Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FOSSA

FOSSA. Grec, Sin pu , et aussi Siopéy-r1, ôtopén. Latin, fossa, quelquefois fossio', et plus tard fossatum2, Nom générique de toute espèce de tranchée ou de fossé 3, nom technique des canaux. 1. TECHNIQUE. Les anciens, à toutes les époques, ont donné aux fossés et canaux toutes les applications dont ils sont susceptibles. [Pour la fossa qui fait partie des systèmes de fortifications, voir MUNITIO, VALLUM.] Les peuples de la Grèce et de l'Italie n'ont eu besoin d'apprendre de personne l'usage des tranchées et lignes de drainage, non plus que celui des rigoles d'irrigation et de desséchement e, et tous les procédés de la petite hydraulique agricole. Ils ont même eu à inventer ceux de la grande, et à les appliquer àleurs fleuves, à leurs lacs, à leurs bassins divers. 11 n'y a en effet, dans leurs pays, que très peu de contrées où un peuple nombreux ait pu s'établir et grandir sans consacrer de longs efforts à l'aménagement des eaux; il n'en existe aucun dont la culture n'ait exigé une lutte continue pour prévenir l'impaludation tout en assurant l'arrosage. La création des vastes systèmes sur lesquels toute l'antiquité a vécu, et l'invention des pratiques populaires sur ]esquelles la vie rurale était fondée, datent de temps très primitifs e; nous ne connaissons pas toujours la technique qui y présida. A l'époque tout à fait historique appartiennent les entreprises de grande canalisation, les ouvertures de voies navigables; les Grecs, et surtout les Romains les abordèrent avec hardiesse; ils avaient eu pour devanciers, et ils reconnurent pour maîtres, les peuples orientaux, les Égyp tiens surtout 7; ils continuèrent même leurs oeuvres, et, pour cet ordre de travaux, Les moyens qu'ils avaient nous sont moins inconnus. Établir un canal s'appelait fossam ducere 8. La direction une fois arrêtée, entrait en scène le LIBRATOR, généralement un primipilaire. Ce personnage, dont le concours paraîtrait nécessaire pour presque toutes les entreprises, semble pourtant n'avoir pas toujours été appelé pourles routes, dont les rampes étaient estimées à l'oeil. Pour les aqueducs et canaux, il était chargé des nivellements. Il les faisait, soit avec la libra aquaria, l(o7C pa, soit avec le CHOROBATES 9, en s'aidant du niveau de ma L'itinéraire donné et les nivellements faits, le tracé sur le terrain s'opérait par les mêmes moyens que celui d'une route [VIA]. La fouille (Stopuyv.a, fossam cavare10) se faisait aussi par les moyens usités pour tous les terrassements. La pioche et le fossoir (scudicia 11, fossorium 12), la pelle et la bêche" [PALA], la houe, « zappa » des Italiens" [ASCIA], suivant les terrains, le pic15 [DOLABRA, fossoria], et même le ciseau le [scALPRum] dans les roches dures, et certainement, dans les sables, la ravale attelée d'un ou deux beaufs, qui de l'Égypte, où elle est née, a passé dans la pratique des Orientaux et des Africains, étaient les outils employés. Très fréquemment les déblais de la fouille étaient tout simplement rejetés sur ses bords, tassés, dressés et damés, de manière à former, au-dessus des berges de la tranchée, un ou deux cavaliers, quelquefois revêtus. On a, aux canaux du Copals, de ces revêtements en opus incertum d'aspect cyclopéen!'; on en trouve, par la suite, de tous les appareils employés dans les quais sur cours d'eau naturels. Dès que l'ouvrage prenait des proportions un peu sérieuses, on ne pouvait se contenter de renvoyer les terres à la pelle. On les enlevait à dos dans des paniers, comme on le fait encore en Italie, en Grèce, en Afrique, en Orient. D'autres fois, comme à l'isthme de Corinthe, nous reconnaissons que des chemins d'accès étaient ménagés dans la coupe, pour emporter les déblais sur charrettes. De même, lorsqu'il s'agissait de traverser une montagne, les anciens savaient l'attaquer par tranches, sur plusieurs paliers différents; on a retrouvé des glissières établies pour jeter les débris. Tous les procédés appliqués dans les carrières étaient de mise. On pense bien que les radiers n'étaient revêtus qu'en cas d'urgence, et sur les points où il le fallait : c'était alors un perré de libages, ou même une maçonnerie. On ne le faisait guère qu'aux lieux où se trouvait soit une chute, soit une forte chasse, permanente ou occasionnelle, comme par exemple aux euripes, ou près des ponts, pour prévenir des affouillements. De même tous les travaux qui peuvent exister sur le cours d'une rivière se plaçaient, en cas de besoin, le long des canaux : des épis pour rétrécir le lit et exhausser le' niveau des eaux, comme l'on en voit en Égypte, des bàtardeaux pour créer un bief, comme l'on en voit sur le 'l'igre, des digues de prises d'eau aux points d'où partaient des canaux secondaires. Il est possible que les Romains aient connu la « botte », Si usitée en Italie pour faire passer un canal sous le lit d'un autre cours d'eau; c'est une espèce de siphon maçonné, dont l'emploi, dans les Marais Pontins, est de tradition très lointaine. D'ailleurs, ou plus tôt ou plus tard, presque tous les canaux antiques durent être traités comme bras , de rivière, parce qu'ils l'étaient devenus. Ils l'étaient même dès l'origine. Les anciens n'ont pas fait de vrais canaux; les leurs ne sont que des fleuves artificiels : ils correspon FOS 1322 FOS dent à nos dérivations, à nos voies d'écoulement, non à nos canaux de navigation. Le point faible de ces ouvrages, souvent irréprochables à tous autres égards, c'était en effet le réglage, la défense, la manoeuvre. Les Égyptiens paraissent avoir connu le procédé des éclusées, ou du moins le principe sur lequel il repose; on ne peut guère douter qu'ils n'aient, pour certaines constructions, pour l'apport, l'élévation, l'érection de poids énormes, fait passer leurs radeaux de flottage dans des bassins temporaires étagés, remplis au fur et à mesure, et détruits après le travail ; mais ces bassins, délimités par des banquettes de terre levée, ne possédaient aucun engin de fermeture ni d'ouverture. Les barrages secondaires dont l'Égypte est pleine n'en ont pas encore à présent, et c'est par une brèche ménagée au moment voulu que les eaux passent de l'un dans l'autre des compartiments qui enlacent, et enlaçaient dès lors, le pays. Les Égyptiens savaient pourtant, aux grands ouvrages de distribution, faire filer le courant « vantelles, de portes. Toutefois, étant donné d'une part cette connaissance, de l'autre celle des bassins en échelons, tous les éléments de l'écluse à sas étaient entre leurs mains. On se résigne difficilement à croire qu'ils ne l'aient jamais inventée. Letronne 2 n'est pas loin de penser que les Grecs en ont eu l'usage, hérité de ces habiles devanciers, et que l'euripe du canal Ptolémaïque sur la mer Rouge était un sas à double fermeture. Mais la description que Diodore fait de ce ptadTEwov 8txcppayi.La3 ne permet pas de rien conclure. Admettrait-on qu'un tel exemple ait pu demeurer isolé, et que les Romains, qui ont aussi travaillé à ce même canal, n'en aient tiré aucun parti ? Or les canaux à paliers étagés ne figurent point dans leur pratique. Malgré quelques essais pour tourner le problème, dont la vraie solution leur manquait, les anciens n'ont réellement connu que le canal à niveau, et dépourvu de son seul moyen de préservation indéfinie'. Leurs prises d'eau étaient parfois réglées, mais le plus souvent libres. On dirait même qu'ils se défiaient du déversoir de superficie, qu'ils ont pourtant couramment appliqué dans leurs barrages, notamment en Afrique, et qui est si facile à établir et si sûr '. on voit Trajan 2 exprimer la crainte qu'en ouvrant un canal entre un lac et un fleuve, le premier ne se vide entièrement. En rivière, dans certains cas, une simple flèche coupait le cours, et, les deux radiers étant au même niveau, la part de la dérivation se faisait, non suivant le cube débité, mais suivant la surface du lit. Dans d'autres, une digue transversale, plus ou moins biaise, et laissant une fuite, élevait l'eau au niveau du canal, qui ainsi ne s'alimentait qu'en proportion, soit de la masse totale, soit des crues. De toutes façons, la partition était d'une grande incertitude, et le canal était placé dans des conditions analogues à celles de la rivière elle-même. C'est à quoi essayaient d'obvier les systèmes de fermeture. En dehors du barrage temporaire en terre soutenue par des claies et des poutres, tel qu'on le pratique en Égypte, les anciens connaissaient l'usage des martellières 6 [CATARACTA]. On en rencontre fréquemment de simples, de doubles, de triples, exactement semblables aux nôtres, sinon que les montants sont des piédroits monolithes; il ne manque que les empèlements, qui étaient de bois. .lais ce procédé ne peut pas servir pour les voies navigables. Un autre, également connu d'eux, et dont la pratique s'est maintenue dans plusieurs parties de l'empire, consiste à remplacer les pales par de grosses planches, glissées l'une au-dessus de l'autre dans les rainures, et que l'on retire une à une pour obtenir un écoulement par tranches; ce système a l'avantage de permettre une plus grande largeur; mais, comme il produit une chute, il n'a pas pu être appliqué aux canaux navigables. Il ne restait que l'écluse simple, ou pour mieux dire la porte à deux battants (valvae emissoriae) : tout au plus avait-elle un busc. C'est à ce système qu'appartiennent les bajoyers qu'on a retrouvés en place, par exemple à l'émissaire du lac San Gusmano, en Sicile. Ce n'était que par des lâchures qu'on pouvait faire sortir du canal les trains ou les bâtiments : moyen pénible et dangereux pour ceux-ci, et qui fait perdre cent