Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article EXEDRA

EXEDRA Le mot est employé par les Grecs avec son sens étymologique de siège extérieur, ou plus généralement siège. C'est ainsi qu'Hérodote appelle 71-poEsôpil ce n'est là qu'une variante du mot usuel aôpa --le siège de marbre blanc que Xerxès fit installer sur le promontoire d'Abydos, afin d'assister au défilé de son armée', mais c'est là un usage du mot très rare, et pour ainsi dire exceptionnel'. Le sens le plus fréquent, en Grèce comme à Rome, est celui de salle de conversation munie de sièges, un parloir ou un salon. C'est le sens formel que donne Pollux3, et que précise encore une scholie à un vers de l'Anthologie'. De pareils salons se trouvaient dans les maisons particulières ou les palais, et dans certains monuments publics. Il est très difficile, quand on étudie le plan d'une maison grecque ou romaine, de fixer exactement l'emplacement de l'exèdre. Il pouvait du reste y en avoir plusieurs'. Dans l'habitation de l'époque homérique, telle qu'on a pu la reconstituer d'après l'Iliade et l'Odyssée, Homère n'ayant pas employé le mot E.éôpa, il est impossible de placer une exèdre'. Dans le palais de Tirynthe, plus d'une salle de la partie réservée aux hommes, autour de la cour ou du foyer, pouvait servir d'exèdre, mais il serait téméraire d'attribuer ce nom plutôt à l'une qu'à l'autre 7. Dans la maison athénienne, telle que l'on a pu la reconstituer d'après les textes de Platon, de Xénophon et de Lysias, c'est-à-dire la maison riche, on a coutume de désigner comme l'exèdre la pièce principale qui s'ouvre au fond du péristyle, en face de la porte d'entrée : c'est l'«vôp âav qui devient l'i iip , comme le dit positivement Pollux'. Nous reconnaîtrions volontiers une exèdre dans la vaste salle qui se trouve à droite de la grande cour intérieure du palais de Palatitza. Elle est particulière' ment belle, avec son dallage et son portique de quatro colonnes donnant sur l'extérieur, et semble bien appropriée aux réceptions'. Mais c'est surtout à Rome, dès que l'influence grecque se fit sentir dans la construction des maisons comme en toutes choses, que l'on entend parler d'exèdres, et que les riches citoyens, à la ville comme à la campagne, aiment à posséder de pareils salons. Cicéron les désigne clairement comme des salles de conversation10 ; dans sa maison de Tusculum, il nous apprend qu'il a fait construire une petite exèdre (i i prov) le long du portique, et qu'il veut la faire décorer de tableaux". Nous savons du reste par lui-même que l'on aimait, dans les exèdres, à trouver toutes ses aises, par exemple des divans pour faire la sieste" Vitruve a donné quelques conseils pour la construction des exèdres; il recommande que, de même que les ceci, les exèdres aient la forme carrée, soient très vastes, et deux fois plus hautes que larges13. Mais ce sont là, on le comprend, des indications purement théoriques. L'examen des maisons de Pompéi prouve que les exèdres pouvaient varier d'emplacement et de disposition. A la maison de Pansa, par exemple, on veut reconnaître l'exèdre dans la salle qui se trouve entre le péristyle et le xyste. Cette salle, plus profonde que large (1'im,40 sur le ,35), est surélevée de deux marches, et deux fB vastes baies donnent accès l'une sur le péristyle, l'autre surie jardin ''^. L'exèdre de la maison de Méléagre (fig. 2852 -. n'est pas dans l'axe du péristyle (à cet endroit se trouve un cecus corinthien) mais contigu à cet cecus, à gauche (E). « La décoration, dit E. Breton, en était d'une grande richesse. Le pavé est une jolie mosaïque formant des carreaux hexagones blancs encadrés de noir. Le soubassement des murailles présente, sur fond noir, plusieurs divinités marines couchées sur des monstres ; de jeunes télamons, posés sur un genou, semblent soutenir la plinthe; au-dessous, sur fond bleu, sont plusieurs figures isolées, un hermaphrodite, des bacchantes et des néréides sur des hippocampes. » Le sujet principal, Marsyas et Olympos, qui ornait le fond de la pièce, est presque entièrement détruit15 ; de l'autre côté de l'recus est une autre pièce plus petite, mais offrant la même disposition. On peut citer encore, comme particulièrement remarquables à Pompéi, l'exèdre de la maison du Labyrinthe 1G qui est, comme dans celle de Méléagre, contiguë III. à un meus corinthien, celles des maisons d'Ilolconius" et de Siricus f9. L'exèdre de la maison du Faune (fig. 2853, E) dont le frontispice était soutenu par deux colonnes corinthiennes et deux pilastres peints en rouge, ouvrait sur le xyste par une baie si vaste qu'elle semblait occuper tout le côté postérieur de la pièce. C'est là que fut trouvée, le 24 octobre 1831, la célèbre mosaïque représentant un combat entre les Grecs et les Perses '9. Ces exemples suffisent à montrer que ni l'emplacement, ni la disposition, ni