Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FERIAE

thographe primitive était fesiae', d'où est venu le mot festus) 2, les jours qui appartenaient en propre aux dieux : ils s'opposaient aux jours qui appartenaient aux hommes; ils étaient, disaient les anciens, « institués à cause des dieux ». La fête est par définition un « jour divin 3 ». 1° Le jour de fête, jour de relâche. Ces jours-là, l'homme devait aux dieux-toutes ses actions, tous ses sentiments, toutes ses pensées. Ce n'étaient pas des jours d'oisiveté (otium), mais plutôt des jours de relâche (quies, requics), pour toute occupation purement humaines. Les affaires publiques et privées étaient suspendues : l'homme libre faisait trêve à ses procès et à l'exploitation de son champ; il arrêtait le travail de ses animaux, de ses esclaves, de la famille dont il était le père et le chef'. Tel était du moins le caractère primitif du jour de fête; tel il put être rigoureusement observé dans les temps les plus lointains de la religion romaine. Toutefois, à ce principe de repos absolu, la loi religieuse de l'époque classique admettait d'assez notables tempéraments. Peu à, peu, de nombreuses besognes furent autorisées les jours de fête. Les Livres des Pontifes indiquèrent avec un soin minutieux tous les travaux que les dieux permettaient. Les écrivains qui traitèrent de l'économie rurale, Caton, Varron, Virgile, Columelle, nous font connaître avec précision ceux des travaux champêtres que n'excluait pas le jour de fête. On verra par eux avec quelle tyrannie le rituel religieux surveillait les moindres actes de la vie domestique durant ces journées qui appartenaient aux dieux : il accordait bien le droit de se livrer à quelques travaux, mais il veillait à ce que ces travaux fussent exactement de nature à ne porter aucune atteinte au droit imprescriptible que la divinité avait sur le jour de fête. C'est surtout à la campagne que Ies Livres des Pontifes réglaient l'emploi des jours de fête : car c'est pour mar quer la fin du travail des champs, finita agriculturae, qu'ils ont été d'abord institués et les premières fêtes furent des solennités rurales. Aux jours fériés, le laboureur pouvait tailler les haies, brûler les ronces, détruire les animaux nuisibles, réparer les chemins, curer les fossés, et faire toute autre besogne de propreté ou d'entretien. Il fut permis de moudre le blé, de préparer des torches, de fabriquer des chandelles, de laver les troupeaux. On put mettre à sécher des raisins, des pommes, des poires, préparer du vin doux. Le paysan était autorisé à se rendre à la ville et à y faire ses achats. Par un compromis bizarre, on déclara qu'il n'y avait point de fête pour la bête de somme, si ce n'est les fêtes de la famille ; on put occuper chevaux, boeufs et mulets : ce n'était pas l'homme qui travaillait, mais l'animal. Les Pontifes et les jurisconsultes établirent, au sujet de ces occupations permises, de subtils règlements, mais qui n'étaient nullement arbitraires, et dont il est facile de trouver le motif'. II était permis de réparer une poutre, mais non point de bâtir $, de tailler d'anciennes haies, mais non d'en planter de nouvelles, de nettoyer les fossés, mais non de les creuser : on pouvait réparer, on ne pouvait pas construire. Il y a, dit Macrobe, deux motifs de laver les brebis : on bien on veut entretenir et embellir la laine, ou bien il faut préserver l'animal contre la maladie. Les jours de fête, il n'est permis de laver l'animal que pour cette dernière cause, et c'est ce que pense Virgile dans ses Géorgiques °. Il était assurément interdit à un propriétaire rural de travailler sa vigne ou ses oliviers : il ne l'était pas à celui qui avait affermé des vignobles ou des olivettes, car il s'appliquait non à s'enrichir, mais à faire face à ses engagements. Voici quelle était en effet la règle de conduite de la vie rurale pendant les jours de fête : toute préoccupation de lucre, de gain nouveau, doit être écarté de la pensée humaine. Les jurisconsultes aimaient à le répéter : l'homme n'acquerra pas, ne travaillera pas pour produire, mais il veillera à conserver son bien et à faire face aux nécessités urgentes. On consultait Scévola sur ce qui était permis le jour férié. « Tout ce dont l'omission serait nuisible », prononça-t-il, quod praetermissum noceret10. Les dieux avaient peut-être, dans les temps primitifs, exigé de l'homme le sacrifice de sa vie entière, actes et pensées : moins sévères aux temps classiques, ils ne lui demandaient que de faire relâche, quies, à la poursuite de ses intérêts et à la recherche de son profit, que de leur consacrer le temps de repos conciliable avec le travail urgent de la terre ". A la ville, la vie publique se trouvait régie, les jours de fête, suivant les mêmes principes. La loi suspendait la tenue des tribunaux les jours fériés; elle frappait de la même prohibition la culture de la terre et la poursuite d'un procès '2 : l'une et l'autre chose était au même titre la recherche d'un gain. Mais en cela encore on adoucit de bonne heure la rigueur des prescriptions primi FER 1043 FER tives. S'il y avait accord entre les parties, une affaire pouvait être jugée dans le courant des fêtes'. On autorisa d'expédier certaines affaires urgentes; toutes celles dont la remise entraînait quelque dommage pour la fortune, la liberté, ou la vie d'un homme 9. Les causes relatives à la liberté pouvaient être jugées, le magistrat procédait, même les jours de fête, à la désignation d'un tuteura. C'était l'application à la vie civile du principe posé pour la vie rurale par Scévola : Licet quod praetermissum noceret`°. Ce principe servait encore dans la vie politique. Les magistrats ne pouvaient pas, aux jours fériés, convoquer une armée, lever des hommes, engager une bataille 5. Mais il fallait encore distinguer. Si les Romains étaient les agresseurs, si le choix du jour de combat ne dépendait que d'eux, ils devaient le fixer en dehors des journées qui appartenaient aux dieux ; mais, s'ils étaient attaqués, aucune loi divine ne les empêchait de repousser l'ennemi, de protéger leur salut, do veiller à leur dignité 6. Au Forum, au Champ de Mars, les assemblées du peuple étaient suspendues. Il est possible qu'à l'origine les jours de fête fussent incompatibles avec n'importe quelle réunion politique. Mais à la longue les dieux étaient devenus plus accommodants. Ils interdisaient toujours la tenue des comices oh l'on devait voter, juger, élire : mais ils permettaient les réunions qui n'entraînaient pas un vote sur une loi, une élection, un jugement, c'est-à-dire qui n'impliquaient pas une lutte, une contestation, ou la poursuite d'un intérêt : telles étaient les assemblées où on entendait les communications des magistrats'. Le Sénat pouvait également se réunir les jours fériés sans autorisation spéciale, et les historiens romains ne marquent aucun étonnement à le voir siéger un jour des Ides ou des Carmentales 3. C'est dans une séance du Sénat que Jules César fut tué, le jour de la fête des Ides de mars. On peut croire que si le Sénat jouissait de cette tolérance, c'est que, en sa qualité de conseil suprême de la République, il avait pour principale mission de maintenir et de conserver, et non pas d'acquérir ou de conquérir. D'une manière générale, en effet, tout acte de violence ou de force, toute conquête de l'homme sur l'homme ou sur la nature est regardée, le jour de fête, comme un crime envers les dieux : Feriis vint cuiquam Seri piaculare est' ; le labour était une violence faite à la terre, les luttes du Forum ou du Champ de Mars, des vioIences faites à l'homme. Ce jour-là, il est permis d'épouser une veuve : c'est péché qu'épouser une vierge Y0 La formule la plus compréhensive peut-être que les anciens aient donnée pour le jour de fête est celle que nous trouvons chez Servius". « On peut, sans commettre de faute, faire ce jour-là tout ce qui peut être fait sans création de quelque chose de nouveau », sine institutione IV. novi operis. On dirait que le jour de fête, dans les croyances anciennes, marquait une fin, était une conclusion, comme un arrêt dans la vie : la vie se trouvait pour ainsi dire frappée, tranchée, comme une victime qu'on immole. C'est pour cela que les anciens faisaient venir, non sans raison, feriae du verbe ferire, « frapper » 12. Il est à remarquer combien cette notion primitive du jour de fête se rapproche de celle que la religion de Moïse a Iéguée aux chrétiens. « Tu travailleras six jours et tu feras toute ton oeuvre », dit l'Éternel à Moïse la. Cicéron dit de même : « Que les fêtes aient lieu, toute l'oeuvre achevée », patratis operibus" : « les fêtes » ajoute-t-il sont placées de manière à permettre l'achèvement des travaux des champs " » ; elles ont lieu après les vendanges ou les semailles, « lorsque toute l'oeuvre de l'homme est faite », opus perfectumi6 Moïse appelle de même le jour de fête, « le repos de l'Éternel », comme les Romains l'appelaient quies, « jour de relâche ». « Dieu bénit le septième jour », dit la Genèse, « et le sanctifia, parce qu'en ce jour-là il s'était reposé de toute son oeuvre, qu'il avait créée pour être faite". » C'est la phrase de Servius, que le jour de fête vient après l'achèvement de l'oeuvre nouvelle, institutio novi operis. Dans la vie intime, les fêtes de la famille indiquaient aussi des changements d'existence : c'est le jour où l'homme prend la toge virile, ce sont les jours des fiançailles ou du mariage; ce sont les anniversaires, gais ou tristes, de la naissance ou de la mort, ce sont des commencements d'année ou des fins de période. La fête familiale, comme la fête publique, est un moment qui sépare, qui ponctue les différentes époques de la vie. Ce qui semble bien prouver que telle est la nature primitive du jour de fête, c'est le sens d'apparence extraordinaire qu'on donnait parfois à ce mot de feriae ou à celui de feriatus. Un citoyen prononçait-il par accident le nom de certaines divinités mystérieuses, comme Salus, Semonia, Seia, Segetia, Tutilina i3, il devait « observer des jours de fêtes », ferias observabat : sa vie était « fériée ». Si la flaminique entendait le tonnerre, elle devenait feriata, c'est-à-dire qu'il lui était interdit de se livrer à toute occupation jusqu'au moment où elle avait apaisé les dieux19 : par cet avertissement, ils avaient en quelque sorte frappé sa vie d'interdit; feriata ressemblait singulièrement à feriaa. Certains phénomènes naturels entraînaient de même pour l'État tout entier la cessation de la vie publique et l'institution de fêtes extraordinaires. Toutes les fois que la terre tremblait, un édit des magistrats annonçait qu'il y avait fête. Une pluie de pierres provoquait neuf jours de fête : c'était un des signes dont se servaient les dieux pour réclamer de l'homme la suspension de son activité". Le caractère du jour de fête apparaît avec une singulière netteté quand on le compare au caractère du flamine. Le flamine est l'homme de la divinité, son 132 FER 10 FER esclave plus que son prêtre : il lui est voué. Or, son existence est inséparable de l'idée de fête : sa vie est, à l'origine, regardée comme une fête permanente, flamen quotidie festatusi. S'il sort les jours de fête publique, il ne doit voir personne au travail : la vue du travail le souille ; un héraut le précède pour avertir le peuple de se livrer au repos sur son passage Quand les anciens disaient ainsi que chaque journée du flamine était une fête, ils rappelaient par là que sa vie entière appartenait à Dieu. La fête était vraiment un lien, une chaîne, qui attachait l'homme à la divinité 3. 9o Le jour de fête, jour de pureté. Le jour de fête ne provoquait donc en principe chez l'homme aucun sentiment de joie, aucun acte de plaisir. Il n'a pas été institué pour lui, mais pour la divinité. Il doit participer au caractère des dieux à qui la fête est consacrée : il peut être gai, comme la fête des Vendanges, il peut être triste, comme la fête des Mânes. Il est placé dans la saison de l'année où il est le plus aisé de donner aux dieux les victimes qu'ils préfèrent'. Il est destiné au travail religieux, à la prière, aux sacrifices, aux actes sacrés. Il est marqué par la divinité comme sa chose, il est feriatus, comme la prêtresse qui a entendu le tonnerre. Il faut donc considérer la fête, à vrai dire, comme une offrande sacrée prise dans le temps, de la même manière que la victime du sacrifice est une offrande choisie dans la nature. Le jour de fête ressemble à la victime destinée aux dieux5. Comme de la victime, on disait du jour qu'il devait être « pur » pour être agréable à la divinité. Toute occupation illicite entraînait pour lui une souillure, pollutio 6, et nécessitait une expiation, piaculum 7. La conception de purus était inhérente à l'idée de fête. C'est ainsi que chez les Juifs, le Dieu d'Israël avait « béni » et « sanctifié » le jour du repos. On a vu que, par rapport à l'homme, le jour de fête était un jour «néfaste », nefastust, parce que le magistrat ne pouvait juger ce jour-là; mais par rapport aux dieux, c'était un jour pur: de là l'expression de nefastus purus pour désigner les jours des fêtes publiques, expression qui sur les calendriers était marquée par le signe ou l'abréviation jj) 9. Comme chaque victime était destinée à un dieu déterminé, de même chaque jour de fête (du moins dans les temps connus) appartenait, non pas à la divinité en général, mais à tel dieu particulier, dont il était le bien propre. Il avait, comme le temple, un dieu dont il portait le nom 40. Aussi inscrivait-on sur les calendriers : « tel jour est fête, et est à Jupiter », Idus feriae Jovi; on ne disait pas simplement : tel jour est jour de fête. Il est vrai qu'on ignorait parfois le nom du dieu auquel le jour devait être consacré : c'était le cas par exemple des fêtes qui étaient provoquées par les tremblements de terre ; comment savoir en effet quel était le dieu qui avait agité le sol et qui réclamait ainsi du peuple romain le tribut d'un jour de fête ? Aussi, dans l'édit qui ordonnait le jour de fête, les magistrats évitaient de dire à qui il appartenait : on craignait qu'en nommant un dieu pour l'autre on n'impliquât le peuple dans de fausses pratiques li. Si quelque faute venait à souiller ces jours de fête extraordinaire et qu'il fallût l'expier, la victime expiatoire était égorgée suivant la formule du dieu inconnu, sive deo sive deael2. Le maintien de cette formule montre bien que le jour de fête, comme la victime qui le purifiait, était donné, non pas à la religion, mais à un dieu bien déterminé. 3° Le jour de fête, jour de purification. L'emploi da jour de fête variait suivant la divinité à laquelle on rendait hommage. Mais certaines cérémonies se rencontraient dans toutes les fêtes. C'était d'abord et surtout le sacrifice d'une victime dans le temple ou dans le bois" consacrés au dieu de la fête ; c'était ensuite le repas sacré i inséparable de ce sacrifice : ces deux actes sont les cérémonies essentielles des jours fériés. La plupart de ces fêtes comportent également des processions, pompae 7J, cortèges solennels formés par ceux qui se rendent au lieu sacré : la plus célèbre de ces processions était celle de la fête rustique des Ambarvalia. Quelques-unes de ces fêtes étaient accompagnées de sauts, de courses, ou de a fuites » : telles étaient les Lupercales, avec leur course d'hommes nus ; les Équirries avec leur course de chevaux; les fêtes du dieu Cousus, avec leurs courses de chevaux et de mulets ; aux Palilies on allume des feux, et bergers et troupeaux sautent à travers les flammes. Il faut rapprocher de ces courses la fuite symbolique du Roi des Sacrifices au Regi ftigium, et la fuite du peuple aux mystérieuses Poplifugia. Un assez petit nombre de fêtes primitives présentent des jeux ou des combats : on ne peut guère citer que les combats des Ides d'octobre16 et ceux des Saturnalesl7. Rappelons enfin les cérémonies de purification des armes et des trompettes, aux jours de l'Armilustrium et du Tubilustrium, et les jeux populaires des balançoires, oscilla aux Argées, aux Compitales et aux Fêtes latines. On peut croire que la plupart des rites de la fête autres que le sacrifice et le repas se rattachent à des devoirs de purification ou d'expiation. Le combat des Ides d'octobre est présenté par les anciens comme un acte expiatoire '8. La course des Lupercaes clôturait la grande fête de purification des Lupercales. Le saut des flammes aux Palilies purifiait bergers et troupeaux 19. Les oscilla qu'on agite dans les airs constituent à n'en pas douter un acte de purification. La procession des Ambarvalia est avant tout une cérémonie de lustration. Constatons en outre qu'un assez grand nombre de ces fêtes sont par définition même des jours de purification, des armes ou de la cité, des champs ou des troupeaux20. Nous avons vu d'autre part que les deux caractères essentiels de la fête, c'est d'être jour de « relâche » et FER -10jI5FER jour « pur ». On peut aisément conclure que la fête comportait une purification de l'homme ou de la terre après les journées de travail. 