FASTI. Expression elliptique (pour fasti dies), qui signifie, au sens propre, « jours fastes », c'est-à-dire laissés par la religion romaine au travail et aux affaires. Comme la liste des jours fastes indiquait nécessairement les jours non fastes ou « néfastes », elle comprenait, en somme, tous les jours de l'année. Fasti se trouve ainsi avoir exactement le sens de calendrier religieux, et même, par extension, de calendrier ou almanach quelconque'.
Mais l'idée la plus générale que contînt le mot fasti devenu substantif, celle d'indicateur annuel, pouvait s'appliquer à d'autres objets que les jours du calendrier. On appela également a Fastes » les listes annuelles des magistrats, particulièrement des consuls (Fasti consulares), dont les noms servaient à distinguer les années et se trouvaient ainsi en rapport étroit avec le calendrier'.
Enfin, ces listes de magistrats pouvaient ne pas se borner à consigner leurs noms, mais relater leurs faits et gestes, notamment leurs triomphes (Fasti triumphales). Fasti prit ainsi le sens de chronique annuelle qui faisait du mot un synonyme de annales (libri) puis celui de chronique en général C'est le sens que lui donnait
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déjà Horace, quand il parlait de « dérôuler les fastes du monde 1 », et qu'il a gardé en français.
En résumé, les Fasti nous apparaissent sous deux aspects bien distincts, quoique connexes :
1° Comme calendrier ordonnant les jours dans le cadre de l'année religieuse et indiquant la qualité de chacun d'eux au point de vue liturgique.
2° Comme liste des collèges de magistrats éponymes, disposés dans l'ordre de leur succession annuelle.
Mais le calendrier religieux a pour support nécessaire le calendrier astronomique, et, d'autre part, la rédaction des listes d'éponymes suppose une comparaison constante entre les deux séries parallèles, sinon concordantes, des années calendaires et des années consulaires. L'étude du calendrier astronomique, dégagée des calculs minutieux qui ont trouvé place dans un autre article [CALENDARIUn], formera donc le lien et la transition entre les deux parties du sujet. Fastes religieux ou hémérologe pontifical, fastes astronomiques ou calendrier pontifical, fastes éponymiques, dressés par les annalistes pontificaux, sont autant de produits sortis de la même officine. Rien n'indique mieux l'unité du sujet que la commune origine de toutes ces listes, dues aux mêmes auteurs et désignées par le même nom.
1. FASTES RELIGIEUX. Il n'est pas de religion qui n'ait
exigé de ses fidèles, entre autres sacrifices, l'abandon d'une partie de leur temps. Les Pontifes romains, dépositaires et interprètes de la tradition religieuse, avaient pris à tâche de fixer, avec toute la précision possible, la part réclamée par les dieux dans les jours de l'année.
Le culte romain, formé de coutumes hétérogènes, les unes antérieures, les autres postérieures à la fondation de la cité, était assez compliqué pour que le peuple elét perpétuellement besoin de ses directeurs de conscience ; et ceux-ci n'avaient aucun intérêt à simplifier cette procédure liturgique qui rendait leur intervention nécessaire. On y distingue trois ordres de cérémonies que l'on pourrait rapporter à trois religions distinctes, la religion domestique (sacra privata), la religion populaire (sacra popularia) et la religion de l'État (sacra pro populo) ou officielle.
La religion domestique était surveillée et protégée par les Pontifes, mais ses fêtes et anniversaires, variables d'un groupe (famille, gens, sodalité ou collège) à l'autre, restaient affaire privée et ne pouvaient être notés dans le calendrier public. Celui-ci ne connaissait que les commémorations générales des Morts, qui avaient fini par être incorporées à la religion populaire, les Lemuria des 9, 11 et 13 mai et les Feralia du 21 février.
Les fêtes populaires étaient le fonds même du culte public, qui leur devait tout ce qu'il contenait encore de traditions préhistoriques et de coutumes nationales. Elles avaient d'abord occupé seules le calendrier religieux, et elles y gardèrent la place d'honneur. Les lapicides du temps de l'Empire gravent encore en grosses lettres sur les calendriers les noms des solennités populaires, et, parmi les anniversaires de création plus récente, la fête des Augustalia, instituée en 19 avant J.-C., est la seule qui leur soit assimilée, pour la plus
grande gloire et sécurité de la dynastie impériale. Les fêtes populaires intéressaient le peuple tout entier, soit considéré comme collection d'individus, soit groupé en curies (sacra curionia) 2; chaque citoyen avait ces jours-là des devoirs religieux à remplir, et le loisir nécessaire lui était assuré par l'obligation du chômage.
La religion d'État, au contraire, instituée par les pouvoirs publics et surajoutée, mais non égalée, à la tradition vénérable des anciens âges, bornait ses exigences à un petit nombre de cérémonies célébrées pour le bien du peuple (pro populo), mais sans sa participation, par des fonctionnaires, magistrats ou prêtres. De ces cérémonies, les unes étaient dépourvues de toute solennité extérieure et ne faisaient guère plus de bruit que les « messes basses » dites dans nos églises. Tels étaient les sacrifices offerts chaque mois, le jour des Kalendes, à Junon, parun pontife mineur dans la Curia Calabra, par la regina sacrorum dans la Ilegia' ; les sacrifices également offerts chaque mois, le jour des Ides, à Jupiter, par son flamine dans l'ara du Capitole 4. Ces hommages officiels ne s'imposaient pas à l'attention du peuple et n'interrompaient pas le cours de ses occupations. 11 en était de même d'une quantité de rites célébrés en l'honneur de différentes divinités, pensionnaires de l'État, par les flammes ou les collèges sacerdotaux. D'autres cérémonies officielles, le plus souvent extraordinaires ou votives, triomphes, sacrifices solennels, supplications, lectisternes, processions, jeux divers, procurations et lustrations de toute espèce, étaient des spectacles qui intéressaient tout le peuple, mais sans exiger de lui une participation active ni lui imposer, à moins que les Pontifes n'en eussent autrement ordonné, l'obligation du chômage'.
Parmi ces fêtes, soit populaires, soit officielles, bon nombre étaient inscrites à poste fixe dans le calendrier; on les appelait féries statives (stativae-statae)6. Les autres étaient ordonnées à nouveau chaque fois par les magistrats (indictivae), soit en vertu d'un usage qui les ramenait tous les ans (conceptivae), soit par suite d'un voeu ou de toute autre circonstance accidentelle (imperativae). La classification des fêtes en fixes et mobiles acquit une certaine importance au temps où le calendrier religieux, immobilisé dans ses grandes lignes et porté à la connaissance du public, n'était plus que le canon des féries statives; mais il y eut un temps où, la conduite du calendrier demeurant le secret des Pontifes, toutes les fêtes étaient pour les profanes des fêtes mobiles dont ils apprenaient au fur et à mesure la date'. Peut-être les Pontifes eux-mêmes les considéraient-ils comme telles et les faisaient-ils osciller autour du quantième où elles finirent par s'arrêter. Ce dut être le cas surtout pour les fêtes agricoles, qui devaient suivre le cours des saisons et ne pouvaient le faire sans se déplacer dans les compartiments d'un calendrier lunaire ou lunisolaire. On sait que les Saturnalia (17-23 décembre) et probablement le groupe des Saturnalia, Consualia et Opalia (15 et 19 décembre) ne se fixèrent qu'en 217 avant J.-C. à la fin de décembre'. Trois fêtes rustiques, les Sementivae, les Paganalia et les Compitalia, gardèrent jusqu'au bout leur caractère de féries conceptives et res
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tèrent ainsi en dehors du calendrier perpétuel. De même, les « féries latines », qui devaient se régler sur la succession des collèges consulaires et suivaient, par conséquent, les fluctuations de l'année officielle'.
Populaires ou officielles, fixes ou mobiles, annuelles ou extraordinaires, toutes les fêtes ou féries publiques constituaient dans la série des jours de l'année la part des dieux, prélevée et marquée d'une estampille spéciale par les soins de leurs intendants attitrés, les Pontifes. Mais tous ces jours consacrés à des exercices religieux n'étaient pas séparés des jours profanes au même degré et par des exigences identiques. Les plus solennels intéressaient même la vie privée et en suspendaient l'activité normale par l'obligation du chômage, minutieusement réglementé [FERIAE] 2; d'autres n'arrêtaient que la vie publique, dans son ensemble ou dans certaine de ses manifestations, pour toute la journée ou seulement pour une partie de la journée. La casuistique pontificale s'était donnée ici libre carrière, et nous n'avons pour nous guider dans ses arcanes que des textes toujours incomplets, souvent contradictoires, des gloses de grammairiens, des termes dont l'usage a progressivement changé le sens, enfin, des calendriers datant d'une époque où les anciennes coutumes s'étaient modifiées, où les vieilles règles avaient dû bien des fois capituler devant les exceptions 3.
40 Distinction des jours fastes et néfastes. -Tout d'abord, on ne s'entend pas sur les qualifications génériques qui conviennent aux jours revendiqués par la religion et aux jours ordinaires, les uns et les autres pris en bloc.
Macrobe, qui doit avoir puisé ses renseignements dans Varron, rapporte que Numa divisa les jours de l'année en festi et profesti, les premiers consacrés aux dieux, les autres laissés aux hommes pour leurs affaires publiques et privées'. « Dans les jours de fête sont compris, dit-il, les sacrifices, banquets, jeux, féries ; dans les jours profestes, les jours fastes, comitiaux, les délais des jours d'assignation en justice (dies comperendini-stati)5, les jours propres à la guerre (proeliares) D. De cette énumération confuse, où se mêlent des classifications faites à des points de vue divers, nous ne retenons que le fait principal, à savoir que les jours réclamés par la religion s'appelaient festi'' et les autres profesti.
Cette distinction assez simple, qui rappelle l'opposition
parallèle de fanum et pro fanum [FANTM] 8, est battue
en brèche par Festus. « Il y avait, remarque celui-ci, des féries sans jour de fête, comme les Nundines; d'autres avec fête, comme les Saturnales»). Ici, les « féries » ne sont plus une espèce comprise dans le genre « fête » ;
mais les fêtes sont une espèce de féries. Dans un autre passage'», il oppose feriae à profesti dies, et définit le jour profeste diem sine feriis. Cette division des jours de l'année en dies feriati et profesti était conforme à l'usage, et on la trouve déjà employée par le vieux Caton". Elle n'avait pas satisfait Varron : d'abord parce que feriatus n'est pas, comme festus, l'antithèse grammaticale de pro festus, et ensuite parce que, feria signifiant « chômage », il n'était pas ou il n'était plus exact de dire que tous les jours non profestes ou non profanes fussent des jours chômés. Mais, d'autre part, pour établir l'antithèse festus-profestus, Varron luttait contre l'usage, qui attachait au mot festus l'idée de solennité joyeuseS2, et il s'engageait dans des difficultés inextricables où il nous a probablement égarés à sa suite.
En effet, les jours que Varron qualifiait de festi s'appelaient, dans la langue de la théologie et du droit, jours « néfastes »; les profesti ou jours ordinaires étaient ou simplement « fastes » ou « fastes et comitiaux ». Si l'on songe que festus, fastus, fa(s)num, feriae ou feriae sont vraisemblablement des dérivés d'un même radical ", on conviendra que l'étymologie n'est pas un procédé commode pour expliquer comment festus et nefastus peuvent être à peu près synonymes. Varron, pour y parvenir, avait dû dériver festus et fastus de thèmes différents. La définition qu'il a donnée de fastus et nefastus" est devenue classique, et on n'a guère fait que la répéter depuis 15. D'après Varron, fastus vient de fari, au sens de « prononcer, édicter », l'application du mot étant restreinte à la fonction juridique du préteur. Sont « fastes » les jours où le préteur peut sans péché prononcer les trois mots solennels (verba legitima-solemnia) qui résument et affirment les divers aspects de sa compétence : do, dico, addico; néfastes, ceux durant lesquels la religion le lui défend. Toute la différence entre les jours fastes et néfastes, considérés d'une manière générale, consisterait en ce que le tribunal civil du préteur était ou pouvait être ouvert les jours fastes, et qu'il était obligatoirement fermé les jours néfastes"
Il est difficile de croire que cette distinction fondamentale, qui sert de base à toute l'économie du calendrier, ait été appuyée à l'origine sur un caractère aussi extérieur, sinon étranger, au culte. Quoique les Pontifes aient été les premiers détenteurs de la science juridique, au temps où elle était encore incorporée à la théologie, et qu'ils aient sans doute alors rendu la justice, comme assesseurs indispensables des magistrats i7, il n'est pas probable que, faisant le triage des jours de l'année, ils
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aient dénommé la part des dieux et celle des hommes d'après une circonstance accessoire comme l'ouverture ou la fermeture des tribunaux. Ou bien les termes fastus, nefastus, avaient primitivement un autre sens indiquant, par exemple, permission ou défense de vaquer aux occupations ordinaires ou bien ils ont été substitués à des qualificatifs qui n'étaient plus aussi clairs, ni d'un usage aussi commode. Supposons, en effet, que la distinction originelle ait été entre dies festi et pro festi. L'expression dies pro festus avait bien gardé le sens de jour ouvrable, mais festus (dies) ne signifiait plus que jour de fête. tandis que l'idée de chômage, qui y était contenue, avait émigré dans un synonyme ou doublet, feriae, dies feriatus. D'autre part, ni festus, ni feriae ne s'appliquaient plus, dans ce sens restreint, à certains jours restés théoriquement propriété des dieux (nefasti), niais qui, grâce à la tolérance des Pontifes, n'étaient plus ni fêtés ni chômés. On conçoit donc qu'à l'occasion d'une de ces grandes réformes qui, comme nous le verrons plus loin, remanièrent toute la structure du calendrier, la distinction des jours en fastes et néfastes ait pu être substituée à une autre plus ancienne.
En tout cas, c'est elle qui a fait loi à l'époque historique, qui a donné au calendrier son nom usuel (Fasti) et que les monuments épigraphiques nous ont conservée. Nous allons l'étudier de plus près.
20 Des jours néfastes et de leurs variétés. C'est par le
lot des dieux qu'il faut commencer. Malgré la forme négative du mot nefastus, c'est de ce côté que sont les devoirs positifs et les principes sauvegardés par le calendrier. La catégorie des jours néfastes est aussi celle qui s'est accrue avec le temps aux dépens de l'autre. Le lot des dieux était, en théorie du moins, intangible et inaliénable; la piété romaine n'a pu qu'y ajouter au cours des siècles, toutes les féries d'institution nouvelle ayant été prélevées sur des jours antérieurement libres
La catégorie des jours néfastes comporte des subdivisions, indiquées dans les calendriers épigraphiques par les sigles N? et N. Le sigle Nn (variantes N', 1P) a été» diversement interprété. Ni Varron, ni Ovide ne le mentionnent. On en peut conclure qu'ils ne le connaissaient pas, et que ce monogramme, d'invention récente, avait échappé à leur attention 2. Mais les érudits postérieurs ne l'expliquent pas davantage, sauf peut-être Festus 3, dans un texte trop mutilé pour être utilisable. Suivant que l'addition énigmatique accolée à l'N est prise pour une forme archaïque de l'N, pour un P, ou pour un F, ou pour une combinaison de l'F et du P4, les hypothèses varient. N est unanimement reconnu pour l'abréviation de N(efastus) ou N(efas) : l'appendice, considéré comme P, a été traduit par publieus, parie, principio, prior, pos
ferler, pures ; considéré comme F, par fastus, festus, feriatus; considéré comme FP, par feriae publieae6. Ce qui est certain, c'est que tous les jours N' sont des jours fériés, et que parmi eux figurent les fêtes les plus solennelles de l'année, celles de la religion populaire. L'expression nefastus feriatus ou ne fas feriae publicae, contestable comme transcription du monogramme, a chance d'en être au moins la traduction exacte. Les jours N' étaient des jours « néfastes pour cause de féries publiques ».
Mais que faut-il entendre au juste par «féries» et par « féries publiques » ? L'étymologie du mot feria est douteuse 6 : flet-elle assurée, il ne faudrait pas prétendre en tirer le sens usuel du mot. Feria ou dies feriatus, on l'a vu plus haut, paraît signifier spécialement jour de repos obligatoire, fête chômée. C'est le sens qui se retrouve dans toutes les acceptions analogiques et métaphoriques du mot, le sens qui est passé dans le latin ecclésiastique et de là dans les langues modernes 7. Tous les règlements édictés par les Pontifes au sujet des féries concernent les exigences et dispenses relatives à l'obligation du repos, imposée aux particuliers et aux magistrats. « Féries publiques » signifie donc (par opposition aux féries privées, imposées par la religion domestique) chômage ordonné par l'autorité publique et obligatoire pour tous les citoyens.
Mais la complaisance avec laquelle les Pontifes accommodaient les règles aux nécessités de la vie pratique avait introduit bien des degrés dans l'obligation du repos, et il se pourrait qu'il ne Mt resté que l'affirmation du principe dans bien des féries dites publiques, Pour éclaircir ce point, il faut faire l'inventaire des jours marqués N' dans les calendriers dressés aux abords de l'ère chrétienne.
Les jours N' étaient, à la fin du règne d'Auguste, au nombre de soixante-six, à savoir :
10 Trente-cinq fêtes populaires, sur les quarante-cinq qui constituaient l'apport de la religion nationale en féries « statives ». Les dix autres, pour des raisons qui seront exposées plus loin, portent le signe N (ou F).
2° Le premier jour de l'année religieuse (Kal. Hart.).
3° Les Ides de tous les mois, sauf celles du mois de juin, marquées N3.
14° Dix-neuf anniversaires introduits dans le calendrier par le culte impérial dont cinq en l'honneur de Jules César.
Il est hors de doute que l'obligation du chômage avait été maintenue, dans les limites où la bornait l'indulgence pontificale, pour les fêtes populaires. Il en allait de même pour les Kalendes de mars, jour consacré à Mars, et depuis 375 avant J.-C. fête des Matronalia, marquée, comme les Saturnales, par des banquets et des cadeaux. C'était un jour de repos affairé
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pour les familles, de solitude pour les célibataires '. Les féries publiques des Ides paraissent être d'institution plus récente. Sans doute, les Ides, jour de la pleine lune, étaient consacrées à Jupiter (Lucetius) et mar
quées par des sacrifices (Idulia sacra 2 Idulis ovis )3,
qu'offrait le flamine Dial sur l'ara ou observatoire du Capitole 4 ; mais les Kalendes, jour de la nouvelle lune, étaient aussi consacrées à Junon (Lucetia) et donnaient lieu à des sacrifices non moins solennels 5, sans que les Kalendes aient jamais été fériées. Il est probable que le caractère férié a été attribué aux Ides par César, qui, ayant allongé la liste des jours fastes, fit passer dans le lot des dieux un nombre équivalent de jours fériés 6. Mais le mot « férié » doit être pris ici dans son acception la plus large. Rien ne fut changé aux habitudes courantes. La preuve que les Ides ne suspendaient ni les affaires des particuliers ni même la vie publique, c'est que, le jour de ces fameuses Ides de mars où César fut assassiné, il y avait séance du Sénat.
Quant aux anniversaires impériaux inscrits dans le calendrier en l'honneur de César et d'Auguste, il est évident que le prince dut chercher à les entourer de toute la solennité possible. Mais cela ne veut pas dire que le prudent fondateur de l'empire ait tenu à y attacher le caractère propre des féries, l'obligation du chômage. D'abord, les fêtes susdites furent considérées comme des féries privées ou gentilices de la gens Julia et ne figuraient dans les Fastes qu'à titre honorifique. Les quatre calendriers gravés antérieurement à l'an 8 avant J.-C. (Pincianum-Allifanum-Tusculanum-Venusinum) relatent ces commémorations , mais sans changer la marque des jours y affectés, lesquels sont indifféremment fastes ou comitiaux. Le sigle N' ne leur est attribué que par le Maffeianum, rédigé un peu après l'ère chrétienne. Cette modification a pu être faite lors de la correction apportée au calendrier julien par Auguste en l'an 8 avant J.-C. (Cf. ci-après). Une fois élevées par sénatusconsulte au rang de féries publiques, ces fêtes durent être chômées ; mais il n'était plus question d'obliger les consciences. Le désir de plaire au prince suffisait.
