Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FETIALES

FETIALES, JUS FETIALE. On trouve la religion assise au berceau de toutes les sociétés, de toutes les civilisations naissantes. Elle est le lien de la cité; elle préside à sa vie intérieure et la moralise ; elle domine ses institutions politiques; mais elle ne joue pas un rôle moins important dans ses relations avec le dehors'. Les dieux épousent les querelles et les passions des hommes; ils combattent à leurs côtés; ils se portent garants de la justice de leur cause; et leur intervention, qui légitime le recours aux armes, peut seule assurer aux traités de paix ou d'alliance l'inviolabilité e t la durée qui leur sont nécessaires. C'est à cette inspiration si haute que la Rome ancienne a dû son collège des Fétiaux2, ce tribunal respecté, dont la mission consistait, selon Varron, à faire régner la loyauté dans les rapports internationaux', et dont l'impartialité et la fière indépendance arrachaient à Bossuet un cri d'admiration 4. L'étymologie du mot Fetialis est assez obscure. Festus (s. v. Fetiales) le fait dériver du verbe ferire (ferire foedus, conclure un traité) ; de ce mot on aurait fait Feriales, d'où Fetiales : « Fetiales a feriendo dicti; apud hos enim belli pacisque faciendae jus est. » Varron tire le mot le/ides de fades, « quia fidei publicae praerant » Quelques-uns le font descendre de fatu (du verbe far', parler), t'as, fateri, ou du mot osque fatium °. D'autres le rattachent à foedus (anciennement fedus ou fidus7), en changeant le d en t8; d'autres enfin font dériver le mot Fetialis de facere, feci, parce que les Fétiaux faisaient (faciebant) la paix et la guerre. Nous inclinons à penser que les Fétiaux doivent leur nom (Fetiales, feriales) au culte de Jupiter Feretrius, dieu de la paix et des traités, dont ils empruntaient les symboles et dont ils associaient le nom à leurs cérémonies religieuses°. Les Fétiaux étaient, chez les premiers Romains, des magistrats revêtus d'un caractère religieux et chargés de représenter le peuple dans tous les actes de sa vie publique internationale. Fetiales apud veteres Romanos Brant qui sancto legatoruin off/rio ab bis, qui adversunz populum Romanum vi aut rapinis aut injuriis hostili mente commoverant, pignora facto foedere jure repetebant : nec bella indicebantur, quae /amen pia vocabant, priusquam id fuisset Fetialibus denuntiatuni10. A quel moment les Fétiaux apparaissent-ils pour la première fois dans l'histoire romaine? Est-ce à Numa FET 1096 -FET Pompilius, comme l'ont soutenu Denys d'Halicarnasse' et Plutarque 2, est-ce à Tullus Hostilius, comme Cicéron semble le croire°, n'est-ce pas plutôt à Ancus Martius, ainsi que le veulent Tite-Live° et Servius5, que revient l'honneur de les avoir introduits à Rome? Peut-être y ont-ils contribué fous trois; mais ce qui ne peut être contesté, c'est que l'idée première dont les Fétiaux procèdent ne leur appartient pas. Les rois de la Rome primitive se sont bornés à emprunter aux cités voisines une institution depuis longtemps florissante dans le reste de l'Italie. Il n'est pas impossible qu'elle y ait été apportée par les conquérants pélasges 8; dans tous les cas on rencontre à une époque moins fabuleuse, chez les Albains7, chez les Ardéates8, chez les Latins°, chez les Sabinst0, chez les Samnites11, chez les Équicolesi2 et chez les Falisques, une magistrature tout à fait analogue à celle des Fétiaux; Valère Maxime attribue la création du droit fétial et des Fétiaux à l'lquicole Fertor Resius13, et son témoignage se trouve confirmé par celui d'Aurélius Victor 1k, ainsi que par une inscription découverte en 1862 près de l'Arc de Titus à Rome 15. Par leur caractère et par leurs attributions, les Fétiaux participaient à la fois du sacerdoce et de la magistrature; leurs fonctions étaient en même temps religieuses, politiques et judiciaires, ainsi d'ailleurs que presque toutes les fonctions publiques romaines; toutefois leur mission était plutôt politique que sacerdotale; ils étaient des magistrats, des juges du droit publies plutôt que des pontifes"; avant tout ils étaient chargés de veiller au respect des traités et à l'observation des règles da droit international, et ce n'est que par voie de conséquence qu'ils devaient accomplir les pratiques religieuses que la superstition romaine y avait attachées. Les Fétiaux formaient un collège (collegium Fetia lium i8 ; aurri)(i.