FONS. I Kvr). L'eau est dans les pays méridionaux, tels que la Grèce et l'Italie, un élément trop précieux de
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richesse pour que les habitants s'en remettent uniquemente à la nature du soin de l'assurer et de le distribuer. Il s'ensuit qu'en dehors des drainages servant à ménager et à répartir l'écoulement des eaux de pluie, des dérivations et des canaux appelés à compléter l'oeuvre d'irrigation des rivières et à en porter les eaux aux populations trop éloignées de leurs rives pour en profiter sans intermédiaire, des puits enfin et des citernes, les sources elles aussi, même des sources d'importance secondaire, ont été dès la plus haute antiquité l'objet de travaux où la main de l'homme complète ou modifie l'oeuvre du sol. La raison religieuse d'ailleurs s'ajoutait sur ce point aux motifs pratiques et aux considérations d'intérêt, le culte professé envers les fontaines (voy. NYnIPDAE et la deuxième partie du présent article) remontant aux plus anciennes et aux plus intimes croyances des Grecs et des Romains', et la piété par suite ayant dù, pour une large part, contribuer à la décoration architecturale et plastique dont les uns comme les autres se sont plu à les entourer : les témoignages nous apprennent ainsi qu'on aimait à les parer d'ex-voto 2, et, sur plus d'un vase peint, nous voyons l'édicule qui les abrite enguirlandée en quelque sorte par de nombreuses statuettes de terre cuite (voy. I, p. 333, fig. 395)3. Le lecteur trouvera, en ce qui concerne les moyens mis en oeuvre par les anciens pour assurer la captation, la bonne conservation et l'adduction des eaux, les renseignements néces
Il ne s'agira donc ici, à l'exclusion de ce qui a trait âux sources minérales qui ont fait l'objet d'un article distinct [AQUAE], que des fontaines proprement dites, de leurarchitecture et de leur décoration, en laissant de côté les réservoirs ou récipients, tels que les vasques, destinés à recevoir les eaux, toutes les fois qu'ils ne seront pas en relation immédiate avec une alimentation d'eau continue
[CANTIIARUS, PRIALA]. L'examen des monuments et scul
ptures qui n'ont avec les sources qu'un rapport indirect de personnification, statues de divinités des fontaines a et notamment d'Anchirrhoé°, masques d'hommes et d'animaux, têtes ornées de cornes si souvent représentées sur les bas-reliefs dédiés aux Nymphes a également sa place ailleurs et n'est incidemment mentionné que pour l'éclaircissement qu'il apporte àl'emploi des mêmes représentations servant de bouches d'eau dans les fontaines.
1. Ii n'est pas douteux qu'il n'y ait eu en Grèce et dans les pays grecs, comme dans tous les pays de montagnes et de rochers, de ces fontaines consistant simplement en une cuve taillée dans la pierre où se recueille le filet d'eau sortant de terre, dont la présence encore aujourd'hui, sur le bord de nos routes, rend si grand service aux voyageurs et aux animaux altérés. Le nom de Se,«psvrl, commun ainsi que l'indique la racine à tous les réservoirs d'eau, s'appliquait notamment à de tels bassins, qu'avoisinaient souvent des bancs pour l'usage des buvéurs ou des femmes venant laver'. L'attention des voyageurs malheureusement a été peu attirée sur ceux de
ces monuments trop simples qui ont pu survivre jusqu'à nous. Il est rare, lorsqu'ils en `ont rencontré, qu'ils se soient attardés à les décrire : ainsi les explorateurs anglais de'Cyrène, Smith et Porcher, en signalant au foneP d'un ravin voisin et à un endroit où la route taillée dans le flanc du roc s'élargit, la présence d'une fontaine dont l'eau était anciennement recueillie dans une succession de bassins, se bornent à faire remarquer le rafraîchissement qu'on avait pris soin, dès l'antiquité, de ménager à l'entrée de la célèbre colonie, aux arrivants, hommes et bêtes'. L'Expédition de Morée pourtant reproduit un
bassin (fig. 3135) taillé dans un bloc rectangulaire, de 2m,30 de long sur 0'°,!i6 de haut et Om,65 de large, percé à l'une de ses extrémités d'un trou circulaires : il se trouvaitauprès'de ruines et de restes d'un hippodrome au pied du mont Lyncée et appartenait évidemment à quelque fontaine'du genre qui nous occupe. Des cuves assez analogues, sont figurées sur des vases peintsf6; dans une dé ces peintures, le réservoir est décoré sur le
devant de pilastres sommaires et sur le rebord, vraisemblablement couvert d'une dalle horizontale, une femme est assise causant avec sa compagne, tandis que se remplissent les. hydries déposées à ses pieds (fig. 3136)". Il est également question d'un de ces réservoirs, mais de grandes dimensions, 20 mètres de long sur 11 de large, partiellement coupé dans le roc, aux environs de Séleucie de Pisidie, dans le voyage d'exploration publié sous les auspices du prince Lanckoronsky''-, et deux
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fontaines,enfin do même nature, quoique déjà d'importance et de construction plus considérables, sont men
tionnées, l'une dans l'Itinéraire de Le Bas, près de Mistra
au nord-ouest de Sparte, l'autre, creusée dans la colline avec des bancs et un vaste réservoir, à l'entrée de la ville de Navarin, dans un voyage en Morée le paysage, dessiné malheureusement dans la manière conventionnelle en faveur au début du siècle, laisse reconnaître, dans une enceinte, un triple réservoir adossé à un haut mur de soutènement orné d'une rangée d'arcades soutenues par des colonnettes.