fois plus d'eau qu'il n'est nécessaire pour passer. Contre tous ces inconvénients, les anciens 6 ne nous parlent que de l' a euripe ». Autant qu'on peut le reconstituer, d'après les textes des auteurs et d'après les traces relevées sur le canal de la mer Rouge, c'était un pertuis à section beaucoup moindre que celle du canal, creusé en roche dure, si faire se pouvait, en tout cas fortement maçonné, composé d'un radier et de deux bajoyers, garni de vantaux pour la sortie. Sans doute ceux-ci se manoeuvraient à grand renfort de cabestans. Il est probable que beaucoup des euripes ne s'ouvraient, en temps ordinaire, que pour les chasses d'entretien ; les bateaux, ou transbordaient leurs marchandises 7, ou faisaient leur sortie par terre, le long de l'euripe, en dehors, au moyen d'un 8to),xo;, comme celui qui leur faisait franchir au besoin l'isthme entier de Corinthe 6. Six kilomètres de quai en briques que l'on trouve au Sérapéum sur le canal des Pharaons, partout ailleurs simple tranchée, avaient peut-être pour but de resserrer le lit pour préparer le passage dans l'ancien euripe. On rencontre aussi la mention de claustra au débouché de canaux ou de lacs; on connaît les Clostra Romana', à l'embouchure du Rio Martino, et les Lucrino addita claustra du poète30. Mais rien ne dit en quoi consistait cette fermeture ; on ne distingue rien dans les localités qui permette de le retrouver. Il est loisible de supposer que c'était quelque chose d'analogue à l'euripe; car Pétrone 11 emploie le mot à propos du Nil; mais on ne saurait l'affirmer. Avec cet outillage, les ouvrages de drainage, d'irrigation, de retenue et de distribution d'eau ont pu atteindre, chez les anciens, une perfection remarquable ; la grande pratique qu'ils en eurent fut cause qu'ils les réussirent mieux que nous ne le faisons aujourd'hui : leurs barrages étaient solides et efficaces, leurs canalisations bien comprises, leurs émissions convenablement réglées. Mais, dès qu'il s'agissait de canaux fluviaux et maritimes, aptes à la navigation et non seulement à l'arrosage, les moyens leur faisaient défaut. Leurs voies latérales ne furent, ou ne devinrent, que des lits auxiliaires; leurs canaux des deltas FOS 1323 FOS se réduisirent, plus où moins vite, à n'être qu'une bouche de plus; leurs lignes de navigation intérieure donnèrent seulement, ou des flaques sans autonomie, soumises à toutes les influences des deux masses d'eau qu'elles unissaient, ou des dérivations d'un fleuve dans un autre, ou des canaux à point de partage manqués, parce qu'ils n'avaient que des engins impuissants à gouverner une série de retenues formant des biefs étagés. En somme, leurs grands ouvrages de ce genre, leurs fossae les plus renommées, sont en général bien placées et témoignent, dans l'exécution, d'un effort parfois merveilleux ; mais trop souvent elles n'ont fait que ce qu'aurait fait, duré que ce qu'aurait duré, un cours d'eau naturel sur le même trajet. Les anciens n'avaient presque aucun appareil de dragage sérieux. Le curage (fossam purgare '), en dehors des chasses, ne se faisait qu'à bras, par fouille, ce qui ne peut, pour ainsi dire, pas s'appliquer aux embouchures, aux barres. Le classement et l'analyse sommaire de leurs plus célèbres travaux' expliquera et confirmera ces indications de leur technique. fait mention des canaux émissaires des lacs [EMISSARIUsi], combinés ou non avec des tronçons en tunnel. Parmi ceux qui, entièrement artificiels, furent tout du long à ciel ouvert, l'un des plus curieux est celui qui se termine par la cascade delle Marmore, à Papignano près d'Interamna(Terni). C'est une décharge du lacus Velinus3, créée par M. Curius Dentatus en 300 av. J.-C., et qui rejette les eaux dans la Nera par une chute artificielle de 110 pieds. Les plaines closes, marécageuses ou même lacustres, de la Grèce, en Arcadie, en Argolide, en Béotie, n'ayant d'autres débouchés que les catavothres ', ou des fleuves à cours vagabond, avaient été pour la plupart pourvues d'une canalisation aboutissant, soit à des émissaires, soit aux exutoires naturels. Les Phénéates, à une époque si ancienne qu'ils attribuaient cet ouvrage à Hercule avaient fait un canal pour emmener les eaux du Ladon et des autres cours d'eau issus du lac Phénéos, et les verser dans les catavothres, qu'ils avaient arrangés et qu'ils entretenaient. Ce canal, long de 50 stades, n'avait pas moins de 40 pieds de large, et il était garni, en partie, d'un soutènement monumental, espèce de cavalier qui faisait passer l'eau sur la partie la plus basse de la plaine. Ses restes se distinguent encore; mais, aux époques historiques, il était déjà abandonné, et les catavothres, privés d'entretien, s'étaient obstrués en partie. On sait maintenant que le Copaïs était dans des conditions semblables. Des recherches toutes récentes 6 viennent de démontrer que le beau tunnel de Larymna n'avait été complétement foré que sur un tiers de son parcours, et n'avait pas déversé le lac. A une époque inconnue, et qui peut-être correspond à la tentative de Cratès [voy. EMISSARIUM, p. 597], on imagina le plan même qui s'exécute actuellement : déverser le Copals dans l'Hylice, l'Hylice dans le Paralimne, le Paralimne dans la mer; mais au lieu de le faire par des voies sou IV. terraines, on essaya à ciel ouvert. Des amorces de tranchées se rencontrent sur les trois isthmes : au col de I(arditza, non loin de Moriki, près d'Anthédon. Mais l'oeuvre, gigantesque pour les moyens antiques, fut promptement abandonnée. L'écoulement avait été obtenu par une mise en état des vingt ou vingt-cinq catavothres qui existent dans la moitié orientale du pourtour de la nappe, et qui ont été agrandis, arrangés et entretenus de main d'homme : les traces du travail sont visibles. Canaux sur terre. Cette disposition rendit nécessaire l'invention du système qui fonctionne sous nos yeux en Hollande, celui des canaux sur terre, portés par des digues pour traverser le bassin. Le Copals en avait trois, deux sur la ceinture, l'un au nord qui emmène les eaux du Céphise et du Mélas, l'autre au sud pour celles du Coralios et du Lophis, tous deux versant par portions dans tous les catavothres des rivages, et se joignant, aux environs de Copae, à la queue du lac, pour jeter tout l'excédent dans les grands catavothres de Larymna, avec le troisième, qui amenait, en coupant toute la dépression, les eaux de l'Hercyne. Ces canaux étaient portés sur d'énormes cavaliers, épais de 40 mètres, garnis d'un revêtement intérieur en appareil cyclopéen. Grâce à eux, le Copaïs ressemblait à une espèce de polder. C'est une des oeuvres les plus extraordinaires qu'ait accomplies l'antiquité. Ce même système était appliqué à presque tous les canaux de grande irrigation en Égypte et en Chaldée. Desséchements. Les plus beaux exemples de desséchements de grands territoires par le moyen de fossae sont dus aux Étrusques et aux peuples qui ont reçu leurs enseignements. 1° Vallée du P6. Flumina fossaeque a Pado, Fossae Aemilii Scauri. Cette immense et plate étendue d'alluvions est naturellement palustre. Les Étrusques, lorsqu'ils l'occupèrent, ne manquèrent pas de l'assécher, et c'est à leurs travaux que les anciens attribuaient la fertilité et le peuplement de la contrée'. Les Gaulois et Ligures cisalpins, qui leur succédèrent, continuèrent leurs travaux, et nous savons que la querelle qu'ils eurent avec les Salasses, laquelle amena la destruction de ce peuple par Auguste 8, eut pour cause le détournement par les chercheurs d'or des torrents qui venaient alimenter leurs canaux. La Lombardie a subi trop de changements pour qu'il soit facile de retrouver leurs ouvrages. Mais, sur la rive droite du P8, il leur avait fallu assainir l'espace entre Parme, Plaisance et Ferrare, qu'Hannibal retrouva marécageux; ce fut sur leurs traces que M. Aemilius Scaurus, en 1109, exécuta ou rétablit les ôtdpuyaç 7C%Iw'r ç qui le desséchèrent à nouveau. Le canal de Padoue, que mentionnent les auteurs, agissait de même sur la rive gauche. 20 Marais Pontins. Fossa Cethegi, Gorgo Lecino, Rio Martino (Riguus lllartinus), Clostra Romana, Plurimi alvei de Décius, Fiume Sisto, etc. La partie réellement palustre des Marais Pontins comprend environ 40000 hectares, dont `?0000 ont été rendus à la culture par les travaux de Pie VI depuis 1777 i0, dont la totalité le serait si le projet conçu par Prony1l au commence 167 FOS 132 FOS ment de ce siècle était mis à exécution. Cet ancien golfe, dépourvu de pente, extrêmement bas, puisque des points situés à 15 kilomètres de la mer n'ont que 0'1,60 d'altitude, est borné, au nord, par les monts Lepini et Ausoniens;a l'ouest par les coteaux de tuf des campagnes Véliternes; au sud par une solide dune, large de 6 à 10 kilomètres, et maintenant couverte d'une forêt; à l'est par un cordon littoral. Il reçoit deux ensembles d'eaux : les eaux supérieures, représentées principalement par la Teppia (Tepula?) et la Ninfa (Nymphaeus) ; les eaux inférieures, représentées particulièrement par l'Ufens, l'Amasenus et leurs affluents. Sauf la Teppia, qui vient des coteaux Véliternes, et l'Amaseno, qui a un long cours dans une vallée sinueuse des Lepini, tous ces courants sont clairs, sans troubles, et ne colmatent pas; ils naissent au pied des monts, et bien d'autres sources avec eux, à l'état de fleuves tout gros : ils viennent en effet, par infiltration ou par cours souterrain, de bassins supérieurs, à travers les montagnes. Les dépressions sont de vastes tourbières, la partie supérieure garnie de débris végétaux, l'inférieure infiltrée par des sources minérales, qui y créent des concrétions dures appelées « tartaro ». Il