Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ERANOS

ERANOS (°Epavos). Ce mot se rencontre pour la première fois dans l'Odyssée, où il désigne une espèce de repas opposée à y«u.oç (repas de noces) et à, eiaxa(vr, (festin de réjouissances) '. Les commentateurs nous apprennent qu'il faut entendre par là un banquet amical à frais communs 2, et ils dérivent le mot de la racine 4», aimera. L'usage de ces banquets, recommandés par Hésiode' pour des raisons économiques, se retrouve à toutes les périodes de l'hellénisme, mais sous d'au 6é asv, «ne, a7tup(ioç, Cet?) xttrrfoç. Les trois premières expressions s'emploient quand chaque convive paye son écot en argent, les deux dernières quand il l'apporte en nature, dans une corbeille : c'est là le véritable piquenique, dont une variété consistait à aller manger ensemble du poisson frais au bord de la mer (779P «xr Saï'rcvov, «xt«;etv'). Ce sujet a déjà été suffisamment étudié [coENA, I, p. 1272J. Du sens primitif « repas amical à frais communs », on peut dériver les trois significations qu'on trouve pour Ipxvo; dans la littérature post-homérique. 1° lpavoç signifie chez les poètes un repas somptueux in genere, un festins. épxvoç désigne une association permanente de personnes, formée par l'amitié et pour le plaisir, qui se réunissent à des intervalles périodiques pour célébrer un repas commun. L'association vit du revenu de ses capitaux placés, et des cotisations, ordinairement mensuelles, de ses membres. Ceux-ci s'appellent ipxvto'au(, 7tÀt ptraui (payeurs), la cotisation (pop«, eiapop«, quelquefois Épavos, le président lpav«prIg ou «pytepxvta'r$;. On comprend sans peine par quel enchaînement d'idées le nom du repas commun a passé à l'association elle-même qui avait ce repas, sinon pour objet unique, du moins pour manifestation principale; on trouverait facilement des parallèles modernes au nom comme à la chose (Dîner celtique, Dîner de la Pomme). Les Epavot existaient déjà à l'époque attique'; mais ils se multiplient surtout aux époques macédonienne et romaine. Sous une étiquette et des formes communes, ils cachent alors des programmes très variés : associations politiques, associations de bienfaisance, etc. Un caractère général, qui les distingue des sociétés modernes analogues, est le rôle important que joue la religion dans leur organisation et leur fonctionnement; c'est pourquoi nous renvoyons pour l'étude détaillée de ces sociétés à l'article THIASOI thiases et éranes sont d'ailleurs à peu près identifiés par les auteurs'. 3° âpavoç signifie un prêt d'argent gratuit fait par plusieurs personnes qui se cotisent en faveur d'un ami commun. Des trois éléments de l'îpcevos primitif cotisation, amitié, repas commun il ne subsiste ici que les deux premiers; aussi cette forme de l'4xvos paraît-elle la plus récente de toutes; elle est probablement dérivée de la seconde, car il y a une sorte d'association plus ou moins étroite entre des coprêteurs. C'est ce qui explique qu'on rencontre en matière d'éranos-prêt plusieurs expressions techniques empruntées à l'éranos-société et détournées de leur signification étymologique. Chez les anciens, la confusion n'était que dans le langage ; chez les commentateurs modernes, elle a trop souvent envahi les idées. Tâchons de l'éviter en analysant de près les termes de notre définition. Nature de l'éranos. L'éranos, avons-nous dit, est un prêt d'argent gratuit. En effet, le mot est constamment accouplé avec celui de dette (xpe1;), les ip7eai sv'reç ou Dans tous les exemples connus, en outre, il s'agit de prêts d'argent; les sommes sont assez fortes et s'expriment toujours en nombres ronds : vingt mines", trente mines i2, quarante mines 13, deux talents'', etc. La différence essentielle entre le prêt d'argent ordinaire, Savetaµ6ç, et l'éranos, c'est que l'un est intéressé et l'autre gratuit. 