Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

FLORA

FLORA. Une des plus anciennes divinités de l'Italie centrale, une de celles aussi dont le culte se localisa le plus là où il avait pris naissance, sans pouvoir se répandre au dehors. Elle présidait à la floraison printanière, à celle des céréales d'abord puis à celle des arbres fruitiers et de la vigne finalement à l'épanouissement des fleurs de pur agrément. Son nom, sous la forme de Flausa, a été reconnu sur diverses inscriptions en langue osque3, une fois à Agnone où il est accompagné d'une épithète équivalant à Genialis, une autre fois à Tufo, dans le pays Sabin, où le mois de juillet lui était spécialement consacré'. A Rome, sur la liste des Indigitamenta, Flora est associée à Robigus5; celui-ci devant détourner la rouille des blés, au moment de la formation de l'épi, sa compagne leur assure une heureuse déflorescence. Varron lui attribue une origine sabellique; elle était au nombre des douze divinités à qui le roi T. Tatius le Sabin fit ériger un autel et que l'on apaisait par des piacula 5, lors de quelque événement extraordinaire ; sa place était entre Fons et Summanus. Son intervention dans la culture des arbres fruitiers est attestée par les Actes des Frères Arvales 7, qui la citent avec les dieux auxquels on doit sacrifier quand on va planter un arbre. Son nom évoquait naturellement celui de Pomona à laquelle on la trouve associée, aussi bien dans les anciennes inscriptions dont nous avons parlé que chez les poètes récents 8. Le culte de Flora faisait partie de tout un ensemble de cérémonies, qui, dans le mois d'avril, si important pour la prospérité des récoltes, mettaient les biens de la terre sous la protection des dieux; il succédait, à quelques jours d'intervalle, aux FORDICIDIA, aux CEREALIA, aux VINALIA priora et aux ROBIGALIA. Jusqu'aux guerres Puniques il ne semble avoir eu d'autre centre qu'un temple fort ancien, sur le Quirinal, un peu au sud de la porte Sanqualis 9. Un flamine spécial yprésidait, institué par le roi Numa"; ce flamen Floralis à qui, sur la liste des petits flamines, correspondait le flamen Pomonalis, le dernier dans l'ordre des préséances, est encore en fonctions sous l'Empire 11. A ce moment le temple reconstruit, on ne sait par qui, était de style corinthien 12. Les sacrifices ordinaires en l'honneur de Flora paraissent avoir été des sacrifices de brebis ; il en est fait mention dans les Actes des Arvales pour les années 183, 218 et 224 ap. J.-C. 13. Le culte de Flora est un de ceux qui furent modifiés par l'intervention des oracles Sibyllins. La transformation date de l'an 240 ou 238 av. J.-C.; elle eut pour raison d'être des années de récoltes mauvaises et les cérémonies nouvelles furent instituées ad placandum 14. Un temple nouveau fut élevé au voisinage du Grand Cirque et dédié par les frères Publicius, édiles plébéiens 13 ; la dédicace eut lieu, le 28 avril, date considérée depuis lors comme la fête propre de la déesse,•Natalis Florae; des jeux furent institués qui, peu à peu, se prolongèrent jusqu'au 3 mai [FLORALIA]. Le temple auprès du Grand Cirque fut restauré par Auguste et dédié par son successeur en 17 ap. J.-C.; il semble qu'il ait été réparé encore par Symmaque, vers 391 1s Il y a des traces d'autres cérémonies en l'honneur de Flora; le calendrier d'Aliffae fait mention d'un sacrifice pour le 23 août, ce qui semble indiquer une fête de la moisson 17. Philostrate dit qu'il a été témoin à Rome d'une fête des Roses, qui consistait en une course rapide de personnages portant ces fleurs et signifiant ainsi que les grâces du jeune âge passent vite 18. Il est probable que cette fête est celle dont parlent pour le 23 mai les Fastes de Philocalus et qui ailleurs encore associe le nom de Mercure à celui de Flora 19. On a cru pendant longtemps que le culte de Flora n'avait point franchi les limites de l'Italie; une inscription en signale l'existence en Afrique sous l'Empire 20. Ce qui a dû en gêner la diffusion, c'est le caractère exclusivement rustique et local de la Flora des Romains21 et l'éclat plus grand de divinités féminines qui avaient avec elle une ressemblance de nature et de signification, en première ligne de Vénus. Cette ressemblance a même abusé des mythologues modernes; Hartung d'abord, Preller ensuite, ont cru retrouver dans le culte de Flora à Rome certaines pratiques du culte d'Aphroditè €v xri7coiç, tel qu'on le célébrait à Athènes". Ces ressemblances sont purement fortuites; FLO 1190 FLO Flora est bien véritablement une divinité indigène de l'Italie; à plus forte raison n'a-t-elle rien de commun avec la nymphe Chloris, amante, dans la fable grecque, de Zéphyre 1. On ne sait où Ovide, qui a consacré près de deux cents vers de ses Fastes à Flora, a pris la fausse étymologie qui la lui a fait identifier avec la Chloris des Grecs et mettre à son compte le mariage avec Zéphyre, de qui elle aurait obtenu le royaume des fleurs'. Quant à la fable de Junon devenue enceinte de Mars en respirant une fleur qui lui est présentée par Flora, il est démontré qu'elle est d'origine italienne 3. Les apologistes de la religion chrétienne, mis en verve par la licence des fêtes en l'honneur de Flora, racontent sur son compte une fable qui s'inspire des plus grossières imaginations d'Evhémère 4. Vlora, de