est donc évident que, du jour où la mer a été séparée de ce bassin, il a tendu à ne former qu'un marais; et jamais il n'a été cultivable, et surtout habitable, que maintenu, à force de soins, dans un état artificiel. Or, au commencement de l'histoire, on voit la population y être dense ; vingt-trois villes au moins y sont signalées 1, les auteurs ne parlent jamais de marais, mais d'un ager que Rome envie, conquiert, colonise même en partie Il est certain que la dune, les coteaux et les portions fermes de la « palude » étaient alors occupées, défendues contre la fièvre et l'inondation. La Via Appia, créée en 3123, trouva le pays détérioré : les guerres séculaires avaient détruit les peuples, les ouvrages avaient disparu, le marécage était vainqueur, la solitude se faisait. En 160, l'Epitome de Tite-Live a place un desséchement par M. Cornelius Cethegus, consul. Mais ce travail n'empêcha pas que le mal continuât, et, pendant toute la République, personne n'y porta plus remède. On se bornait à défendre la route, dont le trajet, pendant les 19 milles de marais entre le Forum d'Appius et le Fanum de Féronie, avait un régime à part et un nom spécial, le Decennovium 5. César, parmi ses grands projets, avait mis le désséchement 9 ; mais les empereurs se bornèrent, eux aussi, à défendre la voie contre l'envahissement des marais, dont l'état empira pendant près de dix siècles. Sous le règne de Théodoric, le patrice Décius, chargé de creuser ou refaire des canaux pour la préservation de l'Appia, forma une compagnie' pour entreprendre le desséchement des marais, fovearum ore palefacto promisit absorbere. Mais il est difficile, parmi les grandes oeuvres antiques qu'on relève dans le pays, de découvrir ce qui peut lui appartenir. Aujourd'hui, l'évacuation des eaux se fait par une bouche unique, le canal de Badino, moyennant un collecteur unique, la Linea Pia, tranchée latérale à la Voie Appienne, qui reçoit: à Fo ro Appio, la Cava ta, dans laquelle vient la Ninfa ; au Ponte Maggiore, l'Uffente et l'Amaseno ; près de Badina, par le long canal du Fiume Sisto, la Teppia et le tribut des eaux de la dune; et, tout le long de son chemin, les eaux des marais de droite et de gauche par des fossés creusés de mille en mille. De ces éléments divers, les uns n'agissent qu'imparfaitement, les autres n'agissent pas du tout. Les anciens avaient procédé autrement: les canaux qui remontent à leur temps, la place et la disposition des ponts de l'Appia le démontrent. Ils divisèrent les deux masses d'eaux. Sur la dune se voient encore deux monumentales tranchées qu'ils chargèrent d'évacuer les eaux supérieures. L'une, le Gorgo Lecino, faite manifestement pour emmener la Teppia et le Fosso di Cisterna, n'a probablement pas abouti. L'autre, le Rio Martine, est un des plus étonnants travaux que l'antiquité ait laissés. Profonde parfois de 30 mètres, elle traverse la dune, sur 6 à 7 kilomètres, du Passo San Donato aux Archi di San Donato, où se trouvaient les Clostra Romana ; elle y amenait le Nymphaeus 8, grossi de la Teppia et de la plupart des eaux supérieures. Il est probable que les parties les plus basses de la plaine, ce qu'on appelle aujourd'hui Pescinara, Campi Setini, Pantano delle Cannete, étaient laissées à l'état de lacs, de grands étangs ou de marais circonscrits, bien séparés des terrains secs. Les eaux courantes étaient conduites sur la lisière du bassin, au nord par l'Ufens, le long des monts, au sud, le long de la dune, par un canal correspondant en quelque manière au Fiume Sisto, et dont on a retrouvé une partie. Ce dernier débouchait à la mer entre Circeii et Badino. L'Ufens allait rejoindre les eaux inférieures, c'est-à-dire l'Amasenus et la Scaravazza, à peu près de même qu'aujourd'hui, et leur commune embouchure était déjà vers Badino, où elle fut rouverte au xvle siècle. Lorsque l'Appia fut créée, elle coupa droit tout ce système : trois ponts au Tripontium (Tor Treponti) laissèrent passer le Nymphaeus et ses tributaires, un autre au Forum Appii la Cavata, un autre au mille LII l'Ufens, le Ponte Maggiore l'Amasenus, le Ponte Alto la Scaravazza. Il est probable toutefois que cette espèce de digue au milieu des marais gêna l'écoulement; et peut-être le desséchement de Céthégus consista-t-il à y remédier en curant les canaux, et en changeant le fossé de la route en une ligne d'eau importante. Ce canal latéral, dont la Linea Pia n'est qu'une réfection, dura pendant toute l'antiquité, et devint une des grandes voies de l'Empire. La route étant sans cesse gâtée et enfoncée, sur ce mauvais terrain, c'est lui qui fut le vrai agent de communication; Horace s'en servit dans son voyage à Brindes'. On y allait à la cordelle ; il y avait trois gares : Ad Forum Appii, départ; Ad Illedias (paludes), relai; Ad Fanum Feroniae, terminus 10. Quels furent exactement, au vie siècle, les travaux de Décius? On peut se défier des plurimi alvei qui ante non qu'il se vante d'avoir ouverts 11. Peut-être le Fosso di Carrara, qui jetait le canal de droite dans l'émissaire commun, et le Fiumicello di Terracina, qui débouchait au fond du port de Terracine, en sont-ils? En ce cas leur action fut peu de temps utile, et, par la suite, plutôt nuisible. FOS 1325 FOS cane et le Latium, la nature du terrain et le régime des fleuves ne se prêtaient pas à des ouvrages comme ceux qu'appelait la vallée du P6; et, l'écoulement superficiel devant être évité le plus possible, le drainage d'ensemble fut d'abord souterrain [cuNlcuLUS]. Néanmoins ce travail et la canalisation des grands cours d'eau naturels, dont le Tibre et l'Arno portent encore les traces, ne firent pas disparaître entièrement les petits; mais ceux-ci ne furent pas livrés à eux-mêmes, e t le nom de « fossi », que gardent encore ceux qui parcourent la Campagne Romaine, atteste pour tous autrefois un état artificiel. Le système des fessue se liait à celui des cuniculi, lié lui-même aux émissaires des bassins fermés qui dominaient le pays : il en était le dernier chaînon avant les fleuves et la mer [EMISSARIUMI. Les Romains n'eurent pas occasion d'appliquer dans les provinces ces procédés qu'ils avaient oubliés, et qu'avaient suggérés aux Étrusques les conditions géologiques spéciales de leurs contrées. Mais d'autres peuples, plus anciens encore, avaient atteint la perfection dans les drainages superficiels et les irrigations de toute nature. Egypte. Personne n'ignore que l'Égypte a toujours vécu, vit encore de ces canaux; ce sont eux qui ménagent et distribuent les eaux du Nil et celles des crues, et, dès l'aurore des temps, ce rôle leur a été dévolu en même temps que celui de chemins navigables. Les Ptolémées, ensuite les Romains, ont, les textes en font foi, travaillé à leur entretien ; Auguste fit remettre en état tout l'ensemble, les Antonins prirent le même soin. Ce système, qui faisait l'admiration d'Hérodote ', ne différait pas, dans ses grandes lignes, de celui qui fonctionne aujourd'hui. Commencé par les plus anciens rois, il fut complété, et son fonctionnement assuré par les princes thébains de la XIIe dynastie 3. Ousortesen jer fit l'endiguement du Nil dans la Haute-Égypte, Amenemhat III alla observer les crues à Semneh et les fit repérer sur les rochers. Amenemhat Ier avait amené les eaux dans le Fayoum, Amenemhat III y créa le lac Moeris. On canalisa particulièrement ' trois sections d'un ancien lit du fleuve, parallèles au cours actuel, le long de la chaîne Libyque, la Sohagieh dans la Haute-Égypte, le Bahr-Yousouf ',et son prolongement dans la Moyenne. Les principales terres de culture étaient entre les deux lignes d'eau formées par eux et le Nil, convenablement aménagées. L'une comme l'autre présentait, à des hauteurs diverses, des épis, ou même des barrages, destinés à élever le niveau, et à répandre le liquide dans les campagnes. Presque toujours ces ouvrages servaient de racines aux digues qui fermaient le territoire commandé par eux. L'Égypte tout entière se trouvait ainsi divisée en compartiments étagés dans lesquels les eaux étaient réparties par des canalisations secondaires. Plusieurs des digues actuelles correspondent à ces anciennes, par exemple celle de Kosheish, que l'on disait créée par Ména, et sans laquelle le Bahr-Yousouf inonderait les emplacements de Memphis et des Pyramides. C'était ce canal qui portait une grande part des eaux dans le Fayoum par la brèche qui s'ouvre à Illahoum au travers de la chaîne Libyque. Au sortir du défilé, le liquida était retenu dans la partie haute de cette région, qui est au niveau de la plaine du Nil, par une immense digue de près de 35 kilomètres, oeuvre d'Amenemhat III, et formait là le lac Moeris; ce réservoir servait à irriguer les terres en pente du Fayoum, énorme oasis, après quoi le trop-plein se rendait dans une dépression, à 29 mètres au-dessous de la Méditerranée, au Birket-el-Korn. Si la crue manquait dans la Basse-Égypte, on pouvait, par le prolongement du Bahr-Yousouf, qui finissait vers BeniSouef près de la fourche du Delta, ramener une part des eaux dans la vallée du Nil Tous les canaux de l'Égypte avaient des noms distincts, que les monuments 5 nous enseignent avec leur histoire. Nous voyons Séti et Rhamsès II nettoyer, compléter ceux du Delta 7, Shabak, Psamétik réparer 8, Néko Il refaire0 ; et les conquérants étrangers, Perses, Grecs, Romains, Arabes, Turks, n'ont eu qu'à suivre de leur mieux les traces de ces devanciers. Orient. A toutes les époques, l'Orient a été le pays des irrigations, et il n'a presque pas de contrée qui puisse vivre et se bien peupler sans l'arrosage artificiel. En Assyrie, le Tigre et ses tributaires, dès l'époque la plus