« 'rwv I1r'rtnX(n v 19), composé de vingt mem bres20 ; il y en avait un de chaque curie pour les deux tribus primitives, celle des Ramn es et celle des Titi enses ; ils étaient choisis parmi les personnages les plus considérables de la république 22 et dans les meilleures familles Aussi longtemps que le droit de cité ne fut reconnu dans toute sa plénitude qu'aux seuls patriciens, il fallut sans doute justifier de cette qualité pour être admis à faire partie du collège des Fétiauxt4. M. Mommsen croit que les plébéiens y entrèrent à leur tour, lorsque l'égalité civile eut triomphé des préjugés aristocratiques25; mais l'opinion de l'illustre historien nous paraît des plus contestables. Lesplébéiens avaient été admis successivement au consulat, à la préture et aux autres charges curules : le plébiciste Ovinien leur avait ouvert le Sénat ; la loi Ogulnia leur avait fait une place dans le collège des Pontifes et dans celui des Augures ; mais nous ne trouvons aucun texte qui leur ait donné accès au collège des Fétiaux, et nous avons le droit d'en conclure que, comme les namines, comme les Saliens, comme les Vestales, comme les Frères Arvales et le Rex sacrorum, les Fétiaux continuèrent à être pris exclusivement dans la caste patricienne; et telle est en effet l'hypothèse la plus vraisemblable, si l'on songe que, au moment de l'établissement de l'égalité civile à Rome, les Fétiaux avaient déjà beaucoup perdu de leur crédit et de leur autorité; il est permis de croire que les plébéiens, n'attachant pas à leur titre et à leurs fonctions une grande importance politique, négligèrent d'en faire l'objet de leurs revendications" Le collège des Fétiaux se recrutait, selon toute apparence, par voie de cooptation " ; les traditions et les rites dont il était le gardien, les règles et les formules du droit international dont le secret lui était confié, défendaient son seuil aux profanes, et la cooptation seule pouvait en assurer la transmission régulière 28. Il est probable que, même sous l'empire, le collège des Fétiaux conserva le droit de nommer ses membres ; mais ce droit de cooptation fut sans doute, comme tous les droits, comme toutes les libertés des citoyens, soumis au bon plaisir de César2". A la tête du collège paraît avoir été placé un personnage portant le titre de magister Fetialiunl, et dont le mandat, ayant un caractère permanent, n'avait rien de commun avec celui, tout temporaire, que remplissait le pater patratus, dont il sera parlé ci-dessous" FET 1097 FET Les fonctions des Fétiaux étaient viagères 1. Sur le territoire de la République, ils jouissaient de toutes les prérogatives et de tous les honneurs attachés au sacerdoce. Comme tous les prêtres romains, ils échappaient au service militaire2; ils étaient exempts du tributurn et des charges civiques' ; ils occupaient des sièges réservés dans les jeux publics'; enfin ils étaient inviolables, et toute atteinte portée à cette inviolabilité par un étranger était un cas de guerre. Tite-Live rapporte que Postumius, le vaincu des Fourches-Caudines, ayant été livré parle Sénat au peuple samnite, frappa avec violence le genou du Fétial romain qui l'avait livré, en s'écriant : « Je suis Samnite maintenant; j'ai violé le droit des gens en frappant un ambassadeur. Les Romains ont à présent un juste motif de guerre 5. » Iln'existait aucune incompatibilité entre les fonctions des Fétiaux et les magistratures purement civiles d'une part°, les différents collèges sacerdotaux de l'autre 7. Lés Fétiaux, comme tous ceux qui accomplissaient un rite, chez les Romains, ne pouvaient être vêtus que de laine ; ils se voilaient la tête pour sacrifier : tels on les voit (fig. 2973) sur un aureus d'Antistius Reginus où est rappelée l'antique alliance de Rome avec Gabies. Alors même qu'ils n'étaient pas voilés, ils avaient pour insigne le symbole ordinaire de la consécration, la bandelette de laine 10. Ceux qui étaient délégués