Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article EPHIPPIUM

EPHIPPIUM ('E:pihc7nov). Ce nom, dont la signification s'est étendue progressivement, a été appliqué d'abord à une simple couverture placée sur le dos du cheval ; puis à toutes les pièces successivement ajoutées à celle-ci pour l'ornement de la monture ou pour la commodité du cavalier, housses, coussins, caparaçons, schabraques, bats, selles. En Grèce, on ne parait s'être servi, jusqu'au ve siècle av. J.-C., d'aucune sorte d'ephippium, à en juger par les monuments. On n'en voit aucune trace dans les peintures de vases si nombreuses où sont représentés des cavaliers et où les détails du harnachement sont d'ailleurs reproduits avec le plus grand soin. Les seules exceptions que l'on puisse citer n'appartiennent pas à la Grèce propre.C'estd'abord un vase trouvé à Defenneh (Daphnae) dans la basse Égypte, où ont été reconnus les restes d'un établissement fondé au vile siècle av. J.-C. par ces Ioniens et ces Cariens que le roi Psammétique engagea à son service. Levase peut être daté du vIe siècle ; on y voit (fig. 2686) une femme montée sur un cheval richement harnaché et dont le dos est couvert d'une housse à bord dentelé L'autre exemple (fig. 2687) est fourni par un fragment d'un de ces sarcophages de terre cuite qui ont été découverts en 1882 à Clazomène et qui sont décorés de peintures à figures noires de la même manière que les vases grecs du même temps 2. Des cavaliers y sont représentés sur des chevaux galopant; ils sont assis sur un petit caparaçon, très court par derrière, mais faisant EPH 648 EPH en avant, dans le sens où se porte la jambe, une pointe qui descend très bas sur le poitrail. L'observation de ces détails et d'autres tirés de la technique et du style des peintures font aujourd'hui considérer les vases semblables trouvés en Égypte, aussi bien que les sarcophages de Clazomène, comme des ouvrages exécutés par des Ioniens sous l'influence des moeurs asiatiques. De même, clans les sculptures grecques, par exemple dans la cavalcade des Panathénées, représentée sur la frise du Parthénon, on ne voit jamais les cavaliers montés autrement que sur le cheval nu; cependant la frise du monument de Xanthe en Lycie', ouvrage d'artistes grecs travaillant dans ce pays sans doute en présence de modèles différents qu'ils avaient sous les yeux, nous offre l'image de chevaux couverts d'un ephippium. Un de ces chevaux est monté; un cavalier est debout à côté de l'autre, laissant voir une courte couverture carrée placée sur son dos et maintenue par des sangles sous le ventre et devant le poitrail (fig. 2688). Il semble donc que l'ephippium fut d'abord en usage dans la Grèce asiatique comme il l'était chez les Perses, qui en étaient les maîtres alors ; et l'on sait à quel point ils poussèrent en cela le raffinement et la mollesse. Xénophon disait que de son temps ils entassaient plus de couvertures sur leurs chevaux que sur leurs lits Dans un passage de son Traité de la Cavalerie, où il parle de la manière de se tenir à cheval, le même Xénophon nous apprend que l'ephippium avait été adopté par les soldats de la cavalerie athénienne, et pour cette raison il veut que le chef qui les commande ait toujours en réserve une provision de sangles, afin de n'être pas pris à court en cas de besoin 6. Il recommande que l'ephippium soit assez long pour couvrir le ventre du cheval et le protéger, au milieu de l'action, contre les coups de l'ennemi'. II ne veut pas cependant que le soldat abuse de l'ephippium pour prendre ses aises et se relâcher de la position correcte qui est de rigueur dans une troupe bien dressée ; la bonne assiette n'est pas de se tenir comme sur un siège, mais plutôt comme si on était debout, les jambes écartées'. Dans l'usage journa lier les cavaliers athéniens doivent pouvoir monter à poil aussi bien qu'en s'aidant de l'ephippium ; il semble que pour Xénophon cette partie du harnachement soit, une commodité inventée par la civilisation, mais qui n'est point nécessaire et qui peut même avoir des inconvénients 8. Il parait probable que dès lors l'ephippium n'était pas toujours absolument souple et que l'on fut conduit peu à peu à lui donner plus de consistance, jusqu'à ce qu'il devînt une selle véritable. On ne voit pas en effet comment l'ephippium, s'il n'avait pas eu au moins une certaine épaisseur, aurait pu protéger les flancs du cheval contre les traits de l'ennemi, comme le prescrit Xénophon°. Le même auteur ne veut pas que le cavalier se tienne sur l'ephippium comme sur un siège ; c'est donc que celui-ci aurait pu y être porté par la forme même du harnais qu'il avait sous lui ; et on est d'autant plus tenté de le croire que Xénophon parle encore d'une autre pièce distincte, qu'il appelle fnoxov ; il recommande qu'elle soit « cousue de façon à donner à l'homme une assiette plus ferme sans blesser le dos du chevalf0 ». Il est très probable qu'il entend par là un coussin qui devait être cousu à 1'ephippium, de façon à en augmenter l'épaisseur à l'endroit du siège; sa recommandation même prouve que ce coussin devait être, d'ordinaire, assez bien rembourré; on peut admettre qu'il est identique à ce que Plutarque appelle il,iriuov It(ao.e" et que la plupart du temps il était déguisé par l'ephippium, soit qu'il y adhérât par des coutures, soit qu'il fût seulement placé