Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FISCUS

FISCUS. I. Ce nom, comme ses dérivés FISCINA et FISCELLA 1, a été appliqué à toutes sortes d'ouvrages d'osier, de jonc, de genêt' pouvant servir de récipient; mais on ne doit pas attacher à ce nom l'idée d'une forme rigoureusement déterminée. Des textes prouvent que les olives et d'autres fruits étaient placées dans des fisci sous le pressoir 3 ; il s'agit, dans ce cas, de corbeilles larges et basses comme celle que l'on voit, servant à cet usage, dans la mosaïque de Saint-Romain en Gal, nouvellement entrée au Louvre 4. D'autre part, le nom de fiscus, et aussi ceux de fascina et fiscella, ont été donnés à des récipients monétaires pouvant contenir en numéraire des sommes importantes 6, et ceux-ci devaient être nécessairement d'une certaine profondeur, fermés et munis d'anses pour être facilement transportables. Sans doute aussi, après avoir été faits primitivement d'osier, ces fisci le furent de matières plus résistantes, telles que le bronze ou le fer. Enfin, on prit l'habitude de désigner par le mot fiscus plus spécialement le vase contenant l'argent du Trésor public 6 et, parla suite, il servit d'appellation au Trésor lui-même On a reconnu l'image du fiscus ayant cette destination officielle sur des monnaies et d'autres menu ments oti il figure parmi les insignes de la questure 8, et l'on voit par l'exemple ici reproduit (fig. 3057) que le ré cipient remplit toutes les conditions pratiques qu'exige son emploi. On a attribué, peut être sans raison suffisante, la même destination à un vase un peu différent (fig. 3058), composé d'une panse de fer qui le rend semblable à une gourde et consolidée par une monture de bronze, comprenant un pied, un orifice avec un double couvercle fermé par une serrure et un bandeau circulaire orné d'élégantes figurines auquel l'anse est adaptée 9. Ce vase a été trouvé près de Lyon, dans les atterrissements du Rhône. Un autre, moins orné'', a été découvert aussi à Lyon, dans la Saône. E. SAGLIO. II. Le mot fiscus, fut employé d'une manière technique sous Auguste et surtout depuis Tibère pour indiquer le trésor du prince 11, ou domaine de la couronne organisé par ce premier empereur. Cette institution correspondait à la distinction des provinces du peuple ou du sénat, et des provinces de l'empereur, administrées D'ailleurs au moyen de la séparation de l'Aerarium populi ou Saturni de l'Aerarium militare et du Fiscus, Auguste espérait obtenir à la fois un accroissement de ressources f2, et une action plus énergique pour le recouvrement des impôts. L'organisation des deux premières caisses a été exposée aux articles AERAR1UM et AERARIUM MILITARE; celui-ci a pour objet d'exposer succinctement quelles étaient les ressources, les dépenses et l'administration du fiscus jusqu'à Constantin, où les deux trésors reçurent une nouvelle forme [AERARIUM SACRUM 1° Le Fiscus était considéré comme le trésor de la couronne, et, en ce sens, opposé" à l'Aerarium ou trésor public, dont les éléments et l'administration étaient différents. Quelquefois, le premier est appelé Aerarium privatum, et le second Aerarium publicum ou majus16. Bien plus, Sénèque 16 et même le jurisconsulte Ulpien 16 vont jusqu'à assimiler le Fiscus à un quasi patrimoine du prince : res fiscales quasi privatae et propriae principis sunt. Cependant le patrimoine proprement dit du prince semble avoir déjà à cette époque formé en fait, et depuis Septime Sévère en droit, une partie du Fiscus, res privata Caesris ou Augusti ratio 17 administrée séparément [PATRIMONIUM PRINCIPIS]. On pourrait donc avec quelque raison assimiler plutôt le fisc d'Auguste à notre domaine de la couronne. La création du Fiscus paraît remonter à l'an 7 ,7 de Rome ou 2'l avant Jésus-Christ", époque du partage des provinces entre le peuple et l'empereur. Le Fiscus renfermait d'abord les biens que le prince avait reçus de sa famille, ou ses domaines héréditaires, patrimoniaux, et ceux qu'il avait acquis d'une autre manière; ils formaient déjà en province des possessions considérables 19. Un édit du préfet d'Égypte, Tiberius FIS 4143 FIS et parvenu jusqu'à nous' donne un exemple, et s'occupe du privilège du fisc sur les biens des comptables. En outre, le produit des amendes [MULCTAE] prononcées contre ceux qui se rendaient coupables de contravention [cO7IMISSUM] ou fraude 2 aux lois sur les douanes [PORTOBluM] entrait dans la caisse du fisc. Ces amendes, en vertu des anciens règlements des censeurs ou du cahier des charges de l'adjudication des fermes, lege