par le peuple romain recevaient une touffe d'herbe [VERBENA], arrachée avec sa terre et ses racines au sol du Capitole ", qui était placée sur la tête du Fétial et était pour lui l'image de la patrie absente'". Cette herbe sainte lui était remise, au moment du départ, par le premier magistrat de la cité, roi, consul ou préteur", et il semble qu'elle ait été le signe et la marque extérieure de son inviolabilité 1'. Les Fétiaux envoyés en mission avaient à leur tête l'un d'entre eux qui prenait le titre de pater patratus populi romani. Ce pater patratus se retrouve, comme les Fétiaux eux-mêmes, chez les autres nations italiques, chez lesAlbainsi°, chez les Samnites, chez les Laurentins 1f, et son nom s'est conservé à Rome assez longtemps après l'établissement de l'empire. Élu par ses collègues ii suivant le rite consacré 18, le pater patratus était chargé de les représenter, de parler en leur nom, d'exposer les griefs et les réclamations •du peuple romain; il avait pleins pouvoirs pour la conclusion des traités. On a prétendu que le pater patratus devait son nom à cette circonstance qu'il ne pouvait être choisi que parmi les Fétiaux ayant des enfants (pater), et dont les pères mêmes étaient encore vivants (patratus)19; mais cette étymologie nous inspire des doutes. Le pater patratus représentait au dehors le peuple romain; ses fonctions, consacrées par la religion, inspiraient à tous la vénération la plus profonde. On s'explique dès lors fort bien que cette vénération se soit traduite par, l'appellation de pater, que portaient déjà les membres du Sénat. Au fond, il existe une analogie très réelle entre les pouvoirs que le droit civil reconnaissait au pater familias sur la personne de ses liberi in potestate, et ceux que le droit fétial attribuait, en certains cas, au pater patratus sur la personne des citoyens romains; et cette analogie, signalée à diverses reprises par Cicéron20, se manifeste notamment dans les formalités de la deditio romaine, rapprochées de celles de l'abandon noxal. Quant au qualificatif patratus, qu'on avait ajouté au mot pater pour désigner le chef de la mission fétiale, il est permis d'y voir un synonyme de sanctus 21, ou peut-être encore une allusion au serment qu'il devait prêter : Pater patratus dicebatur, quia jusjurandum pro toto populo patrabat, sire praestabat22 Les Fétiaux étaient les gardiens et les interprètes du droit fétial (jus fetiale). Étudier leurs attributions, c'est donc étudier ce droit lui-même, tout au moins dans celles de ses prescriptions qui sont parvenues jusqu'à nous, et qui constituent, en dépit d'inévitables imperfections, un essai déjà complet de réglementation internationale. Les attributions des Fétiaux étaient diverses; elles étaient relatives : 10 aux immunités dont jouissaient à Rome les ambassadeurs étrangers; 2° à l'extradition; 3°à la déclaration de guerre; 4° à la conclusion des traités. 1° Immunités des ambassadeurs étrangers. Par une réciprocité, difficile à expliquer pour ceux qui nient l'existence d'un véritable droit des gens à home, le peuple romain reconnaissait aux ambassadeurs des cités étrangères les mêmes prérogatives et les mêmes immunités qu'il réclamait pour ses propres envoyés 23. Toute atteinte à l'inviolabilité d'un ambassadeur étranger faisait l'objet d'une répression sévère. Tantôt on remettait le coupable à la discrétion du peuple outragé n, tantôt c'est à Rome même qu'il recevait son châtiment, et ce châtiment était la déportation25 ou la mort2°. C'est devant le tribunal des Fétiaux qu'étaient portées les plaintes des ambassadeurs étrangers 27; c'est ce tribunal qui décidait s'il y avait lieu de livrer le coupable à la nation de l'offensé; enfin ce sont les F'étiaux eux-mêmes, nous allons le voir, qui opéraient cette remise2S. 2° Extradition. Une vieille tradition italique voulait que tout individu coupable d'une offense envers un allié flet jugé dans le pays de ce dernier. Un citoyen romain avait-il fait tort au sujet d'une cité liée à Rome par un FET 1098 FET traité, ou inversement un pérégrin allié avait-il commis quelque offense contre un citoyen romain, il fallait, pour que justice fût faite, que