Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

FLAGELLUM

FLAGELLUM (MxaTt)1. Nous groupons sous cette rubrique plusieurs instruments dont les anciens se servaient pour frapper les animaux et certaines classes d'individus, tels que les esclaves et les enfants. Des noms différents étaient appliqués à ces objets, suivant leur forme et leur destination spéciale. Mais les termes de N.âcTtç et de flabellum désignaient en bloc toutes les variantes du même type, comme celui de fouet s'emploie en français pour désigner différentes sortes de cravaches, badines, verges, férules, houssines, escourgées, lanières, étrivières, cordes, martinets, knouts, garcettes et autres instruments cinglants et flagellants. 1. Le fouet pour conduire est souvent mentionné dans Homère 2; de très nombreux monuments figurés le représentent entre les mains de héros montés sur leur char ou manié par leur cocher. Pour stimuler le zèle de leurs attelages, les anciens se servaient de préférence d'une gaule flexible ou houssine simple, assez longue et dépourvue de lanière. C'était une sorte d'aiguillon léger FLA 1153 FLA (x€vTPov, aculeus) qui servait à cingler les chevaux, les mules ou les boeufs. Les représentations de cet objet si commun sont trop nombreuses pour être énumérées ici i. Les cavaliers usaient d'une badine simple, dont l'extrémité allait en s'amincissant. La figure 3079, d'après une stèle funéraire de Thespies, montre un cavalier tenant la badine La houssine flexible était aussi remplacée par un bâton rigide armé de pointes. C'était alors un aiguillon, droit ou à crosse munie de piquants [STIMULUS ou de grelots : tel est l'instrument dont se sert le conducteur d'un attelage sur l'amphore panathénaïque connue sous le nom de vase Burgon (fig. 3080) 3. Le fouet ordinaire, semblable à celui des cochers modernes, c'est-à-dire composé d'un long manche au bout duquel s'adapte une cordelette ou une mince lanière de cuir, était connu des anciens. Les représentations en sont cependant assez rares. La figure 3081, tirée d'un vase à figures noires, représente un personnage dirigeant son attelage avec un fouet à manche long et à double lanière 4. Un fouet long est tenu par une femme ailée qui conduit un quadrige sur un vase à figures rouges On le retrouve à la fin de l'antiquité sur un monument gallo-romain entre les mains de campagnards conduisant des chariots'. On verra aussi plus loin des fouets longs dans les mains de deux agonothètes (fig. 3094). II. Le fouet moyen, ou cravache à manche court avec une longue ficelle 7 et plus souvent une lanière de cuir de boeuf' était, semble-t-il, préféré comme plus ma niable. Les mots iuâç, ~ c8ati), l(1xc6A7l, axûToç, E.âpayvu 9, corrigia aurigalis 10, scutica, étaient indistinctement employés pour désigner ce genre de cravache, concurremment avec les termes de IJt«6Tt et de flagelluna. Tous ces mots étaient synonymes ; il serait oiseux de rechercher sur les monuments figurés des représentations distinctes correspondant à chacun de ces termes; aucun d'eux ne spécifiait un type particulier; ils désignaient tous la cra vache à lanière de cuir unie ou tressée 11 (fig. 3082). Le cocher qui conduit le char royal dans la grande mosaïque de la maison du Faune à Pompéi" tient une cravache à mince lanière. Un cuir s'enroule autour du manche, muni d'une anse qui permettait de le suspendre au bras (fig. 3083). Ces fouets ou cravaches servaient à corriger ou exciter les chevaux 13, les boeufs", à dresser les animaux15, à FLA 115 FLA mâter les chiens. Le fouet faisait aussi partie de l'attirail des chasseurs (frg..3084e) t. C'est sans doute une sculica de ce genre, à gros manche et à lanière garnie de noeuds, qui est entre les mains d'une statuette en terre cuite d'Artémis provenant de Corcyre 2. Elle était indispensable aux gardiens des moissons, des tombeaux et de tous les lieux dont l'accès était interdit : telle paraît être la destination des grands fouets dont sont armés deux personnages dont les figures rnutilées ont été trouvées parmi des ruines romaines en Angleterre'. L'une d'elles est reproduite ici (fig. 3085). A la même catégorie appartiennent, les courroies, rênes, brides, -;Iv(a, rum, habena employées quelquefois sans manche comme fouets ou comme instruments de punition, ainsi que le montre (fig. 308G) un bas-relief du musée du Capitole', ces mots sont devenus, comme étrivières en français, synonymes de fouet. Virgile' emploie le mot habena pour désigner le fouet dont se servent les enfants pour faire tourner un sabot [TURBO]. On voit (fig. 3087) sur une coupe à fond blanc une jeune femme qui emploie pour le même jeu un fouet à plusieurs lanières'. III. On voit par cet exemple et par celui de la figure 3081 que le fouet, long ou court, pouvait être à. double escourgée(i4. 