En résumé, le sigle N' désigne spécialement les féries publiques ou fêtes chômées. L'utilité pratique de ce monogramme a été de mettre en relief non pas l'obligation très relative du repos, mais la différence entre les jours de fête, les anniversaires joyeux, et les jours simplement néfastes (N), que la langue courante s'habituait de plus en plus à considérer comme des jours de mauvais augure.
Les jours néfastes proprement dits, marqués N dans les calendriers, sont à l'époque impériale et défalcation faite des jours partiellement néfastes au nombre de cinquante-huit'. En analysant les motifs qui les ont fait déclarer néfastes, on peut les répartir en plusieurs groupes. Ce sont, en général, des jours de purification, de pénitence ou de préparation aux exercices religieux
des féries, analogues aux Quatre-Temps et aux Vigiles de la liturgie catholique. En voici le relevé :
1° Douze jours allant du ter au 14 février inclusivement, les Nones et Ides exceptées (celles-ci marquées N');
20 Quatorze jours allant du 5 au 22 avril inclusivement, interrompus par trois jours fériés (N?) : l'anniversaire de la bataille de Thapsus (6 avril), les Fordicidia (15 avril) et les Palilia (21 avril) ;
30 Dix jours continus, du 5 au 14 juin inclusivement;
4° Sept jours allant du 1°r au 9 juillet, interrompus par deux féries (N') : l'anniversaire du voeu d'érection de l'ara Pacis Augustae (4 juillet) $ et les Popli fugia (5 juill.) ;
5° Les 12 et 15 septembre ;
6° Les trois premiers jours de décembre ;
7° Les trois Vigiles des Tubilustria (22 mars-22 mai) et des Furrinalia (24 juillet) ;
8° Onze solennités, populaires ou officielles, qui auraient dâ figurer parmi les féries publiques, mais ont été marquées N comme étant de caractère triste, ou semiprivé, ou particulières à certaines fractions du peuple. Quatre d'entre elles (Cerealia-Vestalia-Matralia-Quinquatrus minusculae) ayant déjà été comptées dans les séries mentionnées ci-dessus, ces onze jours se réduisent, pour l'addition, à sept.
Ce sont : a. Le Regifugium (24 février), sacrifice expiatoire offert par le Rex sur le Comitium
Le premier jour des Quinquatrus (19 mars), fête des artisans et commémoration de la dédicace du temple de Minerve sur l'Aventin (fête plébéienne) ; de même, les Quinquatrus minusculae aux Ides de juin (le 13), fête des musiciens (tibicines) employés au culte public
Les Cerealia (19 avril), dernier jour des jeux de Cérès (fête plébéienne)9;
Les Lemuria (9, Il et 13 mai) ou jours des Revenants, consacrés aux dévotions domestiques ;
Les Kalendes de juin ou « Kalendes aux fèves (fabariae) », fête de Carna, instituée, dit-on, par le consul M. Junius Brutus en actions de grâces pour l'expulsion des Tarquins;
Les Vestalia (9 juin), anniversaire compris dans une série de jours néfastes et même «religieux », durant lesquels le penus Vestae était ouvert aux matrones : fête des meuniers et boulangers;
Les Matralia (11 juin), appartenant à la même série : fête de Mater Matuta, à l'usage exclusif des matrones ;
Les Kalendes d'octobre, anniversaire de la dédicace de l'aedes Fidei sur le Capitole ; sacrifice offert à l'origine par la gens lioratia, depuis par l'État, au Tigillum sororium, pour expier le fratricide commis par le vainqueur des Curiaces.
Au caractère simplement néfaste (N) de ces jours s'attache l'idée de commémorations dépourvues de pompe ou même lugubres, et on s'explique ainsi que le mot « néfaste » ait dévié de son sens originel pour prendre une acception fâcheuse f9. Les explications des
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savants et les récriminations des puristes ne purent empêcher l'instinct populaire d'interpréter nefastus autrement que Varron, et c'est même à cette raison que nous avons attribué plus haut l'emploi du sigle spécial Ni) pour désigner les jours de fête.
3° Jours mixtes. Le collège pontifical, qui avait du goût pour les solutions compliquées, avait poussé l'analyse jusqu'à diviser onze jours de l'année en parties fastes et néfastes, les parties néfastes marquant la durée de certains exercices religieux accomplis par les prêtres officiels.
Sur ces onze jours, huit sont marqués EN, sigle dont la transcription comporte de légères variantes, mais dont le sens est expliqué par des textes précis EN (dotercisus) est une forme archaïque de intercisus. Ce qualificatif s'appliquait aux jours où s'offraient des sacrifices, probablement divinatoires et de rite toscan, qui exigeaient une longue cuisson des entrailles. Le laps de temps qui s'écoulait inter hostiam caesam et exta porrecta était faste ; le reste de la journée, néfaste. Ainsi les jours EN étaient divisés en trois parties, dont deux, la première et la dernière, néfastes.
Les trois autres jours mixtes (dies fissi2), scindés en deux parties, dont la plus longue était faste, portent dans le calendrier le sigle F, mais précédé d'une mention explicative. Ils n'étaient néfastes que le matin, durant une cérémonie religieuse qui devait être de courte durée. Deux de ces jours (24 mars-24 mai) ont la mention Q. R. C. F., expliquée par Varron et par Festus (Quando Rex Comitiavit Fas 3). Il s'agit sans doute des jours où le llex sacrorum présidait, à titre honorifique, les comices calates destinés à la légalisation des testaments 4. Le troisième jour « scindé » (15 juin) est accompagné de la
mention Q. S. C. F. (Quando Stercus Delatum Fas 5).
C'était la clôture de la série de jours néfastes durant lesquels le penus Vestae était ouvert. Le matin de ce jour, le sanctuaire de Vesta était balayé et les ordures portées dans un lieu spécifié, situé hors la ville, à micôte de la pente du Capitole du côté du Tibre. Cette opération une fois terminée, le jour était faste.
Les jours mixtes, qui se rattachent, par leur caractère dominant, les uns aux jours néfastes, les autres aux jours fastes, forment une transition aussi logique qu'on peut le souhaiter entre les deux grandes divisions de l'hémérologe pontifical.
4° Jours fastes et comitiaux. Le caractère spécifique des jours fastes était, on l'a vu plus haut, que le préteur pouvait exercer ces jours-là ses fonctions judiciaires. Mais, à côté des tribunaux, il y avait les assemblées
soit du Sénat, soit des comices _et la réunion des assemblées pouvait retenir loin de l'audience aussi bien les juges que les parties, leurs patrons et leurs témoins. Il se fit donc un départ entre les jours simplement fastes, réservés aux audiences ceux-ci marqués F dans les calendriers et ceux qui, complètement libres, pouvaient être indifféremment jours d'audience ou jours d'assemblée Comme les séances du Sénat échappaient aux restrictions du calendrier la règle ne portait que sur la convocation des comices. Les jours propres à la tenue des comices reçurent donc le nom de comitiales, indiqué par le sigle C dans les calendriers. Lorsque, sous l'Empire, certains jours furent réservés pour les séances ordinaires du Sénat (Senatus legitimi), mention en fut faite sur les calendriers, mais sans sigle spécial 8.
Sur la façon dont s'est formée et subdivisée la liste des jours fastes, nous en sommes réduits aux conjectures. On peut imaginer un temps primitif, âge d'or de la jurisprudence pontificale, où à certains jours appelés fastes (probablement les Kalendes, Nones et Ides), les interprètes du fas rendaient la justice au nom des magistrats. Le développement de la cité aurait obligé les Pontifes à multiplier le nombre des jours d'audience, et enfin l'institution de la préture aurait permis d'étendre la qualité de faste à tous les jours ordinaires.
La distinction entre les jours F et les jours C doit avoir été introduite assez tard et sous l'influence de préoccupations politiques 9. Elle permit de réserver au préteur les jours F sans lui interdire les jours C, et, par surcroît, de restreindre l'exercice de la souveraineté populaire. Le tribunal du préteur et les comices ne pouvaient occuper en même temps le Comitium, et les parties ne pouvaient à la fois plaider et voter. Il est difficile de démêler à quel degré la foi dans l'influence heureuse ou malheureuse de certains jours a influé sur ce triage des jours F et C. Le principal effet des décrets pontificaux déclarant certains jours « noirs » ou « religieux » (voy. ci-après) a été de rendre ces jours impropres aux comices 10. Au temps de la troisième guerre Punique, les lois £lia et Fufia (154?) durent s'occuper de borner et de définir les jours comitiaux 11. Plus tard, le démagogue Clodius (58) supprima la différence entre les jours fastes et comitiaux pour les comices législatifs u ; mais les principes furent restaurés et maintenus par l'Empire, qui cependantn'avait plus guère à se préoccuper des comices.
Si l'on veut analyser de plus près la valeur respective des termes fastus et comitiales, on touche à des questions sur lesquelles l'accord n'est pas fait.
Les auteurs répètent à l'envi que les jours fastes per
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mettaient au préteur de prononcer les paroles sacramentelles do, dico, addico, et qu'on pouvait alors suivre la procédure civile dite « selon la loi (lege agere-legis actio) ». On en tire cette première conséquence, confirmée par les faits connus, que la juridiction criminelle celle du moins qui n'est pas exercée par les comices n'était pas soumise aux empêchements du calendrier1. Une deuxième conséquence, c'est que tous les actes juridiques dans lesquels le préteur ne jouait pas un rôle actif n'étaient pas visés par les prohibitions pontificales et pouvaient avoir lieu même un jour néfaste. Ainsi, le calendrier n'a de prise ni sur les faits et gestes des parties 2, ni sur l'instance in judicio, où le préteur déléguait ses pouvoirs à un ou plusieurs juges. Il ne reste donc plus à considérer que l'instance in jure, où le préteur « dit le droit.)). Mais là surgit une grave difficulté. Les textes les plus sérieux et les plus explicites 3 s'accordent à dire qu'on ne peut, aux jours néfastes, lege agere, parce que les trois mots sacramentels do, dico, addico, sont indispensables à cette procédure'. Or, lege agere a, dans la langue juridique, un sens précis; on désigne par là l'ancienne procédure verbale des « actions de la loi », par opposition à la procédure écrite des « formules » [ACTIO, FOHMULAE]. De plus, les paroles sacramentelles, prélevées sans doute sur une phrase plus ample, comme (judicem) do, (jus) dico, (rem) addico, ne se rencontrent pas dans les types de formules donnés par les auteurs ; et enfin, même si elles y figuraient, elles ne tombaient pas sous le coup de la prohibition pontificale, qui défendait de les prononcer (tari), mais non pas de les écrire. Donc, la procédure formulaire, c'est-à-dire la procédure usuelle depuis le ne siècle avant notre ère, échappait aux entraves du calendrier, et peut-être futelle précisément imaginée dans ce but Mais, s'il en est ainsi, on ne comprend plus l'importance qu'a gardée, jusque sous l'Empire, la distinction des jours fastes et néfastes. On se demande pourquoi César, ajoutant dix jours à l'ancienne année lunisolaire (voy. ci-après), « les marqua du caractère faste, afin de donner plus de liberté aux actions judiciaires s » ; pourquoi Marc-Aurèle, préoccupé du même souci « ajouta aux (jours?) fastes des jours d'audience' ». En un mot, si la procédure formulaire n'avait rien à démêler avec le calendrier, l'influence de ce dernier sur l'exercice de la juridiction devint tout à fait négligeable, et il est étrange que l'on s'en soit tant préoccupé. En outre, on fait valoir, pour contester l'immunité de la procédure formulaire, quelques textes où ne se trouve pas l'expression restrictive lege agere 8, ou bien tel passage qui paraît donner
à lege agere le sens général de plaider au civile.
Pour trancher le débat, il faut rappeler que la distinction des jours fastes et néfastes fut établie en un temps où il n'y avait pas d'autre procédure que celle des actions de la loi. Elle était donc alors pleinement justifiée. Lorsque fut instituée la procédure formulaire, la juridiction contentieuse s'en servit de préférence à l'autre, sauf pour les causes plaidées devant les centumvirsi0; mais la juridiction gracieuse ou volontaire continua à user des demandes et réponses verbales de la legis actio, et cette juridiction gracieuse, chargée de légaliser les actes émanés de l'initiative privée, l'in jure cessio, l'adoption, l'émancipation, la manumission par vindicte, etc., fut de plus en plus occupée 11 Ce n'était donc pas une quantité négligeable que la somme des affaires réglées par legis actio. En outre, les Pontifes ne voyaient aucun intérêt pour la société à entraver l'exercice de la juridiction contentieuse, tandis que, la plupart des actes légalisés par la juridiction volontaire entraînant des dérogations au droit commun, il était bon de ne pas les affranchir de tout empêchement. Nous restons donc d'accord avec les textes et avec la vraisemblance en soutenant que les prescriptions du calendrier ne visaient pas la procédure formulaire, mais seulement les legis actiones, soit devant la juridiction contentieuse, soit (et c'était le cas le plus fréquent) devant la juridiction volontaire. Une preuve entre autres qu'il en était ainsi, c'est que les théologiens prévoyaient le cas où le préteur exercerait sa juridiction volontaire un jour néfaste. Le péché était plus ou moins grave, suivant qu'il avait été commis par distraction ou en connaissance de cause S2 Or, le casuiste eût à peine cru la distraction possible si le préteur avait été constamment, et pour tous les actes de sa juridiction civile, asservi au calendrier. Le préteur était, au contraire, si exposé à oublier ce scrupule archaïque, que l'on crut devoir menacer également de péché ceux qui recourraient à son ministère un jour néfaste 13
Les jours comitiaux (C) la moitié environ des jours de l'année pouvaient être indifféremment laissés à la discrétion du préteur ou employés aux comices'. Mais il y avait à Rome jusqu'à quatre formes de comices (euriata centuriata •tributa et concilia plebis) et il serait étonnant que les règles pontificales se soient appliquées d'emblée à toutes, surtout aux réunions de la plèbe, qui, en théorie, n'étaient point des comices proprement dits ou assemblées du peuple entier. Les rapports des conciles de la plèbe avec le calendrier ne pourront être complètement élucidés que plus loin, dans le paragraphe consacré aux Nundines. I1 suffira provisoirement de dire
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que, dans les derniers siècles de la République, on ne distingue plus, à ce point de vue spécial, entre les comices et les conciles de la plèbe ; qu'il n'a pu en être de même à l'origine; que l'assimilation s'est faite dans l'intervalle, et qu'on a tout lieu de l'attribuer à une disposition de la loi Hortensia (287). Enfin, il est bon de noter que le calendrier s'occupe des comices, et non pas des conciones.
Le compte des jours F et C, abstraction faite des trois dies fissi marqués F.(cf. ci-dessus), s'établit comme il suit dans les calendriers de l'époque impériale.
Sont fastes (F) :
10 Trente-six jours appartenant à l'ancien calendrier républicain. Ce sont les Kalendes, Nones et dies postriduani qui n'ont pas été affectés accidentellement d'un autre signe (36 F contre 24 N et NV);
2° Les dix jours ajoutés à l'année par Jules César, sauf le 30 janvier, jour de la dédicace de l'ara Pacis (N);
3° Un jour férié, appartenant à la religion populaire, et qui, comme tel, aurait dû être marqué à savoir les Feralia (21 févr.). Cette exception est sans doute motivée par le fait que les cérémonies des Feralia étaient exclusivement à la charge des familles, et, par conséquent, en dehors du culte public'.
Soit un total de 46 jours F, distribués assez irrégulièrement entre les divers mois. Février n'a pas d'autre jour F que les Feralia, dont le caractère est des plus douteux; juin n'avait qu'un jour F (le 2) quand César lui en ajouta un second (le 29) ; juillet n'en a qu'un seul (le 16). Cette irrégularité doit avoir été produite par des suppressions accidentelles de jours fastes au profit des catégories N et N?. On remarque que, en dehors des jours fastes ajoutés par César, tous les autres coïncident avec des Kalendes, Nones, et lendemains de Kalendes, Nones et Ides. Il est possible qu'à l'origine, les Kalendes, Nones, Ides de tous les mois, et peut-être ensuite leurs lendemains, aient été jours fastes2.
Sont comitiaux (C) tous les jours non compris dans les catégories et subdivisions précédemment énumérées. On en compte dans le calendrier julien 184, dont la moindre partie en février et avril, la majeure partie de septembre à décembre.
En résumé, le bilan total du calendrier julien vers la fin du règne d'Auguste comprend' :
Pour restituer approximativement la distribution des jours dans le calendrier anté-julien, au cours de l'année commune de 355 jours, il faudrait en éliminer d'abord les dix jours ajoutés par César (9 jours F et un jour N'), réduire à trente-cinq jours la catégorie N? en l'allégeant des dix-neuf féries impériales, des onze Ides autres que celles de juin, peut-être même de la férie du ter mars et cela, sans pouvoir malheureusement répartir les jours ainsi repris dans les catégories N (?), F et C auxquelles le régime impérial les a enlevés °.
Sous l'Empire, la distinction entre les jours F et les jours C n'a bientôt plus de raison d'être, et même la distinction entre jours fastes et néfastes tombe elle-même en désuétude, parce qu'elle ne correspond plus à la réalité. Nombre de jours donnés comme « fastes » n'en étaient pas moins envahis par le chômage, sous prétexte de jeux et autres réjouissances publiques°. Les empereurs se préoccupent d'assurer au moins le service des tribunaux, en inscrivant au calendrier des jours qu'ils appellent non plus fasti, mais judiciarii ou juridici. Marc Aurèle porta le nombre de ces jours d'audience à deux cent trente °. Une constitution impériale de 389 déclare que les tribunaux peuvent siéger tous les jours 7, sauf les exceptions mentionnées dans ce même décret. C'est la fin du vieux système des « fastes ».
5° Jours de mauvais augure (religiosi -atrivitiosi).
Il n'a été question jusqu'ici que des qualificatifs inscrits sur les calendriers épigraphiques. Mais les marbres n'ont pu donner place à tous les motifs de classification imaginés par la casuistique pontificale. On a déjà dit un mot plus haut de la confusion que faisait le vulgaire entre les jours néfastes et les jours de mauvais augure. La croyance à l'influence heureuse ou malheureuse de certains jours est de tout temps et de tout pays. L'astrologie ne l'a pas inventée; elle n'a fait que la pousser à l'extrême et la suivre jusque dans les subdivisions infinitésimales de la durée. Cette croyance est née tout naturellement de l'attribution des jours à des divinités bienfaisantes ou malfaisantes, attribution motivée ellemême par des circonstances de la biographie mythique de ces êtres surhumains, le tout corrob'oré par de prétendues expériences comme en citerait encore de nos jours la crédulité populaire.
MEnAI] les jours où, sous peine d'insuccès, ni les particuliers, ni les cités ne devaient rien entreprendre d'important. C'étaient, à Athènes, pour toutes les assemblées publiques, y compris le Conseil et les jurys, des « jours
de congé » [APIIETOI IIEMERAI], analogues aux jours néfastes des Romains, mais imposant une abstention beau
coup plus rigoureuse. C'est que les â7oppiiEs ou «!GETOi r`1N.Érat s réunissaient en eux deux caractères ou aspects que
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lasubtilité pontificale avait su distinguer et même séparer.