l'offenseur fût remis aux juges nationaux de l'offensé; il y avait là une véritable extradition. C'est dans cette extradition que nous retrouvons les Fétiaux. Leur fonction était double, car elle consistait d'une part à réclamer aux cités étrangères ceux de leurs sujets dont Rome croyait avoir à se plaindre, de l'autre à leur remettre tout citoyen romain coupable d'entreprises criminelles contre un étranger. Lorsqu'un citoyen romain avait été offensé ou lésé par un pérégrin, dont la cité était liée à Rome par un traité, il s'adressait au collège des Fétiaux et soumettait sa plainte à leur appréciation : cette plainte paraissait-elle suffisamment justifiée, une députation des Fétiaux allait demander l'extradition du coupable. Il semble que le Sénat n'intervenait ni directement ni indirectement à cette procédure; que ce n'est pas lui, mais bien la partie offensée elle-même, qui saisissait les Fétiaux de ses griefs. Lorsque la nation à laquelle appartenait le coupable avait fait droit aux réclamations des Fétiaux et consenti à la remise, l'offenseur était amené à Rome et il y était jugé par le tribunal des récupérateurs, judicium recuperatorium [RECUPERATORES], juridiction internatio nale établie par les traités pour connaître des contestations entre sujets étrangers'. En sens inverse, un citoyen romain avait-il commis quelque offense contre un pérégrin appartenant à une cité alliée, ce dernier saisissait de sa plainte les magistrats qui jouaient dans son pays le même rôle que les Fétiaux à Rome, et ceux-ci, après en avoir vérifié le bien fondé, allaient, comme les Fétiaux, demander l'extradition du coupable. Arrivés à Rome, ils étaient introduits par le consul au sein du Sénat (senatus iis dabatur); ils y exposaient l'objet de leur mission et les griefs de leur compatriote outragée. Après les avoir entendus, le Sénat soumettait à l'appréciation du collège des Fétiaux la question de savoir si le traité avait ou non été violé : c'était là un examen préjudiciel, d'où dépendait l'extradition. La réponse des Fétiaux é tait-elle affirmative, l'extradition du Romain coupable était ordonnée 3. Alors, de même que le pérégrin livré aux Fétiaux était jugé à Rome par le tribunal des récupérateurs, de même le Romain coupable envers un étranger était justiciable d'un tribunal extraordinaire établi par le traité dans le pays de ce dernier, et que les Romains paraissent avoir également appelé par analogie judicium recuperatorium. Mais, dans l'un et l'autre cas, soit qu'un Romain eût été lésé par un pérégrin, soit qu'un pérégrin eût été lésé par un citoyen romain, les Fétiaux devaient donc intervenir, peser les griefs de l'offensé et donner leur avis sur l'extradition. L'examen auquel ils se livraient était des plus consciencieux : ils auraient craint d'exposer, par une extradition précipitée, la vie ou la liberté d'un civis romanus au hasard d'une injustice, ou d'appeler sur leurs têtes, en manquant à la vérité, la colère des dieux : aussi, lorsque les griefs allégués de part ou d'autre avaient quelque importance ou présentaient quelque incertitude, chargeait-on parfois une commission, composée de citoyens romains, d'étudier les circonstances du délit et d'éclairer, par ses avis, le jugement des Fétiauxt. Telle nous paraît avoir été, chez les premiers Romains, la procédure de l'extradition appliquée aux délits commis contre les particuliers : elle marque bien, par la difficulté que les citoyens éprouvaient à obtenir satisfaction d'un étranger, l'imperfection de la justice antique. Plus tard, quand les relations extérieures, devenues plus régulières, eurent perdu quelque chose de la défiance dont elles avaient été d'abord empreintes, les tribunaux de chaque pays réclamèrent le droit de connaître des griefs allégués par des étrangers contre leurs nationaux, et l'on voit ainsi tomber de bonne heure en désuétude ce premier système de droit criminel internationale. Mais ce n'est pas à dire que l'extradition ait entièrement disparu des moeurs romaines. Sans doute, elle cessa de s'appliquer aux délits dont de simples particuliers avaient été victimes; mais elle continua à frapper les crimes et les offenses présentant