Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

AGER PUBLICUS

AGER PUBLICUS. Ensemble des immeubles faisant partie du domaine de l'État, et par cela même inaliénables et imprescriptibles quoique non affectés à un service public Comme l'étendue et le mode d'administration de ce domaine ont beaucoup varié, il a paru nécessaire de considérer successivement l'ager publicus sous la royauté, sous la république (en renvoyant toutefois à l'article AGRARIAE LEGES, ce qui est spécial aux lois agraires) et enfin, sous l'empire jusqu'à Justinien. 1. Socs LA ROYAUTÉ. Formation et étendue de l'ager puhlicus. On sait que, dans la division de l'ager romanus, attribuée à Romulus', il y eut une part affectée à l'entretien du roi et des temples, une autre aux pàturages communs (pascua publica) ; la troisième (ager privatus) attribuée aux chefs de famille, qui en avaient la propriété ou la jouissance, car les opinions diffèrent quant à la constitution du DoMINIuM à cette époque. Nous pensons que, avant Numa et peutêtre jusqu'à Servius, la propriété foncière était dans chaque famille, comme une masse commune, intransmissible sans le consentement des curies, même par testament 3. La portion affectée au roi formait l'ager regius4, sorte de domaine de la couronne qui, après l'expulsion des rois, fut consacré au dieu Mars et forma depuis le champ de Mars 5. Cependant Pline 6 semble affirmer qu'on partagea une partie de ces terres. Quant aux immeubles consacrés au culte, il faut distinguer le terrain occupé par les temples, qui était res sacra,inaliénable et divl:ni juris, par suite de la consécration et de la dédicace à une divinité, et les terres simplement affectées aux dépenses du culte et des prêtres'. Celles-ci pouvaient être aliénées par l'État'. Les murs et les portes de la ville étaient saints, c'est-à-dire protégés par une sanction pénale (res sanetae 9). Enfin, parfois un terrain était purifié par des cérémonies religieuses, ager liberatus et ef/'atus19, et inauguré comme TEMPLUM pour le rendre propre à la réception des auspices. C'est ce qui se faisait pour l'enceinte des lieux consacrés aux affaires publiques, et pour l'enceinte sacrée [roMoeluoM] de Rome ". Mais la simple inauguration ne suffisait pas pour transformer un ager en res sacra; c'est à la prise des auspices que se rapportait principalement la distinction de l'ager en romanus, gabinus, peregrinus, hosticus, incertus 1' [AGER ROMANUS]. L'ager publicus s'étendit d'abord avec l'ager romanus 1° par la conquête; mais il n'en comprenait toujours que la portion non affectée à un service public ou incorporée à l'ager privatus. Le roi retenait une partie des terres conquises afin d'en tirer, médiatement ou immédiatement, un revenu pour l'aerarium. Sous Ancus Martius, parmi les terres conquises sur les Latins, on réserva à l'État des salines et des forêts voisines de la mer n, tandis que les champs labourables furent divisés, c'est-à-dire sans doute incorporés à l'ager privatus ou attribués à la colonie fondée à l'embouchure du Tibre(Ostium Tiberis). L'annexion d'un territoire étranger à l'ager publicus se faisait soit par la force après la destruction d'une ville, ou à la suite d'une formule solennelle de dédition [DEDITlo] dont les historiens nous ont conservé des fragments 18. Quelquefois on s'emparait seulement du tiers ou de la moitié de l'ager de la cité vaincue ; Tite-Live nous montre Romulus obtenant, à la suite d'un traité, une partie des terres des Véiens" ; Tullus réunit le territoire d'Albe détruite 1'; Ancus 19 en fit autant pour les villes latines de Politorium, Tellenae et Ficana; Servius accomplit les dernières conquêtes importantes de la royauté, mais il distribua une partie de l'ager publicus aux plébéiens en pleine propriété (agro viritim divisons) Une autre source d'enrichissement pour le domaine public paraît avoir été la