Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FOCUS

FOCUS ('Ecx lpa, écria). Atre, foyer. Le sens général du mot est nettement défini par un passage de Varron 1 : « ... ignis ipsa /lamma est : quidquid autem ignem follet focus vocatur, seu ara sit, seu quid aliud in quo ignis fovetur », termes repris par Servius 2. Le focus est donc le récipient du feu. Dans la maison, c'est l'âtre ; sur l'autel, la partie supérieure d'où monte la flamme. 1. FOYER FIXE. Le mot désigne, dans les très anciennes habitations, la pierre du foyer. Sans doute (on peut le supposer par analogie) dans ces cabanes coniques ou rondes à toit pointu, huttes clayonnées ou non, dont les urnes cinéraires d'Albano ou de Villanova nous donnent la forme d'ensemble, était placée la pierre du foyer, comme elle l'était dans la maison rectangulaire des vieux Étrusques, telle que nous la font connaître, par des représentations analogues, les fouilles de Cornéto et de Chiusi. Une ouverture pratiquée dans le toit, le plus souvent au sommet, livre passage à la fumée 3. De même, dans la très ancienne habitation hellénique, ronde 4 ainsi que les primitives demeures italiques et le sanctuaire traditionnel de Vesta, se trouve fixé le foyer commun de la famille (xotyil écri(z), noyau visible de l'association 5. En tous cas, lorsque la maison s'agrandit, se complique de dépendances, grange, écurie 8, modifiant enrectangle la forme primitive, le tout compris dans l'enceinte de l'enclos (fpxo;, herctum), ce fut au milieu du principal bâtiment (t.r,dya; oixoç) que resta le foyer, avec l'accessoire du xpigavo;, four à griller le blé 7, à cuire le pain (ccproç xpt6avî' riç), à rôtir lesviandes 5. Et la pièce qui le contient n'est pas seulement la cuisine, mais aussi le lieu de tenue et la chambre des habitants, y compris les enfants et les serviteurs 3. Aux temps homériques, disposition analogue; mais la maison s'est subdivisée et les pièces se sont multipliées. Là, dans la demeure des âvaxreç, le foyer est dans la salle principale, le {a.dyapov, le plus souvent adossé contre le mur opposé à la porte d'entrée 10. Il a un caractère sacré, et, près de l'âtre, icTiri, se tient, dans les actes importants de la vie domestique, le chef de la famille, prêtre du culte familial [SACRA]. Rumpf l'a situé, avec vraisemblance, en comparant plusieurs textes de commentateurs, tout proche de la pièce appelée souvent le p.Syos, pièce réservée, intime, qui donnait accès au gynécée 11 Il garde sa place dans la pièce principale de la maison athénienne, celle qui fait face à l'entrée de la cour (a6Xeti), parfois enfermé dans une petite chapelle ronde (06X0;). Dans la maison romaine, il occupe un emplacement central dans le corps de logis correspondant sur le grand axe de l'atrium. Autour du foyer eurent longtemps lieu, dans les demeures fidèles aux antiques traditions, les repas et les réunions de famille; jusqu'à ce que, dans un coin de l'atrium, une pièce particulière fut aménagée, consacrée aux dieux Pénates et servant de cuisine, tandis que le foyer de la grande salle restait destiné au culte [nomes]. La famille n'habitant plus la pièce centrale, les foyers se multiplièrent. En quoi consistait primitivement le focus, l'âtre? Preuner12 essaye d'établir une distinction entre i7z«pa et écria. Il est incontestable que les deux termes ont été souvent synonymes. Et, d'autre part, les documents écrits ou figurés ne nous permettent pas de préciser pour les époques primitives. Tout au moins, peut-on admettre avec Preuner que ry«pa, dans sa signification usuelle, désigne spécialement la cavité renfermant le feu, creusée dans la pierre du foyer 13. L'ECTIz ou le focus serait donc la pierre du foyer creusée pour recevoir et conserver le feu, une simple pierre. A cette définition correspond la FOC 1195 FOC figure 3117. Entre le héros Thésée et Sosippos, sur un