censoria, s'élevaient au double ou au quadruple de la valeur des objets soustraits au fisc'. D'après Marcien, t, un rescrit des divi Fratres, Marc-Aurèle et Verus, portait qu'en cas de déclaration erronée relative à des esclaves, l'introducteur payerait seulement un double droit aux publicains. Un troisième élément de ressources pour le fisc consistait dans l'AURUM CORONARIUM5 que, d'après l'usage, les grandes cités d'Italie et de province offraient au prince dans des occasions solennelles. Quatrièmement, le fisc se grossissait encore des successions ou legs laissés fréquemment au prince par des particuliers° et recueillis PATRIMONII; nous pensons, avec Hirschfeld, contre l'avis de Mommsen, que les legs adressés au prince passaient au domaine de la couronne et non au patrimoine privé. Cinquièmement, depuis Caracalla les biens vacants (bona vacantia) et les successions en déshérence 7 caduca ou ereptitia [CADUCARIAE LEGES], dans les provinces de César, faisaient également partie du fisc. Quant aux biens des condamnés, BONA DAMNATORUM 8, le prince les attribuait à sa volonté, soit à l'Aerarium 9, soit à la caisse militaire, AERARIUM MILITARE, soit au Fiscus proprement dit, ou bien en laissait une partie à des délateurs [DELATOR] ou à des courtisans (petitores). Les impôts perçus dans les provinciae Caesaris entraient-ils également dans la caisse du fisc? Beaucoup d'auteurs soutiennent l'affirmative, parce qu'il paraît assez naturel10 que les provinces de César, administrées par lui directement, aient alimenté le fisc de l'empereur. Mais Walter a combattu cette opinion (d'abord admise par lui dans la première édition de son Histoire du droit) en faisant remarquer que l'Aerarium, dont les dépenses étaient accrues par le traitement nouveau des employés, n'aurait pu perdre ainsi une notable partie de ses recettes".Hirschfeld " 2 croit que le fisc sous SeptimeSévère finit par enlever au Sénat le tribut des provinces stipendiaires. En outre, on voit dans Velleius Paterculus que les impôts de l'Égypte, quoique province de César, entraient dans l'Aerarium". Enfin l'édit de Tiberius Alexander, préfet d'Égypte, distingue nettement le compte du prince ('loç Myes) et celui du trésor public (Srlp.ctoç X6yoç). cl° Quant aux dépenses i4 qui incombaient au fiscus, il est certain que celui-ci supportait les frais des provinces patrimoniales comme en Égypte, ceux de la maison impériale et tous ceux de la cour en général l5, et dès le nt siècle ceux de la poste; il est naturel d'admettre qu'il payait également les traitements des nombreux employés du fisc; enfin, en outre, les dettes " des hérédités recueillies par le Fiscus, soit directement, soit comme vacantes ou à titre de confiscation; même règle pour les onera des biens enlevés pour indignité 17. Les charges, c'est-à-dire les legs ou fidéicommis imposés aux dispositions testamentaires devenues caduques, devaient être acquittés par le fiscus, lorsqu'il succéda à l'Aerarium, à cet égard, sous Caracalla". Schneider toutefois pense que cet empereur attribua les caduca à son patrimoine privé, ratio Caesaris, et non au fiscS9; mais cela n'aurait eu aucune importance, puisque l'empereur disposait du fisc comme d'un quasi patrimoine. D'ailleurs, en fait, il avait toujours eu la haute main sur la caisse de l'Aerarium laissée en apparence à la disposition du Sénat 20, mais administrée par praefecti aerarii, choisis par l'empereur. 11 pouvait donc puiser dans le trésor public en cas de détresse du fiscus ou réciproquement. Stace 21 suppose que le fisc contribue aux dépenses de l'armée non réservées au trésor militaire et à celles des monuments et des f)'umentationes. On voit même que, sous Vespasien et Titus, 22 après une recherche des terres de l'AGER PUBLICUS, une grande partie des biens réunis (publicati) fut vendue au profit du fisc, le reste abandonné aux possesseurs par Domitien. Les biens du fisc ou du domaine de la couronne n'étaient point regardés comme inaliénables 2', quoi qu'ils fussent imprescriptibles 24. L'empereur pouvait les attribuer à des donataires ou les vendre ; le plus souvent même, les hérédités vacantes ou caduques, ou les biens des débiteurs, étaient vendus aux enchères (sub flde hastae fiscalis) par les agents de l'administration25; seulement, il était défendu de vendre séparément ou d'affranchir les esclaves intendants (adores) des domaines revendiqués par le fisc2', ce qui aurait nui à l'exploitation. La vente transférait la propriété", dès que l'acheteur avait payé le prix; il n'avait droit qu'à la