11 ne faut pas entendre par là que l'emprunteur de l'éranos soit dispensé du remboursement (nous verrons tout à l'heure quelles facilités lui sont accordées à cet égard), mais s'il doit le capital, il est dispensé du payement de tous intérêts. Ce privilège, si l'on tient compte des usages grecs où le taux ordinaire de l'intérêt dépassait 1`2 p. 100, équivalait à une véritable libéralité ; aussi ne faut-il pas s'étonner de voir l'éranos qualifié quelquefois de don (Swpe)t6. Il est même possible que sous la forme de l'éranos se dissimulât quelquefois un présent véritable; cela pouvait être une manière de sauver les apparences ou de ménager l'amour-propre d'un ami nécessiteux. L'absence d'intérêts dans l'éranos n'est indiquée nulle part en termes formels; mais elle résulte tout aussi certainement du silence des documentsf6. C'est la reconnaissance qui tient ou doit tenir lieu d'intérêts. Lorsque les amis de l'Esprit chagrin se sont cotisés en sa faveur et qu'on le félicite du succès de son éranos : « Comment, répond-il, voulez-vous que je me réjouisse quand je pense que je dois rendre cet argent à ceux qui me l'ont prêté et que par-dessus le marché je leur devrai de la reconnaissance pour leur bienfait (xépty b:pei),ety càç e'itip'1 sY1ji.l ov) f1? » Il est impossible de marquer plus nettement :1° que l'emprunteur s'engage au remboursement du capital; 22 que pour tout intérêt il doit de la gratitude. Ainsi l'éranos était considéré comme un service, et même comme le service par excellence, si bien que, dans la langue attique, qui n'avait pas de terme bien propre pour exprimer l'idée de service distinguée de celle de bienfait, ce l'ut le mot épxvo; qui, en vertu d'une métonymie courante, finit par être consacré à cet usage; on trouve, dès le ve siècle, des exemples de cet emploi figuratif, d'où l'on ne saurait tirer d'ailleurs aucune conséquence juridique ie. Constitution de l'éranos. Les circonstances qui pou ERA. 806 ER,l vaient donner lieu à la formation d'un éranos étaient fort variées; elles se résument presque toutes en un besoin pressant. Tantôt i1 s'agit de payer la rançon d'un captif, pris par les ennemis ou par les pirates '°, tantôt de racheter une esclave 20, de doter une fille sans fortune" ou de satisfaire des créanciers implacables". Eudoxe de Cnide réunit un épavo; avant de partir en voyage ; Aristonicos pour rembourser au Trésor une dette qui lui avait valu I'alimie24. Dans certains cas, surtout lorsque plusieurs emprunteurs sont associés, il semble que l'éranos n'ait eu d'autre objet que de leur fournir les capitaux nécessaires à l'exercice de leur industrie ou de Ieur commerce. L'éranos se rapproche alors de notre commandite, toujours avec cette différence essentielle que les commanditaires éranistes n'ont droit ni à l'intérêt de leurs avances ni à une part des bénéfices, mais seulement au remboursement du principal. C'était évidemment une manière très commode de se procurer de l'argent, mais elle n'était pas à la portée de tout le monde. Les personnes qui figurent dans la conclusion d'un ipavoç sont d'une part l'emprunteur, 6 ipavtSdpevoç (et éventuellement ses associés ou ses cautions), d'autre part les prêteurs oi ipav(ovTEç (plus rarement, par une métaphore empruntée à l'éranos-société, oi 72)t'gptoTai 20, ou même UzvtuTai). Nous disons les prêteurs, car en principe ils étaient plusieurs, de manière à diminuer la perte éventuelle résultant de l'insolvabilité de l'emprunteur. Sans doute il pouvait arriver et il arrivait qu'il n'y eût qu'un seul prêteur, mais en ce cas les textes d'époque classique évitent de se servir du terme 4avoç26 ; on le trouve, au contraire, dans une inscription d'époque macédonienne 27, où il s'agit d'un prêt gratuit fait à une cité. Une autre espèce particulière est celle ou, parmi plusieurs coprêteurs simultanés, les uns prêtent à intérêt, les autres gratuitement : l'opération prend alors le caractère d'un Savoio1 é; par rapport aux premiers et d'un Epavo; par rapport aux seconds 28. Quelquefois tous les ip«vl~osrr participent au prêt pour une part égale : c'est ainsi qu'une inscription de Myconos mentionne un Épavoç 7taTazoatdèpaX.p.oç, c'est-à-dire divisé en parts de cinq cents drachmes chacune 29. D'autres fois les cotisations (Eiecopai) sont proportionnées aux facultés de chacun30 Si la