Il ne semble pas, en revanche,-que jamais en Grèce de telles fontaines, directement taillées dans la montagne, aient reçu un aspect monumental ni que rien y rappelle, même de loin, une oeuvre par exemple telle que la célèbre fontaine assyrienne de Bavian, au nord-est de Mossoul : il fallait un peuple plus habitué que ne le furent les Grecs à la sculpture rupestre pour ciseler ainsi, dans le champ dressé de la paroi, les deux lions symétriquement affrontés qui appuient leurs pattes de devant sur l'orifice d'un large vase, du col duquel, seule partie non engagée dans le roc et vue en perspective, l'eau sortait et tombait dans une vasque arrondie au bord de la route
Les Grecs toutefois n'ont pas reculé à l'occasion devant l'excavation de chambres souterraines, soit à vif dans la montagne, soit garnies de maçonnerie, destinées à la. captation des sources à leur sortie même du rocher. Telles sont par exemple (fig. 3137, 3138, 3139), à Syllion en Pamphylie, une succession de quatre chambres à toit triangulaire 4 ; un long et étroit couloir, qui s'enfonce de 21m,50 dans la montagne, réunit la première chambre A aux trois autres B C D qui communiquent entre elles et, par d'ingénieuses disposi
tions où les Romains n'ont fait que suivre leurs prédécesseurs, sont combinées de manière à laisser déposer les eaux et. à ne les déverser successivement qu'avec une clarté de plus en plus grande. L'excavation de Syllion avait d'abord été prise pour un tombeau Il en est de même d'une autre construction à Cÿpre, à peu de distance
de Larnâka, nommée dans le pays Panagia Phanerou
ment que des observations plus précises ont fait reconnaltre comme ayant abrité une source. Les différences qui les séparent sont surtout dues à la nature du terrain, qui ici est en plaine, de telle sorte qu'il a fallu le tailler non plus horizontalement pour. pénétrer dans le coeur
d'une colline, mais verticalement. Les deux chambres, construites en matériaux peu appareillés, sont formées de murs dont la largeur varie de Om,50 à 1',50 et recou-, vertes de, monolithes dont la face supérieure dépasse à peine le niveau du sol : une porte fait communiquer la première, qui est carrée, avec la seconde, arrondie en, abside et-au centre de laquelle jaillit encore aujourd'hui la source 7. La plus remarquable surtout des constructions de ce genre est celle qui se voit dans l'île et à peu de distance de la ville de Cos a : la forme de la,
y rappelle, ainsi qu'à Syllion, l'architecture adoptée dans les anciens trésors ou caveaux funéraires et se
retrouve presque identique dans les tombeaux à coupole de Mycènes'. Elle se compose (fig. 3140 et 3141) d'une chambre unique, circulaire, dans la paroi même, de laquelle l'eau sort d'une faille du rocher : de dimensions assez restreintes, 2m,85 de diamètre, la chambre s'élève
à une hauteur de 7 mètres et se trouve surmontée d'un puits cylindrique aboutissant à la surface et destiné à aérer la source; un canal souterrain, de 35 mètres, dont la première partie, plus large, forme comme un second réservoir, amène l'eau au dehors in
La fontaine qu'abritaient ces constructions ne nous est pas inéonnue : elle avait nom Burinna, et Théocrite en a chanté la beauté". Il est peu de villes qui n'eussent ainsi, soit à l'intérieur de leurs murs, soit dans leur voisinage, une fontaine plus ou moins célèbre. Les traditions les plus anciennes, quelque légende locale, souvent celle du héros éponyme, le souvenir d'une divinité pro
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tectrice, s'y rattachaient. La fontaine avait ainsi sa place dans la vie religieuse de la cité, que lui assuraient en outre certains usages, l'obligation par exemple à Athènes pour les jeunes filles à la veille de se marier de se purifier avec les eaux de la fontaine Kallirrhoé'. Là aussi, sur la place publique, se donnaient rendez-vous les promeneurs; on aimait à s'y retrouver et à se reposer à l'ombre et au frais. La Pirène était ainsi une des curiosités de Corinthe2, au point de mériter à la ville elle-même le nom de ville de Pirène 3, et, aujourd'hui encore que les eaux en coulent aussi abondantes et limpides qu'autre
fois dans une sorte de grotte (fig. 3142) sur le rocher de la citadelle, l'on ne semble pas s'entendre sur les causes qui donnent
naissance à une source aussi riche à pareille hauteur ° : ses eaux, disaiton, étaient les mêmes qui, par des nappes souterraines,rej aillissent sous le même nom dans la ville inférieure. Les eaux de Thèbes, dont quelquesunes pas
saient pour avoir été canalisées par Cadmus lui-même 6, n'étaient pas moins fameuses 7, et dans le voisinage coulait la célèbre Dircé, alimentée par plusieurs sources 3, dont l'une, à droite d'une petite caverne, tombe par huit bouches dans un bassin de marbres. La fontaine
de Kallirrhoé enfin, pour nous borner à Athènes, seule ou presque seule avant l'adduction des eaux des montagnes voisines i0, assurait l'alimentation de la ville en eau potable, et son renom resta toujours considérable même à une époque postérieure. Il semble difficile, quoiqu'on en ait souvent discuté la place, de ne pas la reconnaître dans la fontaine qui coule dans le lit même de l'Ilissos et porte aujourd'hui encore le nom de Kallirrhoi1l. Sans doute elle est loin et du volume et de la qualité qui en faisaient jadis la réputation. L'eau qui sourd du rocher s'élevant verticalement au-dessus du lit du ruisseau s'amasse au pied et forme deux flaques 12. L'ceuvre de la nature est seule restée, l'oeuvre de l'homme a disparu, et nous savons qu'elle avait grandement concouru à l'embellissement de la Kallirrhoé : à elle la fontaine avait del son surnom d'Evvezxpouvoç, dont l'explication toute naturelle se trouve dans les travaux de Pisistrate, murant dans une construction architecturale les a71'ç e p«vep«t de la fontaine, telle qu'elle s'offrait auparavant à la vue 43, et la faisant tomber dans un bassin par neuf bouches distinctes14. Les vases peints qui nous montrent des femmes remplissant leurs hydries à la Kallirrhoé (fig. 3143) nous la font voir sous cet aspect embelli, précédée d'un portique et déversant ses eaux par des masques sculptés'.
