Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article EPISTULIS

EPISTULIS (AR). On appelait ainsi le bureau de la correspondance impériale, et aussi les fonctionnaires attachés à ce bureau. Il constitue avec les autres bureaux (officia ou scrinia) a libellis, a cognitionibus, a rationibus un ensemble qui équivaut à peu près à nos ministères. Ces directions diverses sont issues de la même évolution politique, et présentent par conséquent un développement analogue, mais il est nécessaire de les étudier à part, dans leur domaine respectif. C'est ce que nous allons faire pour le département ab epistulis, en examinant successivement les origines de ce bureau, la qualité des employés de tout ordre qui le composent, la nature de leurs attributions, et enfin la transformation et la décadence de l'institution. 1. Des origines du bureau ab epistulis. On a comparé le fonctionnaire appelé ab epistulis à l'épistolographe des monarchies gréco-orientales, mais, à dire vrai, l'assimilation est purement extérieure. L'histoire du bureau de la correspondance impériale ne trahit aucun emprunt à l'hellénisme. Dans son organisation première, comme dans ses développements ultérieurs, il porte une empreinte spécifiquement romaine. Cornelius Nepos', racontant la vie d'Eumène qui, de secrétaire de Philippe, devint un des principaux généraux et successeurs d'Alexandre, fait cette remarque que, chez les Grecs, cette charge était beaucoup plus honorée que chez les Romains. « Chez les Grecs, dit-il, on n'y admet que des personnages de haute naissance et connus pour leurs talents, parce qu'ils doivent entrer, pour leur part, dans toutes les décisions prises par le roi. Chez nous, au contraire, on traite ces hommes comme des mercenaires, ce qu'ils sont en effet. Cornelius Nepos vivait dans les dernières années de la république et les premières de l'empire. Il fait allusion à la corporation des sCRISAE qui rentrait dans la corporation plus vaste des appariteurs [APPARITORES] on officiers subalternes des magistrats. On sait que ces agents touchaient un salaire, ce qui était considéré comme un signe d'infériorité, et, de plus, bien qu'ils fussent et dussent être citoyens, ils étaient rarement choisis en dehors des affranchis, ou tout au moins des classes les plus humbles de la société La situation des secrétaires de l'empereur ne fut pas, dans les premiers temps, beaucoup plus relevée. A la vérité l'historien Trogue Pompée rapporte que son père, après avoir fait la guerre sous César, était devenu son secrétaire, son garde du sceau, et le directeur ou, pour mieux dire, l'intermédiaire de ses relations diplo I matiques; « ... episteelarum... et legationzlm 5111601 et anuli curam habuisse3 e. Ces attributions sont précisément celles que nous verrons conférées plus tard aux secrétaires des empereurs. Trogne Pompée était d'une excellente famille du pays des Voconces. Son aïeul avait reçu de Pompée, pendant la guerre contre Sertorius, le droit de cité. I1 avait un oncle paternel qui avait commandé une cohorte dans la guerre contre Mithridate '. Il est à croire que son père n'avait pas servi avec un grade inférieur. Mais l'exemple donné par César en choisissant pour secrétaire un homme de cette condition ne fut pas suivi. Nous mentionnerons ici, en passant, la proposition faite par Auguste à Horace. Suétone nous apprend qu'il lui offrit l'office de la correspondance « officium epistolarum 6 ». Il ne semble pas toutefois qu'il faille entendre par là un poste public. La lettre que l'empereur écrivit à Mécène à ce propos, et dont le même Suétone reproduit un fragment, nous donne de cette situation une autre idée. Auguste, souffrant et trop chargé d'occupations, ne peut plus suffire à sa correspondance avec ses amis. Il demande à Mécène de lui prêter Horace pour l'y aider. Il voulait donc en faire son secrétaire privé. Il était luimême un lettré trop délicat pour asservir cette plume de poète à la prose administrative, et nous voyons d'ailleurs que pour cette besogne il s'adressait moins haut. Horace, fils d'affranchi, mais non affranchi lui-même, était audessus d'une fonction considérée comme toute domestique. Une inscription nous fait connaître un certain Ianuarius, esclave d'Auguste et se disant « ab epistulis' ». Il est vrai qu'on peut se demander s'il était le chef du service, ou simplement un des employés en sous-ordre. Nous verrons en effet que ces derniers ne sont pas toujours reconnaissables à l'indication de leurs attributions spéciales. Mais ce qui est certain, c'est que les chefs euxmêmes n'étaient jamais pris que parmi les affranchis de l'empereur 8. Alors même qu'il en fut autrement, quand l'usage se fut introduit de les emprunter à l'ordre équestre, ils ne dépouillèrent jamais entièrement ce caractère, ni eux ni la plupart des préposés aux divers départements de la chancellerie impériale. Le directeur des finances ou a rationibus est le seul qui soit qualifié procurateur. Les autres sont toujours considérés comme occupant des officia palatina pour lesquels ce titre n'est point de mise 9. Plus tard, dans le courant du Ille siècle, on imagina pour eux celui de magister1e qui resta en vigueur dans la période dite du Bas-Empire. II. Du bureau ab epistulis depuis Claude et de la qualité des employés qui le composaient. L'empire à ses débuts est comme un être en voie de formation qui petit à petit se crée ses organes à mesure qu'il prend conscience de ses fonctions. C'est du règne de Claude que date la grande importance et l'on peut dire la création de la chancellerie ou des ministères impériaux. Jusqu'alors les empereurs, plus ou moins fidèles aux ménagements observés par Auguste, n'avaient pas osé faire trop ouvertement de leur maison le siège du gouvernement. Sans doute ils étaient les maîtres, et personne ne s'y trompait, mais du moins ils n'avaient pas organisé autour d'eux, avec cette ampleur et cet esprit de suite, cet ensemble de services qui devait embrasser et absorber toute l'administration du monde romain. Le règne qui vit se produire ces innovations marque donc un moment décisif dans le développement de la centralisation monarchique, et prend dans l'histoire une place tout à fait hors de proportion avec l'action personnelle du souverain. Ce n'est pas à Claude en effet, c'est à. ses affranchis, à Narcisse, à Pallas, et à leurs collaborateurs qu'il faut attribuer la hardiesse de cette initiative, et, quoi qu'on puisse penser de ces personnages, de leur valeur morale et des moyens où ils sont descendus, on sera d'accord pour reconnaître la portée de l'ceuvre réalisée par leur énergie et leurs talents ". II était inévitable que des serviteurs entrés si avant dans l'intimité du prince finissent par le dominer en flattant ses faiblesses ou ses vices, et de là à transformer en pouvoir effectif leur influence occulte, il n'y avait pas loin. Un pareil rôle convenait à des hommes qui ne pouvaient puiser dans la conscience de leur infériorité sociale des sentiments bien élevés, tandis que, d'autre part, les dédains de l'aristocratie sénatoriale ne devaient pas les rendre très chauds pour le maintien de ses privilèges. Si l'on ajoute qu'ils trouvèrent en Claude, et après lui, en Néron, les maîtres les mieux faits pour servir leurs ambitions, on aura expliqué, en partie, la pensée qui les anima et le succès de leur entreprise. Mais il y avait à ce mouvement des causes plus profondes, indépendantes du caractère des empereurs et des habiles qui savaient en tirer parti. La preuve en est que l'oeuvre des affranchis de Claude survécut, non seulement à ses auteurs, mais au règne même de cette caste, tant elle répondait bien aux tendances fondamentales et invincibles du régime. L'hostilité, latente ou ouverte, de l'empereur et du Sénat, était une des fatalités de l'empire. La concentration de toutes les fonctions gouvernementales entre les mains d'un seul était le terme nécessaire de la révolution qui, commencée dès avant Actium, se poursuivit et s'acheva longtemps après. Si ce travail se fit tout d'abord par les soins et au profit de la domesticité impériale, c'est que l'empereur, à l'exemple des particuliers, préposait à sa maison ses affranchis et ses esclaves. Ainsi l'État se confondit avec le patrimoine du prince ; les directions administratives nouvellement créées se trouvèrent assimilées à des charges de cour, et cela d'autant mieux que l'indignité des titulaires s'effaçait dans la majesté du chef qu'on sentait derrière eux. C'étaient les instruments qu'une volonté toute-puissante et sacrée pouvait à son gré utiliser ou briser. La direction ab epistulis n'apparaît pas sous Claude pour la première fois, comme celles A LIBELLIS, A COGNITIO existait auparavant, au moins nominalement. On en a vu plus haut un exemple du temps d Auguste. On peut en ajouter quelques autres qui paraissent contemporains de Tibère 13. Mais, de même que la direction a rationibus, entre les mains d'un homme comme Pallas, ne tarda pas III à déborder au delà des limites d'un office privé de même avec Narcisse, Ti. Claudius Augusti libertus Narcissus, la direction ab epislulis acquit toute l'extension qu'elle devait garder par la suite. Peut-être même est-il permis d'affirmer que jamais ces emplois ne furent aussi importants qu'à l'origine. Si nous parcourons la série de ceux qui les ont remplis, nous ne rencontrons, à l'exception du premier, aucun nom éclatant. Ce sont des fonctionnaires qui donnent l'impulsion à la machine administrative, mais qui, en dehors de leur spécialité, ne paraissent pas, autant que nous en pouvons juger, avoir exercé une action sensible sur la marche générale du gouvernement et la direction de l'histoire'". On comprend qu'il n'en ait pas été de même des fondateurs de l'institution. Nous n'avons pas à retracer la vie de Narcisse. Les historiens, qui nous étalent ses immenses richesses et nous présentent par le détail les intrigues de sérail où il fut mêlé, ne peuvent s'empêcher d'attester son dévouement à son maître, dévouement qu'il poussa jusqu'à la mort. Rappelons seulement la mission dont il fut un jour chargé par Claude. Elle n'avait rien de commun avec les attributions d'un chef de la correspondance, et montre par là même la confiance illimitée dont il jouissait auprès de l'empereur. Les légions s'étaient révoltées en Bretagne ; Claude l'envoya pour apaiser le mouvement. Mais les soldats