antique, étaient munis de barrages, dérivés en canaux, et quelques-uns de ceux-ci sont au nombre des plus merveilleuses œuvres humaines. Tel celui du Grand Zab 10, qui alimentait d'eau potable la ville de Kalah (Nimroud), et servait aux irrigations de l'espace compris entre cet affluent et le Tigre. Les inscriptions qu'on y a trouvées " attribuent sa création à Assour-nazir-pal (883-858), et sa réfection à Sennachérib. La prise d'eau était faite au Zab par le tunnel qu'on appelle le Negoub; plus tard, le fleuve s'étant détourné, un autre tunnel, beaucoup plus long, alla prendre l'eau au Ghazr-Sou. D'ailleurs, si l'histoire du Gyndès divisé par Cyrus 12 est sans doute une légende, elle prouve du moins que ce fleuve, aujourd'hui le Djaleh, était, comme ses voisins les deux Zab, réparti entre de nombreux canaux. Quant à la Mésopotamie, on ne comprendrait pas son existence sans une canalisation très complète 13. Terre basse et plate, traversée par deux uniques fleuves, énormes et très rapides, gonflés outre mesure pendant la moitié de l'année, elle n'est, de par la nature, qu'un grand marécage, coupé d'espaces arides et nus. Le drainage et l'irrigation s'y firent par des dérivations de fleuves, canaux navigables qui seront décrits plus loin : plus de 100000 hectares, entre Tigre et Euphrate, étaient ainsi mis en valeur. La Syrie, la Palestine, l'Asie Mineure furent, depuis les premiers âges jusqu'aux invasions musulmanes, couvertes de canaux. Les plaines, oasis ou vallées de Damas, d'Antioche, d'Alep, de Séleucie, d'Épiphanie, les bassins de l'Oronte, du Jourdain, le Hauran étaient entièrement garnis de travaux'', et tout autant, ou plus, la Lycaonie, la Cilicie, la Galatie, la Bithynie, tous espaces où les déserts alternent maintenant avec les marécages, et qui étaient couverts d'opulentes cités 15. En Perse, où Daniel fut, dit une légende, intendant des eaux, où toute mise en culture exige l'adduction d'eau superficielle ou artésienne, on voit jusqu'aux derniers grands rois, un Schahpour par FOS -4326-FOS exemple, construire le réservoir, avec digue et canal, de Shusterl. La devise de tout l'Orient semble être la déclaration que la légende prêtait à Sémiramis dans l'inscription lue par Alexandre au delà de la Bactriane, pays de canalisation par excellence : « J'ai contraint les fleuves de couler où je voulais, et je ne l'ai voulu qu'aux lieux où ils étaient utiles; j'ai rendu féconde la terre stérile en l'arrosant de mes fleuves' ». Occident. Les peuples d'Occident ne le cédèrent pas aux vieilles nations orientales, sinon pour la grandeur, au moins pour l'universalité et la réussite des efforts. On a vu les travaux des Grecs en Béotie, en Italie, en Arcadie, des Étrusques et des Latins en Italie. Dans la Grande-Grèce 3, Tarente arrosait aux dépens du Galèse les meilleures prairies que l'on connut; Sybaris fit de même avec le Gratis et le Sybaris, Héraclée avec le Siris et l'Aciris. Cette ville a même fourni un texte curieux relatif aux eaux canalisées'. On y voit, au lue siècle avant notre ère, un grand domaine, dont le sanctuaire de Dionysos est propriétaire, borné par le fleuve et par un canal, ayant son réseau d'eaux cou rantes, ses fossés d'irrigation Tp«9w; Tlcç ôLl -rwv ydpwv otuicaç; et les magistrats stipulent qu'il ne doit pas être fait de prises nouvelles, que l'eau n'est dérivée que pour l'irrigation, qu'elle ne doit être ni gaspillée ni retenue, et ils règlent les obligations du fermier. En Sicile, les plaines irriguées d'Enna furent célèbres; la légende de Dédale endiguant l'Alabon 6 pour créer le lac de San Gusmano, où les bajoyers d'écluses sont encore à leur place, l'émissaire du lac de Perguse, les canaux de l'Hipparis 6, font voir un pays bien pourvu d'organes de drainage et d'arrosage. La pratique grecque y rencontrait la pratique des Carthaginois, aux mains de qui Agathocle voyait l'Afrique « irriguée par des ruisseaux et des canaux' ». Afrique. Mais nulle contrée n'en profita autant que tout ce nord de la Libye. L'expérience des Carthaginois, des Grecs et des Romains s'unit pour en faire vraiment le chef-d'eeuvre de l'aménagement hydraulique. Dans lés premiers siècles de notre ère, pas une goutte des eaux courantes n'y est abandonnée à elle-même. Depuis le sommet des monts jusqu'à la mer, tout ce qui tombe est saisi, dirigé, conduit, distribué. Dans les plus petits ravins des montagnes, des barrages rustiques en pierres sèches (maceria), dont beaucoup subsistent, arrêtent l'eau et les terres, empêchant la fuite rapide du liquide et la dénudation des pentes. Dans les vallons, d'autres barrages retiennent les eaux déjà réunies; à l'entrée de chaque principale vallée, un système d'ouvrages assure, non seulement l'arrosement de cette vallée, mais le passage du liquide dans des conditions de lenteur et d'absorption voulues. Au débouché de chaque grand oued en plaine, il y a toujours un ouvrage important, généralement barrage (moles) de retenue et de distribution, qui empêche les crues de se précipiter tumultueusement dans le bas pays, et répartit leur produit dans les terres de culture. Enfin, en plaine, un réseau de canaux saisit, répand, reprend et relâche le liquide, et le jette ensuite aux fleuves ou à la mer. Aussi l'eau est maîtrisée et employée sur tout son cours; elle ne peut nuire par l'éro sion, l'inondation, les actions brusques; elle traverse lentement toutes les terres, les imprégnant utilement °. Ces réseaux de canaux se reconnaissent partout. Les plaines de l'Enfida, sur la côte orientale de la province, en offrent un superbe exemple '. Dans la plaine centrale, celle de Dar-el-Bey, trois torrents, l'oued Brek, l'oued Mousa et l'oued Boul se précipitent; mais autrefois ils n'arrivaient que successivement, retardés, diminués par l'aménagement des vallées supérieures. Une canalisation habile répartissait le premier dans la partie septentrionale, le second dans la partie centrale du bas pays ; suivant un système semblable à celui que les Anglais appliquent dans leurs prairies sous le nom de « catch-water », les eaux étaient émises, puis reprises par des lits plus ou moins parallèles, à niveau de plus en plus bas. Quantà l'oued Boul, canalisé et en partie même endigué, il n'avait pas, comme aujourd'hui, la faculté d'inonder, de bouleverser cette plaine pendant les crues, pour la laisser sans eau six ou sept mois par an. Un ouvrage fait d'une jetée centrale, dont la maçonnerie existe encore sur 151 mètres, entre deux têtes ou bajoyers qui permettaient, à droite et à gauche, d'adapter un appareil de réglage dont les vestiges ont disparu, servait de branchement à deux canaux : celui de droite, quand l'autre était fermé, faisait franchir aux eaux le faible col qui limite la plaine d'El-Menzel, pour aller abreuver celle-ci ; celui de gauche pouvait les amener à la plaine. de Dar-el-Bey, mais dans la partie inférieure, et, après avoir fourni aux arrosages, servait de collecteur final à tout le réseau de canaux, Ces procédés furent d'une application générale dans toute l'Afrique. IV. FOSSÉS ET RIGOLES. Le dernier aboutissement des canalisations agricoles, ce sont toujours les saignées temporaires ou permanentes, et les fossés qui représentent, dans cette circulation, les petites veines, les capillaires. On découvre quelquefois, par hasard, dans la campagne même de Rome, préservés de la destruction par un envasement ancien ,des tronçons isolés de ces humbles ouvrages10. Irrigation. C'est encore l'Afrique qui, vu son état d'abandon, a conservé le plus de traces. On y reconnaît quelquefois jusqu'aux infimes ramifications des systèmes, après lesquelles il n'y avait plus que les rigoles et les sillons. Tel est le cas dans les terrains vallonnés commandés par les retenues d'eau établies au débouché des bassins de montagne. Au nord de l'Enfida, sur les confins du Byzacium et de la Zeugitane, entre Uppenna et Aphrodisium, on en trouve un modèle, à dimensions restreintes, dans les terres qu'arrosait le petit oued Kastela. Son cours supérieur est dans une vallée annulaire n'ayant d'issue que par une seule gorge. Un barrage magnifique, dont les ruines s'y dressent, la fermait, permettant de laisser échapper le liquide à différents niveaux. L'eau allait arroser une contrée vallonnée, en pente générale vers la plaine d'El Khley, et qui était toute divisée en compartiments étagés par des levées de terre [ALGER] enracinées à des maçonneries; dans celles-ci, des martellières, dont les montants sont à leur place, livraient passage au liquide, qu'on émettait de l'un dans l'autre; finalement, la plaine formait comme un dernier compartiment, ouvert du coté de la mer, à travers lequel serpentait un réseau de petits canaux, dont beaucoup encore se discernent'. Les anciens ont connu, pratiqué, toutes les formes d'irrigation. Le système de Toscane par « gora e scolo », tradition étrusque, est celui même qu'on vient de voir en Afrique, suivi depuis les Carthaginois jusqu'aux Byzantins, aux Arabes. Étant donné le canal d'amenée, ils savaient arroser par déversement, système des peuples primitifs : les irrigations par rigoles de niveau avec reprise des eaux, ne sont que l'application, sur une échelle moindre, du procédé des canaux étagés, faite dans les intervalles de ceux-ci, ou dans les plaines à faible pente et près du rivage de la mer ; les razes, les planches à ados (lira, porca), les « marcite » même de la HauteItalie n'en sont que des modifications, et, n'exigeant nul outillage que ne possédassent les Étrusques et les Gaulois, sont venues d'eux par héritage direct. Ils irriguaient par submersion, système dont témoignent les compartiments signalés