Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

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FAX (Aalç et lx;). Nous étudierons sous ce titre la torche résineuse, opposée aux mèches entourées de cire ou de poix qui tenaient lieu chez les anciens de chandelles et de bougies [CANDELA, CEIRA, FUNALE], également différente des lampes et des lanternes [LAMPAS, LATERNA]. Les auteurs, surtout les lexicographes de la basse époque, n'ont pas établi des distinctions de sens aussi rigoureuses : ils disent volontiers aag,riièç pour lâlsçl. Mais la forme particulière de la torche est suffisamment caractérisée par les textes et par les monuments pour que nous puissions l'étudier à part dans l'ensemble des luminaires antiques. 1. Les Grecs ont plusieurs termes pour la désigner : lai; et laliov, lêTŸl, xtcôx i, ?avd; et ravdç, ypxKtov, ?pZTo(, ),ov(ç et )sopvtôtov, i),xvti) 2. Le mot lais est le plus ancien FAX 1026 FAX et appartient au lexique homérique (rac. Sxvl)1. Le mot Sest-) est employé aussi par Homère2 et il exprime bien la nature de l'objet formé de brindilles de bois assemblées et liées (rac. €w). On peut imaginer le luxe déjà déployé par les populations gréco-ioniennes dans l'installation de leur luminaire par l'exemple célèbre du palais d'Alcinoüs et des statues d'or décrites par le poète, véritables lampadaires en forme de jeunes gens tenant en main des torches3. II faut se représenter ici des torches résineuses, plutôt que des bougies et des cires, car le système d'éclairage au moyen du suif ou de la cire n'a été pratiqué à une époque reculée que par les peuples d'Italie [CANDELA, CERA], tandis que les Grecs sont restés de préférence attachés au procédé primitif du bois résineux. Le pin était spécialement recherché pour la fabrication -e s des torches; le nom même de l'arbre, 7rsûxri, servait aussi à désigner ce produit'. Mais on employait encore d'autres bois, comme le sarment de vigne l'yeuse ou le chêne Les hommes employés à ce métier s'appelaient Sec oupyo(; ils savaient quel bois choisir, à quelle place le couper (S i oxolrciv), de façon à ne pas faire de mal à l'arbre 7. Une fois les baguettes façonnées et bien enduites de résine, on les liait en un faisceau plus ou moins épais 8, au moyen de ligatures de papyrus9. On distinguait de ces SE,mi la torche d'un seul morceau de bois (il.ov6 uaoç Xcp.7txs), ap pelée plus spécialement Àopv(ç10. Tous ces renseignements prennent vie et couleur, quand on se reporte aux monuments. Voici la torche faite d'une seule branche de pin noueux (fig. 2902) 11, et voici la torche composée de multiples baguettes (fig. 2903) 12 ; ici le simple brandon enflammé (fig. 290013 et là le faisceau élégant et serré dans ses fines ligatures (fig. 2905) 19, ou bien le lourd assemblage de grosses baguettes (fig. 2906) 15. Tantôt les ligatures sont liées fortement de distance en distance comme des anneaux (fig. 2903); tantôt elles tournent en spirale autour de la hampe sans interruption (fig. 2908)16; plus rarement elles sont nouées en croix, comme si l'on voulait assurer davantage la solidité du tout (fig. 2907)17. Bien que l'usage de la torche remonte aux origines mêmes de la vie antique, il est remarquable qu'elle figure assez rarement sur les monuments archaïques. Innombrable sur les peintures de vases à figures rouges, elle apparaît sur un. très petit nombre de vases à figures noires ou au trait noir, dont la plupart même appartiennent aux premières années du ve siècle plutôt qu'au vie le Parmi les centaines d'ex-voto très anciens en terre cuite, représentant Artémis, que M. Lechat a découvert à Corcyre 1", pas un seul ne montre encore la déesse avec une torche, bien que cet accessoire soit réputé classique entre les mains de la déesse. On voit cet attribut entre les mains de Coré sur un relief attique qui paraît être de style archaïque20, ave c une forme déjà longue et régulière comme sur les monuments du ve et du ive siècle ; mais, en général, on constate que la torche garde un aspect primitif et agreste de simple brandon dans la période antérieure aux guerres Médiques, par exemple dans un petit bronze trouvé en Grèce Z1. Elle est plus soignée, formée de ba-, guettes régulièrement liées, mais encore courte et peu épaisse dans les peintures de style sévère, qui correspondent à l'époque de Brygos et de Hiéron (fig. 2905)22. C'est seulement vers le milieu du ve siècle et surtout après les œuvres de l'école de Phidias que la torche prend l'aspect monumental d'un sceptre, atteignant et dépassant même la hauteur du personnage 23; on comprend qu'alors FAX 402'1 --FAX