Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FERONIA

FERONIA. Feronia est le nom d'une divinité rurale 1, qui fut l'objet d'un culte assez important chez les peuples de l'Italie Centrale, Sabins et Latins, comme le prouvent des textes littéraires et des inscriptions se rapportant à une quinzaine de localités différentes 2, mais qui déclina rapidement sous la double influence de l'hellénisme et de la prédominance politique de Rome; les dernières manifestations publiques de son culte datent du temps de la seconde guerre Punique. Les témoignages les plus nombreux et les plus intéressants se rapportent à Capena, près du mont Soracte, à Tarracina et à Praeneste. Non loin de la première de ces localités, où les Sabins se rencontraient, avec les Étrusques, les Latins et les Ombriens, dans une dévotion commune, Feronia avait un temple circulaire dont on croit avoir découvert les substructions3 ; elle y était associée à Soranus, dieu solaire qui fut plus tard identifié, tantôt avec Apollon, tantôt avec Dis Pater, elle-même étant confondue ou avec Junon ou avec Proserpine Une antique famille sacerdotale, les Hirpi Sorani, présidait à ce culte; tous les ans ils célé braient, dans le bois voisin du temple, une fête durant laquelle ils marchaient pieds nus sur des charbons ardents, sans souffrir aucun dommage'. Le temple était célèbre déjà sous les rois; quand Tullus Hostilius déclara la guerre aux Sabins, ce fut pour les châtier d'avoir enlevé des marchands romains, venus là pour faire du commerce 0. Tite-Live nous apprend que, durant les guerres Puniques, le sanctuaire devait à sa richesse une grande renommée. Les Capenates avaient l'habitude d'y offrir les prémices de leurs fruits et beaucoup d'autres dons; Hannibal pilla les trésors amassés depuis des siècles'. L'année suivante divers prodiges arrivés au même lieu firent décréter à Rome une sUPPLlCATIO à tous les temples, avec une cérémonie analogue dans le sanctuaire de Feronia 3. Parmi les événements extraordinaires de l'année 196, l'historien mentionne que le temple de la déesse fut touché par la foudre 0. Sur le versant opposé du Soracte, à Trebula Mutuesca, en pays Sabin, existait un centre du même culte, avec cette différence cependant que Feronia y était associée, non à SoranusApollon mais à Mars 10. On y parlait d'un Pi eus Feronius analogue au Pieus "Varlius, comme de l'oiseau symbolique au service de ce couple divin 12. Il est possible que les hostilités entre Sabins et Latins sous la royauté aient commencé à Trebula et non au sanctuaire de Feronia en Étrurie. Ici une ville portant le nom de la déesse s'était peu à peu formée à la faveur du culte; cette ville avait encore une certaine importance aux débuts de l'empire. César et Auguste y établirent des colonies de vétéransl3. Le temple de Tarracina, anciennement Anxur, sur la côte de Campanie, n'était pas moins renommé. Là, Feronia était identifiée avec Juno Regina. Jupiter Anxurus qui fut, lui aussi, un dieu solaire présidant à la végétation prenait la place de Soranus. Les témoignages épigraphiques donnent indifféremment à la Junon d'Anxur le titre de Feronia ou de Regina 14; dans les témoignages littéraires, le nom de Feronia figure seul. L'emplacement du sanctuaire a été exactement déterminé, grâce à Vorace qui y fit station durant le voyage à Brundisium. Trois milles le séparaient de la ville; à proximité, il y avait une source où le poète s'était baigné, de grands rochers calcaires et enfin un bois dont parle Virgile. C'est à l'entrée de la vallée, du côté des marais Pontins, au lieu dit de 7re Mole, au-dessus de la source qui alimente ces trois moulins, que l'on a découvert un soubassement FER 4074 -FER construit en pierres énormes; aujourd'hui encore les habitants de Terracine appellent la source Feronia. Dans des thermes qui y ont été construits plus tard, on a mis à jour une tête colossale, malheureusement creusée en forme de mortier pour piler