bas-relief votif', est placée une pierre arrondie qui reproduit une icy«pa, au sens large : un foyer, si l'on admet que dans la figuration des actes du culte rendu aux héros, le tombeau, c'est-à-dire la demeure du héros, avec son foyer, est représenté 2. A l'époque classique, dans les maisons grecques etromaines, le foyer prend des formes diverses suivant ses usages. L'âtre devenu l'autel domestique des Pénates ou des Lares garda souvent, sans doute, l'ÉCzâpa creuse qui se remarque sur bien des autels. L'autel que l'on voit ici (fig. 3118) appartient au musée du Capitole a et peut dater du dernier siècle de la République : avec sa cavité au sommet et l'ouverture pratiquée à la partie inférieure, il garde tous les caractères d'un foyer. Les appartements et les cuisines eurent des foyers mieux appropriés par leur disposition aux besoins du service domestique. En ses éléments les plus simples, et dans les logis ordinaires, l'âtre se composait d'une plateforme carrée de pierres ou de briques, élevée de quelques centimètres au-dessus du sol, souvent avec une cavité ménagée au-dessous pour le feu et la ventilation. Plusieurs spécimens en ont été retrouvés dans les fouilles de Pompéi. Là-dessus brûlait le feu alimenté par des bûches de bois reposant sur des chenets [CRATICULUM]. Pas de manteau, d'ordinaire, pour recueillir et diriger la fumée, ni de tuyau de cheminée ; on est dans une région méridionale et de vie tout extérieure. Ce n'est pas que la cheminée, même à tirage compliqué, fût ignorée des anciens, des Romains surtout; mais elle était réservée d'habitude pour les fours de boulanger 4, les fourneaux à fondre les métaux ou certains appareils de chauffage [aYPOCAUSTUM]. Celle des cuisines, là où elle a pu être trouvée, est fort simple. Peut-être, dans de nombreux cas, l'exutoire de la fumée était-il une simple section du plafond de l'appartement, pratiquée au-dessus de l'âtre, contre un des murs et correspondant à une ouverture du toit, comme cela se voit encore dans quelques très vieilles fermes du midi de la France. Les fourneaux des mar chands de victuailles et de boissons chaudes, dont les boutiques ouvraient sur la rue, subsistent en grand IV. nombre à Pompéi. Le plan donné (fig. 3119) d'une de ces constructions, montre la place de quatre fourneaux engagés dans une commune maçonnerie 5 : des bassins mobiles étaient posés sur chacune des ouvertures circulaires au-dessous desquelles était entretenu le feu (fig. 3120). La figure 3121, tirée d'une peinture découverte à Rome dans une maison voisine du Tibre offre l'exemple d'un fourneau à cuire très élémentaire, construit d'après le même principe A un usage industriel, probablement à la teinture des étoffes, était affecté le triple foyer de la maison de Lucrétien, dans la strada Stabiana, avec ses trois récipients circulaires fixés dans la maçonnerie (fig. 3122) 8. Les fourneaux servant à la céramique et à la mé tallurgie [FORNAX] sont établis de façon analogue, avec ou sans caminus, et la plus grande partie de la construc tien est engagée dans le sols. Un certain nombre de modèles de foyers mobiles destinés au service du culte sont décrits aux articles ARA et TURIBULUM. Les formes en étaient fort variées, si l'on en juge par les spécimens qui nous restent. Ces foyers ou brûle-parfums (foculi, o'cEta) abondaient dans les sanctuaires et les chapelles des cultes publics ou domestiques. La plupart sont posés à même le sol. D'autres sont supportés par un pied. Les monuments en offrent d'abondants exemples. Tel est un élégant foculus ici reproduit (fig. 3123) d'après un bas-relief i0 du Musée Britannique. C'est parfois la cavité pratiquée dans la partie supérieure de ces foyers qui porte le nom de focus ou focu 151 FOC 1196 FOC lus 1, parfois, par extension, le récipient du feu tout entier 2. On peut assimiler à ces modèles les ouvrages de