AGER ROMANUS. Nom du territoire propre de la ville de Rome, seul susceptible pendant longtemps de propriété civile(doninium ex pire Quiritium)'. Quelques auteurs cependant ont parfois appliqué ces mots à des terres conquises, assez éloignées de la ville, mais jamais à celles qui étaient en dehors de l'Italie 2. Nous allons examiner quelles étaient l'étendue et les divisions de rager romanus, dans le sens restreint de ce nom.
Suivant Varron il comprenait l'ensemble du terrain qui aurait été divisé entre les trois tribus primitives par
Romulus. Cependant il paraît avoir existé à l'origine une autre division locale : les sept collines indiquées par Varron, qui, réunies, portaient le nom de Septimontiurn, auraient formé rager romanus, divisé plus tard, par Servius, entre les tribus locales 5. La ville fut en outre partagée de bonne heure en quatre quartiers (regiones) appelés : Suburrana, Exquilina, Coltina et Palatina. Le Capitole ne figure pas dans cette division, par un motif qu'on ignore ; l'Aventin était encore inhabité, et le Vélabre à l'état de marais 7. Ces quartiers renfermaient l'ancien Septimontinon augmenté chi Viminal et du Quirinal mais n'embrassaient pas encore la banlieue 9. Parmi ces circonscriptions se retrouvait cependant la distinction des trois races primitives qui avaient formé successivement les tribus des Rumines, des Titienses et des Luceres 10. Chacune d'elles se partageait en dix curies, et chacune de ces curies en dix décades ou décuries. Or, chacune des tribus [TRIBUS] avait un territoire propre, non-seulement dans la ville, mais dans la campagne. C'est là, au témoignage de Varron ", la première division de rager romanus. Le territoire de la tribu se divisait ensuite entre les curies. Chaque canton affecté à une curie fut partagé en PAGI 12 qui appartenaient sans doute aux décades ou décuries, et, suivant Walter et Niebuhr, aux gentes 19. En effet, souvent ces papi leur empruntèrent leurs dénominations particulières.
Voyons maintenant comment était organisée légalement la propriété de rager romanus, considéré dans son ensemble. D'après Denys d'Halicarnasse ", on en avait fait primitivement trois parts : la première était affectée à l'entretien de la royauté et du culte public 15; la deuxième (paseuus) servait de pâturage [AGER PUBLICUS]; la troisième constitua la propriété des particuliers, l'ager prtvatus, et c'est elle qui, comme on l'a vu, fut, pour la première tribu, divisée en dix lots répartis entre les dix curies. Chaque lot renfermait deux cents jugera de terre labourable, et s'appelait une centurie (centuriatus ager) parce qu'il était distribué entre cent chefs de famille; ainsi chacun d'eux eut deux arpents [nEREDIUM] 16. Mais faut-il admettre ici l'organisation d'une propriété individuelle véritable remontant à la fondation de Rome? La question est des plus controversées entre les auteurs modernes. Les uns 17 prétendent que l'État s'était réservé le domaine direct sur l'ensemble du territoire, et n'avait concédé aux particuliers qu'un droit de jouissance : mais ce communisme primitif ne s'appuie pas sur des textes assez formels, et ne paraît d'ailleurs nullement conforme aux lois générales de l'histoire. La communauté familiale
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semble beaucoup plus vraisemblable; elle affecte la propriété au culte des ancêtres, et n'en laisse que l'usage à la famille, sous la direction du chef 18. Ce système, conforme à l'organisation sociale qui subsiste depuis quatre mille ans dans l'Inde, s'appuie sur l'origine indo-germanique de la race romaine, et sur un grand nombre d'analogies que présente l'organisation primitive de la société romaine avec les coutumes des Hindous 19, notamment en ce qui concerne la famille et le culte domestique [GENS, FAMILIA, SACRA PBIvATA]. On peut argumenter en ce sens d'un passage de Denys, qui paraît exclure un partage individuel en propriété 20. Nous pensons que la propriété fut répartie par gentes, et le produit seulement divisé entre les individus 21.
