Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

EXSECUTOR

EXSECUTOR. Ce terme, aussi général en latin que noire mot français « exécuteur», a quelquefois, dans la langue du droit, le sens d'officier commis par les tribunaux pour faire exécuter les décisions de la justice. Il figure avec ce sens dans un passage du Code: exsecv. tores o quocun que indice clati ad exigenda debita ea Tacle civ di ter poscuntur', oit l'on pourrait le traduire par huissier ou un terme analogue. Dans ce sens il a pour synonyme EXSILRJM. GRÈGE. A l'époque primitive, dans la société homérique, l'exil se présente sous deux formes différentes. Il constitue d'abord, avec la peine de mort, le principal moyen de répression contre les crimes politiques; il est alors prononcé par les rois ou le peuple il est certainement perpétuel. En second lieu, en cas d'homicide soit volontaire soit involontaire, la famille du mort ayant le droit et le devoir de venger le sang versé', le meurtrier, pour échapper aux représailles, est obligé de s'exiler pour toute sa vie3, è. moins qu'il ne soit admis à composition'. Le payement de la rançon fait cesser toute poursuite et il ne semble pas qu'il ait en outre besoin d'une purification religieuse2. L'exil, qui prévient les vengeances, qui facilite la réconciliation des familles et l'acceptation de l'indemnité pécuniaire, de la tcotva, est favorisé par les moeurs et la religion. Le fugitif devient sur le sol étranger un suppliant, ixé'cvç qui jouit de la protection spéciale des dieux t. Enfin il est quelquefois question dans les poèmes homériques d'exils volontaires7. Ces caractères de l'exil subsistent, avec quelques modifications, è. l'époque historique. Dans presque toutes les villes grecques il est encore soit inc peine proprement dite pour certains crimes politiques ou de droit commun, soit, en cas d'homicide volontaire, un moyen d'éviter la peine de mort, appliquée maintenant par les tribunaux, soit, en cas d'homicide involontaire, un moyen de donner satisfaction à la famille de la victime C'est pour Athènes que nous avons les renseignements les plus complets. Nous laissons de côté la forme spéciale d'exil qu'on appelle ostracisme9. Voyons d'abord l'exil comme peine. L'exil (quc, e ie(fiu-yix) est formelle ment prononcé par la loi : P contre l'auteur de blessures volontaires avec l'intention de donner la mort et vraisemblablement aussi contre celui ou ceux qui l'ont poussé à ce crime 11; 2° contre celui qui mutile ou arrache des oliviers sacrés13; 3e d'après une ancienne loi de Solon, contre quiconque garde une neutralité coupable pendant une guerre civile 83; 45 contre le citoyen qui a reçu ou transporté un banni li, D'après un lexicographe 14, le meurtrier volontaire d'un individu non citoyen" ne serait puni que de l'exil et on pourrait à la rigueur inte'pré ter en ce sens le privilège accordé généralement aux bienfaiteurs étrangers d'Athènes, è. savoir que tout attentat commis sur leur personne doit être puni comme l'attentat commis sur un citoyen 17 ; mais, d'autre part, plusieurs textes assimilent le meurtre de l'esclave à celui du citoyen et il paraît difficile de croire que les Athéniens aient accordé moins de garanties à l'étranger qu'à l'esclave. Il est donc difficile de se prononcer sur ce point. Les délits d'impiété sont frappés des peines les plus diverses 15, de la mort, de l'amende et parfois aussi de l'exil, Protagoras, Stilpon de Mégare et Anaxagore ont été exilés, ce dernier condamné en outre à une amende de cinq talentsm. Les Alcméonides et leurs partisans ont été bannis après l'affaire de Cylon pour violation du droit d'asile31. Les Athéniens ont condamné des citoyens de Délos à l'exil perpétuel pour impiété". L'exil peut, en outre, être employé contre quantité de délits politiques, au lieu de l'amende ou de la mort; le choix de la peine paraît alors être laissé à l'appréciation des tribunaux, ou, du moins, s'ils se règlent sur une classification des délits, nous ne la connaissons pas. La trahison, par exemple, punie généralement de mort, n'entraîne quelquefois que l'exil" ; il en est de même pour le délit de laconisme 34; la peine des sycophantes peut aussi aller exceptionnellement