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FLUMINA (Hora(1.oO. La vénération des cours d'eau fait partie des pratiques religieuses de tous les peuples polythéistes 1 ; elle a tenu une large place dans la légende et dans le culte chez les Grecs et les Romains. Pour Homère, les Fleuves sont tous issus d'Okéanos 2, quoique l'un ou l'autre soit, à l'occasion, nommé fils de Zeus 3. Ils sont immortels comme les autres dieux et figurent dans l'assemblée de l'Olympe', subordonnés à Zeus hiérarchiquement; les plus puissants ne s'aventureront pas contre luis. Le poète se les représente sous la forme humaine : il leur donne des enfants et les mêle à l'action épique 6. A l'exception d'Okéanos, d'Achéloos et d'Alphée, dont la divinité a un caractère presque universel chez les Grecs, ils sont des dieux localisés, identifiés avec les intérêts des régions qu'ils traversent. Hésiode dit qu'ils sont trois mille, fils d'Okéanos et de Thétis, et qu'il y a un nombre égal de Nymphes, personnifications des sources, qu'il appelle leurs soeurs 7; pour Homère les nymphes de Circé sont les filles des fleuves L'imagination en a fait des rois et des princes, ancêtres des races héroïques qui sont à l'origine des peuplades et des villes : Alphée est le père d'Orsilochos; Asopos celui d'Antiope et par elle des Éacides; Inachos celui de Phoronée ; le Sperchius est épris de Polydore et l'Enipeus de Tyro 0. Tel d'entre eux tire son nom de sa dignité (Axios), tel autre de son action fécondante (Alphée)10 ; le trait dominant de la religion dont ils sont l'objet en Grèce est la reconnaissance. Ils y apportent plus de bienfaits qu'ils n'y causent de désastres et un auteur remarque qu'ils n'y sont pas infestés, comme ailleurs, par des animaux malfaisants 11
Leur divinité y est moins intéressante par la mythologie, assez banale et uniforme [ACnELOUS], que par le culte. Chez Homère ils figurent dans le serment d'Agamemnon, à côté des divinités les plus imposantes; une inscription d'origine crétoise les associe de même, dans une formule semblable, à Gaia, à Ouranos, aux dieux et
aux héros f2. Ulysse dans l'Odyssée adresse une prière au fleuve de Schéria en l'appelant aoMI),taroç 13 ; dans l'Iliade le Sperchius possède un tiép.Evoç avec un autel ; le Scamandre, appelé un grand dieu, a un prêtre à son service 1i. On leur sacrifie, comme aux autres dieux, des brebis et des boeufs ; ou bien on leur voue des boucles de cheveux; ainsi Pélée offre au Sperchius la chevelure d'Achille 75. Cette pratique, qui se retrouve assez fréquemment aux temps historiques, ne paraît être qu'une substitution à d'antiques sacrifices humains 16. Il en est de même d'un usage asiatique qui s'implanta en divers lieux de la Grèce et qui consistait à jeter dans les eaux des fleuves des chevaux vivants 17 Hérodote, qui raconte une cérémonie de ce genre accomplie par les Mages en l'honneur d'un des affluents du Strymon, remarque que les Perses ont pour les cours d'eau une vénération particulière, qu'ils s'abstiennent de s'y laver les mains, d'y cracher, etc. 18 Hésiode dit de même qu'il ne les faut franchir qu'après les avoir contemplés pieusement, en leur adressant des prières et en se purifiant les mains dans leurs ondes ; quand on les passe avec la souillure de quelque action mauvaise, on devient l'objet de la haine et du châtiment divins 19. Certaines villes font aux Fleuves des sacrifices annuels 20 ; les généraux d'armée les honorent par une cérémonie spéciale (tao rrjpta) avant de les faire franchir à leurs troupes21. Hérodote parle d'un sacrifice sanglant offert en l'honneur du fleuve Érasinos dans la vallée de Stymphale par Cléomène, afin d'en obtenir des présages favorables 22. A Élis les vainqueurs aux jeux solennels vénéraient Alphée, qui avait du reste une statue à Olympie 23. Ailleurs, une inscription mentionne une dîme, prélevée sur la fortune de deux citoyens condamnés, en l'honneur d'Apollon et du Strymon 2i. Parmi les cérémonies du mariage, on rencontre çà et là la coutume de puiser de l'eau dans des sources et des fleuves revêtus d'un caractère divin, comme une sorte de prélude à la procréation et à l'éducation des enfants 25
Les Fleuves sont honorés ainsi à titre de nourriciers et de guérisseurs. Ils sont au nombre des dieux v-ouporp6pot, d'où le sacrifice de la chevelure dont nous avons parlé". Divers textes et inscriptions leur donnent le vocable de sauveurs, parfois à la suite d'épidémies auxquelles ils sont censés fournir le remède et en les associant à Asclépios. Après la peste qui désola Smyrne sous Marc-Aurèle, on éleva au fleuve Mélès une colonne votive où se lit encore cette inscription métrique : « Je te chante,' ô dieu Mélès, mon sauveur, toi qui m'as délivré de la peste et de tous les maux ! » 27 Déjà Empédocle, pour remédier à la peste qui sévissait à Sélinonte, avait détourné les deux cours d'eau voisins de la ville et leur avait fait traverser des marais méphitiques en leur
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offrant des sacrifices D'autres fleuves étaient réputés pour leur action médicale; ainsi le Téaros, petit cours d'eau de Thrace, à qui Darius élève une stèle et qui, disait-on, avait la propriété de guérir de la gale les hommes ou les chevaux qui s'y baignaient2. Pausanias constate la même chose d'un fleuve de l'Élide. Le même auteur mentionne le Charadre comme ayant la vertu de faire procréer des mâles aux troupeaux qui y venaient boire; ailleurs, il établit une sorte de rapport divin entre les cours d'eau les plus célèbres et la végétation qui croît sur leurs bords 3.