confiscation des biens des condamnés à. une peine capitale [BONA DAMNATORUM]; cependant à l'origine, comme on attribuait ces biens au temple de Cérès ou d'une autre divinité, l'État n'en tirait profit qu'indirectement en diminuant ainsi les frais de l'entretien du culte 21. Mode d'exploitation. Les procédés suivis ou indiqués par les arpenteurs [AGRIMEN9oRES] pour l'administration de l'ager publicus remontent à l'époque antique où leur art se confondait en quelque sorte avec l'art augural ; dès lors, on peut sans anachronisme rattacher à la période des origines de Rome, les principes et les divisions posés dans les livres rédigés beaucoup plus tard par les gromatici ou rei agra AGE 134 AGE rixe seriptores, derniers dépositaires de la science agraire 2'. Les terres déjà mises en culture, séparées avant tout de celles qui étaient encore en friche, étaient mesurées et délimitées régulièrement. Souvent le roi en assignait une portion aux citoyens admis au partage a3 [ACTUARIUS AGER, AGER ROMASUSJ. Cette aliénation supposait une loi, aussi bien que les deux autres modes d'aliénation que nous allons indiquer. D'autres fois on envoyait une colonie sur le territoire conquis d'une cité, dont l'ager était partagé (divisais et assignatus) entre les colons [coLONIA]; parfois encore, lorsque les besoins du trésor l'exigeaient, une portion de l'agei était mise en vente par les soins des questeurs, quaestores aerarii; cette portion est ce qu'on appela ager quaestorius. D'autres parties de l'ager publicus étaient données à bail moyennant une redevance proportionnée à leur étendue 24 (vectigal) et se nommaient par cette raison agri tectignle.s. Toutes ces distinctions remontaient à l'origine même de l'ager publicus, et sont attestées tant par les historiens que paries scriptores rei agrariae 2'. La vaste étendue de terres vaines et vagues ou en friche, était séparée de même en deux classes. Les terrains qui jusqu'alors avaient servi ou qui paraissaient appropriés au pâturage (pascua) restaient dans le domaine de l'État, mais on permettait à tous les citoyens, même plébéiens, d'y faire paître leurs bestiaux moyennant un droit [s ECTIGAL, SCRIPTURA] fixé à tant par tète de bétail 16. Quant aux terrains qui semblaient susceptibles de défrichement, mais qui n'étaient pas plus délimités que les précédents, le roi, par un édit, autorisait les citoyens à les occuper pour les soumettre à la culture, moyennant un dixième des récoltes, et un cinquième des produits des arbres fruitiers. On les appelait agni oecupatorii. Cette occupation ne donnait qu'un droit de possession indéfini, mais toujours révocable au gré de l'État concédant, qui conservait sa propriété imprescriptible 27. On appelait aussi ces terrains aigri arcifinales ou arcifinii (ab arcendis /inibus)..11 n'existait ni plan, ni aucun titre ou document public à l'appui de cette possession, bien qu'elle fût en fait protégée par le roi tant qu'elle n'était pas révoquée. Elle était d'ailleurs susceptible de transmission entre-vifs ou testamentaire 23. Nous entrerons à cet égard dans plus de détails au chapitre suivant. H. Sous LA R1OPURLTQUE. --L'histoire de l'ager publicus pendant cette longue période se caractérise par deux faits principaux : d'abord l'énorme extension du domaine à la suite des conquêtes de Rome, et presque aussitôt l'amoindrissement parallèle de ce domaine, surtout en Italie, d'abord par voie d'usurpation de la part des détenteurs, et ensuite par de nombreuses assignations ou divisions et La conquête et les traités furent les deux causes principales d'accroissement29 : la conquête pure et simple procurait le territoire d'un peuple exterminé ou rendu 30, Ainsi le terrain où avaient existé vingt-trois villes des VoIsques ne fut plus qu'une lande, qui devint les marais Pontins 3f. Ainsi encore, les Sabins qui avaient fait alliance avec les Samnites perdirent