au-dessous. Chez les Romains-l'ephippium n'avait pas une origine très ancienne. Cicéron cite ce mot comme un de ceux que la langue latine avait empruntés à la grecque pour répondre à un besoin de la vie pratique ". Varron, dans un dialogue Sur l'éducation 13, faisait dire à son principal personnage, qui pour lui représentait la sévérité des vieilles moeurs : « Quand j'étais enfant, je n'avais qu'une seule et modeste tunique, une seule toge, des chaussures sans bandelettes, un cheval sans ephippium. » Pour Varron l'ephippium était un objet superflu, comme les col Cd 11 O MAI N H V S v :QALAE°NOR 1 C NJ CA P:To CCELE1A°AX XÎ S_ XX liers ornés de pierreries que l'on mettait quelquefois au cou des chevaux' Cependant on ne peut douter qu'il fût déjà usuel à Rome au temps de ces écrivains", car il apparaît dès le ne siècle av. J.-C. sur des monnaies où sont représentées les statues équestres élevées à Q. Martius Philippus, le vainqueur de Persée", et à Sylla pendant sa dictature (fig. 2699) f7. César remarque comme une singularité chez la nation germaine des Suèves que rien dans leurs moeurs ne passe pour plus honteux ni pour plus lâche que de se servir d'ephippium; si peu nombreux qu'ils fussent, ils osaient attaquer de gros corps de cavaliers ainsi montés, persuadés d'avance que c'était là pour leur ennemi une preuve de mollesse et une cause d'infériorité". L'pphippium était devenu chez les Romains le harnais distinctif du cheval monté, si l'on en juge par ce proverbe que l'on appliquait aux gens mécontents de leur condition : le boeuf pesant demande à porter l'ephippium, le cheval à labourer ". Martial ne conçoit pas qu'on puisse s'en passer pour peu qu'on ait l'épiderme délicat 20. Nonius le définit : Tegimen equi ad mollem, vecturam paratuna 21. Les chevaux de troupe portaient communément l'ephippium, comme on III. le voit sur les bas-reliefs du monument des Jules, à SaintRémy, où sont représentés des soldats romains de la fin de la République". En 66, sous Néron, à la revue annuelle du 15 juillet, on remarqua comme un fait nouveau que les chevaliers, qui défilèrent devant l'empereur, avaient orné leurs montures d'une housse n ; s'ils avaient attendu jusque-là pour la produire à Rome en public, c'était afin de paraître respecter une tradition chère aux partisans des vieilles moeurs, mais depuis longtemps évanouie. Un monument funéraire du musée de Mayence (fig. 2690), appartenant précisément au temps de Néron 24, offre l'image d'un cavalier de l'ala Noricorum, qui tenait garnison à Celeia (Cilli en Styrie) : il est assis sur un ephippium dans lequel on peut distinguer, outre un panneau ou petite couverture carrée, maintenu par des sangles sur la croupe, sous le ventre et sur le poitrail, deux bourrelets saillants, devant et derrière, semblables aux arçons d'une selle. Les tombeaux, les arcs triomphaux, les colonnes de Trajan et de Marc-Aurèle nous montrent régulièrement les chevaux des cavaliers romains ainsi munis d'un ephippium composé d'un plus ou moins grand nombre de pièces. Ceux qui sont représentés sur la colonne Trajane 25 sont ordinairement (fig. 2691) couverts d'une double housse frangée ; celle de dessus descend à peu près à la hauteur du genou du cavalier (tome I, p. 1257, fig. 1659), celle de dessous se prolonge plus bas que le poitrail ; des lanières quelquefois, comme on le voit ici, découpées ou ornées de glands, mais ordinairement plus simples sur les monuments funéraires, sont fixées en avant et en arrière. Ces derniers monuments sont surtout utiles à étudier si l'on veut connaître l'histoire, que nous n'avons pas à faire ici des origines et du développement de la selle. Nous renvoyons aux articles spéciaux [SELLA EQUESTRIS, diverses parties de l'équipement du cheval monté les figures et les explications nécessaires26. Fronton rapporte" que lorsque L. Vérus, frère de 82 EPH 650 EPH Marc-Aurèle, vint prendre le commandement de l'armée d'Orient (en 165 ap. J.-C.), il trouva la discipline fort compromise par les habitudes efféminées que les soldats romains avaient contractées au milieu des Asiatiques; entre autres traits de mollesse, Fronton leur reproche avec indignation d'avoir osé mettre sur leurs chevaux des coussins de plumes d'oie ; on se hâta de les leur enlever quand on voulut retremper leurs vertus guerrières. La réforme eut peut-être pour effet d'arrêter l'excès de pareils raffinements, mais on ne put empêcher l'ephippium de devenir, par des additions et transformations successives, une selle complète à hauts arçons rembourrés, chargée de tapis et de coussins, brodée d'or et quelquefois garnie de pierres précieuses2°, comme celles que l'Orient a connues de bonne heure et qui y sont encore en usage. Nous en donnons un dernier exemple pour le Bas-Empire, d'après les bas-reliefs de la colonne de Théodose 2', où sont représentés plusieurs chevaux richement harnachés. Celui qui est ici reproduit (fig. '.269.) porte une selle à pommeau et troussequin très élevés, avec quartiers piqués et bordés d'une découpure dentelée ; cette selle est portée sur une housse brodée, également dentelée et garnie de glands, et sous la housse enfin on voit un caparaçon très orné, couvert d'écailles probablement en métal. La fabrication des ephippia donna naissance chez les Romains à une industrie spéciale, celle de l'ephip pi arias 3°. G. LAriYE.