Le jour néfaste romain (N) était tel parce qu'il appartenait aux dieux; il ne suspendait que la vie publique. Encore la prohibition ne portait-elle que sur certains actes, la tenue des comices et l'audience du préteur. Les jours malheureux en soi, dont l'influence se faisait sentir jusque dans la vie privée, formaient une catégorie à part, et c'est d'eux qu'il s'agit ici.
Les Pontifes n'entendaient pas endosser la responsabilité de toutes les fantaisies de la superstition vulgaire, de ces faiblesses d'esprit dont Auguste lui-même avait sa bonne part 1, pas plus qu'ils n'employaient la variété de synonymes (dies tetri, infausti, inominales, lugubres, funesti, tristes, miseri, inauspicati, posteri, importuni et surtout nefasti) pour désigner les jours de malechance. Les jours accidentellement viciés pour les particuliers, par suite de mort, funérailles, anniversaires funèbres, etc., ne pouvaient non plus entrer dans le calendrier public. Les Pontifes ne s'occupaient donc que des jours officiellement donnés comme « religieux », par opposition aux jours « purs ».
Les termes religiosi, vitiosi, atri (dies) ne paraissent pas correspondre à trois espèces distinctes de jours stigmatisés. Ce sont des définitions différentes appliquées aux mêmes objets. Un jour est « religieux» parce que les prohibitions qu'il comporte s'imposent sous peine de péché, et sont affaire de conscience 2; « vicié » parce qu'il rend irréguliers les actes interdits3; « noir » parce qu'il a un caractère lugubre et menaçant. Il faut avertir que ce sens usuel du mot ater n'est peut-être qu'une méprise, due au besoin de comprendre et de rajeunir des termes surannés. D'abord, il est étonnant que les Pontifes pour éviter au moins l'omen des mots n'aient pas remplacé un pareil vocable par un euphémisme Ensuite, Verrius Flaccus, à qui Aulu-Gelle emprunte l'explication historique du mot remarque luimême, à propos de Quinquatrus, que, dans certains pays latins, les jours après les Ides étaient désignés par des nombres ordinaux terminés en atrus 6, et Varron, qui connaît aussi le fait", en tire la conclusion que « les lendemains de Kalendes, Nones et Ides s'appelaient atri parce qu'ils commençaient une nouvelle série de jours a ». La désinence en atrus, inintelligible pour le peuple, aurait donc été transformée en ater et dotée du sens de « noir », après que par le décret pontifical de 389
avant J.-C.9 tous les « lendemains» (dies postriduani)
eurent été notés comme malheureux. C'est là un fait normal, bien connu des philologues 10. Ainsi, avant de devenir un terme générique, synonyme de « religieux» et de « néfaste », l'épithète atri (dies) ne s'appli
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quait qu'aux lendemains de Kalendes, Nones et Ides".
Un certain nombre de jours ont dû être « religieux » de tout temps : c'étaient les jours voués aux commémorations des morts. On sait que les Mânes tenaient le milieu entre la nature humaine et la nature divine, et que ce qui leur appartenait, n'étant ni profane ni sacré [FANUM], était défini chose « religieuse » par le droit pontifical 12. Étaient religieux à ce titre :
10 Les dies ferales ou parentales du mois de février (du 13 au 21)13, soit neuf jours comprenant 3 N», 1 N, 1 EN, 1Fet3C;
2° Les trois jours des Lemuria (9, 11 et 13 mai) " marqués N, et les trois jours durant lesquels l'ouverture du mundus donnait libre sortie aux Mânes (mundus patet, 24 août, 5 oct., 8 nov.), jours C 1a;
3° Les huit jours (dont 7 N et 1 N)) durant lesquels le penus Vestae restait ouvert (du 7 au 14 juin) ifi ;
4° Enfin, il est probable que les jours et mois intercalaires de l'ancien calendrier étaient considérés comme de mauvais augure. Du moins, on sait qu'ils étaient tenus pour néant par les juristes 17, et que, au Ive siècle de notre ère, le jour « bissextile » passait encore pour dangereuxt8.
A ce legs des vieux âges, la chancellerie pontificale ajouta des jours reconnus par expérience comme portant malheur, des anniversaires de deuils patriotiques 12. Le type de ces anniversaires est le dies Alliensis (18 juillet), jour de complète abstention (rei nullius publice privatimque agendae 2e). Les Romains, hésitant entre leur foi et leur amour-propre, tenaient à ne pas perdre le souvenir des expériences fâcheuses, mais ne voulaient pas en encombrer leur calendrier. Ovide sait que le 23 juin rappelle Trasimène 21; mais ni cette bataille ni même celle de Cannes (10 août) n'ont laissé de traces dans les Fastes. C'était aux généraux de connaître les dates dangereuses. Ainsi, les officiers de Lucullus hésitaient à se battre le 6 octobre 69, se souvenant qu'à pareil jour, Coepion avait été battu en 107 par les Cimbres". Les seuls jours que nous sachions avoir été stigmatisés par un décret pontifical les déclarant impropres aux sacrifices, en souvenir de mainte expérience fâcheuse, sont les jours « noirs », les trente-six dies postriduani mentionnés plus haut 23. Peut-être, après le désastre de Cannes, survenu a. d. IV non. sextil., songea-t-on à traiter de la même façon les « quatrièmes » jours avant les Nones et, par analogie, avant les Kalendes et Ides -, car certaines gens considéraient ces jours-là comme malheureux 2'. Lit encore, les particuliers avaient plus de mémoire que le calendrier.
La liste des jours officiellement religieux n'est pas
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restée invariable. La République avait hésité à l'allonger 1; l'Empire se fit un point d'honneur de la raccourcir en mettant des dispenses à la place dos prohibitions, et des victoires à. la place des désastres. Le dies Alliensis, encore redouté au temps de Cicéron
reçoit la note C, qui cependant n'efface point la tache trop invétérée3. Le 2 août (dies ater) devient jour férié (N)) en mémoire des victoires remportées par César en 49,et 47 avant Jésus-Christ ; le dies ater du 6 avril est également férié (N3) en souvenir de la victoire de Thapsus 5. Un autre dies ater, le 2 septembre, devient férie commémorative de la bataille d'Actium 6. Auguste supprima aussi, vers l'an 28 avant notre ère, la religiosité associée aux Ides de mars depuis la mort de César'. Quand il eut marié Drusus avec une fille d'Antoine, il put bien effacer également la flétrissure imprimée par sénatusconsulte au jour de naissance d'Antoine
D'autre part, il se garda bien de perpétuer le souvenir de la défaite de Varus, le dies Alliensis de l'Empire, dont, au reste, on ne sut peut-être pas la date exacte. Ses successeurs ne furent pas tous aussi sages. Tibère songea à classer parmi les jours « néfastes » au sens populaire du mot le jour de naissance de la première Agrippine et Néron flétrit ainsi le jour de naissance de sa mère, la seconde Agrippine 10. En revanche, on déclarait jours de fête les anniversaires de la mort de Libo 11, de Séjan i2, et on voulait en faire autant pour la mort de Caligula.
Mais bientôt, il devint inutile de toucher au calendrier national, qui ne réglait plus les moeurs. La mode était aux almanachs égyptiens ; chacun consultait son Pétosiris pour savoir s'il devait agir ou s'abstenirt3. Les dies Aegyptiaci se substituent aux jours « religieux n : on les rencontre dans les calendriers de Philocalus et de Polémius Silvius, et ils font partie des superstitions léguées par l'antiquité au moyen àge 14.
Il nous reste maintenant à spécifier les prohibitions attachées aux jours religieux, sans confondre les règles officielles et les usages populaires. Tous les jours religieux ne le sont pas au même titre, et ne visent pas les mêmes modes de l'activité publique ou privée.
En dépit de l'obstination du langage courant à confondre «religieux» et « néfastes », et des raisons qui expliquent cette confusion, il faut affirmer à nouveau que les jours religieux n'ont officiellement rien de commun avec les jours marqués N. On a vu que le dies Alliensis lui-même est marqué C. Sur les vingt jours signalés plus haut comme ayant dû être religieux de tout temps, on compte 4 N°, 8 N, 1 EN, 1 F et 6 C. Les trente-six dies atri comprennent vingt-deux jours F, neuf jours N, trois jours N), un jour EN et un jour C. Rien n'autorise Merkel'5 à soutenir que les jours religieux
avaient reçu d'abord la note N, et que ceux qui ne l'ont plus ont été réhabilités par Auguste. Les jours N, étant propriété des dieux, n'auraient pu être « profanés » sans compensation. Si donc des jours antérieurement connus pour religieux portent sous l'Empire la marque F, il est prudent de conclure qu'ils ont toujours eu ce signe. On pourrait même dire que le caractère religieux, quand il comprend, comme pour les dies atri, l'interdiction des sacrifices, est théoriquement incompatible avec le caractère néfaste (à plus forte raison N)) nefastus étant synonyme de dis sacratus15. Nous ne saurions admettre non plus, avec Mommsen '7, que la différence entre les jours néfastes et les jours religieux consiste en ce que les jours N ont été primitivement des jours religieux, peu à peu dépouillés de ce caractère, tandis que les dies religiosi proprement dits sont des additions postérieures, dépourvues de sigle spécial et restées en dehors du système de notation traditionnel. Entre ces deux catégories, la différence est non pas accidentelle, mais spécifique.
Le type parfait du jour religieux, le dies Alliensis, est impropre à toute espèce d'usage, public «ou privé, aux exercices religieux comme aux entreprises profanes". La note C lui fat sans doute adjugée comme étant la plus commune (surtout en juillet, mois des élections), et avec la condition sous-entendue de n'en pas user, si ce n'est peut-être pour achever des élections commencées; car il était interdit, aux jours religieux, de « commencer », mais non pas de continuer quoi que ce soit i9
Après le dies Alliensis, les jours les plus religieux sont les « jours noirs » (atri posteri postriduani). L'interdiction mise en première ligne la seule dont parle le décret pontifical de 389 est la défense d'offrir ce jourlà aucun sacrifice 20. Certains théologiens prétendaient qu'on ne pouvait même pas faire ses dévotions aux parents défunts (parentare), autrement dit célébrer des anniversaires funèbres, parce que les noms de Janus et de Jupiter, inscrits dans les Offices des Morts, ne devaient pas être prononcés en un jour « noir » 21. De cette prohibition principale, il résultait que les jours noirs n'étaient propres ni à la mobilisation de l'armée, ni à la tenue des comices, ni à tout acte de la vie privée exigeant un jour « pur » 2'. En revanche, ils étaient propres aux audiences du préteur, et il est possible que le but du décret pontifical ait été de les réserver à cet usage. Cependant, la superstition ne paraît pas avoir respecté une distinction aussi subtile. Si les jours noirs étaient dangereux pour « toute espèce de chose» 23, ils l'étaient aussi pour les procès. Suétone cite comme une bizarrerie de C[alide le fait qu'il rendait la justice, même les jours de fête et les jours « religieux » 24.
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Nous ne savons rien de particulier sur les observances imposées par les plus anciens dies religiosi. Évidemment, les dies parentales laissaient toute liberté à la religion domestique, pour ce qui concernait le culte des morts, et contrastaient sous ce rapport avec les « jours noirs ». On connaît les cérémonies expiatrices des Lemuria. Pour ce qui est des jours où le mundus est ouvert, Festus
dit qu'on évitait en un pareil moment de livrer bataille, de faire des levées, de réunir les comices, et qu'on se bornait, en fait d'activité publique, au strict nécessaire. Dans les calendriers impériaux, la défense de tenir les comices est levée théoriquement, du moins comme pour le dies Alliensis2. Festus est plus laconique encore au sujet de l'ouverture du penus Vestae; il se contente de signaler ces jours de juin comme religieux.
Le jour de la mort de César (13 mars), religieux entre l'an 44 et l'an 28 avant notre ère', avait été déclaré impropre aux séances du Sénat; en quoi il était plus religieux que tous les autres, car le Sénat s'était soustrait à toute observance, même à celle des dies atri, bien que son président fût tenu de sacrifier avant la séanceµ.
La superstition populaire poussait la crainte des jours religieux plus loin que la théologie pontificale, et elle l'étendait à des jours qui n'étaient pas officiellement religieux. Les gens prudents se gardaient par-dessus tout de partir en voyage ou de se marier un jour religieux', et les gens très prudents ne se mariaient pas davantage la veille, pour ne pas inaugurer par un pareil lendemain leur vie de famille. De cette façon, les Kalendes, Nones et Ides les Nones surtout -devinrent à peu près aussi religieuses que leurs lendemains'. Au point de vue spécial du mariage, il y eut des mois entiers, comme mars et mai, qui, à la façon du. Carême catholique, mettaient obstacle aux unions matrimoniales Le mois de mars était encore religieux à un autre point de vue. Les jours durant lesquels les ancilia étaient en mouvement c'est-à-dire le mois entier' passaient pour religiosi ad iter; et cette superstition, légalisée ou non par la théologie officielle, était si puissante qu'elle arrêta en 190, sur les bords de l'Hellespont, l'armée conduite par Scipion °.
En outre, chaque famille devait avoir ses souvenirs tristes, ses jours religieux à titre privé, qui s'ajoutaient aux entraves créées par la religion de l'État ou par l'opinion publique.
60 Des féries mobiles et des Nundines. On ne s'est
occupé jusqu'ici que des jours inscrits à poste fixe dans le calendrier et qui gardent la qualité à eux attribuée. Mais toute la série des fêtes ou même des jours religieux ne s'était pas immobilisée ainsi. On a vu qu'un certain nombre de féries annuelles était restées « conceptives »; que, de plus, l'État pouvait à tout instant ordonner des
cérémonies religieuses à titre extraordinaire cérémonies joyeuses comme les triomphes et jeux; tantôt joyeuses, tantôt tristes, comme les supplications et lectisternes, l'amburbium, le lustrum ou ambilustrium ; sévères comme le sacrum novemdiale (féries de neuf jours motivées par des pluies de pierres), ou décidément lugubres comme le deuil public appelé justitium. De ces jours, les uns étaient fériés; les autres s'approchaient du type des jours religieux ; d'autres enfin traînaient après eux des lendemains et même des surlendemains de caractère religieux, comme le Latiar ou feriae Latinae f'.
Toute cette partie irrégulière du culte tenait en éveil la vigilance des Pontifes. Il fallait éviter que les féries ainsi ordonnées ne tombassent sur des jours déjà fériés ou sur des jours religieux. Tant qu'il ne s'agissait que de dates choisies, et non pas imposées, un peu d'attention y suffisait. Encore arrivait-il aux Pontifes de commettre des inadvertances. Un jour, Tiberius Coruncanius (Pont. Max. de 233 à 243 av. J.-C.), ayant sans doute désigné pour une grande fête le lendemain d'un dies ester, n'avait pas songé que la veille de la fête devait être férie préparatoire (feriae praecidaneae). Il fallut, pour lever ce scrupule, un décret du collège, qui couvrit son chef, mais aux dépens des principes''. Enfin, Pontifes et Augures tenaient la main à ce que le caractère N ou iN? des féries conceptives fût respecté 12.
Mais les Pontifes avaient à compter avec un élément perturbateur du calendrier, qui, à lui seul, exigea d'eux et des pouvoirs publics plus d'attention que tout le reste de l'Annuaire 13. On voit, sur les calendriers épigraphiques, se dérouler une série continue de huit lettres A 1 3 C D E F G H qui se répètent invariablement dans le même ordre d'un bout de l'année à l'autre. Ce sont les semaines de huit jours (nundina), dont le jour initial ou final" peu importe revenait tous les neuf jours [NUNDINAE], autrement dit, au bout de huit jours révolus'''. Cette série ne connaissait ni mois ni années" : elle se continuait d'une façon uniforme à travers la durée. Le nombre des jours de l'année n'étant pas un multiple exact de 8, il en résultait que, chaque année, sur les calendriers perpétuels, les Nundines coïncidaient avec une lettre différente, qui restait « lettre nundinale » dans tout le cours de l'année. Depuis' quand les Nundines promenaient-elles ainsi leurs étapes mobiles à travers les étapes fixes du calendrier, nul ne pouvait le dire. On racontait que ces dimanches romains avaient été institués pour que la plèbe de la campagne pût se réunir à la ville et s'y occuper de ses affaires privées ou politiques ". C'étaient des jours de marché ( .yoipx(.), et en même temps, pour la plèbe, des fêtes religieuses où elle associait au culte de Saturne, dieu de l'agriculture, la mémoire de Servius Tullius, le roi
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plébéien et patron de la plèbe, à qui on faisait remonter l'institution des Nundines 1. Certains érudits en faisaient commencer l'observance après l'expulsion des rois=, tandis que d'autres les croyaient établies par Romulus lui-même 3.
Il résulte de ces textes, comme de ceux qui signalent l'existence de semaines pareilles chez les Étrusques 4, que les Romains ignoraient l'origine des Nundines, et c'est une preuve que nous sommes en présence d'une institution archaïque. Que la période de huit jours
révolus, usuelle à Rome [NOVEMDIALE SACRUM], ait été la
durée maximum d'une phase lunaire, le fait est possible; mais il ne faudrait pas abuser de cette présomption pour imaginer, avec Mommsen, des Nundinae fixes ou secondes Nones, qui auraient été le jour initial d'une quatrième fraction du mois (nono die a. Kal.) et auquel se rapporteraient les textes législatifs concernant les Nundines. La confusion de ces Nundinae fixes avec le jour initial des nundina mobiles eût été par trop grossière, et Mommsen désavoue aujourd'hui son aventureux système 4. II n'y a jamais eu que des Nundinae et nundina mobiles. Quant à la date de leur institution, il suffit pour le moment de constater que cette date peut être reculée jusque dans la période royale.
On verra plus loin à quels expédients le désir d'éviter la rencontre des Nundines avec les jours fastes a condamné les ordonnateurs du calendrier. Mais on ne saurait comprendre la nature du problème qui leur était posé sans avoir déterminé le caractère qu'ils attribuaient aux Nundines.
Le fait initial déjà complexe en lui-même d'oie il faut partir, c'est que les NUNDINAE étaient pour le peuple des campagnes ou plèbe un jour de chômage, en ce qui concerne le travail quotidien, et de dévotions particulières ; de plus, un jour de réunion à la ville, de marché, d'affaires commerciales et autres. Depuis que la plèbe avait ses magistrats particuliers, les tribuns utilisaient les Nundines pour tenir les assemblées de la plèbe (concilia plebis) et n'entendaient pas être dérangés dans leurs colloques par des ordres contradictoires émanés des magistrats du peuple. D'autre part, les campagnards auraient trouvé bon qu'il y eût ces jours-là audience du préteur, et même que les comices se tinssent de préférence pendant qu'ils étaient tout portés à la ville. Ainsi, les Nundines étaient en même temps, de par la religion, jours néfastes et fériés; à un autre point de vue, jours d'affaires, qui (si l'on tient compte de la juridiction arbitrale des tribuns ou des Xviri litibus judicandis et des conciles de la plèbe) étaient pour les plébéiens ce qu'étaient pour le peuple les jours à la fois fastes et comitiaux. Pour ajouter à la confusion, certaines personnes considéraient les Nundines comme des jours
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religieux 4 néfastes au sens populaire du mot ou comme traînant après elles des dies atri 7. En tout cas, la rencontre des Nundines avec les jours-étapes du mois (K al., Non., Id.), surtout avec les Kalendes, et plus encore avec les Kalendes initiales de l'année, passait pour être de fort mauvais augure $.