Le systèrne de division adopté pour la tribu primitive des Ramnes, et attribué à Rornulus, fut répété lors de l'adjonction des deux autres tribus24; car ou bien elles furent annexées avec leur territoire propre, ou bien elles obtinrent un territoire formé au moyen des terres conquises. Dans tous les cas, l'ager subit la même division en trois grandes parts. On en retrouve des traces à une époque bien postérieure 23 ; et dans la fondation des colonies [COLONIAL la tradition a perpétué le même procédé 20, qui se rattachait sans aucun doute à l'observation de règles et de symboles fondés sur les plus anciennes doctrines religieuses de la race.
L'ager romanus s'étendit successivement par l'effet de la conquête 25. Il est assez difficile d'en noter exactement les progrès dans l'obscurité de l'histoire légendaire des rois de Rome. Si l'on accepte les traditions recueillies par les historiens, dès le temps de Romulus le territoire romain, borné d'abord au Septimontium, s'était agrandi aux dépens des anciennes villes de Tellène, Ficana et Antemnes 26 ; il s'était avancé jusqu'à Festi, sur le domaine d'Albe la Longue. Strabon atteste, en effet 27, qu'on y voyait encore de son temps, à cinq ou six milles du POMOERIUM, une limite où se faisaient les sacrifices des ARVALES. D'après Denys 23, dès le temps de Romulus, rager comprenait en outre, au delà du Tibre, sur le territoire de Véïes, un espace où se trouvaient les septem pagi ensuite revendiqués par Porsenna E9. A part cette pointe, rager romanus formait, au temps de Romulus, un arc dont le Tibre faisait la corde 3°. Mais, ensuite, l'expression ager romanus reçut un sens plus étendu, et comprit tout le territoire qui s'étendait jusqu'aux limites des villes alliées ou ennemies, sans interruption, et autour de Rome comme centre31 Sous Tullus, le territoire d'Albe fut conquis; sous Ancus Martius, si l'on en croit Cicéron32, une partie du territoire des Latins leur fut enlevée, et rager romanus s'étendit jusqu'à la mer d'une part, et de l'autre jusqu'à la Fossa Cluilia, près d'Albe 33. Cette nouvelle limite fut encore reculée par Tarquin l'Ancien aux dépens des Latins et des Sabins ".
18 On peut invoquer en ce sens un passage remarquable de Varron, De re rust. I, 10. Il attribue à Romulus une assignation de deux arpents par chaque chef
de famille, et semble regarder ce lot comme un bien patrimonial inaliénable ; cf.
Floral. Od. II, 15. 19 Gains, II, 55, 157; Du Caurroy, Instit. eupl. II, 13, pr. Voy, l'art. Gaxs. 20 Dionys. II, 7 ; Plut. Romul. 19. 21 Voy. eu ce sens Ber. historia. de droit, t. I, Introd.; dans le sens opposé, Sehsvegler, Bdm. Geoeh. Varr. Ling. lut. V, 55 ; Festus, s. v. Titien;is, et Lucomedi. 23 Walter, 1. 1. 1, p. 29. Lachmanu et lludor f, Berlin, 1843-52. 85 Dion. III, I ; IV, 13 ; Cic. De rep. II, 14,
Le dernier accroissement de Page,parait dû au roi Servius Tullius, qui élargit aussi le pomoerium de la ville °S, et institua une nouvelle division du territoire. En effet, si ;;a cité continua d'être divisée en quatre régions, la campagne fut partagée en vingt-six sections; de là trente circonscriptions ou tribus locales 3° comprenant tous les citoyens, même plébéiens; il conserva dans la campagne la subdivision en pagi, à la tête de chacun desquels était un inagister, comme chaque tribu de la ville avait un curator. Mais la plus importante de ses réformes fut une assignation de terres tirées de l'amer publicus, en faveur des plébéiens 37. Chacun des lots fut de sept jugera par ménage, sans doute à cause de l'accroissement qu'avaient reçu également les lots des anciens citoyens compris dans les tribus originaires. Nous renvoyons, pour les détails, aux articles ACTCAPIUS AGER, AGBARIAE LEGES. Ces innovations supposent une notable extension de l'ancien ager roraanus; il parait avoir atteint la douzième ou treizième borne milliaire de Rome. A l'époque de l'établissement de la république, il ne dépassait pas le quinzième, ou, suivant quelques-uns, le dixhuitième ou vingtième mille 33. Ce territoire, sur lequel excl usivement pouvaient s'accomplir certaines cérémonies religieuses,conserva le nom spécial d'ager romanus. C'est aussi le lieu de remarquer que les tribuns de la plèbe, lesquels ne conservaient leur droit d'INTERCESSIO qu'à Rome et dans le rayon d'un mille 39, étaient tenus de ne pas s'absenter plus d'un jour de Rome, et de ne point coucher à la campagne ; ce qui, en réalité, ne leur permettait pas de s'écarter de l'ager romanus. De même, un dictateur, à cause des auspices, ne pouvait être nommé que sur l'aget' romanus [Ausl'ICIA].