4° Que le jour de fête n'est pas un jour de joie. r-Il importe cependant de rappeler qu'aucun de ces actes, procession, courses, jeux, sacrifices ou repas, n'est particulier au jour de fête : ils peuvent se rencontrer dans les autres journées de l'année. Il n'est aucun jour qui n'ait son sacrifice ; tout repas est un acte placé sous l'invocation de la divinité, et les jours de grand repas religieux n'étaient pas nécessairement des jours fériés' Les courses, les jeux, les combats, les processions même peuvent avoir lieu à des jours non fériés. Ce n'est pas non plus la réunion au même jour de tous ces actes religieux qui constitue la fête : les jours de jeux comportaient sacrifices, repas solennels 2, courses, combats et processions, et cependant les anciens ont toujours soigneusement distingué les LUDI des feriae 3. Ce n'est pas non plus la manière de célébrer ces différents actes. Sans aucun doute, le jour de fête ne tarda pas à devenir un jour de réjouissance comme il était un jour de repos. On s'habitua à dire que les dieux, ces jours-là, ne voulaient voir que visages gais et piété joyeuse : Dii quoque ut a cunctis hilari pietate colantur, Tristitiaan poni per sua festa Tubent, dit Ovide`. Les citoyens s'habillèrent de blancs et portèrent des couronnes° : ce qui fut à l'origine un acte de religion et ce qui devint rapidement un signe de joie. Les sacrifices furent entourés de plus de solennité. Surtout, les repas des fêtes furent plus dispendieux et plus longs 7. Sylla et Auguste durent même promulguer des lois pour restreindre le luxe que les particuliers déployaient les jours de fête$. Mais la répression de ce luxe prouve par là 'même qu'il n'était pas indispensable au jour de fête. Les écrivains romains de l'époque classique et, après eux, les modernes, associent volontiers l'idée de fête et celle de réjouissance : ceux-là oubliaient leurs fêtes lugubres des Lémuries ou des Feralia; nous oublions que deux de nos fêtes, le Vendredi Saint et le jour des Morts sont de funèbres anniversaires. Il serait plus dangereux encore pour la vérité de transporter ces conceptions dans le monde romain primitif. M. Mommsen a, dans une certaine mesure, cédé à cette tentation en établissant sa célèbre distinction entre les jours « néfastes tristes » (qui seraient marqués N sur les anciens calendriers) et les jours « néfastes gais », hilariores (marqués an) 9, et cette distinction a eu de nos jours une vogue incroyable. En admettant que Festus 1° et les grammairiens parlent de fêtes gaies, il est fort douteux que la Rome primitive ait attribué à la fête ce caractère de gaieté. Loin delà! A vrai dire, la fête religieuse, telle que les anciens la concevaient, comportait plus de tristesse que de joie, plus d'ennuis que de divertissements. L'homme qui a blasphémé doit « observer une fête »; la fête est une purification et peut être une expiation. On célébrait la fête pour plaire aux dieux et non pour réjouir les hommes. En 173, à ce que rapporte Tite-Live, la terre trembla pendant trente-huit jours, et cos trentehuit jours furent passés comme des jours de fête, dans l'inquiétude et la crainte, dies feriae in sollicitudine ac motu fuere 11 Ce qui caractérise donc à l'origine le jour de fête, c'est moins ce que les dieux demandent que ce que les dieux interdisent. S'il appartient à un dieu, cela veut dire surtout qu'il n'appartient pas aux hommes; sa « pureté » Nient de ce qu'il est jour de « relâche », de cessation de l'activité humaine ; avant toute chose, il est « néfaste », et, comme tout ce qui était consacré aux dieux dans cette civilisation lointaine, il est entouré de plus de défenses et de craintes qu'il n'est accompagné de joies. II. FÊTES PRIVÉES. Les anciens distinguaient parmi les fêtes celles qui étaient particulières aux individus, aux familles, aux collèges, et celles quiétaient communes à tous les membres de l'État. Les premières n'étaient célébrées que par un certain nombre de citoyens, qui étaient seuls « tenus » ou « liés » par elles. Les fêtes publiques ou de l'État12 enchaînaient les magistrats ou le peuple tout entier l3 1° Fêtes de la gens. Toute société humaine ayant son dieu, a aussi ses jours de fête. La GENS, qui est la forme la plus ancienne de l'association chez les Romains, posséda, dit Macrobe, « des fêtes qui lui étaient propres », et le grammairien cite la gens Aemilia, la gens Claudia, la gens Julia, la gens Cornelia 14 ; les fêtes appartenaient à la divinité dont la gens desservait le culte de temps immémorial : dans la grande gens des Jules, les fêtes étaient celles d'Apollon; Hercule était le dieu des Pinarii et des Potitii; Minerve protégeait la gens Nautia; et la fête du Soleil était celle de la gens Aurelia ". Mais ces fêtes sont fort peu connues : l'extension et le démembrement de la gens ont dû ;les réduire de bonne heure à un simple souvenir. 2° Fêtes de la famille 16. Les fêtes familiales furent au contraire vivaces et populaires durant l'antiquité. Elles étaient pour la famille entière des jours d'absolu repos. Il était permis aux particuliers de ne point prêter serment ce jour-là17. Les animaux domestiques eux-mêmes ne devaient point travailler : le repos était imposé à tous les êtres qui vivaient dans la famille. « Le septième jour », disait Moïse, « est jour de repos, même pour ton boeuf, pour ton âne et pour toutes les bêtes 16 ». « Il n'y a pour les mulets, les chevaux, les ânes », disait Caton, « d'autres fêtes que celles de la famille". » Certaines fêtes familiales étaient célébrées en même temps, à un jour fixé par l'usage ou par la loi, à peu près 20 dans toutes les maisons romaines. Telle est égale FER 1016 FER ment chez nous, par exemple, la fête des Morts. Ces fêtes, sans être à proprement parler des fêtes publiques, sans empêcher toujours en droit la tenue des tribunaux ou des comices, étaient cependant inscrites dans le calendrier officiel : l'État avait d'ailleurs, lui aussi, ses morts à honorer par le ministère des Vestales, des prêtres ou des magistrats. C'étaient d'abord les fêtes funéraires du mois de février, réservées au culte des défunts, les Parentalia (du 13 au 20 février), et les Feralia(au 21), qui les clôturent; on doit rapprocher d'elles la fête énigmatique des Carnaria (ter juin) appelée aussi la fête des Fèves (Fabariae kalendae), qui est une solennité funéraire Observées par tous les citoyens à la fois, elles engageaient par la-même la vie publique. Les temples étaient fermé, les mariages défendus et les magistrats, dit-on, ne pouvaient paraître revêtus des insignes de leur autorité'. Puis venaient, le 22 février, les Caristia; tous les parents d'une même famille se réunissaient dans de joyeuses agapes : mais l'État ne pouvait pas ne pas regarder ce jour comme un jour de réjouissance publique, surtout lorsqu'on s'habitua, dans ces fêtes, à associer aux dieux de la famille les divinités de l'empereur, père de la patrie 3. Le 9, le 1l et le 13 mai, revenaient d'autres fêtes familiales, générales au peuple entier, les Lemuria, destinées à apaiser les ombres errantes : celles-là aussi influaient sur la vie publique, les tribunaux étaient fermés', les temples de même 5, et les mariages mal vus des dieux'. On doit ranger dans cette catégorie les fêtes, beaucoup plus récentes, des Calendes de janvier ou des étrennes, qui furent célébrées pendant longtemps dans les familles, avant de prendre place dans le calendrier public7. Indépendamment de ces fêtes, que le calendrier de l'État fixait à des jours déterminés, chaque famille avait ses solennités qui lui étaient propres et dont la date était celle de l'anniversaire qu'elles consacraient. Les plus célébrées étaient les Feriae Denicales, réservées au défunt dont on venait de pleurer la perte : elles avaient lieu quelques jours après la mort, et toujours après les funérailles. Puis venaient les Parentalia privées, qui marquaient le jour anniversaire de la mort et des funérailles 8. Les Rosalia ou Rosaria, qui• se célébraient d'ordinaire aux mois de mai ou de juin, et qui seront assimilées plus tard à des fêtes publiques étaient les jours où la famille portait des roses sur la tombe de ses morts, dies Rosationis, disent les inscriptions9. A côté de la fête des Roses, la fête des Violettes, dies Violae10, était le jour où le mort recevait l'offrande des violettes. A examiner de près toutes ces fêtes familiales, on reconnaît aisément qu'elles ont toutes les caractères essentiels des jours fériés : elles sont accompagnées de purifications, et elles appartiennent à un dieu. C'est se tromper que de les regarder comme instituées en l'honneur de la famille vivante ou en souvenir de ses morts. Les Feriae Denicales mettaient fin au temps de deuil et d'impureté qui suivait la mort 1i. C'étaient des jours qui appartenaient au mort, mais comme les Ides apparte naient à Jupiter : le défunt n'y apparaissait point comme l'être aimé et regretté dont on veut célébrer le souvenir ou honorer la mémoire; il s'y montrait comme le dieu dont ce jour était la propriété; on lui offrait des sacri, lices, un repas sacré, des jeux mêmes : c'était le jour où le mort passait solennellement à l'état de dieu de la famille 12. Avant de célébrer les Lemuria, le dévot se purifiait; et les ombres qu'il invoquait étaient des esprits divinsf3. Les Feralia appartenaient aux dieux Mânes comme les Parentalia aux parents devenus dieux, Diis Parentibus. Et dans les Caristies, c'était aux dieux de la famille, Diis Generis, aux Lares ou au 'amen de César, que s'adressaient les prières i'. 3° Fêtes des particuliers. Les autres fêtes familiales peuvent être regardées aussi comme des fêtes particulières aux individus" : si c'est la famille entière qui les célèbre, elles concernent cependant surtout l'un de ses membres 16. C'est d'abord le jour anniversaire de la naissance (Natalia) du père de famille ou de ses enfants, ou même de ses amis ou de ses hôtes". C'est le jour où l'enfant nouveau-né reçoit son nom (Nominalia), et celui où il prend la toge virile (Liberalia). C'est enfin le jour des fiançailles (Sponsalia), celui du mariage (Nuptiae) et le lendemain des noces (Repotia)18. Ces jours de fête familiale ont été, durant toute l'antiquité romaine, l'objet d'une grande ferveur. Si on peut en juger d'après la popularité qu'ils conservèrent, la vie de famille demeura aussi intense qu'au premier jour. C'étaient, à ces moments, des folies de plaisirs et de dépenses. Il fallut faire des lois pour restreindre les prodigalités auxquelles on se laissait aller. Sylla défendit que plus de 300 sesterces fussent consacrés aux festins des fêtes familiales ; Auguste permit 1000 sesterces pour les jours de noces et pour les Repotia19. C'étaient les jours où on invitait les amis et les clients; on s'habillait de blanc 20, on répandait fleurs et parfums, on aimait à se trouver dans une compagnie nombreuse et réjouie : « Que de fois, dit Ausone, j'ai célébré les jours des fêtes des miens ou j'ai assisté comme convive à celles de mes amis''! » Mais il n'est pas permis de regarder ces jours de fête comme de simples anniversaires ou des rendez-vous de réjouissances purement humaines. C'étaient aussi et toujours des jours religieux et sacrés, qui appartenaient à une divinité : des prières, des sacrifices lui étaient adressés, et c'était sous son invocation que le festin de la fête avait lieu. Il va sans dire que le dieu Lare était le dieu habituel de la fête de famille. Ces jours-là, disait Caton, il faut adresser une supplication au dieu Lare 22. Il n'était jamais oublié, lui et son chien, aux fêtes domestiques. Le jour de la toge virile, on lui consacrait la bulla que l'enfant avait portée. Mais quelques-unes de ces solennités avaient aussi leurs divinités spéciales. J'imagine que Juno Pronuba tenait une grande place dans les invocations du jour des noces23. Liber était sans doute devenu le dieu des Liberalia familiales. Les anniversaires des naissances appartenaient tout entiers au génie de FER 1047 FER l'homme, à cet invisible Genius que l'homme recevait en naissant. C'était lui qu'on adorait ce jour-là : Natalis Juno (JUNO est le féminin de GENIUS), Natalis Juno, sanctus cape turis ace, voc, ainsi commence une prière que la femme adresse à son génie le jour anniversaire de sa naissance'. Ce jour est proprement la fê te de cet être divin qui est l'âme humaine 2. Fêtes des collèges. Les collèges étaient des associations humaines comparables, en tout point, aux gentes et aux familles; ils ont leur foyer, leurs repas en commun, leur sépulture et leurs dieux; ils ont aussi leurs fêtes. De ces fêtes, les unes ressemblent aux solennités familiales et privées; tels sont les anniversaires des patrons ou des bienfaiteurs de la corporation : ces jours-là, on célèbre leurs Mânes par des sacrifices, des offrandes ou des 'repas de corps, comme la famille célèbre l'anniversaire de son père. Les autres rappellent davantage les fêtes publiques; ce sont celles que le collège observe en l'honneur du dieu sous la protection duquel il s'est placé : elles ont lieu, en règle générale, le jour anniversaire de la dédicace du temple auquel le collège est consacré. C'est ainsi que la plus célèbre des corporations romaines à l'époque impériale, celle des Frères Arvales, célébrait, d'une part, pendant le mois de mai, trois jours de fête en l'honneur de sa déesse Dea Dia et, d'autre part, à leurs dates anniversaires, les fêtes de la naissance, du mariage ou de l'avènement des empereurs, membres et bienfaiteurs du collège. Quelques-unes des fêtes célébrées par les grands collèges de Rome prirent une importance presque égale à celle des solennités publiques. La fête de Mercure, qui avait lieu le 15 mai, n'était en droit que celle du collège des Marchands : elle fut établie en 495, en même temps que fut fondé le premier temple de Mercure et que fut créé le collegium mercatorum chargé d'y desservir le culte ' ; mais, au fur et à mesure que grandit le culte de Mercure, la fête des Ides de mai prit place parmi les plus populaires, et Ausone les cite encore parmi les grandes fêtes de l'empire'. Les deux principales fêtes de Minerve, celles du 13 juin et du 19 mars, étaient avant tout les fêtes des vieilles corporations instituées par Numa, les collèges des tibicines et des artisans'. Les Julurnalia étaient célébrées par les ouvriers des aqueducs romains, dont Juturna était la protectrice Nous verrons plus loin qu'un certain nombre de fêtes publiques, tombées en désuétude, furent confiées par l'État aux soins de corporations qui continuèrent à les célébrer en son nom et pour le peuple. Enfin, c'est dans la catégorie des fêtes de collèges qu'il faut comprendre les solennités des cultes orientaux, d'Isis, de Mithra ou de la Mère des Dieux, et les fêtes chrétiennes, jusqu'au moment où elles reçurent la sanction de l'État et furent mises au rang de fêtes publiques. 5° Fêtes propres à certains groupes de personnes. Certains jours de l'année étaient regardés comme des fêtes propres à des catégories de personnes, que réunissait leur sexe ou leur condition, comme les esclaves ou les femmes. Fêtes féminines, fêtes serviles, si générales qu'elles fussent, ne peuvent être regardées que comme des fêtes privées : femmes et esclaves étaient en dehors de la cité. Les femmes avaient comme leur calendrier de fêtes. Les 111atralia (11 juin), en l'honneur de la Mater il.fatutel, étaient la fête des mères de naissance libre : lte, bonne Maires; vestrum Matratia festum, dit Ovide 7. En revanche les célèbresMatron.alia (1°r mars), consacrées à Junon, observées par les matrones comme mères de famille, avaient lieu avec la participation des femmes esclaves 8. Le jour des Nones de juillet, les Nonae Caprotinee, réunissaient, également sous la protection de Junon, les femmes libres et leurs ancillae3. Le 1°r décembre, jour de la Fortuna Muliebris, était, diton, réservée aux femmes mariées en premières noces i0. Cela n'empêchait pas les femmes de prendre une part active à certaines fêtes publiques, par exemple aux Carmentalia, chères aux femmes enceintes et aux mères de famille. Les esclaves célébraient tout particulièrement la fête publique des Saturnales : on l'appellera volontiers feriae servorum, comme on nommera aussi les Caprotines feriae ancillarum 11. Mais s'ils partageaient ces deux fêtes avec les hommes libres, ils en avaient aussi une qui leur était réservée, celle de la Diane Aventine au 13 août'2. 