un caractère public. Un traité avait-il été violé', un ambassadeur étranger avait-il été maltraité ou outragé par un citoyen`, un ambassadeur romain, oublieux de son caractère diplomatique, avait-il commis quelque offense envers une cité étrangère 8, un général avait-il conclu avec l'ennemi un traité déshonorant ou contraire aux intérêts du peuple romains, dans tous ces cas les Fétiaux livraient, sur l'avis du Sénat, les coupables à la nation étrangère qui disposait, à son gré, de leur liberté et de leur vie. Les solennités et les formules de la deditio romaine nous ont été conservées par Tite-Live, à propos de la remise du consul Postumius aux Samnites : voici le tableau que l'historien latin en a tracé : « Praegressi Fe tiales, ubi ad portam venere, vestem detrahi pacis sponsoribus jubent, manus post tergum vinciri. Cum apparitor, verecundia majestatis, Postumium laxius vinciret : Quin tu, inquit, adducis lorum, ut justa fat deditio? Tum ubi in coetum Samnitium et ad tribunal ventum Pontii est, Cornelius Arviva Fetialis ita verba fecit: Quandoquidem Nice homines injussu populi romani Quiritium foedus ictum iri spoponderunt, atque ob eam rem noxam nocuerunt, quod populus romanus scelere impio sit solutus, buste homines vobis dedo'o » 3^ Déclaration de guerre. C'était une des règles les plus religieusement observées du vieux droit fétial, que les Romains ne devaient entreprendre aucune guerre injuste (bellum nullum nisi justum); mais on n'est pas d'accord sur la portée de cette prescription. M. Laurent estime que le mot justum, pris dans un sens strictement juridique, indiquait seulement que les rites et les formalités dont la déclaration de guerre devait être précédée ou accompagnée avaient été accomplis. « C'était un terme technique pour désigner les actes dans lesquels toutes les formalités prescrites par les lois civiles ou religieuses avaient été observées : en ce sens, ces actes étaient conformes au droit, à la loi; juste est donc synonyme de légal, légitime. Une guerre est juste, quand les cérémonies religieuses ont été exactement pratiquées par les Fétiaux : la guerre serait-elle la plus inique du monde, FET -1099 FE T si le Fétial a prononcé la formule consacrée, elle est justes; » et l'illustre publiciste belge autorise son opinion du texte bien connu de Cicéron : « Neque ullum bellum justum esse existimarunt (Romani), nisi quod aut rebus repetitis gereretur, aut denuntiatum ante esset et indictum 2. » L'observation de M. Laurent est con firmée par le langage courant des jurisconsultes ro mains (justae nuptiae, justa causa tradendi, justa causa, justus titulus, dans l'usucapion); mais il n'est pas permis d'en conclure, croyons-nous, que les Romains se soient affranchis, dans leurs entreprises belliqueuses, de tout scrupule d'équité. Pour être juste (justum) au sens formaliste du mot, la déclaration de guerre devait avoir été précédée des solennités d'usage; mais, parmi ces solennités figure précisément l'examen par le collège des Fétiaux des griefs allégués par le peuple romain : « Belli oratores Fetiales judicesque sunto 3. » Les Fétiaux apportaient dans cet examen une grande indépendance ; ils appréciaient les motifs de la guerre projetée; s'ils la jugeaient inique ou inopportune, les Romains devaient y renoncer 4. Le caractère d'équité qui inspirait les décisions du collège des Fétiaux ressort de textes nombreux; c'est ainsi que Varron nous apprend que les Romains « bella et tarde et nulla licen cia suscipiebant, quod bellum nullum nisi pium putabant geri oportere5 »; presque partout d'ailleurs on voit les guerres entreprises par le peuple romain qualifiées de pia, et le plus souvent ce mot est joint au mot justa, comme pour affirmer, par une antithèse manifeste, que si les guerres romaines devaient, à l'origine, être conformes au droit formaliste (justa), elles devaient aussi satisfaire à l'équité 6. Lorsque le tribunal des Fétiaux s'était convaincu, par un examen sévère, de la légitimité des griefs invoqués par le peuple romain, quelques-uns de ses membres, presque toujours au nombre de quatre', et ayant à leur tête un pater patratus, allaient demander satisfaction à la