n'avaient pas l'habitude d'être harangués par un affranchi. La présence d'un tel ambassadeur au tribunal où siégeait d'ordinaire l'illustre consulaire Plautius leur Ilt l'effet d'un outrage. Elle suffit pour relever le prestige du général et rétablir son autorité méconnue i6. Narcisse reçut, après le meurtre de Messaline et pour avoir été le principal auteur de sa perte, les ornements de la questurequi furent suivis, nous dit Suétone, de ceux de lapréture'°. Tacite a beau dire que cette distinction était peu de chose pour son orgueil « levissimum fastidio ejus i9 ». Elle n'était pas alors prodiguée comme elle le fut plus tard20, et elle excita un vif émoi dans les rangs du Sénat. Cinquante ans plus tard environ, nous retrouvons l'écho de ces protestations dans les lettres de Pline, non pas, il est vrai, à propos de Narcisse, mais à propos de Pallas, qui avait été honoré de mêmes'. Les haines provoquées par la fortune et l'arrogance des affranchis ne trouvèrent pas, dans l'effondrement de la dynastie julienne, les satisfactions qu'elles avaient pu espérer. Ils avaient été associés aux crimes et aux hontes du régime déchu; ils en avaient fait leur chose, et il semblait qu'ils dussent disparaître avec lui. Il y eut bien quelques efforts pour les éliminer de l'administration publique et les confiner dans le service du palais. Tacite dit de Vitellius : a Ministeria principatus per libertos agi solita in equites romanos disponit" ». Mais Suétone nous apprend que Domitien se borna à. un partage entre les affranchis et les chevaliers : « Quaedam ex maximis officiis inter libertinos equitesque romanos communicavit 43 ». En fait, et pour nous en tenir au bureau ab epislulis, nous voyons que, jusque vers le milieu du ne siècle, ceux qui le dirigent sont pour la plupart encore empruntés à la classe où l'on avait coutume d'aller les chercher autrefois. On comprend fort bien que les empereurs, quelle que fût leur origine ou leur politique, y aient regardé à deux fois avant de remercier ces 90 EPI auxiliaires entièrement à leur dévotion. Ne suffisait-il pas de les contenir dans les limites de leurs attributions pour effacer les mauvais souvenirs des règnes précédents? Il semble même, à considérer certaines inscriptions où se trouve retracée la carrière de quelques-uns d'entre eux, que les successeurs de Narcisse étaient alors, au moins par leurs antécédents, d'assez minces personnages. On n'en sera pas trop surpris pour le règne de Vespasien. Suétone nous apprend que Titus fut le vrai secrétaire de son père et qu'il concentra entre ses mains tout le service de la chancellerie : a recepta ad se prope omnium o f ficiorum cura24 ». Les chefs de ce service, ainsi suppléés, pouvaient sans inconvénient manquer de prestige. I. Flavius Aug(usti) l(ibertus) Epictetus, dont le nom montre assez qu'il appartenait aux Flaviens, avait été, avant de passer à la direction de la correspondance, A COPIIS MILITARIBUS, employé à l'intendance militaire. C'était un poste honorable, et même un poste de confiance, mais qui n'avait rien de brillant. Auparavant il avait fait partie de la corporation des appariteurs en qualité de lictor curiatus2s Les lictores curiati étaient au nombre de trente, attachés chacun à une des trente curies [CURIA], chargés de les convoquer, et, à l'époque où nous nous plaçons, de les représenter dans les comices dérisoires où elles ne figuraient plus que de cette manière [coiITIA]. lls étaient en même temps employés aux sacra publica populi romani, et à ce titre dépendaient du Pontifex maximus 20 [PONTIFES] qui était alors l'empereur. Est-ce dans l'exercice de ces dernières fonctions que notre homme avait eu occasion d'approcher du prince et de se pousser dans sa faveur? On aurait peine 'e croire que, parti de si bas, il ai t pu monter si haut, et l'on serait tenté de voir en lui, au lieu d'un chef de service, un expéditionnaire subalterne si une autre inscription n'offrait à la même époque l'exemple d'une carrière à peu près semblable. Il s'agit de Fortunatus Aug(usti), 1(ibertus), que la suite de l'inscription nous autorise à appeler de son gentilicium Flavius". Il s'intitule verra paternus, ce qui veut dire sans doute qu'il était né esclave du père de son patron. On sait que les esclaves nés dans la maison ou vernae formaient la catégorie la plus considérée28. Ce patron n'était autre que l'empereur Titus ou Domitien, dont il était devenu secrétaire après avoir été l'ACCENSUS de Vespasien. On désignait ainsi, déjà au temps de la république, une sorte de licteur suppléant qui, précisément parce qu'il était d'ordinaire l'affranchi du magistrat dans le service duquel il figurait, était plus avant dans sa confiance que le reste du personnel29. Mais auparavant il avait été lui aussi licteur curiate et il était resté viateur [VIATOR] honoraire de la décurie consulaire et prétorienne 30. II avait donc lui aussi fait ses premiers pas dans l'ordre des appariteurs31. Ce qui paraît bien prouver qu'il n'était pas un subalterne, c'est que l'inscription qui nous le fait connaître est dédiée par lui à son frère Épaphrodite, également affranchi d'Auguste et intitulé aussi ab epistulis tout court. Or cet Épaphrodite est vraisemblablement le même auquel l'historien juif Flavius Josèphe a dédié ses ouvrages et qui l'a encouragé à les écrire. Josèphe nous dit que, dans une carrière traversée de beaucoup de vicissitudes, il a rempli des emplois importants. Il loue son esprit libéral, curieux, sa sympathie pour les études historiques32. Ces paroles ne peuvent guère s'appliquer à un scribe de condition inférieure, et d'un autre côté, nous verrons que les goûts littéraires sont une parlicularité et souvent même constituent le titre essentiel des secrétaires impériaux. On peut se demander si les deux frères se sont succédé à la tète du bureau ou bien s'ils ont été préposés concurremment, l'un à la section de la correspondance latine, l'autre à celle de la correspondance grecque, puisque, comme nous aurons à le montrer, ce partage a existé dès l'origine, mais l'absence de toute indication spéciale pour l'un comme pour l'autre rend la deuxième hypothèse peu plausible. Il nous est difficile de savoir si T. Flavius Aug(usti) lib(ertus) Euschaemon est devenu ab epistulis après avoir été procurateur pour la capitation des deux drachmes imposée aux juifs ", ou inversement. Ce qui parait certain c'est que cette procuratèle, une des plus infimes parmi les fonctions ainsi qualifiées, ne pouvait guère être considérée comme un avancement. Parmi les secrétaires de cette période, entre la mort de Néron et le règne d'Hadrien, nous n'en trouvons encore que trois nés ingénus et deux appartenant notoirement à l'ordre équestre. Le premier nous est signalé par Plutarque. Il invoque dans le récit des derniers moments d'Othon le témoignage de Secundus qui fut, dit-il, secrétaire de cet empereur, «2exoGslaç désigner Secundus : a à (5'rwp » nous prouve qu'il était au nombre des orateurs connus de ce temps, et dès lors il doit être identique à Julius Secundus, un des interlocuteurs du Dialogue des orateurs, que Tacite vante, avec M. Aper, comme une des gloires du barreau 95. La qualité des personnages figurant dans ce dialogue suffit pour nous assurer que Secundus appartenait, par sa naissance comme par ses relations, à la meilleure société de Rome. Vitellius, en confiant à des chevaliers quelques-uns de ces ministeria ordinairement occupés par des affranchis, n'avait donc fait que suivre l'exemple déjà donné par Othon 3e. Le second est un certain Dionysios d'Alexandrie, fils de Glaucos, qui vécut, nous dit Suidas, dans les années allant de Néron à Trajan. Comme il enseigna à Alexandrie, et que, au lieu du nom d'un patron, on donne celui de son père, on peut supposer qu'il n'était pas affranchi de l'empereur, mais de naissance libre". Le troisième est Cn. Octavius Titinius Capito, un des amis de Pline le Jeune, protecteur des lettres, et lui-même lettré distingué, « inter praecipua saeculi ornamenta numerandus 38» . Sa carrière, que nous connaissons par une inscription contemporaine de Trajan, entre 98 après Jésus-Christ et 10'2, fut des plus honorables 39. Il débuta, comme tous les jeunes gens de famille équestre et sénatoriale, par le service des armes. Il fut préfet de cohorte, puis tribun EPI 71.5 EPI légionnaire, et obtint des récompenses militaires. Il remplit ensuite les fonctions de ab epistulis sous Nerva et sous Trajan, après les avoir remplies en premier lied sous un empereur que l'inscription ne nomme pas, mais qui ne peut être que Domitien, dont le nom était omis à dessein sur les monuments40. Il s'était donc maintenu sous trois règnes consécutifs dont les deux derniers sont caractérisés par une réaction violente contre le précédent. Le fait est d'autant plus remarquable qu'il s'agit d'un emploi qui l'obligeait à vivre à la cour, et pouvait lui faire endosser une part de responsabilité dans les actes d'un prince justement voué à l'exécration. publique. C'était évidemment un de ces fonctionnaires précieux qui s'acquittent consciencieusement de leurs devoirs sous tous les régimes et assurent le jeu régulier de l'administration sous les plus mauvais gouvernements. Comme pour lui témoigner sa faveur au lendemain de la révolution qui avait renversé son premier maître, Nerva lui conféra les ornements de la préture, et plus tard nous voyons qu'il s'éleva jusqu'au poste de préfet des vigiles. Quelque important que fét ce poste, il l'était moins assurément que celui de chef de la correspondance, mais on sait que le rang hiérarchique des fonctionnaires impériaux ne se mesurait pas nécessairement à leur influence réelle. Titinius Capito, par la suite de sa carrière, appartient plutôt à la série des ab epistulis qui se sont succédé depuis Hadrien. C'est Hadrien en effet qui fit faire le pas décisif à la réforme ébauchée par Othon et Vitellius et poursuivie depuis avec des alternances diverses. Son biographe dit de lui : « Ab epistulis et e libellis primus equiles romanos habiuit 4^_ », assertion qui n'est d'ailleurs ni exacte ni complète, car il n'est pas le premier qui ait confié ces charges à des chevaliers, et ces charges ne sont pas les seules d'où il ait exclu les affranchis. Ils furent également et dans le même temps éliminés des offices a studiis42 et a rationibus43. L'office a cognitionibus est le seul pour lequel