60 Nundines et vacances. Le terme de feriae impliquait si complètement l'idée de relâche, requies, que les Romains furent amenés à désigner par ce seul mot les fêtes et les vacances. Les vacances sont de véritables fêtes, ad requiem laboris 13, réservées à certaines catégories de travailleurs ou de fontionnaires. Les quatre mois de juillet, d'août, de septembre et d'octobre étaient pour les écoliers quatre mois de fête', feriae puerorum : c'étaient les jours de relâche à leurs travaux habituels. Bien entendu, il y avait aussi fête pour les écoles aux grandes solennités publiques, et nommément aux Saturnales et aux fêtes de Minerve du 19 mars'. Les écoles chômaient encore aux Nundines". Les Romains connurent d'assez bonne heure les vacances judiciaires, qu'ils appelaient aussi feriae t7. Elles duraient deux mois, juillet et septembre, l'un réservé à la moisson, l'autre à la vendange. Aussi les appelait-on feriae messium 13, feriae vindemiarum 1', ou encore fêtes d'été, feriae aestivae20. On peut en suivre l'usage jusqu'à la fin de l'Empire, et une loi de Théodose, en 389, rappelait que les juges avaient droit à deux mois de relâche (requies), l'un « pour adoucir les ardeurs de l'été », l'autre « pour recueillir les fruits de l'automne 21 ». Enfin les jours de marché ou nundinae, qui revenaient tous les neuf jours, furent à l'origine de véritables jours de fête (on les disait consacrés à Jupiter) 22, niais des FER 1048 FER fêtes réservées aux plébéiens de la campagne'. Ils interrompaient leurs travaux et, suspendant la vie des champs, intermisso rure2, ils venaient à Rome faire leurs achats et prendre connaissance des règlements publics. N'oublions pas que la loi romaine autorisait, aux jours de fête, les achats et les ventes pour les gens de la campagne, et les communications des magistrats au peuple. Plus tard on oublia ou on changea ' le caractère primitif des Nundines et on agita sans fin la question de savoir si elles rentraient ou non dans la catégorie des jours de fête`'. III. FûTES PUBLIQUES. Les fêtes publiques étaient celles que l'État célébrait à ses frais, dans ses temples, par le ministère de ses magistrats ou de ses prêtres, en l'honneur de ses dieux, et qui étaient obligatoirement chômées par le peuple tout entier 5. Les jours en étaient tous « jours néfastes » : ils étaient jours de « relâche n pour le peuple et pour les magistrats. Les anciens faisaient d'assez nombreuses distinctions parmi les fêtes publiques. On les distinguait d'abord suivant leur date. Les unes revenaient chaque année le même jour du calendrier ; elles étaient inscrites dans les fastes, et elles donnaient leur nom à ce jour : c'étaient les fêtes fixes, feriae stativae6. Les autres étaient fixées par les magistrats ou les pontifes pour un jour déterminé : ils « concevaient » la fête (concipiebant), c'est-à-dire ils l'ordonnaient suivant de certaines formules, et ils l'annonçaient et la proclamaient devant le peuple (indicebant, edicebant)7. Ces fêtes étaient d'ailleurs régulières, en ce sens qu'elles revenaient tous les ans, les unes au même jour, les autres à un jour variable, mais toujours dans la même saison. On les appelait feriae conceptivae. D'autres fêtes enfin, extraordinaires et exceptionnelles, étaient décidées par les magistrats en vertu de leur imperium : c'étaient les feriae imperativae 8. A un autre point de vue, on distingue d'un côté les fêtes publiques célébrées par les magistrats ou les prêtres de 1'1iltat au nom du peuple romain, sacra pro populo, mais le plus souvent sans la participation du peuple ; et de l'autre les fêtes que le peuple célèbre lui-même, avec ou sans la participation de l'État. Mais cette distinction n'apparaît pas très nettement dans les textes et semble surtout l'oeuvre des modernes °. Nous verrons d'ailleurs que cette distinction rentre dans la première les fêtes populaires sont presque toutes mobiles et annoncées par les magistrats; les fêtes pro populo sont fixes et inscrites dans le calendrier. A dire vrai, d'ailleurs, l'une et l'autre distinction sont un peu factices, et dues surtout aux recherches des grammairiens. Il n'y avait pas, à l'origine du culte romain, des séparations aussi tranchées entre les différents groupes de fêtes. 1° Fêtes primitives de l'État romain (feriae stativae, sacra pro populo). Parmi les fêtes publiques du calendrier romain, les unes sont de création récente : elles apparaissent à une date précise dans l'histoire romaine. Les autres n'ont point d'origine connue : la tradition les attribuait à Romulus et surtout à Numa; c'est dire qu'elles appartenaient au calendrier primitif de l'État romain, qu'elles sont aussi anciennes que la cité elle-même, et peut-être antérieures à sa fondation : elles nous ramènent aux temps lointains et mystérieux où se formaient les religions de l'Italie. Aussi loin que nous remontons dans l'histoire de ces fêtes, elles nous apparaissent toujours comme fixes et régulières : le jour en a dû être arrêté en même temps que se constituait le calendrier public du peuple romain 10. Voici, d'après les calendriers épigraphiques, d'après Varron, Ovide et les grammairiens, quelles sont les fêtes fixes primitives du peuple romain, à quelle date elles se célébraient, quel nom elles portaient, à quels dieux elles appartenaient. Les lettres majuscules indiquent les fêtes traditionnelles fixes du peuple romain : nous avons ajouté un astérique à celles qui ne sont peut-être pas primitives, tout en étant fort anciennes. Toutes ces fêtes, et elles seulement, étaient marquées N' sur les calendriers. Les italiques désignent également des fêtes anciennes, mais qui, tout en étant inscrites dans le calendrier à des dates fixes, sont plutôt des fêtes familiales ou collégiales, que des fêtes publiques : nous avons indiqué sans parenthèses celles qui sont gravées en grandes lettres dans les calendriers 'et qui ont, par conséquent, une importance particulière Les fêtes entre parenthèses manquent dans les calendriers du temps d'Auguste. Plusieurs paraissent ne pas être primitives; nous les avons marquées d'un astérique. Janvier. 9. AGONIR. Janus 11. CARMENTALIA. Carmenta. 13. Inus "2. Jupiter. Février. 13. Ibus *. Jupiter. 13-21 (Parentalia) *1'. Dii Parentes. 15. LUPERCALIA. Lupercus (Faunus). 2l. Feralia *1'. Dii Inferi. 22. (Caristia). Dii Generis 15. 1. 14. 15. Feriae. Agonia 4. 17. 19. 23. Palès. Id. Id. FER 1049 FER Février (Suite). Regi fug'iur * '. Mars. Avril. 19. Cerialia*6. Mai. 9. Lemuria. 11. Lemuria. 13. Lemuria B. Juin. 1. (Carnaria)10 9. Vestalia * ". 11. Matralia * 12. 13. bus*. Juillet. Juillet (Suite). 7. (Nonae Caprotinae)14. Junon. 15. bus*. Jupiter. Août. 21. CONSUALIA. Cousus. Septembre. Octobre. Novembre. Décembre. 11. AGONIR. Inuus? 15. CONSUALIA. Cousus. 19. (PALIA. Ops. FER 1050 FER paraît donc avoir renfermé cinquante jours de fête, y compris les Ides de chaque mois, qui étaient consacrées à Jupiter 1. Mais il est probable qu'il faut réduire encore ce chiffre, pour avoir la liste exacte des fêtes au temps du roi Numa. Il est visible que les Équirries du 14 mars doivent être rattachées au jour qui suit; et il est possible que les Saturnales du 17 décembre ne soient pas une institution primitive 2. Il serait aisé d'arriver, comme total, aux chiffres plus significatifs de 36 ou de 48 jours de fête : chiffres très régulièrement combinés avec ces nombres 3 et 4, que les Romains, comme on l'a souvent remarqué, affectionnaient dans les temps anciens. Nous n'hésitons pas à penser que ces chiffres de 48 et de 36 étaient les nombres primitifs et consacrés des fêtes romaines 3. Ces questions de chiffre prennent d'ailleurs une réelle importance dès qu'il s'agit du culte primitif et du calendrier qui s'y rattachent. On a pu voir que toutes ces fêtes, sauf une 4, tombent à des jours impairs : le nombre impair convenait seul, en effet, à la divinité Une seule chose paraît un peu surprenante dans ce calendrier de Numa : c'est la consécration à Jupiter des Ides de tous les mois. Jupiter n'avait pas, à beaucoup près, cette importance dans la religion romaine d'alors. Si les Ides étaient dès ce temps jours de fêtes, ce dont il est permis de douter, je doute qu'elles appartinssent à Jupiter. Le fait qu'une fête de mars se trouve célébrée la veille des Ides, au jour pair du 14, donne à penser que Mars a pu être chassé par Jupiter du jour impair qui suivait. Je supposerais volontiers que la consécration des Ides au dieu du Capitole est une institution récente, et sans doute l'oeuvre des tyrans étrusques, dont Jupiter était le dieu préféré G. Toutes ces fêtes, sauf deux 7, sont postérieures aux Nones. Ce fait s'explique aisément'. Chaque mois, au jour des Nones, le roi proclamait devant le peuple quels jours seraient, dans le mois, fêtes des dieux. Ainsi, pour fixes que toutes ces fêtes soient rapidement devenues, ce n'en était pas moins, à l'origine, des fêtes « conçues n. Il suffit de parcourir ce tableau pour y voir le reflet des croyances primitives de l'ancien Latium'. Les deux divinités qui apparaissent comme les principales, celles dont le culte réclame le plus de jours de fêtes, sont Mars et Jupiter. Pour ce qui est de Jupiter, laissons de côté les énigmatiques Poplifugia, peut-être d'institution tardive, et les Ides, dont la consécration au futur maître de l'Olympe est sans doute postérieure à Numa; mais Jupiter se montre dans ce calendrier avec un caractère archaïque très net, de dieu du vin et des vendanges : ses trois vraies fêtes sont les Vinalia du 23 avril (Vinalia priera), jour où l'on goûtait le vin nouveau, les Vinalia rustiques du 19 août, où l'on implorait sa protection pour le raisin mûrissant, et les .lleditrinalia du 11 octobre, qui marquaient la fin des vendanges et les jours où on goûtait le vin au sortir du cuvier. Malgré ses trois fêtes, Jupiter est certainement moins favorisé dans ce calendrier que Mars, le vieux dieu de la campagne romaine, celui qui donne son nom au premier mois de l'année : celui-là est bien le vrai dieu de la cité, la divinité poliade de la home de Romulus : toutes les fêtes qui lui sont consacrées sont des fêtes municipales et guerrières, fêtes des chevaux, fêtes des armes : il revendique pour lui toutes les solennités qui intéressent le plus la vie publique. Aucune des grandes divinités de la Rome classique, sauf Mars et Jupiter, ne sont représentées dans cette liste; ni Junon, ni Minerve, ni Apollon, ni Diane n'y ont leurs fêtes publiques. Toutes les autres fêtes sont surtout agraires et rurales. Les unes sont placées sous l'invocation des divinités qui président à la vie des champs, aux semailles, aux récoltes ou aux bestiaux, Consus, Vulcain 10, Liber, Ops, Saturne, Robigus, la Terre et Pales. Les autres appartiennent à de petites divinités, cachées dans les bois ou les fontaines de la campagne romaine : ce sont des fêtes locales plus encore que rurales. Les Lucaria sont les fêtes des bois ; Furrina est sans doute la fée mystérieuse d'un bois sacré. Les Fontinalia, comme les jours de Neptune, de Volturne et de Portunus, sont consacrés aux fontaines ou aux ruisseaux de Rome et des environs 11. La vie sociale est enfin représentée clans ce calendrier, soit par des fêtes de .purification, comme les Lupercales ou les Poplifugia, soit par la fête de la propriété, les Terminalia, soit enfin par les fêtes toutes militaires consacrées à Mars. Ajoutez à cela les fêtes familiales des dieux des Morts et des Génies de la gens. Nous sommes bien là en présence d'une cité naissante ; la vie familiale repose sur le culte des morts, la vie publique consiste surtout a guerroyer; mais l'existence du peuple est faite essentiellement des craintes et des espérances que donne le travail de la terre. C'est le calendrier d'un État agricole plus encore que guerrier. La place que ces différentes fêtes occupent dans l'année marque mieux encore le caractère des populations chez lesquelles elles prirent naissance, et avec quelle régularité elles correspondent aux retours périodiques des saisons et des travaux champêtres. Le mois de mars ouvre alors l'année : il appartient au dieu public et politique par excellence, père du fondateur de Rome. On purifie les armes et les trompettes, on fait courir les chevaux : la cité prépare ses forces avant de se mettre en campagne. Avril est le vrai mois du printemps : la vie des champs réclame les soins des hommes et les dieux de la terre exigent leurs prières. C'est la terre elle-même, Tellus, que l'on prie à la première fête du mois, et que l'on supplie de devenir féconde; et après elle Pales, qui protège les troupeaux, Robigus, qui menace le blé, Jupiter, qui veille à la vigne. Après ces deux mois de fêtes, celles-ci municipales, celles-là champêtres, l'homme consacre niai et juin au travail des champs ou de la guerre. Juillet est, en revanche, un mois de fêtes rurales : on va adorer les divinités des sources et des bois de la campagne, dont ce mois est le plein épanouissement. En août, on retourne aux dieux FER 1051 -FER de la terre : les moissons sont terminées, le raisin mûrit : on prie de nouveau Jupiter et on supplie les dieux qui protègent les récoltes amassées dans les greniers, Cousus, Ops ou Vulcain. Septembre est vide de fêtes. Mais octobre a celle de la vendange, des fontaines de nouveau jaillissantes après les premières pluies; elle a aussi la fête des armes qui marque la fin de la guerre. Novembre appartient aux hommes. Décembre appartient presque entier aux dieux. Les semailles terminées, il faut encore invoquer les dieux respectés et craints par-dessus tous les autres, qui président à la vie du blé, Saturne, Ops, Cousus. Février termine l'année. La famille et la cité se mettent en règle avec les dieux qui leur sont propres. C'est le mois des purifications publiques : c'est celui où l'on rend aux morts les suprêmes honneurs, oit l'on célèbre les Lares de la famille, les dieux de la gens, et ceux qui protègent la propriété. Ce mois, consacré ainsi aux génies et aux dieux qui veillent sur la cité, sur la famille, sur la propriété, est comme le mois de l'association humaine. Çà et là sont dispersés dans l'année les quatre Agonia, sacrifices solennels où l'on offrait peut-être à la divinité les premiers-nés des troupeaux. Tel qu'il est, disposé avec une telle symétrie et un art si entendu, ce calendrier des fêtes primitives ne peut guère être le produit du hasard ou du simple travail des générations humaines. Il s'est sans aucun doute fait en grande partie de lui-même; il est né peu à peu de la vie même des champs et de la cité. Mais l'ensemble en est trop méthodique, il renferme trop de symboles pour ne pas croire que la main d'un intelligent législateur soit venue arrêter les contours et préciser le sens de l'oeuvre confuse de la religion populaire. Et ici encore, en dépit de la critique moderne, il faut toujours songer à Numa. 2° Fêles de quartiers (feriae conceptivae; sacra popula ria). A côté de ces fêtes officielles, inscrites sur le calendrier, et revenant à des jours fixes, nous rencontrons d'autres fêtes, mobiles pour la plupart, que le calendrier ne marque pas et que les érudits semblent ranger volontiers sous l'appellation de fêtes populaires (sacra popularia), réservant aux autres le nom de fêtes officielles (sacra pro populo)'. Nous verrons tout à l'heure quel est le vrai caractère de ces fêtes : il ressortira de leur énumération même. Voici quelles elles étaient. 1° Le Septimontium, fête fixe, au II décembre. Elle était célébrée par les habitants des sept collines dont se composait la Rome du temps de Numa2; '2° Les Argei, fêtes fixes, aux 16, 17 mars et 15 mai. Elles étaient célébrées par le peuple dans les chapelles de quartiers, qui étaient groupées suivant les quatre tribus géographiques de la ville romaine 3. 3° LesFornacalia étaient fixées par le prêtre des curies IV. (curio maximus) et observées par le peuple romain, chaque citoyen dans sa curie. Elles tombaient en février. A cette fête se rattachaient les feriae Stultorum, qui coïncidaient avec les Quirinalia du 17 février, et qui étaient réservées à ceux des citoyens qui ne faisaient partie d'aucune curie'. La fête fixe des Fordicidia (15 avril) était, dit-on, également célébrée par l'État et par les curies'. 