Au point de vue théologique, ce chaos ne fut jamais débrouillé. La preuve, c'est que les érudits du temps de Varron ne pouvaient même pas s'entendre sur la question de savoir si les Nundines étaient ou non des féries. Consultés sur ce point par l'augure (M. Valerius) Messala, les Pontifes avaient répondu nun.dinas sibi ferias non videri9; mais ils n'avaient pas tranché le débat par décret officiel, et l'opinion contraire paraît avoir gardé plus d'adhérents"
L'embarras des érudits et des Pontifes tenait aux transactions bizarres qui avaient été consenties par les pouvoirs publics et qui prêtaient elles-mêmes à la discussion. La plèbe avait formulé des exigences contradictoires. Elle avait voulu garder aux Nundines le caractère férié, mais plébisciter de préférence ces jours-là, et même, s'il n'y avait pas assemblée, faire ouvrir le tribunal du préteur. Les conciles de la plèbe n'étant pas des comices, on dut accepter le fait" ; seulement c'était une raison de plus pour interdire absolument ces jours-là les comices ordinaires, et même les concione 12. Mais un jour férié ne pouvait être en même temps « faste ». Toute concession sur ce point était contraire aux principes. La transaction se fit pourtant en 287 par la loi Hortensia. Les plébéiens paraissent avoir renoncé à choisir pour leurs conciles le jour des Nundines, moyennant quoi celles-ci furent déclarées « fastes 13 », c'est-à-dire impropres aux conciles comme aux comices et réservées aux audiences du préteur. De là date cette monstruosité de jours à la fois fériés et fastes, contre laquelle protestaient les érudits qui comprenaient encore le sens des mots. Les Nundines continuèrent à être des jours de chômage et de fête; mais le préteur ne chômait plus, et la crainte de voir les Nundines se rencontrer avec les jours fastes n'avait plus d'objet.
En décidant que les Nundines seraient désormais fastes, le législateur ajoutait sans doute ou sous-entendait la clause : sauf empêchement de droit. Il n'est pas probable que la rencontre des Nundines avec les jours Nn ou N ait enlevé à ceux-ci leur caractère spécifique : la loi a dû avoir pour effet de transformer en jours simplement fastes les jours qui autrement auraient été comitiaux. Dans la période antérieure, où les Nundines étaient assimilables aux jours N' ou N, leur action devait être plus marquée et plus gênante ; elle rendait également fériés ou néfastes les jours fastes et les jours
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comitiaux. La suppression de quelques jours comitiaux pouvait être sons inconvénient; il n'en était pas de même des prélèvements opérés sur le nombre restreint des jours simplement fastes, c'est-à-dire réservés aux affaires judiciaires. C'est ce perpétuel souci, raisonné d'abord, superstitieux ensuite, qui nous fournira le moyen d'expliquer un certain nombre de perturbations et anomalies remarquées dans la structure du calendrier astronomique, tel que l'ont conçu et réglé les Pontifes.
Les recherches portant sur la structure du calendrier romain aux diverses époques de son histoire devraient suivre une marche régressive, allant du connu à l'inconnu. Mais l'ordre chronologique s'impose à qui ne veut qu'exposer les résultats de ces recherches.
L'histoire du calendrier romain sera divisée ici en cinq périodes :
1° Des origines à Servius Tullius ; 2° De Servius Tullius aux Décemvirs ; 3° De la réforme décemvirale à la loi Acilia ; 4° De la loi Acilia à la réforme de Jules César; 5° Régime du calendrier julien.
1° Des origines à Servius Tullius. Si l'on rapproche les textes anciens qui prétendent nous renseigner sur l'année de Romulus et celle de Numa, on tombe dans d'étranges perplexités. Avec des textes, torturés en tous sens, les érudits modernes ont construit des systèmes tellement divers que le profane, scandalisé par un pareil abus de l'hypothèse, passe de la perplexité au scepticisme. Prenons d'abord les textes, qui ne sont eux-mêmes que des débris de systèmes discordants, imaginés par les érudits de l'antiquité.
D'après les analyses fournies par Censorinus et Macrobe1, on enseignait généralement que Romulus avait institué une année de dix mois, soi-disant lunaires, dénommés par lui, dont quatre « pleins » à 31 jours et six « creux» à 30 jours, comptant ensemble, du 1°r mars au 30 décembre, 304 jours. Vint ensuite Numa 2 à moins que ce ne soit Tarquin3 qui ajouta à l'année 51 jours, et, avec ces 51 jours augmentés de six autres prélevés sur les mois romuliens, créa deux nouveaux mois (janvier, 29 jours + février, 28 jours), placés non pas à la fin, mais au commencement de l'année '. Numa, pythagorisant avant Pythagore, avait eu soin que l'année, et, à l'exception du triste février, tous les mois de l'année eussent un nombre de jours impair (29 et 31). Seulement, l'année, portée à 355 jours en l'honneur du nombre impair, dépassait d'un jour la véritable durée de l'année lunaire. Plus tard à moins que ce ne soit dès le début' on imagina l'intercalation, peur tenir l'année lunaire en concordance avec l'gnnée solaire.
Abstraction faite de toutes les variantes, ces textes affirment qu'à côté de l'année religieuse (Numa), qui était une année lunaire, il en existait une autre, d'origine politique ou civile (Romulus), divisée en dix mois ou
périodes. On a cru retrouver, en effet, des vestiges de cette année « romulienne » dans certains usages de la jurisprudence civile et internationale des Romains 6. Quant à l'année lunaire, on pourrait en supposera priori l'existence, car la Lune a été en tout pays le premier régulateur du calendrier religieux, et toute l'histoire du calendrier romain démontre qu'il est parti de l'année lunaire.
Mais une année de dix mois, et surtout de 304 jours ces prétendus mois lunaires étant de plus de trente jours en moyenne est une pure monstruosité. Mommsen pense avoir rendu l'absurde intelligible. Il prétend que les écarts énormes d'une année lunaire à intercalation ou lunisolaire de 355 à 383 jours rendaient indispensable une « année d'affaires »; que celle-ci, ordonnée en raison décimale, fut de dix mois calendaires additionnés et se suivant en série ininterrompue, comprenant ensemble de 282 à 298 jours ; enfin que, le système d'intercalation adopté par les Décemvirs ayant, avec son mois intercalaire de 22 ou 23 jours, gravement altéré la durée moyenne du mois et de l'année, les jurisconsultes avaient pris le parti de considérer comme « mois » le douzième de l'année solaire de 365 jours et porté ainsi la somme des dix mois à 304 jours'. Huschke et Hartmann, dédaignant le sens symbolique attaché par la tradition aux noms de Romulus et de Numa, prennent le contre-pied de cette doctrine. Pour eux, l'année de dix mois n'est qu'une partie de l'année réelle ; c'est la période d'activité religieuse, suivie d'une période complémentaire non divisée en mois'. D'autres, Bergk, Holzapfel, Unger 0, supposent que cette année de dix mois est une pure fiction, imaginée par les érudits en vue d'expliquer pourquoi les noms ordinaux des mois ne dépassent pas le nombre dix (December).
Une solution, sinon définitive, du moins satisfaisante du problème a été cherchée dans une autre voie par Pellengahr, Finàly, W. Soltau10. Si le culte se règle partout sur la lune, nul peuple n'échappe à la nécessité de régler sa vie active sur le soleil, qui fait les saisons. Or, bien qu'il soit difficile de mesurer exactement la durée de l'année solaire, on en avait fait de bonne heure une estimation approchée. En Italie comme en Grèce, le laboureur et le matelot savaient reconnaître, par les levers et couchers des constellations, les principales étapes de l'année solaire. Hésiode suit pas à pas, pour l'instruction des cultivateurs, la marche d'une année solaire de 365 jours, qu'il divise en dix périodes. Qu'Hésiode ait ou non adapté à la latitude d'Ascra des indications empruntées à la Chaldée ou à l'Égypte, et que son almanach n'ait pu se transporter sans retouches dans la Grande-Grèce et le Latium1, peu importe. Ce qui est certain, c'est que, au grand étonnement des érudits, des villes latines comme Albe, Aricie,Tusculum, avaient dans leur calendrier des mois de longueur variable, allant de 16 à 39 jours12. Ces mois ne peuvent être de véritables «mois », mesurant la durée d'une révolution lunaire. Il
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faut que ce soient des périodes appartenant à une année solaire, et ces périodes, on les retrouve, à quelques variantes près, dans l'année hésiodique'.
La conclusion s'impose. L'année romulienne de dix mois, ailleurs année latine, n'est autre chose que l'année solaire hésiodique2, laquelle, commençant au lever vespéral d'Arcturus, soixante jours après le solstice d'hiver, a réagi sur l'année religieuse (lunaire), indifférente par nature à la marche du soleil, et en a fixé le début à la nouvelle lune de février-mars. On a attribué cette année solaire à Romulus, parce qu'elle était à la fois très ancienne et étrangère à la religion, et au temps où l'on n'en comprenait plus l'économie on lui a départi 304 jours, parce qu'on appelait abusivement «mois » les dix périodes dont elle se composait 3 et qu'on ne connaissait pas de mois de plus de 31 jours.
Avec l'année lunaire dite de Numa, nous abordons le calendrier romain proprement dit. C'est à elle qu'appartient la division du mois en étapes correspondant aux phases de la lune. Ici, même sans tenir compte des textes qui attribuent à Romulus l'invention des Kalendes, Nones et Ides4, on se heurte tout d'abord à une première difficulté. II est évident que les « Kalendes » étaient le jour où les prêtres annonçaient en comices « calates » l'apparition de la nouvelle lune (kalendae de calare; cf. mass), et que les Ides, quelle que soit l'étymologie du mot, correspondaient à la pleine lune'; mais c'est en vain qu'on s'évertue à mettre les Nones en rapport avec le premier quartier', et Mommsen a renoncé lui-même à faire coïncider le dernier quartier avec une deuxième espèce de Nones ou nundinae7. On en doit conclure, sans souci des textes qui attribuent l'invention des Kalendes, Nones et Ides tantôt à Romulus et tantôt à Numa que l'année religieuse de l'époque préhistorique, dite année de Numa, se contentait de noter les deux phases principales de la lune (la conjonction et l'opposition)'. Il est à croire qu'on les notait du moins avec soin, par observation directe, et que « l'année de Numa » était bien une année lunaire de 354 jours. Elle ne comptait pas encore des mois de 29 et de 31 jours, additionnés jusqu'à concurrence de 355 jours.
2° De Servius Tullius aux Décemvirs. Nous arrivons ainsi, non pas encore aux réalités palpables, mais au calendrier qui doit avoir précédé et subi la réforme décemvirale. Ce n'est point par pure conjecture que nous le ferons dater de Servius Tullius, le second fondateur de Rome et le rénovateur de ses institutions. Même avec l'idée préconçue que Nones et Nundines remontent au temps de Romulus, les auteurs remarquent que le peuple fêtait aux Nones la naissance de Servius Tullius' et que la plèbe lui rendait un hommage funèbre aux Nundines 10. Varron et d'autres encore affirmaient que les Nundines avaient été institués par Servius Tullius1l. Nous pouvons considérer l'introduction des Nones dans le mois
et des Nundines dans l'année comme le trait caractéristique de la réforme de Servius Tullius, surtout s'il est possible de saisir une corrélation entre ces deux mesures.
Suivons l'enchaînement des hypothèses ingénieuses proposées par W. Soltau. Servius Tullius, en donnant aux Nundines, jusque-là simple jour de marché, le caractère légal de jour férié ou néfaste (N3 ou N), qui protégeait le loisir des gens du peuple contre l'arbitraire des pouvoirs publics, n'entendait pas diminuer le nombre des jours fastes. Au contraire, aux deux jours d'audiences mensuelles prévus avant lui (Kalendes et Ides), il ajouta, dans la première partie du mois, à peu près vide de fêtes religieuses, un troisième jour faste. Seulement, sous peine de compromettre les avantages de la réforme, il fallait éviter la rencontre des Nundines avec les jours fastes. En tant que fériées, les Nundines n'étaient pas moins incompatibles avec les autres féries publiques (jours 1?). Ainsi se posait le problème qui domina depuis lors l'histoire du calendrier romain.
Pour en simplifier les données, Servius Tullius lia indissolublement le nouveau jour faste aux Ides, en le plaçant juste neuf jours (huit jours révolus) avant les Ides, d'où son nom de Nonae" . Les Nones sont à un nundinum des Ides ou sont des Nundines par rapport aux Ides13, et l'affinité étymologique des mots(Nonae-noundinae -nundinum) répond à une connexité réelle. Il résultait de cette disposition que la rencontre des Nundines, une fois évitée avec les Nones, l'était avec les Ides, et réciproquement : il n'y avait plus à surveiller que les Kalendes et les Nones, les Nones surtout 15, puisqu'en cas de collision l'effet était doublé. Quant aux féries publiques, il suffisait de les placer après les Nones et aux jours impairs pour que, les Nones (jour impair) une fois évitées, les féries N ne fussent jamais atteintes par les étapes d'une série arithmétique ordonnée sur le nombre 8. Les Nundines suivant une marche invariable, il fallait, pour prévenir les rencontres, donner aux Nones et Kalendes une certaine mobilité, désarticuler, pour ainsi dire, le cadre du mois lunaire. Alors commencent, la superstition des nombres pairs ou impairs aidant", ces bizarres arrangements qui placent les Nones tantôt à cinq, tantôt à sept jours des Kalendes (Nonae quintanae-septimanae), rapprochent ou éloignent les Kalendes des Ides précédentes en allongeant ou raccourcissant la durée du mois (de 29 à 31 jours) et gardent, pour parer à toute difficulté, la ressource de l'intercalation. Avec l'intercalation du mois supplémentaire d'abord, puis d'un jour additionnel (dies intercalaris)16 qui pouvait occuper tous les postes etportait le total des jours de l'année commune à 355, on modifiait au besoin la durée de l'année elle-même pour éviter la rencontre, particulièrement redoutée, des Nundines avec le jour de l'an.
Les anciens ne savaient pas plus que nous à quelle époque le système de l'intercalation avait été appliqué
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au calendrier romain'. L'écart des opinions va de Romulus aux Décemvirs, et même au delà. Le besoin de remettre de temps à autre l'année lunaire d'accord avec le soleil est si impérieux que rien n'empêche de supposer « l'année de Numa » ordonnée en cycles à intercalations. Ces cycles étaient-ils de deux, de quatre, de huit ans? La question est fort discutée et ne comporte pas de solution appuyée sur des documents z. Mais une véritable année lunaire ou lunisolaire n'admet que l'intercalation de mois lunaires entiers. Le calendrier de Servius Tullius, avec ses mois de 31, 29, 27 jours, et ses Kalendes, Nones, Ides artificiellement déplacées, prit avec la lune de telles libertés que l'astre passait à l'état de régulateur nominal. Il ne suffisait plus d'observer; nul ne pouvait connaître à l'avance les caprices de la lune officielle. C'est à cette époque que le collège pontifical, complètement maître du calendrier, dut pratiquer dans tout son imprévu le système d'annonces exposé par les auteurs 3. Le jour où était censé apparaître le croissant de la lune nouvelle (kalendae), un scribe du collège (ponli fex minor) annonçait au peuple réuni en comices « calates » sous la présidence du roi combien de jours (5 ou 7, y compris le jour des Kalendes) allaient s'écouler jusqu'aux Nones, répétant de la formule pontificale le mot calo autant de fois qu'il y avait de jours d'intervalle. Puis la docile assemblée, réunie de nouveau aux Nones, apprenait alors de la bouche du roi les noms et jours des féries à observer, et, en général, « ce que l'on avait à faire dans le mois4 ».
Tout, dans ce calendrier, le nombre, la qualité, la répartition des jours, était comme à l'état fluide et se fixait au fur et à mesure par des procédés qui restaient le secret des Pontifes. Il est bien question d'une certaine loi Pinaria (472), qui passe pour avoir réglementé la confection du calendrier, ou tout au moins l'intercalation; mais les textes qui nous en parlent' ne contiennent pas ce qu'on a cru y voir. La susdite loi s'occupait probablement d'un tout autre objet; elle réglait certains délais de procédure, et elle spécifiait à ce propos si les jours ou mois intercalaires entraient ou non dans ces délais légaux. Du reste, si elle avait touché au calendrier, elle n'eût fait qu'enregistrer et imposer quelque décision pontificale, car nul profane à cette époque n'eût pu lutter avec l'autorité du collège. Seule, la commission décemvirale, chargée de fixer les principes du droit, put essayer en même temps de doter les Romains d'un calendrier perpétuel.
3° De la réforme décemvirale à la loi Acilia (449-194
av. J.-C.). Le calendrier décemviral est celui qui, à peine modifié par quelques retouches, a duré jusqu'au temps de César. C'est dire que nous avons chance d'en connaître assez exactement la structure. L'année romaine avant César était une année lunisolaire, avec cycle quadriennal dans lequel alternaient les années communes et les années embolismiques. L'année commune était de 355 jours, répartis en douze mois, dont quatre à 31 jours (mars-mai-juin-octobre), un à 28 jours (février), les sept autres à 29 jours. L'année embolismique était tantôt de 377, tantôt de 378 jours, le « mois intercalaire (Alercedonius) 6 » comprenant tantôt 22, tantôt 23 jours intercalés entre le 23 (Terminalia) et le 24 février'. Le total des jours compris dans le cycle quadriennal était de 1465, soit quatre de plus que la somme de quatre années juliennes. Autrement dit, la durée moyenne de l'année dépassait d'un jour celle de l'année solaire.
C'est autour de cette inconcevable erreur d'un jour par an que tournent tous les systèmes des érudits contemporains, systèmes nés de deux états d'esprit opposés. Pour les. uns, les Romains, incapables même de comprendre les calculs des astronomes grecs, qu'ils avaient cru suivre, incapables de redresser des erreurs dont les conséquences devaient être, au bout de quelques années, visibles à tous les yeux, ont laissé errer leur année à travers les saisons ou l'ont corrigée à l'aventures : pour les autres, les Pontifes n'ont commis ou accepté que des erreurs voulues, gardant par devers eux les moyens de les redresser et les corrigeant en effet, de façon à maintenir le calendrier d'accord avec le soleil'. Ainsi, on ne s'entend même pas sur le point de fait : à savoir si le calendrier pontifical a eu ou non une marche régulière, en dehors de certaines époques où le désarroi a été manifeste, mais peut avoir été provoqué par l'astuce des Pontifes plutôt que subi par leur incapacité. C'est sur ce point de fait, où les textes historiques peuvent seuls décider1D, que porte tout l'effort des deux écoles rivales : Mommsen-Matzat d'un côté ; Unger-Soltau de l'autre. Ne pouvant comparer et discuter ici les systèmes contradictoires de ces deux écoles, nous suivrons de préférence celui de W. Soltau, qui paraît donner satisfaction à la fois aux textes et aux vraisemblances.
Tout d'abord, il n'est pas démontré que cette erreur d'un jour par an ait été commise par les Décemvirs. Le collège décemviral était renseigné par une commission d'études préparatoires, qui avait séjourné deux ans en
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pays grec et en avait ramené Hermodore d'Éphèse'. A défaut de ces lumières spéciales, il devait connaître, par la tradition hésiodique ou italique, la véritable durée de l'année solaire 2. La superstition du nombre impair n'a rien à faire ici. Les Décemvirs, d'ailleurs assez libres penseurs, pouvaient conserver à l'année commune ses 355 jours3, et intercaler quatre jours de moins dans leur cycle, de façon à avoir pour total 1461 jours.
Supposons que le premier collège décemviral ait commencé son oeuvre législative par le commencement', c'est-à-dire par la réorganisation du calendrier. Le but visé étant de faire un calendrier perpétuel, avec intercalations fixes, l'exactitude était de rigueur. Le souci qui avait causé toutes les perturbations antérieures n'existait plus, car Ies Décemvirs comptaient faire des lois pour le peuple entier et supprimer la constitution particulière de la plèbe. Dès lors, il n'y avait plus à se préoccuper des Nundines, qui n'avaient d'importance politique que pour la plèbe et qui allaient redevenir simplement jours de marché. Les Décemvirs prirent donc comme base de leurs calculs le chiffre de 1461 jours pour quatre années solaires. Ce chiffre, divisé de façon à conserver aux mois leur nombre traditionnel de jours (31, 29, 27 pour 28 en février), donna quatre années soi-disant lunisolaires de 354 + 376 + 354 + 377 jours. Le nouveau calendrier dut être affiché avec les autres a Tables ».