cet objet devient surtout un symbole décoratif. On lui donne toute l'ampleur et la majesté qui conviennent'à un attribut divin. Plus tard, au Ive siècle et pendant toute la période hellénistique, on s'efforça de perfectionner les qualités pratiques de l'instrument, soit en faisant jaillir la flamme de plusieurs points de la torche (fig. 2909) 1, soit en adaptant au sommet de la hampe une série de brandons plus courts et disposés en croisillons (fig. 2910) 2, de façon à multiplier les foyers lumineux et à obtenir un éclairage plus intense. On constata aussi la nécessité de protéger la main contre les gouttes brûlantes de résine coulant le long du faisceau et, comme dans les bougies et les cires, on adapta à la base de la torche une large bobèche destinée à éviter tout danger de brûlure3, ou même on piqua le bois résineux, dans un candélabre de métal [CANDELABRÜII, fig. 1074 et 1081]. Dans l'existence des Grecs les torches occupaient une place considérable dont ne peut donner aucune idée le rôle des luminaires modernes. Elles n'étaient pas seulement des ustensiles nécessaires à l'éclairage, à l'allumage. Ayant une vertu purificative, elles étaient par excellence des accessoires religieux. Voici les diverses circonstances de la vie antique où l'on pouvait en faire usage. 1° Pour s'éclairer la nuit et surtout dans les chemins l'éclairage intérieur des maisons étant plutôt assuré par des lampes ; dehors, les torches avaient l'avantage de ne pas s'éteindre facilement au vent. On les achetait chez les cabaretiers ou petits trafiquants de détails; la consommation était, en moyenne, d'une drachme par moin6. C'était l'ustensile indispensable aux voyageurs' et aussi, dans les rues d'Athènes, aux gens qui rentraient tard le soir, après un banquet 3. Les peintures de vases reproduisent très fréquemment l'épisode des jeunes gens avinés qui se reconduisent les uns les autres à la lueur des torches jusqu'à leur demeure 9. 2° En temps de guerre, les torches servaient à faire des signaux dans la nuit. On annonçait l'approche d'un parti ennemi, en les agitant fortement et en tout sens; on les élevait, au contraire, tranquillement et sans secousses, s'il s'agissait de troupes amies 10. De là l'usage de la télégraphie optique s'est développé de V très bonne heure et que, dans la tragédie d'Eschyle, Agamemnon annonce à la Grèce la prise dé Troie par une série de signaux enflammés, échelonnés depuis la côte d'Asie jusqu'à Argos 12. Le système des phares [PHARUS] pour la navigation procède de la même idée 13. D'après une tradition transmise par des scholiastes, mais qui paraît peu historique, ou du moins difficile à rapporter à une époque précise, la torche aurait été aussi un signal de combat : un 7Cupp6poç, dont la personne était considérée comme sacrée et vouée au dieu de la guerre, s'avançait entre les belligérants et lançait une torche en l'air, puis il se retirait sans être inquiété 14. Ce qui est certain, c'est que la torche fut toujours, aux mains des soldats, un engin d'attaque et de défense. Le plus ancien exemple est celui des vaisseaux grecs incendiés par les Troyens", épisode représenté sur une peinture de vase de style sévère 1°. Dans les opérations de siège, la torche, avec d'autres matières combustibles, jouait naturellement un rôle important". Al'occasion, on se servait même de la torche comme d'une arme véritable. Il est vrai que, dans ce cas, nous avons surtout affaire aux récits d'épopée héroïque 18 ou nous sommes en présence du monde mythologique : les Lapithes combattant les Centaures S9 les dieux combattant les Géants20, les suivants de Bacchus châtiant les pirates21, les Silènes torturant Lamia22, etc. 30 Les cérémonies religieuses surtout nécessitent la présence des torches, le feu étant considéré comme l'élément purificateur par excellence. Dès la naissance, la torche apparaît auprès de l'enfant nouveau-né 23. Un sculpteur du Ive siècle, Damophon, avait représenté la déesse de l'accouchement, Eileithyia, avec une torche dans la main, parce qu'elle conduit les enfants à la mariage grec, le cérémonial des torches est de rigueur [MATRI11IONIUM] ; elles sont portées par les mères des deux mariés 25, et plusieurs peintures de vases du ve siècle confirment à cet égard les textes des auteurs 26. Pollux les appelle 6 eç vuviezoti21. Enfin, dans les funérailles [FuNus], on avait plusieurs motifs do recourir à l'emploi des torches, d'abord pour s'éclairer, puisque le transport du corps au tombeau avait lieu avant le lever du soleil 20, ensuite pour purifier l'air de toute impureté, enfin pour mettre le feu au bûcher