4° Les feriae Sementivae ou Sementinae avaient lieu au mois de janvier, à un jour réglé par les pontifes 6. Elles étaient célébrées surtout dans la campagne de Rome, comme une fête de semailles, et phis encore comme un jour de lustration : à vrai dire, c'est la fête du pages, le canton rural'. Il est donc probable qu'elle se confond avec les feriae Paganicae ou Paganalia et que ces différents noms se rattachent au même jour et à la même solennité 3. 5° Les Ambarvalia, qui s'étaient fixées au 29 mai, étaient également une fête rurale, dont la cérémonie principale était une lustration du pagus9. Les Palilia, fête fixe et publique du 21 avril, étaient également regardées comme une fête propre à chaque pagus10. 6° Les Compitalia, qui se rattachent intimement aux Sementinae ou Paganalia", étaient « conçues » par le préteur et tombaient en janvier12. Célébrées en l'honneur des dieux Lares des carrefours de Rome, elles portaient aussi, sans doute, le nom de Laralia13 : c'étaient proprement les fêtes des quartiers et des rues de la cité''. Cherchons maintenant quels sont les caractères communs de ces différentes fêtes. Celui qui apparaît le plus nettement, c'est qu'elles sont célébrées par le peuple romain groupé suivant ses subdivisions géographiques : les curies, les tribus, les pagi, les vici, les montes". Sans doute elles sont générales au peuple tout entier : tous les citoyens les célèbrent le même jour et de la même manière et, en ce sens, on a raison de les appeler feriae populi16. Mais le peuple n'y apparaît point avec cette cohésion et cette unité sociale qu'il montre aux autres fêtes : il y apparaît moins comme une société que comme une agglomération de petits groupes semblables, curies ou tribus. « Le jour des Fornacalia », dit Ovide, « on suspend dans le Forum des tableaux où tous les citoyens peuvent lire dans quelle curie ils doivent sacrifier 1''. » Les Argées sont les chapelles des tribus de l'ancienne Rome", et la fête commençait par une procession autour de ces chapelles. Les quatre autres fêtes ont un nom significatif,Paganicae, Compitalia, Septimontium, Ambarvalia. Toutes sont donc avant tout des fêtes de quartier, ce que nous pourrions appeler des fêtes paroissiales. Aussi ne sont-elles pas consacrées, comme les fêtes officielles de l'État, à une divinité déterminée, Mars ou Ju 133 FER 1052 FER piler. Elles appartiennent aux divinités innommées, Lares, Génies ou Tutelles, qui protègent la rue ou le canton. Elles sont, pour emprunter le langage des temps classiques, les fêtes du Genius pagiou de la Tutela loci. Ce ne sont pas les magistrats du peuple romain qui les célèbrent : pour publiques qu'elles soient, elles sont dirigées par les chefs locaux, ici les curions, là les magistri vicorum. Les fêtes de quartier ou de paroisse ont un caractère plus populaire que les solennités officielles. Cela est vrai dans toutes les villes et dans tous les pays du monde : cela était vrai surtout à Rome. Les grandes fêtes publiques ne pouvaient être à l'origine que des fêtes patriciennes : la plèbe ne faisait point partie de la cité romaine; surtout, elle était en dehors de la religion publique : les dieux de l'État n'étaient point ses dieux. Mais en revanche les plébéiens appartenaient à une curie, à une tribu, à un pagus : les dieux des champs et des collines, les Lares des carrefours et des Génies du pays étaient les vrais dieux de la plèbe, et leurs fêtes devaient devenir ses vraies fêtes. Il s'est passé pour ces fêtes locales ce que l'on a souvent remarqué à propos des districts géographiques créés par Servius Tullius. La tribu comprenait patriciens et plébéiens : mais on ne tarda pas à la regarder surtout comme une subdivision de la plèbe. Les Argées ou les Compitalia n'excluaient pas les patriciens : mais ce furent surtout les vraies solennités plebéiennes. Le Septimontium est vraiment une fête du bas peuple Les Ambarvalia, les Paganicae, les Palilies étaient des fêtes de villageois, les jours de gaieté et de plaisirs pour eux2. La fête des Curies elle-même est représentée par Ovide comme une réjouissance des grossiers laboureurs 3. C'est peut-être cette nature plébéienne et ce caractère local des fêtes paroissiales qui expliquent pourquoi elles sont demeurées presque toutes des fêtes mobiles. Elles n'appartenaient pas à une seule et même divinité, mais à plusieurs petits dieux épars sur le territoire ; elles étaient célébrées surtout par les petites gens que leur domicile seul faisait membres de l'État romain. Il n'était pas indispensable que le même jour de l'année fut régulièrement et solennellement assigné à leur observation. Les magistrats ou les prêtres pouvaient sans danger pour la religion fixer chaque année le jour où les dieux paroissiaux recevraient les hommages des plébéiens et des paysans : ils le subordonnaient aux intérêts de la chose publique. Il faut rapprocher de ces fêtes de quartier les Feriae Latinae, célébrées par les cités de l'ancienne confédération latine. Elles ont au fond le même caractère. Les Feriae Latinae sont, comme les Fornacalia ou les Compitalia, des fêtes « conçues »; le jour en est fixé par le consul. De même que les fêtes paroissiales s'adressent à des agglomérations géographiques, curies, tribus ou faubourgs, de même les Fêtes Latines sont célébrées par un groupe de cités unies entre elles : elles appartiennent aux cités formant la ligue latine, comme le Septimontium appartient aux Sept Collines formant la cité romaine. On peut pousser cette comparaison plus loin' et peut-être trouver ainsi le vrai caractère des fêtes que nous venons d'énumérer. Les Fêtes Latines étaient à proprement parler des « fêtes d'union » : elles consa. craient l'union par une ligue en un seul nomen, le nomen Latinum, des trente cités groupées au mont Albain. Les fêtes paroissiales sont aussi, je crois, des fêtes d'union, sanctifiant et sanctionnant le groupement des curies ou des tribus en une seule cité, par exemple l'union des Sept Collines sous un même nom, le nom romain. Si jamais Rome a eu des fêtes d'un caractère politique, ce sont bien celles-là : ce sont moins des fêtes de dieux que les fêtes du peuple romain, dont elles célèbrent la formation. Athènes avait une fête qu'on appelait les Synoikies, Euvolxta : elle rappelait, disait-on, l'union en une seule cité des douze bourgades de l'Attique. Comme les Synoikies, les fêtes populaires de Rome sont des fêtes d'association municipale, les solennités joyeuses et pacifiques consacrées aux dieux du sol de la patrie et aux Lares de la cité. 3° Fêtes extraordinaires et anonymes (feriae imperativae). Indépendamment de ces fêtes fixes ou mobiles, publiques ou populaires, Varron et Macrobe admettent une troisième catégorie de fêtes. « Ce sont, dit Macrobe, les fêtes impératives, que le consul ou le préteur fixe au gré de son pouvoir 6 », Varron les range dans la catégorie des fêtes « conçues »; mais elles se distinguent des Paganicae ou autres, en ce qu'elles sont extraordinaires et n'ont aucune périodicité, et en outre en ce qu'elles n'ont « aucun nom particulier' ». Ces fêtes sont, je crois, les fêtes extraordinaires que les magistrats de Rome ordonnaient sur l'avis des prêtres et le conseil du Sénat, lorsqu'un malheur imprévu ou un prodige nouveau venaient frapper de crainte le peuple romain. Elles étaient destinées à apaiser la colère du dieu auteur du prodige : comme ce dieu était inconnu, la fête était anonyme; elle appartenait sine deo sive deae. Nous avons dit que toute pluie de pierres, tout tremblement de terre entraînait plusieurs jours de fête comme expiation. La pluie de pierres comportait en règle générale une fête de neuf jours (sacrum novemdiale)'. Dans les premiers temps de la République, une aurore boréale effraya le peuple au point que « pour écarter toutes ces terreurs », on fixa trois jours de fête'. En 192, la terre trembla pendant trente-huit jours, qui furent pour le peuple épouvanté autant de jours de fête 10. Quelques années plus tard, deux jours de fête furent décrétés pour éloigner la peste qui désolait la cité, pro valetudine populi". Quelquefois on confiait à un dictateur (di.ctator constituendarum feriarum) le soin de célébrer ces fêtes et de mettre ainsi la cité en règle avec ses dieux ". de certaines fêtes sous la République. Telles furent, semble-t-il, les fêtes de la religion romaine au temps des rois, de celle dont on attribuait les règlements à Numa. Toutes étaient encore, au dernier jour de la République, connues, sinon observées, et on en inscrivait encore le nom en lettres capitales sur le marbre des calendriers officiels. Bien des choses avaient disparu du culte des FER -4053 FER ancêtres, mais les calendriers, avec une invariable régularité, marquaient toujours les fêtes aux jours traditionnels : nulle part, mieux que dans l'histoire des fêtes, nous ne pouvons saisir l'incroyable ténacité des traditions religieuses. II est vrai de dire que si le nom de ces fêtes subsistait, les Romains de la République ne se piquèrent pas de les observer toutes ou d'en comprendre toujours le sens : ils avouaient même ne pas bien savoir à qui appartenait le jour de fête. Qu'étaient-ce par exemple que ces fêtes des bois, ces Lucaria, assez importantes cependant pour durer deux jours (19 et 21 juillet)? Nul n'aurait pu dire à quelles divinités elles étaient réservées, et les rédacteurs des calendriers des premières années de l'empire n'ont pu inscrire à côté de leur nom le nom des dieux à qui elles appartenaient'. Personne à peu près, au temps de Varron, ne connaissait même de nom la déesse Furrina; nul ne savait qui elle était, mais elle avait toujours ses fêtes publiques au 25 juillet2. De toutes ces fêtes, celles qui tombèrent peut-être le plus vite dans le discrédit, furent les solennités d'origine si lointaine qui se célébraient dans les bois sacrés en l'honneur de mystérieuses divinités : les fêtes les plus démodées à la fin de la République étaient sans contredit celles des divinités « sylvestres », les Lucaria et les Furrinalia : ce culte des bois était le plus ancien de la religion romaine, mais il pouvait le moins convenir à la Rome moderne. Après ces fêtes, les moins populaires semblent avoir été celles des vieux dieux fluviaux, Neptune, Portunus et Volturnus : culte des bois, culte des sources, tout cela se rattachait à l'origine même de la religion romaine : c'étaient des cultes locaux dont la ferveur se retira forcément, à mesure que la ville s'étendit et que la vie municipale chassa les dieux des fontaines desséchées ou des bois arrachés Les jours des Agonia, au sens confus, ont cessé aussi d'assez bonne heure d'exciter l'émotion populaire. L'État prenait sans doute des précautions pour qu'aucun de ces cultes ne fût aboli. Il y avait toujours un flamine spécial pour célébrer les vieilles cérémonies des fêtes, attachées à quelque bois ou à quelque source oubliés de la campagne romaine : Carmenta avait son /l'amen Carmentalis ; Furrina avait aussi le sien, et Portunus, et Volturnus. Mais je doute que ces flamines ne fussent pas les seuls à se souvenir de la fête de leur dieu. Quand le dieu de la fête n'avait pas son prêtre, il empruntait le ministère de quelque grand flamine. Le flamen Quirinalis, par exemple, desservait les Larentalia et les Robigalia. A d'autres fêtes paraissaient les pontifes et les vestales, auxquels surtout incombait le soin de célébrer par des sacrifices les jours fériés. Enfin, il ne paraît point douteux que dès la République on ait confié à des collèges le soin d' « observer », au nom de l'État, certaines fêtes publiques traditionnelles4. Il est vraisemblable qu'à l'origine le peuple entier prenait part à toutes ces fêtes, qu'il les célébrât en famille par des sacrifices ou des réjouissances, ou qu'il fît cortège à ses magistrats.et à ses prêtres dans les processions et-l'accomplissement des devoirs religieux. Mais, à l'époque classique, le peuplé se tenait à l'écart de la plupart de ces solennités il laissait flamines et pontifes sacrifier en son nom, pro populo, et se détournait des cérémonies bizarres ou monotones qu'affectionnaient les divinités démodées de ses ancêtres. Il réservait ses faveurs aux fêtes privées et familiales, comme les Caristies ou les Parentales, et, parmi les fêtes publiques, aux solennités agrestes des moissons ou des semailles, qui avaient un sens clair et précis, et qui répondaient davantage aux besoins immédiats de la vie courante. Les Paganicae 5, les Ambarvalia, et, à côté d'elles, les fêtes de Palès° et de Robigus 7, voilà sans doute quelles étaient les vraies fêtes populaires et aimées de la fin de la République : la vie des champs fut, dans cette période de l'histoire religieuse, celle qui demeura le plus attachée aux choses d'autrefois. En ville, les jeux faisaient une concurrence redoutable aux anciennes fêtes publiques qui paraissaient, à côté d'eux, froides et ternes, et devenaient les vrais jours de réjouissances publiques. La seule qui fût alors vraiment vivante et éclatante, était celle des Saturnales, qui se célébrait aussi bien dans les familles qu'en public : mais il faut ajouter qu'on avait perdu singulièrement de vue le sens primitif de la fête. La vieille fête des Fontinalia, rajeunie peut-être par la construction et l'entretien des aqueducs, avait encore ses fervents Les mystérieuses Argées attiraient la foule à la suite du cortège officiel. Mais quelques-unes des fêtes municipales de Rome, appelées plus tard à un prodigieux regain de célébrité, les Lupercales°, les Compitalia10, étaient comme abolies dans les derniers jours de la République. Sans doute l'aristocratie dominante n'aimait pas les démonstrations religieuses de la plèbe qui, en ces temps troublés, dégénéraient vite en émeutes polititiques. Toutefois le calendrier des vieilles fêtes demeurait immuable, gardait leur nom et n'en admettait point d'autre. 2e De la nature des fêtes accordées aux nouveaux dieux sous la République (ludi, fêtes de temples, fêtes de collèges). La fidélité des Romains à leur vieux calendrier se montrait, en effet, d'une autre manière : s'ils n'y supprimèrent aucun jour férié, ils n'eurent jamais la pensée d'y introduire de nouvelles fêtes publiques. Entre l'avènement des Tarquins et la fin de la République, la religion romaine se transforme : l'Italie subit une révolution religieuse presque aussi importante que celle qui assura le triomphe du christianisme ; un rituel nouveau fut introduit dans le culte; les vieux dieux devinrent méconnaissables sous le vêtement grec qu'on leur donna; surtout, des dieux étrangers arrivèrent en foule, du Latium, de Grèce et d'Orient. Mais le calendrier demeura l'asile inviolable de la religion des ancêtres. Les nouveaux dieux n'y obtinrent jamais des jours publics de fête (j'entends des jours marqués N') : la démodée Furrina avait toujours sa fête et sa journée, qu'aucun jour n'était attribué aux toutes-puissantes Junon et Minerve. Mais, s'ils n'entrèrent pas franchement dans le calendrier, comme titulaires de « jours institués pour eux », ils s'y glissèrent assez aisément, et ici se marque FER 10M FER l'habileté avec laquelle les Romains surent concilier le respect dû au calendrier de Numa et les droits que réclamèrent les nouveaux dieux accueillis par l'État. 1° D'abord, si on ne créa pas de fêtes, on institua des jeux en leur honneur. Pour ne point changer la nature intrinsèque, l'essence fondamentale du jour, qui demeura faste ou néfaste, les jeux n'en comportaient pas moins toutes les cérémonies des fêtes, sacrifices, repas, processions et combats, surtout ils entraînaient toutes les réjouissances habituelles : c'étaient les attributs de la fête sans le jour de là fête. On comprend que les jeux, ayant l'attrait de ces courses et de ces combats qui manquaient aux vieilles fêtes, et de plus, celui de la nouveauté, devinrent aisément populaires et contribuèrent plus que tout à discréditer les fêtes de Numa. Telles furent, au me siècle avant notre ère, les créations de jeux en l'honneur de quatre grandes divinités nouvelles ou transformées du panthéon romain, Apollon, Cérès, Flore et la Mère des dieux Mais, à côté des jeux, les Romains accordèrent à leurs hôtes divins des honneurs qui, sans modifi er l'attribution publique des journées du calendrier, n'en constituaient pas moins de véritables fêtes. 