tout leur territoire, dont une partie fut partagée et l'autre réservée à l'ager publicus par Curius Dentatust2. D'autres fois, à la suite d'une guerre, intervenait une convention de DEDITtO, qui, en droit, attribuait à Rome la souveraineté et la pleine propriété sur tout ce qui appartenait au peuple vaincu". Quelquefois il était transporté en masse dans un autre lieu; plus souvent on lui enlevait le tiers, la moitié ou même les deux tiers, de son territoire, comme il advint aux Herniques et aux Privernates 34. Dans certains cas, on laissait les vaincus en possession de leurs biens, mais à titre de détenteurs sous la souveraineté de Rome, dont la prédominance était attestée par un stipendium ou vectigal 35. Les simples traités sans deditio renfermaient fréquemment, entre autres clauses, des cessions de portion de territoire 38. Parfois les Romains se contentèrent d'exiger une certaine quantité de jugera. Ainsi la confédération des Sabins en perdit 10,000" ; mais on ne faisait aucune grâce aux alliés ou sujets infidèles38, qu'on nommait spécialement rebelles. C'est ainsi que les Étrusques furent dépouillés presque en totalité par Sylla et par Jules César". A côté du droit de conquête, le testament des souverains fut aussi une cause d'accroissement de l'ager publicus. En 135 avant J.-C., Attale, roi de Pergame, institua le peuple romain pour son héritier; Nicomède, roi de Bithynie, en fit autant en l'an '79 avant J.-C.". Ce fut sous de semblables prétextes que les Romains s'emparèrent de l'Égypte, de la Cappadoce, de la Cyrénaïque, de la Paphlagonie et de la Thrace'. Les biens confisqués des condamnés à une peine capitale, étaient primitivement attribués à des temples°3. Mais il en fut autrement lors des proscriptions [PROSCRIPTIO] de Sylla, de César, des Triumvirs et d'Auguste, qui assignèrent même à des colonies de vétérans les territoires de cités et de provinces entières6°. Il arriva parfois aussi que l'État romain, choisi pour juge entre deux cités contendantes, s'attribua le terrain litigieux 41. Quant aux biens vacants, sous la république, ils étaient abandonnés, comme res nulhns, au premier occupant et ne furent attribués à l'État que par la loi Julia et Papia Poppaea sous Auguste °S. Les causes d'amoindrissement de l'ager publicus étaient de deux sortes : en effet, il pouvait être aliéné en vertu d'une loi par vente, assignation ou envoi d'une colonie ; ou bien usurpé par les détenteurs. Les ventes de terres cultivables et limitées furent assez fréquentes sous la république. Ce sont les champs désignés sous le nom de quaestorii, aliénés au profit de l'aerarium par les questeurs du trésor (quaestores aerarii) Le. Cette vente conférait la pleine propriété, et non, comme l'ont cru à tort plusieurs sa AGE 135 AGE vants simplement un domaine révocable". La seconde cause de la diminution de rager publicus consistait dans le partage (divisio) avec assignation (assignant)) de portions de ce terrain aux plébéiens; c'est ce qu'on appela agri divlsi et assignati. Le terrain détaché entrait dès lors dans le domaine privé et prenait le nom d'amer viritanu.s48. Un premier partage qui eut lieu après l'expulsion des rois, pour une partie de l'ancien ager regius 49, procura, comme celui de Servius Tullius, sept jugera à chaque chef de famille. Il y en eut d'autres semblables postérieurementS0, et même, dans un cas particulier, les fils de famille y furent exceptionnellement admis". La troisième cause légale de la diminution de rager publicus, est l'attribution de tout ou partie du territoire d'une cité déjà conquise à une colonie composée en général de citoyens romains. Après les guerres civiles, on dépouilla même des propriétaires pour installer à leur place des colonies de vétérans. Le démembrement de l'amer publicus, dans le cas d'envoi de colonie comme au cas de partage, avait lieu en vertu d'une loi