la décoration des exèdres n'étaient soumis à des règles ; la fantaisie de l'architecte et du propriétaire de la maison gardaient ici toute leur liberté. A ce propos, il est curieux de rappeler l'emploi que Varron a fait du mot exèdre ; il appelle ainsi une volière superbe construite dans le péristyle d'une riche villa. Le nom d'exèdre ne peut avoir, en ce passage, qu'un sens extrêmement général, celui de salle, de chambre2e Il y avait des exèdres dans quelques monuments publics. Vitruve recommande que dans la palestre soient construites « des exèdres spacieuses où puissent s'asseoir pour discuter les philosophes, les orateurs, et tous ceux qui aiment l'étude 21 ». Ce sont là certainement des salles différentes de celle qu'il voulait qu'on réservât aux éphèbes, l'ephebeum, qu'il définit ainsi : exedra amplissima cum sedibus, quae tertia parte longior sit quam lata22. Mais rien ne nous indique dans quelle partie de l'édifice devaient être situées ces différentes pièces 22. Comme on le voit, d'après les deux textes de l'architecte romain, le mot exedra avait à peu près perdu pour les Latins toute signification bien précise; il signifiait simplement une chambre avec des sièges. C'est pour cela que M. Nissen, qui veut reconnaître une palestre dans l'édifice pompéien vulgairement appelé le tribunal ou Curia Isiaca, a pu hésiter à reconnaître l'exèdre, et songer à trois salles différentes24. M. Fougères a récemment déblayé la palestre de Dé los, dans la partie nord-ouest de l'île. Il y a, dans le plan qu'il a dressé 25, plusieurs exèdres (fig. 2854). « D'abord 111 E 882 -EXE trient mens le portique nord) une chambre quadrangulaire (À) de 7`°,112 de large sur fm,20 de profondeur. A l'inté.rieur, elle était garnie d'une ligne de sièges en marbre blanc, dont une partie est encore en place. Elle s'ouvrait du côté de la cour sur le péristyle. Deux pilastres adossés aux antes et deux colonnes au milieu en composaient l'entrée. Nous avons retrouve avec les sièges le seuil de marbre blanc, la base d'un des pilastres, reconnu l'empreinte des deux colonnes et celle de l'autre pilier, avec [es trous descellement des unes et des autres ; cette chambre était une exèdre ois pouvaient entrer librement et s'asseoir pour converser les oisifs et les savants, ainsi nue le demande Vitruve. Ensuite se présente une autre pièce oblongue, de 20m,30 de longueur sur 7m,35 de profondeur (13). Le mur du fond est en saillie sur celui de la chambre précédente. A l'intérieur, elle est également gambe d'une grande file de sièges en marbre blanc, encore en place sur leurs supports, mais qui ne portent pas d'inscription. Cette pièce s'ouvrait sur le péristyle par une colonnade, peut-être ionique comme à Olympie, comprise entre les deux antes : elle répond, pour la disposition et pour les dimensions, à l'ephebeum de Vitruve. L'assimilation me paraît très vraisemblable, aussi bien que pour Olympie. » Les pièces C, D, E, au sud, ont aussi des sièges qui en font des exèdres. A Olympie, dont il est question, les ruines de la palestre ont été déblayées presque complètement, et le plan de l'édifice est très facile à lire. C'est, comme on le sait, une construction de forme carrée au centre de laquelle se trouve un portique. Tout autour de cette cour, sont disposées des salles de dimensions diverses, dont l'entrée est le plus souvent ornée de colonnes (il n'y avait pas de portes) et dont quelques-unes sont munies de bancs de pierre, courant le long des murs. Ces dernières sont évidemment des exèdres; il y en avait cinq, une très vaste au nord, deux petites et une grande à l'ouest, une moyenne à. l'est G5. Il y a aussi., dans les anciens bains de Pompéi, une ee'dre annexée au préau qui pouvait servir de palestre (voy, t,1", p. 764, n° 5). II est 1 ob bien que les textes nous fassent ici défaut, qu'il ;n.si appeler exèdre la partie munie d sièges des i'tiques, qui était sépares) réellement ou théoriquement de la salle hypostyle, et qui, quelquefois, formait une saillie ronde en dehors de l'édifice ; c'est cette exèdre qui serait devenue l'abside des basiliques romanes, et ensuite le choeur muni de stalles pour le chapitre [ABets, nasisuecj, Ils y avait dans les basiliques quelque chose d'analogue à cette partie du théâtre de Pornpée, que Plutarque appelle Eç f irz, et où s'assemblait ucquefois le sénat, C'est dans cette exèdre, on lie sait, ci .