La réforme eût été définitive sans les abus de pouvoir et la chute du second collège décemviral. La plèbe reprit ses exigences; elle réclama ses tribuns et la jouissance exclusive de ses Nundines. Avant d'abdiquer, les Décemvirs durent faire voter une loi de intercalando s qui, sacrifiant l'exactitude mathématique aux vieux scrupules, restaura le régime antérieur et chargea les Pontifes de prévenir, comme autrefois, la collision des Nundines en intercalant au besoin un jour supplémentaire (dies intercalaris), le 355ème de l'année commune.
De perpétuel qu'il devait être, le nouveau calendrier devenait donc mobile comme l'ancien, quoique dans une moindre mesure, et, par là même, il cessait d'être public pour devenir comme la propriété des Pontifes. Comment ceux-ci ont-ils manié le nouvel instrument, qu'ils avaient intérêt à ne pas laisser se détraquer entre leurs mains 2 W. Soltau se livre à des calculs compliqués pour démontrer qu'avec le dies intercalaris placé en lieu opportun trois fois en quatre ans, et la suppression d'un mois et un jour intercalaire (23 + 1) sur trente-deux années, au besoin, et comme ressource extrême, en ordonnant une férie conceptive (N°) pour enlever à un jour de collision le caractère faste, les Pontifes devaient arriver à satisfaire la superstition des Nundines sans déranger le calendriers. Quel que fût le secret des Pontifes, il fut surpris et livré au public, avec d'au
tres arcanes (par exemple, les actions de la loi) par un ex-scribe du collège, l'édile curule Cn. Flavius (304 av. J.-C.), qui fit afficher, à la grande joie du peuple, des Fastes perpétuels'.
Ce coup ne dessaisit pas les Pontifes de leur fonction, mais il les empêcha de mener le calendrier à leur guise et rendit inutiles les proclamations des Kalendes et Nones. Au bout d'un siècle, les Pontifes avaient trouvé le moyen de reprendre ce qui leur avait été enlevé. Dans son calendrier fixe, Cn. Flavius avait dû immobiliser le dies intercalaris, qu'il plaça sans doute après les Terminalia, là où César introduisit plus tard le jour intercalaire des années bissextiles. Autrement dit, il ne s'était plus soucié des Nundines, soit que celles-ci eussent déjà été déclarées fastes par la loi Hortensia, soit qu'il eût escompté par avance l'adoption d'une mesure déjà réclamée par la plèbe R. Mais une superstition, même née de motifs raisonnables à l'origine, ne se laisse plus éliminer ainsi pal' le raisonnement. Nombre de gens craignaient encore la rencontre des Nundines avec les Kalendes, Nones et Ides, et tous considéraient comme redoutable une collision avec le premier jour de l'an (primae Kalendae), fixé de temps immémorial aux Kalendes de mars. Des superstitions analogues, qui trouvèrent des arguments dans les malheurs de la deuxième guerre Punique, pullulaient autour de celle-là. On croyait, par exemple, que les années à intercalations portaient malheurs, ce qui faisait souhaiter de pouvoir les ajourner dans les moments de crise.
Les Pontifes, en partageant peut-être ces faiblesses d'esprit, n'oubliaient pas l'art de s'en servir pour des fins particulières. Ils supprimèrent un certain nombre d'intercalations 10, si bien qu'en moins de vingt ans de ce régime, le calendrier se trouvait en avance de 125 jours sur l'année solaire ". Le désordre étant, à la fin, devenu intolérable, il fut entendu que les Pontifes étaient seuls en état de remettre le calendrier au point. Ils demandèrent pour cela de pleins pouvoirs, qui leur furent accordées par la loi Acilia de intercalando (191), due à l'initiative du consul M'. Acilius Glabrio lz
4° De la loi Acilia à la réforme julienne (191-46 av. J.-C.) Les Pontifes s'étaient enfin débarrassés du calendrier perpétuel ; ils avaient la permission d'intercaler à leur gré13. On prétend qu'ils abusèrent sans pudeur de la confiance du peuple, allongeant, raccourcissant l'année pour favoriser ou desservir soit les magistrats, soit les publicains''", et cela sans prévenir au moins à l'avance le public. Ces récriminations ont dû être justifiées durant le désordre qui provoqua le vote de la loi Acilia, ou celui qui précéda immédiatement la réforme julienne ; mais, dans l'intervalle, les Pontifes paraissent avoir convenablement corrigé, quoique sans trop de
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hâte', et mené ensuite le calendrier remis à leur tutelle. Enfin, ils profitèrent de l'occasion qu'ils avaient fait naître pour accomplir une réforme dont l'habitude de la guerre avait fait sentir la nécessité. Pendant des siècles nous aurons occasion de le répéter plus loin le début de l'année officielle, marqué par l'entrée en charge des des consuls, avait oscillé, au hasard des circonstances, à travers tous les mois du calendrier civil et religieux. On avait senti les inconvénients de cette instabilité, et depuis 222 avant J.-C. on avait maintenu la date initiale de l'année officielle aux Ides de mars, quelques jours après le début de l'année calendaire. La superstition, qui à Rome servait souvent à consolider les mesures jugées utiles, avait dû protéger celle-ci contre un retour possible aux anciens errements. Il semble qu'on ait craint depuis lors d'ouvrir l'année officielle avant l'année calendaire. Même à la fin de la République, ce scrupule, survivant à sa cause, empêchait encore les consuls sauf urgence de faire voter la loi curiate, qui leur permettait d'emporter de Rome l'imperium militaire, avant le mois de mars
Cet accord approximatif des deux computs ainsi obtenu, les choses n'étaient pas encore au mieux. Les nouveaux consuls avaient besoin de quelques mois pour expédier les affaires courantes, et, en cas de guerre, ils n'étaient pas prêts assez tôt à entrer en campagne. Il y avait avantage à placer en hiver le commencement de l'année officielle, et, puisque celle-ci était désormais liée à l'autre, il fallait avancer pour toutes les deux la date initiale. Grâce à l'avance anormale du calendrier depuis 208, les Pontifes avaient satisfait aux exigences de la pratique. Restait à modifier la théorie, ce qui était plus difficile. Les plus ignorants savaient à Rome que le dernier mois de l'année était le mois de février, où la religion ordonnait les grandes purifications et plaçait la fête des Terminalia, où s'inséraient les jours intercalaires, ce mois enfin qui n'était si court que parce qu'il était formé avec le reliquat des onze autres. Il eût fallu, pour toucher à cette oeuvre antique, la main d'un Numa. Mais les Pontifes n'étaient jamais à court d'expédients. La voix du vieux Numa pouvait encore se faire entendre. Justement, en 186, le hasard fit rencontrer le tombeau de Numa, qui se trouva contenir des livres de droit pontifical et de philosophie pythagoricienne, livres remplis d'ailleurs de doctrines assez subversives. On les brûla, sans doute pour faire disparaître les preuves de la supercherie; mais il en resta l'idée que la vraie tradition pouvait dispenser d'un certain nombre de scrupules 3.
Quels qu'aient été les auteurs et les intentions des auteurs de cette dangereuse expérience, qu'elle ait servi à justifier une réforme déjà faite par la loi Acilia, ou à la faire considérer comme désirable4, il est à supposer
IV.
que les Pontifes en tirèrent parti. On découvrit alors ou on put prouver que Numa, à l'encontre de l'opinion reçu,e, avait bien mis en tête de l'année le mois de Janus, du dieu qui préside à tous les commencements 6. Le début de l'année calendaire fut reporté en janvier, et l'histoire rétrospective du calendrier fut accommodée de façon que l'innovation parût un retour aux• vieux usages. De là proviennent ces anachronismes rencontrés plus haut, qui attribuent à Numa et àson calendrier les habitudes soi-disant restaurées par la loi Acilia. Du reste, rien n'était changé par là dans l'ordre des cérémonies du culte. On continua, comme par le passé, à liquider ses dettes de conscience au mois de février. Ceux qui, au nom de la logique, prétendirent faire leurs dévotions aux défunts en décembre, comme D. Brutus', n'eurent pas d'imitateurs.
Le début de l'année calendaire désormais plus civile que religieuse étant ainsi placé aux environs du solstice d'hiver (bruma), il n'y avait plus qu'à y transférer également le début de l'année officielle, principalement visée par la réforme. Pour cela, il n'était pas besoin d'une loi mais d'une occasion qui fît sentir à nouveau l'avantage d'avoir des consuls disponibles de bonne heure. Cette occasion, on la trouva, paraît-il, dans une révolte qui éclata en Espagne à la fin de 154 avant J.-C. Les consuls de 153 entrèrent en fonctions aux Kalendes de janvier 8, et cette date resta désormais invariable.
De quelle façon les Pontifes, réinvestis par la loi Acilia du droit de gouverner à leur gré le calendrier, s'acquittèrent-ils de leur tâche ? Cette tâche était notablement simplifiée depuis la loi Hortensia, en ce qui concerne la collision des Nundines. Il n'y avait plus à éviter que la rencontre des Nundines avec les Kalendes de janvier. Mais, au point de vue astronomique, il fallait toujours éliminer l'excédent produit par le dies intercalaris annuel. Macrobe affirme sans viser d'ailleurs une époque déterminée que les Romains allégeaient la surcharge de leur calendrier en éliminant 24 jours dans le dernier tiers d'une période de 24 ans 9. Au lieu de rejeter ce texte et son « jour intercalaire n, on peut l'utiliser pour la période qui suit la loi Acilia 70.
Quoi que l'on pense du cycle de vingt-quatre ans et de la possibilité d'échapper avec lui, tous les ans ou presque tous les ans, à la lettre nundinale A, il paraît certain que le calendrier pontifical est resté d'accord avec l'année solaire jusqu'au moment où les Pontifes ont jugé à propos de le déranger. On croyait jusqu'ici trouver la preuve du contraire dans les textes relatifs à la naissance d'Auguste en 63 avant J.-C., l'année du consulat de Cicéron. Les uns affirment qu'Auguste est né sous le signe de la Balance ", et il est certain que
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la 23 septembre était fêté comme son jour de naissance 1. Mais on entend dire aussi qu'Auguste est né sous le signe du Capricorne 2; qu'il fit lui-même publier son horoscope avec le Capricorne pour maître de la géniture; et l'existence de monnaies frappées au signe du Capricorne 3 prouve que Suétone ne se contredit pas ainsi par pure inadvertance. Il est assez commode de résoudre la difficulté en disant que, en 63, le calendrier avançait sur l'année solaire au point d'indiquer décembre et le Capricorne à la date julienne de septembre, date rétablie après coup par le calcul'. Mais la discussion des textes relatifs au consulat de Cicéron ne permet pas d'admettre un tel écarts, et la concurrence entre la Balance et le Capricorne s'explique très simplement par la théorie astrologique d'Archinapolus 6, qui attachait l'horoscope au moment de la conception. C'est la Balance qui a vu naître le fondateur de l'Empire ; mais c'est sous l'oeil du Capricorne qu'il avait été conçu neuf mois auparavant. L'éclectisme romain associait les deux systèmes astrologiques, au lieu d'opter entre eux.
Si le calendrier était en ordre à la date de 63 avant J.-C., on le trouve en avance sur le soleil cinq ans plus tard. Les Pontifes ont dû omettre l'intercalation en février 58. En 5G, nouvelle omission; de blême en 50 et 48'. Le calendrier finit par avancer de trois mois pleins (90 jours) sur l'année solaire. Si l'on cherche à deviner les motifs de ce désarroi voulu, on n'en trouve guère d'autres que l'animosité de l'aristocratie contre César. Les années abrégées tombent toutes dans la période occupée par les proconsulats du futur dictateur. L'événement trompa l'attente des Pontifes. Une fois maître de la situation, César, en qualité de dictateur et non de Grand-Pontife, les dessaisit de leur privilège et fonda un calendrier perpétuel, qui fut désormais hors de leur atteinte.
5° Régime du calendrier julien (45 av. J.-C.). On discute encore sur les règles suivies et les modèles imités dans les calculs qui ont servi à établir le calendrier julien 8. En adoptant résolument l'année solaire de 365 jours 1/4, mais conservant la date initiale du 1eL janvier et les mois inégaux de 31 à 28 jours, Césara transigé avec les habitudes prises. Il en résulte que son calendrier n'est exactement repéré ni sur les divisions de l'année astronomique équinoxes et solstices ni sur les signes du Zodiaque. Les mathématiciens employés par César, ayant à répartir entre les douze mois les 10 jours dont l'année solaire excède l'ancienne année de 355 jours, ne paraissent pas s'être beaucoup préoccupés de suivre les inégalités constatées parles Grecs dans la durée des saisons,
d'allonger les mois d'été et de raccourcir ceux d'hiver 9. Ils ajoutèrent, au contraire, six jours entre l'équinoxe d'automne e t celui du printemps, et quatre jours seulement aux six autres mois 10. La qualité de « fastes » (Il), que nous savons avoir été attribuée par César à ces jours additionnels, nous permet de les retrouver dans les calendriers épigraphiques, aux places indiquées par Macrobe 11 et choisies en vue de ne rien déranger dans l'ordre traditionnel des fêtes religieuses.
Dans le nouveau système, la correction du calendrier perpétuel se réduisait à l'intercalation d'un jour tous les quatre ans révolus (quarto quoque ana() confecto, antequam quintus inciperet t2). Il s'agit de ce « jour intercalaire » dont l'existence avant César, affirmée par les témoignages anciens S3, est niée par les érudits qui le considèrent comme partie intégrante et non mobile de l'ancienne année de 355 jours. On ne s'entend pas encore aujourd'hui sur la place assignée par César à ce jour vide, qui ne comptait pas plus dans les dates et délais prévus par la jurisprudence que l'ancien « mois intercalaire 14 ». Il est certain que le jour intercalaire s'appelait a. d. bis VI Kal. Hart., d'où le nom de « bissextiles » conservé depuis lors aux années embolismiques. Mais était-il intercalé avant ou après le jour (a. d. VI Kal. Hart. 24 février) qu'il doublait ? Après est plus conforme au sens de bis sextus, et c'est ainsi que l'entendent les juristes du temps de l'Empire là. Une inscription de l'an 168 après J.-C. affirme que le 5 avant les Kalendes de mars (25 février) suit immédiatement le jour bissextile 1G, celui-ci intercalé, par conséquent, après le 24 février. Mais ces arguments ne sont pas aussi péremptoires que le pense Mommsen. Il y a eu de tout temps des gens mal informés ". Les textes précis de Censorinus et de Macrobe, corroborés par l'usage traditionnel de l'Église, qui, dans les années bissextiles, transporte aux 2529 février les Saints inscrits aux 21128, doivent prévaloir contre ces informations suspectes'°. Nous tiendrons pour démontré que l'intercalation du jour supplémentaire dans le calendrier julien s'opérait entre le 23 et le 24 février.
On a vu plus haut que César avait remanié la liste des jours fériés, néfastes et fastes : nous n'y reviendrons pas ici. Disons seulement que le législateur, trouvant les Romains aussi complaisants que jadis les Athéniens pour le Poliorcète, se paya de sa peine en faisant attribuer par la loi Antonia (44) son nom (Julius) à l'ancien mois Quintilis, qui avait eu l'honneur de le voir naître19.
Pour mettre en vigueur le nouveau calendrier, César dut au préalable corriger l'écart produit par les intrigues
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pontificales, c est-à-dire combler un déficit de 67 jours ou 90 joins en comptant l'avance normale du cycle lunisolaire sur le soleil dans une année commune. La liquidation du passé se fit au cours de l'année 46 (annus confusionis 1). D'après Censorinus, César intercala pour la dernière fois en février 46 l'ancien mois intercalaire de 23 jours, et, des 67jours restants, il fit deux autres mois (intercalaris prior et posterior), insérés entre novembre et décembre ; de sorte que cette « année de confusion » compta 445 jours. répartis en quinze moise.
Cette solution si simple paraît monstrueuse à Mommsen 3. Il en propose une plus élégante, appuyée sur un postulat déjà rejeté `', à savoir la coïncidence de la réforme julienne avec le transfert du début de l'année calendaire au ter janvier. Suivant lui, les consuls de l'année 46, entrés en fonctions au ter janvier 46 (onzième mois de 47 vieux style) et sortis au ter janvier 45 (nouveau style) sont bien restés en activité durant quinze mois ou 445 jours; mais il n'y a pas eu d'année calendaire de cette durée. L'année 47 (de mars 47 à mars 46) était une année embolismique de 378 jours. L'année de transition 46, commencée au ter mars, a, grâce aux deux mois extraordinaires (67 jours) intercalés entre novembre et décembre achevé ses douze mois au 31 décembre 46, et les deux mois (janvier-février) qui auraient dît lui appartenir d'après l'ancien style sont adjugés par le nouveau à l'année 45. Mais, comme nous admettons que l'année calendaire commençait depuis longtemps déjà au ter janvier, il ne nous paraît pas nécessaire de supposer que « le grand médecin » ait eu « la main si légère » et que personne jusqu'ici n'avait compris son procédé opératoire.
Si bien équilibré qu'il fût, le calendrier julien se heurta dans sa marche à un obstacle imprévu. D'abord, César lui-même, après l'avoir mis au point, paraît avoir commis la faute de pratiquer le système de l'intercalation anticipée, en ajoutant, dès 45, le jour supplémentaire qui aurait dû n'être intercalé qu'en 49, à la fin du cycle quadriennal'. En outre, soit pour provoquer une retouche et arriver à l'intercalation normale en fin de cycle, sous prétexte de satisfaire l'incurable superstition des Nundines7, soit par pure ignorance, les Pontifes comprirent mal ou feignirent de mal comprendre la règle d'intercalation. Ils interprétèrent quarto quoque anno, comme l'eût fait le vulgaire, par « tous les trois ans révolus ». Au bout de trente-six ans de ce régime, ils avaient déjà intercalé trois jours de trop et mis d'autant le calendrier en retard sur le soleil.
Alors Auguste intervint. Pour redresser les erreurs commises, il suspendit l'intercalation pendant douze
ans et il attendit encore quatre autres années avant de reprendre l'intercalation, qui d'anticipée devint ainsi consécutive. C'est donc en l'an 8 avant notre ère que commence la série des années bissextiles continuée jusqu'à nos jours sur des années de nombre pair. Auguste, en tout imitateur de César, profita de l'occasion pour remanier la liste des féries, désormais surchargée d'anniversaires dynastiques, et pour donner son nom au mois Sextilis, qui était plein de ses victoires'.
Le calendrier julien, enfin affermi sur son assiette, franchit sans encombre le règne de Claude, dont la manie archéologique se contenta de déranger quelques Nundines pour éviter des rencontres fâcheuses S0. Il échappa de même aux tentatives faites par les empereurs pour substituer ou accoler leurs noms aux anciens noms des mois. Ceux qui voulurent déposséder les dieux éponymes firent scandale, et ceux qui se contentèrent d'envahir les mois désignés par leurs numéros d'ordre (de septembre à décembre) ne réussirent pas mieux". Quant au vice de construction qu'il portait en lui-même, aperçu ou non de ses auteurs 12, il ne devint sensible qu'à la longue. On sait que le calendrier julien suppose à l'année solaire une durée de 365 j. 6 h. tandis que l'année solaire réelle (tropique), accourcie par la précession des équinoxes, n'est que de 365 j. 5 h. 48' 46x,83. Il en est résulté que, au bout d'environ 138 ans, l'année julienne retardait d'un jour sur le soleil. Cet écart atteignait dix jours au moment oit il fut corrigé par la réforme grégorienne (1582) et prévenu, pour les siècles à venir, par un cycle d'élimination qui supprime trois jours intercalaires en quatre cents ans. C'est aux astronomes futurs qu'il appartiendra de remettre le calendrier au point, quand la petite fraction de jour négligée par Grégoire XIII l'aura de nouveau déséquilibré.
