Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FRENUM

TRENUM. Xxatvoç. Bride pour les animaux de bât, de selle ou de trait. Le mot grec, comme le mot latin, désigne non seulement le mors, qui est la partie essentielle de la bride, mais, d'une façon générale, l'ensemble des pièces destinées soit à le maintenir en place, soit à le faire agir; quelquefois même il s'applique à des appareils qui ne comportent pas de mors'. Nous réunirons donc ici tout ce qui concerne le harnais de tête. Origines. Une légende attribuait à Athéna l'invention de la bride ; elle aurait elle-même enseigné â Bellérophon comment il devait s'en servir pour dompter Pégase; d'où les surnoms de Axp.a7t7rtoç et de Xxatvî-rtç, qu'on a parfois donnés à cette déesse z ; dans le bourg de Colone, près d'Athènes, on l'appelait `Lrir(x3. Suivant d'autres traditions fabuleuses les Lapithes, habitants de la vallée de Péléthronium, en Thessalie, auraient eu les premiers l'idée de conduire un cheval à l'aide du mors [EQUITATIO]4. On rapportait encore que Poseidon, qui avait fait sortir de terre le fameux Arion, ancêtre de tous les coursiers, l'avait aussitôt dompté par ce moyen [NEPTUNUS] 5. Enfin l'apologue témoigne à sa façon de l'importance que les Grecs attachaient à une invention aussi utile : Stésichore passe pour leur avoir le premier raconté comment le cheval, ayant voulu se venger du cerf, implora le secours de l'homme et comment celui-ci lui mit dans la bouche un frein qui l'asservit à tout jamais'. En réalité l'invention de la bride date, au moins en Grèce, d'une époque antérieure aux temps historiques; Homère parle déjà du mors que « l'on introduit entre les mâchoires des chevaux 7». Cependant on ne saurait douter que certains peuples, qui excellaient dans l'art de l'équitation, aient dédaigné ce secours et leur exemple nous autorise à admettre que les Grecs eux-mêmes aient pu s'en passer dans un âge très reculé. Au temps de Trajan, les Numides, qui formaient dans les troupes romaines un corps de cavalerie redoutable, ne mettaient aucune bride à leurs montures, comme on peut le voir sur la colonne Trajane où ils sont représentés'; ils les dirigeaient en les touchant avec une houssine 3. Telle était aussi la coutume des Gétules 1', des Garamantes", des Massyliens12, et en général de toutes les populations africaines avec lesquelles les Grecs et les Romains furent en rapport13. Les Indiens dressaient des chevaux à obéir uniquement au son de la voix''. Claudien vit encore, sur une route au bord du Rhône, des chariots traînés par des mules dont la bouche FRE 1335 FR 1J était libre de tout frein 1, Mais c'étaient là, même chez les nations étrangères, des exceptions que les auteurs classiques ont jugées dignes d'être signalées. Il est certain que les Étrusques et les Celtes, sans parler des grands peuples de l'Orient, connurent le mors dès une très haute antiquité'. A diverses reprises, il arriva aux troupes romaines de le retirer à leurs montures avant de .charger l'ennemi'. On cite aussi chez les Grecs des écuyers assez habiles pour soumettre à leur volonté un cheval dépourvu de bride4 (â.za),tvaiTdç, tzx«atvoç, e grenus, in frenis) ; c'était un genre de prouesse auquel s'exerçaient parfois les DESULTORES ét les acrobates qui se donnaient en spectacle comme aujourd'hui dans les cirques'. Mais d'une façon générale on peut dire que l'usage de la bride fut constant chez les peuples classiques pendant toute la suite des siècles dont les moeurs nous sont connues. Voici quelles étaient les différentes pièces dont pouvait se composer le harnais de tête. 1. La têtière (xopu:paia) 6. -C'est la courroie qui, pas sant derrière les oreilles et le toupet, maintient le mors dans le sens de la hauteur et l'empêche de glisser en avant. La têtière était quelquefois reliée au milieu du fronteau, comme le montrent les monuments', par une autre courroie, de sorte que chacune des deux oreilles était complètement entourée par le harnais; par là sans doute s'explique dans toute sa précision un passage où Xénophon dit du cheval qu'il reçoit la têtière 7rs l Ta CJTa8. Sous cette forme elle a pris chez les Latins le nom d'aureae 9. Xénophon recommande au palefrenier de ne jamais nouer le licol d'écurie à l'endroit où porte la têtière, parce que souvent le cheval, en se grattant la tête contre la mangeoire, s'écorche si le licol n'est pas bien mis autour des oreilles, et cette partie une fois blessée, il est inévitable que le cheval devienne ensuite difficile à bridre et à panser. 