nation qui avait commis l'offense : « Priusquam in dicere bellum üs a quibus injurias fartas sciebant, Fetiales legatos res repetitum (Romani) mittebant quatuor 8. » La satisfaction réclamée consistait ordinairement soit dans la restitution des objets enlevés au peuple romain ou à ses alliés, soit dans la remise des auteurs de l'offense à la discrétion du peuple outragé. Le terme sacramentel dont se servaient les Romains pour désigner cette satisfaction était rerum repetitie 9 ; mais ce n'est pas à dire qu'elle eût toujours pour objet une restitution matérielle ; le passage suivant de Servius fait très bien comprendre son caractère : « Veleres res rapere dicebant, etiam si rapinae nullum crimen existeret : similiter satis facere res reddere dicebant 19 » ; et d'ailleurs, Tite-Live IV mentionne une hypothèse où la rerum repetitio consistait à demander l'évacuation d'un pays ami par les Samnites et le rappel de leurs troupes de Lucanie ii Arrivé à la frontière de la cité dont Rome avait à se plaindre, le pater patratus prenait la parole et, à haute et intelligible voix (clara voce)i2, il exposait les griefs du peuple romain; il prenait les dieux à témoin dé sa loyauté, en ces termes : « Entends-moi, Jupiter; entendez-moi, dieux des limites. Et toi, oracle sacré du droit (Tas), écoute. Je suis le messager du peuple romain; je viens en toute justice, et mes paroles méritent toute confiance. » Il énumérait ensuite les satisfactions exigées par le peuple romain, et terminait son discours par ces mots qui formulaient contre lui-même une terrible imprécation : « Grand Jupiter, si c'est contre la justice et l'équité (injuste impieque) que je viens demander la remise de ces personnes et de ces choses (illos homines illasque res dedier), ne permets pas que je revoie jamais ma patrie 13 1 » Le pater patratus répétait cette formule solennelle en franchissant la frontière; il la répétait à la première personne qu'il rencontrait sur sa route; il la répétait, sauf quelques changements sans importance, à l'entrée de la ville ennemie et sur la place publique. Puis les Fétiaux revenaient à Rome et ils y attendaient pendant trente-trois jours l'issue de leur démarche ib. Si, à l'expiration de ce délai, satisfaction n'était pas donnée au peuple romain, le pater patratus retournait sur le sol étranger et s'exprimait ainsi : « Écoute, Jupiter, et toi, Junon; écoute, Quirinus; écoutez, dieux du ciel, de la terre et des enfers. Je vous prends à témoin que ce peuple oppose un refus à nos justes réclamations. Nous aviserons dans notre pays aux moyens d'obtenir justices. » Après cette déclaration, les Fétiaux reprenaient le chemin de Rome; ils se rendaient au Sénat; ils faisaient connaître le résultat de leur mission; ils affirmaient avoir scrupuleusement accompli tous les rites et prononcé toutes les formules prescrites par le droit fétial; ils concluaient que la guerre pouvait être légitimement entreprise, si le Sénat et le peuple la jugeaient opportune. Le Sénat et le peuple donnaient-ils leur assentiment à la guerre1°, les Fétiaux retournaient une dernière fois sur la frontière ennemie. Là, le pater patratus, revêtu de ses insignes sacerdotaux et la tête voilée, prononçait, en présence d'au moins trois témoins pubères, ce défi solennel : « Puisque cette nation a outragé le peuple romain, le peuple romain et moi, du consentement du Sénat, lui déclarons la guerre17 »; et, en disant ces mots, il lançait, sur le sol ennemi, en signe d'hostilité, un javelot garni de fer ou brûlé par le bout et ensanglanté (hasta (errata aut sanguines praeusta)18. 