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FAUNUS. Une des personnifications les plus importantes de la religion primitive des Latins, particulièrement honorée à Rome et dans les campagnes voisines. Le nom de ce dieu et son être, quand on le dépouille de tous les éléments grecs qui s'y sont mélangés plus tard, sont également indigènes. Faunus se rattache, ainsi que Faustus, Faustulus et Favonius, au verbe faveo et signifie favens ou propitius i. Fauna qui, dans la légende, est présentée tantôt comme sa femme et tantôt comme sa fille, est vénérée sous le vocable de BoNA DEA, lequel finit par se substituer au nom primitif. Le sens originaire de Faunus se retrouve jusque dans le nom d'Évandre, roi d'Arcadie, à qui les annalistes etles poètes hellénisants attribuèrent l'introduction à Rome du culte de Pan, sauf à identifier ensuite celui-ci avec la vieille divinité latine 2• Faunus est, avant tout, un dieu champêtre; aux temps historiques il survit à peine dans la piété superstitieuse des paysans de la campagne romaine et le progrès de la civilisation l'a, peu s'en faut, éliminé de la religion officielle; seuls les poètes semblent avoir sauvé son souvenir.
Le trait caractéristique de sa physionomie, c'est'qu'il donne la fécondité aux troupeaux et qu'il les garde contre tout accident, particulièrement contre les atteintes des loups : à ce titre il est surnommé Inuus et Lupercus 3. Le sens de Inuus n'est pas douteux; comme toutes les divinités de la terre chez les Latins, Faunus personnifie la force génératrice 4 ; divers détails de la fable qui l'associe à Fauna ou Bona Dea le démontrent : ainsi les branches de myrte avec lesquelles le dieu frappe son amante, le vin par lequel il l'enivre, le serpent, symbole du genius, sous la forme duquel il entre en relation avec elle 5. On donnait, dans la langue populaire, le nom de Fauni /icarii, épithète qui équivaut à salaces, aux démons incubes qui surprennent les nymphes ou les femmes mortelles 6. Le castrum Inui, dont parle Virgile comme d'une ancienne bourgade de l'Étrurie, était sans doute un des centres du culte de Faunus, dieu qui féconde les troupeaux, non sans tourmenter les bergers ; car, démon sensuel, il est aussi un génie tracassier qui joue aux paysans toutes sortes de mauvais tours : Faunorum in quiete ludibria7. Un commentateur de Virgile en a pris occasion pour mettre la religion de Faunus
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en contact avec celle des enfers'. Il est possible, du moins, qu'il ait été appelé le bienveillant par antiphrase2; on se gardait de ses maléfices en se frottant d'herbes magiques3
Faunus est aussi un dieu prophétique rendant des oracles, non à l'aide de signes visibles, mais en faisant entendre des voix; il était surnommé Fatnus, Fatuelus, et quelques interprètes faisaient dériver son nom de pn v-4i'. C'est à lui qu'on attribuait les voix mystérieuses, inarticulées qui, à l'approche d'un événement grave, rompaient le silence des nuits, retentissaient dans les forêts, dominaient le bruit d'une bataille5. Ce don de la prophétie, il le partageait avec sILVANus, auquel il ressemble d'ailleurs par d'autres caractères 0; il existait un recueil d'oracles mis sous son nom7. Ovide et Virgile sont d'accord pour dépeindre, sur la foi d'antiques traditions, les cérémonies et pratiques superstitieuses qui avaient le pouvoir de le faire parler8. Le premier qui s'adressa à lui fut leroi Numa, afin d'obtenir un remède à la stérilité du sol et des troupeaux. C'est sur le mont Aventin que le dieu lui apparut dans un songe et lui révéla ses secrets. Le roi Latinus le consulte dans la même forme, auprès de la source sulfureuse d'Albunea, pour savoir s'il donnera sa fille à Turnus; il s'y endort couché sur des peaux de brebis, après avoir accompli un sacrifice. Des fantômes de toute sorte s'offrent aux regards ; des bruits s'y font entendre, mettant en rapport le monde des vivants avec la région infernale. Finalement, une voix sort des profondeurs de la forêt, qui commande à Latinus de garder sa fille pour Énée. Dans les Fastes, Faunus, en compagnie de Picus, livre au roi Numa, après y avoir été forcé par une ruse semblable à celle qui met Protée à la discrétion du pasteur Aristée, le moyen de conjurer la foudre par le culte de Jupiter Elicius9. Dans une églogue de Calpurnius, Faunus, appelé facundus, grave ses oracles sur l'écorce d'un hêtre sacré au fond des boisf0. C'est pour cela sans doute que les premiers poètes de latinité incarnèrent dans ce dieu, avec la science de la divination populaire, l'art grossier de la poésie champêtre1l. Varron 12 lui attribue l'invention du vers saturnien et, par une fausse étymologie reproduite chez Servius, rattache son nom au verbe fari. Les mêmes idées se retrouvent dans la fable de Fauna surnommée Fatua13; on racontait que, remplie du souffle divin, elle prédisait l'avenir, ce qui fit employer le verbe fatuari pour désigner l'état de délire prophétique. Si Ennius, d'un ton dédaigneux, met les vers ou oracles de Faunus au même rang que les prédictions des devins (vates), Ilorace fait de Faunus le protecteur des vrais poètes et attribue à son intervention d'avoir échappé à l'accident qui faillit lui coûter la Vie".