nous n'avons pas de preuve qu'il ait été avant Septime Sévère réservé à l'ordre équestre''. Mais nous n'avons pas non plus de preuve du contraire, en sorte qu'il est prudent de ne rien affirmer. Ce n'est pas que le système établi par Hadrien n'ait souffert des exceptions. En dehors de la hiérarchie sénatoriale, aucune règle ne pouvait enchaîner le libre choix de l'empereur. Mais ces exceptions, somme toute, ne sont pas bien nombreuses. Nous n'avons à nous occuper ici que des chefs du bureau ab epistulis. Sur vingtcinq titulaires environ qui nous sont connus depuis Hadrien jusqu'à l'ère ouverte par Dioclétien, on n'en voit que deux qui soient des affranchis impériaux. Ce sont : a L. Aurelius Aug(usti) l(ibertus) Secundinus, ab epistulis latinis n », et « M. Aurelius Alexander Aug(usli) lib(ertus) ab epistulis graecis 48 ». Le gentilicium Aurelius nous invite à les placer sous les derniers Antonins, à moins qu'ils ne soient contemporains de Caracalla, Héliogabale, ou Sévère Alexandre. On n'ignore pas en effet que les successeurs de Septime Sévère ont emprunté à la dynastie précédente ce nom rendu populaire par ses vertus. M. Friedlaender soupçonne qu'ils pourraient bien avoir été attachés à Verus, dont Capitolin signale la partialité scandaleuse pour les affranchis : e libertis inhonestius indulsit 47 ». Au m° siècle. Marcius Agrippa, ab epistulis de Caracalla, était d'origine servile, mais non affranchi du prince 43. Le principe posé par Hadrien fut clone, tout compte fait, respecté. Quant à la pensée dont cet empereur s'inspira, elle procède d'une vaste réforme sur laquelle il n'y a pas lieu d'insister ici. Mais il ne suffit pas de dire que le progrès des idées monarchiques ayant rehaussé le prestige des emplois du palais, ces emplois purent être considérés désormais comme publics, et à ce titre, confiés à des chevaliers. La mesure dont il s'agit a une autre portée. L'organisation de la carrière équestre, à tous les degrés et dans tous les domaines, a été une des grosses préoccupations et peut être la grande affaire d'Hadrien i9. Son but était d'opposer un contrepoids aux fonctionnaires sénatoriaux, restés les premiers en dignité, mais depuis longtemps et de plus en plus menacés dans leur prétention exclusive à diriger l'I:tat. Les chevaliers, beaucoup plus que les affranchis, étaient propres à servir ce dessein. Ils avaient la considération qui manquait à ces derniers. Ils formaient une noblesse, la seconde de l'empire, ne le cédant qu'à la noblesse sénatoriale. De plus ils n'offraient pas à l'empereur une moindre sécurité que les affranchis eux-mêmes. Ils ne constituaient pas un corps comme le Sénat. Ils n'avaient pas, comme lui, une tradition de nature à entretenir des velléités séditieuses. N'ayant rien. perdu à l'établissement du régime impérial, ils n'avaient rien à regretter de la république. Enfin leur avancement n'était soumis à aucune des règles qui s'imposaient pour celui des sénateurs et pouvaient, jusqu'à un certain point, le soustraire à l'arbitraire. C'étaient de parfaits fonctionnaires, entièrement dans la main du souverain. Ajoutons avec M. Cuq 00 que le nouveau recrutement n'eut pas pour effet de fermer irrévocablement aux affranchis les situations où ils avaient trôné autrefois. Pour rentrer dans la place, il leur suffisait de ne plus mériter leur nom. La qualité de chevalier n'était plus alors le privilège de la fortune. C'était une distinction honorifique que l'on obtenait de la faveur impériale u1. Rien n'empêchait clone les empereurs de nommer chevaliers les affranchis qui justifiaient du cens requis, et l'on voit en effet qu'ils l'ont fait plus d'une fois 52. Pour n'en prendre qu'un exemple, ce Marcius Agrippa qui, d'ancien esclave, était devenu a cognitionibus et ab epistulis sous Caracalla, avait été certainement promu à la dignité de chevalier. La suite de sa carrière, où il s'éleva bien plus haut, le prouve surabondamment 5 Peut-être en trouverions-nous plus d'un comme lui, dans la liste de ses collègues, si nous étions mieux renseignés sur leur compte. Une autre innovation qui paraît être due à Hadrien, c'est le démembrement du bureau de la correspondance en deux services désormais indépendants, le service de la correspondance latine (ab epistulis latinis) et le service de la correspondance grecque (ab epistulis graecis). De tout temps ces deux sections avaient coexisté. Le dua lisme de l'empire, dualisme mal recouvert par l'unité politique et administrative, l'antagonisme profond, irréductible entre les deux civilisations orientale et occidentale, rendait ce partage nécessaire. M. Foucart a démontré que déjà, au temps de la république, les sénatusconsultes intéressant un pays ou une ville du monde hellénique étaient traduits à Rome même, par les soins des magistrats compétents, sans doute des questeurs, dans ce grec vulgaire, qui ne se parlait précisément nulle part, mais avait cours partout, à travers toutes les variétés dialectales 5'. La même pratique devait s'imposer au bureau de la correspondance impériale, du jour où il fut constitué u. Les inscriptions nous font connaître quatre affranchis des Flaviens dont trois ab epistulis latinis u, et le quatrième ab epistulis graecis u, ce dernier dans une position qui paraît avoir été subalterne 58. Mais la preuve qu'à cette époque la direction de tout le service était concentrée entre les mains d'un seul chef, nous la trouvons dans la Silve de Stace, adressée à T. Flavius Abascantus 59. Nous y voyons que Abascantus, directeur de la correspondance sous Domitien, était en relations avec tout l'empire, avec les pays grecs 6e aussi bien qu'avec les pays latins. Il en était de même sous Claude, sans quoi on ne s'expliquerait pas la grande situation de Narcisse. Tacite nous dit qu'elle était supérieure encore à celle de Pallas et de Calliste". Or Pallas était à la tête de la direction a rationibus 82, Calliste de la direction a libellis 63, et il est évident que Narcisse n'aurait pu être placé au même rang que ces deux personnages, ni, à plus forte raison, au-dessus, si, au lieu d'être, lui aussi, un chef de service, il avait été un simple préposé à un bureau spécial. Ce qui permet d'affirmer que les deux bureaux ont été, plus tard, rendus indépendants l'un de l'autre, c'est qu'on ne rencontre plus guère, dans les inscriptions de la fin du ne siècle ou dans celles du nte, de fonctionnaires ab epistulis dont la compétence ne soit déterminée, et par conséquent limitée, par l'addition de l'adjectif graecis ou latinis. Sans doute il y a des exceptions, mais alors l'omission du qualificatif ordinaire s'explique par un excès de brièveté dont il y a maints exemples dans le langage épigraphique, à moins qu'il n'y ait eu concentration momentanée du service dans les mêmes mains. En tout cas, ces exceptions sont trop peu nombreuses pour entamer les conclusions résultant de l'ensemble des textes. Par le fait, on n'en voit actuellement que deux. Ce sont les inscriptions de Sex. Quintilius Crescens Volusianus « ab epistul(is) divi Antonini, ab [ep]istul(is) Aug(ustorum duorum 6) », et de T. Varius Clemens « ab epistulis Augustor(um duorum 65) ». Les deux documents sont à peu près contemporains. Les deux Augustes mentionnés dans l'un et dans l'autre sont Marc-Aurèle et Verus. On pourrait donc avoir quelque raison de reporter au terme de la période antonine le dédoublement du service de la correspondance. Mais, d'autre part, il semble résulter de l'inscription de Quinctilius, ab epistulis latinis sous An tonin le Pieux°G, que la séparation était dès cette époque consommée. C'est ainsi qu'on a cru pouvoir en attribuer l'initiative à Hadrien 67, de tous les empereurs de ce temps le mieux désigné pour cette mesure par l'intensité et la nature de son activité réformatrice. Elle ne s'était pas manifestée seulement, en ce qui concerne les offices de la chancellerie, par la substitution des directeurs de dignité équestre aux affranchis. La réorganisation du coNstitua l'auNctpts sur des bases plus larges, et l'extension de sa compétence à des matières plus variées n'ont pu manquer d'agir indirectement sur la plupart de ces services, en multipliant le nombre des affaires qui leur étaient respectivement réservées. Bien que cette assemblée ne fût encore qu'un cénacle de jurisconsultes, une sorte de conseil d'État uniquement appliqué aux questions judiciaires et sans autorité pour intervenir dans le gouvernement, on conçoit néanmoins que la nouvelle impulsion donnée à ses travaux ait dû avoir son contrecoup dans les bureaux ab epistulis38. Celui qui les dirigeait n'était pas, comme ses collègues a cognitionibus et a libellis, appelé à prêter son concours pour la préparation des arrêts, mais il était vraisemblablement chargé de les expédier aux intéressés. En tout cas, sa participation aux délibérations du conseil, ainsi que celle de tous les chefs des offices, est assez démontrée par l'obligation qui leur était imposée d'assister aux séances. Nous avons, dans le code Justinien, un texte nous représentant Caracalla faisant son entrée dans la salle et salué par les membres présents, au nombre desquels les principales o f ficiorum sont mentionnés expressémentf9. Il n'y aurait donc rien d'impossible à ce que le démembrement du secrétariat impérial eût été une conséquence de la reconstitution du consilium par Hadrien, sans compter le surcroît d'occupations imposé au service par les tendances générales de ce règne, un de ceux qui ont le plus fait pour serrer les ressorts du gouvernement et multiplier, en les accélérant, les communications du prince avec les parties les plus reculées de l'empire 70. La mesure n'eut aux yeux et dans la pensée des contemporains qu'un caractère tout administratif, mais il est permis à l'historien, qui prévoit la suite des événements, de la 'considérer encore à un autre point de vue. Il peut y reconnaître un premier symptôme, encore léger et inaperçu, de la dissociation future du monde romain, un premier effet de la force répulsive qui finira par entraîner, chacune de son côté, les deux parties artificiellement soudées dans un même groupement politique. Un point à noter, c'est la situation plus relevée du chef de la correspondance latine. Rien de plus naturel. Le latin était la langue officielle. L'empereur correspondait en latin avec les gouverneurs et les généraux dans toutes les provinces. Il