'rt aen),irl). Plusieurs textes font mention de fouets semblables 2, et ils sont souvent représentés sur les vases peints 10. Sur l'un d'eux, des cavaliers tiennent des fouets doubles dont les lanières sont terminées par de petites balles (fig. 3088). Un fouet triple pareillement garni se voit dans la main d'un conducteur de char IV. Le martinet, ou fouet à manche court et à lanière multiple (ip.âç, (Ixu te;, xUT(vf ItxrTtS, scutica 12) était d'un emploifréquentpour punir les esclaves et les enfants. Il est placé dans la main de Pan, sur un vase peint 73, et dans un exemple reproduit (fig. 3089), entre les mains de l'un des Silènes qui brûlent ettorturentLamia 14. Le martinet en peau d'anguille (anguilla)15 était surtout appliqué aux enfants dans les écoles, sans doute a cause de sa légèreté. Mais comme instrument de discipline, le martinet était susceptible d'aggravations savamment graduées. Moins inoffensive que la scutica était le scorpion (scorpio) fe, sorte de garcette, faite de cordes nouées dont les extrémités libres étaient garnies de pointes (fig. 3090). Plus cuisant devait être encore le hérisson (ûrtpty(ç), dont les noeuds étaient hérissées de poils de porc 17. Mais le plus terrible de ces instruments était le flagruni, qui, dans ce cas, ne doit pas être confondu avec le flagellum proprement dit18. C'était une espèce de knout, qui frappait lourdement, écrasait les chairs, rompait les os et couvrait le corps de plaies contuses. Il y en avait plusieurs sortes : 1° Le ti o rt. âsTpxyct tijugis talis oviun2 tesseratum 21, c'est-à-dire garni d'osselets. On le reconnaît sur la stèle d'un archigalle, grand prêtre de CyFig. 3090. Garcette. bêle (fig. 3091) 23. 2° Le plum bum ou plumbata 2', à manche de fil de fer tortillé, armé, en guise de lanières, de chaînettes terminées par des boules de métal. On en a conservé plusieurs spécimens (fig. 3092) 25, Prudence compare ses effets à ceux de la grêle (pulsatus illa grandine). On a aussi recueilli dans les tombeaux des martyrs, aux Catacombes, es' FLA 1133 FLA plusieurs instruments semblables (fig. 3093) composés de chaînettes réunies par un anneau et terminées par des boules de plomb En latin, le mot flagellum désignait aussi la courroie adaptée au javelot pour le lancer ou au harpon pour L'usage de la flagellation avec l'un ou l'autre des objets énumérés plus haut était originaire d'Orient. Comme moyen de punition, la flagellation se combinait avec la fustigation ou bastonnade [vos», VERBLRA]. En Égypte et en Assyrie, le fouet était appliqué à tous les sujets du souverain, sans distinction de classes. Les officiers et contremaîtres royaux en usaient largement pour stimuler leurs troupes et leurs ouvriers. Les auteurs grecs parlent avec stupeur des bandes de Darius et de Xerxès qu'on faisait marcher à coups de fouet'. C'est aussi à coups de fouet et de bâton qu'étaient creusés les canaux 4, que s'élevaient les fastueuses constructions des rnonarques orientaux : ces instruments étaient les auxiliaires de la corvée et jouaient un rôle actif dans les travaux publics. Le sentiment de la dignité humaine était trop vif chez les Grecs pour s'accommoder du même traitement que les animaux et les peuples barbares. La peine du fouet était regardée par eux comme infamante ; on la réservait aux esclaves. Elle était placée plus bas que la meule, le ri Tpeïov, etc. [sERVUS] 5. Elle était appliquée dans la maison ; les esclaves mauvais sujets étaient flétris du nom de roués faire fouetter l'esclave jusqu'à écorchement du dos, en le faisant attacher à un poteau6. Platon condamne l'esclave, meurtrier volontaire d'un homme libre, à périr sous le fouet, de la main du bourreau IV. La loi romaine ne permettait pour les hommes libres que la fustigation ou la bastonnade, qui n'était pas infamante 3, mais non la