bronze, de métal précieux ou de marbre, faits à l'imitation du trépied sacré, offrandes votives dans les temples ou récompenses honorifiques3. Beaucoup de foculi, en terre ou en bronze, de formes diverses, quelque-uns très anciens, ont été trouvés sur le territoire de l'ancienne Étrurie et dans l'Italie entière (voy. ETRUSCI, (fig. 2789, 2793, 2828). C'est surtout à l'aide de foyers mobiles contenant un combustible sans fumée [ACAPNA] que se faisait le chauffage des appartements. Pompéi a fourni de très élégants spécimens de brasiers portatifs en bronze, de forme rectangulaire ou ronde. C'était à la fois une pièce d'ameublement et un appareil de chauffage pour les chambres ou les thermes. Tels sont les braseros d'ornementation riche, l'un rond, de Pompéi (fig. 3124)'., l'autre, rectangugulaire (fig. 3125), provenant de Vienne (Isère) et actuel Iement au musée de Lyon 6. Des foyers analogues ont peut-être servi à l'usage du culte : c'est ce qu'on a pensé de celui qui est représenté (fig. 3126) et qui appartient au musée du Vatican 6, muni d'un couvercle et trouvé avec sa pelle et un crochet pour remuer les charbons. Quelques-uns sont portés sur des roues ou des pieds à roulettes (fig. 3127) 7. D'autres, servant aux usages de la cuisine, sont ou des fourneaux ou des réchauds. Les fourneaux8 sont souvent placés sur un support, laissant place, au-dessous, à la ventilation, avec une porte en avant pour recevoir le combustible ; le vase contenant les ingrédients est placé dans l'ouverture supérieure. Dans cette catégorie et comme pouvant répondre, selon les cas, à la double destination de fourneaux et de réchauds, il y a quelque intérêt à mentionner ces ustensiles en terre cuite, d'un rouge vif pour la plupart, dont les fragments sont en nombre considérable (plus de 900 ont été signalés par M. Conze) et proviennent de presque tous les points du littoral de la Méditerranée où s'est le plus directement et le plus fortement développée ou exercée l'influence hellénique 9. L'étendue de cette aire de dispersion montre de quel usage commun était cet ustensile dans le monde antique. C'était un réchaud à charbons. Il consistait en un cylindre creux, légèrement évasé à la base qui, dans la plupart des cas, reposait directement sur le sol, et muni d'une ouverture libre par où, évidemment, étaient extraites les cendres (fig. 3128). Des bouches pratiquées dans la paroi et le plus souvent ornées contribuent, avec cette porte, à favoriser la ventilation. Le combustible déjà allumé était placé dans une sorte de vasque circulaire par laquelle se termine le cylindre (fig. 3129) : elle s'élargit dans le sens de la hauteur; le fond en est curviligne et percé de trous destinés à permettre le tirage de bas en haut, dû à l'appel d'air produit dans le creux du cylindre. Sur le rebord supérieur se dressent, chacun d'eux FOC 1197 FOE inscrit dans un encadrement généralement rectiligne, trois appendices dont la partie la plus saillante se dirige vers l'intérieur du récipient, perpendiculairement aux parois, en forme de pied, plus exactement de support. La convergence de ces saillies résulte de la forme circulaire donnée au contour de la vasque. La figure 3128 montre un exemplaire du musée Fol à Genève, dont l'élégance peut être appréciée dans l'ensemble, grâce à l'état de conservation dans lequel il nous est parvenu. La figure 3130 donne la coupe verticale d'un des types les plus usuels 1. La destination du meuble paraît évidente : sur ces réchauds pouvaient se placer des récipients de mets ou de boissons. M. Gonze a attiré l'attention récemment sur ces pièces dont un type à trois pieds, très simple et moins fréquent fourneau grec. que les autres, a été reconnu depuis longtemps par A. Dumont sur un bas-relief du cabinet de M. Brunet de Presle, aujourd'hui au Louvre2. La question qu'il avait, à ce propos, indiquée en