Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FICTIO

FICTIO. En droit romain, les jurisconsultes, le préteur et parfois la loi elle-même supposaient un fait accompli, pour y attacher les mêmes conséquences juridiques, que s'il avait eu lieu en réalité. La rigueur et le caractère strict du droit primitif donnèrent lieu d'imaginer les premières fictions, afin d'étendre ou de corriger les dispositions du jus civile 1. Certains actes symboliques n'étaient eux-mêmes que la représentation d'un acte réel : ainsi la MANCIPATIO n'était que l'image d'une vente avec pesée fictive de l'argent 2; la cESSIO IN JURE consistait dans une revendication fictive 3. Les jurisconsultes, au cas où un citoyen fait prisonnier dans une guerre régulière rentrait dans l'État romain pour ne plus en sortir, supposèrent qu'il n'avait pas perdu la liberté et la cité romaine ; ce fut l'objet de la fiction du P0STLIMINIUM 4 ; la loi Cornelia, en 673 de Rome (81 av. J.-C ), en protégeant le testament d'un citoyen romain mortprisonnier chez l'ennemi, donna lieu d'en conclure qu'il était décédé au moment de sa capture et par conséquent integri status6. Les jurisconsultes, pour permettre d'instituer ou d'exhéréder les héritiers nés ou seulement conçus [HERES], admirent que l'enfant conçu serait réputé né toutes les fois qu'il s'agirait de ses intérêts 6, et validèrent l'institution quoique incertus personae des posthumes siens, c'est-à-dire de ceux qui, en les supposant nés, auraient été heredes sui du testateur. Le préteur autorisa même l'institution des posthumes externes'', ce qui fut confirmé par Justinien. C'est surtout en matière de procédure que le droit romain multiplia les fictions, pour créer ou restreindre un droit, soit au moyen d'actions, ou d'exceptions [ACTIO, ExcEPTIO]. Ainsi, pour passer du système de procédure des actions de la loi [LEGIS ACTIO] au système formulaire, on admit des formules qui se rattachaient par une fiction à une action de la loi' que l'on supposait accomplie. Le droit prétorien a imaginé aussi de nombreuses actions fictives, fictitiae actiones : ainsi l'action fictive concédée au bonorum possessor ou successeur prétorien 9; l'action Serviana, accordée au bonorum emtor, auquel il feint la qualité d'héritier 10 ; l'action publicienne (publiciana actio), qui suppose l'usucapion accomplie au profit de l'ancien possesseur 11; diverses actions comme l'actio furti [FURTUM] ou celle de la loi Aquilin, étendues à un pérégrin au moyen d'une fiction de la cité romaine 12 [PEREGRINUS] ; une action utile qui suppose non avenue une minima•capitis diminutio, en cas do coemtio ou d'adrogatio 13. Dans le cas de l'action paulienne rescisoire (pauliana actio), le préteur suppose qu'un acte fait par un débiteur en fraude des droits de ses créanciers n'a pas eu lieur. Enfin l'édit admit aussi dans deux cas une action réelle fondée sur une fiction qui rescinde l'usucapion 15. Quelquefois c'est une exception qui est offerte au possesseur pour paralyser la revendication dirigée contre lui 1G ; parfois le préteur rescinde l'exception justi dominii", que voudrait invoquer le défendeur à l'action publicienne. Tout condamné à la peine de mort ou des mines (in metallum damnatio) à perpétuité, était réputé, à partir de la sentence, servus poenae, c'est-à-dire esclave sans autre maître que le supplice auquel il était destinée'. Mais Justinien a supprimé plus tard la servitude de la peine (servitus poenae)19. Enfin le condamné à une peine qui, comme la déportation [EXSILIUni], entraînait la perte du droit de cité romaine, éprouvait une media capitis diminutio, une moyenne déchéance d'état 20, et, au point de vue du droit civil, était, en général et sauf exceptions, assimilé à un mort. Par un autre genre de fictions, les jurisconsultes romains ou les lois assimilaient à des personnes des êtres moraux ou de pure création juridique, comme le peuple romain, populus romanus, une cité, populus, res publica, civitas 2,, le Trésor public [AERARIUM], le fisc [Flscus], certaines associations autorisées spécialement à posséder une personnalité juridique, corpus habere 22 TEMPLORUM] les établissements publics, plus tard les églises, les couvents et les fondations pieuses 23. L'hérédité non encore acceptée, haereditas jacens, qui, d'après l'opinion dominante, représentait en général la personne du défunt2i; le pécule ou petit patrimoine, abandonné par le père de famille en administration à un père de famille ou à un esclave [PECULIUM], fut considéré comme un être juridique 26. G. HUMBERT. FID 1113 -FID