ci-dessus, et qui, dès l'aurore des âges, était employé en Égypte; par infiltration, comme l'attestent les réseaux infinis de rigoles destinées à faire courir l'eau sur les surfaces absorbantes ; par aspersion, l'arrosage ayant été de tout temps connu. Mais, dans ces opérations, interviennent d'autres agents que les fossae. Drainage. Fossae incites, caecae, patentes, elices, colli quiae. Avec l'irrigation se combine le drainage. Dans les terres prodigieusement humectées du Latium, il eut la première place, et c'est de lui que les agronomes romains nous ont enseigné la technique. Pour évacuer les eaux superficielles, c'est-à-dire, de l'automne à l'été, celles des sources temporaires qui apparaissent sur les coteaux et des « acquitrini » ou mares qui se constituent dans les fonds [cuNtcuLus], il y a des organes permanents, que l'on doit curer chaque année au commencement de l'automne 2 : ce sont les fossae incites sur les hauteurs, et des sulci 4, saignées, dans les dépressions. Au moment des labours, on devra établir des sillons d'écoulement, sulci aquarii 5, elices 6, dont le produit sera recueilli par des colateurs (colliciae, colliquiae) qui aboutiront aux fossés 7. Tel est l'aménagement superficiel. Mais ce qui importe le plus, é'est d'atteindre l'eau dans le sous-sol, d'en débarrasser celui-ci, sur l'espace où l'on veut établir une plantation par exemple. Caton veut ' qu'on fasse un drainage pour l'olivier, la vigne et tous les autres arbres. Pour l'olivier, les fossés, en forme de canal, auront 4 pieds de profondeur, 3 d'ouverture, 1 pied et 1 palme au fond. On les comblera de pierrailles. Si la pierre manque, on la remplacera par des perches de saule superposées en lits transversalement alternés. Faute de perches, on se contenterait de fagots de sarment. Des tranchées de même dimension viendront aboutir aux fossés, et on y plantera les arbres. Pour la vigne, le système est le même ; mais les mesures sont réduites â 2 pieds et demi en tout sens. Columelle distingue deux espèces de fossés'. Les uns sont ce qu'on appelle en Italie des « forme cieche », c'est-à-dire des drainages aveuglés, fossae caecae; les autres sont à ciel ouvert, fossae patentes ou apertae. Les drains couverts conviennent aux terres friables; les collecteurs qui recevront leurs eaux seront seuls à ciel ouvert. La section de ces derniers aura la forme d'une gouttière, car des parois verticales durent peu. Les drains aveuglés, ou couverts, auront 3 pieds de profondeur; on les remplit à moitié de cailloux et de gravier, puis on comble avec la terre de la fouille. Si l'on n'a ni cailloux ni gravier, on fait une fascine de sarments semblable à un énorme câble, qui remplisse le même vide, on la couvre d'aiguilles de pin, de feuilles de cyprès ou, à défaut, d'autres arbres, puis on tasse vigoureusement avec la terre de la fouille. La tranchée oit se plante l'olivier (scrobis) aura 4 pieds en bon sens. Aux deux extrémités on dressera trois pierres, deux en piédroits, une en linteau, more ponticulorum, pour que les eaux aient un passage facile. Bien que l'auteur indique une façon assez habile de combiner les deux genres de fossae, ces moyens n'étaient pas suffisants dans les tufs imbibés du Latium; ils n'y eurent tout leur effet que quand ils se superposèrent au drainage cuniculaire 10. Mais, dans la plupart des pays, ils donnaient, associés à un aménagement général, des résultats sûrs. Marais salants. L'installation des salines exigeait, comme l'agriculture, un jeu de rigoles creusées dans le sol, fossae, et de chéneaux revêtus ou non, canales, pour inonder et assécher successivement au moyen de vannes les cases entre lesquelles le marais salant était divisé. Cette disposition n'ayant pas changé depuis les temps antiques, il est inutile d'insister. Rutilius en donne une description fort jolie et précise 11• V. Votas NAVIGABLES. Dérivations de fleuves. 1° L'Euphrate et le Tigre. Ilcc O c xô7rcg, Flumen Regium, Nahar-Sares, Fossa Semiramidis, etc. L'existence de la Mésopotamie, de la Chaldée, ne s'explique pas sans une canalisation très complète : à l'état de nature, ce sont d'immenses marais au milieu de déserts. Les mêmes canaux doivent donc à la fois drainer les parties inondées, arroser les parties sèches, régulariser les deux fleuves, et fournir des voies navigables. Ils furent d'ailleurs établis comme les anciens établissaient celles-ci, par simple dérivation. L'Euphrate, étant d'abord plus haut que le Tigre 12, était versé dans ce fleuve à gauche; puis, plus bas, c'était le contraire, et, recevant des canaux venus du Tigre, il se déversait lui-même, à droite, dans le lac Nedjef ou dans le golfe. Ces dérivations étaient en très grand nombre ; la plupart étaient des canaux sur terre, portés entre deux levées. Quatre surtout méritent d'être nommés. Le Pallacopas ", aujourd'hui Nahar-Abba, aussi vieux que Babylone, en drainait l'emplacement même, portant l'excédent de l'Euphrate depuis Sippara jusqu'auprès de Borsippa, au Lac, grand réservoir d'irrigations. Alexandre trouva le chenal impraticable; et la prise, qui ne se fermait plus, saignait le fleuve même en basses eaux : il la refit à 30 stades plus bas, et prolonga le canal jusqu'à Térédon, sur la mer. Le Nahar-Malchal4, Flumen Regiumi5, oeuvre de Nabuchodonosor, défendait Babylone en amont, versant FOS 1328 FOS une bonne part de l'Euphrate dans le Tigre vers Séleucie. Il était secondé par des fosses parallèles'. Trajan et Septime-Sévère le déblayèrent; entretenu par les Parthes ou les Romains, suivant le temps, il servit encore à Julien, qui y passa avec sa flotte. Le Nahar-Sares 3, dont on voit les traces, suivait un ancien lit du fleuve, sur la rive droite, et, d'au-dessus de Babylone, allait finir dans le bas du pays. Enfin une immense fossa, le Kerek-Saïdeh des modernes, enveloppait toute la Babylonie le long du désert Arabique, sur plus de 160 lieues, de Hit sur l'Euphrate à la mer. S'il n'est pas l'oeuvre de Shahpour3, on ne voit que Nabuchodonosor 4 qui ait été assez puissant sur l'ensemble de la contrée, pour mener à fin une telle oeuvre. On ne sait si c'est ce canal que Pline appelle Narraga, Ptolémée Nx .e cc, la Table de Peutinger Nahersa ; et il est possible que la tranchée attribuée par Hérodote à Nitocris, sa seconde Sémiramis 6, y corresponde pour une partie. Quant au Tigre, gonflé par les eaux de l'Euphrate, il irriguait les pays, sur ses deux rives, moyennant une série de barrages, dont les ruines jonchent encore son lit. Alexandre les fit couper tous, pour rouvrir la navigation jusqu'à Opis 7. 2° La Meuse et le Rhin. Fossa Corbulonis. Les historiens racontent que Corbulon creusa un canal de 23 milles entre le Rhin et la Meuse. Ce canal débouchait dans le Vieux-Rhin, au nord de Leyde; par conséquent c'était auprès de Maasluis qu'il devait partir de la Meuse; la direction et la distance le disent. Il existe encore en partie, sous le nom de Vliet; le château qui en défendait l'embouchure a laissé des ruines dans la mer, à un kilomètre environ de Katwyk. Canaux maritimes. 1° Le Nil. Canaux d'Alexandrie : Kavu x:1 cSpu;, canal du Maréotis. -Il y aune soixantaine d'années, le prolongement du Bahr-Yousouf, dont les eaux se perdent dans le Nil entre le Caire et El-Ouardan, pouvait encore les envoyer jusqu'au lac Maréotis par un ancien canal, aujourd'hui inactif °. Cet ouvrage est probablement celui que mentionne Pline 10, et qui se versait dans la lagune par un euripe, après au moins 25 lieues de cours. La date n'en est pas connue ; mais il avait évidemment pour but de mettre Alexandrie en communication avec le fleuve, près de la fourche, par conséquent avec la branche Pélusiaque et le canal de la mer Rouge ; la création de cette ville ne se comprendrait pas dans une pareille voie. Alexandre choisit l'emplacement , non seulement comme se prêtant à l'établissement d'un port, mais comme se trouvant hors des bouches du Nil, et n'ayant à portée que celles qui étaient alors les moins fortes. Un canal de communication avec la branche Canopique dut accompagner la fondation, car le site n'a pas d'eau douce. Ce canal, I u»)eta-4 tdpu,, est remplacé aujourd'hui parla Mahmoudieh, qui part de Foueh. Il avait son origine à Schedia (El-Nahou), à 6 lieues d'Alexandrie, envoyait une branche sur Canope par la lagune, parallèlement à la côte, et une sur Alexandrie par le Maréotis et Éleusis 11. Il fut refait par les Arabes, avec départ à Rahmanieh. 