spéciale, nécessaire pour l'aliénation du domaine public et sa transformation en domaine privé. La même loi désignait des commissaires ou curateurs chargés de veiller à l'exécution et de résoudre toute difficulté juridique 52. Mais la cause la plus considérable d'amoindrissement de rager publicus fut l'usurpations faite par les détenteurs patriciens, locataires ou concessionnaires à titre précaire de portions de l'amer publicus, moyennant un loyer pour les agri vectigales, ou une dîme pour les autres. Les riches faisaient cultiver ces terres par leurs esclaves, tandis que les petits détenteurs, éloignés pour le service militaire, ne pouvaient surveiller leurs champs" et se voyaient forcés de les vendre ou de les abandonner. Bientôt il arriva que les plus opulents de ces riches détenteurs se dispensèrent de payer leurs redevances", puis ils confondirent peu à peu ces biens loués avec leurs propriétés particulières". D'un autre côté, malgré les lois Liciniennes, qui limitèrent l'étendue des concessions de l'amer publicus, ils s'emparèrent peu à peu des lots de leurs voisins pauvres et arrivèrent ainsi à occuper la presque totalité du domaine publie17. Sans doute, celui-ci, d'après un principe de droit public incontesté, était imprescriptibles; mais lorsque les auteurs de lois agraires voulurent faire cesser ces usurpations, les détenteurs ou ayants cause des concessionnaires primitifs leur opposèrent une résistance presque invincible. Ainsi la petite propriété disparut de l'Italie avec la population libre, pour faire place aux domaines [LATIMONDIA], à la culture par les esclaves, et au pâturage. Quant à rager privatus, à la propriété privée, elle ne fut jamais menacée ou atteinte que par les lois de proscription ou de colonisation de Sylla, de César, des Triumvirs, d'Octave enfin, qui dépouillèrent des provinces pour installer leurs vétérans à la place des anciens propriétaires 59. Ce sont les seules lois agraires dans le sens vulgairement attaché à cette expression [AGRARTAE LEGES]. Mode d'e:cploitatton de rager publicus. L'État ne pouvait utilement exploiter en régie et directement la plupart des biens de l'amer publicus; cependant il paraît avoir mis en régie, pendant un certain temps, les salines ci'Ostie 60 et dont les bois étaient destinés à la marine; en général, il en faisait adjuger 6l l'exploitation moyennant un prix de bail (vectigal), au plus offrant, par ordre des censeurs [cE` Les terres proprement dites se divisaient, on l'a vu, en deux grandes catégories, celles qui étaient mesurées et cultivables d'une part, et d'autre part les landes ou pâtis limités seulement par leurs bornes naturelles. Dans lapremière classe ,tout ce qui n'é tait pas attribué à des colonies, ou divisé entre les citoyens pauvres (agri divisi etassignati), ou vendu (agri quaestorii), fut loué, comme on va le voir, à des publicains [PUnLTCANI] par les censeurs pour un temps plus ou moins long60, moyennant un fermage proportionné à l'étendue de la mesure de chaque ager63. C'est là ce qu'on appelait, à proprement parler,ogri vectigales ou agri /ructuar ti, qu'il importe de ne pas confondre avec les agri occupatorii, dont il sera parlé plus loin. Les premiers, étant limitati, pouvaient plus facilement échapper à l'usurpation des fermiers. C'étaient, en effet, des territoires conquis que l'on avait trouvés régulièrement divisés par leurs anciens propriétaires étrusques ou latins. Ces agri vectigales, en général, se composaient de l'excédant des terres cultivables sur les portions distribuées ou assignées aux colons (subcesiva). Quelquefois ces terrains étaient loués pour cinq ans; d'autres fois on les louait pour cent ans, long bail qui est l'origine première de la convention devenue plus tard le contrat d'emphytéose [EMPIIYTEUSIS]. Les censeurs mettaient aux enchères le droit de percevoir le prix de fermage fixé par