est probable que, dans ses rapports avec l'Orient, il n'employait le grec que lorsqu'il s'adressait aux particuliers, ou bien aux corps locaux ou régionaux. La dignité inférieure de l'ab epistulis graecis résulte des recherches suivantes, qui ont pour objet de déterminer la situation des chefs de la correspondance dans la hiérarchie équestre. On a remarqué plus haut que le cursus des chevaliers n'était pas fixé aussi rigoureusement que celui des sénateurs. Il y a moyen pourtant d'établir des degrés dans cette multitude de fonctions qui leur étaient confiées. M. Otto Hirschfeld a essayé de classer les différentes procuratèles suivant le traitement qui leur était affecté, c'est-à-dire suivant la somme de considération dont elles jouissaient''. Les offices du palais, bien qu'ils ne fussent pas, à parler strictement, des procuratèles, sauf l'exception de l'office e rationibus, tenaient leur place dans la série. Elle était assez élevée. Elle devint même de premier rang. M. Hirschfeld estime que les secrétaires impériaux étaient, au cours du 11e siècle, sur le pied des procurateurs ducenarii ou rétribués à deux cent mille sesterces. On sait que les procurateurs se distribuaient en quatre catégories : les trecenarii, à trois cent mille sesterces, les ducenarii à deux cent mille, les centenarii à cent mille, les sexagenarii à soixante mille. Plus tard les ab epistulis, ou du moins les ab epistulis latins, prirent rang au sommet, parmi les trecenarii". Il ne sera pas inutile d'insister sur les faits qui conduisent à ces conclusions, mais on fera bien tout d'abord de se représenter la méthode qui s'impose en ces recherches. Elle est, il faut l'avouer, assez défectueuse. Il arrive quelquefois que les textes nous donnent le traitement affecté à telle ou telle procuratèle, mais ces bonnes fortunes sont rares. C'est en combinant ces maigres renseignements avec les données fournies par la succession des fonctions dans les cursus équestres que l'on s'efforce d'assigner à chacune sa place dans l'ensemble, sans toutefois y réussir complètement, car cette succession n'est pas toujours régulière, et l'importance même de certaines fonctions a varié suivant les époques. Sex. Caecilius Crescens Volusianus, ancien PRAEFECTUS FABRUM, a rempli ensuite la charge de ADvOCATUS FISC', charge qui est souvent ]e point de départ d'une carrière administrative. Puis il a été procurateur du vingtième des héritages [VICESIMA HEREDITATIUM], et enfin ab epistulis de l'empereur Antonin 73. D'après M. Hirschfeld, le procurateur du vingtième des héritages était encore centenarius au ne siècle". En passant de cette fonction à l'autre, Sex. Caecilius Volusianus a monté d'un échelon. En effet la preuve que le secrétariat impérial était rétribué pour le moins à deux cent mille sesterces, nous l'avons par l'inscription de T. Varius Clemens 75. T. Varius Clemens, ab epistulis des deux Augustes Marc-Aurèle et Verus, a exercé, avant d'être appelé à ce poste, des fonctions importantes. Il a été, pour ne parler que de ses procuratèles, successivement procurateur de la Cilicie, de la Lusitanie, de la Maurétanie Césarienne, de la Rétie, et, en dernier lieu, de la Belgique y compris les deux Germanies. Le procurateur de ]a Cilicie était sexagenarius 7e; celui de la Lusitanie centenariu.s 77. Ceux de la Maurétanie Césarienne, de la Rétie et de la Belgique avec les deux Germanies étaient ducenarii". Ce n'est pas une raison pour croire que la fonction ab epistulis, à laquelle Varius Clemens fut appelé ensuite, fût, en ce qui concerne le traitement, d'une catégorie supérieure, pas plus que la fonction du procurateur de la Belgique n'était d'un autre ordre que celle de procurateur de la Rétie 79. 11 pouvait y avoir transfert sans avancement, et même l'on pouvait avancer sans être nécessairement pourvu d'appointements plus forts. Puisqu'il n'y avait, à notre connaissance, que quatre catégories pour tous les emplois de la carrière équestre, ou du moins pour les procuratèles, il fallait bien que chaque catégorie comprît un assez grand nombre d'emplois, et parmi ceux qui se trouvaient sur le même plan, il y en avait forcément qui, sans être mieux payés, n'en étaient pas moins considérés comme plus avantageux ou plus flatteurs. Or, s'il est démontré par l'inscription de Varius Clemens que la charge ab epistulis était au nombre des ducénaires, nous ne sommes nullement autorisés à conclure du même texte qu'elle appartînt à une catégorie plus élevée. Il y a plus. Nous pouvons affirmer le contraire, pour peu que nous nous reportions à l'inscription de Sex. Caecilius Crescens, dont il a été question avant cette dernière. Car Caecilius Crescens, procurateur du vingtième des héritages, c'est-à-dire procurateur centenarius, et devenu ensuite, sans transition, ab epistulis d'Antonin, n'a pu d'un seul bond atteindre le traitement maximum de trois cent mille sesterces, en sautant pardessus la classe intermédiaire des ducenarii. S'il en est ainsi, on pourra se dispenser d'invoquer l'inscription de Quinctilius 8o, qui fut, à l'époque antonine, probablement sous Marc-Aurèle ou Commode 31, ab epistulis latinis après avoir été procurator summarum rationum. M. Hirschfeld croit que cette dernière fonction, au lieu d'être identique à la fonction Irécénaire du procurator a rationibus, lui était inférieure, mais comme il entreprend de le prouver en partant de ce principe que la fonction ab epistulis, postérieurement remplie par le même personnage, n'est elle-même que ducénaire 62, nous chercherions en vain dans ce document un argument qui ne fût pas un cercle vicieux. Nos informations sont plus pauvres pour le IIle siècle. Les textes épigraphiques se font plus rares, et les historiens ne sont ni aussi précis ni aussi complets. Dion Cassius nous fait connaître avec quelque détail la carrière de ce Marcius Agrippa, dont nous avons déjà parlé pour signaler le contraste entre son éclatante fortune et l'humilité de ses débuts 83. Mais entre les grandes fonctions où il est arrivé plus tard, et celle ab epistulis qu'il a remplie sous Caracalla, nous ne saisissons pas la transition. I1 est le même, sans EPI 718 -EPI doute, que Martius Agrippa, préfet de flotte à, la fin du règne de Caracalla, et un des principaux auteurs de la conjuration où ce prince a trouvé la mort". Si cela est, on ne saurait considérer ce changement de situation comme un avancement sérieux. Nous ne sommes pas très exactement renseignés sur la place des préfets de la flotte dans la hiérarchie. Il parait seulement qu'elle n'a pas été tout d'abord des plus éminentes. M. Hirschfeld°S ne croit pas que les préfets même des flottes italiennes aient pris rang, dans le cours des deux premiers siècles, au dessus des cenfenarii. II est vrai que, dans la suite, le préfet de la flotte de Misène est qualifié de perfectissime, ruais le premier exemple de ce fait n'est pas antérieur à la période des Gordiens (238-244)", C'est à la même époque que nous voyons le même titre attribué pour la première fois à 1' ab epistulis Iatitois87. Il n'était pas encore prodigué, comme il le fut dans la deuxième moitié du rue siècle et depuis, Il était réservé aux plus hauts fonctionnaires équestres, à l'exception du plus haut de tous, le préfet du prétoire qui était éminentissime, et peut-être du préfet de l'Égypte, sur lequel les documents font défaut, en tout cas au préfet de l'annone, au préfet des vigiles, aux préfets des flottes italiennes, ou du moins au préfet de la flotte de Misène, et enfin aux directeurs du fisc (a rationibus) et des services de la chancellerie", qui nous apparaissent ainsi singulièrement rehaussés, sinon pour l'influence et l'importance réelle, au moins pour la considération officielle. On voit arriver l'époque du Bas-Empire où il n'y aura rien audessus des grandes situations dans la maison impériale. Il y a donc lieu de supposer que le titre de perf eciissime, dans la première moitié du ni' siècle, impliquait les appointements les plus élevés. Nous avons du reste, pour une date, il est vrai, un peu plus récente, l'exemple du magister memoriae 89. Le rhéteur Eumène qui, avant d'être appelé par Constance à la direction des écoles d'Autun, avait rempli cette charge auprès du même prince, nous apprend qu'il touchait en cette qualité trois cent mille sesterces30. Nous verrons quà la même époque le magister epistolarum, avec des attributions déjà réduites, n'était pas cependant moins estimé. Il est donc à croire qu'il n'était pas non plus moins bien traité 91 Considérons maintenant la série des ab epistulis gramris. Faut-il ranger dans cette catégorie Q. Julius Vestinus qui fut secrétaire d'Hadrien? L'inscription grecque, de provenance romaine, qui le concerne 92 ne le spécifie pas, et il était d'ailleurs d'origine occidentale, et même gauloise, s'il faut voir en lui, comme il est permis, un fils ou un petit-fils de ce Viennois, Q. Vestinus, qui fut l'ami de Claude et dont il est question, en termes si flatteurs, dans le discours trouvé à Lyon 93. Mais le même personnage était devenu préfet d'Égypte sous Néron 94, et il semble que sa descendance s'est tout à fait acclimatée et hellénisée dans ce pays. Q. Julius Vestinus est un lettré grec. Suidas le compte parmi les sophistes et nous apprend qu'il est l'auteur d'un abrégé du lexique de Pamphilos, illustre grammairien alexandrin du rm siècle après Jésus-Christ05. Il a été grand prêtre d'Alexandrie et de toute l'Égypte, administrateur du musée de cette ville, procurateur des bibliothèques de Rome, chef du bureau a studiis sous Hadrien36, ab epistulis du même empereur. Tel est l'ordre suivi dans l'inscription qui nous fait connaître sa carrière, mais il est difficile de décider si cet ordre est direct ou inverse, en d'autres termes si les fonctions énumérées le sont en commençant par la plus modeste et la première en date, ou par la plus haute et la dernière. Letronne se prononce pour l'ordre inverse 07. Il suppose que la double fonction exercée en Égypte l'a été en dernier lieu. Ainsi Vestinus n'aurait pas été appelé d'Égypte à Rome. Il serait rentré de Rome en Égypte pour s'y reposer, comme dans une demi-retraite, dans les loisirs studieux qu'il devait à la bienveillance de l'empereur. Il semble, dit Letronne, qu'à cause de sa prédilection pour l'Égypte, Hadrien aimait à y placer les gens qu'il affectionnait ou qui avaient rempli auprès