3° Le Pô. Les Septem Maria, Fossiones Philistinae, Fessa Carbonaria, Fossa Clocha, etc. Depuis l'époque où les Étrusques dominaient dans la vallée du P6, ce fleuve a gagné sur la mer de 30 à 35 kilomètres, et déplacé complètement ses embouchures i3. La principale était alors la bouche Spinétique, aujourd'hui P6 di Primare, qui seule, avec sa voisine, la Caprasienne, aujourd'hui Magnavacca, paraît avoir été naturelle; elles sont au nord de Ravenne. Entre cette ville et Altinuln, qui est au nord de Venise, sept grandes lagunes, les Septem Maria, couvraient l'espace qu'occupent encore celles de Venise et de Comacchio et tout le delta d'aujourd'hui; on pouvait naviguer sur elles, parallèlement au cordon littoral, pendant 120 kilomètres. Les Étrusques t3 jetèrent le fleuve dans le milieu de ces lagunes, qui recevaient déjà le Meduacus (Brenta et Bacchiglione) et l'Adige. Ils lui ouvrirent, par les Fossiones Philistinae, une ligne droite jusqu'à l'embouchure du Tartarus, où était le port d'Iladria ; puis d'autres plus au sud, la Carbonaria, l'Olana, le Sagis, vinrent encore prendre ses eaux;d'autres enfin,au nord,enlacèrentl'Adige et le Meduacus. Ces ouvertures, refaites et entretenues à l'époque romaine, puisque la dernière porta le nom de Fossa Clodia1l,d'où la moderne Chioggia,furentpeut-être, à l'origine, pourvues de régulateurs plus ou moins efficaces; mais, à l'époque historique, elles n'étaient que de nouvelles bouches du fleuve, et par la suite devinrent les principales. Ce sont elles qui ont comblé les lagunes; formé l'immense delta actuel, et mis Hadria à 25 kilomètres de la mer : soit que les Étrusques eussent voulu à la fois colmater cet espace et débarrasser l'ancien Pô de ses troubles, soit qu'ils n'aient pas prévu la marche du phénomène. Celle-ci était d'ailleurs moins rapide, les bouches n'étant pas entièrement endiguées comme maintenant, et les alluvions se répandant sur les lagunes et les basses terres. Au temps de l'Empire, on naviguait encore 16 de Ravenne jusqu'à Altinum; au siècle dernier, le rivage ne gagnait annuellement que 28 mètres; depuis les endiguements actuels, il en gagne 100. Les fossae néanmoins s'obstruèrent, sauf la Clodia qui continua à assécher la Polésine; et tout le delta redevint marais. La Fosse Augusta, Fessa Asconis. Comme tous les fleuves à delta, le P6, à ses bouches, tant naturelles qu'artificielles, présentait des barres gênantes; et, de plus, les bras de gauche tendaient à accaparer le débit. Aussi Auguste, pour Ravenne, où était une des flottes d'Italie, ouvrit-il un canal maritime. La Fossa Augustal6 ne fut peut-être qu'une dérivation naturelle arrangée, la Padusa ou Messanique. Elle eut elle-même une dérivation, la Fosse Asconis 17, de façon à envelopper Ravenne au nord comme au sud. Malheureusement Ravenne était toujours dans la zone des atterrissements; et ce canal, à pente encore moindre que celle du fleuve, était voué à l'ensablement. Au ve siècle, la ville était déjà à 330 mètres de la mer; au ixe, elle n'avait plus de port; le rivage aujourd'hui est à 7 kilomètres. 4° Le Rhône. Fossae Marianae. Les prodigieux FOS 1329 FOS atterrissements du delta du Rhône avaient fait chercher un débouché hors de leur atteinte. Marius le trouva dans le golfe de Fez, à l'est. Campé entre Arles et la mer pendant le répit que lui laissèrent les Teutons avant de marcher contre l'Italie, il employa son armée à faire une grande fossa ouverte, qui, partie de la branche principale à 114 kilomètres au sud d'Arles, détournait une grosse part des eaux. Elle a formé, pendant tout le moyen âge, le bras oriental, qu'on trouvait encore plus ou moins accessible, dans le xvu° siècle, à la petite navigation. Sa direction, peu éloignée de celle du canal actuel d'Arles à Port-deBouc, est marqué par une suite continue de marais et d'étangs depuis le Capeau jusqu'au Galégeon. Là, très probablement, une issue secondaire lui était ouverte en ligne droite vers la mer, correspondant au Grau de Galégeon; puis, entre deux digues colossales, dont les restes existent encore sous le nom des deux Cardouillières, le cours d'eau principal, dont l'étang allongé de la Fousse représente un dernier souvenir, s'en allait, parallèlement au rivage, à la ville et au port de Fossae Marianae, dont les ruines sont au bourg de Fos, à 140 milles de Marseille, vers l'entrée des étangs de Berre et de l'Estomac. Pendant toute la durée de l'époque romaine, le canal fut entretenu, et demeura accessible aux plus forts bâtiments; il fut la voie du commerce dont l'entrepôt était le port fluvial d'Arles. Sa profondeur devait être grande, puisque son débris, l'étang de la Fousse, a encore, seul de tous les étangs, des parties au-dessous du niveau de la mer. Sa largeur l'était également, puisque les Cardouillières ont entre elles un écartement moyen de 100 à 150 mètres. Ces deux digues, dont on suit l'alignement sur une lieue et demie, sont faites de pierres apportées de la Crau, les interstices remplis de terre; elles mesurent une quarantaine de mètres à la base, et sept environ au sommet'. 5°L'Argens'(Argenteus). Labelle création d'Agrippa, le port de Forum Julii 2 (Fréjus), était menacé par l'Argenteus (Argens), grand ouvrier d'atterrissements, qui n'a pas manqué de l'ensabler. On fit dans le bassin déboucher un canal latéral. Mais ce canal, porteur lui-même de troubles, a contribué à l'envasement. Le port est aujourd'hui à 2 kilomètres de la mer, et le canal est devenu fleuve C'est ce qui s'est passé pour le Tibre à Ostie. 6° Le Rhin. rossa Drusiana. Le Rhin, quand la province de Germanie inférieure fut constituée, appela également l'attention des Romains. Nous ne connaissons pas tous les travaux qu'ils firent, et le pays est si fort remanié que la plupart ont disparu. Mais nous savons qu'il y eut un canal maritime, tournant le delta commun du Rhin et de la Meuse. C'est la Fossa Drusiana, creusée, onze ans avant notre ère, par Drusus pour gagner, par la Sala (Yssel), le lac Flevo, et, par l'émissaire de ce lac, la mer. Forcé par le fleuve, ce canal, qui allait d'Iseloort à Doesborgh, est maintenant l'Yssel même, comme le lac, forcé par la mer, est devenu leLuyderzée. 6° Le Tibre. Fossae Quiritium, Fossa Claudia, Fossa Trajana. Antérieurement à l'histoire, le littoral du Latium occupait la place du bord nord-est du marais et de la saline d'Ostie, du Campo Saline et des marécages du Stagno di Ponente jusque vers Pale; le Tibre y tombait quelque part vers le lieu on est la Vignola. Mais, dans les premiers temps de Rome, ses atterrissements avaient déjà chassé la mer des salines de droite et de gauche ; et luimême, le long d'un cordon latéral, s'infléchissait vers le sud, et avait son embouchure à l'Ostia d'aujourd'hui. C'est là que fut construite la ville d'Ancus Marcius à sa création se rapporte celle des Fossae Quiritium dont les légendes ont postérieurement altéré le caractère et, qui étaient, sans aucun doute, des ouvrages purement hydrauliques. Les atterrissements formèrent bientôt une espèce de delta, le Tibre, outre sa principale embouchure, envoyant ses eaux de crue dans la lagune d'Ostie, qui se déversait par l'émissaire existant. Plus tard encore cette lagune fut entièrement séparée de lui, et le rivage s'éloigna de l'Ostie royale. Celle de la République se bâtit plus bas, celle de l'Empire plus bas encore, ce qui n'empêcha pas les atterrissements de les distancer et de combler les ports l'un après l'autre7. César lui-même renonça à la lutte', et aujourd'hui l'ancienne ville est à 7 kilomètres et demi de l'embouchure. Claude résolut de transférer le port à 2 milles et demi plus au nord', et d'ouvrir un canal maritime 70 ; ce canal, rectifiant le cours du fleuve, diminuait les inondations dans Rome. Le bassin de Claude fut doublé d'un second, creusé par Trajan, qui fit aussi une branche de canal ~'. La Fossa partait du Capo due Rami, point où le Tibre, rencontrant l'ancien cordon littoral, faisait un coude pour aller vers Ostie ; elle s'ouvrait là sans doute par quelque barrage, afin de régler le débit et d'écarter les apports des grandes crues ; elle allait tout droit à la mer, envoyant un bras dans les ports. C'est aujourd'hui la branche septentrionale du Tibre, la plus abondante, qu'on appelle Fiume di Porto. Elle a joué, dans des proportions moindres, le même rôle que l'ancienne, et contribué, malgré les soins assidus qui ne lui ont pas fait défaut pendant six siècles, et l'entretien tel quel qu'on lui a donné par la suite, à reculer le littoral de 2 milles 12. Pour être dans les mêmes conditions que celui d'Alexandrie, le port impérial aurait dû être, au plus près, à Alsium (Palo), c'est-à-dire à dix bons milles plus au nord, hors de la zone des accroissements; où il est, le constant entretien de son canal empêchait celui-ci de l'envaser, mais n'interdisait point au fleuve lui-même de le faire. 8° Le Buges. On sait, par Pline 13, qu'un fleuve de Scythie, qu'il appelle Ilypanis, dont le cours naturel tombait dans la lagune Coretus, au long du Palus Méotide, avait un bras artificiel qui allait dans une autre lagune, le lac Buges, qui lui-même, par une fosse, était déversé dans la mer. Il est clair qu'il s'agit, non de l'Hypanis (Bug), qui est fort loin de là, mais, soit d'un autre du même nom, soit, par une erreur de l'auteur, du Pasiacès, ou même du Bugès, qui se jetait effectivement dans la lagune ainsi appelée, aujourd'hui Sivaché. On ne sait d'ailleurs à qui attribuer cette dérivation. 9° Le Danube. Projet de Trajan. Ce projet, qui ne fut pas exécuté, du moins entièrement, consistait à avoir FOS 1330 FOS un canal maritime au sud des bouches, par le lac Kara. Il était mal conçu, la nouvelle embouchure était dans la zone des atterrissements, et aurait eu peu de durée. En somme, il y a trois moyens de vaincre les barres des fleuves : le dragage continu, qui les défait à mesure qu'elles se font; le resserrement des embouchures, qui force le courant et les lime ; l'établissement d'un canal latéral maritime, qui les tourne. Le premier dépassait les moyens des anciens. Le second, adopté par les modernes, mais condamné par de constants échecs, était dans la pratique romaine, et c'est d'elle que procède le système italien, qui consiste en jetées pleines ou à clairevoie, faites de palis espacés et recépés au niveau des basses mers. Le troisième, qui est le seul logique, leur réussit partout où ils ont pu, ou su, écarter les troubles des prises et placer les débouchés franchement hors de la zone d'atterrissements, comme pour le Nil et pour le Rhône ; il a échoué dans le cas contraire, comme pour le Tibre et le P6. Navigation intérieure. Canaux à niveau. 