du mort 29 (fig. 2904). C'est pourquoi la torche a pris plus tard, dans l'art grécoromain, un sens funéraire très marqué 30 En dehors de ces solennités, les occasions d'allumer des torches à propos d'un acte religieux quelconque étaient très fréquentes. Les lustrations ne pouvaient s'accomplir sans elles 31. Une peinture de vase nous fait 130 FAX 1028 FAX voir qu'on en plantait un certain nombre en terre avant d'égorger la victime (fig. 2911) 1. Dans les temples, on voyait d'énormes torches dressées sur le parvis même etformant une sorte d'autel à feu perpétuel qui servait aux besoins de chacun (fig. 2912) 2. On trouvera plus haut des exemples qui montrent l'emploi des torches dans diverses fêtes athéniennes et dans certains rituels, par exemple dans les crions (fig. 1429), dans les DIONYSIA (fig. 2424 et2425), dans la purification de Thésée après le meurtre des brigands [Dlos KODION, fig. 2450], et surtout dans les grandes solennités des Mystères où les processions nocturnes et les scènes secrètes des initiations exigeaient un déploiement inusité de luminaire [ELEUSINIA, fig. 2629, 2630, 2631, 2639]. Rappelons encore les monuments re latifs à la LAMPADOPHORIA'3, les scènes de sacrifices les fêtes féminines 5, les innombrables occasions de faire offrande aux dieux et d'allumer une torche, soit dans la maison, soit dans la rue, soit dans le temple 6. On peut noter, en outre, qu'à l'état d'accessoire religieux ou d'attribut 0.11.00000 divin, la torche grecque s'enrichit souvent de couronnes, de bande lettes et de guirlandes qui en précisent encore le caractère sacré (fig. 2913). Les exemples en sont fréquents surtout sur les vases de fabrication itallote En droit, presque toutes les divinités grecques auraient pu revendiquer la torche comme attribut, ayant toutes un pouvoir purificateur et tenant de près par leurs origines aux phénomènes de la lumière. Mais, dans l'espèce, quelques-unes ont accaparé à leur profit cet accessoire symbolique. Par exemple Apollon, Esculape, Hygie, dieux purificateurs par excellence, en sont rarement ou pas du tout pourvus 8. Au contraire, Déméter, Coré, Artémis, la triple Hécate, la portent constamment (voy. ci-dessus les figures 921, 1298, 1301, 1302, 1303, 1304, 1310, 1311, 1316, 1320, 1321, 2242, 2629, 2630, 2634, 2693 pour Déméter et Coré ; fig. 377, 2350, 23M, 2352, 2353, 2356, 2337, 2364, 2371, 2373, 2381 pour Artémis)'. Après ces trois divinités, les personnages mythologiques qui en sont le plus fréquemment munis sont les Ménades et les Silènes, parcourant la nuit les montagnes en compagnie de Dionysos10, puis les Furies qui tourmentent les morts dans les Enfers 11. Il en résulte que dans la symbolique des attributs divins, la torche caractérise surtout les divinités de la nuit et des ténèbres, plutôt que les puissances purificatrices. C'est accidentellement qu'on la voit portée par de pures abstractions intellectuelles comme la Victoire 12 et la Poésie i3. Au contraire, c'est par une extension toute logique qu'elle est prêtée à Phosphoros 1", ou bien à Médée 1 et à la déesse Apatè 16. II. Les Étrusques et les Romains ont connu la torche résineuse et il est évident qu'au début, comme tous les peuples primitifs, ils en ont fait un usage quotidien. Mais, de bonne heure, comme on l'a expliqué dans les articles CANDELA et CERA, le luminaire a pris chez les nations de l'Italie centrale une forme particulière, grâce à l'emploi prépondérant des matières graisseuses, et, tandis que les Grecs conservaient jusqu'à la domination romaine le système des torches de résine, les Étrusques et les Romains l'abandonnaient très tôt pour se servir des chandelles et des cires. Aussi le mot fax et le mot taeda ne représentent pas toujours un ustensile absolument pareil à la lads des Grecs, ou, pour mieux dire, ce peut être souvent une âv.Eç artificielle, faite à l'image du flambeau grec, mais n'en reproduisant que la forme extérieure et destinée à s'alimenter au moyen d'autres produits. Un curieux objet, publié dans l'ouvrage de Caylus 11, en donne une idée précise (fig. 2914). C'est un tube métallique, en forme de tige de pin noueux; il est percé à l'extrémité supérieure d'un trou pour laisser passer la flamme et d'un autre trou à la partie inférieure, par où pénètre l'air et qui est destiné à rendre possible la combustion d'une matière organique dans l'intérieur du tubeQuand on garnissait ce tube intérieur d'une mèche huilée ou d'une mince baguette de cire, il est clair qu'elle Fig. 2914. Torche de devait brûler en exhalant sa flamme mf.tai. et sa fumée par l'orifice supérieur, de sorte