La réputation d'autres fontaines venait du caractère particulièrement sacré dont elles jouissaient 36, lorsqu'elles coulaient par exemple dans le voisinage immédiat d'un temple. Tel était entre autres l'Asterion, qui peu au-dessus de l'Ileraion d'Argos tombait dans une sorte de caverne, d'où peut-être il se distribuait dans le sanc
tuaire '7. Il
arrivait en effet , quoique le plus souvent,on le sait, l'approvisionnement nécessaire aux purifications fût apporté par des femmes, la cruche surla tête, dans la pose reproduite par tant d'oeuvres d'art, que des dérivations l'amenassent sans qu'il devînt nécessaire de recourir à l'intermédiaire des porteuses. L'eau, semble-t-il, était ainsi conduite par des canaux souterrains, et des réservoirs destinés à la recueillir
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ont été reconnus, aux temples notamment de Déméter à Patras i, d'Asklepios à Paros 2. La tholos d'Épidaure avait sans doute également pour destination d'abriter une source sacrée d'Asklepios 3. Les sources salées, de Ieur côté, revenaient de droit à Poséidon et sont plus d'une fois mentionnées dans ses temples a. Les plus célèbres toutefois des fontaines ainsi consacrées sont la Kastalie et la Kassotis à Delphes, consacrées à Apollon
Un bassin creusé dans la pierre reçoit aujourd'hui encore, au pied de la paroi du rocher, les eaux que l'on
croit être la liastalie", ombragées par des platanes qui, disait-on, avaient été plantés par Agamemnon lui-même 't. La Kassotis, de son côté, passait pour inspirer, par les vapeurs qu'elle dégageait, les divinations de la Pythie 8, et ses eaux, après avoir arrosé les myrtes et les lauriers du péribole, se repandaient, non seulement dans le pronaos, mais jusque dans l'adyton où siégeait la prêtresse 3.
Il y avait enfin place pour les fontaines, en dehors des maisons particulières, où leur emploi ne semble pas
avoir été développé comme dans les luxueuses habitations romaines l'habitude en particulier pour les femmes, même de condi
tion libre, d'aller puiser l'eau à la fontaine publique nous est attestée par les textes et par d'innombrablesreprésentationslo dans les gymnases 4l et les bains, qui souvent n'étaient qu'une dépendance de ces derniers, mais une dépendance
slUx]. Les Grecs aimaient, à la suite notamment des exercices athlétiques, à s'y soumettre à des douches tombant de haut, dont l'action, combinée avec
celle du strigile et des frictions, débarrassait la peau de la sueur et de la poussière. Un vase du musée de
Leyde (fig. 3144) 12 nous montre ainsi, sous un édicule
à fronton qui s'élève en plein air, à coup sûr dans la cour d'un gymnase, deux hommes debout, entièrement nus, recevant l'eau qui découle de deux mufles de panthère et se frottant la poitrine, le dos et les épaules, tandis que, sur les côtés, deux groupes d'éphèbes s'oignent d'huile au pied d'un arbre où sont suspendus leurs flacons et leurs vêtements. Une scène plus curieuse encore, relative à un bain de femmes, nous est fournie par un vase de Berlin (fig. 314i) n : debout également sous un portique, aux colonnes doriques duquel est fixée une longue tringle qui leur sert à déposer leurs
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tuniques, quatre femmes reçoivent en' douche' l'eau qui jaillit de diverses têtes d'animaux' disposées de part et d'autre des colonnes et dont se remplit le bassin où elles se tiennent baignées jusqu'à mi-jambe.
Il ressort d'ailleurs des vases peints qui, seuls ou presque seuls, au moins pour ce qui est de la construction extérieure et de la décoration, nous ont gardé l'image de ce qu'étaient en Grèce les fontaines, que le principe général qui présidait à leur architecture variait assez peu. L'exigence même du dessein auquel cette architecture était appropriée en faisait presque une loi. Il importait en effet avant tout, en entourant la fontaine de constructions, d'empêcher, grâce à la couverture qui l'abritait, qu'aucune souillure en pût troubler la pureté et d'en régulariser le débit le sentiment qu'expriment Ovide' et Juvénal' de la préférence marquée par la divinité de la source pour la nature inviolée que ne profane point le marbre est d'Une religion plus raffinée que ne connurent que les siècles postérieurs3. La présence d'un portique et de bouches à eau plus ou moins richement décorées répondait à ce double objet : leur emploi aussi bien était général. L'existence d'un portique surmonté d'un fronton a même pu être reconnue, en dehors de représentations figurées, par Smith et Porcher sur la paroi de rocher de la fontaine d'Apollon à Cyrène, où sa trace est restée entaillée 4. Il est assez rare qu'il soit absent, lorsque la fontaineareçuune décoration sculpturale : une série de vases toutefois relatifs à la légende de Polyxène et de Troïle nous montrent Achille posté derrière une fontaine située en rase campagne, sans abri, et pourtant ornée d'un mufle de lion ° ; sur quelques-uns même apparaît (fig. 3146) la forme, insolite, semble-t-il, en Grèce anciennement d'un pi
lier surmouté'd'un abaque sur lequel s'adapte la bouche d'eau', forme commune au contraire dans les fontaines romaines et notamment dans les fontaines de Pompéi. Il va de soi, qu'il ne peut être question d'uniformité: le nombre, la disposition, la nature des colonnes variaient, doriques d'ordinaire, ioniques quelquefois 7; mais presque constamment, sous le portique, l'eau sort de têtes d'animaux, et le plus souvent de têtes de lions. La source en effet, qu'est-elle sinon la tête du cours d'eau, réc x)etl8, de même que caput° en latin,. et la bouche répond à l'ouverture par où l'élément s'échappe des entrailles de la terre. Il semblait de plus aux anciens, en quête de symboles, qu'une ressemblance se pouvait trouver entre l'eau qui descend en bondissant de rocher en rocher et la course des animaux remarquables par leur agilité, tels que le cheval, le chien, la chèvre, ou l'impétuosité de leur nature, le bélier, le bouc, le taureau, le loup '°, et, plus que tous autres, il leur paraissait que le lion était apte à personnifier l'élément qui, alors même qu'il semble endormi dans une capricieuse nonchalance, est susceptible des réveils déchaînés du torrent hivernal u1