jusqu'à l'exil 12 ainsi les accusateurs de Socrate sont condamnés les uns à l'exil, les autres à la mort 2 Il y a la menace de l'exil comme sanction de certains décrets du peuple contre quiconque proposerait de les modifier de C'est probable EXS 941 EXS ment en vue des délits politiques qu'Athènes se réserve le droit de prononcer les sentences d'exil, dans un traité conclu avec Chalcis28. Enfin, d'une manière générale, l'exil est une arme entre les mains des partis qui s'en servent pour éloigner leurs adversaires. Chaque révolution amène des bannissements en masse. C'est ce qui se passe après la tentative de Cylon, après la défaite des Pisistratides, à l'époque de la tyrannie des QuatreCents, des Trente 29. On peut se demander si le banni avait le droit d'emmener sa famille ; plusieurs textes " font croire que dans certains cas elle ne pouvait légalement le suivre. Plusieurs rhéteurs grecs citent une loi athénienne condamnant au bannissement la descendance des traîtres 31. Il n'y a jamais eu à Athènes de loi de ce genre. Le plus souvent il n'y a que l'atimie qui soit étendue aux enfants des condamnés 32, mais l'exil peut quelquefois les atteindre ; ainsi tous les Alcméonides ont été bannis33; Démosthène loue les Athéniens de n'avoir pas exilé les enfants des Trente". En second lieu le meurtrier volontaire peut se soustraire à la peine légale de son crime, à la mort, au moyen de l'exil. La loi l'autorise à quitter le pays, avant le vote des juges, après sa première plaidoirie 35. Il n'y a que le parricide qui ne jouisse pas de cette faveur 39 Démosthène dit que personne ne peut enlever au meurtrier ce droit de fuir ". Il faut cependant admettre une restriction pour les cas qui comportent l'emploi des procédures spéciales appelées â7cx'oy [APACOGÈ] et ÉVÔEtrçtç [ENDEIxIS]. Primitivement le meurtre n'était pas compris dans la liste des crimes (xxxoupT4.xTa.) dont les auteurs pouvaient être arrêtés par apagogè et endeixis38 ; mais peu à peu on l'y a fait entrer et à l'époque de Lysias il suffit dans la pratique qu'il y ait flagrant délit (€7t'xûTOpovy) ou publicité du crime pour que le meurtrier soit immédiatement livré à la justice 39. Il en est de même lorsqu'après le dépôt de la plainte, avant le jugement, il se fait voir sur l'agora ou dans les temples, tous lieux qui lui sont interdits 40. S'il avoue, les Onze le font exécuter immédiatement, sans jugement fit. S'il nie, il est traduit devant le tribunal compétent. A-t-il encore, dans ce cas, le droit de s'exiler après la première plaidoirie ? Il est probable que l'autorité publique, qui s'est emparée du meurtrier, ne le relâche plus et qu'il ne peut échapper au supplice ". On sait que celui qui, ayant été rayé de la liste des citoyens par l'assemblée des démotes, en appelait aux héliastes, s'exposait à être vendu comme esclave s'il n'obtenait pas la réformation du premier jugementk3. Un texte de Démosthène permet de conjecturer qu'on pouvait également prévenir l'application de cette peine par un exil volontaire 4''. Dans tous les cas qu'on vient d'énumérer, l'exil est perpétuel". C'est à tort qu'on a soutenu que, dans le cas de meurtre volontaire, les parents pouvaient en abréger la durée par la réconciliation, par l'x'(SECtç46. Il entraîne toujours l'atimie complète, la confiscation des biens au profit de l'État qui les fait vendre par les 7Lto%A7IToC G7. Mort, le banni ne peut être enterré dans le tombeau de sa famille45. On peut se demander quelle condamnation est, prononcée contre le meurtrier après son départ volontaire. Est-ce l'exil ou la mort ? Le départ équivaut-il à un aveu? ou au contraire peut-il y avoir acquittement si le crime n'est pas démontré. Il est difficile de répondre à ces questions fig. La sentence des juges ratifie probablement l'exil. La situation du meurtrier fugitif avait été réglée par les lois de Dracon. Il doit se tenir en dehors de l'Attique; même sur la terre étrangère, il est exclu des temples, des sacrifices et des jeux publics communs à tous les Grecs. On évite son contact. Ce n'est plus un citoyen, mais un meurtrier, icvlpoylvoç 50. Quiconque le reçoit, le transporte, s'expose au bannissement'". Ces règles