qu'on paraissait tenir à la main une véritable tige de pin, artistement ciselée, qui se conservait indéfiniment. De tels artifices font comprendre la nature du luminaire ,que nous voyons sur les monuments étrusques et romains. La ressemblance qu'il offre avec le luminaire grec est tout extérieure ; en réalité, c'est une simple enveloppe qui permettait de se servir des matières grais FAX 1029 FEB seuses usitées dans le pays, tout en copiant les formes plus élégantes de l'industrie grecque. D'ailleurs, en étudiant de près les représentations figurées, on se rend compte que l'instrument romain est fort différent de la torche grecque et qu'il ne se compose pas de baguettes liées ensemble. Bien qu'on rencontre parfois une repro duction assez fidèle des faisceaux ligneux', on constate, dans la grande majorité des cas, que la torche romaine présente une surface lisse et arrondie, terminée en haut par une sorte de bobèche évasée, et qu'elle donne bien l'idée d'un tube métallique, de bronze ou d'autre matière, qui n'est que l'enveloppe du véritable luminaire 2. La démonstration en a déjà été faite à l'article CANDELABRUM (fig. 1082, 1083). Dans les peintures pompéiennes, l'artiste, abandonnant franchement le type grec, réduit la hampe de la torche à une tige effilée que surmonte une série d'élégants calices superposés, comme des fleurs emboîtées les unes dans les autres (fig. 2915)3. L'idée de cette transformation a été sans doute inspirée par les monuments de l'industrie étrusque, comme on peut en juger par une peinture de tombe où l'on voit, dans une escorte de génies funéraires, un long chandelier à bobèches superposées qui forme une torche d'une forme toute particulière (fig. 1085, 2824). Ces réserves étant faites, on ne peut douter cependant que, dans la vie ordinaire, les Romains n'aient fait usage assez souvent, comme les Grecs, des torches résineuses et l'on en a pour preuve le texte de Pline qui étudie longuement les six espèces d'arbres dont on peut faire des torches; la sixième est par excellence la taeda qui a donné son nom même au produit'. Les usages en sont variés et conformes à ce que nous avons vu à propos des Grecs. Les premières heures de la nuit, après le soleil couché, portaient le nom de fax prima 5. Les riches voyageurs employaient ces faces à éclairer leur route, quand il n'y avait pas de lune, et souvent des incendies étaient dus à l'imprudence des gens qui n'éteignaient pas soigneusement les débris enflammés de leur flambeau'. Les chasseurs se servaient des spicatae faces', sortes de falots à multiples lumignons dont on a peutêtre un exemple sur la mosaïque de Lillebonne 8; elles étaient sans doute dérivées des torches à croisillons que nous avons signalées plus haut sur les vases de l'Italie méridionale (fig. 2910). La torche était aussi un engin de guerre, même de torture, comme on le voit sur des reliefs de la colonne Trajane, où des femmes Daces brûlent vifs des prisonniers romains'. La naissance, le mariage, la mort sont symbolisés, comme en Grèce, par une torche. Un relief du Vatican montre Juno Lucina tenant d'une main un enfant et de l'autre une torche 10. Les textes des auteurs sont nombreux sur les faces nuptiales ": elles étaient en bois d'aubépine'2 et portées par les enfants revêtus de la robe prétexte qui accompagnaient les époux 13. On allait les allumer chez les édiles, et, au moment de franchir le seuil de sa nouvelle demeure, la mariée touchait l'une d'elles en signe de purification1l. Les amis du marié la dérobaient ensuite et l'emportaient hors de la maison lb. Elle figure sur les monuments aux mains d'Éros, d'Hyménée ou de simples assistants i6 [MATRIMoMUM]. Les torches funéraires sont souvent aussi mentionnées". L'usage s'en était conservé, bien qu'on ne fût plus obligé de devancer le lever du soleil pour les enterrements'', si ce n'est pour les enfants 19. On sait combien le motif décoratif de l'Éros funèbre, appuyé sur une torche renversée, est fréquent sur les sarcophages et les cippes romains59 [FUNUS]. Sur les urnes étrusques figurent aussi des génies infernaux tenant une torche2' Parmi les divinités d'époque romaine qui sont spécialement caractérisées par cet acceseoire, il faut placer en première ligne le dieu SIITHRA, dont on sait les accointances avec les phénomènes solaires 22. Comme chez les Grecs, beaucoup d'actes religieux de tout genre appelaient l'intervention des torches 23. Toutes ces cérémonies romaines sontétroitement liées àla religion grecque dont elles ne font en général que reproduire le détail rituel et la signification symbolique. E. POTTIER.