Une des causes encore qui ont accru la vénération dont certains fleuves étaient l'objet en Grèce, est la bizarrerie de leur cours, qui tantôt les faisait jaillir à l'improviste, tantôt les absorbait dans un sol tourmenté pour les faire reparaître plus loin'. On remarquait les relations mystérieuses de l'Alphée avec la fontaine d'Aréthuse, du Céphise avec la fontaine de Castalie; l'Hélicon, disait-on, disparut sous terre, lorsque les femmes qui avaient tué Orphée voulurent y laver leurs mains souillées de sang 3. Ce sont ces mêmes accidents géographiques qui, joints à la mobilité naturelle des fleuves, introduisirent dans leur légende des récits de métamorphoses extraordinaires6.
En Italie, la religion des Fleuves revêt los mêmes caractères qu'en Grèce, sous cette réserve toutefois que les fables où ils sont représentés comme des héros topiques sont dues à l'influence de la mythologie grecque plutôt qu'au sentiment national. Pour les Romains, les cours d'eaux et les sources d'eau potable sont habités par des esprits ou génies qu'il faut se rendre propices à l'aide de prières et de sacrifices' [FoNs]. Ils sont au nombre
des indigetes et figurent dans les INDIGITAMENTA des
Pontifes comme dans les formules rituelles des Augures. A côté du Tibre qui, comme de juste, tient la place la plus importante, on y rencontrait ses principaux affluents, le Spino, l'Almo, le Nodinus 8. Des inscriptions votives en assez grand nombre mentionnent divers fleuves de l'Italie avec le vocable de Pater qui est d'usage dans toutes les prières en l'honneur des dieux, petits et grands 9. A Rome.même, les deux flamines appelés Volturnalis et Portunalis semblent avoir été au service du Tibre ; les Volturnalia, célébrés le 27 août, étaient, suivant toute probabilité, une fête en son honneur ; le 8 décembre on lui sacrifiait dans l'île 10. L'institution du collège des Pontifes témoigne des craintes qu'il inspirait et des précautions que l'on prenait à l'origine pour apaiser sa divinité [PONTIFEX] 11. Les deux cérémonies dont les Argées y étaient l'objet, à savoir l'immersion des mannequins d'osier du haut du pont Sublicius le 15 mai et la procession aux vingt-quatre sacella et sa
craria les 16 et 17 mars, procession à laquelle la Flaminica Dialis présidait, sont des actes du même culte, On peut reconnaître dans la première les traces d'anciens sacrifices humains [AHGEI] 12
Parmi les fleuves d'Italie qui furent l'objet d'un culte local, il faut citer au premier rang le Numicius ou Nu7nicus qui coulait au voisinage d'Ardée 13 et le Clitumnus, un petit fleuve de l'Ombrie. L'un et l'autre étaient à l'origine identifiés avec un Jupiter local; à Lavinium Énée se substitua à ce Jupiter sous l'influence de causes diversesl'; le Clitumnus finit de même par devenir une personnalité distincte i 6. Il y a traces dans les monuments épigraphiques d'un culte du Volturnus, appelé sanctus, au pays des Samnites ; du Sebethus en Campanie, de l'Aufidus en Apulie, du Padus, etc. Le Tuepenus Pater, l'Albsis Pater, le Divus Pater Falacer, que l'on trouve mentionnés ailleurs sont, suivant toute vraisemblance, des divinités fluvialesi6. Dans les provinces il y a des dédicaces en l'honneur du Rhin associé à Jupiter et au Genius loci; du Danube, en compagnie aussi de Jupiter 17 Parmi les dieux topiques de la Gaule dont l'être et le nom sont demeurés obscurs, il en est plus d'un qui n'est que la personnification de quelque cours d'eau. L'inscription Luxovio et Brixiae, etc. 18 associe le héros éponyme de la ville de Luxovium (Luxeuil) à la déesse Brixia personnifiant le cours d'eau (aujourd'hui Breuchin) qui coule à l'est de la ville, Il faut interpréter de même l'inscription encore inédite qui a été découverte dans les thermes de cette localité : DIVA AaxI(()
Sous le règne même de Tibère, dont le consulat date ce témoignage de reconnaissance à une divinité fluviale de la Gaule, le Sénat de Rome refuse de faire entreprendre, pour prévenir les inondations du Tibre, des travaux de rectification et d'endiguement, afin de ne pas porter atteinte à la religion traditionnelle du fleuve 19. Plus tard encore, Néron s'étant baigné dans l'Aqua Marcia, cet acte fut considéré comme un sacrilège et la maladie qui s'en suivit comme une marque de la colère des dieux 20