1° Percements d'isthmes. -Malgré les railleries de Juvénal il est certain que Xerxès a bien et complètement percé le collet de l'Athos Son canal, que les anciens ont appelé Hpoa6Xe,, est encore visible ; c'était un pertuis droit d'environ 2200 mètres, sur à peu près 6 mètres de large : les bâtiments défilaient un à un3. Il fut bientôt abandonné, et plus tard une chaussée de 200 mètres de large rétablit solidement l'isthme. Ces percements paraissaient aux anciens une entreprise hardie et presque sacrilège, comme dénaturant le plan divin de la création. Les Cnidiens, au temps de Cyrus, cessèrent une entreprise de ce genre par ordre de l'oracle de Delphes : 'I170uôv aà 1..~ 7CUpyOÛTE 1177) ' ôP//vaaETE. Cependant les ouvrages de ce genre, l'utilité forçant les scrupules, devinrent nombreux. Ce sont les colons corinthiens qui ont fait de Leucade une île par leur atépuxTOç ouvert entre elle et l'Acarnanie sur une longueur de 3 stades 6 ; ensablé postérieurement, il fut, à l'époque romaine, rétabli et muni d'un pont'. Alexandre avait projeté un canal de 7 milles de long entre les golfes où se jettent le Caystre et l'Ilermus, pour isoler la péninsule du mont Mimas 8. On prêtait à Séleucus Nicator le projet d'en percer un entre le Bosphore Cimmérien et la mer Caspienne 9. 2° L'isthme de Corinthe. Périandre conçut f0, la superstition fit échouerl', Démétrius Poliorcète reprit, puis abandonna par la crainte chimérique que les deux mers ne fussent pas au même niveau', César 13 arrêta le projet du percement de l'isthme de Corinthe. Caligula14 fit faire le tracé et les nivellements. Enfin Néron'', avec une bêche d'or, inaugura lui-même la fouille; cinq ou six mille ouvriers y travaillèrent trois ou quatre mois ; six mille Juifs prisonniers, envoyés par Vespasien, étaient en marche pour les rejoindre, quand l'insurrection de Vindex fit discontinuer l'entreprise, à laquelle seul Hérode Atticus t6 songea par la suite, sans la renouveler. La percée qui est en cours a fait disparaître le travail de Néron, étant exactement sur le même tracé. Ce qu'il prétendait faire était évidemment un canal à niveau, tout droit, dans la partie la plus étroite, sur 6000 mètres, embouchures comprises. L'esquisse était complète17: deux tranchées, l'une sur 1500 mètres, l'autre sur 2000, partaient des deux plages, et entamaient, larges de 40 à 50 mètres, déjà profondes, en certains points, de 30, la petite montagne, haute de 80 à peine, qui fait l'arête de l'isthme; sur celle-ci, une .troisième était amorcée, et vingt-sept puits de sondage et d'attaque étaient déjà poussés jusqu'à 42 mètres. L'oeuvre n'offrait aucune difficulté, que ses dimensions : elle était aussi bien commencée que bien conçue. Le cube extrait étant d'environ 500000 mètres cubes, et le total à extraire d'environ 13 millions et demi, la partie la plus dure, c'est-à-dire le trajet en montagne, restant à faire, mais le chantier devant être presque doublé par l'arrivée des forçats juifs, il semble possible d'admettre que l'ouvrage eût été terminé, peut-être en sept années, en une dizaine au plus. 3° La bossa Neronis de l'Averne au Tibre. C'était aussi un canal à niveau que projetait le même empereur7t entre Ostie et Misène, et dont Tacite 19 a si mal compris, ou si étrangement travesti, la conception. Il a raison de dire qu'il n'était pas d'une nécessité urgente, qu'il était gigantesque pour le temps, puisqu'on devait trancher le cratère de l'Averne, l'isthme de Gaète, le mont Sant'Angelo. Mais qu'il fût inutile, impossible et absurde, et surtout qu'il dût manquer d'eau en dehors des Marais Pontins, c'est ce que nous ne saurions croire. Rome faisait son deuil d'Ostie ; Agrippa avait joint le Lucrin à l'Averne, créant le Portus Julius, et doublant ainsi Misène, où était la flotte. Severus et Celer firent souhaiter à l'empereur de mettre le golfe de Haïes et ce vaste établissement naval en communication directe avec Rome, sans dépendre plus de la mer. Le canal, soit qu'on joignît l'Averne au Fusaro ou seulement celui-ci au golfe, rencontrait, sur tout son parcours jusqu'au delà de Sinuesse, une série de lagunes appuyées au cordon littoral, et pouvait s'alimenter d'eau vive au Vulturne et au Liris. L'isthme de Gaète franchi, et c'était le seul pas difficile, il retrouvait la même chose sur la plage des Speluncae et de la plaine de Fundi, et, aux Lantulae, l'émissaire d'un grand lac. Il ne lui était pas plus impossible qu'il ne le fut à la Voie Appienne d'entailler pour passer, à Terracine, le Sant' Angelo. A partir de là, il était fait, ou le fut. Un canal a toujours existé le long du cordon littoral, de Térracine à Astura. Il passe au pied de Circeii, coupant l'isthme du Monte Circello, et visible sous le nom de Cavo d'Augusto, qui semble trahir son origine impériale, sur 5 kilomètres de longueur. Enfin il joint toutes les lagunes qui sont au nord-ouest de ce mont, et, s'il n'existait pas au delà, il y était du moins facile à creuser, et à mener jusqu'à Ostie. L'Amasenus, l'Ufens, et toutes les eaux des Marais Pontins, avant Circeii, le Nymphaeus et les eaux supérieures, aux Clostra Romana, l'Astura, le Numicus et tous les « fossi n de la Campagne Romaine, le Tibre FOS -1331-FOS enfin, l'eussent plutôt embarrassé d'eau qu'ils ne l'en eussent laissé manquer. En tout cas, le rêve de Néron fut, ou était, réalisé entre Astura et Terracine I ; et de même le long de la plage des Speluncae et d'Amyclae, où, si Pline dit vrai, c'est à lui que fut due la jonction des lagunes littorales 2. Le récit de Suétone montre que l'entreprise ne resta pas à l'état de projet; elle fut peutêtre terminée dans toutes les sections de plaine. Malheureusement, dans les sections de montagne, on mit à peine pioche en terre : si bien qu'à l'exception d'oeuvres de petit parcours, les canaux de ce genre ne nous sont, dans l'antiquité, représentés que par des essais. Rouge. On a reconnu, dans l'isthme de Suez, deux tracés de canaux destinés à faire communiquer la mer Rouge avec la Méditerranée, l'un par le Nil, l'autre directement. Les auteurs les confondent, ou du moins les distinguent rarement, ou ne parlent que de l'un d'eux; mais on sait, par leurs écrits : d'une part, qu'un canal fait par Sésostris, et entretenu ou refait depuis lors, a fonctionné ; qu'un autre, fait par Néchao, n'a été ni achevé ni mis en usage ; d'autre part, que la communication par le Nil a existé. Il y a donc lieu d'attribuer à Néko II, conformément à ce que dit Diodore3, le canal par l'isthme. Ces deux ouvrages ont précédé les deux percées faites de nos jours, le canal des Deux-Mers et le canal d'Eau-Douce, qui les ont détruits en partie. A l'époque où ils furent creuséssurtout le premier, le seuil d'El-Guisr, haut maintenant de 23 mètres, et large de 80 kilomètres entre Héroopolis et Péluse, mais seulement de 11 entre les dernières dépressions des lacs Menzaleh et Timsah, séparait presque seul des lagunes pélusiaques le golfe de Suez, dont le fond était aux Lacs Amers. Là venait finir une ancienne branche du Nil, l'Ouadi Toumylat, qu'envahissaient encore les crues, et où fut établi le canal des Pharaons. Des monuments du règne de Séti montrent celui-ci en activité 6 ; il fut refait par Rhamsès II, dont les constructions couvrent ses rives. Parti de Bubaste sur la branche Pélusiaque, il fournissait, dans l'Ouadi, à deux grandes dérivations, arrosant tout le pays de Goshen ; il atteignait le fond du golfe où est maintenant le lac Timsah, après un parcours de 20 lieues. Le grand défaut de cet ouvrage était de n'être qu'un bras du Nil. Le Delta et le Nil lui-même étant bien plus bas qu'à présent, il avait d'ailleurs moins de pente qu'il n'en aurait si on le créait maintenant. Aussi, dans la décadence de l'Égypte, il s'envasa. Les atterrissements du golfe et l'élargissement de l'isthme lui enlevèrent son débouché; et le seuil du Sérapéum, aujourd'hui élevé de 11 mètres, qui isole les Lacs Amers, était sûrement en formation à l'époque de Néko II. Le canal de ce Pharaon se voyait, avant les travaux de celui de Suez, qui le remplace, depuis le lac Timsah jusqu'au lac Menzaleh. Il a, par conséquent, été tracé tout entier, et même creusé. Il ne lui a manqué que d'être approfondi et muni de ses ouvrages d'art; son plafond IV. était à 14 mètres au-dessus de la Méditerranée. Les légendes ont donc raison d'attribuer son inachèvement à d'autres causes qu'à des empêchements techniques. Darius en reprit l'idée, mais ce fut pour attaquer la partie que rendait nécessaire l'état du golfe, qui n'était plus qu'un bas-fond entre le Sérapéum et Suez; on a trouvé sur ce parcours les souvenirs de son travail, des inscriptions où il se nomme 6. Mais, somme toute, la communication ne fut jamais ouverte. Dans les trente-cinq siècles au moins qui nous séparent du creusement du canal pharaonique, un soulèvement, qui dérouta les anciens par sa lenteur et sa continuité, releva le seuil d'El-Guisr, et créa d'abord celui du Sérapéum, ensuite la barre, puis le seuil, de Chalouf, qui a 3m,41 ; ces points servirent de soutien aux atterrissements désertiques, aux sables, par lesquels fut envahi, une fois séparé de la mer, le grand ravin qui formait auparavant.le fond du golfe. C'est ce phénomène qui exigea les recreusements périodiques dont nous avons connaissance. Ainsi Ptolémée Philadelphe eut à refaire, sous le nom de H o),Ej.aïoç aotia~.