garantie au simple en cas d'éviction28. Bien plus, Marc-Aurèle, en cas de vente de la chose d'autrui par le fisc, accorda une exception après cinq ans à l'acheteur contre le véritable maître 29. Le fisc comprenait des créances (nomina ou obligationes), soit résultant des successions par lui recueillies ou des contrats passés par ses agents [PRAES] ou pour les redevances à lui dues. Ces créances avaient pour gage les biens du débiteur et le fisc finit par obtenir pour garantie un privilège inter personales actiones [PRIvILEG1UM] qui était cependant primé par le privilège de la femme du débiteur pour le recouvrement de sa dot s]'0 ; plus tard il acquit même une véritable hypo FIS 1144 thèque (pignus vel hypotheca)1 avec le premier rang 2, sauf le privilegium dotis. 3° Administration. Les employés chargés de l'administration du fisc étaient regardés moins comme des magistrats que comme des commissaires ou serviteurs (ministri) de l'empereur3. A l'origine ce trésor était régi par le prince et ses affranchis, et en province par des procuratores de l'ordre équestre, puis il fut centralisé sous Claude, dans les mains d'un directeur général, Pallas. Certains empereurs confièrent la direction à des chevaliers, ce qui fut généralisé sous Hadrien ; puis M.-Aurèle créa un sous-directeur, curarum socius, qui put être un affranchi, sous le nom de procurator summarum rationum 4. Enfin au me siècle, le ministre lui-même prit le nom de a rationibus En Égypte un i 6Xoyoç ou catfiolicianus dirigeait dès l'origine le patrimoine du prince 6; c'était le procurator a rationibus7, qui recevait le plus haut traitement; on le nomme quelquefois aussi rationalis fisci, ou procurator summarum, sans doute parce qu'il avait la direction de la comptabilité 8 et, si l'on en croit un passage déjà cité du poète Stace, le droit d'ordonner les dépenses d'après la direction de l'empereur. Suivant Hirschfeld°, le fisc paraît n'avoir pas eu de caisse centrale à Rome avant le règne de Claude, et les fonds étaient déposés dans des temples. Ce directeur avait sous ses ordres un o f ficium nombreux 10 d'agents de comptabilité numerarii ou tabellarii, au sein duquel les inscriptions nous montrent un adjutor tabulariorum a rationibus i1 ou servus adjutor a rationibus 12 un coadjutor officii rationalium i3 ou librarius a rationibus ou optio tabellariorum officii rationum 14, etc. Le procurator a rationibus était un personnage considérable, puisque, dans une inscriptioni5, on voit l'un d'eux commencer par être tribun militaire, puis procurator de plusieurs provinces, avant d'être nommé procurator a rationibus. Il avait sous ses ordres, en province 16, des procureurs (procuratores patrimonii ou Augusti) et des intendants ou actores 17, pris parmi les affranchis du prince, puis parmi les chevaliers romains. Ils étaient envoyés non seulement 18 dans les provinciae Caesaris, mais encore dans les provinciae populi, où le prince pouvait avoir des possessions et des droits fiscaux à recouvrer 19, En province, il exista des caisses spéciales, un fiscus gallicus, etc., ou arca provinciae 2D ; il y eut bientôt, pour les travaux publics, une caisse dépendant du patrimonium avec ses caissiers et leurs aides 21. En outre, il existait des procureurs spéciaux22 pour les diverses branches de revenus du fisc. Ainsi il existait des procuratores hereditatium, qu'il ne faut pas confondre 23 avec les procuratores vicesimae hereditatium ou des ving FIS Hèmes qui appartenaient à l'Aerarium onilitare. Les premiers avaient un rang supérieur 24 et un traitement plus élevé; on y voit un ducenarius 25. Eichhorst admet que ces procuratores appartenaient à l'administration du patrimoine privé 26, dont la direction des hérédités formait une partie spéciale, aussi les appelle-t-on encore procuratores hereditatium patrimonii privati; il croit 27 que ces agents recueillaient non seulement les successions laissées au prince ou. vacantes, mais les caduca, parce que le titre de procuratores caducorum ne se trouve que dans des inscriptions suspectes. Marquardt28, au contraire, paraît les admettre. Du reste, tous ces procuratores hereditatium étaient choisis parmi les ingenui 29 ; ils avaient une certaine juridiction pour statuer sur le point de savoir si une hérédité était ou non caduque. Les inscriptions concernant ces procuratores semblent appartenir au ne siècle, c'est-à-dire à une époque où le fisc commence à se confondre avec l'Aerarium. A partir de Septime-Sévère, il y eut des procuratores spéciaux pour la res privata imperatoris30; mais