Innombrables sont les peintures qui nous montrent des mufles de lion ornant des fontaines 12, d'où l'épithète de xprvocpd).«; 13 appliquée au lion et l'expression de xpouvot ) oov o7rPdsw7tot 14. Mais d'autres figures, quoique
en moins grand nombre, se rencontrent également : têtes de panthère notamment sur des vases de l'Italie méridionale 16, des vases des musées de Leyde 16 et de Berlin 17 déjà cités, du British Museum 18, des musées de Munich 19 et de Florence 2°; têtes de sangliers sur le même vase de Berlin2t, têtes de cheval ou de mulet sur un vase des musées du Vatican, de Munich et de Berlin 22. Il est très rare en revanche que les têtes d'animaux fassent place à une représentation plus complète, même à un protome tel que le protome de lion qui se voit sur un vase de l'ancienne collection Panckoucke 23 aujourd'hui au musée de Boulogne-sur-Mer, représentant Hercule vainqueur de l'Hydre à la fontaine de Lerne 2t : l'insolite du sujet avait même fait, jusqu'à MM. Mayer23 et Pottier, regarder le lion comme un animal réel et vivant2e, au lieu d'un. détail architectural n'ayant d'autre fonction que de cracher l'eau par la gueule. La substitution à une tête d'animal d'un masque humain, est non moins rare; sur une hydrie de la collection Torlonia 27, on voit une tête de Silène déversant l'eau sous une édicule à colonnes doriques. Il n'entrait pas, à plus forte raison, dans les conceptions des Grecs d'employer
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une statue entière d'homme ou de femme comme élément de la°fontaine elle-même 1, et si, à côté de la sculpture ornementale, la statuaire proprement dite a chez eux trouvé place dans la décoration des fontaines, son intervention s'y justifiait par quelque raison d'ordre supérieur, la représentation d'une divinité locale par exemple, ou du moins de quelque personnification en relation plus ou moins directe avec les sources et les eaux. La sculpture de genre n'apparaît guère qu'à l'époque alexandrine et à elle sans doute au plus tôt appartient l'idée, dont nous aurons à reconnaître la fréquente mise en pratique à l'époque romaine, de faire servir, par l'intermédiaire de quelque accessoire, une statue au jet même de l'eau2.
IL Il n'est parvenu jusqu'à nous, en dehors des murailles massives qui défendaient leurs villes, que trop peu de vestiges de l'architecture des Étrusques pour nous renseigner exactement sur ce qu'étaient leurs fontaines. Il convient de signaler toutefois deux monuments qui, rendus à là lumière dans ces dernières années, en peuvent don
ner une idée. Le premier (fig. 3147 et 3148) a été découvert à Pian di Misano, à peu de distance de la célèbre nécropole de Marzabotto près de Bologne; il se compose d'un réservoirquadrangulaire divisé en deux parties, dont l'une servant de bassin de décharge, l'autre couverte horizontalement et plus basse, où deux conduits formés
de grosses tuiles amenaient l'eau qui, une fois purifiée, sortait de la fontaine par deux canaux en travertin Les fouilles entreprises dans les environs de Piansano ont de leur côté fait reconnaître une vaste excavation de 30 mètres de long sur IO de large environ, tout entourée de murs en blocs carrés de tuf et de calcaire que couronne une rangée de dalles. Les détails de l'appareillage ne se prêtant pas à un réservoir, et, d'autre part, les nombreuses infiltrations et les traces de canalisation qui s'y rencontrent ne permettant pas de douter
que l'eau ne jouât un rôle important dans la construction, le plus probable est qu'elle, entourait une source et des bassins servant de fontaine et de lavoirs publics, auxquels un escalier subsistant encore dans l'un des angles donnait accès 4.
III. Il est peu de villes qui fussent aussi richement dotées d'eau que l'était Rome'. La plus grande partie, il est vrai, lui était apportée du dehors par les aqueducs dont les ruines sillonnent aujourd'hui la campagne environnante. Quatre cents ans et plus toutefois, les Romains avaient pu se passer d'emprunts extérieurs, se contentant de l'eau du Tibre, des puits, des citernes et des sources e Romulus, dit Cicéron', a choisi un site riche en sources, et, quoique toutes n'aient pas laissé un nom 8, le nombre de celles qui ont été reconnues est assez élevé 0. Jointes à ces eaux naturelles, les eaux dues à l'adduction n'étaient pas distribuées, en dehors des concessions particulières, des bains, etc., par moins de cinq cent quatre-vingt-onze fontaines au ier siècle de notre ère, de plus de douze cents aux Ive et ve d'après le Curiosum et la Notilia 1e. Les laci, simples bassins ou réservoirs [LACUS] destinés aux besoins de la population et à l'abreuvement des animaux, sont distingués dans le nombre des munera qui semblent être les fontaines ornementales''. Aux uns et aux autres l'eau était distribuée par des salientes ou prises d'eau jaillissante, le plus souvent au nombre de deux, établies sur des branchements distincts, afin qu'en cas d'interruption de l'une des conduites l'alimentation fût assurée pas l'autre 12. La metasudans, entre l'extrémité du'Forum et le Colisée, n'était que le plus célèbre de ces salientes, de dimensions plus grandes qu'à l'ordinaire : sous le massif de maçonnerie quelque peu informe qui la représente aujourd'hui et qui s'élevait vraisemblablement en tronc de cône, constituant, indépendamment de la décoration qu'il avait dû recevoir et dont un bas-relief du Vatican nous peut donner , l'image (fig. 3149) 1s, une véritable borne-fontaine, se trouve l'arrivée de la conduite, qui le traversait de part en part et formait la colonne ascendante. Une élégante colonnette de marbre ayant eu le même usage, tout ornementée de feuillages et autour de laquelle s'enroule un serpent (fig. 3150), est conservée au musée Britannique 14 et nous peut donner un exemple de jet d'eau appartenant probablement à une habitation privée.