=.e fut assassiné César". El Grecs et les Romains appelaient exèdres de petits .cents indépendants, construits çà et là dans , et qui consistaient essentiellement en un banc plus ou moins ornéo demi-circulaire, C'est dans ce sens que Strabon parle d'une exèdre de marbre blanc qui, sur un sommet avancé du Tmolus, servait d'observatoire 23. Les monuments de ce genre sont très souvent mentionnés par les inscriptions" les citoyens riches aimaient à orner leur ville de ces sièges utiles et gracieux. Les fouilles, dans les pays helléniques et dans les pays romains, ont mis assez fréquemment à jour des ruines d'exèdres. Nous citerons les fouilles de Uélos, ou M. Fauvette a déblayé, sur la terrasse des temples des Dieux étrangers, un édifice demi-circulaire, assez riche, paré d'une belle mosaïque ; une inscription de la mosaïque indique que ce sont là les restes d'une exèdre consacrée par Midas70, Une autre inscription, trouvée près de là, prouve que sur cette même terrasse se trouvait au moins une autre exèdre, dont Antiochos de Tyr avait fait les fraisil. A Pergame a été retrouvée la belle exèdre consa: rée par Attellent II, près du temple de Zeus, et dont M. O. ltaschdorfl' a dessiné une restitution" Mais la plus belle et la plus intéressante des exèdres que nous connaissions en Grèce, est celle d'Hérode Atticus à Olympie. En voici la description, d'après MM. Laloux et Monceaux : a Hérode Atticus détourna les flots d'un affluent de l'Alphee, les amena sur la pente du Kronion par un grand aqueduc qui, de là, put alimenter, par des conduits souterrains ou aériens, tous les monuments situés dans l'enceinte ou hors l'enceinte jusqu'au Léonidaion. Sur la terrasse qui domine le temple de Héra, il creusa le bassin principal, orné d'un taureau de marbre, flanqué en avant de deux édicules ronds à colonnade corinthienne. Derrière le bassin, où l'eau se déversait par des gueules de lion, il bâtit une exèdre, une salle demi-circulaire que couvrait une demi-voûte à caissons et largement ouverte sur un diamètre de 16°,64. Des piliers extérieurs soutenaient l'exèdre que décoraient intérieurement huit pilastres corinthiens. Dans les sept niches qui se creusaient entre les pilastres, on voyait vingt et une statues de marbre dont on a retrouvé un certain nombre et presque toutes les dédicaces, portraits d'Antonin, Marc-Aurèle, Hérode Atticus et les membres de leurs familles, hommes et femmes. Quoique les formes et les dimensions de l'exèdre ne s'accordent guère avec celles des monuments helléniques qui l'entourent, c'est là sans doute la plus belle construction romaine d'Olym » L'exèdre était construite en briques recouvertes de plaques de marbre ; on croit reconnaître les chapiteaux des pilastres dans quelques chapiteaux corinthiens retrouvés en divers endroits de l'Attis et dans les murs d'une petite église byzantine. Hérode Atticus avait consacré ce beau monument au nom de sa femme Régilla33 (fig. 2855), On peut comparer à l'exèdre d'Olympie, pour la disposition sinon pour la beauté, celle qui se trouve assez bien conservée dans ta voie des Tombeaux, à Pompéi, et dont Matois a donné plusieurs vues 3'. C'est 'un hémicycle couvert par une demi-voûte, et dont l'ouverture est décorée de pilastres qui soutiennent un fronton. « La décoration extérieure, dit E. Breton, est d'une grande richesse; les ornements de stuc, les détails d'architecture, s'ils n'étaient du goût le plus pur, étaient du moins traités avec esprit et élégance. Les peintures de l'intérieur étaient d'un meilleur style, et le cul-de-four est en forme de coquille. Au centre du fronton est un cartel destiné à recevoir une inscription qu'on n'eut probablement pas le temps de tracer". » Ajoutons que le fond de la voûte est bleu, que les ornements entre les panneaux sont or sur noir, tandis que le champ de ces panneaux est rouge et que les petits animaux qui le décorent sont peints de leurs couleurs naturelles. L'exèdre est exposée au midi, de telle façon que les rayons du soleil y pénètrent et la remplissent en hiver, et elle est assez profonde pour que, en été, quand ils tombent d'aplomb, on puisse s'y asseoir à l'ombre (fig. 2856). On peut croire que ce monument était l'annexe d'un tombeau, car il y a dans la même rue deux autres exèdres, dont telle est la raison d'être. Elles sont connues sous le nom d'hémicycles de Mami.a" et d'Aulus Velus" et sont à peu près semblables. Elles consistent dans de simples bancs demi-circulaires, qui ne sont abrités par aucune voûte. Ces bancs en pierres de taille sont terminés par des griffes de lions et surmontés d'ailes for-. ment les bras du siège. Le diamètre de l'exèdre de Mamia est de 6 mètres, celui de l'exèdre de Veius est de 7'1,80. L'inscription de la première est gravée eu cercle sur le dossier; celle de la seconde sur un bloc élevé an centre de l'arc formé par le dossier. Il est dit dans l'une et l'autre que l'emplacement a été donné comme lieu de sépulture par décret des décemvirs ; les tombeaux se trouvent en arrière. Mais il ne faudrait pas croire que les exèdres, à Pompéi, n'aient eu que cette destination; il y en avait d'autres en pleine ville ; par exemple, sur le forum triangulaire", le banc en hémicycle, que l'inscription placée au-dessus du siège désigne sous le nom de scola, est une véritable exèdre. P. PARIS.