. Or nous savons qu'à Athènes l'ârtµo; n'avait point qualité pour ester en justice, soit comme demandeur, soit comme défendeur". S'il en était de même à Héraclée, on voit dans quel état d'infériorité était placé l'homme que l'emphytéote actionnait. La pratique des baux perpétuels a été favorable à l'agriculture, puisque le bailleur prescrivait habituellement à son fermier, soit de défricher la terre soit d'y planter des oliviers ou des vignes, par suite de la rendre plus productive. Elle a eu encore cet heureux effet de contribuer au maintien de la classe rurale, en créant partout des tenanciers libres qui, s'ils n'étaient pas propriétaires en titre, l'étaient presque de fait. Enfin elle a entravé l'extension du prolétariat agricole et procuré à beaucoup de paysans, au lieu d'un simple salaire, une sorte de demi-capital, qu'ils ne pouvaient ni perdre, ni engager, ni amoindrir. Mais, par contre, cette institution a provoqué en Asie Mineure un phénomène imprévu. Nous connaissons un citoyen de Mylasa qui vend la moitié de ses biens à Apollon et qui la reprend aussitôt en emphytéose 5G. Un autre fait une opération semblable à Olymos 5G. Plusieurs inscriptions mentionnent toute une série de ventes d'immeubles consenties par Thraséas au profit d'une divinité qui les lui restitue immédiatement sous forme de bail héréditaire 57. On devine sans peine la pensée qui inspira toutes ces transactions. Le dieu acquéreur trouvait là pour sés capitaux un placement moins rénumérateur que dans les prêts ordinaires, mais absolument sûr. Quant au vendeur, il avait l'avantage de se ménager ainsi la protection toujours enviable de la divinité qui traitait avec lui, et d'imprimer à sa terre un caractère sacré. En outre, il touchait le prix de son immeuble, sans l'aliéner tout à fait; il lui suffisait de s'astreindre au payement d'une légère redevance et de sacrifier quelques-uns de ses droits pour en percevoir la valeur intégrale, sans en perdre la perpétuelle jouissance. On voit tout ce qu'une pareille combinaison avait de séduisant. Il serait néanmoins téméraire d'en conclure qu'on y eut souvent recours. Nous avons encore trop peu de documents pour risquer sur ce point une opinion quelconque. Quoi qu'il en soit, il est manifeste que l'emphytéose, ainsi pratiquée, avait pour effet de réduire le nombre des propriétaires fonciers. Elle encourageait à vendre et fournissait aux temples un moyen commode d'étendre leurs possessions. Elle eût par conséquent favorisé les progrès de la grande propriété, d'une façon, il est vrai, moins funeste que la vente pure et simple, si les usages d'Olymos et de Mylasa avaient été répandus dans tout le monde grec. Mais jusqu'ici ils semblent avoir été particuliers à ces deux cités, ou, si l'on veut, à l'Asie Mineure. P. GIIeAVD. Rome. Chez les Romains le mot emphyteusis n'appartient qu'au droit du bas-empire, mais l'institution qu'il désigne remonte peut-être, sous le nom d'AGER vECTIGALIS, jusqu'aux premières conquêtes de Rome en Italie. Au moins est-il certain qu'on appelait agri vectigales, à. la fin de la république et au commencement de l'empire, des fonds appartenant au peuple romain, aux cités, à des collèges de prêtres ou de vestales, et loués à des particuliers moyennant une redevance annuelle, soit en argent, soit en fruits, qui portait le nom de vectigale8. Le terme de ces locations paraît avoir été d'abord annuel, ou renouvelable au moins tous les cinq ans, à chaque censure 69. Mais peu à peu il s'allongea au point de devenir de cent ans et même perpétuel, et de faire douter les jurisconsultes si un contrat de cette espèce était une location ou une vente 60. Le concessionnaire put céder son droit, le léguer ou le transmettre par héritage, et le préteur lui accorda une action réelle utile 67, comme à un propriétaire ou à un usufruitier, bien qu'il ne fût ni l'un ni l'autre, et sans doute, un interdit G2, s'il s'agissait d'un fonds publicus. La législation des agri vectigales dura jusqu'à la fin de l'empire, elle a passé avec son nom dans les Pandectes de Justinien 63 L'emphytéose proprement dite prit naissance dans les provinces grecques de l'empire, et, comme son nom l'indique (iµgureéety, semer, planter), elle eut pour origine des concessions de terres désertes à condition de culture. Les biens patrimoniaux des empereurs et les terres du fisc impérial furent les premiers soumis à l'emphytéose e". On distingue d'abord le fundus emphyteuticarius d'avec le fundus vectigalis61; mais ces différences s'effacèrent si bien qu'elles ne sont pas parvenues jusqu'à nous. L'emphytéose, confondue avec rager vectigalis, devint un contrat spécial dont l'empereur Zénon se fit le législateur 66. Sans se confondre avec le propriétaire ou l'usufruitier, l'emphythéote y jouit d'un droit réel (jus praedii) qu'il peut transmettre et céder à sa volonté ; il fait les fruits siens dès qu'ils sont détachés et même avant de les avoir perçus, à la différence de l'usufruitier, et peut modifier la chose en tant qu'il ne la détériore pas. Le bailleur (dominus) garde le droit d'exiger une redevance annuelle (vectigal, canon, pensio, reditus), et de rentrer dans la pleine propriété au cas où cette redevance ne serait pas payée. Le contrat subsiste si la chose se détériore ou périt partiellement; mais si elle périt tout à fait, le contrat est éteint et la redevance n'est plus due. Enfin Justinien, régularisant des usages déjà en vigueur, décide 67 que, lorsque l'emphytéote voudra vendre son droit, le propriétaire devra être prévenu de la vente et du prix, et qu'il aura un droit de préemption; ou que, s'il laisse la vente s'accomplir, il pourra pour recevoir le nouvel emphytéote et approuver la mutation, exiger une somme qui ne pourra dépasser le cinquantième de la valeur estimative de la chose 68. Nous rappelons ces dispositions, parce qu'on y peut trouver l'origine de plusieurs droits féodaux, tels que le retrait, et les lods et ventes. F. BAIJDRY.