2° Ce fut en premier lieu ce que nous serions tentés d'appeler, bien que l'expression ne soit pas latine, « des fêtes de temples » ; les Romains auraient dit plus volontiers, « des fêtes dans les temples ». En l'honneur de la divinité nouvelle qu'il s'agissait de recevoir, ou de l'ancien dieu qu'on avait à remercier d'une faveur nouvelle, on élevait un temple aux frais de l'État : le jour de la dédicace de ce temple était appelé «le jour de naissance » du dieu auquel le sanctuaire était consacré, natalis Dei, et à l'anniversaire de ce jour des sacrifices solennels appelaient dans ce temple des prêtres ou des magistrats du peuple romaine. C'était une vraie fête, non pas pour le peuple tout entier, non pas même pour l'État, mais en quelque sorte une fête localisée au temple où les calendriers portent qu'elle se célébrait : .illinervae in Aventino, il y a sacrifice à Minerve sur le mont Aventin, et nous pourrions dire : c'est la fête de la Minerve de l'Aventin. Aucune des fêtes du calendrier primitif, sauf quelques exceptions faciles à écarter', ne présentait ce caractère restreint; aucune d'entre elles n'est l'anniversaire d'un jour de dédicace. Célébrées dans des temples, elles le sont peut-être plus encore dans des bois consacrés : mais elles ne sont pas attachées au souvenir de la dédicace des uns ou des autres; elles ne sont pas limitées non plus, à l'origine, à tel ou tel sanctuaire. C'est le peuple entier qui rend hommage à la divinité sur toute la surface du territoire. D'ailleurs, il est permis de croire que la plupart de ces fêtes sont antérieures à la construction de temples, et qu'elles appartiennent à l'époque confuse où la divinité était adorée au fond des bois, sur le bord des fontaines ou des marécages. Les « fêtes de temple », au contraire, ne sont pas des « jours institués » en l'honneur des dieux, mais de simples commémorations religieuses, ou peut-être mieux les anniversaires de la vie matérielle des dieux, rappelant le jour où ils ont été reçus sous une demeure terrestre, où « ils sont nés» pour les hommes de la cité romaine, natalis Dei. Toutefois ces fêtes étaient inscrites dans le calendrier; le peuple pouvait, suivant ses goûts religieux, sacrifier dans la famille au dieu qui était né ce jour-là. Le 24 juin était l'anniversaire de la dédicace du temple dédié par Servius Tullius à Fors Fortuna' : ce jour-là, hors de Rome, les paysans « chantaient les louanges » et célébraient par des réjouissances la fête de la déesse 5. Rien n'empêchait d'ailleurs de dédier, à un autre jour, un nouveau sanctuaire à la divinité. Pour ne citer que l'exemple de Fors 1+'ortuna, en l'an 17 de notre ère, elle reçut de l'empereur Tibère un temple, dont la « naissance » fut placée à la fin de l'année 6. Mais ces nouveaux dieux avaient d'ordinaire un jour qu'ils préféraient parmi tous ceux où on leur avait élevé des temples, et il est probable que ce jour était celui où ils avaient reçu leur premier sanctuaire. Ce jour-là, quand bien même il ne leur appartenait pas comme fête publique, portait souvent leur nom : les Matralia étaient le jour de la fondation du temple de Mater Matuta, les Cerialia étaient celui de la dédicace du premier sanctuaire romain de Cérès. Et on appelait couramment dies Forfis Fortunae le 24 juin'. De la même manière, nous trouvons dans le calendrier chrétien, à côté des grandes fêtes publiques, jours de repos et de religion qui vont partout et tout entiers à Dieu, au Christ, à la Vierge ou aux grands saints, nous trouvons les fêtes des saints de chaque jour : celles-là sont célébrées soit par les confréries qu'ils protègent, soit dans les églises placées sous leur vocable, soit dans les familles qui leur doivent quelque grâce particulière. Et cette comparaison est justifiée, parce que les fêtes de saints sont souvent placées aux jours anniversaires de la dédicace de la première église qui leur fut consacrée, et que cet anniversaire était appelé autrefois natalis sancti, comme les Romains disaient natalis dei'. 3° Un assez grand nombre de ces « fêtes de temples » rentraient dans la catégorie des fêtes de collèges. En même temps que l'État élevait le sanctuaire, n'établissait un collège pour en vénérer le dieu et pour en célébrer la fête. L'anniversaire de la dédicace devient, par là même, « la fête du collège ». Le 15 mai 495, on dédia le temple de Mercure, construit par l'État : on institua la même année, pour le desservir, un collège, « le collège des marchands» (collegium mercatorum). Désormais, le 15 mai fut « le jour de fête des marchands n, comme il était celui de Mercure'. Le calendrier de Préneste appelle le 19 mars, anniversaire de la Minerve Aven « le jour des ouvriers », dies artificum : c'est la fête des collèges d'ouvriers. La fête de Minerve, du 13 juin, est sur FER 1055 FL+'R tout le jour des musiciens, tibicines : ils se promènent en fête, feriati, par la ville et se réunissent au temple de leur déesse'. Au 1°r siècle avant notre ère, Q. Lutatius Catulus éleva un temple à Juturna, la déesse des eaux : l'anniversaire de la dédicace frit la fête célébrée en son honneur par les ouvriers qui travaillaient aux aqueducs'. Souvent aussi, l'État déférait le soin de célébrer la fête, non pas à un collège, mais à un groupe déterminé de personnes; la grande fête de Junon, les calendes «féminines» de Mars, anniversaire du temple de l'Esquilin, fut réservée par l'État aux matrones3, Aussi, ce jour de fête prenait-il souvent le nom de ceux qui l'observaient particulièrement. Le le° mars devint le jour des Matrones, Matronalia. Vénus avait deux fêtes, le 23 avril et le 19 août; le 23 avril, les courtisanes céléc braient le jour de Vénus; le 19 aoêt, Vénus était fêtée comme déesse des jardins : c'était « le jour des jardiniers» dies olitorum°, tandis que la première fête était le dies meretricum1. Il est bon d'ajouter que ces appellations étaient populaires et ne sont pas inscrites dans les calendriers officiels, tandis qu'ils mentionnent, et en grandes lettres, celles qui sont tirées du nom de la divinité, comme Vestalia, 1llatralia, Cerialia. 4° II est à remarquer qu'un certain nombre de ces fêtes de temples ou de collèges furent placées à des jours qui étaient déjà fériés dans le calendrier primitif, et qui appartenaient par tradition à de vieux dieux de Rome. Les deux fêtes principales de Minerve tombaient: l'une au 19 mars, l'ancien jour des Quinquatrus, qui appartenait à Mars; l'autre, aux Ides de juin, consacrées à Jupiter. Le 15 mai, fixé en 495 pour la fête de Mercure, le 13 février, fête du Faune de l'île du Tibre, appartenaient à Jupiter, comme toutes les Ides. Au nie et au 11e siècle, on fixa au 23 avril et au 19 août les deux fêtes de Vénus; or, ces deux jours étaient l'un et l'autre des Vinalia réservés encore à Jupiter. Enfin, les 111atronalia de Junon coïncidaient avec les Calendes de Mars. Aucune de ces coïncidences ne paraît l'effet du hasard. Elles favorisent en effet les plus grandes d'entre les divinités nouvelles, Mercure, Junon, Minerve, Vénus, et elles portaient préjudice à Mars et à Jupiter, précisément les divinités dont les Romains célébraient le plus souvent la fête et qui pouvaient le moins se plaindre de partager ainsi quelques-uns de leurs jours avec de nouveaux venus 6. Par ce moyen détourné, l'État ne créait pas de nouveaux jours en faveur des dieux importés : mais il les faisait bénéficier des jours de fêtes traditionnels. Ce partage d'un jour entre deux divinités, l'une primitive et l'autre nouvelle, eut, de fait, une grande conséquence ,attendue ou provoquée peut-être par l'État romain. Il entraîna une sorte de substitution, qui a une réelle importance dans l'histoire des fêtes et qui a induit en erreur les anciens eux-mêmes. La fête publique appartenait à Jupiter, à Mars; la fête du collège ou des matrones, à Minerve, à Junon ou à Mercure. Mais le peuple se désintéressa bien vite, ces jours-là, de Mars ou de Jupiter, qu'il retrouvait à bien d'autres moments de sa vie; il porta toutes ses faveurs au dieu nouveau. La fête nouvelle, locale et restreinte, laissa dans l'ombre la vieille fête publique : elle profita à la fois et de la tradition qui faisait de ce jour un jour férié et chômé, et de l'attrait exercé sur le peuple par la nouveauté. Voilà pourquoi, de toutes ces fêtes de temples instituées depuis Numa, celles qui prirent une importance vraiment populaire, sont celles qui tombaient à des jours de fête traditionnels. On finit même par croire que ce jour était celui de la divinité nouvelle. On disait couramment que les Quinquatrus appartenaient à Minerve7, que Vénus était la déesse des Vinalia8, et que les Calendes de Mars étaient la fête de Junon', les Ides de mai celle de Mercure 10 et les Ides d'août celle de Diane Le peuple ignora ainsi la véritable destination de ces jours qu'il célébrait, et il fallut, pour la retrouver, tous les efforts des érudits du temps d'Auguste. Voici, par ordre chromologique, les principales fêtes de temples ou de collèges institués par l'État jusqu'au temps de César. Nous ne donnons que les plus importantes de ces fêtes. On en trouvera la liste complète dans Marquardt, édition Wissowa : mais cette liste sera certainement allongée par de nouvelles découvertes épigraphiques. La première colonne indique la date où le temple a été dédié et la fête instituée. La seconde, le jour de cette dédicace et de cette fête. La troisième, le nom que portait ce jour : les grandes lettres désignent les fêtes publiques, les parenthèses indiquent que le nom n'est connu que par les écrivains ou n'est pas inscrit en lettres capitales dans les calendriers. La quatrième, le nom de la divinité honorée : les majuscules indiquent les divinités adorées aux vieux jours de fêtes. La cinquième, le temple ou la localité où se célébrait la fête. La sixième, la catégorie de personnes chargées de l'observer. La presque totalité des expressions que nous employons sont empruntées directement aux textes épigraphiques ou autres. dies olitorum'. Exquiliis. in Arce. in Colle Quirinali. in Circo Flaminio. in Jlurcia valle. FER 1O5G FER in foro Boario. dies matronarulrai. in foro Boario. in colle Quirinali. in Comitio. in clivo Capitolino. ad Circum Maximum. dies mercato rum 2. ad Circum Maximum. dies mu lierum 3. in Foro. in Colle Quirinali. ad theairum Marcelli. dies ancillarum' dies matrona l rum 5. dies tibicinum 6. in luco Libitinae. in Insula. ad Circum Maximum. in Carinis. ad forum Holitorium. in Capitolio. in Campo Martio. dies arti ficumaquariorum 8. ad Circum Maximum. in Arec. in Capitolio. in Aventino. in Palatio. in Insula. in Colle Quirinali. in Palatio. extra portam Collinam, dies meretri cum 9. in fora Holitorio. in porticu Minucia. dies mulierum''. in Circo Flaminio. in Foro Caesaris. 3° Des changements apportés à l'idée de fête. La fête, anniversaire historique. Si les Romains de la République ne touchèrent pas à leur calendrier primitif dans ce qu'il y avait d'essentiel, le nombre et la destination de ses jours de fête publique, en revanche, le caractère même des fêtes se modifia peu à peu : l'esprit n'attacha plus à ces jours le même sens qu'à l'origine; la signification s'en altéra en même temps, de la même manière que la religion,. romaine. Aux dieux impersonnels et rustiques, sans corps et sans légende, des croyances primitives, l'influence hellénique substitua des dieux vivants,• personnels, des dieux que nous pourrions appeler « politiques », ayant leur histoire et intimement mêlés aux événements de la FER 1057 FER vie romaine, Cette transformation de la divinité devait fatalement dénaturer le caractère de ses fêtes. Déjà nous avons vu que les nouvelles fêtes de temples ne sont autres que des anniversaires des « naissances dès dieux », des jours où ils ont pris corps sur la terre. Mais cette révolution religieuse eut un effet rétroactif sur les anciennes fêtes. On oublia que la fête correspondait à un retour régulier de la vie rurale ou municipale, la fin des semailles ou la purification de la cité : on ne se rappela pas toujours qu'elle était le symbole de l'activité humaine confiée à la protection ou abritée contre la colère des dieux. Le sens de ces fêtes va maintenant s'adapter à la vie des dieux, puisque, désormais, on leur prête une vie : on les considérera comme rappelant un épisode de leur existence parmi les hommes, comme instituées en sou.venir d'un bienfait qu'ils avaient accordés ; elles devinrent, pour la plupart des Rornains, des anniversaires de l'histoire religieuse et politique. On sait quelle place ces fêtes d'anniversaire avaient prise dans la théologie des autres peuples, par exemple chez les Hébreux. Le septième jour était devenu pour eux l'anniversaire du jour où le Seigneur s'était reposé après avoir créé le monde. La Pâque était le souvenir du jour où Dieu avait aidé son peuple à sortir d'Égypte. Les différentes fêtes traditionnelles furent peu à peu rapportées par leurs prêtres aux événements de la vie de Dieu ou de la vie d'Israël. Les Romains transformèrent, suivant le même procédé, leurs anciens jours de fête. Leur calendrier « agraire » devint, à la lin de la république, un calendrier d'« histoire sacrée ». Il importe de bien noter ce changement d'ailleurs purement théologique. Car presque toutes les fêtes qui vont apparaître dans le calendrier, y compris les fêtes chrétiennes, auront se caractère de « souvenir historique ». Cette transformation de l'idée de fête se fit à la fois dans l'esprit du populaire et dans celui des théologiens. Les érudits du temps de César et d'Auguste l'empruntèrent sans doute autour d'eux et, l'évhémérisme aidant, contribuèrent à l'établir par leurs recherches. Tout concourut ensemble : l'idée purement humaine que le peuple se faisait de ses dieux, le travail des philosophes, cherchant une origine historique aux vieilles choses de la religion, et l'instinct des poètes et des artistes, désireux de donner aux puissances divines une allure vivante et huagée. C'est ainsi que, désormais, chez Ovide, chez Denys ouTite-Live, même chez le savant Varron, la plupart des anciennes fêtes seront expliquées par l'histoire des rapports entre les hommes et les dieux. Et parfois même, les calendriers publics enregistreront l'origine de la fête 1. Le jour des Poplifugia devint l'anniversaire d'une fuite tumultueuse du peuple romain, soit au temps des guerres contre les Fidénates, soit après la mort de Romulus 2. Les Lucaria rappelaient, dit-on, l'asile que les bois avaient donné aux Romains dans leurs guerres contre les Gaulois'; ce qui était étrangement dénaturer cette fête, qui se rattachait au culte le plus solennel de la religion des ancêtres. La fête mortuaire des Carnaria aurait été instituée par Junius Brutus lorsqu'il expulsa les Tarquinsk; et le seul motif qu'on eut de faire cette attribu tion fut l'analogie qu'an trouva entre le nom du mois de juin où elles se célébraient, et celui de Junius Brutus. Égarés par ces puérilités étymologiques, tous les Romains tombèrent d'accord pour faire du Regifugium l'anniversaire de la fuite de Tarquin le Superbe 5. 'Il n'était pas de fête plus ancienne et plus symbolique que celle des Lupercales : mythologues et poètes s'acharnaient, au lieu de chercher à la comprendre, à la rattacher à l'histoire de Romulus s. La fête des Vinalia du printemps s'expliquait d'elle-même : mais tous les Romains prétendaient que c'était Énée qui, dans le combat contre Mézence, avait voué à Jupiter, avec ce jour-là, les prémices du vin nouveau : Caton, Varron, pour ne point parler d'Ovide, qui n'est point toujours sérieux, l'affirmaient, et Verrius Flaccus inscrivit sur ses Fastes publics cette très ridicule histoire'. C'est ainsi que, peu à peu, toutes ces fêtes primitives vinrent se ranger dans le cycle légendaire des premiers temps de Rome, comme autant de « voeux » promis à la divinité « méritante » par la volonté des rois et des peuples 8, Et ce vieux calendrier des fêtes, symbole perpétuel de la vie humaine dans sa lutte contre la nature, devint le répertoire d'une épopée nationale créée de sang-froid. De la théorie et de la recherche, cette conception de la fête passa dans la pratique au temps de l'empereur Auguste. 