s'appliquent également aux autres catégories de bannis, avec cette différence que les condamnés politiques ne tombent pas sous la même réprobation que les meurtriers et ne sont sans doute exclus que de leur pays. Les Athéniens peuvent en outre, à certaines époques, exclure leurs bannis de tout leur empire. Ainsi, dans la deuxième confédération maritime, le territoire de la ligue est fermé aux citoyens bannis pour infraction au pacte fédéral 52. Dans un traité de l'époque de Cimon, Athènes et Erythrée s'interdisent de recevoir leurs bannis ". La vie du banni qui se conforme aux règles prescrites est protégée par la loi qui a voulu interdire la vengeance individuelle. Quiconque le tue ou le fait tuer en dehors des lieux qui lui sont interdits encourt la même peine que s'il avait tué un citoyen ordinaire". Mais le banni qui n'est pas parti avant l'expiration du terme fixé par le jugement ou qui est surpris dans un des lieux interdits peut être tué impunément par tout citoyen ou livré par la voie de l'endeixis ou de 1'apagogè aux archontes thesmothètes qui le font exécuter. Mais il est défendu de le torturer ou de le rançonner sous peine d'une amende égale au double du dommage " Les bannis peuvent rentrer dans l'Attique et recouvrer leur qualité de citoyens grâce à une amnistie. L'amnistie, qu'on ne peut généralement proposer qu'après avoir ob EXS -9442EXS tenu du peuple une lima votée par six mille citoyens", est accordée quelquefois à des condamnés isolés, mais le plus souvent, par une mesure d'intérêt général, à des catégories entières de bannis. Des six grandes amnisties que nous connaissons57, celle de Solon a excepté les homicides de toutes les catégories et les citoyens condamnés pour tentative de tyrannie" ; l'amnistie provoquée par les guerres Médiques et sans doute antérieure à Salamine a compris en particulier les exilés politiques, mais nous ne savons si elle s'est appliquée aux crimes de droit commun rl0 ; l'amnistie proposée par Patroclide lors du siège d'Athènes par Lysandre ne s'est appliquée qu'aux débiteurs du Trésor et a excepté tous les bannis volontaires ou involontaires 80 ; l'amnistie imposée par Lysandre s'est étendue à tous les exilés sans exception 61 ; l'amnistie de 403 a excepté, outre les Trente, et les membres des commissions des Dix et des Onze, les fugitifs, c'est-à-dire probablement les citoyens exilés pour crimes et délits de droit commun"; quant à l'amnistie votée après Chéronée, surtoutpourles citoyens frappés d'atimie, il n'est pas certain qu'elle ait compris les exilés". Les exilés politiques rappelés recouvrent généralement leurs biens u. Si ces biens ont été vendus, la vente étant irrévocable à Athènesu, ils peuvent recevoir à la place une indemnité en argent ou en terres 66 11 faut distinguer de l'exil perpétuel l'exil temporaire qui n'est qu'une sorte de satisfaction donnée aux parents de la victime dans le cas d'homicide involontaire. Il est prononcé par les éphètes, au Palladion, soit contre l'auteur principal, soit contre le complice dans le cas de yeunç ; le coupable n'est pas frappé d'atimie ; il garde la propriété et l'administration de ses biens 67. Nous ne savons pas exactement quelle est la durée légale de cet exil. Les scholiastes, les lexicographes et Platon indiquent une année"; plusieurs déclamations de Sénèque le père et de Quintilien, empruntées à des sources grecques, donnent une durée de cinq ans"; un texte d'Antiphon paraît indiquer un exil d'une longue durée70. Le meurtrier involontaire jouit à l'étranger de la même protection que les autres bannis". Les parents du mort peuvent abréger l'exil72 ou même en dispenser complètement le meurtrier en lui accordant la réconciliation, l'a(leq;ç 73 A la réconciliation est toujours jointe la purification du meurtrier, la xau.pau 74, qui se fait probablement d'après le rituel conservé par la famille sacerdo tale des Eupatrides et dans laquelle la famille des Phytalides joue peut-être un rôle 7J. Enfin on peut rapprocher de l'exil le départ volontaire de citoyens, provoqué par des dissensions politiques, par l'impossibilité ou le refus de payer une amende ou une dette 76, la fuite des coupables ou des accusés avant