la république; les mots agrum fruendum Ide catie 64 n'expriment pas autre chose. Quels étaient donc les revenus directs des fonds 65? Le représentant (mancens) d'une société de publicains qui se rendait adjudicataire du vectigal d'un canton pour une somme fixe, déterminée par la censoria locatio, en acquérait par cela même la possession, et la facilité de la céder à des fermiers en détail", et pour le même délai que le bail principal. La majorité de ces lots était louée par des patriciens ou des chevaliers, détenteurs de la grande masse des capitaux, bien que ni en fait ni en droit les plébéiens ne fussent exclus de la faculté de prendre part aux adjudications principales ou secondaires. Les terres non cultivées, qui formaient la deuxième classe, étaient exploitées également par l'État qui concédait par un bail à ferme le droit d'exiger les redevances, mais sous deux formes distinctes : 10 Dans certaines forêts, AGE 136 AGE on mettait en adjudication l'exploitation de produits déterminès, comme la poix et la résine provenant des arbres résineux 67, et sans doute aussi de certaines coupes [SILVAE PURLICAE]. Souvent on louait le droit d'exiger66 le vecligal, appelé SCRIPTURA, (le ceux qui conduisaient des bestiaux en pâture dans les terres vagues [AESTIVI ET HIsERNI SALTOS], dépendant de l'ager publicus, conformément à l'usage de la transhumance encore pratiqué en Italie. L'État avait conservé d'ailleurs une grande quantité d'anciennes landes ou pâtis, qui étaient affectés à cette destination (pascua pubiwa, ager publicus pascuus ou scripturarius). 2° Il existait encore une étendue considérable de terres non mesurées ni mises en culture, mais susceptibles d'être défrichées. L'État qui ne pouvait songer à les exploiter, mais qui voulait avec raison trouver une source de revenus dans cette vaste portion de l'ager publicus, procédait par une autre voie. Un édit69 autorisait l'occupation de certains cantons déterminés par leurs limites naturelles seulement ; il concédait la possession indéfinie, mais toujours révocable, des terres que chacun pouvait défricher ou mettre en culture, moyennant une redevance consistant dans la dilue des moissons et le cinquième des produits des arbres fruitiers". Le recouvrement de ces redevances était opéré par les compagnies de publicains qui le prenaient à bail aux enchères sur censoria locatio, pour une somme fixe, et procédaient ensuite au recouvrement contre les possesseurs des terres occupées, d'après le tarif fixé par le sénat. Pour les terres non concédées, le droit d'occupation était ouvert aux citoyens romains. Les patriciens, ayant à leur disposition les capitaux et de nombreux clients, employaient ceux-ci fructueusement à occuper les terres conquises, et leur faisaient des concessions révocables de la jouissance de ces possessions, sur lesquelles eux-mêmes n'avaient qu'un droit subordonné à celui de l'État. Peutêtre ces concessions patriciennes sont-elles l'origine de la convention connue plus tard en droit romain sous le nom de precariuln n. Mais les plébéiens avaient-ils à l'origine et indépendamment de toute concession particulière d'un patron, le droit de participer à l'occupation des agri occuputwdi, ouverte par un édit? L'affirmative est soutenue par de graves autorités62 ; mais elle nous paraît contraire au témoignage formel des historiens, qui nous montrent la plèbe autorisée plus tard par des lois spéciales à prendre part à l'occupation de ces terres vagues. Primitivement, les plébéiens n'avaient que le droit, ouvert aux étrangers admis à l'isopolitie, d'envoyer leurs bestiaux, moyennant redevance, sur l'ager pascuus publicus, ce que nous appeons les pâtis communaux. I1 résulta de cette flagrante injustice que les patriciens, dès le premier siècle de la république, occupèrent la plus grande partie des terres alors conquises et ouvertes à l'occupation