44° Institution de fêtes politiques sous Auguste. L'établissement de la monarchie sous Auguste eut, en effet, comme conséquence immédiate, de transformer en fêtes perpétuelles, obligatoires pour le peuple entier, tous les anniversaires des jours heureux pour le prince. Pour la première fois depuis le roi Numa, de nouvelles fêtes publiques furent instituées, auxquelles le peuple devait participer, feriatus et coronatus, comme dit un calendrier. La destination traditionnelle des jours où on les fixa fut changée : ce que les consuls et les pontifes de la Rome républicaine n'essayèrent jamais, le régime impérial le tenta. De nouveaux jours néfastes et purs furent ajoutés aux cinquante feriae primitives. Toutes les grandes victoires de César, tous les événements glorieux ou heureux du règne d'Auguste, leurs jours de naissance à tous deux furent décrétés jours de fêtes. La journée perdit sur le calendrier sa marque primitive, N ou Cou F, pour prendre N-', la note des fêtes 1°. Feriae ex senatusconsulto, quod eo die imperator Caesar Augustus adoptavit [ilium 'Merima Caesarem, inscrivent par exemple les calendriers à la date du 26 juin, anniversaire du jour de l'adoption de Tibère par Auguste 11 La première en date de ces créations fut la fête de la naissance de Jules César, instituée en l'an 42 avant notre ère 12. Puis, ce fut celle de la naissance d'Octave, créée en l'an 31 ou en l'an 30 13, II ne semble pas que dès le début ces fêtes aient été imposées au peuple entier avec le caractère des anciennes fêtes. Le jour de la fête d'Auguste, le 23 septembre, garda quelque temps encore sa marque traditionnelle F, et ne fut inscrit dans les Fastes, comme fête publique et jour chomé 11~, que dans les dernières années avant notre ère 1`. Jusque-là on ne peut considérer cette fête que comme une fête privée, 22 av. J.-C. ter septembre*. 20 12 mai" 13 4 juillet. 1 28 avril. 9 30 janvier f4. 2 ter août*. 7 ap. J.-C. 11 juin*. 10 16 janvier*. 7 10 août". ? 27 juin*. JOVI TONANTI in Capitolin. ?? Aedicula MARTIS in Capitolio. Arae PALIS constituta. Aedicula VESTAE in Palatio. Ara PALIS dicata. MARTI Ultori in foro Augusto. Aedes CONCOHDIAE in porticu Liviae. Aedes CONCORDIAE Augustac. mais une fête analogue aux Parentales ou aux Caristies, célébrée le même jour dans toutes les familles et dans tous les collèges. Mais, aux abords de l'ère chrétienne 1, les fêtes impériales sont définitivement organisées sur le modèle des anciennes fêtes publiques, avec la participation des magistrats, des prêtres et du peuple, et la marque consacrée ï'P. Voici la liste de toutes les fêtes impériales organisées au temps d'Auguste, en l'honneur des victoires ou des jours de bonheur des deux premiers Césars: 14 17 septembre". Apothéose d'Auguste. Toutes ces fêtes impériales sont en fait des anniversaires d'histoire politique. Il faut ajouter que l'empereur Auguste organisa, vers le même temps, en fêtes publiques, certains anniversaires religieux, ceux des dédicaces de temples ou d'autels fondés par César ou par lui. Ce qui n'eût été, sous la République, qu'une fête locale, « la fête d'un dieu en son sanctuaire », devint souvent une fête générale du peuple romain. Voici la liste des principales fêtes de temple instituées ainsi au début du régime impérial. D'après les calendriers. Nous marquons d'un astérique Ies fêtes qui ne paraissent pas avoir été fixées comme publiques et inscrites Na. Cette liste continue celle que nous avons donnée, p. 105G. 46 av. J.-C. 20 juillet* VENEIII GENETRICI in foro Caesaris. 26 septembre*. Ibidem. 42 18 août*. Aedes DIVI JULII. 29 28 août". Ara VICTORIAE in Curie. Rien ne montre mieux que ces fêtes impériales et que la monarchie se fondait et comment elle s'organisait. Les naissances, les victoires, les guérisons du prince étaient autant de fêtes familiales célébrées dans la maison auquel ils appartenaient; ce sont par définition des fêtes domestiques : dit Ovide à Germanicus en parlant de ses Fastes". Mais elles sont maintenant aussi célébrées par l'État au même titre que les anniversaires du paterfamilias sont observés par sa famille. Les fêtes des Césars, fêtes privées d'un homme ou d'une gens, deviennent fêtes du peuple. Voilà un premier point à noter". Mais il faut bien remarquer, à côté de cela, que ces nouvelles fêtes, si politiques, si historiques, si humaines qu'elles paraissent par leur origine, ressemblent cependant à toutes les fêtes de l'histoire romaine. On aurait grand tort de les regarder comme des «fêtes nationales », instituées en faveur d'un homme ou réservées à la mémoire d'un événement. L'antiquité romaine n'eut point de fête qui ne fût par essence un jour religieux : elle n'a pas de fêtes civiles. Ces jours appartenaient toujours à un dieu, la Concorde, la Victoire, la Paix. Surtout, ils appartenaient à l'empereur, être divin ou religieux : à son âme divinisée, le divus Julius, s'il s'agissait de Jules César; à sa puissance divine ou à son génie, Numen, Genius, s'il s'agissait d'Auguste. C'est au « Divin » ou à 1' « Auguste » que vont les sacrifices, les prières et les jeux. Le 12 octobre, jour auquel Auguste revint en 19 de son voyage d'outre-mer, fut désormais appelé Augustalia, comme le 13 s'appelait Fontinalia : mais Augustus était un nom de demi-dieu, comme Fons celui d'une déesse, et au jour des Augustales on sacrifiait à la fois à la Fortune du Retour et à CésarAuguste, Fortunae Reduci et Caesari Augusta i8. Ce n'était pas encore là un jour « institué en faveur d'un homme ». Ainsi, à cette époque où la religion impériale_se déve FER 1059 FER loppait à côté de la religion gréco-romaine, les fêtes du prince prenaient leur place dans le calendrier. Le génie d'Auguste et le divin Jules ne tardèrent pas à le partager avec les autres dieux, comme Auguste partageait avec Rome le culte provincial et avec les Lares domestiques le calendrier des fêtes familiales. 5° Abus et réglementation des fêtes impériales au 1e1' siècle. A la mort d'Auguste, une vingtaine de fêtes impériales s'ajoutaient ainsi aux cinquante fêtes traditionnelles. Sous le règne de Tibère le système des fêtes politiques semble s'organiser et se préciser en même temps que la religion du prince. Le jour de l'Apothéose d'Auguste est inscrit comme feriae dans le calendrier. C'est désormais un droit du souverain, de devenir, à chaque grand événement de sa vie, le dieu d'un jour de fête publique : célébrer la fête de Séjan est regardé comme une atteinte aux prérogatives de la majesté impériale Et « l'adulation des temps », comme dit Tacite, va multiplier les circonstances où l'empereur pourra exercer ce droit divin avec la connivence du Sénat. En l'an 15, Tibère est nommé souverain pontife : le Sénat institue des fêtes Comme il le faisait sous la République pour écarter la colère des dieux, il le fait maintenant pour les remercier. En l'an 16, le Sénat décrète qu'il y aura fête aux Ides de "septembre, parce qu'on découvrit ce jour-là la conjuration de Libon3. La fête était devenue un instrument de servilité, et si bien, qu'on avait l'air d'oublier que les Ides étaient par tradition le jour de la fête de Jupiter. A la fin du règne de Tibère, on alla jusqu'à fêter le 31 août, anniversaire de la naissance de Caius César. Cette fois, toute fête de la domus de César, désormais domus divina, est fête pour la patrie. La facilité avec laquelle ces jours de fête pouvaient s'établir sans nuire à la marche des affaires s'explique si l'on songe que vers le même temps Tibère supprimait les comices : il y avait là, en transformant en fériés tant de jours comitiaux devenus inutiles, une manière déguisée de faire accepter et de justifier cette suppression. Qu'on se rappelle que le consul Bibulus, pour empêcher son collègue Jules César de tenir les comices, avait, en l'an 59, décrété des fêtes à tous les jours d'assemblée Toutefois on peut croire, surtout à lire Tacite, que sous les règnes des trois derniers Césars, l'usage des fêtes impériales dégénéra en un incroyable abus. Dans leur zèle d'adulation, les sénateurs multiplièrent les jours fériés, et les empereurs, heureux de se sentir dieux chaque jour davantage et de voir la Victoire Auguste dotée de plus de sacrifices, encouragèrent cette piété. N'alla-t-on pas, en l'an 59, sous le règne de Néron, jusqu'à demander d'inscrire comme fêtes et le jour de la prise d'Artaxata par Corbulon, et le jour où on l'avait apprise, et même le jour où l'on avait délibéré sur cette victoire. Une voix éloquente protesta, rappelant que les dieux ne devaient pas empêcher le cours des affaires humaines G. J'avoue cependant ne point partager toute l'indignation de Tacite lorsqu'il s'élève contre la servilité des sénateurs et l'orgueil des princes. On peut se demander s'il n'y avait pas autre chose, en ce temps-là, que bassesse chez les gouvernés et folie chez les chefs. Ces créations de IV. fêtes ont pu être une mesure de sage politique : elles occupaient le peuple, elles lui faisaient oublier .les comices; en se réjouissant pour le plaisir des dieux, le populaire songeait moins aux tumultes de la place publique : et, en même temps que ces fêtes le détournaient des affaires et l'amenaient aux temples, elles l'attachaient au culte de l'empereur. Toujours est-il qu'en l'an '70, avec l'avènement de Vespasien, les choses changèrent. Le régime impérial était à jamais établi. La nouvelle dynastie, simple d'allures, n'avait pas les prétentions divines et l'orgueil sacré des Césars. Accrue chaque année, la liste des fêtes risquait de se confondre avec le calendrier même. Il fallait enrayer. Une commission fut nommée pour reviser le calendrier, et, dit Tacite, pour « le soulager', ». Tacite ne nous dit pas quelles furent les conclusions auxquelles on s'arrêta. Mais nous avons tout lieu de croire qu'on supprima purement et simplement de la liste des fêtes publiques toutes celles qui avaient été ajoutées sous l'empire, et qu'on arrêta à tout jamais cette liste aux quarante-huit jours du calendrier de Numa revisé par Auguste 8. Sans être indiscutable, cette assertion paraît justifiée par tout ce que nous savons des fêtes publiques sous les Flaviens et sous les Antonins. Nulle part, nous ne voyons que les fêtes impériales, même l'anniversaire de César, soient célébrées publiquement par l'État et le peuple tout entier. On a pu voir, par exemple, que beaucoup de ces fêtes avaient été placées au mois de septembre, mois qui, dans le calendrier primitif, ne contenait aucune fête publique. Or, sous le règne de Trajan, Pline demande un congé ce mois-là, parce qu'il n'a aucune fête à célébrer, comme magistrats. Au temps de Septime-Sévère, Tertullien s'adressant aux chrétiens, leur rappelle qu'ils ont plus de fêtes, plus de jours consacrés à Dieu que les païens : « Faites la liste de toutes leurs fêtes, vous n'arriverez pas au total des cinquante jours de la Pentecôte10 ». La liste des fêtes publiques païennes n'allait donc pas alors à cinquante jours : Tertullien songeait peut-être aux quarante-huit feriae du calendrier primitif, les seules qu'il voyait observées de son temps. Il est vraisemblable qu'il y ait eu quelques changements. Toutefois, si le calendrier des Antonins différait de celui de Numa, ce ne pouvait être que sur des points de détail : car la plupart des vieilles fêtes se retrouvent mentionnées par Tertullien et par les écrivains ou les calendriers du bas-empire. Ce n'est pas à dire toutefois que les anniversaires impériaux fussent exclus du calendrier. Mais les « jours impériaux » demeurèrent dans les Fastes, au même rang et au même titre que les fêtes et les jeux créés entre Numa et César en l'honneur d'Apollon, Cérès, Mercure ou autres dieux nouveaux. C'est là peut-être la solution à laquelle s'arrêta la commission de l'an 70, et le procédé qu'on adopta pour la célébration des solennités impériales. On les traita exactement de la même manière que celles que la République avait décernées aux divinités d'importation étrangère. 1° D'une part on en laissa le culte soit aux familles, 134 FER 1 060 FER soit aux collèges spéciaux, par exemple, ceux des Augustaut, soit aux flammes des princes. Les fêtes impériales devinrent surtout des fêtes privées, des fêtes de collèges, de provinces ou de temples, ce qu'elles furent d'ailleurs dans les premiers temps du règne d'Auguste. `?° D'autre part, on attribua aux jours impériaux surtout le caractère de jeux, LUDI. C'étaient des jeux qu'on avait donnés à Apollon ou à la Mère des Dieux. De même, les victoires, les dédicaces des temples, les anniversaires des naissances ou des avènements de prince, donnèrent lieu à des jeux, qui, pour être célébrés dans la joie et le repos, ne purent jamais être assimilés aux vrais jours de fêtes publiques. Mais, parmi les « jours impériaux », il en est un certain nombre qu'on s'habitua à regarder par tout l'empire, surtout au me siècle, comme de vrais jours de fêtes. Ce furent d'abord le jour des «voeux », Vota, Nuncupatio votorum, Neonzeniae, Dies auspicaliunz, comme on l'appelait: c'était le 3 janvier; ce jour était consacré aux prières que l'on présentait aux dieux pour la santé du prince et pour le salut de l'État. On doit rapprocher de ces « voeux » réguliers et solennels les voeux extraordinaires célébrés tous les cinq ans après l'avènement d'un prince, vota quinquennalia, decennalia. Sans doute, à l'origine, il en était des jours de vota comme de ceux de ludi; s'il y avait prières, sacrifices, et tous les dehors de la fête, le jour n'était point feriae, dans le sens de journée appartenant aux dieux sans restriction. Mais, au In' et au ive siècle, on ne paraît plus guère établir la moindre différence entre les jours de voeux publics et les anciennes fêtes : Eop'd~, dit des vota le rhéteur Libanius' [voTUM]. De la même manière, certains jours de jeux impériaux furent, je crois, assimilés aux fêtes traditionnelles. Ce furent les anniversaires de la naissance et de l'avènement du prince régnant. Une loi de l'an 389 nous paraît sanctionner d'une manière définitive l'assimilation aux fêtes de ces deux journées impériales. Mais cette même loi montre aussi que l'État distinguait toujours très nettement entre les ludi et les feriae'. Le triomphe du christianisme devait marquer plus fortement encore cette différence. Les jours de jeux furent les vestiges et comme l'asile du culte des dieux païens. Il n'y eut plus, comme exigeant le repos et méritant le respect, que les jours de fêtes, consacrés à Dieu ou au prince qui le représentait. 6° De la restauration des fêtes primitives sous Auguste et de la diffusion par tout l'empire du calendrier romain. Si l'État a pu, sous les Flaviens et les Antonins, rendre au calendrier de Numa son antique prépondérance, c'est que les fêtes qu'il renfermait avaient reconquis, depuis un siècle, la faveur du peuple romain, et qu'elles s'étaient en même temps répandues par l'Italie et par tout l'empire. Les empereurs italiens et provinciaux qui régnaient alors ont dû avoir pour ces fêtes le respect qu'elles inspiraient dans la vie provinciale. En cela comme dans tout le reste, la province, sous l'empire, continuait les usages de la vieille Rome. Les deux derniers siècles de la République avaient été désastreux, nous l'avons vu, pour le culte romain. Auguste le restaura. Dans son oeuvre de régénération morale et religieuse, il n'eut rien de plus à coeur que de remettre en honneur les vieilles solennités de la religion romaine. Grâce à lui, un certain nombre de ces fêtes traditionnelles et démodées, dont Varron cherchait si péniblement le sens, furent solennellement restaurées et durent au pieux zèle d'Auguste une nouvelle période d'éclat et de vitalité. Les Lupercales avaient été interrompues ou oubliées : Auguste les rétablit 3 et on sait qu'elles devaient demeurer jusqu'à la fin du paganisme une des fêtes les plus populaires de Rome. C'est sans doute à ses réformes que le Septimontium et les Carmentalia, qui paraissent un peu discrédités à la fin de la République, durent un regain de popularité, qui devait les maintenir jusque sous le bas-empire. A coup sûr, il réorganisa les fêtes populaires des Compitalia'. Pour perpétuer la célébration d'autres fêtes, il semble qu'il constituàt ou rétablît des collèges destinés à les observer j. Il y eut cependant, je crois, quelques modifications apportées par Auguste au calendrier des fêtes de Numa. On peut en soupçonner deux ou trois. D'abord les Cerialia semblent avoir été rangées, aux abords de l'ère chrétienne, parmi les grandes fêtes publiques'. En revanche, les Vinalia semblent avoir été réduites au rang de fêtes privées ou populaires'. Peut-être y eut-il d'autres modifications provenant de l'incertitude où l'on se trouva de reconstituer à coup sûr le calendrier primitif. En tout cas, je ne pense pas qu'elles aient été fort nombreuses et qu'elles aient eu d'autres conséquences que de réduire de deux ou de trois le nombre total des fêtes des dieux. Peut-être reconstitua-t-on le nombre consacré de 48. Ce fut sans doute sur l'initiative d'Auguste et pour sanctionner cette