la dénonciation ou le jugement 77. Ce dernier cas se produit fréquemment, les Athéniens n'usant qu'assez rarement de la prison préventive ; alors, quelquefois le procès n'a pas lieu, et ceux qui sont ainsi partis peuvent rentrer au bout d'un certain temps sans amnistie, mais, le plus souvent, il y a un jugement par contumace et une condamnation 78. Le fugitif est généralement en sûreté à l'étranger. Il n'y a guère que pour les crimes de haute trahison et les attentats politiques que les Athéniens demandent quelquefois l'extradition ou mettent à prix la tête du coupable n. Le meurtrier, qui s'est enfui avant le jugement, jouit même sans doute de la protection légale dont on a vu plus haut les règles et les effets80. Nous sommes mal renseignés sur le caractère et l'application de l'exil à Sparte. Otfried MüllerS7 a prétendu que l'exil n'avait pu être une peine légale dans cette ville parce que l'État interdisait aux citoyens de s'expatrier. Mais ce raisonnement ne prévaut pas contre les exemples que nous avons, Dans plusieurs cas, des citoyens ou des rois traduits en jugement, ou incapables de payer les énormes amendes auxquelles ils ont été condamnés, échappent par l'exil à une peine qui est probablement soit l'emprisonnement, soit la mort. Dans d'autres cas, l'exil est une véritable peine à laquelle se joint la confiscation des biens 82. Puis, à l'époque de la décadence, sous les tyrans, à Sparte comme ailleurs, la guerre civile amène de nombreux exils politiques 8' Dans les autres villes de la Grèce, l'exil offre à peu près le même caractère qu'à Athènes. Nous connaissons surtout l'exil perpétuel qui est partout d'origine très ancienne, puisque la législation de Solon, à Athènes, admet parmi les nouveaux citoyens les exilés des autres villes 84. Il entraîne partout la confiscation des biens 8a. On peut tuer impunément les bannis rentrés sans autorisation 86. La condamnation s'étend quelquefois aux enfants 87. Dans toutes les villes l'exil est l'arme favorite des partis politiques, surtout depuis la guerre du Péloponnèse. 11 joue un rôle considérable, soit dans les guerres entre États, soit dans les discordes civiles, dans les luttes entre l'aristocratie et la démocratie 88Sparte, Athènes, Thèbes expulsent à tour de rôle leurs adversaires dans les villes conquises ou sujettes"; à Thèbes chaque péripétie de la guerre avec Sparte ou avec la Macédoine amène le départ volontaire ou l'expulsion de tout un parti30. C'est souvent une des conditions de la paix qu'une ville doive rappeler et bien traiter ses exilés, ou expulser les chefs du parti vaincu91. On voit les exilés cornbattre en corps contre leur patrie, provoquer des interventions étrangères 92. Le traité que conclut Philippe avec les villes grecques, après Chéronée, leur défend de prononcer des exils politiques u. En 324 Alexandre fait proclamer à Olympie le rappel des exilés dans toutes les villes grecques : il y en avait plus de vingt mille aux jeux Olympiques94. Cette mesure n'empêche pas d'ailleurs Alexandre de prononcer de nombreuses sentences d'exil95. Remarquons en outre qu'on considère comme exilés les habitants expulsés en masse de leur ville à la suite d'une conquête, par exemple les Samiens chassés à différentes reprises de leur île par Athènes96. En 180, à la suite de l'ambassade de Callicrate, le sénat romain ordonne encore aux villes et aux ligues grecques de rappeler leurs exilés 97. Presque partout on trouve l'usage de restituer aux bannis rappelés partie ou totalité de leurs biens u. Ces restitutions amènent de graves difficultés juridiques, car les biens confisqués ont été généralement vendus aussitôt au profit de l'État", ou quelquefois partagés10°. A Phlionte on rend aux exilés leurs immeubles, l'État indemnise les acheteurs; les cas litigieux sont portés en justicef01. Souvent la situation est réglée par un accord, un traité en forme de loi. Ainsi, au v° siècle, à Halicarnasse 702, il y a une suspension du droit commun et l'établissement d'une procédure de faveur pour permettre aux anciens propriétaires de revendiquer leurs biens en justice pendant dix-huit mois; à Mitylènef03 une transaction rend une partie de leurs biens aux exilés ; une commission de vingt membres, dont dix exilés et dix citoyens restés dans la ville, règle les contestations soit par arbitrage soit par jugement. Ce. LrcRtvArrr. ROME, Le mot exsilium, pris dans son acception la plus étendue, embrasse cinq espèces de peines, usitées à différentes époques de la législation romaine, et qui peuvent être classées dans l'ordre suivant : 1° Aquae et ignis interdictio; 2° deportatio in insulam; 3° deportatio; 4° in insulam relegatio; 5° relegatio vel in perpetuum vel ad tempus. Remarquons toutefois que, dans le sens juridique, le mot exsilium s'applique spécialement aux trois premières peines, qui emportaient la media capitis diminutio. Nous traiterons successivement des cinq variétés de l'exil (lato sensu), en suivant l'ordre indiqué. 1. L'aquae et ignis interdictio (interdiction de l'eau et du feu) était une peine usitée au temps de la république. Mais Iiartmann et Mommsen pensent qu'elle ne fut organisée, comme peine, qu'au temps des Gracques. Auparavant, le condamné à une peine capitale pouvait user du droit d'exil volontaire, jus exsilii, avant d'être irrévocablement condamné par les comices. Cet' exil était justum, s'il avait lieu dans une ville alliée ou libre, jouissant de cette prérogative'''. Mais, à l'époque des questions permanentes, dont il n'était pas permis d'appeler au peuple, il fut loisible au condamné d'éviter la peine prononcée par ces lois, en s'exilant de Rome, dans un certain tempsf0a. Zumpt croit que ce fut après les suffrages recueillis, mais avant le prononcé de la sentence du préteur. Mais il n'y avait pas d'intervalle sensible entre ces deux faits. D'après les principes de la constitution romaine, souvent rappelés par Cicéron f°0 la mort seule pouvait priver un citoyen de cette qualité 107. De là cette faculté autrefois laissée à l'accusé d'un crime de se bannir lui-même de la cité par un exil volontaire 108. C'était un droit consacré par la loi Porcia. Sans doute le maximus comitiatus [COM1TIA], c'est-à-dire les comices par centuries, avaient le droit de prononcer de capite civil ; mais ces comices eux-mêmes ne pouvaient, suivant Cicéron, arriver que par un détour à forcer le condamné de s'exiler, en lui interdisant les choses nécessaires à la vie : contraint de sortir d'Italie, il perdait, par sa réception dans une nouvelle cité, le titre auguste de citoyen romain. Le plus souvent, l'accusé n'attendait pas la condamnation, notamment lorsqu'il craignait de se voir frappé par les comices-tribus d'une de ces amendes considérables dont ils punissaient les crimes politiques : il s'exilait volontairement. Les comices sanctionnaient alors l'exil, plutôt qu'ils ne le prononçaient'-". Les biens de l'exilé étaient, pour tous les cas de PERDUELbro ou MAJESTAS, publiés et vendus 10. Plus tard, des lois spéciales prononcèrent contre certains crimes la peine de l'interdiction qui dut alors être appliquée par les quaestiones per petuae, lorsque la culpabilité se trouvait reconnue"' Telles furent la loi CorneliaFulvia de ambitu, de majestate, de sicariis et verte ficis; la loi Licinia de sodalitiis; la loi Cornelia de falsis. Jules César punit également de l'exil les crimes de violence publique ou privée et de lèse-majesté ; les lois d'Auguste sur les mêmes sujets paraissent avoir reproduit la pénalité antérieure '". II. Mais cet empereur établit, à côté de l'ancienne interdictio, qui ne tarda pas à tomber en désuétude, une peine nouvelle plus en harmonie avec l'esprit du nouveau gouvernement: ce fut la deportatio. Cependant on trouve encore des exemples d'interdictio sous Claude, Tibère, Néron, et même sous Trajan 13. Ce qui distinguait surtout la deportatio de l'interdictio, c'est que la première avait pour effet de déterminer le lieu de séjour du déporté. Auguste, conseillé par l'impératrice Livie, selon le témoignage de Dion Cassius 16, voulut prévenir ainsi le dan ger (lue présentait la présence d'un grand nombre de bannis dans les diverses provinces de l'empire. Le degré de deportatio le plus sévère fut la deportatio in insulam, suivant Rein, dont l'avis est combattu par Hartmann et Holzendorff. Quant aux anciens bannis, il leur interdit de rester sur