pluralité était la règle pour les prêteurs, elle était l'exception pour les emprunteurs. Elle se rencontre cependant assez fréquemment dans les inscriptions, Dans l'inscription de Myconos déjà citée, l'éranos a été réuni par Alexie] ès, qui a pour codébiteur Callistagoras : c'est ainsi que nous traduisons les mots et pnu ion Eanatacayôpa; 3t De même, dans une inscription de Delphes. il est question d'un éranos réuni par Amynéas et dontla moitié évoua)32. Comme Callixénos impose à son affranchi le rem boursement de sa part de l'éranos, il est plus que probable qu'il y figurait comme codébiteur ; c'est ce qui résulte de l'analogie avec les cas où, au lieu d'un éranos, c'est une dette ordinaire, naturelle ou civile de son patron, que l'affranchi est chargé d'acquitter. Dans un autre texte, il est question formellement d'un êpzvo; contracté par deux emprunteurs conjoints, Athambos et Evagoras33 A côté du débiteur principal, nous voyons nommer 1 expressément une fois dans une inscription de Delphes laTxâaç) 34. A défaut de payement par le débiteur principal dans les délais fixés, c'est contre la caution que se retournent les créanciers; aussi voyons-nous Iatadas imposer à son affranchi l'acquittement de son obligation devenue sans doute effective par l'insolvabilité de Bromios. Le cautionnement de l'éranos parait avoir été très ordinaire; il est également attesté à Amorgos par une inscription", et à Athènes par le titre d'un plaidoyer de Lysias, chez Harpocration, 7mEpi iyyégç tpdeou33. épavov,ipavi EaBru(repospimmiv),quelquefoislzop,oaowriv,auvy«yern (à Delphes); on trouve aussi, mais rarement, ipusiyUto 37 (aRouç ou erapà yiAot;). En parlant des prêteurs on emploie Ordinairement c'est ['emprunteur lui-même qui fait la tournée de ses amis et connaissances pour mettre à contribution leur bonne volonté. Ce râle de quémandeur était peu enviable ; il fallait s'attendre à des rebuffades, à des humiliations. On peut lire chez les orateurs, les poètes comiques, les moralistes, des scènes détachées de cette éternelle comédie de ï « ami besoigneux mm. Voici Nééra réduite à battre le rappel parmi ses anciens amants pour se racheter de la servitude; voici Nicostrate qui, deux fois de suite, à peu de jours d'intervalle, vient, les larmes aux yeux, solliciter son voisin Apollodore 39 ; voici Lamachos et Coesyras, paniers percés, emprunteurs de profession, que leurs amis accueillent par un va-t'en cordial « comme un passant sur lequel on menace de vider, le soir, les eaux ménagères00n. Plus loin c'est l'avaricieux qui, à la vue d'un ami en tournée d'éranos, s'écarte du chemin et rentre chez Iui par un détour" ; le brutal qui refuse d'abord, puis s'exécute de mauvaise grâce en ajoutant : « Je le compte perdu»" ; le parasite qui, sollicité par son amphitryon de la veille, ruiné à son tour, lui offre, pour toute réponse, une corde pour se pendreA3. Ajoutons toutefois que les Athéniens du Ive siècle ne paraissent pas, en général, avoir eu le coeur trop dur ni les cordons de la bourse trop serrés; on donnait volontiers, par amitié, par calcul, par ostentation. Il était bien porté d'avoir participé à beaucoup d'émues, ou d'avoir aidé beaucoup d'emprunteurs d'éranes à se libérer, auvitaam)Ea3at ip«vou; ; on se faisait honneur de ce genre de services ERA 807 ERA comme d'avoir rempli beaucoup de liturgies". Une autre manière d'assister un ami tombé dans le besoin, c'était de lui épargner les démarches et les affronts en se chargeant de réunir pour lui la collecte : c'est ce qu'on appelait nui r«v«t ipavov ; Épaminondas et Démosthène se distinguèrent par ce genre de bienfaisance délicate, approprié à leur fortune médiocre". Nous ne savons rien de précis sur les formes légales de l'ipavo;. Il paraît conforme aux habitudes grecques, surtout attiques, de supposer qu'on dressait un instrument écrit, utile comme preuve, pour fixer le point de départ et les termes du remboursement ainsi que la quote-part due à chacun des bienfaiteurs. Remboursement de l'éranos. On a déjà vu qu'en principe le capital de l'éranos devait être remboursé à chacun des ipavtrouTE;, suivant sa part et portion. Rembourser le capital se disait èv oSovvat 4e, plus ordinairement éxaépety, xare?