Ce sont les annalistes grecs et à leur suite les historiens et les poètes romains qui ont introduit, dans l'histoire du Tibre et des principaux fleuves de l'Italie, les fables généalogiques et transformé ces fleuves en héros ou rois de la période primitive, en leur prêtant des amours avec quelque personnalité locale 21. Grâce à eux, le Tibre joue le même rôle en Italie que Achéloüs chez les Grecs; il devient le père de tous les cours d'eau et est identifié, tantôt avec quelque roi des Aborigènes, tantôt avec un guerrier de Veïes tué par Glaucus, fils de Minos, ailleurs encore avec un roi albain du nom de Capeto Tiberinus qui, englouti dans l'Albula, lui aurait
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donné son nom 1. Pour les poètes de la latinité, les fleuves sont des divinités inférieures (plebs supei'um, turba 2agorum semideum2), rattachées par la généalogie à l'histoire primitive des pays qu'ils traversent ; ils les peignent sous les traits que l'art grec leur a attribués dans les représentations plastiques
Strabon, à propos d'Achéloüs, énumère les divers procédés qui servaient à figurer les fleuves 4. Tantôt on leur donnait les traits du taureau ainsi l'hrasinos et le Métope chez les Stymphaliens, l'Eurotas chez les Spartiates, l'Asopos chez les Sicyoniens et les Phliasiens, le Céphise en Attique, le Gélas dans la ville de Géla en Sicile. Ailleurs on les représentait sous la forme de serpents ou de dragons ; ce fut le cas de l'Achéloüs, celui d'un fleuve de Lucanie et du Céphise en Phocide 6. Puis on confondait en une seule la figure de l'homme et celle
du taureau, soit que l'on représentàt un taureau à face d'homme comme le Gélas sur des monnaies de Géla (fig. 3111) 7, soit que sur un corps d'homme on pla
çât une tête de taureau (l'Alphée sur les navires des Pyliens) soit qu'on se bornât, cas beaucoup plus fréquent, à munir de cornes des têtes humaines (fig. 3112) 9. Exceptionnellement les fleuves sont représentés sous les traits du lion et du sanglier 10. Enfin l'on rencontre la forme humaine sans mélange, caractérisée par des attributs, urnes qui épanchent de l'eau, cornes d'abondance qui rappellent l'action fécondante, plantes aquatiques entrelacées dans la chevelure ou décorant le paysage. Parmi les représentations anthropomorphiques, les unes, celles-là surtout qui ont pour objet les fleuves au cours
majestueux et fort, sont barbues et d'aspect vénérable : tels le Nil (fig. 3113)11, l'Achéloüs, l'Hèbre, l'Alphée,
l'Asopos et, dans le monde romain, le Tibre, le Danube, le Rhin; les autres, consacrées aux cours d'eau de moindre importance, nous offrent des fleuves aux traits jeunes et élégants 12, on en a vu un exemple (fig. 3112). La figure 3114 représente le fleuve Hipparis, d'après une monnaie de Camarine 13. Peut-être doit-on reconnaître, au fronton du temple d'Olympie, dans l'angle de gauche, l'Alphée sousle premier aspect, et sous le second le Cladéos, couché dans l'angle de droite. Sur le fronton du Parthénon le Céphise et l'Ilissus étaient tous deux juvéniles ; c'était aussi le cas du Mélès dans une peinture que décrit Philostrate 14. Les fresques de Pompéi restent fidèles à l'idéal grec qui représente les fleuves sous la forme humaine sans mélange et le plus souvent dans toute la force de la jeunesse; il y faut remarquer en plus la couleur des vêtements, empruntée à l'élément humide S5. Une oeuvre célèbre est le groupe du sculpteur Eutychidès représentant la ville d'Antiochia et à ses pieds la personnification du fleuve Orontès, dont le corps juvénile sort de l'eau à la hauteur du buste 1s Sur les monnaies d'un grand nombre de villes en Grèce, en Sicile et dans l'Italie méridionale, des têtes de fleuves sont reconnaissables à leurs cornes 17;
sur des monnaies de Sélinonte, l'Hypsas et le Sélinus sont figurés par un petit taureau, placé sur une sorte de piédestal : au premier plan un jeune homme, personnification même de l'un des fleuves, offre une libation (fig. 3115). Le taureau semble une offrande («vdO-re«) destinée à perpé
tuer le souvenir de la peste guérie par Empédocle, grâce à l'intervention des deux fleuves 18. Une monnaie de Métaponte rappelle des jeux en l'honneur d'Achéloüs 19 (t. IeC, fig. 50). Pausanias mentionne cette particularité que les sculpteurs se servaient de marbre noir pour représenter le Nil, alors que pour les autres fleuves ils employaient toujours le marbre blanc 20. J. A. HILD.