10 » On attachait parfois un panache (),dcpo;, crista) sur la têtière, quand elle était destinée à des chevaux d'apparat; les monuments de l'empire romain qui représentent les courses du cirque nous offrent de nombreux exemples de cet ornement11. C'était aussi à la têtière que venait s'adapter le filet (xExbciiaaoç, RETICULUM) dont on enveloppait la crinière; c'était là enfin qu'on suspendait le sac ('t))'2 dans lequel était enfermée la pitance du cheval, lorsqu'il devait la manger loin de l'écurie. La sous-gorge (ysv2w. rI~p) 13. Sous l'empire, cer tains chevaux de course, que leurs maîtres harnachaient avec un soin particulier, portaient pendue à la sous-gorge une sorte de gland ou de plumeau, comme on en voit dans les pays du Midi, et qui, secoué fréquemment par l'animal, avait sans doute pour utilité d'écarter les mouches de sa tête et de son cour. Les porte-mors ou montants de la bride (7raptta, apxlvzOi8Eç, 7rapyva0iôta). -Paire de courroies qui relie la têtière aux deux extrémités du mors. Au temps d'Homère cette partie de la bride, dans les harnais des riches, était ornée de morceaux d'ivoire colorés de pourpre; il vante les belles pièces de ce genre venant de la Lydie et de la Carie, où elles étaient fabriquées par des femmes15. Polluxis donne le nom de 7rap7yov à une pièce d'armure que les cavaliers de la Bactriane fixaient aux montants de la bride lorsqu'ils allaient au combat. Celle que reproduit la figure 3282 est en or; elle a été trouvée dans un tombeau de la Russie méridionale 17. C'est aussi aux montants de la bride que devaient s'attacher les oeillères de cuir (7raptl7:ca, âv0I,)rta'8) qui empêchent le cheval de voir de côté; certains peuples d'Orient en faisaient en métal pour leurs montures de guerre 7e. Les animaux, qu'on em ployait à tourner la meule ou à accomplir toute autre besogne en suivant une piste circulaire, avaient générale ment les yeux couverts par des lunettes 29 ou par un bandeau d'étoffe posé en travers de la figure (fig. 3283)21 c'est ce qu'on appelait operimentum oculorum22 FRE 1336 FRE La muserolle (7rEptcrditov 1, nasale 2). Courroie qui passe surie nez et vient s'adapter aux extrémités du mors. Elle est souvent reliée au fronteau par une autre courroie qui couvre le milieu du chanfrein. Si on ne mettait point de mors à l'animal, la longe [LORUM] s'attachait directement à la muserolle; on le conduisait par là lorsqu'on le menait boire, lorsqu'on le pansait, et d'une façon génénérale lorsqu'on ne jugeait pas nécessaire d'exercer une action sur sa bouche. A la place de la muserolle ou sur la muserolle elle-même le cheval pouvait encore recevoir la muselière (ciop6stx, x7fE1.d;, CAPISTRUSI)3. VI. Le caveçon (Lâ.Xiov)4. Demi-cercle de métal posé sur le nez à la même place que la muserolle, et qui sert de frein pour conduire le cheval lorsqu'on ne lui met point de mors; cette pièce agit uniquement parla pression exercée à l'extérieur sur les narines. Chez nous, on ne s'en sert plus guère que pour maîtriser les chevaux difficiles; cependant il est communément employé par certaines populations, notamment dans le sud de l'Italie. Les textes classiques nous montrent qu'il n'était pas moins en faveur dans l'antiquité. Les auteurs ont parlé du tintement que produisait le ,].