par un édit. Ils ne devaient pour ces terres qu'une dîme qu'ils cessèrent bientôt de payer73. Comme elles appartenaient à l'État à titre de propriété imprescriptible, elles ne figuraient pas, de même que l'ager privatus, dans les tables du cens; tandis que les arpents distribués primitivement aux plébéiens sous les rois supportaient le tributunz et' censuT, souvent fort élevé à raison des dépenses de la guerre76. D'ailleurs, on ne déduisait pas les dettes de la valeur du fonds imposé". Cette étrange inégalité qui en amenait une autre plus grande dans l'impôt fut une des causes des réclamations passionnées qui donnèrent lieu aux premières lois agraires. Nous renvoyons à l'article spécial qui leur est consacré [AGRARIAE LEGE9]. Disons seulement ici que ce fut probablement à la suite de l'une des célèbres lois rendues sur la rogation de Licinius, en 376 avant J.-C., que les plébéiens furent admis à prendre part à l'occupation des terrains de l'ager publicus appelés possessiones, agri occupatorii 77, ou occupatitii, ou encore arcifinii, ou arci/finales, parce qu'ils n'avaient d'autres limites que celles que s'était posées le cultivateur en avançant ses défrichements78. Ces fonds non limités n'avaient aucun plan officiel79. Les occupants (possessores publici agni) n'en avaient que la possession, protégée contre les voies de fait par l'intervention du préteur. Ce fut peut-être là, suivant SavignyAO, l'origine des interdicta possessoria [INTEODICTUSI]. Cette possession précaire et toujours révocable en principe par l'État, n'en était pas moins indéfinie, dans sa durée, et comme telle transmissible par vente ou à titre gratuit, ou par legs; de plus elle servait de gage général aux créanciers du détenteur 81. Quelquefois le retrait partiel fut exercé par l'État à l'égard de terres ainsi possédées, pour les convertir en ager privants, par vente, partage ou fondation de colonie. Alors l'ager publicus se transformait" aussi quant à ces champs en ager quaestorius, divises ou cis'itanus et limitants, en vertu d'une loi spéciale, dont l'exécution était confiée à des curatives, investis de la juridiction et chargés de faire procéder à la limitation et au partage, comme on l'a vu plus haut (decenseiri ou triulnviri agris dividundis ou cotonna?, deducendae). Mais on conçoit ce que chacune de ces lois agraires devait soulever de résistances d'abord, et ensuite de difficultés d'exécution. L'ager publicus n'était pour la république municipale de Rome qu'un immense bien communal, ouvert à toutes les usurpations, et de plus servant de cause ou de prétexte à de perpétuelles agitations. Lorsque la loi ?'noria 86, vers 111 av. J.-C., vint consacrer en quelque sorte les faits accomplis, l'Italie était ruinée par les guerres civiles, la population libre détruite et les grands domaines [LATIFUNDIA] formés aux dépens des petits propriétaires ; alors vinrent, après le rejet des projets de Rullus, les lois Flaeia et Julia Compensa, les lois de spoliation des Triumvirs au profit des colonies militaires, au détriment même de l'ager privatus jusqu'alors respecté84. A la fin de la république, l'ager publicus avait en grande partie disparu en Italiet', mais il existait encore des domaines en province 86, les uns loués par les censeurs moyennant une redevance, ou la dîmeS7, les autres remis en jouissance à leurs anciens possesseurs (agni reddlti), moyennant un vectigal dont le recouvrement était pris en AGE 137 AGE ferme par les publicainsA5. Il ne faut pas confondre ces terres avec celles qui, n'ayant pas été réunies à l'ager publicus, avaient été laissées aux provinciaux, comme en Sicile, et qui payaient un impôt foncier du dixième en nature89. Sur ces fonds (praedia stipendiaria) les détenteurs conservaient la propriété provinciale, subordonnée à la souveraineté de Rome, mais ils ne pouvaient avoir le dominium ex jure Quiritium 