le continent, ou dans une île distante de moins de cinquante milles, excepté celles de Cos, de Rhodes, de Sardaigne et de Lesbos. En outre, il limita leurs ressources, en fixant la valeur des biens qu'ils pourraient emporter, et le chiffre des personnes autorisées à les suivre en exil. Tacite nous fournit des exemples de déportation dans les îles d'Amorgos et de CytherosSeriphe, Cos, Lesbos, Cosyra, Gyare, Schiata, la Sardaigne, Pathmos, où fut déporté saint Jean; les oasis même du désert devinrent des lieux de déportation. Un sénatus-consulte rendu sous Tibère qui, suivant Hartmann, réorganisa la déportation déporta en une seule fois quatre mille affranchis dans l'île de Sardaigne; mais on devait les y employer à réprimer le brigandage, et, si ob gravitatem coeli interissent vile damnuml Leur crime était d'avoir pratiqué des superstitions égyptiennes ou juives; d'autres reçurent l'ordre de quitter l'Italie, si, dans un délai fixé, ils n'avaient abdiqué leurs cultes profanes "0 La déportation simple n'entraînait pas une restriction aussi rigoureuse à la liberté du condamné ; au lieu d'une île, on lui fixait pour séjour une province, ou une cité 11; du reste, cette peine produisait, comme la déportation dans une île, la media capitis minutio [CAPITA], c'est-àdire la perte de la qualité de citoyen, et avec elle de tous les droits civils18 Il convient de présenter ici une rapide esquisse des conséquences juridiques de la déportation. Quant à son patrimoine antérieur, celui auquel on avait interdit l'eau et le feu, ou le déporté subissait la confiscation, attachée aux peines capitales [BONA DAMNATORUM; CoNFISCATIO]; son testament antérieur devenait irritum. La perte de la qualité de citoyen était encourue par lui du moment de la condamnation, sauf les cas de lèsemajesté, et de concussion où l'incapacité remontait au jour du crime 13. Ainsi, à partir de la sentence, et sauf l'effet suspensif de l'appel, le déporté était déchu non seulement des droits politiques, mais des droits privés attachés à la qualité de citoyen 120. Mais il pouvait, comme tout pérégrin, participer aux prérogatives du pur droit des gens: acheter, vendre, échanger, donner, etc.; il était incapable de transmettre par succession, ou par testament, ou d'y figurer comme témoin" et même de laisser par fidéicommis 122. On ne pouvait l'instituer héritier, sauf le cas de testament militaire 123, ni lui donner par legs ou fidéicommis92i. Quelquefois cependant l'empereur accordait par privilège àun parent la faveur de lui laisser des aliments 12J. III. Les liens de famille civile du déporté se trouvaient rompus, et même la cognatio; il était déchu de la puissance paternelle et de la tutelle assimilé à un pérégrin il avait perdu le cou" hium, c'est-à-dire la faculté de contracter un mariage civil; mais que devenait son mariage antérieur? La logique commandait de décider que le justum matrimonium cessait d'exister, et qu'il n'y avait plus qu'une union de droit des gens, formée par la persistance de l'affectio ntaritalis. Cependant, Ulpien f 27 semble dire que, dans certains cas, le mariage civil subsiste ; et, ailleurs 158, il déclare formellement que la déportation ne dissout nullement (minime) le mariage. Cependant, nous croyons ces textes interpolés par Tribonien, pour les mettre d'accord, l'un avec la loi où l'empereur Alexandre Sévère maintient le mariage 12°, si casus in quem maritus incidit, non muet usoris affectionem, et l'autre avec la loif30 où Constantin conserve l'union sans distinction. En effet, Paul131 nous montre que, d'après les principes du droit civil pur, le mariage était dissous. Du reste, Justinien confirma l'innovation de Constantin, inspirée sans doute par les idées chrétiennes732, qui dominent alors la législation. Tous les effets de la deportatio précédemment énumérés supposent une sentence émanée d'un magistrat compétent comme l'établit Hartmann. Or la media capitis minutio ne pouvait être encourue définitivement que lorsque le prince ou le préfet de Rome avait statué en fixant le lieu d'exil du condamné. Si, contrairement aux règles précédentes, un président de province avait prononcé la déportation, elle était frappée