Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FIDEICOMMISSUM

FIDEICOMMISSUM

FIDUICOÜMISSUIII. On entendait par fideicommissum (de fdeicommittere 1), une disposition de dernière volonté, non revêtue des formes solennelles des legs ou des institutions d'héritier, par laquelle quelqu'un (fdeicommittens) chargeait une personne (fiduciarius) à laquelle elle faisait une libéralité, de transmettre à un tiers (fideicommissarius) tout ou partie du bénéfice de cette libéralité. Primitivement, et déjà du temps de Cicéron 2, on employa ce moyen détourné pour éluder les lois soit sur la forme des testaments ou des legs, soit sur la capacité du bénéficiaire, ou sur la quotité qu'on aurait pu lui laisser à cause de mort. On violait ainsi les règles relatives aux pérégrins jusqu'à Hadrien, aux proscrits 3 [PROSCnieTlo], aux femmes depuis la loi Voconia 4, aux personnes incertaines (personae incertae) jusqu'au temps d'Hadrien', et depuis les lois Junia 1l'orbon.a et Aelia Sentia, les lois relatives aux Latins Juniens [LIBERTINUS 6], enfin depuis les lois caducaires [CADUCARIAE LEGES], les restrictions du jus capiendi imposées aux coelibes et aux orbi jusqu'au sénatus-consulte Pégasien'. Ainsi les fidéicommis furent imaginés par le sentiment individuel en lutte avec la loi civile, et pour la frauder; aussi étant nuls, d'après ses dispositions, ils reposaient seulement sur la bonne foi du fiduciaire auquel on s'adressait, faute de mieux, en termes précatifs, comme : je prie, je demande, je recommande (fideicommitto, peto, mando, commendo, rogo) 8, quelquefois même plus énergiquement, je veux (vola dari'). Par la même raison, la volonté du disposant pouvait se manifester dans une forme quelconque, par écrit, verbalement, par geste même et par un signe de tête (sala nuta 1D), ou dans une langue quelconque". C'est seulement sous Auguste que les fidéicommis commencèrent à acquérir des effets juridiques et force obligatoire, suivant le récit des Institutes de Justinien. Des fiduciaires avaient indignement violé la foi due au défunt et gardé le bénéfice de la disposition au lieu de le transmettre (reddere i2 ou restituere). Le prince s'en émut, soit à cause du scandale soulevé dans l'opinion publique, soit parce que le fiduciaire avait été prié au nom du salut du prince, per ipsius salutem rogatus, soit par considération pour certaine personne; il interposa son autorité souveraine, gratia personarum motus 13. Ces derniers mots font probablement allusion à l'histoire de L. Lentulus, qui, mourant en Afrique, avait, dans un codicille, confirmé par son testament antérieur, chargé Auguste d'un fidéicommis; celui-ci l'exécuta et la fille de Lentulus acquitta des legs qu'elle ne devait pas légalement. L'empereur, dans deux autres cas, intervint auprès des consuls, et leur ordonna de contraindre le grevé à accomplir le fideicommis. Leur intervention, jugée équitable et secondée par l'opinion publique, prit peu à peu la forme d'une juridiction régulière. C'est du reste à l'occasion du fait de Lentulus que s'introduisit aussi l'usage des codicilles [CODIClLLUS], qu'un conseil de jurisconsultes, où figurait Trebatius, approuva et qui fut consacré même par Labéon". Or les codicilles, quand ils étaient confirmés par testament, pouvaient contenir des legs, et qu'ils fussent confirmés ou non, des fidéicommis, qui auraient pu être faits même par un intestat 15, Ce furent d'abord les consuls, qui, en vertu de l'imperium majus du prince durent agir extraordinairement (cognitio extraordinaria), pour contraindre le fiduciaire à exécuter le fidéicommis. On ne procéda donc pas, en cette matière, par voie d'action proprement dite, et avec renvoi devant un juge JUDEx, mais par voie de persecutio l6, ouverte même à un esclave fidéicommissaire, et, en province, devant le gouverneur [PRAESES], et même à Rome en tout temps, semper, c'est-à-dire en dehors de la période régulière des judicia, quum res aguntur17. Claude établit deux préteurs pour connaître des fidéicommisi6 : l'un de ces magistrats fut supprimé par l'empereur Titus"; celui qui restait prit le titre de praetor fideicommissarius ou de fdeicommissis20. Cependant les consuls paraissent avoir conservé cette juridiction pour les fidéicommis d'une valeur importante 2l. Les proconsuls et les praesides continuèrent de connaître de cette matière en province, et même, depuis le sénatus-consulte Articuleianum, rendu en 854 de Rome (101 de J.