restauration du culte primitif qu'on grava sous son règne un aussi grand nombre de calendriers, où les fêtes étaient inscrites suivant l'usage traditionnel'. Les Fastes d'Ovide, quoique dédiées à Germanicus, se rattachent visiblement à l'oeuvre entreprise par Auguste, de populariser « les fêtes tirées des Annales antiques », Sacra recognosces Annalibus eruta priseis 3. En même temps que les fêtes romaines étaient remises en honneur, elles pénétraient dans toute l'Italie d'abord et ensuite dans toutes les provinces de langue latine, et jusqu'en Orient. Transportées dans les villes provinciales, elles vont y vivre d'une seconde vie, dans ces populations foncièrement dévotes et pour qui elles ont le charme de la nouveauté. C'est grâce à la province qu'elles pourront persister jusqu'à l'arrivée du christianisme et que nous les retrouverons aussi populaires au ive siècle à Bordeaux ou à Carthage qu'elles pouvaient l'être à Rome avant la seconde guerre Punique. L'assimilation de l'Italie à Rome à la fin du ter siècle avant l'ère chrétienne a eu pour conséquence l'adoption des fêtes romaines par toutes les villes, municipes et colonies. On peut remarquer, par exemple, que la plupart de nos calendriers romains ont été trouvés hors de Rome, en Campanie, en Étrurie, en Ombrie, en Apulie. Sans aucun doute, ces vieilles villes italiennes FER 1064 FÉR observaient encore quelques-unes de leurs fêtes primitives. Mais il est étonnant de voir que ces fêtes étaient en nombre fort restreint dans chaque ville. Le calendrier de Préneste ne nous fait connaître qu'une seule fête locale, celle de la Fortune, la grande divinité de la ville'. Celui d'Antium mentionne, à la date du 17 octobre, la fête des esclaves, vernarurn dies festus : mais il s'agit de la fête, toute domestique, des esclaves nés dans la maison de l'empereur. Partout ailleurs, les villes italiennes ont dû conserver la fête de leur principale divinité, comme Préneste celle de sa Fortune. Mais, à part cela, toutes les fêtes romaines, même celles qui sont d'un caractère local et en quelque sorte attachées au sol de Rome, par exemple les Lupercales ou le Septimontium, sont acceptées ou imposées dans tous les cités : si les cérémonies n'en sont pas observées comme à Rome, le jour n'en est pas moins férié et chômé'. A Pompéi, on date, en l'an 29 de notre ère, de la veille des nones Caprotines 8. Comment se fit, hors de l'Italie, la diffusion de ces fêtes, c'est ce qu'on ne saurait indiquer à coup sûr. Il semble que les magistrats, même des colonies romaines, aient eu le droit de régler à leur gré la liste des fêtes municipales. La loi de la colonie Julia Genetiva en Espagne stipule que, la colonie une fois fondée, les premiers duumvirs devront, dans les dix jours, fixer quelles fêtes publiques la ville devra observer'. Mais il est probable que leur calendrier ne put être que celui de Rome, en tenant compte de certaines solennités consacrées aux grands sanctuaires du lieu. On peut supposer encore que la plupart des fêtes locales ont été réduites au rang de fêtes collégiales ou de fêtes de temples. En particulier, l'usage des fêtes mortuaires et familiales se manifeste en Gaule, en Espagne, en Afrique, dès le 1°r siècle, sans qu'on puisse jusqu'ici trouver trace de la moindre coutume locale. Les Parentalia, les Feriae Denicales, les Rosaria, se propagent avec une grande facilité. Le culte des morts à la manière romaine devin't celui de tous les peuples de l'Occident. En Pannonie, une inscription de l'empire nous rappelle cette mystérieuse fête des Carnaria que la tradition attribuait à Junius Brutus 5. L'unification des calendriers religieux était achevée en Occident à la fin du second siècle. Tertullien nous parle des Saturnales et des fêtes romaines comme si elles se célébraient dans le monde entier 6. En 393, la fête des Ambarvalia se célébrait dans le pays de Trente le 29 mai, de la même manière et le même jour qu'à Rome'. L'Orient même, si bien pourvu qu'il fût de fêtes religieuses, helléniques ou autres, acceptait volontiers les fêtes romaines. S'il est une fête de caractère latin et primitif, c'est bien celle des Consualia : or, on la célébrait à Gaza à la fin de l'Empire Les seules différences que l'on peut constater sont des différences de date. Ces mêmes Ambarvalia avaient lieu le ter mai en Campanie', le 5 juin à Bénévent10. La fête des Vendanges est marquée à des jours différents à Rome et en Campanie". Les Rosaria, fêtes privées du reste, varient, en Italie même, du 13 mai au 20 juin 12. Mais ces divergences sont peu de chose, et l'on admettra que, pour certaines fêtes du calendrier romain, on a dû tenir compte des traditions locales et des différences de climat. « Les gouverneurs de province », dit nettement un texte législatif, « auront égard, pour fixer les feriae des vendanges et des moissons, aux coutumes de chaque lieu" », Si difficile qu'il soit d'en marquer les étapes, il importait de rappeler cette diffusion du calendrier romain ; car elle préparera les voies à celle du calendrier chrétien, et elle expliquera pourquoi tant d'usages dérivés des fêtes païennes se retrouvent uniformément dans les fêtes de toute la chrétienté. 70 Troisième et quatrième siècles : fêtes orientales, fêtes de la nature et fêtes astronomiques. Les seules fêtes qui furent introduites au me et au Ive siècles, indépendamment des trois ou quatre « jours impériaux », furent celles de ces divinités orientales, Isis, la Mère des Dieux, Mithra, auxquelles l'État avait depuis longtemps accordé des temples, des sacrifices et des jeux et qui, maintenant, reçurent enfin leurs « jours ». Dès le temps de Caligula°", les fêtes d'Isis (Isia), en octobre et en novembre, paraissent s'être introduites officiellement dans le calendrier romain. Mais on peut clouter qu'elles y soient restées au temps des Antonins. En tout cas, elles sont acceptées aux nie et Ive siècles comme fêtes publiques. Vers l'an 300, le navigium Isidis était célébré par l'État, au même titre que les Lupercales 15. Moins connues, les fêtes de Sérapis, les Pelusia du 20 mars et les Serapia du 25 avril, sont sans sans doute d'importation tardive. Les fêtes de la Mère des Dieux formaient un cycle complet, comme notre Passion, et duraient, presque sans interruption, du 15 au 28 mars. Après avoir été célébrées longtemps à Rome par les ministres de la déesse, elles sont observées, dès le début du me siècle, par les empereurs eux-mêmes et admises dans le calendrier officiel1e. Un historien du temps de Dioclétien nous représente les magistrats, au jour des Hilaria, « libres des affaires publiques et des soins officiels », et il ajoute que, ce jour-là, tout doit être « en fête, actes et paroles" ». Enfin Mithra, « le Soleil Invaincu », Sol Invictus, eut d'abord sa grande fête fixée au 25 décembre, sans doute sous le règne de l'empereur Aurélien 16. Puis le développement de la religion solaire, aux abords de l'an 300, amena peu à peu le peuple à considérer le « jour du Soleil » de l'antique semaine comme un véritable jour de fête et, en l'an 321, une loi de Constantin ordonna que « juges, plébéiens et artisans se livrassent au repos le jour vénéré du Soleil '9 » L'introduction des fêtes orientales eut en partie pour résultat de ramener le calendrier romain à ses anciens principes. 11 reprit dans une certaine mesure ce caractère physique et astronomique qu'il avait eu au temps de Numa et de Romulus. Ces fêtes orientales, si mystérieuses et si compliquées qu'elles paraissent, sont, en réalité, des fêtes de la nature, et d'allure matérielle et primitive. Les divinités solaires, lunaires ou autres, qu'ellesçélèbrent, sont Janvier (Suite). '13. (Jovi Statori) °. 27. (Ludi Castorum Os_ 15. CARMENTALIA. t'l2S) lo Février. 1. (Natalis Hercu lis). 11. 11. (Genialici)12 15. * LUPERCALIA. *Caro Cognatio 14. * TERMINALIA. * Regi fugium. (Lorio)15. Mars. 1. (Natalis Marlis)" 1. *illatronalia 17. 5. * Isidis Navigium 19 7. [Junonalia] 1°. (Joli' Cultori). Canna intrat" j-. 20. Pelusia j . 21. [Natalis 111inervae]2i. 22. Arbor intrat -j-. 24. *Dies Sanguinis -j23 25. *Hilaria-j-se 25. Aequinoctium. 26. Requietio -. 27. Lavatio ~-. 28. Indium Caiani±". Avril. 1. Veneralia 28. 3. (Natalis dei Quirini). 8. (Natalis Castoris et Pollucis) 2° . 10. (111egalesiaci) 30 19. (Cerealici)". Mai. 21. *Natalis Urbis. 25. Serapia-j-. 30. (Florin) 3a, 12. (Martialici) 34. 15. (Natalis Mercurü 23. *Rosaria35. 29. *Lustratio agrorum's 29. (Honoris et Virtutis)37. Juin. 1. (Fabarici)33. 4. (Ludi in Jiinicia)'a 9. Vesta lia. 11. Matralia. 13. *Natalis 111usarum4D 18. [Annae] i1. 24. Fortis Fortunae. 24. Solstitium. 24. Lampadem 4. Juillet. 7. Nonne Caprotinae 43. 1 23. (NEPTUNALICI). 13. (Apollinares) 44. i FER 1062 FER intimement mêlées aux choses de la terre : leurs fêtes sont les symboles des révolutions physiques, et leur date en coïncide avec les grandes époques de la vie du monde. La fête du Soleil, du 25 décembre, marquait le commencement del'année nouvelle, le jour du « Soleil Nouveau») : Sol Novus, disait-on couramment à Rome, même au temps d'Auguste, et la fête solaire d'Aurélien ne fit que donner une sanction divine et publique à une date acceptée depuis longtemps par le calendrier des astronomes et le langage populaire. La « fête joyeuse » de la Mère des Dieux, les Hilaria du 23 mars, fut regardée comme la fête du Printemps, celle où « le soleil l'emporte enfin sur la nuit' ». Le Navigium Isidis, en mars, marquait le moment où les navigateurs pouvaient de nouveau affronter les mers apaisées. Grâce à ces solennités orientales qui correspondaient si bien à la vie de la nature, le III° et le Ive siècle amenèrent ainsi un surcroît de faveur aux fêtes de saison, que le peuple d'ailleurs n'avait jamais délaissées'. Dès la fin du ne siècle, la fête de l'Hiver, Brumae, semble se célébrer régulièrement, peut-être à la fin de novembre. Des fêtes de Vendanges, Vindemiae, remplacent peu à peu, en septembre ou en octobre, les antiques lteditrinalia. Au Ive siècle, les jours de changement de saison s'inscrivent dans le calendrier public, et le poète Ausone, dans sa poésie Sur les Fêtes, n'hésite pas à parler des jours de solstice et d'équinoxe. Il faut ajouter, comme fête astronomique, les calendes de janvier, qui, après avoir été longtemps célébrées dans les familles, semblent n'être devenues fêtes publiques qu'au temps des Sévères. Voici quel pouvait être, vers le milieu du Ive siècle, le calendrier public, tel que nous essayons de le reconstituer à l'aide du calendrier composé vers 354 par Philocalus, de la poésie d'Ausone Sur les Fêtes romaines, et de quelques textes des écrivains chrétiens. Les lettres capitales indiquent les fêtes publiques du calendrier de Numa. Les croix j-, les fêtes d'origine orientale. Les parenthèses désignent les jours qui nous paraissent plutôt des Ludi que des feriae. Les crochets indiquent les fêtes qui étaient peut-être tombées en désuétude au Ive ou dont l'existence est fort problétnatique. Enfin les astériques désignent les fêtes les plus importantes ou les plus populaires. Janvier. 5. (Natalis Salutis) 1. [Lychnapsia]2. "Natalis Dianae. 25. *Natalis Invicti. 25. Solstitium. FER 1063 FER Août. 28. (Salis et Lunae4). Septembre. 5. *Vindemia°. 24. Aequinoctium. 11. Natalis Asclepii6. Octobre. 12. (Augustales). 22. (Solis)8. 15. (Jovi Liberatori)7. 28-31. Isia±. Novembre. Isia ~-. 13. Jovis epulum. Ter Novena i-. 2/. *Bruma". Hilaria 9. Décembre. 11. * Septimontia Il. 13. [Leclisternium Cere ris 12]. On voit de combien d'éléments disparates est constitué ce calendrier vraiment syncrétique. Une fort bonne place est conservée aux fêtes de Numa : la moitié environ a survécu et, parmi elles, on célèbre surtout les Saturnales, les fêtes rurales des Ilobigalia, les fêtes municipales des Palilies et des Lupercales. Quelques-unes sont réduites au simple rang de jours de jeux. La plupart des Ides semblent avoir perdu leur caractère férié. Les fêtes populaires et les fêtes familiales, comme les Ambarvalia ou les Caristies, ont eu la vie plus dure encore et se placent maintenant au même rang que les anciennes fêtes fixes du peuple romain. Les fêtes de temples sont pour la plupart demeurées comme jours de jeux; mais quelques-unes, comme les Quinquatria de Minerve, les Matronalia de Junon, sont maintenant de vraies solennités publiques. A côté de ces souvenirs de la Rome républicaine se placent les fêtes anonymes des saisons et des travaux des champs, et surtout les grandes fêtes d'Isis en novembre, de la Mère en mars et, plus célébrée peutêtre que toutes les journées du calendrier, la fête Solaire du 25 décembre. Tel est le calendrier en face duquel les chrétiens se trouvèrent au temps des luttes religieuses du me et du Ive siècle. 8° Des fêles neutres au ive siècle. L'avènement officiel des fêtes chrétiennes. Au milieu du Ive siècle, le christianisme est près de l'emporter. Imposera-t-il complètement ses fêtes qui, inspirées de la liturgie hébraïque ou des souvenirs de la vie du Christ, sont en contradiction évidente avec celles du calendrier des «nations» , comme dit Tertullien? C'est là un épisode curieux de l'histoire de la lutte entre les deux religions : à vrai dire, il y a eu moins lutte que conciliation; et il est intéressant de noter par quelles insensibles transitions la liturgie chrétienne s'est peu à peu insinuée aux lieu et place du culte païen. Avant de jouir de leur victoire, les chrétiens acceptèrent une sorte de terrain neutre sur lequel ils pussent s'entendre avec leurs adversaires. On a vu en quel honneur se trouvaient, depuis le nie siècle, les fêtes astronomiques et les solennités de la nature ; ce nouveau calendrier se prêtait admirablement, par son caractère symbolique, à concilier un instant les deux religions. Dès le III" siècle, le populaire, avec son instinct des choses, avait compris que païens et chrétiens pouvaient s'entendre à de certains jours, en dépit de la haine de leurs prêtres. Tertullien nous apprend que, de son temps, la fête de l'hiver, Bruma, était célébrée volontiers par les chrétiens'°. De la même manière, ils acceptèrent, à la grande colère de leurs chefs, les grandes fêtes familiales du peuple romain: celle des Étrennes du Pr janvier, celle des Matrones du ter mars, la fête des Esclaves aux Saturnales, et la fête des Parents, la Caret Cognatio du 22 février 15. Fêtes familiales, fêtes de saisons, voilà les deux groupes de fêtes qui, rapprochant païens et chrétiens, furent particulièrement populaires au ive siècle : ce sont vraiment des fêtes neutres. Aussi, la personnalité des dieux à qui elle s'adresse va, chaque jour, s'effaçant davantage : les Saturnales ne s'appelleront plus bientôt que « les fêtes des Esclaves » ; on dira feriae ancillarum aux Nones Caprotines; les Carnaria prendront le nom de « jour des Fèves ». Célébrées par les deux religions rivales, les vieilles fêtes perdent le nom trop compromettant de leur dieu romain pour prendre une appellation humaine, vague et conciliante. Ajoutez à ces fêtes celles des jours impériaux, comme les Vota et les Natalices, et celles des dimanches, célébrés comme « jours du Soleil » par les uns et « jours du Seigneur» par les autres. Ce que le populaire faisait ainsi de lui-même, les empereurs tolérants du Ive siècle lui donnèrent force de loi. Si le calendrier de Philocalus, en 354, ne renferme aucune fête chrétienne, il y est fait une très large place aux jours neutres que les chrétiens pouvaient accepter. Le calendrier d'Ausone est franchement païen : mais c'est surtout un souvenir de lettré. En 387, dans une ordonnance particulière à la Campanie, un gouverneur fixe ainsi les fêtes qui y seront célébrées 17, 3 janvier. Vota. 11 février. Genialia78. 1°" mai. Lustratio ad /lumen". 13 Rosaria. 25 juillet. Lustratio ad /lumen. 27 Profectio ad in ferias 20 15 octobre. Vindemiae2'. Ce sont, on le voit, soit des fêtes politiques (3 janv.), FER 1064 FER soit des fêtes familiales, des génies de la naissance (I1 févr.) ou des âmes des morts (13 mai, 27 juill.), soit des fêtes rurales, vendanges et purification des champs au printemps et à la moisson (1°r mai, 25 juill., 15 oct.). Ces jours-là païens et chrétiens pouvaient associer leurs prières : on ne s'occupait pas de savoir à quels dieux elles allaient, mais pour qui elles étaient faites, pour la patrie, pour les récoltes, pour les hommes, auxquels païens et chrétiens les devaient également. Mais cette tentative de conciliation et de neutralisation officielle prit fin sous Théodose. En 389, une ordonnance impériale sanctionna la suppression du calendrier public de la Rome païenne et l'avènement dans l'État des fêtes chrétiennes. Voici quels seront désormais, dit l'empereur, les jours de fête pour lesquels on devra avoir un pieux respect (sans parler des vacances judiciaires de juillet et de septembre) : les Calendes de janvier, les dimanches, la quinzaine de Pâques, les anniversaires des fondations de Rome et de Constantinople, de la naissance et de l'avènement du 'prince 1. Les fêtes romaines ont fini leur rôle public. 