de Iui des places de confiance. En faveur de cette opinion il invoque l'exemple de C. Avidius Heliodorus, un autre secrétaire d'Hadrien, devenu lui, préfet d'Égypte 9e, et aussi celui d'un anonyme, contemporain de Vestinus99, et dont la carrière offre avec celle de ce dernier certaines analogies, si bien qu'on a cru pouvoir les identifier. Il est prouvé aujourd'hui que l'identification, bien que proposée par Borghesi 700, est fausse. Une inscription grecque, se rapportant au même personnage, et qui se compiète aisément avec l'inscription latine, a été récemment découverte et publiée. Elle donne, non pas le nom tout entier, mais la désinence du cognomen, et cela suffit pour établir qu'il ne s'agit nullement de Vestinus f01. L'hypothèse de Borghesi est donc écartée, et les analogies même, à y regarder de près, ne sont pas aussi complètes, entre les deux carrières, qu'on l'a pensé. Cette fois c'est bien d'un ab epistulis graecis qu'il est question. Le texte est formel. Il est ainsi conçu : «... procurateur de l'empereur Hadrien pour le diocèse d'Alexandrie, procurateur des bibliothèques grecques et latines, secrétaire pour la langue grecque, procurateur de la Lycie, de la Pamphylie, de la Galatie, de la Paphlagonie, de la Pisidie, du Pont, procurateur des héritages et procurateur de la province d'Asie 102, procurateur de la Syrie... » Ici l'ordre suivi n'est pas douteux. C'est l'ordre direct. Les dernières procuratèles mentionnées, celles de la. Syrie, de l'Asie, sont au nombre des grandes procuratèles provinciales. M. Ilirschfeld n'hésite pas à les classer parmi les ducenariaeYtr3.Il range parmi les centenariae les procuratèles de la Pamphylie, de la Galatie, mentionnés précédemment40''. Et enfin les procuratèles mentionnées en premier lieu, la procuratèle pour le diocèse d'Alexandrie et celle des bibliothèques se placent dans les plus modestes. Elles ne doivent pas s'élever au-dessus des EPI 7 19 EPI sexagenariaels Les fonctions par où s'ouvre l'énumération épigraphique sont donc aussi celles par où notre personnage a débuté dans la carrière, et ainsi la charge ab epistulis graecis venant s'intercaler entre celles d'administrateur des bibliothèques et de procurateur de la Lycie, de la Pamphylie, ne peut pas être de beaucoup supérieure à la première ni inférieure aux autres. Elle doit être centenaria au maximum. Nous voilà très loin de la situation de T. Varius Clemens lorsqu'il fut, à la même époque, ab epistulis latinis, après avoir passé par les procuratèles de la Belgique, de la Rétie, etc.f08. Ajoutez qu'on ne connaît point jusqu'à présent de secrétaire pour la langue grecque portant le titre de perfectissime. On remarquera maintenant que l'ordre de gradation descendante proposée par Letronne pour l'inscription de Vestinus 107 ne se soutient plus guère, puisque cette opinion était fondée principalement sur une analogie dont on vient de démontrer la fausseté. Au contraire et inversement, puisque notre anonyme a été ab epistulis graecis après avoir exercé les fonctions de bibliothécaire, on peut croire qu'il en a été de même pour Vestinus, si, comme il est probable, celui-ci a été chargé de la correspondance grecque, et ainsi, ce n'est pas l'ordre indirect, c'est l'ordre direct qui résulte de la comparaison pour l'inscription de ce dernier. En rapprochant les trois inscriptions relatives à M. Aurelius Alexander Aug(usti) lib(ertus)108, on arrive à reconstituer son cursus antérieurement à la fonction ab epistulis graecis qu'il a exercée, comme on peut le croire d'après son nom, sous les derniers Antonins ou les derniers Sévères. Ce cursus est fort humble, de sorte que le terme ne peut pas non plus avoir été fort élevé. Aurelius Alexander a été, pour commencer, chef des. courriers du bureau pour l'impôt du vingtième sur les héritages « pr(ae)p(ositus) tabell(ariorum) st(ationis) vicesimae her(editatium)10° », après quoi il a passé au service de la correspondance latine, en qualité d'employé principal, proximus 10, puis enfin nous le voyons directeur de la correspondance grecque 11. Il y a pourtant une autre inscription concernant un ab epistulis graecis qui le montre dans une situation plus avantageuse. C'est une inscription bilingue relative à un certain T. Claudius Vibianus Tertullus qui passe immédiatement après à la charge e rationibus, puis à celle de préfet des. vigiles'f2. Le a rationibus était, suivant M. Hirschfeld, placé au-dessus de ses collègues, et il devait, dès le u° siècle, toucher le traitement de 300 000 sesterces13. Il semble donc qu'à une certaine époque le chef de la correspondance grecque ait remonté dans la hiérarchie. Mais le fait peut être accidentel, et d'ailleurs la date de l'inscription n'est pas facile à déterminer. Claudius Vibianus ayant été secrétaire de deux Augustes, elle ne peut pas être antérieure à Marc-Aurèle, mais elle peut tout aussi bien être postérieure, et même de beaucoup. Cet exemple, ajouté à celui de Varius Clemens prouve que le partage du pouvoir entre deux ou plusieurs Augustes n'entraînait pas le dédoublement du ser vice de la correspondance, pas plus da reste que des autres rouages du gouvernement. Les Augustes gouvernaient conjointement, et leurs actes leur étaient communs. Il en fut autrement dans le système de Dioclétien, quand les Augustes et, sous eux, les Césars eurent chacun une partie de l'empire à administrer. Dans ces conditions, ils avaient chacun leur chancellerie distincte. Nous savons qu'Eumène avait été magister memoriae de Constance avant 396, c'est-à-dire au temps où Constance n'était encore que César lis. Pourtant nous avons un exemple et peut-être deux de fonctionnaires ab epistulis attachés à la personne d'un César dans le courant du 1l° siècle. L. Domitius, ancien accensus velatus, ancien préfet de cohorte et d'aile de cavalerie, est devenu ab epistulis de L. Aetius Caesar, le fils adoptif d'Hadrien, après quoi il a été nommé procurateur de la monnaie et procurateur de la province de Dalmatie "G. Si l'on peut se fier à la restitution proposée pour l'inscription de Quinctilius 717, il aurait été, après avoir rempli la procuratèle de la Macédoine, et avant d'exercer les fonctions de juridicus d'Alexandrie, ab epistulis de M. Aurelius Caesar, le futur Marc-Aurèle. Comme le César du u° et du me siècle, jusqu'à Dioclétien, n'avait officiellement aucune part dans le gouvernement 115, son ab epistulis ne peut guère être considéré que comme une sorte de secrétaire de ses commandements privés. I1 était comme de juste, inférieur en dignité au secrétaire d'Auguste. Les fonctions de procurateur de la monnaie, celles de juridicus d'Alexandrie, auxquelles furent appelés, au sortir de leur charge, les deux secrétaires de César, ne sont pas rétribuées à plus de soixante mille sesterces '1'. La carrière ultérieure des secrétaires impériaux variait naturellement suivant leurs aptitudes et les circonstances. Il en est qui se sont élevés jusqu'aux grandes préfectures équestres. On a cité C. Avidius Heliodorus qui est devenu préfet de l'Égypte sous Hadrien et sous Antonin le Pieux12'. Il dut recevoir le laticlave, lui, ou son fils Avidius Cassius qui, étant gouverneur de Syrie et placé par la confiance de Marc-Aurèle à la tète des provinces et des armées de l'Orient'31, osa prétendre à l'empire et paya sa rébellion de sa vie. Tarrutenius Paternus, ab epistulis latinis de Marc-Aurèle 122, devint préfet du prétoire sous Commode, et, sous le même prince, fut admis dans le Sénat avec la dignité de consulaire (adlectus inter consulares 123). L'admission de Paternus dans le Sénat n'était qu'une disgrâce déguisée, un moyen pour l'enlever à un poste beaucoup plus important que tous ceux auxquels les sénateurs pouvaient prétendre, mais la même promotion était pour d'autres, montés moins haut, une faveur insigne, par exemple pour Quinetintas qui fut promu au rang des praetorii par Antonin, le même dont il avait été le secrétaire pour la langue latine "'Al faut citer encore Marcius Agrippa, ab epistulis de Caracalla, dont Macrin fit un consulaire et un gouverneur de la Pannonie et de la Daciet05, Ce sont des cas exceptionnels qu'on se gardera bien de généraliser. EPI '120 EPI On a même remarqué que si les ab epistulis pouvaient arriver aux grands emplois de l'ordre équestre, ils y arrivaient plus rarement que leurs collègues a libellis Mais les données sur lesquelles nous opérons sont trop peu nombreuses et le hasard a trop de part dans les découvertes pour qu'on puisse attribuer â cette observation une véritable valeur. Les fonctions ab epistulis exigeaient une plume élégante et alerte. Elle ne trouvait pas seulement à s'exercer dans la rédaction des dépêches. Elle pouvait être mise en réquisition pour une besogne plus confidentielle et plus délicate. Le biographe d'Aelius Verus nous raconte qu'on lisait encore de son temps une belle harangue que ce prince devait adresser à son père adoptif Hadrien et que la mort l'empêcha de prononcer. On ne sait, ajoute l'historien, si ce morceau était son oeuvre, ou s'il l'avait fait composer par ses secrétaires ou ses maîtres d'éloquence « per scriniorum aut dicendi magistros1'7». Aelius Verus n'était qu'un César, mais il n'y avait pas de raison pour que les Augustes fussent à l'abri des mêmes soupçons. Les textes ne manquent pas qui nous montrent les empereurs recourant au talent d'autrui pour suppléer à leur insuffisance oratoire, ou simplement parce que les loisirs leur faisaient défaut128, et bien qu'il ne soit pas dit expressément qu'ils aient fait appel àleurs ab epistulis, on peul croire qu'ils ne s'en sont pas privés. On ne sera donc pas surpris de voir se succéder, dans ce poste, des littérateurs de renom. Il n'est pas jusqu'aux cognomina de certains affranchis, d'ailleurs parfaitement obscurs, qui ne soient significatifs à cet égard, en ce sens qu'ils attestent leur culture littéraire et l'objet ordinaire de leur activité. Ce sont T. Flavius Aug(usti) I(ibertus) 'Termes ab epistulis graecis 729, T. Flavius Aug(usti) 1(ibertus) Ilias ab epistulis latinis 1", et avant eux, T. Claudius Aug(usti) 1(ibertus) Philologus ab epistulis 131, Ce dernier était, comme L'amontré Borghesi, élève du grammairienPudens, lequel avait été affranchi par M. Aemilius Lepidus, un des grands personnages du règne d'Auguste, et était devenu intendant ou procurateur de sa soeur Aemilia Lepida. Claudius