La tradition locale a conservé le nom d'ageo romano à ce territoire à peu près invariablement fixé depuis Servius Tullius 4U. Les domaines réunis plus tard par la conquête à rager publicus, conservèrent, en général, le nom de la cité à laquelle ils avaient été enlevés, qu'ils eussent été divisés, ou bien livrés aux colonies, etc. Ceci nous conduit aux différentes dénominations de rager indiquées par Varron'. On appelait ager peregrinus le territoire habité par des alliés ou sujets de Rome, au delà des limites de l'ager romanus. Parmi ces territoires étaient compris, avec leur nom spécial, ceux des cités latines confédérées avec Rome A2; l'on désignait aussi par un nom particulier celui d'une de ces cités, Gabinus ager, le territoire de Gabies, à cause du traité d'isopolitie fait avec elle par Tarquin le Superbe", et des avantages spéciaux attachés à cette convention, notamment le jus commercii et le jus connubii. Au contraire, on nommait ager llostilis ou hostieus le territoire d'une nation ennemie, sur lequel les féciaux [FETIALES] devaient faire solennellement la déclaration de guerre. Plus tard, il y eut à Rome un champ de ce nom, près du cirque Flaminius et du temple de Bellone, où l'on accomplissait symbolique
Pictor, I, p. 54; Onuph. Panvini, Civit. Rom. éd. 1588; Plut. Numa, 16; Festus, s. v Pectustum Palati. 31 Sigon. De jure ciu. Rom. II; cf. Tit. Liv. III. 3. Tit. Liv. I, 43; Varro, De ling. lat. V, 56; et ap. Non. Marcell. I, 205; Festus, s. v. Urhanas; Becker, Bmn. Ait. II, 1, p. 164 ; Walter, I, § 28. -37 pion. IV, 9, . P, 13 ; Tito Liv. I, 46 ; Zouar. VII, 9.33 Eutrop. I, 8 ; S. August. De cioit. Dei, 111,15 ; Rufus Festus, V ; Ruperti, I, p. 916. 38 TU. Liv. III, 20. 40 Dion. IV, 14 et 15 ; Or
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ment cette cérémonie contre un ennemi trop éloigné ". On appelait aussi ager liberatus, ef,%atus, un champ consacré, en dehors du pomoerium, où se tenaient les augures, avec des formes particulières; car les auspices étaient soumis, sur rager romanos, à des conditions différentes de celles qui pouvaient être observées sur rager hosticus "s. On appelait ager incertus, au point de vue de l'art augural, le territoire dont l'attribution à une des catégories précédentes n'était pas bien déterminée [AUGURES]. On nommait ager Palerons, Campanus,Praenestinus,le territoire des diverses cités de ce nom; ager Latinus, celui des villes latines longtemps confédérées avec Rome avant d'être sujettes 46. G. HUMBERT.