III. FASTES CONSULAIRES. -Le calendrier romain, malgré
quelques écarts, malgré les vicissitudes subies en passant de l'année lunaire à l'année lunisolaire et de là à l'année purement solaire, aurait pu fournir à la chronologie historique une mesure suffisamment stable de la durée. Mais, pour compter, comme nous le faisons aujourd'hui, les années à l'état anonyme, désignées seulement par leur numéro d'ordre, il faut avoir préalablement marqué, sur la route infinie du temps, un point de départ, le commencement d'une ère. Ce point de départ ne peut être fourni que par un événement marquant, dont le souvenir est rattaché, par synchronisme ou par mesure exacte des distances, à quelque autre date antérieurement connue, qui la fixe à la façon d'une amarre, en prenant elle-même, par l'effet de cette solidarité, une fixité plus assurée. Or les peuples grandissent au jour le
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our; quand la réflexion leur vient, il y a longtemps qu'ils ont perdu le souvenir de leurs origines, et la trace des événements marquants qui ne paraissent tels qu'à distance flotte dans le vague du passé.
Vers le début du me siècle avant notre ère, Cn. Flavius croyait pouvoir fixer la date de sa dédicace du temple de la Concorde à deux cent quatre ans après la dédicace du temple de Jupiter Capitolin'. Denys d'Halicarnasse 2 a retrouvé dans les archives de grandes familles romaines un document qui évaluait à cent dix-neuf ans le temps écoulé entre l'expulsion des rois et le consulat de L. Valerius Potitus et T. [M.] Manlius Capitolinus (392 av. J.-C.). En supposant, comme on le fit, que le temple de Jupiter Capitolin avait été dédié la première année de la République (le 13 sept.), on arrivait par des voies différentes à une même date qui put servir de point de départ à une ère républicaine (post
reges exactos ou post aedem Capitolinam dedicatam). Mais
cette date initiale restait elle-même suspendue dans la durée. Quand les Romains furent persuadés qu'ils descendaient des Troyens, ils conçurent l'espoir de rattacher leurs origines mêmes à la grande date qui dominait depuis longtemps toute la chronologie des Grecs, à la prise de Troie. 11 fallait atteindre d'abord, au moyen des listes de magistrats, la fondation de la République, remonter de là, à l'aide des noms de rois, à la fondation de Rome, et combler l'intervalle restant entre la fondation de Rome et la prise de Troie avec des générations de rois albains issus d'Çnée. Caton et d'autres annalistes se mirent à l'oeuvre ; mais de données hypothétiques sortirent des résultats divergents. Avec le temps, ces divergences s'atténuèrent; il se forma une opinion courante, et vers la fin du II° siècle avant notre ère, on commença à user discrètement de l'ère ab Urbe condita 8. Encore cet usage ne fut-il jamais adop té par le comput officiel, ni pour les actes de chancellerie, ni pour les conventions privées 4.
On reviendra plus loin sur ces questions; il suffit actuellement de constater que les Romains sont restés fort longtemps dépourvus de tout système chronologique leur permettant de compter arithmétiquement les années. Il est tout naturel dès lors que, nommant des magistrats annuels, ils aient désigné les années isolément par les noms des consuls. Les Pontifes, qui dirigeaient le calendrier, n'eurent qu'à l'annoter, à yjoindre les noms des éponymes, pour dresser, en regard des années calendaires, une liste parallèle de collèges consulaires 5. Le nom de Fasti, qui n'appartenait proprement qu'au calendrier, fut donné par extension à cette annexe du calendrier, les Fasti consulares.
Si les collèges consulaires s'étaient succédés d'année en année à époque fixe, les années officielles auxquelles ils donnaient leurs noms auraient marché du même pas
que les années calendaires, et la cause de tous les embarras des chronographes, anciens et modernes, n'eût pas été posée. Mais les Romains ont longtemps maintenu, avec un entêtement de juristes, le principe de l'annuité du consulat. Élus pour un an, les consuls avaient le droit strict de gérer leur magistrature un an durant, quelle que fût la date de leur entrée en fonctions. Or, cette date pouvait à tout moment être avancée par des morts ou des abdications prématurées, retardée peut-être par des interrègnes. Ces variations perpétuelles de l'année consulaire ont eu pour résultat inévitable un défaut de concordance entre la série des années calendaires et la série parallèle des années officielles. En d'autres termes, un certain nombre d'années calendaires ne correspondait plus à un nombre égal d'années consulaires.
Sur la réalité historique de cette discordance, nul doute n'est possible; seulement, les textes qui l'établissent ne suffisent pas à en marquer toutes les oscillations. Bien que ces textes aient été l'objet de patientes etminutieuses études ce qui frappe le phis dans les résultats de ces doctes essais, ce sont les divergences. 11 suffit, pour être renseigné sur ce point, de jeter un coup d'oeil sur les tableaux dressés par Mommsen, Unger, O. Seeck, Soltau et autres. Les conflits des systèmes avertissent assez que l'exégèse des textes est souvent conjecturale; mais personne ne conteste que jusqu'en 153 avant notre ère les fluctuations de l'année officielle ou consulaire n'aient été amples et fréquemment répétées. Il résulte de là que les rédacteurs des Fastes consulaires n'ont pas pu, sans altérer l'ordre réel des faits, mettre chaque collège consulaire en regard d'une année calendaire. Ce parallélisme artificiel, qui existe dans les Fastes épigraphiques comme dans la chronologie des historiens, n'a pu être obtenu qu'au moyen de fictions légales, de transactions et d'approximations perpétuelles. C'est de cette conclusion préalable qu'il faut partir pour expliquer les divergences relevées dans les documents dont nous disposons.
Ces documents sont de trois sortes :
1° Les textes des annalistes et historiens qui peuvent, par juxtaposition, former des listes plus ou moins complètes de collèges consulaires. De 509 à 293 avant J.-C., les Fastes ne sont entiers que dans Tite-Live. Denys d'Halicarnasse va de 509 à 443; Diodore, de 486 à 302.
2° Les Fastes dressés par les chroniqueurs et chronographes de profession, comme les Fastes du Chronographe de 334 (Anonymus Norisianus), complets de 509 avant J.-C. à 354 après J.-C. 7 ; les Fastes attribués à Idatius (Fasti Hispani), de 309 avant J.-C. à 468 après J.-C. 8; la Chronique de Prosper d'Aquitaine, avec Fastes consulaires de 29 à 455 après J -C.9 ; la Chronique de Cassiodore, avec Fastes consulaires de 509 avant J.-C. à
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519 après J.-C.' ; le Chronicon Paschale ou rllexandrinum, dont les Fastes vont jusqu'à l'abolition du consulat impérial (628 après J.-C.) 2.
30 Les inscriptions, et, en première ligne, les fragments des Fasti Capitolini, gravés sur les murs de la Regia au temps d'Auguste (vers 36 a. Chr.) et tenus au courant jusqu'enl'an22 après J. -C. Ils étaient accompagnés d'un supplément, les Fastes triomphaux ou liste des triomphes, celle-ci rédigée et gravée plus tard (12 av. J.-C.) 3. Des noms de consuls se trouvent cités, comme mention de date, dans des fragments de Fastes municipaux', dans les Actes des frères Arvales 6 et autres Fastes sacerdotaux, ainsi que dans une foule d'inscriptions particulières.
Avec les textes et les inscriptions, on a pu contrôler, compléter les compilations des chronographes et reconstituer les Fastes consulaires depuis les origines jusqu'à la suppression du consulat en 541 après J.-C. G.
L'étude des Fastes révèle des divergences qui portent toutes sur la partie la plus ancienne et se trouvent confinées entre 482 et 301 avant notre ère. On distingue, pour cette période, trois systèmes concurrents : celui des annalistes, suivi par Tite-Live ; celui de Diodore et celui des Fastes capitolins.
1° Le trait caractéristique du système des Fastes capitolins (suivi par la majorité des chronographes postérieurs) est l'intercalation de quatre années « dictatoriales », données comme sine consulibus '(333, 324, 309, 301 av. J.-C.). Ces années, jointes à cinq années d'anarchie (solitudo magistratuum, 375-371 av. J.-C.), constituent dans les Fastes un total de neuf années anonymes.
2° Le système des annalistes', abstraction faite de quelques variantes, admet aussi les cinq années d'anarchie, mais ignore les quatre années dictatoriales. Seulement, comme il alloue deux années pleines aux Décemvirs, tandis que les Fastes capitolins associent un collège consulaire aux Décemvirs dans la première année décemvirale (451 a. Chr.), l'écart entre les deux listes se réduit à trois ans. La date initiale des Fastes consulaires, qui correspond à 509 avant J.-C. dans la liste capitoline, se trouve ramenée à 506 avant notre ère.
3° Le système de Diodore fourmille de singularités, où il semble bien que de faux calculs se mêlent aux inadvertances. Au lieu de cinq années d'anarchie, Diodore
n'en compte qu'une seule, et il ne connaît pas plus que les annalistes les années dictatoriales des Fastes capitolins. Parmi les permutations, interpolations, omissions que se permet Diodore, la plus étrange est la répétition, aux dates de 389-385 avant J.-C., de cinq collèges éponymes déjà placés aux cinq années précédentes (394390 av. J.-C.), répétition compensée d'ailleurs par l'élimination de cinq collèges, qui figurent dans les autres Fastes entre 423 et 419 avant J.-C. et sont absents de la liste de Diodore. Enfin les Fastes de Diodore sont en retard de six années sur le comput varronien8. Ces particularités ont attiré depuis longtemps l'attention des érudits. On ne peut que renvoyer ici aux nombreuses études publiées sur les sources, les intentions, les procédés de la chronologie gréco-romaine de Diodore'. Vantée par les uns, dédaignée par les autres, l'oeuvre de l'érudit sicilien sert le plus souvent à infirmer ou à confirmer les inductions tirées de l'examen comparatif des autres systèmes.
C'est donc entre les deux autres systèmes qu'il convient d'instituer une comparaison. Il reste à examiner et, si faire se peut, expliquer les divergences graves, mais peu nombreuses, existant entre les Fastes que nous appellerons annalistiques et les Fastes capitolins.
Les uns et les autres proposent tout d'abord à notre foi une sorte de miracle prétendu historique, la suspension des magistratures durant cinq ans entiers (375-371); suspension expliquée par les violences des tribuns qui parvinrent ainsi à faire voter les lois Liciniennes (367). Une pareille waoy, ia a-t-elle jamais été possible ? Invraisemblable en soi, le système devient absolument suspect, quand on voit que Diodore s'en passe. Diodore ne connaît qu'une année d'anarchie. Quant aux Fastes capitolins, ils contiennent une invraisemblance de plus, discréditée à l'avance par le témoignage contradictoire des Fastes annalistiques, à savoir, les quatre années dictatoriales. On sait que la dictature ne pouvait se prolonger au delà de six mois, et qu'elle se greffait, pour ainsi dire, sur un consulat ordinaire. Ces années « sans consuls » ne peuvent être qu'une fiction de chronographes en quête d'expédients.
La première idée que suggère la vue de ces lacunes ouvertes dans les Fastes, c'est que les cinq années d'anarchie comme les quatre années dictatoriales ont été in
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terpolécs pour allonger la liste des collèges consulaires, celle-ci, comparée à la série des années calendaires, s'étant trouvée trop courte. Une première rédaction des Fastes aurait estimé le déficit à cinq ans, et l'aurait comblé soit avec la solitudo magistratuum, soit avec les quatre années dictaloriales et une année d'anarchie; une revision postérieure aurait ajouté les autres interpolations. Le déficit dans la liste des collèges consulaires s'explique d'ailleurs tout naturellement par l'accumulation des interrègnes [INTERREGNUM] anonymes, qui s'étaient interposés entre les années officielles et en avaient accru la durée sans en augmenter le nombre.
Mais cette explication si simple, admise par la majorité des chronographes depuis Niebuhr, suppose démontré un postulat que les faits semblent démentir. Il faut admettre que toutes ou presque toutes les années officielles ont eu la durée intégrale d'une année calendaire, et que la durée des interrègnes n'y était pas comprise. La raison alléguée par Niebuhr à savoir que les consuls avaient droit au maximum de la durée de leur fonction, en vertu de la formule : ut qui optimo jure facti sint n'a aucune valeur, et la question de fait a été vivement débattue'. Il résulte de nombreux textes :1° que l'année officielle n'a jamais dépassé la durée d'une année calendaire, et cela, en vertu du principe fondamental du régime républicain, principe qui n'a jamais été enfreint, sauf par le second collège décemviral; 20. que l'année officielle a été souvent abrégée par des morts et abdications prématurées; 3° que des interrègnes bien constatés n'ont pas déplacé le début de l'année officielle, et cela, bien avant le temps où l'on se décida à rendre ce début invariable. Enfin, même en comptant à part les interrègnes, on n'en trouve pas, à beaucoup près, assez pour faire une somme de neuf années, et il faut suppléer au silence des textes par des conjectures. Le système niebuhrien de l'autonomie des interrègnes une fois ébranlé, l'explication qu'il fournissait aux chronographes devient caduque à son tour. Si la durée des interrègnes, au lieu d'être intercalée entre deux années officielles, était imputée sur l'une d'elles, les variations de l'année consulaire (susceptible d'être accourcie, mais non allongée) n'ont pu qu'en accélérer la marche, et, en fin de compte, la liste des magistrats a dû marquer plus de collèges consulaires qu'il n'y avait d'années calendaires écoulées dans le même laps de temps. Par conséquent, bien loin de chercher à allonger la liste des magistrats, les rédacteurs des Fastes ont dû chercher à la raccourcir, puisque, d'une part, ils ne pouvaient créer des années calendaires fictives, et que, d'autre part, ils voulaient instituer un parallélisme exact entre les deux séries.
C'est donc par des amputations pratiquées sur la liste des collèges consulaires qu'il faut expliquer les vides constatés dans cette série. La thèse est, à première vue, paradoxale; mais, si la thèse contraire est ruinée par les observations faites sur les interrègnes, il faut bien essayer de celle-ci.
Supposons avec W. Soltau que, à une époque où l'écart entre les deux séries était déjà d'environ quatre années,
un rédacteur de Fastes, soit Cn. Flavius (après 287), soit plutôt (vers 230) le Grand-Pontife plébéien Ti. Coruncanius', se soit aperçu que la liste des éponymes excédait de quatre collèges le nombre des années calendaires. Il a dû pratiquer des suppressions, et, soucieux de la morale autant que de l'arithmétique, les faire porter de préférence sur les collèges qui passaient pour avoir été irrégulièrement élus. Or, les élections n'avaient jamais été plus suspectes qu'au temps des débats sur les lois Liciniennes. Il se rencontrait là des collèges de trib. mil. cos. pot. qui, malgré l'opposition ardente et compacte des plébéiens, étaient entièrement composés de patriciens. Ce sont ces groupes d'intrus que le Pontife justicier expulsa des Fastes3. Il laissa vide une année, qui avait été réellement une année plus ou moins complète d'a anarchie » (solitudo magistratuum), et la place occupée par les quatre collèges rayés fut répartie entre les collèges maintenus, qui se trouvèrent ainsi correspondre chacun à une année calendaire.
Mais ce parallélisme, artificiellement obtenu, dérangeait la succession réelle des faits. Les quatre années supprimées en bloc représentaient la somme de nombreuses fractions d'années qui, dans la réalité historique, se trouvaient dispersées sur toute la série des collèges antérieurs à l'époque du correcteur. Il arriva nécessairement, quand les annalistes introduisirent la chronologie dans l'histoire, que certains faits, bien constatés et datés par des noms de magistrats, ne pouvaient plus entrer dans l'espace rétréci par des coupures pratiquées toutes à la fois sur une courte période. Le seul moyen d'obvier à cet inconvénient, c'était de rétablir les années officielles éliminées, et c'est probablement ce que fit le Grand-Pontife P. Mucius Scoevola, lorsque, vers 130 avant J.-C., il se décida à clore et à publier en quatre-vingts livres, dit-on, la collection des Annales pontificales [ANNALES] 3. Ainsi, la correction opérée par Ti. Coruncanins aurait été annulée par un de ses successeurs, et les années supprimées aux alentours de l'année d'anarchie auraient été réintégrées dans les Fastes. Seulement, comme le nouveau rédacteur ne retrouvait plus ou ne se souciait pas de restituer les noms des magistrats précédemment éliminés, les quatre années susdites restèrent anonymes et furent ajoutées à la période d'anarchie, qui devint ainsi une solitudo magistratuum de cinq années.
Mais l'annaliste pontifical ne renonçait pas pour cela à corriger l'écart entre les Fastes consulaires et les Fastes calendaires. De son temps, après les travaux de Polybe et de Caton, qui avaient comparé les Fastes au comput des Olympiades, on savait que la prise de Rome avait coïncidé avec la paix d'Antalcidas (01. XCVIII, 2
fin 387 av. J.-C.). A l'aide de ce point de repère fixe, on crut pouvoir remanier les Fastes en connaissance de cause. Tout compte fait, l'écart à corriger était de trois ans et demi. Pour amener en regard de l'année olympique désignée le collège de magistrats qui gouvernait Rome au moment de l'invasion gauloise, il fallait supprimer trois des collèges postérieurs et intercaler six mois dans la liste des collèges antérieurs. L'intercalation
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se fit en portant de dix-huit mois à deux ans le laps de temps occupé par le second collège décemviral'. Les suppressions, habilement faites, portèrent sur des collèges consulaires insignifiants, de préférence sur ceux qui, durant une partie de leur année, avaient cédé leurs pouvoirs à des dictateurs'. Ainsi disparurent, sans laisser de traces, les collèges et les années officielles qui correspondaient aux années 421, 430, 445 U. C. (333, 324, 309 av. J.-C.) du comput varronien.
Mais, de même que le rédacteur des Fastes « annalistiques » était revenu sur les corrections opérées par son devancier, de même, et pour des raisons analogues, son système à lui fut rejeté par les érudits du temps de Varron. On sait que Corn. Nepos écrivit (avant 54 av. J.-C.) des Chronica a ; que, sous le titre de Liber annalis, Atticus publia(avant 46) un grand ouvrage de chronologie,embrassant sept siècles de l'histoire romaine', dans lequel tous les magistrats étaient « mis en ordre » et les principaux événements datés' ; que Varron compila ensuite trois livres d'Annales. Ces consciencieux et méticuleux chronographes, pour faire entrer dans l'histoire une masse de faits retrouvés par eux dans les archives publiques ou particulières, se crurent obligés de rétablir les trois années rayées, sur la foi du synchronisme de Polybe, par l'ordonnateur des Fastes annalistiques. Ils allongèrent même d'une année supplémentaire c'est-à-dire de quatre années en tout la partie des Fastes postérieure aux Décemvirs, sauf à supprimer une année sur deux au second collège décemviral. L'année ajoutée, ou plutôt déplacée, correspond à l'an 453 U. C. (301 av. J.-C.) du comput varronien. La nouvelle rédaction des Fastes, comparée à la précédente, ajoutait donc, en fin de compte, trois ans à la durée du régime républicain, dont la date initiale se trouva reportée de nouveau à 509 avant J.-C. (au lieu de 506 dans le système annalistique °). La trace des interpolations attico-varroniennes se reconnaît encore aux quatre années sans éponymes (333, 324, 309, 301 av. J.-C.), dites années « dictatoriales », où les Fastes capitolins introduisent la mention : Hoc anno dictator et magister equitum sine cos. f uerunt. Les nouveaux correcteurs aimèrent mieux laisser ces années vides que d'y insérer des éponymes douteux et de date mal assurée.