on ignore s'ils étaient appelés à recueillir les hérédités à la place des procuratores patrimonii 31 privati. Dans les provinces il y avait des bureaux, stationes, pour cette administration et des promagistri 32, et, au-dessus d'eux, des procuratores Augusti stationum hereditatium". Enfin les biens des condamnés étaient recueillis par des procuratores ad bona damnatorum 34. Vers le me siècle , un grand changement s'opéra dans l'administration financière : ]es questeurs cessèrent d'être chargés du maniement des fonds dans les provinces du peuple 35, et furent remplacés par des procuratores Caesaris ou rationales ; l'Aerarium militare luimême se confondit avec l'Aerarium; car on ne voit plus le premier mentionné que sous Héliogabale 36. Enfin, Septime-Sévère institua à la tête de l'administration du Fiscus 37, ou domaine de la couronne, un procurator patrimonii, qui avait sous ses ordres des rationales38 et des procuratores inférieurs ; à la tête du domaine privé un procurator, plus tard magister rationis privatae n à Rome, ayant sous ses ordres des procuratores rei privatae en province 40. A cette époque, il s'opéra d'ailleurs une fusion entre l'Aerarium et le Fiscus, en ce sens qu'ils furent placés sous la direction immédiate de l'empereur"f. Aussi commence-t-on à distinguer plus nettement des autres parties de l'Aerarium et du Fiscus, le domaine privé de l'empereur, qui fut administré par le procurator rationis privatae [PATrIMoNIUM PRINCIPIS]. L'Aerarium en levé à la surveillance du sénat était dirigé par un procurator42 qui avait sous ses ordres les praefecti FIS 1145 FIS aerarii 1, et ceux-ci recevaient de l'empereur les mandats de payement. On comprend donc aisément que, dans le langage pratique 2, on ait désormais pris l'un pour l'autre ces mots Aerarium et Fiscus, bien que les deux caisses fussent encore distinctes 3 et administrées séparément. Le code Théodosien emploie encore une fois l'expressionAerarium pour indiquer la caisse quirecevait les caduca, et les biens vacants 4, bona vacantia, perçus jadis parl'Aerarium, du moins en Italie et dans lesprovinces du peuple. Mais les jurisconsultes déclarent qu'ils appartiennent au Fiscus 5, puisqu'il n'y a plus de provinces de César. Sous Constantin, le Fiscus subsiste sous le nom de AERARIUM PRIVATUM ou de privatae largitiones, e til est administré par le coMES REI PRIVATAE ou privatarum largitionum, ayant sous ses ordres un o f ficiumnombreux 6. IV. Contentieux. De même que la compétence relative' au contentieux de l'Aerarium avait été attribuée aux praefecti aerarii, Claude, par un sénatus-consulte, confia aux procuratores Caesaris, en province, lesprocès du fisc 8, autrefois jugés par les tribunaux ordinaires'. L'empereur Nerva institua un préteur spécial, PRAETOR fiscalis, pour juger les causes fiscales à Rome Toutefois dans les questions de propriété 71 et dans les questions d'état, causa liberalis status controversia, la compétence du juge ordinaire paraît avoir été maintenue; seulement, depuis Adrien, l'avocat du fisc, ADVOCATUS FISCI, devait être entendu sous peine de nullité 12, comme dans toutes les causes intéressant le fisc. Au bas-empire, dans l'organisation de Constantin, les causes fiscales furent portées devant le rationalis rei privatae 13, mais l'appel était déféré à l'empereur 14 ou à ceux auquel il en avait délégué la connaissance 16, vice sacra, c'est-à-dire au coques rei privatae [conEs].Valentinien et Valens, par une constitution rendue en 365, main tinrent la juridiction des tribunaux ordinaires en matière de propriété 16, mais avec la présence du rationalis; les mêmes empereurs appliquèrent cette règle aux procès dirigés contre un colon du fisc 17 mais le defensor domus nostrae c'est-à-dire l'avocat du fisc, dut assister au débat. A Rome 18 l'appel des sentences du rationalis était porté au praefectus urbi ou CTSTOS U13BIS. Ceux qui avaient à se c. 2 et 3, Cod. VII, 37. -3 Même sous Constantin, on distingua l'aerarium sacrum II, p. 36 et 43, Leipzig, 1857 ; Heimbarch, in Weiskes Rechtslexicon, Leipzig, plaindre des injures ou des vexations des agents du fisc, actor ou procurator rerum privatarum, pouvaient porter directement leur plainte au gouverneur de la province, rectori provinciae 19. Quant aux débiteurs du fisc, ils étaient poursuivis devant le rationalis et soumis à la contrainte par corps 20, sans bénéfice de cession possible. On n'introduisit quelques adoucissements qu'en ce qui concerne les moyens barbares employés pour accélérer le payement de l'impôt 21. G. HUMBERT.