flagellation. Le fouet était appliqué par le bourreau aux esclaves, dans tous les cas où les hommes libres encouraient la peine du bâton' ; après quoi, on les rendait à leurs maîtres : cela s'appelait jlagellis caedi. Il était d'usage de ne pas soumettre à la torture les esclaves impubères, mais de leur appliquer l'habena ou la ferula (habena vel ferula caedi) fD. L'esclave coupable de sévices graves (injuria atrox), en l'absence de son maître, était roué à coups de flagrum (praesidi o fferendus est qui eum flagris rumpat) ". Les rescrits d'Antonin et de Sévère donnent au préfet des Vigiles le droit d'appliquer le bâton ou le fouet aux habitants des insulae qui négligent les précautions relatives au feu (potes fustibus vel flagellis caedi jubere 12). Il faut, sans doute, entendre le bâton pour les hommes libres, le fouet pour les esclaves. L'usufruitier d'un esclave n'avait le droit de lui infliger qu'une correction légère (castigatio levis), mais non des coups de fouet13. Sous les derniers empereurs (ordonnances de Valens et de Valentinien, 376 ap. J.-C.), le supplice de la plumbata, quoique qualifié d'immanis parle code Théodosien 14 et réprouvé en ce qui concernait les hommes libres, n'était cependant pas proscrit ; en étaient seulement exempts les dix premiers curiales de l'ordre; pour les autres, il devait en être usé avec modération. Le fouet sous toutes ses formes pouvait être appliqué, dans l'intérieur de la maison, aux esclaves coupables, sur l'ordre du maître, en vertu de ses droits de justice domestique. Les Romains usaient largement de ce droit. La comédie latine nous renvoie, parles plaintes des esclaves, l'écho des scènes brutales dont le principal héros était le lorarius, ou exécuteur des sentences du maître, et le théâtre les épaules et le dos meurtris des patients 15. Il n'y avait pas un de ces tristes personnages qui ne pût étaler aux yeux les stigmates les plus cruels, témoignages de son infamie et de la rigueur impitoyable qu'on opposait à ses mauvais instincts i6. Le fouet ne chômait que pendant les Saturnales ; il était alors mis sous scellé par le maî tre17.I1 y avait des degrés dans la flagellation,suivant les instruments qui frappaient. La scutica ou le lorum était le plus anodin, l'horribile flagellum plus redouté, enfin le flagrum réservé pour les cas les plus graves 18, L'effet de chacun de ces objets est caractérisé par des mots spéciaux : caedere, secare, scindere, pour la scutica et le flagellum 19, dont les fines lanières cinglaient la peau; rumpere et pinseretp expriment les contusions produites par le flagrum ; forare et fodere par les instruments munis de piquants". La flagellation était en usage dans les écoles pour punir les enfants paresseux ou rebelles. Elle s'exerçait surtout par la FERULA (vâpEe, les verges (virga ou ulmei), La flagellation liturgique, en l'honneur de certaines 146 FLA 1156 FLA divinités, est interprétée par quelques auteurs comme une atténuation des sacrifices humains, auxquels répugnait le génie grec. On fouettait les enfants jusqu'au sang, à Sparte, devant l'autel d'Artémis Orthia ; les femmes, à Aléa, dans le temple de Dionysos'. Les prêtres de Cybèle ouarchigalles, ancêtres des flagellants du moyen âge, se donnaient la discipline dans les temples de Méter, avec l'àgTpayaat, 7i it.xart; ; ils cherchaient, par ces mortifications violentes, à frapper l'imagination des foules z. Le fouet à osselets (fig. 3091) se trouve sur la stèle d'un archigalle, parmi les objets consacrés à Cybèle. Le fouet était l'insigne de certains dignitaires, (3poteetS, flagelliferi, mastigophori'. Ils assistaient les agonothètes pendant les luttes gymniques, ainsi que le représente la figure 3094 6, tenant un fouet ou un bâton [RIIABeouduoI], pour réprimer les infractions aux règlements des jeux, empêcher les lutteurs de s'engager trop à fond, peut être aussi pour tenir la foule à distance, comme cela se pratique encore en Orient. Chez les Romains, les gladiateurs qui se refusaient au combat y étaient poussés à coups de fouet'. Le fouet est souvent donné comme attribut à la triple IIÉItATÉ, la déesse qui vit au milieu des monstres infernaux, chargée de maintenir l'ordre parmi les ombres', à BELLONA, que les poètes représentent armée d'un fouet noir de sang 8, et aux FURIAE 9. G. FOUGLRES.