La lente et constante superposition des constructions modernes aux constructions anciennes ne laisse que difficilement reconnaître, à Rome, l'existence de ces fontaines si nombreuses 15, et, pour s'en faire une idée, mieux vaut, quitte à ne pas oublier la distance qui les séparait de la capitale de l'empire, se tourner vers les villes secondaires qu'un accident de leur histoire a subitement frappées de mort et dont le squelette en quelque sorte a subsisté jusqu'à nous, Pompéi et Timgad, la Pom
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péi algérienne Le déblaiement de cette dernière a déjà fait reconnaître, à l'angle des rues qui limitent le Forum,
l'existence de deux fontaines similaires se faisant pendant : la mieux conservée nous montre (fig. 3151) une
cuve rectangulaire (exceptoriuna 2, conceplaculum 3) de
2 mètres de longueur sur 1 mètre de largeur, dont le bord est profondément usé par le frottement des cruches qui servaient à y puiser et peut-être par le cou des animaux qui y venaient boire, et qui s'appuie contre un mur de fond décoré d'élégants pilastres. L'eau était amenée par une conduite, dont il existe encore des restes sur la façade occidentale du forum, au niveau de la partie supérieure et sa force ascensionnelle permettait sans doute de la faire monter par des tuyaux jusqu'à la hauteur nécessaire pour retomber dans la cuve, au moyen d'un sujet, de bronze ou de marbre, servant de couronnement et dont la partie conservée de la fontaine ne serait en quelque sorte que le soubassement'. II semble que ce type de fontaine ait joui d'une certaine faveur en Afrique ; une fontaine toute semblable, se
composant d'une cuve adossée à un mur décoré de pilastres, a été reconnue dans les ruines de Djemila,
l'ancienne Cuicul °. Il ne diffère d'ailleurs pas essentiellement de celui qui, à Pompéi, était adopté dans la plupart des carrefours, où
se trouvaient de préférence ^ t)
les fontaines publiques' : un réservoir rectangulaire devant un pilier servant de support à la conduite noyée dans son massif et quelquefois orné, soit d'un masque 7, soit d'un basrelief 8. La fontaine seulement se complète parfois par l'addition d'un réservoir tel que celui qui se voit reproduit à la figure 3452, décoré d'une pein
ture représentant une scène re
ligieuse 9. Le luxe en revanche est tout autre dans les fonlaines intérieures de quelques riches habitations; là, en dehors des mille formes diverses que se prête à revêtir la partie même de la fontaine par où se déversent les eaux depuis celle d'un vase (fig. 3153) 10 ou d'une colonne (fig. 3154) it surmontée d'une vasque plus ou
moins élégante [CANTIJARUS, LABRUM] jusqu'au modèle plus simple et fréquent de coquilles juxtaposées dégouttant
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sur des degrés oula nappe se brise etrejaillit (fig.3155)',souvent la fontaine tout entière reçoit une importance architecturale et devient un véritable monument, dont
le fond est constitué par une niche, d'ordinaire plaquée de mosaïque, de l'intérieur de laquelle l'eau se répand dans un somptueux bassin. Il suffira de citer, dans la rue de Mercure, les deux maisons connues sous les noms de Casa della grande et della piccola ou seconda Fontana a Musaico, la Casa del Centenario ou del Fauno ubbriaco, la Casa di Lucrezio 2, dont l'abside, surmontée d'un fronton et également revêtue
de mosaïques, la plupart à fond bleu semé d'ornements géométriques, avec un paysage fantastique sur le
IV.
bord d'un fleuve, abrite un Silène à l'outre dont il sera parlé plus loin'. Le plus remarquable exemple peutêtre de fontaine de ce genre est celui d'une maison découverte en 1880-81, dont le bassin semi-circulaire, revêtu de stuc et séparé du jardin par une balustrade de marbre, recevait l'eau d'un tuyau sortant de la main d'une statuette de Silène qui en occupait le centre et était recouvert par une large niche toute décorée de mosaïques à sujets, divisées en nombreux compartiments et se rapportant en partie au moins à la naissance de Vénus et au bain de Vénus et des Amours4 (fig. 315G).
Il ne s'agit là cependant que de fontaines privées, et il n'est pas douteux qu'il n'y eût à Rome, parmi les munera dont parle Frontin, des fontaines plus riches encore et surtout plus monumentales. Le plan d'une construction de ce genre, dont les restes subsistent de nos jours, connus sous le nom de trophées de Marius et que nous n'avons point mentionnée plus tôt parce qu'elle a longtemps été regardée comme servant seulement de castellum de division pour répartir les eaux destinées à l'alimentation des quartiers voisins, est reproduit par la figure 1209, t. I, p. 938 [cnsTELLUra]; les revêtements de marbre, les chapiteaux, les arcades, les niches ornées de sculptures démontrent en tous cas quelle en était la magnificence. L'on trouvera également au même endroit (fig. 1210 et 1211) et surtout dans le compt erendu de l'exploration du prince Lanckoronsky' la vue du somptueux édifice qui, à Sidé en Pamphylie, bordait l'un des côtés de la place publique et dont la façade, creusée de trois grandes absides semi-circulaires, dans chacune desquelles l'eau se déverse dans trois vasques placées côte à côte, présente une longue colonnade corinthienne supportant un attique que devait couronner une rangée de statues. Il nous est dit d'ailleurs que le seul Agrippa, qui édifia à Rome sept cents fontaines et augmenta le débit de cent cinq autres, employa à leur décoration, outre quatre cents colonnes de marbre, trois cents statues de marbre ou de bronzes, et peu de monuments, en fait, nous ont rendu autant d'oeuvres d'art que les fontaines, les nymphées et les châteaux d'eau. La plupart toutefois de ces sculptures n'ont d'autre rapport avec les fontaines elles-mêmes que leur provenance, et, s'il faut rappeler la large part ornementale qu'elles y prenaient nombre de Vénus accompagnées d'Amours ou de dauphins, qui peuplent nos musées, ont dû ainsi se dresser sur le bord ou s'élever au milieu de bassins, leur description n'a point à intervenir ici. Il en est d'autres, au contraire, sur lesquelles il importe d'insister brièvement, en assez grand nombre aussi, en plus grand nombre même que ne permet de le constater, à la suite des retouches et des restaurations subies, leur examen actuel, dont la connexion avec le lieu même où elles se dressaient était plus intime.