éonis", ôta?épnty 48 ipavov; ces verbes qui s'opposent à sin?épEty sont surtout employés à l'aoriste. Ne pas s'acquitter se disait ?aé ntv Fpxvovie. L'époque et le mode de remboursement étaient sans doute stipulés dans l'acte constitutif de l'éranos; quelquefois peut-être on s'en remettait à la bonne foi de l'emprunteur ; il rembourserait quand il pourrait, quand ses affaires se seraient améliorées. En règle générale il paraît que le payement devait se faire par annuités : nouvelle et importante différence entre l'éranos et le Sxvntaud; ordinaire. Ces versements partiels s'appelaient toopat, xarrs s).at 50 ; laisser un payement en souffrance, ix),trrsiv -n )y ?opxv 61 Une inscription mentionne un ipavo; de treize mines remboursable par treize annuités d'une mine 5'. Dans un autre cas l'annuité n'est que d'une demi-mine 5'. Des actions dites ipavixul Stxat. Platon, pénétré du caractère de bienveillance, d'affection qui doit dominer en matière d'éranos, ne veut pas admettre de procès relatifs à. des actes de ce genre ". C'est là, il semble, un des nombreux cas où le législateur philosophe, au lieu de s'inspirer des dispositions des législations positives, s'en écarte au contraire de propos délibéré. Il est certain, en effet, que, dans plusieurs États de la Grèce, les demandes en recouvrement d'éranos pouvaient être portées en justice. A Myconos, l'expression technique pour « réclamer, faire rentrer sapart d'un éranos » était ela7rpâTTnty Ela?opxv, et cette expression paraît bien impliquer la possibilité d'une action légale; le droit du créancier éraniste était si bien considéré comme une partie de son patrimoine qu'il pouvaitle constituer en dot ". A Delphes, à Amorgos, la présence d'une caution suffit pour attester le caractère légal de l'obligation engendrée par l'éranos. De même qu'à Myconos on transmet l'obligation active, à Delphes nous voyons l'obligation passive transférée à un tiers ; le codébiteur éraniste, la caution affranchit un esclave à la condition qu'il travaille jusqu'à ce qu'il ait acquitté la dette de son maître 58. Enfin, en Achaie, à l'époque romaine, nous voyons Critolaos, lorsqu'il veut suspendre l'action de la justice, engager les juges en même temps à refuser toute action aux créanciers contre leurs débiteurs, et à laisser les éranes en souffrance En était-il de même à Athènes? ou au contraire la dette née de l'éranos n'y était-elle considérée que comme une obligation naturelle, non susceptible d'être poursuivie par les voies de droit? Quoique cette opinion ait été soutenue, nous la croyons dénuée de fondement. De multiples indices prouvent qu'à Athènes, comme ailleurs, l'érano,e engendrait une véritable obligation civile. En effet : 1° nous trouvons appliqués à ces obligations les termes ôgar,N.« (dette), niarrpoiTTEty (poursuivre le recouvrement) qui impliquent une action légale 58 ; 2° nous avons déjà vu que l'éranos attique pouvait être cautionné ; or, jusqu'à preuve du contraire, nous n'admettons pas, en droit grec, le cautionnement d'une obligation purement naturelle; 3° l'acheteur d'un fonds de commerce qui s'est engagé, par une clause spéciale du contrat, à supporter les dettes garanties par le fonds, devient en même temps responsable des éranes". Concluons-en que les icavtxai Stxat, mentionnées par les auteurs, peuvent et doivent être entendues, sinon exclusivement, du moins principalement, des actions intentées en matières d'éranosprêt. Au Ive siècle elles étaient rangées au nombre des affaires privilégiées [EMSÉNOI DIKAI] qui devaient être tranchées dans le délai de trente jours et qui ressortissaient à la juridiction préparatoire des Eiaayc»yei; so Ce privilège s'explique à la fois par la nature « favorable de l'éranos et par le fait que les ipavtxal Uxat devaient avoir surtout pour objet le recouvrement d'une des annuités par lesquelles s'effectuait le remboursement des épavot. On remarquera d'ailleurs dans la liste des Euulvot ôtxat plusieurs