d'une nullité radicale, et par conséquent n'emportait aucune déchéance d'état'33 IV. Larelegatio est une sorte d'exil, sensu lato, qui n'emportait pas la media capitis minutio ; elle pouvait être perpétuelle ou temporaire; le prince, le sénat, le préfet ou même le président d'une province avait le droit de la prononcer. Ulpien distinguait deux variétés de relegatio : dans l'une, le condamné devait s'abstenir de certaines contrées; dans l'autre, on lui fixait un lieu de résidence 13'` D'autres jurisconsultes subdivisaient la première en deux branches, suivant que la condamnation interdisait l'approche de certains lieux déterminés, ou de toute région à l'exception d'une seule!". La rélégation dans une île ou dans une oasis était considérée comme la plus grave; les gouverneurs qui ne comptaient pas d'île dans leur province ne pouvaient infliger ce genre de rélégation sans en référer à l'empereur, qui déterminait le lieu d'exil; le rélégué s'y trouvait seulement interné, sans être détenu136 En seconde ligne, au point de vue de la gravité, venait l'interdiction de toute contrée, sauf une seule; c'est ce qu'on appelait Tata fugai37. Suétone nous apprend938 que cette variété de peine fut imaginée par l'empereur Claude, qui défendit à certains condamnés de dépasser tertium lapidem ab urbe, la troisième borne à partir de Rome. Le degré le moins dur de rélégation, au contraire, consistait à n'interdire que le séjour d'une seule région. Du reste, en général, le rélégué ne pouvait demeurer à Rome, encore bien que la sentence n'en eût rien dit, ni dans la cité où le prince séjournait ou bien venait à passer139, bien plus, l'affranchi d'un relégué ne pouvait venir à Rome '49, parce qu'il en devait pas avoir un droit plus étendu que son patron. Ulpien nous donne la formule de la sentence de relégation prononcé par un président : ilium provincia illa, insulis que relego; ordinairement il lui accordait un délai, dont le relégué était admis à demander la prolongation à l'empereur'"1La peine de la relegatio ne paraît pas avoir été usitée sous la république. On la rencontre dans la loi Julia de aclulteriis, et Auguste la prononça contre sa fille Juliei42, qui fut enfermée dans File de Pandateria, puis dans la ville de Régium. Paul nous apprend que la relegatio était appliquée aux gens de basse condition, coupables de violence privée 143, aux coupables de PLAGIUM14i lorsqu'ils étaient de rang élevé; aux destructeurs d'arbres fruitiers, et aux incendiaires honestiores, dans certains cas'''. V. Si nous recherchons maintenant les effets juridiques de la relegatio, nous trouvons que, soit qu'elle fût perpétuelle ou temporaire14G, elle ne privait le condamné ni de la qualité d'homme libre, ni de celle de citoyen 147. Ovide dans ses 7ristes148, se plaît à constater qu'il n'est pas exilé, mais simple relégué, et ailleurs "9, qu'il a conservé avec sa fortune tous ses droits de citoyen. Il résulte, en effet, d'un grand nombre de textes, que la relégation n'entraînait pas virtuellement de confiscation75'. Mais quelquefois on ajoutait à la relégation perpétuelle une confiscation spéciale et partielle 1o'. En pareil cas, néanmoins, le condamné conservait ses droits de patronage, à moins que l'empereur n'en eût autrement décidé 1'2. Sauf ces restrictions, le relégué demeurait investi de la totalité de ses droits civils, c'est-à-dire de la puissance paternelle, de la MANUS, du COMMERCIUM, de la factlo testamenta13 [TESTAMENTUM] ; bien plus, il était permis de lui élever des images et des statues f°'2. Toutefois, si la relégation avait été prononcée dans un JUDICIUM PUBLFCUM, la condamnation était de sa nature infamante'". Tel est aussi le sens d'un texte du jurisconsulte Callistrate, qui range la relégation parmi les peines, quae ad existimationem pertinent ne, Quelquefois, même, l'infamie était attachée à certains crimes punis extra ordinem de la relégation [CRIMEN, INFAMIA]. En outre, l'empereur Gordien décida qu'un décurion exilé te temps, ne pourrait, à son retour, être admis à de nouveaux honneurs qu'après un délai égal à la durée de sa peine1'. A part ces réserves, l'existimatio n'était pas atteinte chez le relégué ''8. G. HUMBFnT. Ill.