Les exemples cités de fontaines pompéiennes ont déjà montré quel usage les Romains aimaient à faire, sans parler de bas-reliefs divers9, des statues servant proprement de sujets de fontaines : aux mufles d'animaux, dont les Grecs leur avaient transmis la tradition et dont l'em
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ploi, reste toujours particulièrement fréquent s'ajoutent les mêmes animaux figurés soit en entier 2, soit en avant corps 3, notamment sous l'aspect de grands rhytons 4. L'un d'eux, trouvé sur l'Esquilin5 et aujourd'hui au palais
des Conservateurs, terminé par un avant-corps de Chimère, est couvert de délicates sculptures représentant une danse de Bacchantes (fig. 3157). Viennent en outre, les représentations humaines, non seulement sous la forme simplifiée du masque à la bouche ouverte donnant issue aux eaux°, dont nous avons déjà trouvé un exemple sur un vase grec, mais sous la forme même, et celle-ci, semble-t-il, toute nouvelle, de sujets en pied. Le cycle bachique en particulier se prêtait tout naturellément à cette adaptation, et l'effet pittoresque qui pouvait résulter de l'eau s'échappant au lieu de vin de l'outre de Silène semble avoir été fort apprécié. Les motifs en sont nombreux, soit que l'outre gonflée pèse sur less épaules du demi-dieu, soit qu'à demi-ivre déjà il l'ait laissé tomber à terre ou que, fatigué, il la pose sur un pilier? ; les fouilles de Pompéi et d'Herculanum (fig. 3159) en ont rendu plusieurs exemplaires 8, d'autres proviennent de Rome°. Pan et Panisques10, Satyres porteurs d'outres ou d'amphores 11, Bacchus lui-même 12, se substituent parfois à Silène. L'union de la statue et du jet d'eau n'est pas moins étroite dans d'autres statues représentant des fleuves et
des tritons 13 ou des nymphes appuyées sur des urnes 14 ou tenant des coquilles d'où l'eau s'épanche [couru], surtout lorsque de telles statues se trouvaient par surcroît placées sur des bases décorées dans le même esprit, où des monstres et des êtres marins se jouent au milieu des eaux15. Dans un charmant groupe provenant de CrèteS6 et récemment acquis par le Louvrei7; c'est une conque ovale, ornée à ses extrémités de deux mufles de lion servant de déversoirs, au milieu se dressent
six personnages, Pan capripède, deux Satyres tenant une chèvre, Silène avec son outre, Hercule brandissant sa massue, Déesse porteuse de fruits, adossés au rocher d'où l'eau jaillit et sur lequel repose Éros endormi (fig. 3159). Le rapport, au contraire, est plus accidentel dans toute une autre série de statues, où se témoigne une fois de'plus le goût des anciens à faire servir les animaux de bouches de fontaines, mais ici rapprochés de figures humaines dont ils ne sont pour ainsi dire que l'accessoire. Tel est un enfant à l'oie, modification légère du type traditionnel,
où le tuyau aboutit dans le bec du volatile,et qui a été retrouvé en de nombreux exemplairesf8; tels d'autres
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enfants avec un crapaud, un lapin, un jeune Satyre avec une panthère,; tel encore le célèbre groupe d'Hercule et la Biche du compluvium de la maison de Salluste, aujourd'hui au musée de Palerme (fig. 3460) Il suffira de ces exemples, qu'il serait aisé de multiplier, pour montrer quelle fécondité d'invention se retrouve dans toute la classe de monuments qui nous occupe et pour justifier les paroles qu'inspirait au commentateur d'un des derniers découverts, « que leur réunion serait un splendide témoignage du soin et de l'heureuse manière avec lesquels les anciens se sont appliqués à accroître le charme, la grâce et la gaieté particulière qui sont le propre des fontaines bien disposées et bien ornées » 3. E. Mimosa
II. Le droit romain désignait sous le nom de fons (a fundendo) la source permanente d'eau vive 4, en la distinguant de la citerne [C1STERNA], que remplit l'eau de pluie. Quand la source était encaissée dans un espace étroit et profond, elle prenait le nom de PUTEUS, ou fons putealis'. Quelquefois on nommait aussi caput le point même d'où jaillissait une source'. Ainsi la servitude d'aqueduc ou de prise d'eau ne pouvait être prise qu'en la dérivant de la source', ex capite vel fonte.
Au point de vue du droit privé, il était de principe que le propriétaire du sol était réputé maître de la source qui y prenait naissance 3 ; il pouvait donc, en général', creuser à sa volonté, ou même l'absorber complètement, s'il y trouvait quelque intérêt, ou l'abandonner à son cours naturel vers les fonds inférieurs. En effet, la source étaitréputée une partie du sol, portio agril0; aussi le dominus soli était-il admis à chercher des sources dans son immeuble, clôt-il couper les veines de la source du voisin, comme le constatent plusieurs décisions de jurisconsultes 71. Le propriétaire du fonds inférieur ne saurait ni faire refluer les eaux par des travaux, ni se plaindre de ce que les eaux ne lui sont pas transmises 12; cependant Ulpien admettait une restriction fort remarquable, et douteuse en droit français, c'est que le maître de la source ne pouvait l'absorber par pur caprice, sans avoir même un intérêt d'agrément, et uniquement pour nuire, animo vicino nocendi 13. De son côté le propriétaire du fonds supérieur n'avait pas le droit d'aggraver l'espèce de servitude naturelle qui résultait de la situation des deux immeubles, par des travaux 14 de nature à rendre l'écoulement des eaux artificielles plus nuisible. Mais il pouvait faire des travaux agricoles'', et même, dans un cas de force majeure, dévier les eaux d'un torrent grossi par l'orage, au moyen de travaux défensifs,'. En cas de travaux nuisibles et irréguliers, le propriétaire lésé obtenait soit de les arrêter par l'action aquae pluviae arcendae, pour l'eau de pluie, ou par la cautio damni
infecti, soit de réparer le préjudice au moyen d'une sorte d'action possessoire en interdit, quod vi aut clam i7. Si, par la disposition de mon toit j'amenais l'eau de pluie sur le fonds voisin, le maître aurait contre moi une action négatoire de la servitude stillicidü recipiendi 13.