Dans ces diverses traditions, Faunus apparaît comme
une divinité subalterne et exclusivement rurale15. Varron le compte parmi les dieux privés, c'est-à-dire localisés, analogues aux héros éponymes ou topiques de la Grècei6; on y devine néanmoins les vestiges d'une divinité nationale, et les historiens de la religion ont pu, avec raison, incarner en lui toute la première période de la civilisation romaine ". Il prend place entre Mars, dont la signification est surtout politique, et Silvanus, qui personnifie l'état sauvage. Faunus est le vrai représentant de la vie nomade et pastorale, en même temps que de l'existence sédentaire des laboureurs primitifs; il est le dieu de la terre cultivée, et quelques-uns lui donnaient pour fils Stercutius qui, ailleurs, est un rejeton de Saturne ie. Tantôt il habite les montagnes et les bois, où les chiens de chasse devinent sa présence19, tantôt il se promène dans la plaine autour des enclos, parmi les troupeaux dont il écarte les loups 20. On le rencontre aussi à proximité des sources; dans les monuments ombriens Fons, qui fait au pluriel Fones, est une divinité champêtre pareille au Faunus du Latium". Cette multiplicité d'attributions est cause que l'être d'abord simple de Faunus se dédouble ; elle donne lieu à une multitude de démons ou esprits de la forêt et des champs, tout à fait semblables aux Panisques et aux Satyres des Grecs 22
Le type le plus élevé figure, dans l'histoire des Latins, la période qui est représentée en Grèce par les Pélasges mangeurs de glands23. Les annalistes, disciples d'Évhémère, l'appellent Indigena et font de lui un roi des Aborigènes2'. Il est fils de Picus, petit-fils de Saturne et père du roi Latinus qu'il engendre avec la nymphe Marica; Picus n'étant lui-même qu'une doublure de Mars, on a pu ailleurs appeler Faunus un descendant de Mars. Non seulement il se mêle à l'histoire des rois de Laurente; mais il touche à la dynastie des rois d'Albe, qui relève surtout de Silvanus25, et il procrée chez les Rutules d'Ardée, avec une nymphe locale, un héros âu nom caractéristique de Tarquitus, qui s'attaque à Énée dans la bataille". Un épisode isolé de cette histoire légendaire est celui qui met en présence Faunus et Hercules ; le dieu indigène s'apprête à sacrifier le héros errant à Mercure; mais Hercules le prévient et le tue 21.
On peut s'étonner qu'une personnalité fabuleuse de cette importance ait laissé si peu de traces dans le culte; la raison principale de cet effacement graduel est que le caractère rural de Faunus l'accommodait mal aux destinées brillantes de Rome. C'est dans cette ville ou dans son voisinage immédiat qu'il possédait des sanctuaires, en premier lieu celui qui portait le nom de LUPERCAL, Sur le Palatin, considéré comme le plus ancien de l'enceinte des sept collines. Faunus, surnommé Lupercus, y était seul vénéré à l'origine, et le double collège de prêtres
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préposés à son culte marque assez la grande place qu'il dut tenir, durant les premiers siècles, dans les préoccupations religieuses des Romains'. Si la fête des LUPERCALES se prolonge à travers les âges, sans modification notable dans la simplicité rustique des coutumes prioritives0, l'idée même du dieu qui en était l'objet s'oblitère peu à peu; mal défendue par le sentiment national, elle reçoit le dernier coup des spéculations mythologiques des hellénisants; Tite-Live fait bien honneur à Faunus Inuus de la célébration des Lupercales, et Ovide constate que le Faunus cornu des vieilles légendes y joue le principal rôle; mais, pour tous les deux, Faunus a succédé au Pan des Grecs, lorsqu'en réalité il lui est antérieur; et l'auteur du culte n'est pas à leurs yeux le roi Numa. de souche latine, mais Évandre venu d'Arcadie. Les Lupercales, vers la fin de la république, semblent tombées en désuétude, comme beaucoup d'autres pratiques de la Rome primitive. César et Auguste les remirent en faveur; de même que le dictateur aimait à rattacher son illustration à Iulus, petit-fils d'Anchise par Venus et Énée, il tenait à remonter à Mars-Picus par Faunus dont la mémoire survivait au Palatin. Reifferscheid a remarqué avec beaucoup de sagacité que le diadème, qui lui fut offert aux Lupercales par Antoine, n'est pas autre chose qu'un des attributs avec lesquels on représentait ce dieu primitif'.