139 FET 1100 FET On avait discuté, semble-t-il, le point de savoir si la déclaration de guerre était valable, lorsque le défi n'avait pas été porté jusqu'au coeur même de la nation ennemie et jusqu'au roi auquel il s'adressait; mais les Fétiaux, consultés à ce sujet lors de la guerre de Macédoine, avaient jugé suffisante une déclaration prononcée suivant les formes solennelles devant le poste militaire le plus voisin de la frontière'; et plus tard, lors de la guerre contre Antiochus, ils avaient émis un avis semblable2. Toutes les formalités, auxquelles le droit fétial subordonnait la déclaration de guerre, devaient être accomplies avec un soin religieux; mais certaines circonstances permettaient au peuple romain de s'en affranchir. Ainsi l'aggression violente d'une nation étrangère rendait inutile l'emploi des formes ordinaires de défia ; et dans tous les cas ces formes n'étaient exigées que lorsque les Romains se trouvaient en présence d'un peuple libre b. Enfin il n'était pas besoin de déclaration de guerre préalable, lorsque deux factions politiques en venaient aux mains; dans une guerre civile, il n'y a pas d'ennemis proprement dits (postes)°. Tite-Live rapporte un incident d'où il semble résulter qu'à l'époque de la seconde guerre punique (218 av. J.-C.), les antiques solennités de la déclaration de guerre étaient déjà tombées en désuétude. Envoyé de Rome pour demander réparation au Sénat de Carthage, P. Fabius releva, dit-on, en présence de cette assemblée, un pan de sa toge : « Dans ce pli, dit-il, je vous apporte la paix ou la guerre. Choisissez. Choisissez vousmême, lui répondit-on. Eh bien, c'est la guerre. Et il laissa retomber sa toge, comme s'il secouait sur Carthage la mort et la destruction 9. » Il est permis de conclure de cette narration que de bonne heure l'accomplissement des formalités prescrites par le vieux droit fétial romain était devenu difficile, à cause de l'éloignement des frontières de l'empire et du théâtre de ses opérations militaires. La distance rendait presque impraticable l'envoi des Fétiaux au dehors; et cependant, tel était encore le formalisme des Romains qu'ils auraient cru commettre une action sacrilège en faisant la guerre sans l'avoir déclarée selon le rite consacré. Pour donner satisfaction à ce scrupule religieux, on eut recours à un stratagème qui montre bien que les règles si équitables du droit fétial avaient dégénéré en formalités vides de sens. Le peuple romain obligea un soldat transfuge de l'armée de Pyrrhus à acheter un terrain dans la cité, et sur ce terrain, devenu sol ennemi, les Fétiaux accomplirent dès lors les cérémonies de la déclaration de guerre, en lançant un javelot contre une colonne (colamena)placée devant le temple de Bellone7, et cette formalité puérile, destinée à satisfaire les vieilles traditions romaines, à rassurer la superstition des masses, parait avoir été observée jusqu'à une époque avancée de l'empire 3. 4° Conclusion des traités. La religion intervenait dans les traités (foedera)9 conclus par les Romains, comme elle présidait à leurs levées de boucliers; les Fétiaux y jouaient un rôle important. C'est à Rome que devaient être accomplies les cérémonies de la conclusion du traité, lorsque la nation étrangère y était représentée par des envoyés 10. Aucun ambassadeur de ladite nation n'était-il présent à Rome, le Sénat envoyait au dehors des Fétiaux, au nombre des deux au moins, chargés de parler en son nom". L'un d'eux jouait le rôle de pater patratus, l'autre, appelé pour cette raison verbenarius12, portait la touffe d'herbe sacrée. Avant de quitter Rome, les Fétiaux demandaient au premier magistrat de la cité l'herbe sainte qui devait symboliser pour eux la terre natale 13 ; ils emportaient aussi les vases sacrés, le sceptre de Jupiter Feretriusi1 et un caillou de silex enlevé de son temple ; ce caillou, destiné à frapper la victime, était l'emblème de la foudre que les anciens mettaient dans la main du père des dieux (Jupiter Lapis)". Le traité intervenait entre le pater patratus et les représentants du peuple étranger, ses Fétiaux, s'il en avait36, et Plutarque nous apprend que de son temps aucun traité ne pouvait être conclu après l'heure de midi". Le pater patratus donnait lecture des dispositions du traité, puis il prononçait cette formule (Fetialium praefatio)18, dont les termes sacramentels nous ont été conservés par Tite-Live : « Écoute, Jupiter, écoute, pater patratus du peuple (albain) ; écoute aussi, peuple (albain), Les Romains n'enfreindront jamais les premiers les conditions qui sont écrites sur ces tablettes et dont il vient de vous être donné lecture, de la première à la dernière, sans perfidie ni mensonge. Dès aujourd'hui, elles sont entendues pour tous, et ce