90. On nommait ces terres en Sicile agri decumani" ou arationes, et les possesseurs aratores. On appelait aussi decumani les spéculateurs quitachetaient sur les lieux aux enchères le droit d'exiger cette dîme98, à l'exception de celle du vin, de l'huile et des fruits, laquelle s'adjugeait à Rome". Quelques parties de l'ager publicus avaient été abandonnées à des villes sujettes ou alliées, comme il advint d'une portion de l'ancien territoire de Carthage; de même, une partie de celui de Corinthe fut cédée à Sicyone, à charge de supporter les frais des jeux Isthmiques"; d'autres fois les citoyens romains ou les Italiens furent admis à acheter une portion de ces terres85. Les pâturages (ager publicus, pascuu.s), dans les provinces, furent livrés à la dépaissance, moyennant un droit [SCRIPTURA] dont les publicains prenaient également à bail la perception sur les bestiaux envoyés en pâture : c'est l'ager scripturarius96. Quant aux autres fonds de terre que l'État conserva dans son domaine pour les louer, ils furent, en vertu de la loi Thoria, mesurés et délimités par des bornes, dans tous les cas où cela parut nécessaire pour prévenir les usurpations 97. Il nous reste à parler de l'ager trientius tabuliusque. Ces expressions se rapportent à l'emploi que fit l'Etat, pendant la république, d'une partie de l'ager publicus en Italie, pour dation en payement d'un emprunt extraordinaire dont le trésor se trouvait hors d'état de solder la totalité. Des sommes considérables avaient été prêtées à l'État pendant la guerre contre Annibal , par l'intermédiaire de commissaires spéciaux, les tres viii mensarii98, à charge de remboursement du capital en trois termes. Le trésor n'ayant pu, au moment de commencer la guerre de Macédoine, vers 210 av. J.-C., payer le troisième terme, abandonna aux créanciers des terres publiques situées dans un rayon de 50 milles autour de Rome, sur estimation faite par les consuls. Ces magistrats stipulèrent une redevance constatant le droit de reprise de l'Etat, pour le cas où, le trésor étant redevenu solvable, le concessionnaire préférerait recevoir son argent. Ces terres furent nommées trientius tabuliusque ager, parce qu'elles avaient été remises en payement ou en garantie d'un tiers de la dette publique". Il restait encore des traces de ce genre de fonds au vue siècle de Rome'°° Il y avait enfin un ager campanus, partie de rager publicus sur le territoire de Capoue, qui resta longtemps terre commune, et qui fut partagé en vertu d'une loi de Jules César, nommée loi Campana", en 59 av. J.-C., entre les 1. citoyens qui avaient trois enfants au moins. Ils se trouvèrent au nombre de 20,000. III. Sous L'EMPIRE. Étendue de layer publicus. L'ager publier s italique avait cessé de s'accroître depuis la conquête de l'Italie ; au contraire, il avait subi de continuels amoindrissements. Plus tard, une autre portion fut définitivement attribuée aux possesseurs par les empereurs eux-mêmes. C'est ainsi qu'en Apulie et en Calabre, ces terres furent soumises au cens sous Vespasien et assignées aux détenteurs". En outre, dans certaines colonies fondées sous l'empire ou antérieurement, l'excédant de territoire de la cité, non compris dans le partage, sous le nom de subscesiva, continuait d'appartenir à l'ager publicus; mais il était exposé à des usurpations continuelles, qui donnèrent lien à des dispositions particulières, dont il sera parlé plus loin. En province, où les terres du domaine étaient encore considérables, les usurpations ne furent pas moins fréquentes101, et l'État dut souvent procéder à leur recherche et à leur répression10'. D'un autre côté, depuis les lois Julia et Papia Poppaea, rendues sous Auguste, les successions ab intestat en déshérence, ainsi que les biens compris dans les institutions d'héritier et les legs frappés de caducité, furent attribués à l'aerarium 105; ce qui put accroître transitoirement l'ancien ager publicus. Des commissaires spéciaux appelés procuratores caducorum furent établis dans tout l'empire pour reconnaître et réclamer les biens ainsi échus à l'État 108. 