Le droit à une source pouvait être acquis en toutou en partie par titre, et comme servitude prédiale par le propriétaire d'un fonds voisin [sERVITUS] sous la forme d'un
droit d'aqueduc [AQUAEDUCTUS] ou de puisage(aquae haustus). La loi Scribonia" n'admettait pas l'acquisition par usucapio, mais le préteur aurait protégé la possession longi temporis 20 par un moyen de défense appelé praescriptio. Les jurisconsultes romains paraissent en désaccord sur le point de savoir si le maître, après une concession d'eau21, pouvait en faire une nouvelle ; peut-être Ies concilierait-on en admettant l'affirmative au cas où la source est plus abondante. Les différends entre concessionnaires étaient réglés par justice n. Du reste, aucun d'eux ne devait grever son droit d'une nouvelle servitude au profit d'autrui, ou l'employer pour un autre fonds 23 ni le créer sur une citerne : nulla enim alia aqua dari potest nisi quae perennis est 24. Quant à l'eau qui a pris une fois son cours naturel, aqua pro fluens, elle est considérée comme chose commune, res nullius ou communis 25, et toute personne avait le droit d'en approcher, pour y puiser et en acquérir une partie par occupation [occu
III. Fons est la personnification de la divinité des sources d'eau vive dans la mythologie des Romains et dans celle des peuples de l'Occident qui ont subi leur influence religieuse. Les anciens déjà rattachaient Fons à fundere2s; ils connaissaient les formes Fontus et même Fontanus; à celle-ci correspond, dans une inscription, le féminin Fontana27. Primitivement Fons ou Fontus n'était autre chose que l'esprit divin qui résidait dans toute espèce d'eau potable sortant naturellement du sol (numen aquae 23) ; c'est plus tard seulement qu'on lui fabriqua une personnalité en lui donnant pour père Janus et pour mère Juturna23. JANUS, surnommé Patulcius et Clusius, présidait d'ailleurs à la production des sources ; la légende racontait qu'il empêcha les Sabins de surprendre les Latins du Capitole en faisant jaillir sous leurs pas, à l'endroit où s'éleva le temple de Janus Geminus, une masse d'eau considérableJ2. Juturna, dont le nom équivaut à Diuturna, est elle-même une personnification de l'eau intarissable31. A Rome même, la vénération des sources fut un élément important du culte national. La raison en est que pendant plus de quatre siècles, la ville se contenta pour son alimentation de l'eau que l'on faisait jaillir naturellement sur place". Les historiens remar
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quaient que Romulus avait, à ce point de vue, fort bien choisi l'emplacement de la cité nouvelle'. Aujourd'hui encore, malgré le bouleversement du sol qui en a fait disparaître le plus grand nombre, on relève les traces fréquentes de ces nappes d'eau souterraines2. Avant cille des aqueducs fissent négliger les ressources locales, les fontaines étaient placées sous la double protection du sentiment religieux et de l'autorité administrative ; il y avait des magistri ou ministri fontium, chargés de veiller à ce qu'elles ne fussent ni souillées ni gaspillées'. Mais la meilleure sauvegarde était la vénération publique qui mettait les sources en rapport avec les cultes les plus respectés, avec les légendes les plus populaires de Rome, aux premiers siècles de son histoire.
Il est possible de retrouver encore, pour les principales régions de la ville primitive, les fontaines qui les alimentaient; tantôt Fons" y était honoré sous sa forme la plus générale; tantôt sa divinité y était déterminée par un culte plus particulier. Suivant toute vraisemblance, c'est la source du Lupercal et de Juturna, sur la pente nord-ouest du Palatin, qui fut la fontaine publique de la Borna quadrata; entourée, comme plusieurs autres, d'un bassin en pierre, elle est appelée LACUS par les écrivains de l'époque classique 6. Au pied de l'Aventin, vers la porte Capène, était la source de Picus ; on y vénérait ce dieu de concert avec Bona Dea, Faunus et Jupiter Elicius; c'est là que le roi Numa alla surprendre les secrets qui lui permirent de conjurer les effets de la foudre 6. Quoique le vocable d'Elicius soit interprété au sens du dieu qui manie le tonnerre, il n'est pas douteux qu'il fut surtout en rapport avec le jaillissement des eaux On le peut conjecturer par la cérémonie de l'AQUAELICIUM à laquelle les Pontifes procédaient en temps de grande sécheresse. Le principal épisode de la cérémonie était une procession où figuraient les magistrats sans leurs insignes et les matrones pieds nus ; il s'agissait de chercher au temple de Mars, devant la porte Capène, la pierre qui fait pleuvoir : lapis manalis, expression identique à celle de fans manalis, c'est-à-dire qui ne tarit pointé.
Dans la même région, situé au fond d'un bois sacré, était la source des Camènes [CAMENAE], où la légende met Numa en relation avec la nymphe Egeria. L'eau de cette source avait une réputation exceptionnelle et les Vestales y puisaient pour toutes leurs cérémonies liturgiques9. Lorsqu'on identifia les Camènes latines avec les Muses grecques, on s'avisa, au même lieu, d'une source d'Apollon, à laquelle on attribua des vertus curativesi6. Sous l'Empire, cette religion tomba peu à peu en désuétude. Nous voyons par Juvénal qu'au début du u° siècle, le bois et la source étaient, sans considération pour la divinité des eaux, affermés à des juifs qui y avaient installé un campement sordide ".
Il existe des traces nombreuses du culte de Fons au
pied du Caelius12; c'est là qu'on a découvert toute une série d'inscriptions dont deux mentionnent des sources avec les désignations de palatines et de lollianus et, presque toutes, des noms de magistrats préposés au soin des fontaines. Toujours dans la même région, non loin de la porte Capène, se trouvait la source de Mercure où les petits marchands venaient prier et puiser de l'eau pour en arroser leur marchandise et obtenir le droit de tromper les clients 13. Au centre de la ville primitive nous trouvons les Lautolae qui furent, suivant toute vraisemblance, la fontaine publique de l'Esquilin", et enfin le Tullianum dont le nom même, ainsi que certaines analogies de construction avec un édifice de Tusculum, indiquent la destination première; le Tullianum fut un château d'eau, plus tard transformé en prison d'État'. La source qui y jaillit encore et que le moyen âge attribua à l'intervention miraculeuse de saint Pierre, rend très vraisemblable l'opinion qui y place la fontaine commune des Sabins et des Latins sous la royauté. Enfin sur le versant ouest du Quirinal débouchait, vers le Champ de Mars, une porte nommée Fontinalis, sans doute à cause d'un sanctuaire de Fons situé à proximité". On a découvert récemment, auprès du palais Antonelli, la source qui semble avoir motivé ce culte.