actions nées de contrats qui offrent avec l'Épavo; une singulière analogie. Ajoutons qu'il est possible et même probable que les contestations relatives aux éranes-sociétés (plaintes contre un administrateur infidèle, contre un souscripteur en retard de sa cotisation, etc.), jouissaient du même privilège que les autres ipavixal Lest. La loi de Solon, qui avait donné force de loi à tous les règlements de sociétés de ce genre, dès qu'ils n'offrarent rien de contraire aux lois de l'État, servait de fondement suffisant à des actions légalestl, et nous voyons que le ),dyo; épavixd; de Dinarque avait été prononcé dans une affaire d'éranos-société. Quant à l'ipavtxô; véoo;, qui n'est mentionné que par Pollux, faut-il y voir une loi d'État relative aux éranes, ou bien plutôt le nom technique des règlements des éranes-sociétés qui sont appelés, dans une inscription s2,vo(aot ipavta'mv? Nous inclinerions vers cette seconde explication. Dans cette étude de l'éranos civil, nous avons laissé de côté, à dessein, la théorie qui introduit dans cette institution l'idée de réciprocité, en d'autres termes, qui considère l'éranos-prêt comme accessible aux seuls membres d'une société permanente de secours mutuels. Cette théorie qui repose, en dernière analyse, sur une confusion entre l'éranos-prêt et l'éranos-société, paraît abandonnée par ceux-là même qui l'ont soutenue en dernier lieu; les seuls textes qu'elle invoque, ou pourrait invoquer 63, ne sont que des paraphrases plus ou moins éloquentes de l'adage plus consolant que vrai « Un bienfait n'est jamais perdu»; mais il suffit de lire le plaidoyer Contre Nicostrate pour constater que la gratitude et son expression la plus tangible, la réciprocité des services, n'étaient inscrites ni dans les lois, ni même toujours dans les moeurs athéniennes. TH. REINACH. et fondateur dont le nom tient une place importante dans l'histoire fabuleuse des commencements d'Athènes. L'identité originaire d'Ére chthée et d'Érichthonius ne saurait faire de doute ; une inscription nous a gardé la forme intermédiaire de 'E la complexité des traditions assez vagues et leurs contradictions qui ont fait peu à peu distinguer Érichthonius d'Érechtheus et admettre deux héros ayant porté ce dernier nom 2. La distinction fut établie d'abord par Pindare et par l'auteur anonyme d'une .Danaïs 3. Platon, parlant de personnalités semi-historiques dont les noms seuls ont survécu, cite dans l'ordre suivant : Cécrops, Érechthée, Érichthonius et Érysichthon4. En même temps que les noms se distinguent, les personnalités se précisent à travers les âges et prennent une signification en rapport avec les idées des temps qui leur accordent une attention particulière. Homère ne connaît encore que Érechthée 6; il est pour lui un fils de la Terre, favori d'Athéna qui l'a associé au culte dont elle est l'objet sur l'Acropole. Athènes même est appelée S-quoç 'Euz.O-'tioç et le temple de l'Acropole, où se rend la déesse, est la «demeure fortifiée d'Érechthée » 6. C'est à dire que, à côté de CÉCROPS, considéré tantôt comme son aïeul et tantôt comme son descendant, Érechthée-Érichthonius est le véritable éponyme d'Athènes 7. Les traditions postérieures ont mis de l'ordre dans la généalogie fort confuse de ces héros. Érichthonius, sous la forme symbolique du serpent gar dieu du temple d'Athéna (oîxoapbç ôp:ç "), est tantôt le fils issu de l'amour avorté de Héphaistos pour Athéna tantôt le fils d'Héphaistos et d'Atthis, la fille de Cranaosi6 ; il est confié d'abord aux CÉCROPIDES, puis élevé par Athéna. Le mythe de la naissance d'Érichthonius figure sur un certain nombre de monuments, de vases peints et de terres cuites. A ceux qui ont été reproduits dans les articles cités, nous ajoutons une peinture d'un vase attique (fig. 2'766) où l'on voit les Cécropides fuyant à l'aspect d'Érichthonius et des serpents, ses gardiens, qui se dressent hors de la ciste où ils étaient enfermés t1. Érechthée, en tant qu'il se distingue de ce héros, est ou un fils de Pandion et de Zeuxippe ou un rejeton d'Érichthonius 12 ; il est comme Cécrops, en