Philologus lui avait dédié une inscription qui nous fournit ces renseignements132. Voici maintenant des noms plus connus. Nous avons rencontré déjà l'orateur Secundus et Dionysios d'Alexandrie 183. Il fut, nous dit Suidas, le maître du grammairien Parthenios, l'élève du philosophe stoïcien Chaeremon auquel il succéda en Égypte dans la direction de son école. On a des raisons de l'identifier avec l'auteur de la 7rapui lets ou description géographique publiée sous le même nom 1''. A Rome, il fut non seulement secrétaire impérial, mais aussi procurateur des bibliothèques. On a déjà pu remarquer que le service des bibliothèques était confié volontiers à d'anciens ou de futurs ab epistulis 135 On en peut dire autant de la direction a studiis 138 laquelle rentrait également dans leurs aptitudes, si, comme le croit M. Cuq 1" l'a studiis avait pour fonctions de recueillir les précédents a invoquer pour la solution des questions de droit et autres soumises à l'empereur. Sous Domitien et Nerva nous trouvons Titinius Capito 158. Sous Hadrien, Julius Vestinus 139 ; l'anonyme dont les fonctions de bibliothécaire attestent suffisamment la compétence en matière d'érudition "'0; le futur préfet de l'Égypte, C. Avidius Heliodorus14', un ancien centurion, mais en même temps un rhéteur ou qui avait des prétentions à l'être, puisque son ennemi et confrère Dionysios de Milet lui écrivait : e L'empereur a beau te combler d'honneurs et d'argent; Il ne fera pas de toi le rhéteur que tu n'es pas 142» Mais le plus illustre des secrétaires d'Hadrien est C. Suetonius Tranquillus 143. Nous n'avons ni à retracer sa carrière ni à énumérer ses ouvrages. Signalons seulement son traité De institutione o f ficiorum 14 qui fut provoqué peut-être par la réorganisation des services du palais sous Hadrien142, et rappelons aussi qu'on lui reproche d'avoir porté dans la biographie des Césars la sécheresse du langage des affaires. Les Vies des sophistes, par Philostrate, écrites vers le milieu du tir siècle, fournissent un notable appoint à notre catalogue des ab epistulis, et plus particulièrement sans doute, des ab epistulis graecis, car c'est à cette direction que les sophistes, originaires pour la plupart des provinces de l'Orient, devaient être appelés de préférence. Nous renvoyons pour plus de détails à l'ouvrage en question et nous nous bornons à mentionner rapidement les personnages suivants : Celer, auteur d'un traité de rhétorique, contemporain du rhéteur Dionysios de Milet v.s, identique probablement bCaniniusCeler, un des maîtres de L. Verus, le futur collègue de Marc-Aurèle t47, Se fondant sur cette double donnée chronologique, Friedlaender est disposé à voir en lui un secrétaire d'Hadrien'48. Alexandre de Séleucie. Il fut député par sa ville auprès d'Antonin. Secrétaire de Marc-Aurèlef49, Adrien de Tyr, secrétaire de Commode io0. Antipater d'Hiéropolis, secrétaire de Septime Sévère, précepteur de ses deux fils Caracalla et Geta 1''. Maxime d'Aega, auteur d'une Vie d'Apollonius de Tyane s53Pour ces deux derniers le nom du prince qu'ils servirent reste inconnu. Ajoutons Cornelianus que nous connaissons par le rhéteur Phrynichos. Il fut ab epistulis graecis de Marc Aurèle et Commode 10f, Ajoutons enfin, pour descendre plus bas, l'historien e t rhéteur Eutrope, épistolographe de Constantin172, On ne sera pas surpris de voir tous ces gens d'école arrivés à cette situation politique. Il faut considérer que ce temps a été l'âge d'or de la rhétorique et de ceux qui EPI 72I EPI l'enseignaient. Entre la valeur réelle de cette littérature de décadence et le prix où la mettait l'opinion, le contraste est singulier. Jamais peut-être les lettres n'ont été ainsi réduites à un jeu d'esprit puéril; jamais elles n'ont été plus aimées. C'était bien alors que l'éloquence, ou ce qui en tenait lieu, menait à tout. Pour ceux qui la professaient et la pratiquaient en même temps, ces fonctions de secrétaire impérial étaient, non pas seulement la consécration officielle, mais la récompense légitime de leur renommée. Voyez les compliments de Phrynichos à son ami Cornelianus. « Les empereurs Font jugé digne des plus grands honneurs. Ils lui ont confié l'administration de toutes les affaires grecques. Ils l'ont placé à côté d'eux comme un gardien, lui donnant le titre de secrétaire, mais en réalité faisant de lui leur collaborateur, auvepydv. » Quelle que fût en réalité l'influence de l'ab epistulis, il y a peut être quelque exagération dans ces paroles, mais ce qui est curieux ce sont les titres de Cornelianus à cette fortune extraordinaire. Ce sont des titres purement littéraires, des qualités d'orateur et d'écrivain qui, d'après Phrynichos, l'ont signalé à l'attention de l'empereur. Son élocution est d'une pureté antique. Personne, comme lui, depuis Démosthène et son école, n'a réduit la rhétorique à cette forme sévère. Il a introduit l'hellénisme et l'atticisme dans la maison impériale, maître d'ailleurs et modèle, non seulement pour la diction, mais aussi pour les dons extérieurs, regard, voix, attitude "G. D'autres textes nous montrent l'importance extrême qu'on attachait à la forme dans les lettres émanées du palais. Philostrate loue Antipater d'avoir, comme un excellent acteur de tragédie qui sait bien son rôle, parié un langage digne de l'empereur. Son style était clair, élevé ; l'expression en rapport avec le fond; avec cela cette aimable brièveté qui est un ornement pour une lettre'''. Le même Philostrate a publié contre Aspasius une sorte de diatribe où il critique durement son style. Il reproche à ses lettres, écrites au nom de l'empereur, d'être à la fois trop ornées et obscures. Ce n'est pas là, dit-il, le langage qui convient à un souverain. Quand le souverain parle, sa parole doit être aussi claire que la loi dont elle est l'organe'''. On pourrait examiner, à l'aide des documents fournis en assez grand nombre par les textes épigraphiques et autres, dans quelle mesure les secrétaires impériaux se sont inspirés de ces conseils excellents. On constaterait dans leurs productions l'influence des altérations du goût public. Mais c'est une étude qui nous mènerait fort loin de notre sujet. Les chefs de la correspondance avaient sous leurs ordres un personnel qui paraît avoir été composé exclusivement d'esclaves et d'affranchis. C'est à l'une ou à l'autre de ces deux classes qu'appartiennent les membres de ce personnel qui nous sont connus. Il faut dire que nous en connaissons fort peu et que nous serions embarrassés pour tracer un tableau tant soit peu complet de cette hiérarchie subalterne, avec la variété des titres et des fonctions. Le premier de ces employés, comme le prouve son nom, est le proximus. Un nommé Bassus Aug(usti) lib(ertus), affranchi de Claude puisqu'il a un fils III. qui porte le gentilicium Claudius, a été proximus ab epistulis graccis'°s. M. Hirschfeld 'te pense qu'il a dû être préposé, sous la haute autorité de l'ab epistulis, à la section de la correspondance grecque. L'inscription nous apprend qu'il a été aussi procureter tractus carthaginiensis, c'est-à-dire intendant des domaines de l'empereur sur le territoire de Carthage 167. Comme le monument élevé à Rome est funéraire, on doit supposer que cette deuxième fonction est la première en date, et que Bassus est mort alors qu'il était attaché au service de la correspondance. Un autre proximus est Aurelius Alexander, proximus) ab epistul(is) lat(inis) 162. Cet employé est le seul dont la condition d'affranchi ne soit pas formellement énoncée. Mais la nature de son gentilicium et de son cognomen, jointe ',d'analogie, rend cette qualité infiniment probable. On peut inférer aussi de son gentilicium qu'il vivait sous les derniers Antonins ou les derniers Sévères. La section ab epistulis graecis était alors détachée. On ne saurait donc répéter au sujet de cet individu l'hypothèse émise par M. Hirschfeld au sujet de Claudius Bassus. Il n'était pas le chef de cette section, mais le sous-chef}6'. Viennent ensuite les adjutores. Les deux que nous connaissons, tous deux ab epistttlis latinis, sont de tout jeunes gens. L'un est qualifié de juvenis 566. L'autre est mort à dix-huit ans 165. Leur âge, à défaut d'autre raison, suffirait à prouver qu'ils étaient placés au-dessous des proximi. Le gardien du portefeuille (scriniarius) devait avoir une situation plus relevée. T. Claudius divi 1(ibertus), Erastus, scriniarius ab epistulis 166, était un personnage. Il menait un certain train, puisqu'il avait lui-même des affranchis des deux sexes. Il y a des ab epistulis qui s'intitulent ainsi tout court, mais qui, étant donné leur condition servile, ne risquent pas d'être confondus avec les directeurs. Il est difficile par exemple de voir autre chose qu'un employé subalterne dans cet esclave dont la carrière est retracée ainsi : « Caesaris minister, Caesaris cor-pore custos, ab epistulis, a cyatho, castellarius aquae Claudiae, verna? a veste regia, a suppellectile, dispensator Aug(usti) n(ostri)166. » A plus forte raison quand il s'agit d'un esclave mort très jeune, comme Libanus, Caesaris verna, ab epistulis, mort à seize ansi69. De même il n'est pas possible que Flavius Hermes Aug(usti) lib(ertus), ab epistulis graecis, qui mourut à dix-huit ans, ait été préposé en chef au bureau de la correspondance grecque, bien que ce bureau ne constituât pas encore un service indépendant. II va sans dire que chaque bureau de la chancellerie avait ses copistes (librarii) i7. C'étaient des calligraphes dont l'habileté, à en juger par un mot de Plutarque, était proverbialef72. Sur l'effectif de ce personnel, nous n'avons qu'une donnée qui ne remonte pas au delà du règne de Julien et n'est pas d'ailleurs spéciale au bureau de la correspondance. Libanius signale la réforme suivante parmi celles qui marquèrent l'avènement du nouvel empereur : il renvoya un grand nombre de scribes inutiles qui avaient abusé de leur position pour se livrer à de scandaleuses exactions 1''. III. Des attributions des ab epistulis. Nous serons 91 EPl '722 EP1 plus bref sur cette question, non qu'elle ne soit de beaucoup la plus importante, mais parce que nous sommes beaucoup moins bien informés sur ce sujet. Les inscriptions qui nous renseignent fort exactement sur la qualité des ab epistulis sont muettes sur le reste, et les textes qui nous décrivent leurs occupations ou y font allusion sont