«atov pendant la marche; il est facile, en effet, de comprendre qu'il devait retentir, en heurtant les anneaux de la longe et les divers accessoires suspendus autour de la tête °. On voit dans la figure 3284 un caveçon de bronze, trouvé à Rome, qui est actuellement au musée du Capitole 7; comme on peut le remarquer, il emboîtait exactement la tête, les deux tiges parallèles faisant l'office des montants de bride, et le demi-cercle de la partie supérieure faisant l'office de sous-gorge ; la longe venait s'adapter aux anneaux des angles inférieurs. D'autres pièces semblables ont été trouvées à Pompéi'. Le musée de Vienne en possède une, moins bien conservée, qui était couverte d'émail'. La siguette, caveçon garni de dents sur sa face interne, qui pique les narines lorsqu'on tire la longe. Arrien décrit en ces termes une siguette qui était en usage chez les Indiens et qui leur tenait lieu de tout autre moyen d'action : « Leurs chevaux, dit cet auteur, ont autour du museau une pièce faite de cuir de boeuf cru, armée en dedans de pointes (xwrpa) de cuivre ou de fer, pas trop aiguës; les riches mettent des pointes d'ivoire. En outre le cheval a dans la bouche une espèce de broche de fer (i6E).6;)10, à laquelle sont attachées les rênes; ainsi lorsqu'on ramène les rênes, le cheval est retenu par cette broche, et le cuir garni de pointes, qui tien t aussi à la même broche, agissant alors, le force d'obéir à la main". » Strabon12 et ]ilien13 mentionnent aussi cet appareil; le premier l'appelle cptp.d;, le second xrlpôs xevrpw'rd; [cArlsTRuns]. É lien ajoute que les Indiens le maniaient avec une sûreté et une adresse extraordinaires. La source commune où ont puisé ces écrivains paraît avoir été le Périple rédigé par Néarque au temps d'Alexandre 14, On possède dans plusieurs collections des anneaux doubles, en bronze ou en fer, portant à leur point de contact deux, et quelquefois trois ou quatre dents proéminentes. On a longtemps pensé que les archers avaient pu se servir de ces objets pour tendre leur arc, en passant à travers les anneaux deux doigts de la main droite [Ancus, fig. 473]. C'est une opinion qu'il était déjà difficile de justifier par des raisons tirées de la pratique. Il semble qu'elle doive être définitivement abandonnée depuis qu'on a signalé des exemplaires auxquels adhèrent encore des fragments de chaînes passés dans les anneaux. La figure 3285 en reproduit un qui a été trouvé à Rome et qui y est aujourd'hui conservé dans une collection particulière. Un autre (fig. 3286) provient des environs de Vérone 1G. On a soutenu récemment avec beaucoup de vraisemblance que ces anneaux n'étaient autre chose que des siguettes. Arrien remarque, en parlant de la siguette des Indiens, qu'ils « ne brident pas leurs chevaux de la même manière que les Grecs et les Celtes n ; mais il veut faire entendre par là qu'ils ignorent l'usage du mors brisé, et qu'ils se servent exclusivement de la siguette; il ne prétend pas que cette FRE 1337 FRE sorte de bride leur fût particulière. C'est ainsi sans doute qu'il faut interpréter aussi Strabon et Élien, ou plutôt le voyageur grec, dont ils reproduisent comme Arrien le témoignage. En effet on cite certaines populations, dans les vallées des Alpes et des Pyrénées, qui, au commencement de ce siècle, en étaient au même point que les Indiens du temps d'Alexandre : ils ne connaissaient pas d'autre frein que la siguette pour conduire les bêtes de somme et de trait dans les étroits sentiers de leurs montagnes, et ce t appareil, après tout, n'est pas plus cruel que le mors décrit par Xénophon 1. Il est donc fort possible que les anneaux à pointes retrouvés en Italie et en Gaule aient été adaptés à des brides de cheval ou de mulet. Il resterait encore à savoir sur quelle partie de la tête ils portaient ; on a supposé qu'ils avaient dû être posés sur le chanfrein ou sur les côtés du riez; d'autres considèrent comme plus probable qu'on les attachait sous la barbe, entre les deux maxillaires inférieurs, à la place qu'occupe d'ordinaire la gourmette. De toute façon, si on ne se