Sur le Champ de Mars même, Lutatius Catulus voua un temple à Juturna, déjà honorée sur le Palatin à titre de divinité aquatique. Ce double culte semble avoir été transporté à Rome de Lavinium, centre religieux de la confédération latine. C'est là que, non loin du Numicius [FLUMINA], elle avait donné son nom à une source qui possédait des propiétés médicinales et où les Pontifes de Rome faisaient puiser l'eau nécessaire à tous les usages religieux qui intéressaient l'État latin 17. Pour arriver au lieu des comices sur le Champ de Mars, il fallait traverser un petit ruisseau appelé Petronia amnis auquel donnait naissance la source de Catus (Fons Cati)". L'un et l'autre eurent, à cause de leur situation, un rôle religieux important; avant de franchir le cours d'eau les magistrats prenaient des auspices qui tiraient de leur objet même le titre de perennia's : c'était par le fait le prélude de toutes les opérations électorales accomplies dans ces parages. Enfin le culte de Fons était particulièrement en honneur auprès du Janicule, où la tradition plaçait le tombeau du roi NumaR" ; là Fons possédait un autel et sa divinité y était associée à celle de Janus son père, de Juturna sa mère, et de Volturnus, gendre de Janus dans la légende, qui paraît n'avoir été qu'un vocable spécial du dieu Tiberinus [FLUsnNA]. De même que Juturna était à Lavinium mise en rapport avec le Numicius, ainsi il était naturel qu'à Rome même, le culte de Fons fût inséparable de celui de Janus et du Tibre à la fois. Nous avons déjà constaté que Faunus et Picus, ces vieilles divinités agricoles du Latium, y avaient
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aussi leur place ; on en peut dire autant de Palès, à qui le berger demande, chez Ovide, d'apaiser en sa faveur : Fontes Fontanaque 1Vumina'. Par contre l'association, fréquente dans les inscriptions, des Sources avec les Nymphes s'inspire d'idées helléniques' ; on peut même dire que le culte grec des Nymphes fit tort à la vieille religion romaine des Fontes.
Comme témoignages matériels du culte public des sources à Rome, on peut citer l'ara Fontis auprès du Janicule3, le delubrum Fontis, voué en 231 (av. J.-C.) par C. Papirius Maso', et le temple que Lutatius Catulus, vainqueur des Cimbres, éleva à Juturna sur le Champ de Mars'. Tous les ans on célébrait, le 13 octobre, en l'honneur des sources en général, les Fontinalia ou Fontanalia, où il était d'usage de jeter des fleurs dans les fontaines et de couronner de guirlandes les puits 6. Les Frères Arvales sacrifiaient à Fons, de compagnie avec les Lares, la mère des Lares et Flora; comme victimes ils leur immolaient deux béliers'. Chez Ovide, racontant le sacrifice de Numa à la source de Picus, la victime est une brebis 8. On peut voir par l'ode d'Horace à la fontaine de Bandusie que l'offrande consiste en fleurs, en vin pur et en un chevreau dont le front se gonfle de cornes naissantes 9. Martial sacrifie une truie encore vierge à la divinité d'une eau vive qui coule dans sa maison et qu'il a invoquée pendant une maladie 10. Souvent d'ailleurs les inscriptions votives en l'honneur des sources sont motivées par leur action curative ; c'est le cas de quelques ex-voto découverts dans les provinces, sur des emplacements où jaillissaient autrefois, où jaillissent même encore des eaux minérales". Les hommages aux fontaines, sans considération d'une action extraordinaire, sont relativement rares; de ce dernier genre est l'inscription votive découverte dans un Nymphaeum de Lambèse12 où l'on remercie la divinité de la source d'une pluie abondante qu'elle a fait tomber sur la contrée.
Un passage de Martianus Capella où Fons est placé, avec Junon, les Nymphes et les dii Novensiles, dans la deuxième région du ciel, permet de supposer que la divinité des sources avait sa place dans la discipline augurale ç3. Il est établi d'ailleurs qu'on lui attribuait, surtout dans la primitive religion du Latium, une vertu prophétique; c'est auprès de la source Albunea que le roi Latinus va consulter l'oracle de Faunus; comme le dit Pline, il n'y a pas de règne de la nature où se manifestent de
plus grandes merveilles14. On ne sait à quel sanctuaire il convient d'appliquer l'observation de Vitruve que les temples de Fons, comme ceux de Vénus, de Proserpina, de Flora, des Lymphae, sont du style corinthien 15. Quant aux représentations figurées de Fons, on a supposé qu'elles lui donnaient la tête d'un Janus jeune et que cette tête se rencontre sur des monnaies de la gens Fonteia : mais la chose n'est pas sàre". Indépendamment des passages que nous avons cités et dont le plus important est l'ode d'Horace, le culte de Fons n'a pas laissé beaucoup de traces dans la littérature latineS7 ; il y a été supplanté par celui des Nymphes quand il s'agit d'eaux vives, soit minérales soit ordinaires, ou bien il se confond avec le culte des fleuves et des rivières, capita fluminum étant ' une expression identique à fontes 18
Il semble que ce culte ait eu plus d'importance, à l'époque historique, parmi les populations celtiques et gauloises, que sur le territoire même de l'Italie. Le christianisme eut fort à faire pour éliminer les pratiques superstitieuses auxquelles il donnait lieu et même il ne réussit le plus souvent qu'à les transformer, en remplaçant le génie païen de la source par fin saint quelconque qui y reste en honneur encore de nos jours 19. J. A. HILD.