peu nombreux et peu développés. Le document capital est la Si/ce de Stace adressée à Abascantus, ab epistulis de Domitien 174, T. Flavius Augusti libertus Abascantus, dont nous retrouvons le nom sur deux inscriptions de Rome 17'. Les détails où il entre sur ce personnage nous donnent l'idée d'une grande existence. Abascantus était fort riche. Il venait de perdre sa femme Antistia Priscilla, et c'est à l'occasion de ce deuil que le poète lui écrit. Il nous représente la magnificence des funérailles, le lit de pourpre, la foule conviée au banquet, le palais élevé en guise de tombeau sur la voie Appienne1', l'image plusieurs fois répétée de la morte, en l'attitude de diverses déesses ou héroïnes, en Ariane, en Maia, en Cérès, en Vénus pudique ", la statue de l'empereur, statue en or du poids de deux cents livres, placée au Capitole, pour obéir aux derniers voeux de Priscilla elle-même, comme témoignage de son culte pour cette personne sacrée17ft. Ce qui nous intéresse plus que tout cela, c'est le passage relatif aux occupations d'Abascantus. Le fardeau que lui a imposé la confiance de l'empereur est écrasant et presque au-dessus des forces humaines 179. Il n'y e pas un autre office au palais qui soit aussi chargé d'affaires'''. « Moins actif est le nourrisson de Tégée qui glisse du haut des astres, armé de la baguette prophétique, moins active est la messagère de Junon qui fend les airs limpides et jette dans l'espace une arche aux mille couleurs 181. » A travers cette phraséologie prétendue poétique, on distingue assez nettement quelques-unes des attributions les plus importantes de l'ab epistulis « Envoyer par toute la terre les ordres du maître des Romains 1t5 e. En d'autres termes correspondre avec les gouverneurs dès provinces, proconsuls, légats, procurateurs, préfet d'Égypte, pour les choses de la guerre et de la paix. Pour les choses de la paix, entrer dans tous les détails qui concernent la prospérité des sujets de l'empire. Par exemple « s'enquérir si le Nil a inondé les campagnes, si l'Auster e de ses pluies fécondes arrosé la Libye '83 ». Pour les choses de la guerre « tenir en sa main les forces de l'empire, savoir quel laurier nous vient de l'Ourse glacée, quels sont nos étendards qui flottent du Rhin et de l'Ister au double nom, savoir enfin jusqu'où les confins du monde ont reculé devant nous vers Thulé entourée d'une ceinture de flots retentiscents'Bb». Ainsi c'est l'ab epistulis qui servait d'intermédiaire entre l'empereur et les chefs des armées, qui tenait les états de situation, qui recevait les nouvelles des victoires, les bulletins des généraux. Reste un point obscur. Ici il faut citer le texte. Le sens et le texte du second vers et des premiers mots du vers suivant sont mal établis. Si l'on en croit M. Hirschfeld, il s'agirait du commandement des cavaliers dans les cohortes equitatae, c'est-à-dire dans ces cohortes où quelques escadrons venaient appuyer la masse de l'infanterie'" [COnoxs, ÉQUITÉS]. Cette interprétation, qui peut invoquer l'emploi du mot frenare, paraît cependant s'adapter moins bien à l'ensemble du texte que celle de Madvig187. Le grade en question serait celui de centurion, ou peut-être plus exclusivement celui de primipile, grade inférieur aux militiae equestres, et par conséquent imposant au chevalier qui en était revêtu une renonciation temporaire à son titre ainsi qu'à l'angusticlave, insigne de sa dignité (intermissus eques).Quant aux grades dont l'énumération suit, il est facile d'en dégager les noms exacts des périphrases où ils sont enveloppés. Ce sont précisément ceux que les Romains appelaient les milices équestres, parce qu'ils supposaient la qualité équestre chez les titulaires, savoir la préfecture de cohorte, le tribunal légionnaire, la préfecture d'aile de cavalerie. Les officiers nommés à ces commandements recevaient notification (pandere) de la décision impériale par les soins de l'ab epistulis'". On remarquera qu'il n'est rien dit ici du grade supérieur de legatus legionis, qui ne pouvait être conféré qu'a un sénateur du rang prétorien. C'est qu'en effet la nomination à ce grade, ainsi qu'en général à toutes les hautes fonctions, était notifiée aux intéressés par l'empereur directement, au moyen, non d'une epistula, mais d'un codicilles, ou pièce qu'il avait écrite de sa propre main 189. On saisit la raison de cet usage, destiné à ménager les susceptibilités de l'aristocratie sénatoriale. I1 ne pouvait lui convenir de tenir ses fonctions de la main d'un affranchi. Aux renseignements fournis par la Save de Stace s'en ajoutent quelques autres, glanés à droite et à gauche, parmi les auteurs les plus divers. Nous voyons par Frontin que les particuliers désireux d'obtenir une concession d'eau devaient la demander à l'empereur qui la leur accordait par une epistula190. C'est pour cela que nous trouvons les noms de quelques ab epistulis sur des tuyaux de plomb. Ils ont été inscrits là pour rappeler le privilège concédé par leur entremise 197. Il n'est pas besoin de noter que le privilège était signifié par le bureau de la correspondance latine 192. Nous voyons par Josèphe que c'étaient les ab epistulis qui informaient les sujets de l'empire des privilèges qui leur étaient accordés ou retirés, et le même passage nous donne quelque idée de l'influence que ces fonctionnaires pouvaient exercer sur les empereurs dans les affaires relevant de leur service. Les deux principaux habitants syriens de la ville de Césarée avaient, à prix d'argent, obtenu de leur compatriote Burrus, ab epistulis de Néron, qu'il insistât auprès de son maître pour lui faire révoquer le droit de bourgeoisie, l'isopoliteia, dont les juifs jouissaient dans cette ville. Burrus réussit dans ses démarches et put rédiger la lettre « En€.uyE ypay'-,vat sa E76taTOAŸ;v » où cette mesure était communiquée à qui de droit1S'. A la même époque, et comme complément de la fonction précédente, l'ab epistulis était chargé de recevoir les députations des villes de l'empire et des nations étrangères, et de leur répondre au nom de l'empereur. Dionysios d'Alexandrie, qui vécut entre Néron et Twv 19a e. On peut se demander à la vérité s'il ne s'agit pas là de trois fonctions distinctes et exercées successivement, et le fait est qu'elles ont été séparées dans la première partie du let siècle. Philon, sous Caligula, nous parle de l'affranchi Homilus lei Twv 77pEaÔEt9lv 275, et une inscription de l'île de Cos donne le titre de lei eih `LAAnvtxiiv âsoxptuâTtnv, au médecin favori de Claude à C. Stertinius Xenophonf96. Mais précisément parce qu'on ne rencontre plus depuis ces trois fonctions à l'état isolé, on peut croire qu'elles ont été réunies entre les mains de Dionysios; d'autant plus que, en réalité, elles formaient comme un faisceau étroitement lié, ainsi qu'on en peut juger par l'exemple de Burrus. Au reste ce n'est pas là tout à fait une conjecture. Dion Cassius fait dire à Mécène, conseillant Auguste, et l'on sait que les conseils de Mécène ne représentent pas autre chose que les observations ou les vues théoriques d'un contemporain des Sévères : a Pour les procès (hxâ;, cognitiones), pour la correspondance, les décrets des villes, les demandes des TE rus i(ccliv utmEt;...) choisis des collaborateurs et des ministres pris dans l'ordre équestre 197 ». Si l'on rapproche ce texte de celui de la Notifia dignitatum relatif au magister epistolarum (legationes civitatum, consultationes, preces tractat)195, on sera porté à croire que déjà dans la pensée de Dion Cassius les deux sortes d'affaires mentionnées en dernier, les réponses aux villes et aux particuliers, ne sont qu'une dépendance de l'office ab epistulis. Ainsi l'on serait revenu au précédent créé par César en faveur de son secrétaire Trogne Pompée «... epistolarum et legationum et anuli curam habuisse199 e. On a supposé qu'à certaines époques la fonction a cognitionibus avait été réunie à celle ab epistulis 200. Cette opinion peut se fonder sur les textes suivants : t° un texte de Dion Cassius où cet historien nous dit, en retra-• çant la carrière de Marcius Agrippa, qu'il a été a cognitionibus et ab epistulis de Caracalla (ayvdmEtç xxi E77taTO).aç atotxitaaç) 201; `2° un texte de Phrynichos où nous voyons que le rhéteur Cornelianus, secrétaire de Marc-Aurèle et de Commode, a mérité cet éloge d'avoir porté l'éloquence hellénique et attique dans le tribunal de l'empereur en ce qui concerne le premier texte, il indique plutôt, à y regarder de près, que les deux fonctions ont été remplies successivement, et, en tout cas, il est loin de dire le contraire. Il est plus difficile d'écarter le texte de Phrynichos, et il faut avouer que le mot âixaaTziptov, encore que peu précis, s'applique mieux à l'office a cognitioni bus qu'à celui de la correspondance. Toutefois une impropriété d'expression n'est pas impossible chez ce rhéteur, et bien qu'en bonne critique une hypothèse de ce genre ne doive se présenter qu'appuyée sur de solides raisons, on sera tenté de s'arrêter à celle-ci, plutôt que d'admettre la concentration entre les mêmes mains de deux services si dissemblables par leur nature et l'un et l'autre si chargés d'affaires. L'ab epistulis surtout en était accablé, On a vu qu'il exerçait quelques-unes des attributions d'un ministre de la guerre, de l'intérieur, des affaires étrangères, des travaux publics. Comment croire qu'on lui ait imposé, par-dessus le marché, celles d'un ministre de la justice, ou, si ces identifications paraissent à bon droit inexactes, celles de commissaire enquêteur pour les affaires soumises à la juridiction impériale 2°a, D'ailleurs on remarquera qu'à l'époque de Cornelianus la disjonction était faite entre les deux sections pour la langue grecque et la langue latine, et ce n'est pas sans doute au préposé de la première, moins considéré en général que son collègue, que pouvait revenir ce surcroît de besogne et d'importance. Or Cornelianus était préposé à la section de la langue grecque. IV. La transformation et la décadence de l'office ab epistulis. L'office a memoria. L'institution de l'office a memoria dont le premier titulaire daté est contemporain de Caracalla, mais qui peut avoir été créé plus tôt, dans le courant ou à la fin du n0 siècle 204, eut pour effet d'amoindrir l'importance des deux bureaux ab epistulis et a libellis. Cette conséquence s'est produite insensiblement. Elle