trompe pas sur la véritable destination de ces objets, ils devaient être fixés autour de la bouche au moyen de la chaîne dont on a retrouvé les débris, et une secousse imprimée par la longe suffisait à faire agir les pointes tournées en dedans du côté de la peau. VIII. La gourmette (û7o7«),tvti(z)2, courroie, tige ou chaînette en métal, qui assujettit le mors en passant sous la barbe du cheval. La figure 3287 reproduit un mors en bronze trouvé à Pompéi, qui est encore muni de sa gourmette 3. IX. Le mors. Le mors proprement dit est souvent désigné par le terme le plus général xa)avdç, frenum. Mais, si on voulait désigner d'une façon précise, en l'opposant aux autres parties de la bride, la pièce que nous appelons l'embouchure, on se servait des mots e7oli.tov4, cTOtt.;s, é7000TÔ(i.tov 6, orea7. Les mors antiques, si on n'en considère que la partie essentielle, peuvent être ramenés à deux types principaux : 1° Mors à barre unique d'une seule pièce (fig. 3288)8; 20 Mors brisé à deux canons (ove;) 0. Ce modèle est celui auquel se rapportent la grande majorité des mors antiques que nous possédons 10. Quelquefois les boucles (sop.o)cit) u, qui forment le pli des canons, au lieu d'être engagées l'une dans l'autre, étaient réunies par un anneau intermédiaire 12, et même deux ou trois anneaux pouvaient être suspendus en cet endroit; Xénophon les appelle simplement oi xz't !.éaov IXTwv â;ôvwv ôaxTU)dot13. On leur donne ailleurs le nom de etaaurT's pta14. Ils avaient l'avantage d'occuper sans cesse le cheval, de telle sorte qu'ils lui tenaient la bouche fraîche et lui ôtaient l'envie de saisir le mors avec les dents. Il y a dans le mors antique deux pièces tout à fait dignes de remarque, ce sont celles que nous appelons aujourd'hui, dans le mors de bridon, les ailes; on entend par là les deux tiges de métal qui, placées en dehors de la bouche, aux deux coins des lèvres, maintiennent l'embouchure en place et l'empêchent de glisser de droite à gauche ou de gauche à droite. Ces ailes sont représentées sur un grand nombre de monuments antiques et les mors que l'on retrouve dans les fouilles en sont souvent pourvus. Elles affectent une très grande. variété de formes15. C'est tantôt une tige mince et droite (plus loin, fig. 3291, 3292), tantôt une plaque ajourée (fig. 3289) is, tantôt un cercle orné de rayons et tantôt un triangle; quelquefois l'aile est courbée en demi-cercle, ou en forme d'S; d'autres sont plus compliquées, elles imitent la silhouette d'un cheval ou d'autres animaux, et sont munies d'appendices destinés à résonner pendant. la marche. Mais en général toutes ces pièces sont de dimensions beaucoup plus grandes que les ailes de notre mors de bridon; souvent elles s'élèvent même au-dessus des naseaux; aussi sont-elles très apparentes sur les monuments. Dans quelques mors la surface de l'embouchure est complètement lisse ; dans d'autres, au contraire, le métal a été tordu de façon à former une spirale, qui par ses arêtes rendait les canons un peu plus durs à la bouche FRE 1338 ---FRE de la bête. Mais on avait imaginé d'autres moyens encore pour augmenter la puissance d'action de l'appareil. Voici les conseils que donne Xénophon : « Il faut avoir deux mors, l'un desquels soit doux ()■Eioç), ayant ses rouelles (rpoyoO d'une bonne grandeur; l'autre dur ('rec,.zLI;) avec des rouelles petites et plates, des hérissons (i7ivot) aigus, afin que le cheval qu'on aura bridé avec celui-ci, le haïssant à cause de son âpreté, le quitte volontiers pour prendre le premier, dont, par ce changement, la douceur lui fera plus de plaisir, et qu'il exécute avec ce mors doux tout ce qu'on lui aura appris avec l'autre; que si méprisant la douceur de la première embouchure il cherche à s'en faire un appui et pèse fréquemment à la main, c'est pour cela que nous avons mis au mors doux de grandes rouelles, afin que, forcé par elles à ouvrir la bouche, il se dessaisisse du canon ; l'on peut d'ailleurs faire