Jusqu'aux guerres Puniques, qui réveillèrent la piété endormie des Romains, le Lupercal fut probablement le seul sanctuaire où la religion de Faunus se fût conservée. I1 n'est pas possible, en effet, d'affirmer qu'il ait subsisté autre chose qu'une légende de la rencontre de Numa avec le dieu sur le mont Aventin, dans le bois sacré où il surprit ses oracles et les moyens de conjurer la foudre de Jupiter. En 196 seulement, les édiles lui vouèrent, dans l'île du Tibre, un temple (aedes) qui fut dédié deux ans plus tard". Ce temple, le même sans doute dont parle Vitruve qui y place aussi Jupiter, avait été élevé avec le produit des amendes auxquelles avaient donné lieu des usurpations de pâturage sur le domaine public. A cette occasion, des jeux furent célébrés et un sacrifice institué, qui continua d'être offert chaque année le 13 février, deux jours avant la fête des Lupercales. Ce sont les Faunalia du printemps, dont il est question chez Horace et Calpurnius; aucun des calendriers connus ne les mentionne, pas plus d'ailleurs que les Faunalia célébrées aux nones de décembre et que le premier de ces poètes décrit, dans l'ode xvill du II1e livre, avec la notion très exacte en même temps que très gracieuse de la physionomie antique du dieu et de ses attributions champêtres'. Les renseignements succints des commentateurs, à propos de cette oeuvre, prouvent, une fois de plus, que Faunus est plutôt l'objet de la vénération superstitieuse de quelques communes rurales qu'une divinité connue de tous et régulièrement honorée'. Ici, il est invoqué tous les mois, ailleurs, au contraire, il ne
donne lieu qu'à un sacrifice annuel' ; nous savons par Virgile que, dans une antiquité assez reculée, il possédait à Tibur, près de la cascade d'Albunea, un sanctuaire et un oracle renommés a; mais ni l'un ni l'autre ne paraissent exister encore aux temps historiques ; tandis que Silvanus a été l'objet d'un assez grand nombre d'inscriptions votives, on n'en connaît encore aucune en l'honneur de Faunus. Cependant les marins, eux aussi, lui avaient adressé des hommages spéciaux. Virgile parle de l'olivier sauvage qui lui était consacré au voisinage de Laurente, et où ils allaient suspendre leurs offrandes, après avoir échappé aux flots; Servius lui décerne à cette occasion le titre de deus patrius 9.
On aurait tort de considérer comme des représentations du Faunus national des Romains celles qui nous l'offrent sous les traits du Pan hellénique, des Panisques40, de Silène et de Marsyas avec lesquels il a aussi quelque ressemblance. Marsyas surtout, celui du moins qui était honoré comme un héros topique sur les bords du lac Fucin et auquel les Marses rapportaient leur origine, paraît n'avoir été qu'une doublure de Faunus". L'image authentique du dieu, dans son expression purement romaine, ne saurait être, avec quelque certitude, signalée nulle part, ni sur les monnaies ni sur quelque autre monument figuré. Un historien nous apprend qu'il était représenté au Lupercal, nu, vêtu d'une peau de chèvre, pareil aux Luperques qui couraient dans les rues de Rome en frappant les passants de leurs lanières de
cuir12. A cette description correspondent des statuettes de bronze publiées pour la première fois et commentées par Reifferscheid"; elles représentent (fig. 2898, 2899) un personnage nu, le haut du corps drapé dans une peau de bête; la main droite tient une corne d'abondance qui se change, dans l'un des exemplaires, en massue noueuse, sans doute en vertu d'une interprétation erronée de l'artiste; la gauche tient une corne à boire; la figure est barbue, assez semblable à celle que les artistes prêtent à Jupiter. L'attribut caractéristique est la couronne, ou ra
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diée et en métal ou formée d'un feuillage très vigoureux ; nous avons dit à quelle occasion cet emblème avait été offert à César par les Luperques. L'ensemble suggère très naturellement l'idée de l'antique roi du Latium, dieu viril et bienfaisant, qui tient à la fois des Lares domestiques, de Hercules gardien de l'enclos champêtre et de Silvanus, génie des bois; mais l'attribution à Faunus est seulement probable. J. A. HILD.