passant, celle des affixes ou supports de la partie supérieure, est devenue depuis la plus importante et la plus étudiée de celles qui se rattachent à ce sujet. C'est, en effet, dans les dessins très variés qui décorent ces pattes, ces porte-plats, têtes à bonnet pointu, à barbe large, très étalée, qui fait l'office de support, têtes de Satyres et de Silènes couronnées de lierre ou hérissées, quelquefois accompagnées d'un foudre, masques de théâtre, mufles d'animaux, rosaces, etc., que se montrent surtout la conscience et la fantaisie de l'art grec appliquées à un ustensile vulgaire ; d'ailleurs l'épaisseur même de leur point d'attache au récipient et la forme de coin qu'ils affectent en a fait les fragments les plus résistants et, par conséquent, les mieux conservés de l'ensemble. M. Gonze classe les restes qui nous sont parvenus d'après ces motifs3. A ce classement s'est ajoutée l'hypothèse trop ingénieuse peut-être de M. Furtwàngler qui voit dans ces types décoratifs la représentation des génies du feu, des Cyclopes en particulier, aides de Vulcain, ou des ennemis du feu qu'on voulait apaiser. Le foudre de Zeus est un symbole du même genre a. Il est bien malaisé d'appliquer ce systèihe d'interprétation à tous les modèles d'atelier qui nous sont parvenus parmi les débris des réchauds en question. La destination même de l'ustensile a donné lieu à de nouvelles conjectures. Récemment, M. Benndorf l'a rattaché à la fabrication du pain, alléguant le peu de résistance des matériaux composant les affixes, en terre cuite comme le reste et insuffisants à supporter un poids tel qu'une bouilloire d'eau chaude, par exemple, tandis qu'une légère caisse métallique contenant une galette de pâte n'aurait pu en compromettre la solidité. Le réchaud serait alors une sorte de four, un clibanos d'usage général et, par là, s'expliquerait le nombre de ces objets et aussi leur diffusion, dont témoignent les origines des débris conservés Question technique assez difficile : la galette de pâte, en ce cas, serait-elle cuite autrement que dans ses couches inférieures? A-t-on retrouvé des caisses métalliques du genre désigné ? Cette adaptation n'est pas, d'ailleurs, incompatible avec celles que présentent A. Dumont et M. Conze et qui fait de l'ustensile un simple réchaud. Nous ignorons seulement ce que l'on pouvait lui faire supporter. Quant à l'époque de la fabrication et de l'usage, A. Dumont et M. Gonze, se fondant sur le style des modèles et l'examen des caractères et des marques, là où sont fournies des inscriptions, les fixent au ne siècle avant notre ère ; quelques exemplaires, comme l'a fait remarquer M. Newton à propos de l'un d'eux, peuvent appartenir au me. Parfois le fourneau qui porte alors le nom de TRIPUS, se réduit à un cercle soutenu par trois pieds et reposant sur un plateau où brûle le feu 5. Les réchauds, d'abord assez simples, reçoivent, à l'époque impériale, une décoration élégante, comme en té moigne la figure 31347. Ce modèle en bronze, tiré de Pompéi, a pu, avec les fins et sobres reliefs qui cou rent le long de ses quatre faces, être pris pour un brasier d'appartement, et, à ce titre, un objet d'ameublement riche. C'est plus probablement un réchaud servant de bouilloire, comme le type dessiné à l'article CALDARIUM, qui est moins artistique. On a ici décrit la bouilloire, le réchaud perfectionné [CALDA, CALDARIUM] qui témoigne d'un goût du confort inconnu des âges antérieurs et qui sert de thème à une déclamation de Sénèque 3. On transportait les mets préparés de la cuisine à la salle à manger dans un réchaud fermé : d'où l'indignation de l'opulent philosophe. Bien plus compliqués encore sont d'autres foyers d'appareils à eau chaude dont il a été parlé aux articles ci-dessus indiqués. Le mot focus est pris parfois, surtout chez les poètes, dans l'acception générale de feu, flamme'. P. GACHON.