d'un mors dur ce que l'on voudra et par la légèreté de la main le modifier à tous les degrés. » Xénophon recommande ensuite que le mors, à quelque catégorie qu'il appartienne, soit toujours coulant (uypç ) : « Car celui qui est rude (cx),rlpôç), par quelque endroit que le cheval le saisisse, il le tient (comme une broche de fer, par quelque point qu'on la prenne, on la fixe tout entière) ; mais l'autre fait l'effet d'une chaîne, dont la partie seule que l'on tient est fixe ; le reste fléchit et demeure pendant. Ainsi le cheval, cherchant toujours à saisir ce qui lui échappe, lâche la partie qu'il tient et ne se rend jamais maître du mors. » C'est pour obtenir ce résultat qu'on suspendait au pli des canons les anneaux dont il a déjà été question. « Si l'on demande maintenant ce qui fait qu'un mors est coulant ou rude, nous expliquerons encore cela. Il est coulant lorsque les brisures et les canons qui s'emboîtent l'un dans l'autre jouent librement et que toutes les pièces que traversent les canons ne sont ni serrées, ni gênées dans leurs mouvements; quand au contraire toutes ces pièces roulent et jouent difficilement, alors le mors est rude; mais, quel qu'il soit, la manière de s'en servir sera toujours la même 1. » Il y a dans ce passage deux mots techniques sur lesquels s'est porté principalement l'effort des commentateurs. Par « les pièces que traversent les canons tend évidemment celles-là mêmes qu'il a désignées plus haut sous les noms de Toéo( et d'inivot. Les premières, qu'il attribue même au mors doux, étaient des rouelles placées au nombre de deux à l'intérieur de la bouche, une de chaque côté, entre les barres et la langue. Comme l'explique P.-L. Courier, « leur fonction était d'empêcher que le cheval ne pût fermer entièrement la bouche ni saisir le mors; et c'est une chose à remarquer que, dans beaucoup de figures équestres qui nous restent de l'antiquité, le cheval a la bouche ouverte2. Il pouvait bien fermer les lèvres -et joindre même les pinces, mais non serrer les mâchoires ». Les izivot, comme il résulte du texte même de Xénophon, étaient propres au mois dur. Mais quelle en était exactement la forme ? Le mot est évidemment employé par métaphore et il est naturel de penser que ces hérissons, quoi qu'en ait dit Courier, étaient des cylindres hérissés de pointes, qui pouvaient tourner autour de l'axe des canons. Pollux distingue dans le mors deux parties : l'axe du milieu, qu'il appelle '(ov, et les accessoires placés autour, que le cheval faisait rouler avec sa langue; ce pouvaient être des cylindres (io:r. olives de métal poli (4. 3290) 39O)3; mais d'autres étaient garnis de pointes sur toute leur sur en faisait aussi qui n'avaient que trois pointes (Tp(eonot) 1. Enfin Pollux a connu un système, où les rouelles et les hérissons, que Xénophon distingue, rie formaient qu'une seule et même pièce; ou plutôt il appelle rouelles à dents de scie (tifv û;ioc-rop.(nv Tâ 7Ept~Epr) xat 7rptovwTâ TE°/o() s ce qu'il a dans un autre passage désigné sous le nom de hérisson. Un mors en bronze de la collection Carapanos, qui n'est connu que depuis peu, semble devoir fixer une fois pour toutes les idées des savants sur un sujet qui a soulevé beaucoup de controverses (fig. 3291) s. Il a été trouvé en Grèce et c'est certainement un des exemplaires les plus curieux et les mieux conservés qui aient été signalés jusqu'ici. On remarquera d'abord les deux grandes ailes qui arrêtaient le mors au coin des lèvres; chacune de ces pièces est munie de deux anneaux, où venaient s'at bride ; ils devaient donc nécessairement être bifurqués, comme on le voit sur un grand nombre de monuments figurés; cette disposition du reste se retrouve dans d'autres mors déjà connus 7. A l'embouchure sont adaptés deux crochets recourbés, qui devaient recevoir l'extrémité des rênes (llabenae) ; ils tiennent lieu des anneaux (ilaxTU),tot), qui servaient plus ordinairement à cet usages. Le mors est brisé; de