sa qualité de fils de la Terre, représenté sous la forme double de l'homme et du serpent, forme qui, dans la légende et dans l'art, sert à caractériser les héros autochthone s' 3. Le sens premier du mythe d'ÉrechthéeÉrechthonius et des Cécropides est agricole; le héros joue, par rapport à Athéna, divinité tutélaire 3e l'Acropole, le rôle que Triptolème joue auprès de Déméter Éleusis. Son nom même indique qu'il personnifie le sol fertile; il a pour frère Butés, le bouvier divin dont la race se continue dans les Étéobutades, les prêtres attitrés du culte d'Athéna et de Poseidon sur l'Acropole''. Il est du reste associé à la lutte célèbre qui met aux prises ces deux divinités pour la suprématie à Athènesf6. La source salée que Poseidon fit jaillir du rocher de l'Acropole était appelé 'EpuyG,Ilç 00,0=216, et Poseidon y était invoqué sous le vocable de 'Epeyieôg f7. Il semble que dans la personnalité d'Érechthée se soient confondues les deux forces qui, hostiles d'abord, ont, par leur union, fait la puissance d'Athènes : l'agriculture et la marine. Érechthée a le principal rôle dans la lutte contre Éleusis; c'est lui qui triomphe d'Eumolpus, roi de cette bourgade et qui constitue, sous sa première forme, l'unité religieuse et politique des dèmes jusqu'alors rivaux'". Au temps de la guerre du Péloponnèse, le mythe reçut des poètes une expression patriotique ; ,ce fut surtout l'oeuvre d'Euripide, dont la tragédie d'Erechthée a beaucoup ajouté au mythe primitif. Le discours de Lycurgue, Contre Léocrate, en a accentué le sens généreux et patrio ERE 809 ERE tique 10. C'est en sacrifiant une de ses filles, ce qui entraîne le suicide des autres, que Érechthée obtient la victoire sur Eumolpus. Un groupe d'airain, érigé sur l'Acropole, consacrait l'épisode de la lutte des deux rois 20. Les filles d'Érechthée étaient vénérées, à proximité du temple d'Athéna Polias, monument qui, jusqu'à Pisistrate, fut l'unique sanctuaire d'Athéna surl'Acropole2f.On les invoquait sous le nom de 7capO vol, de EUyo6 Tpt1t pOEvov, sous celui de Hyades qui laisse transparaître une fois de plus le sens météorologique et agricole du mythe d'Athéna dans ses rapports avec Érechthée. L'épisode du sacrifice d'une fille pour le salut d'Athènes se retrouve, d'ailleurs, avec d'autres traits semblables, dans la légende des Cécropides. A la suite de cette guerre, Érechthée périt sous les coups de Poseidon vengeant le meurtre de son fils Eumolpus, ou, à la prière de Poseidon, frappé de la foudre par Zeus". Il est enseveli à l'endroit même où Athéna possède son temple et associé comme auvvaus aux honneurs qu'elle y obtient. Homère parle des sacrifices annuels de taureaux et d'agneaux qui lui sont immolés n ; ces sacrifices subsistaient encore au temps de Pausanias24. Les Épidauriens, ayant demandé aux Athéniens du bois d'olivier pour leurs statues divines, n'obtiennent cette faveur qu'à la condition d'offrir chaque année un sacrifice à Athéna Polias et à Érechthée 26. Érechtheus-Érichthonius était considéré comme le fondateur de la fête des Panathénées 26 ; on lui attribuait l'invention de la course des chars. Le premier il aurait figuré dans ces fêtes comme 7capaPT°t'iç ou âleoTr;c [DESULTOR]. Le scholiaste d'Aristide fait mention d'une peinture conservée à l'Érechthéion, qui montrait le héros dans l'exercice de cette fonction27. Il se peut qu'un basrelief, trouvé à l'entrée de l'Acropole il y a une dizaine d'années et représentant un apobate, doive être considéré comme une image d'Érechthée n. On voyait d'ailleurs sur l'Agora une statue du héros en airain, oeuvre de Myron"; Phidias en avait élevé une autre à Delphes avec le produit du butin de Marathon30. La grande popularité d'Érechthée au lendemain des guerres Médiques est attestée en outre par des textes de Platon et d'Isocrate n, Il convient de mentionner deux traditions, dont l'une fait d'Érechthée un Égyptien qui obtint la royauté d'Athènes, parce qu'il y avait apporté, au temps d'une famine, la culture du blé 32 ; l'autre le représente comme un fils de la Némésis de Rhamnonte 33. J.-A. HILO.