-C.), encore bien que l'héritier n'y fût pas domicilié 22. Les fidéicommis pouvaient porter soit sur un ou plusieurs objets particuliers23, soit sur la totalité ou une quote-part de l'hérédité 24. Dans ce dernier cas, l'héritier, quoiqu'il eût restitué l'hérédité, conservait toujours, en vertu des principes du droit civil, la qualité indélébile d'héritier 2". Le mot restituere était pris ici dans un sens technique, pour désigner le consentement spécial par lequel le grevé abandonnait au fidéicommissaire les choses qu'il était tenu de céder, en un mot se dessaisissait de son droit héréditaire. Il en résultait qu'avant même la tradition le fidéicommissaire avait in bonis les choses corporelles restituées26. Les créances et FID -4414f FID les dettes de la succession continuaient à reposer sur la tête de l'héritier, mais le fidéicommissaire de tout ou partie de l'hérédité s'engageait à indemniser l'heres des dettes qu'il avait payées, ou à le défendre contre les créanciers, et l'héritier s'engageait de son côté à restituer ce qu'il recevait à titre héréditaire et notamment ce qu'il obtiendrait des débiteurs du défunt. Dans l'origine, l'heres rendait l'hérédité au fidéicommissaire pour un prix fictif, nummo vano'. On recourait ensuite aux stipulations réciproques, dites emtae et venditae hereditatis, usitées en matière de vente de succession. Mais l'héritier ayant à craindre l'insolvabilité du fidéicommissaire, chargé de le garantir des charges héréditaires, refusait parfois de faire adition d'hérédité. Telle fut la cause du sénatus-consulte Trébellien (senatus-consultum Trebellianum), rendu sous Néron, pendant le consulat de Trébellius Maximus et d'Annaeus Senèque, en 815 de Rome (62 de J.-C.2) : il décida que les actions hé réditaires seraient données comme actions utiles au fidéicommissaire et contre lui, en lui supposant la qualité d'héritier. Désormais les actions directae se trouvaient paralysées par l'exception restitulae hereditatis [DXCEPTIO]3. Mais l'héritier restait sans intérêt à accepter la succession. Pour prévenir sa répudiation et la chute du fidéicommis, on modifia le système au cas où les fidéicommis excéderaient les trois quarts de l'hérédité, et, lorsque l'héritier, à tort ou à raison, refuserait une hérédité prétendue onéreuse. Dans le premier cas, pour lui permettre une réduction analogue à celle que la loi Falcidie (lex Falcidia) autorisait l'héritier institué à faire subir aux legs, on assimila le fidéicommissaire d'hérédité à un légataire partiaire ou de partilio (legatarius partiarius) ti. Tel fut l'objet d'un premier chef du sénatusconsulte Pégasien (senatus-consultum Pegasianum), rendu sous Vespasien pendant le consulat de Pusio et du consul Suffetius Pegasus, jurisconsulte proculien, en 828 de Rome (75 de J.-C.), qui décida que le fidéicommissaire serait étranger aux actions héréditaires, et qu'il interviendrait à cette occasion, entre lui et l'héritier, les mêmes stipulations qu'au cas de legs de quotité, pour en répartir la charge ou l'avantage entre eux, stipulationes partis et pro partes. Ce sénatus-consulte s'appliqua seul, lors même que l'héritier ne voudrait pas invoquer la réduction pour obtenir cc qu'on appelle la quarte Pégasienne (Quarta Pegasiana)6. Toutefois, dans ce cas, on revint aux stipulations emtae et venditae hereditatis. Un autre chef du sénatus-consulte, dans le cas où l'héritier s'obstinait à répudier l'hérédité quasi damnosa, autorisait le préteur à le forcer de faire adition jussu praetoris, et pour la restituer7, mais pour le compte et aux risques du fidéicommissaire, et sans pouvoir rien retenir'. Alors le sénatus-consulte Pégasien maintint, après la restitution, les effets du sénatus-consulte Trébellien, c'est-à-dire l'assimilation du fidéicommissaire à un héritiers. II en est de même quand les fidéicommis n'excèdent pas les trois quarts de l'hérédité, et que l'héritier garde sa quarte, en quote-part ou en objets particuliers ; seulement, dans le premier cas, ces actions se divisent proportionnellement entre eux, scinduntur actiones, et, dans le second, l'héritier demeure tel pour le tout et garde les actions in solidumt0. Afin d'éviter le danger d'insolvabilité 11, dans le'cas des stipulations indiquées ci-dessus, Justinien fondit les deux sénatusconsultes en un sénatus-consulte Trébellien renouvelé 12; il assimila toujours le fidéicommissaire à un héritier et supprima les stipulations précédemment usitées. Justinien maintint l'application de la quarte Trébellienne ou Pégasienne, imitée de la quarte Falcidie, au cas où les fidéicommis excédaient les