Lorsque Auguste fit dresser les Fastes officiels connus aujourd'hui sous le nom de Fastes capitolins, le rédacteur chargé de cette tache (Verrius Flaccus ?) se contenta de transcrire les Fastes varroniens, avec leurs cinq années de solitudo magistratuum et leurs quatre années dictatoriales. La seule innovation qu'il se permit ne porte pas sur les Fastes consulaires : elle consista à retrancher une année à la période royale (cf. ci-après). La date initiale des Fastes consulaires n'est pas changée par rapport à l'ère chrétienne (509 av. J.-C.), mais seulement par rapport à la date de la fondation de Rome, qui se
trouve placée en 752 avant notre ère, au lieû de 753.
Ainsi, par une série d'hypothèses habilement enchaînées, W. Soltau arrive à conclure que les vides des Fastes, c'est-à-dire quatre années d'anarchie sur cinq et les quatre années dictatoriales, marquent les endroits où ont été pratiquées à deux reprises, par des correcteurs préoccupés d'arithmétique, des coupures qui ont été rouvertes ensuite et comblées avec des étiquettes anonymes par des érudits préoccupés d'histoire.
Ce système s'appuie sur un certain nombre de faits qui y trouvent pour la première fois une explication plausible. Ainsi Diodore, seul entre tous les historiens, n'admet qu'une seule année d'anarchie. C'est qu'il reproduit, sauf variantes de détail', l'état des Fastes tels qu'ils étaient sortis des mains de Cn. Flavius ou de Ti. Coruncanins. La plupart des historiens, Polybe, Denys d'Halicarnasse, Tite-Live, Appien, enregistrent cinq années d'anarchie', mais ne connaissent pas plus que Diodore les « années dictatoriales » ; ils nous donnent la rédaction annalistique des Fastes. Enfin, comme on l'a vu, les quatre « années dictatoriales » apparaissent au temps de Varron et prennent place dans le comput officiel des Fasti Capitolini. Nous avons donc réellement sous les yeux des rédactions différentes des Fastes ; il n'y a d'hypothétique que leur date et leur arrangement par étapes successives et motivées.
W. Soltau se charge même d'expliquer, avec sa théorie, certaines anomalies bizarres, restées jusqu'ici à l'état de mystère. On sait que le Chronographe de 354 comble le vide des cinq années d'anarchie (375-371 av. J.-C.) avec des collèges soi-disant consulaires' qui ne figurent nulle part ailleurs, et que les Fastes capitolins comptent, entre 394 et 367 avant J.-C., dix-sept ou dix-huit trib. mil. cos. pot. de plus que Diodore, parce qu'ils augmentent et doublent parfois le nombre des membres dans plusieurs collèges. Or, on remarque que tous les noms inconnus de Diodore sauf un appartiennent à des patriciens, et on y retrouve huit des neuf soi-disant « consuls » cités par le Chronographe. Voici, d'après W. Soltau, la solution de l'énigme. Les noms interpolés dans les Fastes capitolins sont ceux qui avaient été rayés par Coruncanius, et qui, retrouvés dans les archives des grandes familles, ont été complaisamment replacés par Atticus et Varron aux alentours des postes d'où les avait chassés le Pontife. D'autres rédacteurs de Fastes ont pu s'en servir pour combler la solitudo magistratum, et c'est leur version que reproduitle Chronographe lo.
En dehors de ce système, conjectural, mais cohérent, la critique n'a proposé jusqu'ici que des solutions de détail, moins démontrables encore. Mommsen s'abstient ; Unger accepte comme historiques les cinq ans d'anarchie et suppose les années dictatoriales faites par addition de dictatures de six mois à des consulats de six mois; Matzat trouve dans la période d'anarchie quinquennale trois
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années historiques et deux interpolées, tenant d'ailleurs, lui aussi, les années dictatoriales pour des interpolations opérées par Atticus; Holzapfel se rallie, sauf réserves de détail, à Unger pour l'anarchie, à Matzat pour les années dictatoriales.
Ce qui n'est contesté par personne, c'est que, de toutes les listes de Fastes actuellement connues, aucune n'est exempte de combinaisons artificielles. Est-il possible, du moins, de se faire une idée de la nature et de la qualité des matériaux mis en oeuvre par les chronographes de l'antiquité ? Afin de simplifier le problème, qui ne se pose que pour la partie la plus ancienne des Fastes il faut commencer par éliminer toutes les rédactions postérieures à l'ère chrétienne, les considérant comme des copies plus ou moins éclectiques, ou plus ou moins fautives, d'originaux antérieurs. On sait que Cassiodore suit à peu près Tite-Live ; que les Fastes du Chronicon Paschale et ceux d'Idace (Fasli Hispani) sont identiques et se ramènent, par un certain nombre d'intermédiaires supposés, à la source « annalistique» où ont puisé Tite-Live et Denys d'Halicarnasse; que le « Chronographe de 3154 » reproduit, en l'abrégeant et en y introduisant quelques modifications de détail, la nomenclature des Fastes capitolins avec le comput varronien. Le système de Diodore reste isolé.
Nous voici revenus aux trois rédactions principales, qui ont déjà été examinées au point de vue de la chronologie. La plus récente, celle des Fastes capitolins, dressée d'après Atticus et Varron, est aussi la plus complète. Elle donne non seulement le prénom et le nom gentilice de chaque magistrat éponyme, mais aussi le surnom (cognomen) ou les surnoms souvent deux, parfois trois' ajoutés à son nom. De plus, elle indique par des initiales le prénom du père et du grand-père de chacun des éponymes. C'est précisément cette abondance d'informations qui rend suspect le travail des rédacteurs. Mommsen 3 a démontré, par l'étude des textes épigraphiques, que l'usage d'insérer les cognomina dans les actes officiels (lois et sénatusconsultes) ne remonte pas au delà du temps de Sylla' : ils apparaissent plus tôt sur les monnaies, éloges et autres inscriptions privées, mais pas avant le milieu du Ve siècle de home Les auteurs qui citent des inscriptions plus anciennes, dédicaces, traités, lois, etc., n'en ont extrait que des noms dépourvus de cognomina G. II en va de même pour les indications généalogiques. Absentes des anciens monuments, elles apparaissent plus tard : le nom du père au ve siècle de home, celui du grand-père au milieu du vie siècle. On est donc en droit de penser que ni les cognomina ni les généalogies des anciens consuls n'ont pu être transmis par des documents contemporains. Les
rédacteurs des Fastes ont dû les restituer d'après une méthode qu'il s'agit de découvrir.
On suppose généralement qu'ils avaient à leur disposition les archives des vieilles familles patriciennes, et on fait valoir les travaux généalogiques d'Atticus Mais rien rie garantit ni l'antiquité, ni l'authenticité, ni la véracité de ces archives, surtout des « éloges funèbres » que Cicéron désigne comme une source de falsifications historiques'. En outre, il restait peu de ces anciennes familles patriciennes quatorze au temps de Cicéron° et, à supposer que les archives des familles éteintes eussent été conservées, il ne faut pas croire qu'on y trouvât des stemmata complets et bien ordonnés. Cornélius Népos dit lui-même que « la partie la plus difficile de la tâche d'Atticus a été de débrouiller l'origine des familles et la généalogie des grands hommes te ». Si les indications généalogiques des Fastes capitolins sont dues aux recherches d'Atticus, il paraît bien qu'il lui arrivait de combler avec des conjectures les lacunes de sa science. En effet, tandis que, dans la partie vraiment historique des Fastes, on trouve entre le consulat du père et celui du fils un intervalle moyen de trente-trois à vingt-cinq ans, cet intervalle s'abaisse à dix-neuf, treize, dix ans et au-dessous dans la période ancienne". Ce qui est plus significatif encore, c'est que sauf le cas très rare où une gens ne compte qu'un seul représentant dans les Fastes tous les ascendants indiqués pour la période ancienne des Fastes capitolins se retrouvent parmi les magistrats antérieuremen t nommés. Le fait est d'autant plus singulier que les familles patriciennes comptaient alors un grand nombre de membres, et que, plus tard, lorsque les généalogies pouvaient être mieux établies, il ne se reproduit plus. On voit que, à défaut de documents, le rédacteur des Fastes dressait ses généalogies avec les noms fournis par les Fastes eux-mêmes, dût-il se résigner pour cela à hâter la marche naturelle des générations 12.
En ce qui concerne les cognomina, le rédacteur des Fastes capitolins paraît s'être contenté le plus souvent de comparer et de combiner des rédactions antérieures. Il suffit de rapprocher les fragments des Fastes capitolins des parties correspondantes dans les Fastes annalistiques et dans les Fastes de Diodore pour remarquer que les Fastes capitolins réunissent les cognomina contenus isolément dans les deux autres listes. Quand cellesci ne fournissent, à elles deux, qu'un seul cognomen, ce cognomen figure seul aussi dans les Fastes capitolins".
La conclusion tirée de ces méticuleuses analyses est que le rédacteur des Fastes capitolins, novateur en fait de chronologie (voy. plus haut) et de généalogie, a emprunté son onomastique à deux rédactions antérieures,
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auxquelles il n'a fait que des corrections ou additions insignifiantes. Plus soucieux de ne rien omettre que de choisir entre les divergences, il a accumulé dans son oeuvre toutes les données fournies par ses devanciers, sans songer que la vérité historique ne s'obtient guère par des transactions'. Son travail à lui n'a donc qu'une importance secondaire; c'est à ses devanciers que la critique doit demander compte des sources où ils ont puisé.
Examinons d'abord les Fastes « annalistiques ». Cichorius croit pouvoir étàblir, après Nitzsch et Peter, que, « le premier et le seul entre tous les annalistes », Licinius Macer (± 6G av. J.-C.) a ajouté le cognomen au nom gentilice des éponymes antérieurs au ve siècle de Rome, tandis que les autres chroniqueurs cités par Tite-Live et Denys d'Halicarnasse connaissaient tout au plus les surnoms les plus célèbres, ceux des Brutus, des Poplicola, des Camille et des Cincinnatus Qu'il y ait excès de précision dans la thèse ainsi présentée, et qu'il faille répartir entre plusieurs annalistes l'élaboration des Fastes, peu importe. Nous ne prenons Licinius Macer que comme type de l'annaliste du vile siècle de Rome, en vue de simplifier notre exposition. La liste dressée par Macer aurait été utilisée çà et là, capricieusement, par Denys d'Halicarnasse et Tite-Live, qui tantôt mentionnent, tantôt omettent les cognomina, et Cichorius pense la retrouver en série intégrale à quelques variantes près dans les Fastes d'Idace, qui ne désignent les consuls que par leur cognomen (un seul pour chacun d'eux).
Tout le poids des objections élevées plus haut à propos d'Atticus retombe maintenant sur Licinius Macer. Si l'on admet comme vérité _démontrée que les cognomina des anciens consuls n'ont pas pu être transmis par des documents contemporains, il faut bien que Licinius Macer les ait ou empruntés à des traditions douteuses ou restitués par voie de conjecture. On sait, par TiteLive 3, que Macer consultait les archives publiques et notamment les libri lintei déposés dans le temple de Juno Moneta. Impudent dans ses discours, au dire de Cicéron °, il était peut-être scrupuleux dans ses recherches. Mais, depuis que Mommsen a imputé une série de falsifications historiques soit à Licinius Macer, soit aux libri lintei eux-mêmes 5, l'autorité de ces « saints livres tenus sous clef 6 » est bien ébranlée. Du reste, tout ce qu'on sait de ces archives, c'est qu'elles contenaient les noms des magistrats et qu'elles passaient pour remonter au delà de la prise de Rome par les Gaulois, au delà par conséquent de la construction du temple même de Juno Moneta, qui fut bâti en 344 avant notre ère. D'où venaient-elles, comment avaientelles échappé à l'incendie que la critique invoque perpétuellement pour qualifier d'apocryphes tous les documents antérieurs à 3897? Étaient-elles tenues au
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courant et par qui? Autant de questions sans réponse. Il nous est bien difficile de partager la foi que Licinius Macer, suspect lui-même, montrait à l'égard des libri lintei. La prédilection de Macer pour les libri lintei porte à croire qu'il ne faisait pas autant de cas des Annales pontificales [ANNALES MAXIMI], ou même qu'il ne les a pas consultées. En effet, parmi les citations de sources éparses dans Tite-Live et Denys, où figurent diverses annales et divers annalistes, les Annales Maximi ne sont pas une seule fois mentionnées.
La critique négative a, du reste, singulièrement déprécié la valeur de ces Annales des Pontifes, connues par une boutade de Caton et mentionnées pour la première fois sous leur nom par Cicéron, en termes peu propres à les mettre en crédit, car il les fait remonter ab initio rerum roman arum, 9. Il y avait donc eu restitution artificielle et conjecturale des parties anciennes de la susdite chronique. A quelle époque commençait la rédaction contemporaine des événements, on l'ignore; et, très probablement, les Annales, ayant la prétention d'être authentiques d'un bout à l'autre, n'en disaient mot. Le scepticisme de O. Seeck le va plus loin. Il pense que les prétendues Annales des Pontifes étaient tout simplement les calendriers (Fasti) affichés tous les ans par le Grand-Pontife à l'usage du public et annotés çà et là dans le courant de l'année, à la façon d'un agenda. On aurait cessé de les afficher lorsque le collège pontifical voulut se réserver la liberté d'intercaler à sa guise, au temps de P. Mucius Scævola, qui passe pour avoir compilé, en quatre-vingts livres, le maigre
contenu des susdites tables"En somme, il importe peu que les rédacteurs des
Fastes annalistiques se soient ou non servis de la chronique pontificale. Celle-ci n'eût pas donné à leur travail une valeur qu'elle n'avait pas elle-même. Il faut revenir à la question posée plus haut. On ne peut plus savoir si dans la partie la plus ancienne des Fastes les noms des consuls sont authentiques ; mais on a lieu de croire que les cognomina ont été restitués arbitrairement, d'après ceux que portaient, au temps du rédacteur, les familles issues des vieux éponymes ou de leurs clients. L'arbitraire se trahit par certains anachronismes que nous ne pouvons relever ici, et qui autorisent une légitime défiance ".
Il semble même que cette défiance ait été ressentie déjà par Denys d'Halicarnasse et Tite-Live, qui se sont servis des Fastes annalistiques. En effet, sur soixantesept années de régime républicain que contient la partie conservée de l'oeuvre de Denys (509-433 av. J.-C.), cet auteur ne donne le cognomen qu'à quarante et un consuls. Tite-Live est plus irrégulier encore. Il attribue rarement le cognomen aux consuls antérieurs à 445, et, quand il le fait, il ne le fait pas toujours pour les deux consuls d'un même collège à la fois. Il s'est donc réservé le
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droit de choisir, et même de substituer ses conjectures à celles de son guide
Qu'il y ait eu alors en circulation des listes différentes, et même sur plus d'un point incompatibles, c'est ce que démontre surabondamment l'existence des Fastes de Diodore. Ceux qu'on peut extraire des livres XI à XX de la Bibliothèque Historique vont de 486 à 302 avant J.-C. Il a été question plus haut des bizarreries chronologiques qu'ils présentent. Non moins bizarre est la méthode suivie par l'historien en ce qui concerne les cognomina. Il les donne le plus souvent pour les plus anciens éponymes, entre 486 et 427 avant J.-C., et, à partir de cette date, il cesse de s'en préoccuper 2; il les ignore même d'une façon tellement systématique, qu'il parle huit fois de M. Furius sans lui donner une seule fois son célèbre surnom de Camille3. Autre singularité. On constate que le cognomen fourni par la liste des éponymes ne figure jamais dans le corps du récit, lorsque l'historien parle des faits et gestes desdits éponymes. Cichorius conclut de là que, dans son récit et pour la partie de ses Fastes postérieure à 427, Diodore se sert d'un ancien annaliste qui ne lui donnait pas les cognomina, tandis qu'il a pris les Fastes antérieurs à 427 dans quelque chronographe converti à la méthode nouvelle des cognomina indispensables . L'historien a dû se livrer d'abord à un travail de combinaison dont il a fini par se lasser.
Comme on ne peut désigner que par voie de conjecture les auteurs utilisés par Diodore, il est chimérique de prétendre retrouver les sources dont se sont servis ces auteurs eux-mêmes. Le fait acquis, c'est que les Fastes de Diodore restent, avec leurs divergences irréductibles, comme une protestation contre les deux autres systèmes.
Il faut bien avouer, en fin de compte, que, pour aucune des trois rédactions principales des Fastes celle de Diodore, celle des annalistes, celle des Fastes capitolins la critique n'arrive à saisir les sources premières et à en contrôler la valeur. De là une défiance qui croît en raison même du soin apporté à la confection des listes, et qui signale comme la plus artificielle de toutes celle des Fastes capitolins. Ce n'est pas que les attaques dirigées contre l'authenticité des Fastes soient toujours irréfutables ; mais la négation d'une négation ne produit pas la certitude, et les variantes des diverses rédactions sont un motif de défiance qu'il est impossible d'éliminer.
forte raison ne peut-on tenir pour historique la prolongation des Fastes à travers la période royale, jusqu'à la date de la fondation de Rome. Une tradition unique en imposerait peut-être; mais là aussi on se heurte à
des divergences. En dehors des sept noms de rois, qui se suivent toujours dans le même ordre, tout est variable. On se contenta longtemps d'estimer approximativement la durée des Sept règnes et d'en placer le total au delà de la date mal fixée elle-même de l'avènement de la République ou de la dédicace du temple Capitolin. On aboutissait ainsi à placer la fondation de Rome à des dates très diverses : en 01. VIII, 1 (748/7 avant J.-C.) d'après Fabius Pictor ' ; en 01. XII, 4 (729/ 8 avant J.-C.) suivant L. Cincius Alimentus s ; en 01. Vlll, 4 (745/4 avant J.-C.) suivant Caton. C'est sans doute Caton, le chronographe attitré de l'annalistique romaine', qui commença à préciser les chiffres et à les répartir. En comptant trois générations par siècle, on obtenait 200 ans pour les six successeurs de Romulus (201 en y comprenant un an d'interrègne entre Numa et Romulus). Quant au règne de Romulus, comme la légende voulait qu'il eût commencé et fini par une éclipse de soleil, il fallait que sa durée fût un multiple exact du cycle chaldéen (de 6585 jours et un tiers, ou 223 lunaisons) qui servait à calculer les éclipses. Ce calcul avait pu être fait avant Caton, et Caton dut être renseigné sur ce point par son contemporain C. Sulpicius Gallus (cos. 166 av. J.-C.), auteur d'un Traité sur les éclipses Le double du cycle chaldéen donnant 36 ans et un quart, soit 37 en chiffre rond ces 37 ans, ajoutés aux 201 des six règnes suivants,.formaient un total de 238 ans'. La date initiale des Fastes consulaires une fois fixée, par Caton lui-même, à 506 avant notre ère début des Fastes « annalistiques » (cf. ci-dessus), l'addition de 238 ans donnait pour la date de la fondation de Rome l'an 745/4 avant J.-C.
Mais, au temps de Caton, la légende d'Énée était en pleine faveur, et Caton lui-même se préoccupait de Troie. Il estimait que la prise de Troie avait eu lieu 432 ans avant la fondation de Rome". Lorsque la Chronique d'Apollodore (vers 144 av. J.-C.) eut vulgarisé la date assignée à la prise de Troie par Ératosthène (1183 av. J.-C.), cette date devint le point de repère auquel les érudits hellénisants voulurent rattacher la chronologie romaine. Au lieu de déterminer, comme Caton, la date de la prise de Troie d'après celle de la fondation de Rome, qui était elle-même fixée d'après le début de l'ère républicaine, on suivit dès lors la méthode descendante. En décomptant de 1183 les 432 ans de Caton, on arrivait à la date de 751/0 avant J.-C. (01. VII, 2) pour la fondation de Rome. C'est là le point de départ de l'ère « annalistique », faussement attribuée à Caton et attachée six ans plus haut que la date catonienne, mais obtenue à l'aide d'une mesure fournie par Caton ".