apparaît dans tout son jour après Constantin. Mais elle a commencé à se développer antérieurement. M. Hirschfeld croît en saisir quelques indices dès le règne d'Alexandre Sévère, dans le passage suivant, tiré de la biographie de cet empereur 2D3. « Les heures de l'après-midi, il les consacra toujours aux epistulae et aux libelli, pour entendre lecture des unes ou pour souscrire aux rapports présentés sur les autres. Étaient présents les fonctionnaires ab epistulis, a libellis et a memoria. Les copistes et les employés du portefeuille donnaient lecture des pièces. L'empereur ajoutait de sa main ce qu'il croyait nécessaire, mais toujours d'après l'avis de celui qui avait le mieux parlé. (Postmeridianas boras subscriptioni °00 et lectioni epistuierum semper dedit, ita ut ab epistulis, libellis et a memoria semper adsisterent..., relegentibus cuncta librariis et iis qui scrinium gerebant, ita ut Alexander sua manu adderet, si quid esses, addendum, sed ex ejus sententia qui disertior habebatur.) M. Hirschfeld conclut de ce texte que d'ordinaire les empereurs se rendaient sans plus entendre à l'avis de l'a memoria, tandis qu'au contraire le biographe d'Alexandre Sévère signale comme un trait particulièrement honorable pour ce prince qu'il ait dérogé à cette habitude, et se soit donné la peine de recueillir d'autres avis et ait su les faire prévaloir au besoin G07. L'interprétation, on ne saurait en disconvenir, est forcée, et nous avouons quant à nous ne pas voir dans ces quelques lignes tout ce qu'a cru y découvrir la pénétration du savant allemand. Toutefois il faut relever la présence dans ce conseil de l'a memoria, quand les affaires qui y sont traitées rentrent toutes dans le département de l'ab epistulis ou de l'a libellis. On peut donc supposer que, dès cette époque, le fonctionnaire nouvellement institué avait sur les deux autres le droit d'ingérence, de contrôle, ou d'initiative supérieure que nous lui verrons formellement reconnu. par la suite. A propos d'une lettre au Sénat de Claude le Gothique (268-270), le biographe de cet empereur 208 déclare qu'il la donnera telle qu'on dit que l'empereur lui-même l'a dictée, et il ajoute qu'il tient peu pour son compte aux rédactions du magister memoriae (ipse dictasse perhibetur, ego verba magistri memoriae non require). Ce personnage avait donc dès lors le soin de rédiger les discours et lettres de l'empereur, et c'est aussi la fonction dont se glorifie trente ans plus tard environ Eumène, attaché au même titre à Constance Chlore E09 A la mort de Carus en 283, c'est son magister memoriae, Julius Calpurnius, qui annonce la nouvelle au préfet du prétoire2'0. En d'autres domaines encore, le magister memoriae nous apparaît comme l'héritier de l'ab epistulis. Une inscription de Naples nous fait connaître un officialis vetus (ancien offcialis) a memoria et a diplomatibus2tt. On entendait par DIPLOMA, non seulement le permis de voyager par le service de la poste impériale, mais en général, tout privilège octroyé par l'empereur, et la manière dont le service a diplomatibus est associé ici à celui de l'a memoria tend à faire croire qu'il n'en était qu'une dépendance. Plusieurs faits confirment cette opinion. Nous rencontrons le nom d'un a memoria sur l'estampille d'un tuyau de bronze (calix) 2125 d'où nous concluons que les décisions autorisant une prise d'eau émanaient maintenant de cette administration. Une autre inscription nous donne une lettre d'un empereur à un certain Januarius qui a été proximus memoriae. Nous y rencontrons cette phrase : «u]t indulgentiae meae praerogativam tanto magis cu[ra tua probaverit... » Le mot indulgencia est celui qui s'emploie pour désigner les concessions et les faveurs impériales'''. Pourtant telle est la force des situations acquises que, même alors, le magister memoriae n'est pas hiérarchiquement supérieur aux chefs des autres offices. Nous en avons la preuve dans cette même lettre impériale adressée à Januarius, car elle a pour objet précisément de le mettre, après de longues années de service et par un acte spécial de bienveillance, sur un pied d'égalité avec les proximi « qui in aliis stationibus... ». Si donc le proximus a memoria n'était pas, et il s'en faut, dans une situation plus avantageuse que ceux des stationes voisines, le magister memoriae non plus ne devait pas être mieux traité que les autres magistri, et nous avons eu raison de conclure des appointements d'Eumène à une rétribution équivalente pour ses collègues. La même lettre à Januarius nous apprend enfin que les appointements des proximi, à l'exception du proximus a memoria, ne s'élevaient pas à moins de quarante mille sesterces. Ils n'étaient donc pas beaucoup moins payés que les tituIaires des procuratèles équestres de la quatrième catégorie. Aussi voit-on qu'ils y arrivaient d'emblée, et même les proximi a memoria. Un d'entre eux devient procurator fisci Asiatici, puis procurateur provincial214. Januarius, en témoignage de la satisfaction de l'empereur, est appelé au poste de procurator voluptatum. Les changements introduits dans les services de la chancellerie au cours du 111e siècle aboutissent enfin à l'organisation décrite dans la Notitia dignitatum. La primauté du magister memoriae est décidément reconnue. Il figure sous les ordres supérieurs (sub dispositione) du vir inlustris magister o f f ciorum, en tête des trois magistri scriniorum ayant rang de spectabiles, lui d'abord, puis le magister epistolarum et consultationum, puis le magister libellorum et sacrarum cognitionum 215. C'est conformément à cet ordre que se fait la carrière de Sextilius Agesilaus Aedesius, carrière retracée par lui-même dans une inscription dédiée aux dieux mithriaques, en 376 après Jésus-Christ. Après avoir été brillant avocat auprès du tribunal d'Afrique et ensuite dans le consistoire impérial, il est devenu successivement magister libellorum et cognitionum, magister epistolarum, magister memoriae. De là il a passé à la vice-préfecture de l'Espagne 2'0. Les attributions respectives du magister memoriae et du magister epistolarum sont définies par la Notitia ainsi qu'il suit : « Magister adnotationes omnes dictai et emittit, et precibus respondet 217 ». Dictare est l'expression technique pour désigner la fonction du magister memoriae. Le biographe de Carus dit de Julius Calpurnius « qui ad memoriam dictabat 218 e. Le sens de ce mot est très bien fixé par Boecking. Dictare, c'est jeter sur le papier, en écrivant soi-même ou en empruntant la plume d'autrui, un brouillon, une minute qui attendra pour être mise au net d'être approuvée par qui de droit, c'est-à-dire, dans l'espèce par l'empereur 210. Boecking a fixé aussi le sens du mot adnotationes. On appelait ainsi les décisions impériales brièvement énoncées, par opposition aux rescrits, lettres, lois, sanctiones pragmaticae, qui rentrent dans la compétence du quaestor sacri palatii22o Le magister memoriae était donc chargé de rédiger ces décisions, de les faire approuver, de les envoyer à leur adresse (emittit). Une autre interprétation de ce dernier mot, proposée par Boecking, consiste à le détacher du mot adnotationes, emittere se disant des nominations aux fonctions de la catégorie inférieure (laterculum minus), nominations qui, nous le savons, devaient passer par les bureaux memoriae « ex scrinio memoriae"' ». C'est encore là une des attributions dont ces bureaux s'étaient enrichis aux dépens de la direction ab epistulis. Enfin le magister memoriae « precibus respondet ». Nous trouvons dans la Notitia occidentis la variante : « Ilespondet tamen et precibus"' „5 que M. Hirschfeld explique par ce fait qu'il partage ce soin avec le quaestor palatii 223, sans que nous puissions préciser comment se faisait, de part et d'autre, la répartition des affaires. Quelles sont donc les EP1 725 EPI fonctions dont reste chargé le magister epistolarum? « Magister epistolarum legationes civitatum, et consultationes et preces tractat"' ». « Legationes civitatum » le mot s'entend tout seul. Les consultationes sont les questions posées à l'empereur dans les cas difficiles par le fonctionnaire juge, après qu'il a terminé l'instruction'''. Enfin il s'occupe aussi des preces, placets, requêtes", dont s'occupe également son collègue, le magister libellorum et cognitionum 227. Ce qu'il faut remarquer, c'est l'emploi du mot tractat, opposé à emittit, et en tout cas, si l'on préfère pour emittit l'interprétation de Boecking, àrespondet. Le magister epistolarum, comme le magister libellorum et cognitionum, se borne à préparer, à instruire les affaires 228. Quant aux solutions et aux réponses, elles appartiennent au magister memoriae, avec lequel ils collaborent, ou bien au quaestor palatii, pour les cas où celui-ci est compétent. Le quaestor palatii n'a pas d'employés spéciaux (officium), précisément parce qu'il travaille avec les scrinia et en a les fonctionnaires à sa disposition'''. Le magister epistolarum a donc vu décroître son importance à mesure que s'ébauche et s'achève l'organisation administrative du Bas-Empire. Il ne tranche plus les questions. Il n'approche plus de l'empereur. Entre lui et la personne sacrée du maître s'est dressée une barrière de hauts fonctionnaires dont il est le subordonné, le magister memoriae d'abord, et plus haut le magister officiorum, le quaestor palatii. Il n'est plus un ministre, un moteur de la grande machine, mais un simple rouage. Nous avons vu que la Notitia oriéntis mentionne un magister epistolarum graecarum, placé audessous, non seulement du magister epistolarum tout court, mais aussi du magister libellorum et cognitionum. Ce fonctionnaire a donc repris la position secondaire qu'il avait au ne siècle. Son rôle est ainsi défini : « Eas epistolas quae graece soient emitti aut ipse dictai eut latine dictatas transfert in graecum. » Il n'est donc pas un simple traducteur. Il fait, en « dictant » lui-même, acte d'initiative. Mais on «dictait» aussi en latin, et ce détail, avec la mention en premier lieu d'un magister epistolarum sans épithète, nous montre que le latin était encore la langue dominante dans l'administration de l'Orient. Il est probable que, dans celle de l'Occident, on ne pouvait guère se passer d'un magister epistolarum graecarum, et sans doute nous le trouverions mentionné dans la Notitia occidentis, si elle n'était incomplète en cet endroit. G. Brocu.