ô5, l'oeuvre de Darius, c'est-à-dire la voie navigable depuis les Lacs Amers jusqu'à Arsinoë, et la fit s'abouter au canal des Pharaons, réparé. Mais le mouvement continua, et, à l'époque de Cléopâtre, le passage était fort difficile, sinon tout à fait obstrué. La voie totale avait alors une longueur de 35 lieues. lladrien, exécutant probablement un plan dressé sous son prédécesseur, le remit en état, fit peut-être le quai auprès des Lacs Amers, la grande dérivation voisine, la maçonnerie de l'euripe à Suez. Il augmenta surtout la pente initiale, en reportant la prise d'eau de Bubaste à Babylone, c'està-dire beaucoup plus haut. Le nouveau canal, de ce point à l'entrée de l'Ouadi Toumylat, était appelé Tec iavb; 7urroy.6;. Grâce à lui, le passage dura jusqu'aux siècles de la décadence ; la longue dépression entre le Sérapéum et Suez était, dès lors, à peine humide, l'isthme prenait son aspect actuel. Oblitéré à la longue, recreusé de Belbéïs aux lacs par Omar en 622, le canal put encore plus ou moins servir jusqu'en 775, date à laquelle il fut bouché sur l'ordre du khalife Al-Mansour. De tous les ouvrages antiques, c'est celui dont il importerait le plus de connaître le fonctionnement. Ce n'était pas un vrai canal à point de partage; encore moins celui de Néko l'eût-il été. L'oeuvre des anciens Pharaons ne fut, en définitive, que la réouverture d'un bras primitif du Nil. Son lit paraît s'être terminé, dès l'origine, par une espèce d'euripe. Était-ce, comme l'a cru Le Père, pour demeurer fermé pendant les basses eaux, obligeant les navires à un transbordement, puis ouvert pendant le temps de la crue? N'était-ce pas plutôt pour empêcher les marées d'y refluer? Jusqu'aux. nivellements exécutés depuis 1847 par Bourdaloue et Linant de Bellefonds, on a vécu dans la crainte de la mer Rouge, qu'on supposait beaucoup plus élevée que la Méditerranée, et même que le Delta. Ses grandes marées effrayaient les anciens, et on doit peut 168 FOS 1332 FOS être attribuer à cette peur l'abandon de la percée directe, L'euripe de Suez eut donc un double but : forcer l'embouchure du. canal pour avoir une chasse qui prévînt l'ensablement, et la fermer à marée haute pour que la mer n'y entrât point. Des témoignages confus des auteurs et des vestiges que l'on a vus, il semble résulter qu'un ouvrage analogue, qui existait à l'ancien débouché, vers le Sérapéum, fut conservé dans le canal complet. Il devait, en effet, y avoir une différence de pente entre les deux tronçons, qui exigeait une retenue, et c'est aux lacs que se sont arrêtés les apports de limons du Nil_ On peut croire que, dans le canal achevé par les Antonins, le fonctionnement était celui-ci. Nous ignorons s'il y avait un réglage au départ sur la branche Pélusiaque. Quoi qu'il en fût, pendant la crue, le canal demeurait. ouvert : les eaux s'y engouffraient, fournissaient aux dérivations agricoles, et atteignaient les lacs, qui formaient une retenue naturelle, suffisante pour emmagasiner le débit d'entre deux marées; l'euripe de Suez, fermé à marée haute, s'ouvrait à marée basse. La navigation devait se faire à la cordelle pour monter, au fil de l'eau pour descendre; dans le premier sens, on marchait pendant la fermeture, dans le second, pendant la lâchée. Durant les basses eaux, l'euripe du Sérapéum était fermé, et les deux tronçons du canal formaient deux biefs, d'où l'on sortait, soit par transbordement, soit en attendant les làchures; à chaque lâchure de Suez en correspondait une du Sérapéum, et automatiquement une entrée d'eau du Nil : c'est ce qui explique comment les lacs étaient, à l'époque impériale, considérablement dessalés. Les deux canaux étaient de simples tranchées, garnies de deux cavaliers faits avec les terres de la fouille. Celui de Néko, dans l'état où il l'a laissé, avait jusqu'à 100 mètres de large, 40 seulement à El-Guisr. Quant à l'autre, tant d'après ses restes que d'après les indications mal concordantes des écrivains, il paraît, à l'état parfait, avoir mesuré en moyenne 50 mètres de largeur à la ligne d'eau, 3 mètres de tirant d'eau, 6 à 7 mètres de profondeur de déblai, 96 kilomètres de tranchée'. La section était moindre entre les lacs et Suez que dans la partie supérieure. '2o Projets antiques. Fossa entre la Saône et la Moselle. Le canal de l'Isthme est le seul de son genre que les anciens aient réalisé. Mais les projets, pour en faire d'autres, n'ont pas manqué. Sous Néron, L. Antistius Vetus2 conçut l'idée grandiose de tourner les colonnes d'Hercule. Il voulait joindre la Saône et la /Moselle, pdur faire passer les troupes de la Méditerranée dans l'Océan par le Rhône et le Rhin. C'eût été là un véritable type ; mais ce grand canal ne semble pas avoir reçu commencement, et nous ignorons les moyens qu'on se réservait d'employer3. Il en est de même pour les autres projets dont l'existence est attestée. Fossa de Pline en Bithynie. Un peu plus explicite est le plan que Pline soumet à Trajan 4, et que cet empereur discute. Il s'agit de rouvrir et de terminer un canal entrepris par les rois de Bithynie pour faire communiquer le golfe d'Ismid avec la mer Noire par le lac Sabandja et le Sangarius, ou du moins le lac avec projet qu'avait jadis annoncé Seleucus Nicator pour la jonction de la Caspienne et du Pont-Eusin, et qui est mentionné ci-dessus. Plin. Hist. nat. VI, 12. Est-ce le canal du Don au Volga qu'il s'agissait déjà d'établir Y On l'ignore. 4 Plin. Ep. ce fleuve. Il ne doute point de la réussite, et il indique deux solutions. L'une, c'est de mener la tranchée depuis le lac jusqu'à la rive du fleuve, en réservant un bàtardeau naturel; les bâtiments transborderont. L'autre, qu'il préfère, consiste, pour ne pas épuiser le lac, à détourner et ramener dans le canal, alimenté d'ailleurs par des sources captées, l'émissaire même de la nappe, et à ne faire que des lâchures intermittentes, moyennant des cataractae. Mais il semble difficile, s'agissant d'une pente totale de 40 coudées, qu'on ait pu établir le projet sans prévoir quelque chose comme des biefs étagés. Or, faute d'avoir les écluses telles qu'on les fait depuis le xve siècle, les anciens, pour qui les canaux étaient avant tout un moyen d'éviter les risques maritimes, ne s'aventuraient pas volontiers dans un genre d'essais toujours assez dangereux. On peut concevoir toutefois qu'ils exécutassent ce qui a été essayé, dans ce siècle, sur l'Yonne ', une série de retenues échelonnées, surtout s'ils ont su appliquer aux valvae emissoriae un système de fermettes quelconque, permettant d'abaisser l'eau avant de faire la grande lâchure, ou s'ils ont fait des cataractae assez grandes et assez bien réglées pour laisser passer leurs bateaux après avoir obtenu le même résultat par soulèvement progressif. Toujours est-il qu'ils ne nous montrent, en fait de canaux de cette espèce, que des projets, des entreprises manquées ou des ouvrages imparfaits. LÉGISLATION. Il n'y a pas, dans le droit romain de législation spéciale aux canaux de navigation. Celle des autres cours d'eau leur est applicable. Fossa manu facta per quam /luit publicum /lumen', le canal suit le sort de raqua publica; Tossa privata 3, il suit le sort de laqua privata. De toutes manières, il rentre dans le droit commun des flumina. Quant à l'eau d'irrigation, d'assez nombreux textes la visent, depuis, chez les Grecs, la table d'Héraclée, formule d'un bail de ferme, qui règle les obligations du fermier et des cultivateurs riverains des canaux et rigoles jusqu'au titre XXXIV du livre XI du Code, De servitutibus et aqua. Mais on ne peut séparer l'étude de ces textes de l'ensemble du droit des eaux {AQuA, IIIRIGATIO, RIV1JS]. Remarquons seulement ici que, chez les Romains, l'eau, courante ou non, est la propriété absolue du propriétaire du fonds où elle se trouve ; si elle est mitoyenne, le droit des riverains est égal. Il semblerait même qu'en ce cas, elle fût, ou ait été, du moins à une époque ancienne, au premier occupant 10. Tel est, en tout cas, le régime des cours d'eau publics non navigables; ils paraissent avoir été chose commune ; les riverains pouvaient y faire des prises d'eau d'irrigation par le moyen de fossae, à condition de ne pas se porter dommage l'un à l'autre'{ ; le droit sur cette eau s'acquérait, comme sur tout bien vacant, par l'occupation, se démontrait par l'usage 12, se confirmait, comme les autres du même genre, par prescription '3. FossÉS DE CONFINS. Comme les modernes, les anciens ont eu pour usage de marquer par des fossés les limites des domaines. Les arpenteurs romains ont laissé des indications pour le tracé des fossae et -la détermi FOS 1333 FOS nation de leur régime, suivant qu'elles sont sur l'un ou l'autre des terrains, c'est-à-dire Propriae, ou exactement finales, suivant qu'elles sont publicae ou vicinales'. Un manuscrit donne même un modèle d'une fossa rotunda in capite fossati 2. Les frontières des États se traçaient aussi de cette façon. On voit Carthage 3 enclore par les (Dotvrr.thç z«?pol' ce qui resta jusqu'à la fin son territoire de possession directe. Le peuple romain lui-même marquait parfois la frontière de l'empire par un simple fossé continu. Nous savons que la province d'Afrique, à sa création, fut ainsi encadrée de Thabraca à Thenae 5, où aboutissait la fossa inter Africanum sequentem et reges perducta °. VIII. LIEUX-DITS. Indépendamment des travaux mentionnés ci-dessus, le nom de Fossa ou Fossae, accompagné ou non d'un déterminatif, était fréquent, dans la géographie romaine. Les bouches de Bonifacio et les îles qui s'y trouvent', s'appelaient Fossae, T«m(; il y avait une ville de ce nom près de Sirmiurn, une Fossa Graeca en Campanie 3, qui certainement était un ancien travail d'aménagement agricole, une Fessa Papiriana ou Fossae Papirianae9, qui est Viareggio, un endroit dit Fossa Cluilia ou Fossae Cluiliae sur la Voie Latine, au temple de la Fortuna Muliebris, et dont le nom rappelait une très vieille légende 10, et bien d'autres, sans compter la ville de Fossae aujourd'hui Tornova, dans les bouches du Pô, qui devait son nom aux Fossae Philistinae. M.-R. DE LA BLANCIIÈRE.