le sel, qui représente peutêtre l'antique Feronia '. D'autres édifices avaient été élevés sur le chemin de Tarracina au temple, entre autres des tours dont plusieurs furent démolies par la foudre 2. C'est là que L. Vitellius prit position pour attaquer la ville au pouvoir des lieutenants de Vespasien 3. La particularité du culte de Feronia en Campanie, c'est qu'elle y était la déesse protectrice des affranchis qui, la tête rasée, y coiffaient le pileus, signe de leur libération '. Il y avait dans le sanctuaire un siège spécial avec cette inscription : bene meriti servi sedeant, surgent liberi. TiteLive raconte que, au plus fort des revers de la seconde guerre Punique, les femmes affranchies se cotisèrent pour offrir un don à la Feronia d'Anxur 5. Le commentateur de Virgile, au passage cité, raconte que le feu s'étant mis au bois sacré de la déesse, les habitants essayèrent vainement d'en arracher son image ; et tout aussitôt le bois reverdit'. Ce que nous savons sur la Feronia de Préneste se réduit à la légende qui fait d'elle la mère d'Érulus ou Ilerylus, roi de ce pays, celui que tua Évandre 7. Feronia serait, d'après les commentateurs, une nymphe de Campanie et le poète raconte qu'elle donna à son fils une triple existence (tres animas), ce qui obligea l',vandre à le tuer trois fois. Dans une inscription trouvée au voisinage de Lugnano, Feronia Sanctissima fait pendant à la FortunaPraenestina'. De même un fragment d'un ancien calendrier faisant mention d'un culte de Feronia à Rome, culte célébré sur le Champ de Mars aux Ides de novembre, y associe la Fortuna Primigenia9. Les mythologues ont beaucoup discuté sur la signification de cette divinité. Kuhn en a fait une personnification du feu céleste10 ; le Picus Feronius serait l'Avis incendiaria dont parle un auteur, qui ravit sur l'autel le feu du sacrifice et le transporte par l'air". Mannhardt'', avec plus de raison, a vu dans Feronia, appelée aussi Faronia dans la langue populaire f', une déesse de la végétation et plus particulièrement de la prospérité des céréales (Getreidemutter)". Ainsi s'expliquent ses rapports avec les dieux solaires, Jupiter, Soranus, Mars; son identification avec Proserpine" et avec Junon, ses relations avec Fortuna ou avec Flora, les épithètes de âvO' pop is, de YI?,ec'ricpxvos, de neparpdvri qu'elle portait, au dire de Denys d'Halycarnasse. Celui-ci raconte d'ailleurs, sur sa prétendue origine lacédémonienne, une de ces fables qui ne prouvent que la subtilité des annalistes hellénisants ". Les pratiques du culte de Feronia, tant en Campanie que sur les frontières du pays Sabin, notamment la fête célébrée par les Hirpi Sorani, l'usage d'offrir à la déesse les prémices de la terre et celui qui la prépose à l'affranchissement des esclavesi7, ce fait enfin que tous les centres où Feronia était honorée ont eu un rôle commercial, confirment l'interprétation de Mannhardt. La fête annuelle, avec la course sur les charbons ardents, est une fête solsticiale (Sonnwendfeuer), célébrée, comme tant d'autres, ob frugum eventum, pour obtenir de fertiles moissons. Nous n'avons de représentation certaine de Feronia que sur les monnaies de la gens Petronia et peut-être sur celles de la gens Plaetoria 10. Les cheveux de la déesse sont enroulés autour d'une couronne radiée d'or ou entrelacés d'une couronne en guirlande, dans laquelle on a voulu reconnaître des fleurs de grenadier 20. La tête trouvée dans les thermes de Tarracina Fig. 2952. Fer ma. porte également des traces d'une coif fure circulaire qui a fait songer au bonnet de la Liberté, analogue à celui des bustes de la République". Si cette tête représente Feronia, ce qu'il est impossible d'affirmer, une couronne de fleurs (àvOy opdg, e1, czé?xvos) est plus probable. D'une façon générale, Feronia est une des nombreuses personnifications féminines où se confond l'idée des fleurs printanières avec celles de la beauté et de la fécondité 22. J. A. IIILD.