9° De la persistance des fêtes romaines dans le christianisme. Mais la tradition, les usages, l'instinct populaire furent plus forts que la loi, les prêtres et la nouvelle croyance . Chassées du calendrier public , les fêtes païennes perdirent à peine de la faveur populaire. Les chrétiens continuèrent à en accepter un bon nombre et l'Église, après s'être violemment élevée contre ces superstitions, dut transiger avec elles, accepter les tendances conciliatrices du peuple, et faire une place dans sa liturgie ou son calendrier aux vieilles pratiques. Seulement, si elle adopta les coutumes et les cérémonies, elle n'accueillit pas les noms significatifs qu'elles portaient : elle garda la fête et élimina le dieu à qui elle appartenait. Vers 448, Polémius Silvius composa et dédia à l'évêque Euchérius, de Lyon, un calendrier que nous avons conservé 2. C'est un calendrier de chrétien, inspiré par un pieux, esprit et cependant Polémius ne néglige pas d'insérer entre les anniversaires des saints et les jours des jeux publics un bon nombre de fêtes romaines. En voici la liste : 3 janv. Dies Auspicalium. 19 mars Quinquatria. Il est difficile de croire que cette insertion n'est faite qu'à titre de souvenir historique 3 : toutes ces fêtes sont précisément celles sur lesquelles s'était opérée au Iv° siècle la conciliation entre païens et chrétiens, ou dont d'autres textes nous montrent la continuité dans les derniers jours de l'empire. Si Polémius les marque, c'est qu'elles se célébraient encore et que les chrétiens y participaient'. Ils le pouvaient sans crainte : les noms des dieux détestés, Jupiter, Junon, Mercure, n'y apparaissaient pas : les jours de Minerve portaient l'appellation insignifiante de Quinquatria ou le titre poétique de « naissance des Muses ». Carmenta était oubliée comme déesse ; Floria était la fête des Fleurs plus que celle de Flore. Saturne avait disparu de la « fête des Esclaves ». L'étiquette païenne était effacée, et c'est là ce qu'on redoutait le plus. D'autres témoignages nous montrent que certaines de ces fêtes avaient gardé tout leur éclat au milieu d'une population chrétienne. Les Lupercales se célébraient officiellement à Rome à la fin du ve siècle, avec un grand concours du populaire, et l'ardent évêque Gélase lança contre elles une vigoureuse apostrophe qui nous a été conservée. « Laissez cette fête aux païens! s'écriait-il, elle déshonore le chrétien 5. » Plus puissantes encore et surtout plus générales au monde romain étaient alors les fêtes des Morts et des Parents en février, des Esclaves en juillet et en septembre. L'Église gagna à n'être pas intransigeante et à accepter de l'héritage des fêtes païennes tout ce qui ne choquait pas ouvertement la religion du Christ. Le compromis se fit de diverses manières, également habiles. 1° Tantôt elle se borna à accepter la date traditionnelle de la fête : mais elle y plaça une fête chrétienne, souvent fort différente de la fête païenne et destinée à la réléguer dans l'ombre par une sorte de concurrence. Le 22 février était la fête des familles, Gara Cognatio, où les parents se réunissaient pour célébrer morts ou vivants : le 22 février, l'Église plaça la fête de la Chaire de Saint-Pierre. A cette concurrence, l'Église ne fut pas définitivement victorieuse. Le concile de Tours disait, en 567 : « Il y en a encore qui, le jour de la Chaire de Saint-Pierre, offrent des repas aux morts s. » « Le repas funèbre, remarque M. l'abbé Duchesne, dura en Occident jusqu'au xn° siècle au moins. Je l'ai vu pratiquer, en Épire, par les Grecs orthodoxes et même par les musulmans 7 ». L'Église fut plus heureuse à d'autres jours : l'assimilation fut plus facile entre les deux fêtes, quand on choisit la fête chrétienne qui par sa nature rappelait le plus la solennité païenne qu'il s'agissait d'écarter. Le 25 décembre la fête du Soleil, la naissance du « Dieu Invaincu » devint tout naturellement la fête de la naissance du Christ, Natalis Christi, Noël : la chose se fit peut-être en dehors de l'Église, qui l'accepta de bonne grâce. « Les chrétiens, dit un document syrien, participaient aux fêtes et aux réjouissances du jour du Soleil. Remarquant cela, les docteurs de l'Église résolurent de placer à ce jour la naissance du Seigneur ' ». Nous avons vu que le dimanche chrétien remplaça le jour du Soleil de la semaine païenne : le Christ hérita des fêtes comme de la domination de Mithra. 2° Souvent, en même temps que le jour, les chrétiens adoptèrent les cérémonies païennes et les intercalèrent dans leurs fêtes. Ce fut un emprunt direct plus qu'une concurrence. Le 25 avril était à Rome le jour des Rabigalia, où l'on priait le dieu Robigus de s'éloigner des blés murissants : une procession se rendait en son honneur le long de la voie Flaminienne jusqu'au pons Mil FER --1065 FER uius'. A la même date, les Litanies eurent lieu dans la Rome chrétienne et, suivant le même chemin, la procession faisait halte au même Ponte-Molle. Hors de Rome, les Litanies ou les Rogations, destinées à appeler la bénédiction de Dieu sur les champs, étaient imitées des anciennes fêtes rurales des Ambarvalia : c'était la même époque, le mois de mai, le même rite, la procession dans les champs, et peut-être les mêmes prières 3° Souvent encore, l'Église se contenta de tolérer dans les fêtes populaires des usages inoffensifs empruntés à des fêtes païennes de date différente. C'est ainsi qu'aux Jours des Martyrs, les chrétiens célébraient de véritables festins, analogues aux repas mortuaires des Parentalia 3. Augustin nous raconte que sa mère avait accoutumé d'apporter aux tombeaux des saints des offrandes de vin et de pain : elle s'en abstint, il est vrai, du jour où saint Ambroise l'eut avertie que ce n'était qu'un souvenir des fêtes païennes'. Mais tous les chrétiens n'imitèrent pas les scrupules de sainte Monique et l'Église ne put jamais déraciner partout cet usage. Au delà des temps où la religion chrétienne s'organisait, ces coutumes païennes se sont maintenues jusqu'à nos jours dans les fêtes du christianisme. La fête de la SaintJean (24 juin), avec ses feux que sautent les paysans, est en partie la fête du Solstice d'été, mais rappelle aussi les feux et les sauts des Palilies du 21 avril. L'Épiphanie possède dans chaque famille le roi de la fête, comme les Saturnales romaines, qui ont laissé bien d'autres vestiges. Il est resté à Rome, dans les fêtes du Carnaval, bon nombre d'usages empruntés aux fêtes païennes de février. Il ne serait pas impossible que la Purification de la Vierge, du 2 février, ne rappelât par certains côtés les Lupercales du 15. En tout cas, si l'on veut étudier la survivance jusqu'à nos jours des fêtes païennes, il faut s'adresser soit au populaire de Rome, soit à la plèbe des campagnes, les tenaces dépositaires de l'antique religion romaine 5. Dans tout cela, l'Église changeait seulement le sens de ces cérémonies et les adaptait aux récits ou aux croyances de la religion nouvelle; elle en transférait la destination à Dieu ou aux saints. Les rois de l'Épiphanie rappelèrent ceux qui avaient adoré le Christ; les repas furent destinés aux Martyrs au lieu des Mânes; les prières pour les champs montèrent à Dieu et non plus à Robigus. Le christianisme s'appliqua ainsi les fêtes romaines, comme il s'appropria les temples et copia les types de l'art païen, en changeant les titres. Cette persistance de certaines fêtes est le phénomène le plus intéressant de cette longue histoire. Les plus tenaces ont été, d'un côté, les fêtes des champs, de l'autre, les fêtes des morts : elles ont traversé sans peine la révolution qui substitua l'anthropomorphisme hellénique à la religion des temps primitifs ; elles ont triomphé, sous l'empire, des fêtes politiques; elles se sont imposées au iv° siècle comme jours de conciliation; et, plus fortes que l'Église, elles ont pris leur place dans le christianisme triomphant. C'est qu'à vrai dire ces fêtes sont de toute religion : elles sont nées des espérances, des craintes, des joies et des regrets de la vie hu maine, et elles sont éternelles comme ces sentiments. cité, la société italienne connaissait un autre organisme politique, la fédération, formée de villes associées. De même que la cité, la ligue avait ses dieux et ses fêtes. Nous parlerons tout à l'heure des Fêtes Latines, célébrées par la plus antique et la plus connue des confédérations Quand Rome organisa son empire, elle fit de chaque province une véritable fédération de villes, ligue religieuse autant que civile. Aussi y eut-il dans chacune d'elles un culte commun, un autel et un temple, où l'on célébrait chaque année, à une date fixe, des fêtes solennelles. On sait que, dans l'union religieuse formée par les Trois Gaules autour de l'autel de Rome et d'Auguste à Lyon, les fêtes provinciales commençaient le 1er août. Il n'y a point d'ailleurs de différences fondamentales entre ces fêtes de ligues et de provinces, et les fêtes des familles et des cités. Ce sont jours de repos et, en particulier, jours de trève et de paix entre les différentes villes qui composent la fédération. Les Fêtes Latines étaient pour le Latium une véritable « paix de dieu » : de la même manière, les fêtes athéniennes des luvolxt«, qui rappelaient l'union des douze bourgades de l'Attique, consistaient surtout en sacrifices à la Paix. Comme toutes les fêtes, celles-là étaient des jours appartenant en propre à une divinité, au Jupiter du Latium, à Rome et Auguste des autels provinciaux. Enfin, les cérémonies dont se composaient les Féries Latines ou les fêtes provinciales, n'offraient rien de particulier; c'étaient des processions formées par les prêtres des villes, des prières et des voeux devant l'autel, des sacrifices, des repas sacrés, puis des jeux de toute sorte, courses de chars, combats de gladiateurs, luttes athlétiques, chasses d'animaux, représentations scéniques, concours de musiques. Mais il est un caractère de ces fêtes que nous ne retrouvons pas au même degré, du moins à l'époque classique. dans les fêtes municipales, et qui a u,ne grande importance sociale et historique. Temps de paix et de réunion pour des hommes venus de divers côtés et appartenant à des villes différentes, la fête provinciale ou fédérale était aussi une foire, c'est-à-dire le moment où l'on échangeait les produits du sol et de l'industrie. Tout autour du temple de Lyon, s'élevaient des tentes où les marchands étalaient denrées et objets fabriqués', et peut-être, ces jours-là, l'État s'abstenait-il de réclamer des droits de stationnement. Enfin, l'État ou le Conseil de la ligue profitait de ces réunions d'hommes pour donner communication des édits concernant la province ou la fédération. quera que ces deux derniers caractères des fêtes fédérales et provinciales apparaissent aussi dans les Nundines de l'ancienne Rome. Les Nundines étaient les jours qui permettaient aux paysans de se rendre à Rome pour faire leurs achats et pour prendre connaissance des édits du roi ou des magistrats. II importe encore de rappeler que ces deux occupations, permises aux Nun FER 1066 FER. dines et aux fêtes fédérales, ne sont pas le moins du monde incompatible avec l'idée de fête, telle que la religion classique la concevait : nous avons vu que le paysan a toujours pu, les jours fériés, venir à la ville faire des emplettes et que la loi permettait aux magistrats d'adresser des communications à l'assemblée du peuple. Nous touchons ici au côté le plus intéressant de cette étude, au rôle que les fêtes romaines ont joué dans l'histoire de la civilisation. Jours de relâche pour le travail individuel et l'âpre recherche du gain, les fêtes permettaient par là même aux hommes de se rapprocher les uns des autres et d'échanger leurs produits, leurs idées, leurs sentiments. La lutte pour la vie (et cette expression ressort bien des textes de Cicéron et de Macrobe) était un instant suspendue : l'homme pouvait songer à l'homme. En principe, la fête rapportait tout aux dieux : mais, par suite, les hommes, se rapprochant des autels, se rapprochaient les uns des autres, et leur isolement ordinaire prenait fin. Aux jours de fête, les membres éloignés de la même famille se retrouvent à une table commune : l'hôte et l'ami s'y rencontrent; la fête romaine est le jour de l'hospitalité et de l'amitié. Des repas communs réunissent les membres de la cité, ou encore magistrats et simples citoyens. Ces jours-là, le paysan vient à la ville, entre en relations avec le citadin et le magistrat : il profitera toujours de ce contact avec la vie municipale. Les fêtes seront un des moyens par lesquels la population rurale se fond avec la population urbaine. Le jour do fête, tous les Romains, adorant leurs dieux indigènes, ont conscience de leur solidarité religieuse et politique. Les combats étaient suspendus pendant les fêtes : il y avait trêve dans la lutte politique comme dans la lutte pour la vie. Aussi rien n'empêchait les habitants des villes voisines d'entrer ces jours-là en relation avec les Romains. Ils se rendaient volontiers à Rome pour célébrer les fêtes de leur puissante voisine. Les cités se recevaient les unes les autres, comme les familles : la fête était le jour de l'allié ou du voisin dans l'État, comme le jour de l'hôte dans la gens. C'est au jour des CONSUALIA que Romulus invita Sabins et Sabines. Voici ce que dit Tite-Live : « Il fait annoncer les Consualia chez les peuples voisins; et pour leur donner de l'éclat et éveiller la curiosité, il déploie, dans les préparatifs, toute la pompe que comportait son habileté ou sa puissance. Le concours fut nombreux parmi les peuples voisins, les Céniniens, les Crustuminiens, les Antemnates, qu'amenait encore le désir de voir la ville nouvelle. La nation entière des Sabins vint aussi, avec leurs femmes et leurs enfants : l'hospitalité leur ouvrit les demeures des Romains'. » Il est visible que Tite-Live amplifie. Ce qu'il n'invente pas, c'est que le jour de fête était le moment où l'hospitalité réunissait Sabins et Romains, hier et demain peuples ennemis : la volonté des dieux faisait un instant tomber les barrières et les haines qui séparaient les cités antiques. Qu'on se représente maintenant un jour de fête dans l'Italie primitive. Une des fêtes les plus célébrées était, au vlie siècle avant notre ère, celle de Féronia chez les' Sabins. Ces jours-là, ces implacables ennemis, Étrusques, Sabins, Ombriens, Volsques, Latins, se réunissaient autour du bois et du sanctuaire de:la vieille déesse. Tous priaient et sacrifiaient avec une égale dévotion. En même temps avait lieu une foire où l'on venait, dit la tradition, de toute l'Italie : c'était un incroyable concours de marchands, de laboureurs et d'ouvriers 2, arrivant tous, sans doute, avec des sauf-conduits 3. Comme les grandes foires de Champagne et de Beaucaire au moyen âge, ces fêtes de Féronia étaient de véritables trèves de Dieu et des rendez-vous humains plus encore que religieux. Elles réconciliaient les hommes : c'était le principal facteur de progrès matériel et d'union morale. . A un dernier point de vue, les fêtes antiques ont eu un rôle glorieux dans l'histoire sociale. Elles n'étaient point l'apanage des hommes libres ou des citoyens. La plèbe et les artisans eurent leurs fêtes avant d'avoir leurs assemblées. Les femmes et les esclaves avaient les leurs. Il n'était aucune condition humaine, aucun âge, aucun sexe, qui n'eût, à un moment donné, ses jours de fête, ses instants de réunion et de liberté. Les animaux mêmes n'avaient-ils point les leurs? Quelques fêtes, comme les Caprotines et les Saturnales, réunissaient libres et esclaves. Ces jours-là, il n'y avait plus de droit civil ; l'esclave semble l'égal de son maître ; il mange à sa table, et la matrone quitte la toge pour en revêtir ses servantes, Les fêtes sont ainsi dans la société ancienne, si morcelée, si divisée, les rares journées où l'on oublie tout ce qui sépare les peuples et les hommes : elles ont été instituées pour les dieux, mais elles sont devenues un des éléments essentiels de la solidarité humaine.