n'est pas le peuple romain qui les violera. Mais, s'il arrivait que, par une mauvaise foi sacrilège, il les enfreignît, alors, ô Jupiter, frappe-le comme je vais moi-même frapper cette victime, et frappe-le d'une manière d'autant plus terrible que ta puissance et ta force sont plus grandes i9 I » En disant ces mots, le pater patratus frappait de son caillou consacré la victime, et c'est de cette immolation que Festus fait dériver l'expression ferire foedus20. La victime FET offerte aux dieux à l'occasion de la conclusion d'un traité était ordinairement un porc. « C'est par les porcs, dit Varron, que paraît avoir commencé l'usage d'immoler des bestiaux; les traces de cet usage remontent jusqu'aux mystères de Cérès, où l'on tuait des porcs, aux cérémonies des traités de paix, aux mariages des anciens rois et des grands de l'Étrurie ; dans toutes ces circonstances, on immolait un porc'. » Le sacrifice terminé, les généraux et les magistrats politiques euxmêmes juraient, sur le sceptre de Jupiter, d'observer religieusement les conditions du traité qui venait d'être arrêtée; puis les Fétiaux qui avaient présidé à sa conclusion le signaient de leurs noms 3 et en rapportaient le texte à Rome; là, le collège des Fétiaux tout entier prenait l'engagement solennel de veiller à son observation et de réprimer toute infraction'. Les dispositions du traité étaient ensuite gravées sur une table d'airain, qui demeurait déposée au Capitole', dans l'aedes Fidei populi romani'. Telles étaient, d'après Tite-Live, les formalités qui accompagnaient, sous la république romaine, la conclusion d'un traité; mais, avec le temps, ce cérémonial paraît s'être légèrement modifié. En effet, Polybe nous retrace les formes d'un traité conclu entre Rome et Carthage et ces formes s'éloignent sensiblement de celles qui sont relatées par Tite-Live : « Le Fétial prend une pierre en sa main, et, après avoir juré au nom du peuple que les conventions seront fidèlement observées, il ajoute : Si je dis vrai, qu'il m'arrive bonheur ; si je pense autrement que je ne parle, que tous les autres gardent tranquillement, dans leur patrie et sous leurs lois, leurs biens, leurs pénates et leurs tombeaux ; que, moi seul, je sois rejeté, comme je rejette cette pierre. En prononçant ces derniers mots, il lance la pierre au loin 7. » Le droit fétial et les Fétiaux devaient, comme toutes les institutions antiques, comme les institutions religieuses surtout, subir l'action du temps, qui transforme et renouvelle toutes choses. Autant le peuple romain paraît avoir montré de justice formaliste et de modération dans ses rapports avec les autres cités, pendant les premiers siècles de son existence, autant Rome, devenue la maîtresse du monde, écrasa sous le poids de son despotisme et de son intolérance les peuples qu'elle avait vaincus. Et cependant, tel était l'attachement des Romains pour les traditions de leurs pères que, tout en les raillant, tout en les négligeant, ils n'osaient pas y F1B renoncer ouvertement. Bien longtemps après qu'ils eurent perdu toute leur indépendance et tout leur crédit, on retrouve à Rome le nom des Fétiaux. Une inscription contemporaine de l'empereur Claude fait mention d'un pater patratus 8, et jusqu'au milieu du Ive siècle de notre ère, les textes attestent l'existence du collège des Fétiaux9. Les Fétiaux de l'époque impériale n'intervenaient dans les relations internationales que pour donner satisfaction aux préjugés antiques, et ils étaient loin de pratiquer la justice et la loyauté qui avaient fait l'honneur de leurs devanciers. D'ailleurs, c'était souvent l'empereur lui-même qui accomplissait les rites du droit fétial et en prononçait les formules. Suétone nous montre l'empereur Claude présidant, comme Fétial, à la conclusion d'un traité 10. Et depuis longtemps, la déclaration de guerre n'était plus qu'une parodie de l'ancienne belli indictio 11 Les Fétiaux n'existaient donc plus que de nom sous les empereurs : déjà Varron semble nous dire que, de son temps, c'est-à-dire dès avant l'ère chrétienne, l'usage de déclarer la guerre par les Fétiaux s'était perdu : « Nain per hos fiebat ut justum conciperetur bellum; et