trois quarts de l'hérédité, et permit à l'héritier de la retenir ou de la répéter, s'il avait tout payé par erreur 13. Antonin le Pieux avait étendu cette quarte aux héritiers légitimes, lorsque le défunt capable de tester les avait grevés de fidéicommis ab intestat excessifs ".. Un fidéicommissaire et un légataire pouvaient être eux-mêmes chargés de fidéicommis, même successifs ; mais l'héritier seul avait droit à la quarte, sauf, au cas où il ne retenait rien, au fidéicommissaire à la retenir du chef de l'héritier sur les legs acquittés au nom de celui-ci Ss Peu à peu les règles sur la capacité des fidéicommissaires se rapprochèrent du droit commun, quand les fidéicommis furent devenus obligatoires. Ainsile sénatusconsulte Pégasien étendit les prohibitions des lois ordinaires aux fidéicommissaires orbi ou coelibes'6 ; un sénatus-consulte rendu sous Hadrien, celles relatives aux personnes incertaines, aux peregrini et aux legs poenae nomine 17. Au temps d'Ulpien, en règle générale, la capacité exigée pour les fidéicommis était la même que pour les legs, sauf en ce qui concerne les Latins Juniens16. L'usage des fidéicommis tendit donc à perdre de son importance; il se maintint néanmoins, parce qu'ils n'étaient pas, en la forme, assujettis aux règles rigoureuses des legs. Ainsi un fidéicommis put se faire, dans un codicille même non confirmé '9, même verbalement et solo nutu20; on pouvait aussi laisser à terme un fidéicommis d'hérédité21. En outre, jamais un fidéicommis ne procurait directement la propriété au bénéficiaire, mais seulement une créance contre le grevé 42, sanctionnée par une persecutio extraordinaria. On pourrait noter d'autres différences assez nombreuses, pour lesquelles on se borne à renvoyer aux interprètes 23. 11 y avait d'ailleurs des règles communes résultant de ce que le fidéicommis étant une libéralité comme le legs ne pouvait aboutir directement à appauvrir le bénéficiaire", qui ne doit les charges que dans la mesure de l'actif, intra vires patrimonii 25 ; enfin il était inefficace et révocable pendant la vie du disposant. Bien plus, Constantin ayant admis des équivalents pour 1 es formules des legs 26, F'ID -111 5 -FID il devint difficile de distinguer les legs, surtout les legs per damnationem, des fidéicommis, pour lesquels, cependant, les fruits et les intérèts étaient dus à partir de la mise en demeure', dont la dénégation {in ficiatio) n'entraînait pas condamnation au doublet et dont le payement indic, fait par erreur, autorisa la répétition 3. Aussi Justinien fut amené à assimiler les legs aux fidéicommis, en décidant que toute disposition,de dernière volonté vaudrait, quel que fût le nom donné à l'acte. Il permit, du reste, de faire le fidéicommis verbalement ou par écrit, et en présence de cinq témoins, mais pour la preuve seulement' ; car le fidéicommissaire est autorisé à déférer le serment au grevé sur l'existence du fidéicommis, sauf à celui-ci à exiger le serment préalable de calumnia. On a vu que les fidéicommis particuliers pouvaient porter sur toute espèce d'objets comme le legs per damnationem 6, et même sur des choses qui ne seraient pas dans le commerce à l'égard du fidéicommisaire qui, dans ce cas, recevait l'estimation 7. Souvent le disposant chargeait le grevé de donner la liberté à un esclave', qui devenait, après la manumission, affranchi du grevé, à la différence de l'esclave affranchi directement par le défunt et qui devenait libertus orcinus°. Sur la libertas fideicommissaria, il était intervenu plusieurs sénatus-consultes. Ainsi le sénatus-consulte Rubrianum, en 854 de Rome (101 de J.-C. 10), qui, au cas où le grevé se refusait à comparaître, permettait au préteur, en connaissance de cause, de statuer que la liberté était due à l'esclave, qui était réputé directement affranchi, ou affranchi du grevé, d'après le sénatus-consulte Dasumanium, si le grevé avait eu une juste cause d'absence 11. Le sénatus-consulte Articulianum étendit les deux précédents aux provinces 12 : enfin, sous Hadrien 13 ou sous Antonin le Pieux, le sénatus-consulte Vitrasianum permit l'accomplissement par le préteur de l'affranchissement fidéicommissaire, lorsque le grevé ou l'un des grevés était in fans14. Il y eut plusieurs autres rescrits d'Antonin et de Marc-Aurèle relatifs aux fideicommissariae libertates i0; enfin, en 935 de Rome, ou 182 de JésusChrist, le sénatus-consulte Juncianum étendit les règles des sénatus-consultes précédents aux esclaves qui n'avaient pas appartenu au testateur au moment de sa