11 en fut de même pour les biens vacants et sans maître, au moins dans l'Italie et les provinces du peuple f". Quant au patrimoine des condamnés qui subissaient la confiscation, il était attribué tantôt à l'aerarium populi, ou à l'aerarium militare, ou au fisc, suivant la volonté du prince [AERARIUM, FISCUS] f08. Le fisc recueillait aussi les choses vacantes dans les provinces de César 109. Plus tard, sous Caracalla, les institutions et legs caducs paraissent avoir été également attribués au fisc, à la place de l'aerarium, d'après l'opinion la plus communet10. Il est bien à remarquer que les terres acquises soit à l'aerarium, soit au fisc par déshérence, confiscation ou caducité, étaient en général vendues', à raison des dettes qui les grevaient en tout ou en partie, et le prix versé au trésor, dont les besoins croissaient sans cesse, en sorte que l'ager publicus ne reçut aucun accroissement durable de ces sortes d'acquisitions. Il n'y eut plus qu'un très-petit nombre de colonies établies en Italie"%; Caligula partagea quelques terres entre les soldats 115. Quant aux territoires conquis sur les barbares près des frontières de l'empire, on sait que souvent on y établit des vétérans, ou même des barbares vaincus ou alliés, à charge de service militaire 116 L'État accrut ses droits à la possession des mines [METALLA], carrières, etc., et des salines, placées du temps de Constantin sous la surveillance du cornes largitionum; toutefois les salines impériales étaient mises en ferme. Au contraire, les restes de l'ancien ager publicus, nommé alors fundi rei privatae ou agri fis 18 AGA -138_ AGE cale'15, dépendirent de la seconde branche du fisc, l'aerarivm privatum, appelé aussi privatae largitiones. Mode d'exploitation. Ce qui restait de rager publicus, au commencement de l'empire, continua d'abord d'être affermé moyennant une redevance au profit de l'aerarium'° Cette règle fut appliquée notamment aux subseesiva, dont on a parlé préeedemment. Il paraît que Vespasien et Titus, pour prévenir l'usurpation totale des terres publiques, firent procéder à des recherches, puis à la vente d'une grande partie des terrains recouvrés". Domitien abandonna aux possesseurs des subscesiva ceux qu'ils détenaient depuis longtemps, comme si l'usucapio, c'est-à dire l'acquisition par la possession prolongée, eût été possible légalement' . Plus tard, comme un grand nombre de terres étaient demeurées incultes en Italie, Pertinax abandonna, en 192, la pleine propriété de celles de l'État, avec exemption d'impôts pendant dix ans, à ceux qui voudraient en entreprendre la culture,; mais ce décret ne paraît pas avoir produit grand résultat119. En province l'État eut souvent à réclamer contre les usurpateurs de son domaine120. Depuis Constantin, les terres publiques comprises dans la portion du fisc nommée aerariàm privatum ou privatae largitiones furent administrées par le crimes rei privatae, ayant sous ses ordres les rationales et procuratores dans les provinces 121, avec des bureaux (officia), où figuraient notamment les caesariani. Ces terres étaient employées à la dépaissance des troupeaux impériaux, ou affermées, moyennant nn vecti ol1e--, ou bien concédées à des colons con a!', ou louées à bail de longue durée, sous le nom d'agri rectigale.s ou emphytezlticarii. Sous Zénon, en 486, fut réglementé le contrat nominé emphytéose [EMPHTTEUSIS], par lequel le concessionnaire s'engageait à mettre en culture le terrain qui lui était livré'. Le rector de la province recouvrait les revenus de l'aerarium privatum par l'intermédiaire du tabularius et des susceptores"', et les faisait verser dans les caisses des arcarii u . G. HUMBERT.