même que Acca Larentia, ne serait qu'une courtisane fameuse, enrichie par son métier et qui aurait légué au peuple romain sa fortune, à charge de célébrer avecles revenus sa fête annuelle. Il n'est pas besoin d'une telle origine pour expliquer le caractère du culte de Flora; populaire et rustique, ce culte dut dégénérer de bonne heure en réjouissances bruyantes et dissolues 5. On ne saurait dire que l'art romain ait jamais conçu pour Flora un type distinct et facilement reconnaissable. Sa tête figure sur des monnaies de la gens Servilia avec la légende (fig. 3109) et peut-être sur celles de la gens Clodia (fig. 3110)'; les fleurs mêmes dont elle est couronnée ne suffisent pas à la distinguer d'autres divinités analogues 3. Les statues qui existent d'elles ne sont que des adaptations d'oeuvres helléniques qui ont eu, à l'origine, un tout autre sens. Ainsi Pline cite, comme figurant dans les jardins des Servilius, un groupe composé de Flora, de Triptolème et de Cérès dû au ciseaude Praxitèle 9 ; Flora s'était évidemment substituée dans l'opinion ou à Cora ou à l'une des Horae. Elle avait cependant ses statues propres; des fouilles récentes ont mis au jour un piédestal qui porte son nom f0. On connaît la Flora Farnèse, statue colossale, magnifiquement drapée, qui n'est probablement pas une Flora, la tête et les attributs provenant d'une restauration f i. J.-A. Hien. FLORALIA. -Fête en l'honneur de la déesse Flora, à Rome et dans les campagnes voisines. On ne sait ce qu'elle fut au juste, antérieurement au vie siècle de la fondation de la ville; on devine seulement qu'elle faisait partie d'un ensemble de pratiques destinées à appeler, au printemps, la faveur des dieux champêtres sur les ré coites en espérance. Dans les Indigitamenta la déesse étant nommée à la suite de Robigus, les Floralia devaient sans doute déjà sous les rois succéder de près aux ROBIGALIA 1. C'est à cette période primitive qu'il faut rapporter diverses coutumes qui se sont perpétuées à travers les âges ; celle d'allumer de nombreux flambeaux à la lueur desquels on prolongeait les jeux dans la soirée'; celle, pour les femmes, de se vêtir d'habits bariolés, aux couleurs vives3; celle de jeter parmi la foule des graines sèches de toute nature, des pois, des fèves, des lupins, du poivre, comme pour se concilier la faveur de la Terre par ses propres dons 4, celle enfin de lâcher et de poursuivre à la course des lièvres et des chèvres, animaux au tempérament érotique 6. Toutes ces pratiques sont symboliques, exprimant le caractère même de Flora qui représente l'éclat et la variété de la végétation avec la vigueur inépuisable du sol. L'intervention des oracles Sibyllins, consultés à la suite de plusieurs récoltes mauvaises, en l'an 514deRome, modifia la signification purement rustique des Floralia et en augmenta l'importances. A l'occasion de la dédicace du temple que les deux frères Publicius, édiles plébéiens, avaient élevé à la déesse auprès du Grand Cirque, des jeux furent institués ; célébrés d'abord à intervalles variables, ils devinrent annuels à partir de 173 av. J.-C. C'est à cette transformation que fait allusion le denier de la gens Servilia (fig. 3109), qui porte en légende, autour de la tête de Flora : FLORA(LIA) PRIMUS, etc.' Ils commençaient le 28 avril, jour solennel de la déesse (natalis Florae 8) et en vinrent, par des accroissements successifs, à durer six jours, jusqu'au 3 mai. Le calendrier deMaffeiconcorde avec ceux de Venouseetde Préneste pour leur attribuer cette durée ; les autres ne mentionnent que les trois premiers jours. Au Ive siècle ils en comportent quatre, du 30 avril au 3 mai 9. La fête commençait par des jeux scéniques et se terminait par des jeux du cirque et un sacrifice à Flora 10. Sous la République, les édiles, plébéiens ou curules, en furent chargés; sous l'empire elle passa dans les attributions des préteurs". Pour les représentations scéniques, il semble qu'elles aient été défrayées par le seul genre du mime, même après que le progrès littéraire en eut révélé d'autres12. Le théâtre où ces pièces populaires étaient représentées fut d'abord élevé pour la circonstance, devant le temple même de Flora i3. La course aux lièvres et aux chèvres continua à faire partie des jeux du cirque; mais il s'y joignit d'autres amusements : Galba, préteur, exhiba aux Floralia des éléphants funambules 14. Ces fêtes furent de tout temps très bruyantes et licencieuses n; déjà au dernier siècle de la République des courtisanes FLU 1191 FLU y figuraient, n'attendant que les réclamations de la foule pour se montrer toutes nues. L'anecdote de Caton d'Utique, quittant le cirque (en l'an 55) pour ne pas gêner les plaisirs des spectateurs à qui sa présence en imposait, est célèbre 1. Si Ovide et Martial excusent cette licence, qui paraît avoir eu à l'origine un sens symbolique, Sénèque et Juvénal s'en indignent; quant aux Pères de l'Église on sait comment ils en ont pris occasion, non pas seulement de flétrir l'immoralité païenne, mais de dénaturer le caractère même de la déesse Fiera 2. Nous avons cité ailleurs [Fusait] le cas, jusqu'à présent unique, de Floralia célébrés en province 3, ainsi qu'une course aux roses' et une fête de la moisson en l'honneur de Fiera', celle-là à Rome le 23 mai, celle-ci à la campagne le 13 août J.-A. Hilo.