La nouvelle méthode obligea nécessairement à rernanier les calculs pour la période royale. II fallait allonger
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celle-ci ou déplacer le commencement de l'ère républicaine. Chacun résolut le problème à sa guise. Les tenants convaincus de Caton et d'Apollodore portèrent de 238 à 244 ans la durée de la période royale. C'est très probablement le système d'après lequel P. Mucius Scævola ordonna les Annales ilaximi, car Polybe a vu « sur le tableau déposé chez les Pontifesl » la date de 01. VII, 2 (751/0 av. J.-C.) attribuée à la fondation de Rome, et l'on a tout lieu de penser que la chronique pontificale plaçait en 506 le début de l'ère républicaine. D'autres restèrent fidèles à l'estimation de Fabius Pictor2, ou bien, soit opinion personnelle, soit inadvertance, combinèrent divers systèmes. De là ces sommes de 240, 241, 243, ou même 251 ans que l'on trouve, pour la période royale, dans certains chroniqueurs et abréviateurs de basses époques, et que le mauvais état des manuscrits autant que l'ignorance présumée des auteurs empêche de discuter'. Diodore se tira d'embarras avec sa maladresse ordinaire. Hésitant entre la date généralement acceptée (751/0 av. J.-C.) et celle de Fabius Pictor (748/7 av. J.-C.), il les a prises toutes les deux ; en ce sens qu'il a bien mis la fondation de Rome en 01. VII, 2 (751/0 avant J.-C.) °, mais qu'il a compté les 244 ans de royauté à partir de 748, ce qui l'a amené, comme on l'a vu, à faire commencer l'ère républicaine six ans après Varron (en 504/3 av.
Diodore éprouvait d'autant moins de scrupules que, de son temps, tout était remis en question. Cornélius Népos, Atticus, Varron, s'occupaient d'établir une chronologie définitive, établie sur une révision des Fastes consulaires et appuyée sur des synchronismes collectionnés avec soin. La majorité de ces synchronismes leur ayant paru infirmer celui que Polybe considérait comme un point de repère incontesté, celui qui avait déterminé Caton à placer le début de l'ère républicaine en 506 avant J.-C., Atticus et Varron reportèrent ce début à la date que lui avaient assignée jadis Fabius Pictor ou même Cn. Flavius, à 509 avant notre ère. Puis, au lieu de faire dépendre la date de la fondation de Rome d'un autre point d'attache, ils demandèrent à la science astronomique de la fixer d'accord avec les traditions les plus respectables. On considérait jusque-là comme chose indubitable que la fondation de Rome avait coïncidé avec une éclipse de soleil', et le système annalistique réformé avait tenu compte de cette exigence. Mais il était plus certain encore, et plus conforme au caractère lugubre du phénomène, qu'une éclipse de soleil. avait couvert de son ombre la mort de Romulus7. A l'aide du cycle chaldéen, l'astronome L. Tarutius Firmanus$ put marquer une éclipse à la date de juillet 717 avant J.LC. Les autres données furent fournies par des tra
ditions qu'il était prudent de ne pas ébranler. En conservant à Romulus ses trente-sept ans de règne, la fondation de Rome tombait en '753 ou 754 avant J.-C., suivant que l'on considérait le règne comme finissant dans sa trente-septième année ou après trente-sept ans révolus. Tarutius paraît s'être décidé d'abord pour les trentesept ans révolus, et les avoir même allongés de trois mois pour conserver à la fondation de Rome l'anniversaire traditionnel des Parilia (21 avril) ; car, d'après Cicéron, il avait fixé à ce jour le dies nalalis de Rome et dressé un horoscope où figurait la Lune dans la Balance, le Soleil étant en opposition, c'est-à-dire dans le Taureau°. Or le calcul montre que cette opposition ou pleine lune n'a pu avoir lieu au 21 avril 753, mais seulement aux environs des Parilia de 754 (exactement le 24 avril). Mais Plutarque cite des dates qui ne s'accordent pas avec ces conclusions tirées du texte de Cicéron. Suivant lui, Tarutius, à la demande de Varron, avait fait des calculs extrêmement précis et fixé « sans nulle hésitation » la conception de Romulus en 01. II, 1 (772/1 av. J.-C.), le 23 du mois égyptien Choiak, à la troisième heure du jour, pendant une éclipse totale de soleil; la naissance de Romulus au 21 Thoth de l'année suivante, vers le lever du soleil ; et la fondation de Rome le 9 Pharmouthi, entre la deuxième et troisième heure. La donnée qui manque ici, à savoir l'âge de Romulus au moment de la fondation, se retrouve dans Solin 10. Romulus avait dix-huit ans, ce qui met la fondation en '754/3 avant J.-C. Le texte de Plutarque ne résout pas les questions qu'il pose. Faut-il prendre ces mois égyptiens dans l'ancienne « année vague » comme le font Petau, Unger, Matzat ou dans l'année alexandrine, réformée à la mode julienne vers l'an 26 avant J.-C. ? Avec l'année vague, le 9 Pharmouthi tombe, en '753 avant notre ère, le 4 octobre (julien), c'est-à-dire fort loin des Parilia, et l'on ne voit pas pourquoi Tarutius aurait fait naître Romulus au mois de juin. En dates alexandrines, au contraire, le 9 Pharmouthi tombe le 4 avril julien qui correspondait probablement, pour Tarutius, à la date des Parilia de 753 avant J.-C. dans le calendrier lunisolaire et Romulus naît le 18 septembre, c'est-à-dire sous le même signe et le même jour qu'Auguste, le second Romulus ". L'astronome courtisan avait donc remanié son premier calcul, de façon à identifier dans le même horoscope le fondateur de Rome et celui de l'Empire 12. D'après la date donnée par Plutarque pour la conception de Romulus (19 déc. 772 avant J.-C.), la fondation de Rome se trouvait placée aux Parilia de l'an 753 avant notre ère, et le règne de Romulus terminé dans sa trente-septième année.
Nous venons d'aboutir enfin au point de départ de
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l'ère varronienne ab Urbe condita 1. Il ne reste plus qu'à expliquer pourquoi les Fastes capitolins, issus évidemment de la même origine, semblent diminuer d'une année la période royale et prennent pour date initiale 752 avant notre ère. Soltau retrouve là l'effet des deux estimations successives de Tarutius ; mais on peut, ce semble, donner de cette légère divergence une explication moins hypothétique. Elle tient à ce que Varron, ne cherchant pas à faire coïncider exactement les années ab U. C. et les années juliennes, comptait comme l'an 1 de Rome l'année même de la fondation, à partir du 21 avril; tandis que le rédacteur des Fastes capitolins ne numérote pas cette année initiale écourtée et compte comme première année « après » la fondation de Rome celle qui commence au 1°r janvier 752. Ce scrupule, du reste, n'a pas été jugé opportun par les chronographes postérieurs. Ils ont accepté la légère contradiction qu'il y a à compter comme appartenant à une année U. C. les trois mois antérieurs au mois d'avril, qui appartiennent en réalité à l'année U. C. précédente. L'ère usuelle est restée celle de Varron.
Si les Fastes royaux ont été restitués par des estimations tout artificielles, à plus forte raison, les Fastes des rois albains. Les anciens annalistes, Fabius Pictor, Nonius, Ennius, faisaient de Romulus un petit-fils d'Énée par sa mère Ilia. Mais déjà Caton comprenait la nécessité de retoucher la légende pour la concilier avec la date assignée à la prise de Troie par 'Ératosthène (1183 av. J.-C.). Comme il estimait à 432 ans l'intervalle compris entre la destruction de Troie et la fondation de Rome
il fallut combler cet intervalle avec des généalogies royales. Les chronographes grecs, Alexandre Polyhistor et Castor, vinrent ici au secours de l'érudition romaine. Avec des noms empruntés soit à la famille d'Énée, comme Capys, soit à des étymologies personnifiées comme Aventinus, Tiberinus, Silvius, Albas, Latinus, ils dressèrent des listes surabondantes dans lesquelles chacun choisit à son gré les quatorze ou quinze générations jugées nécessaires pour raccorder les deux dates extrêmes. Ce travail, auquel César et son héritier étaient pressés d'attribuer une valeur dogmatique, dut aboutir à un canon définitif vers le temps de la bataille d'Actium, et, depuis lors, la critique n'osa plus toucher à ces archives de la royale et impériale maison des Jules 3. L'historien ne saurait aujourd'hui, sans être taxé de naïveté, prendre pour une perspective réelle ce décor brossé à la hâte sur des dimensions données et dans un but que nous connaissons.
III b. Fastes triomphaux. En sortant des Fastes consulaires proprement dits pour remonter aux périodes antérieures, on risque de perdre de vue le sens originel du mot Fasti. On passe aisément du sens de « calendrier» à celui de liste chronologique ; mais à la condition que cette liste soit composée d'étapes annuelles et avance du même pas que le calendrier. Au delà, l'extension du sens est abusive. Les listes des rois de Rome ou d'Albe ne sont pas, à proprement parler, des Fastes. Il en est de
même des Fastes triomphaux, qui procèdent aussi par étapes irrégulières et accidentelles. Mais l'abus que nous constatons est consacré par l'usage, et nous ferons même passer, au mépris de la logique, les Fastes triomphaux avant ceux des magistrats annuels autres que les consuls, pour ne pas les séparer des Fastes consulaires, à côté desquels ils étaient gravés sur les piliers de la Regia.
Les Fastes triomphaux capitolins, dressés vers l'an 12 avant J.-C., au jugement des épigraphistes, donnaient les noms des triomphateurs, la date et le motif des triomphes, depuis Romulus jusqu'en 19 avant notre ère. Les fragments que nous possédons laissent entre eux des lacunes assez considérables (notamment de 437 à 361 av. J.-C.). Les indications chronologiques que contiennent ces Fastes triomphaux ne peuvent pas servir à contrôler les Fastes consulaires, car les uns et les autres ont été mis d'accord par le rédacteur officiel; mais elles sont précieuses à d'autres égards. Les triomphes célébrés durant le mois « intercalaire » du calendrier anté-julien nous renseignent sur la date d'un certain nombre d'intercalations. De plus, tout en suivant le comput des années ab U. C., le rédacteur conserve, en réalité, l'année officielle telle qu'elle était ordonnée au moment de chaque triomphe, et il nous donne ainsi le moyen de constater les déplacements de ladite année par rapport à l'année calendaire. C'es t ainsi, par exemple, que, pour l'an 488 U. C. (266 av. J.-C.), il relate quatre triomphes, dont le premier au 26 septembre et le dernier au 5 février. Évidemment, février se trouvait alors faire partie de la même année officielle que le mois de septembre antérieur. Au lieu de répartir cette année entre les années calendaires 488 et 489 U. C., le rédacteur a préféré lui conserver son unité historique aux dépens de l'exactitude chronologique.
Comme les Fastes consulaires, les Fastes triomphaux ont été confrontés par les érudits modernes avec les mentions de triomphes éparses dans les divers auteurs, et cette collation n'a pas manqué de faire apparaître des divergences. Comme pour les Fastes consulaires aussi, les listes les plus complètes sont les plus suspectes. Étant donné que les familles romaines avaient intérêt à surcharger leurs archives de si glorieux souvenirs, l'hypercritique considère comme la plus digne de foi la liste la plus pauvre et déclare interpolé tout ce que les autres y ajoutent. Le silence de Polybe ou de Diodore prend la valeur d'un démenti opposé à une affirmation de TiteLive bu des Fastes capitolins'. D'autres exagèrent en sens inverse. Mommsen se contente de regarder « les principales dates triomphales, protégées par la mémoire des maisons nobles», comme des points de repère sûrs '. D'après O. Seeck, il faut « réintégrer la Table triomphale dans ses anciens droits et rejeter absolument toute estimation chronologique qui se trouve en contradiction avec elle G ». Il est cependant difficile d'accepter en toute confiance les triomphes du temps des rois, les quatre triomphes remportés sur les Gaulois de 367 à 340 avant J.-C.',
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en un temps où Polybe assure que les Gaulois se tenaient tranquilles 1, et tant d'autres, consécutifs à de petites escarmouches livrées par les Romains à leurs plus proches voisins. Les érudits qui, à la fin de la République, ont restitué l'histoire des premiers siècles de Rome ont dû se montrer complaisants pour les prétentions des familles à « images » et pour le patriotisme romain en général. Mais il n'est plus possible aujourd'hui de séparer le vrai du faux, et ceux qui s'y essayent méritent largement le reproche qu'on leur fait de refuser ou d'accorder arbitrairement leur confiance. On remarque seulement que, Tite-Live a réglé son récit sur les Fastes triomphaux capitolins, et qu'on ne peut, par conséquent, se servir de lui pour contrôler ceux-ci. Les arguments a silentio qu'on oppose aux Fastes sont tous empruntés à Polybe et à Diodore. Les doutes soulevés par la critique ne sauraient cependant envahir les parties les plus récentes de l'histoire romaine. S'il est sage de les laisser planer sur les deux premiers siècles de la République, on doit croire qu'à partir du troisième, les triomphes furent consignés, comme les noms des éponymes, dans des documents contemporains et authentiques. Les Fastes triomphaux capitolins sont solidaires des Fastes consulaires, Extraits probablement, les uns comme les autres, des mêmes sources, des tables chronologiques d'Atticus et de Varron, ils ont la même valeur historique : valeur nulle pour les origines, mais qui croît avec la sûreté des informations mises à la portée de leurs auteurs.
III c. Fastes des magistrats non éponymes. Les Fastes capitolins contenaient, à côté des noms des consuls, ceux des dictateurs et maîtres de la cavalerie, et aussi ceux des censeurs, c'est-à-dire de magistrats dont l'élection ou la nomination n'était pas annuelle. Ni les dictateurs ni les censeurs ne risquaient de passer inaperçus, et les noms des censeurs particulièrement pouvaient se retrouver dans leurs archives. Aussi n'y a-t-il de divergences entre les traditions qu'au sujet des premiers dictateurs et de l'époque où la dictature fut instituée 2. Nous possédons, dans les textes d'auteurs et dans les Fastes, la série complète des dictateurs romains. La liste des censeurs n'offre qu'un petit nombre de lacunes ou de points controversés3.
Les Fastes des magistrats annuels autres que les consuls échappent en grande partie à notre curiosité. L'État n'avait qu'un intérêt médiocre à conserver les noms de magistrats qui étaient à la fois nombreux et relégués dans des fonctions obscures. Pourtant, on dit que les Pontifes inscrivaient en tête de leur chronique annuelle
les noms des consuls « et des autres magistrats»), et rien n'empêche de croire que les libri lintei ou magistratuum enrégistraient aussi tous les noms des élus du peuple. D'autre part, les fonctionnaires plébéiens, tribuns et édiles, avaient leurs archives particulières dans le temple de Cérès; les édiles curules et les questeurs avaient aussi des bureaux et des archives où pouvait se conserver la série des titulaires de ces magistratures. Enfin, les archives domestiques devaient relater avec un soin particulier les magistratures curules, celles qui conféraient le jus imaginum.
Mais tous ces noms ne sont jamais entrés dans des Fastes publics; ceux-là seulement sont parvenus jusqu'à nous qui se trouvent mentionnés accidentellement par les historiens ou les inscriptions. Nous ne pouvons plus que colliger ces épaves. Le travail a été fait, pour les préteurs (de 67 à 44 avant J.-C.) ainsi que pour les tribuns et édiles de la plèbe 6. Même la période impériale fournit matière à ces recherches, dont l'intérêt se borne à restituer ou compléter çà et 1à un cursus honorum . Les magistrats sont alors éclipsés par les hauts fonctionnaires, préfets de la Ville, du prétoire, etc., dont la charge n'était pas annuelle, sans quoi le préfet de la Ville fût devenu sans doute un éponyme 3.
III d. -Fastes sacerdotaux. -Il est probable que toutes les corporations sacerdotales de Rome 0 ont, sinon dès l'origine, du moins de fort bonne heure, conservé et tenu au courant les listes ou « Fastes » de leurs membres. On rencontre de temps à autre dans Tite-Live la mention de décès et de cooptations dans le personnel des collèges, ou même parmi les desservants isolés, comme le rex sacrorum, les flammes et le curio Maximus. La plus ancienne remonte à 463 avant J.-C. 70. A la date de 453, Tite-Live relate, outre le décès du flamine quirinal Ser. Cornelius, la cooptation de l'augure C. Veturius en remplacement de C. Horatius Pulvillus 11, renseignement qui suppose l'existence de fastes auguraux. Comme la seconde décade est perdue, nous ignorons à quelle date Tive-Live a commencé à enregistrer régulièrement les morts et nominations dans les collèges des Pontifes (et Épulons), Augures, Xviri S. F., et parmi les flammes On a pu, avec ses indications, reconstituer assez exactement le personnel des grands collèges entre 216 et 167, et rectifier ainsi ses propres assertions concernant le nombre des sièges dans le collège pontifical 12.
Les Pontifes, chargés de la nomination du rex sacrorum, des flammes et des vestales, ont dû insérer dans leurs archives les noms de ces auxiliaires, avec des indi
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cations chronologiques. C'est d'un album de ce genre qu'a dû être extraite une date aussi précise que celle dont Pline fait mention à propos d'un fait d'histoire religieuse 1.
On ne possède point de Fastes sacerdotaux épigraphiques remontant au delà de l'époque impériale; et ceux qui nous restent de cette époque appartiennent non pas aux grands collèges, irrémédiablement déchus, mais à ces sodalités insignifiantes que le régime impérial s'était plu à régénérer, comme les Sodales Augustales et surtout les Fratres Arvales [ARVALES]. II. Dessau2 revendique pour les Sodales Augustales un f,ragment de Fastes que Borghesi attribuait aux Augures et où l'on trouve des dates allant de 574 à 870 £J. C. Les trouvailles de ces dernières années 4 ont ajouté quelques fragments aux archives des Frères Arvales, si connues par les éditions de Marini et de Henzen.
Lorsque le grand Corpus des inscriptions latines sera achevé, les Index fourniront la matière de tous les Fastes sacerdotaux qu'il est possible de reconstituer aujourd'hui'. En attendant, ceux des Pontifes et Épulons, Augures, Quindécemvirs S. F., Haruspices, se trouvent provisoirement établis, d'après les auteurs et les inscriptions, dans les appendices de certains ouvrages traitant des institutions religieuses 8.
III e.Fastes des collèges et corporations quelconques.
On sait combien fut actif et général sous l'Empire l'esprit d'association, surtout dans les classes populaires [COLLEGIuM]. L'État, armé d'un pouvoir discrétionnaire contre les associations illicites, encourageait les autres, qui suppléaient dans une certaine mesure à l'insuffisance des institutions municipales et des lois concernant le négoce et l'industrie. Les inscriptions nous ont conservé les noms d'une partie des innombrables corporations, collèges funéraires, corps de métiers, etc., qui couvraient la surface de l'empire. Ces textes ont permis de reconnaître les traits généraux des statuts de ces corporations, qui avaient toutes pour centre un culte commun, ne fûtce que. celui du Génie de la corporation elle-même 7. La collection des noms des adhérents n'offre évidemment qu'un intérêt très secondaire. Ce serait presque déprécier le nom de Fastes que de l'appliquer à des listes de cette espèce8, dépourvues de chronologie et sans rapport avec les faits historiques. A. BoucHÊ-LECLERCQ.