chaque côté du pli, on peut voir les rouelles dont parle Xénophon; mais ici elles sont singulièrement coupantes, et l'on se demande comment un cheval a jamais pu endurer, sans FRE 1339 FRE avoir la bouche ensanglantée, un appareil ainsi construit. Enfin les canons sont recouverts par des hérissons mobiles autour de l'axe, qui portaient sur les barres de l'animal. Un autre mors (fig. 3292)1, trouvé sur l'Acropole d'Athènes, offre une disposition analogue; seulement ici les rouelles sont absentes. Cet objet a été recueilli dans les ruines des temples de l'époque archaïque, an il est probable qu'il y avait été déposé à titre d'ex-voto : c'est ainsi que Cimon, avant Salamine, fit offrande d'un mors à Athéna2. En 1815, on a trouvé sur les bords de la mer Noire, dans une tombe qui doit dater du Ive siècle av. J.-C., diverses pièces de harnais, parmi lesquelles plusieurs mors, les uns en fer, les autres en bronze, et quelquesuns composés en partie du premier métal, en partie du second'. Ils ressemblent beaucoup au mors de l'Acropole d'Athènes ; mais ils ont ceci de particulier qu'à chaque extrémité de l'embouchure ils sont pourvus d'une griffe à quatre dents, perpendiculaire à l'axe des canons (fig. 3293) '. Stephani voyait là des T1MoXot; mais il faut chercher un autre nom pour cette pièce: d'abord elle forme quatre pointes, et non trois; ensuite la position qu'elle occupe par rapport à l'axe ne correspond pas du tout à la description de Pollux et ne permet pas de supposer qu'elle ait été faite pour exercer une action sur les barres. Elle devait être placée, non pas en dedans de la bouche du cheval, mais en dehors, de façon qu'elle accentuait l'indication donnée par les rênes, en piquant la lèvre extérieurement, soit à droite, soit à gauche, suivant que l'un ou l'autre canon était tiré en arrière par la main du conducteur. C'était une aide utile dans les voltes, surtout pour le cavalier armé, qui était obligé de diriger sa monture avec une seule main. Les Grecs ont appelé iytr~vitl ou ivlvt o le mors dur, pourvu de hérissons; on s'en servait communément dans les troupes de cavaleries. A l'époque romaine apparaît une nouvelle désignation, celle de frenurn lupatum; IV. on a dit aussi tout court lupatum, et même 4us7. Il n'est pas douteux que cette métaphore, différente de celle qu'employaient primitivement les Grecs, s'appliquât exactement au même objet, c'est-à-dire à un mors dur, le 7a)av'oç Tpajtûs de Xénophon (frenum asperius)g. A leur tour les Grecs de l'Empire ont par imitation pris le mot Xéxoç dans ce sens spécial du latin lupus 9. Tous les mors que nous venons de passer en revue, agissaient sans exception de la même manière : c'étaient ce que nous appelons des mors de bridon ou des mors de filet. Ils ne pouvaient imprimer à la bouche du cheval qu'un simple mouvement de traction d'avant en arrière. Les ailes même les plus longues, dans les mors que nous avons conservés, sont indépendantes de l'embouchure qui les traverse de part en part, et elles n'obéissent en aucune façon à l'action des rênes. Tout différent est le mécanisme du mors de bride, dont on se sert généralement aujourd'hui ; les branches, qui y sont adaptées de chaque côté, font corps avec l'embouchure et elle ne se meut que par leur moyen. Les rênes étant attachées à ces branches mêmes, il y a non seulement une traction d'avant en arrière, mais une pression de haut en bas exercée sur la langue, en même temps la gourmette serre par dessous la mâchoire inférieure. En un mot, les branches opèrent à la façon d'un levier, et plus elles sont longues, plus le levier a de puissance, de sorte qu'on peut augmenter la force de la pression en reculant, autant qu'il est besoin, vers l'extrémité des branches le point d'attache des rênes. Les anciens n'ont-ils jamais connu le mors de bride ? P.-L. Courier l'affirmait10, et on l'affirmait encore il n'y a pas longtemps. Il est certain que, sur les monuments qui datent même des premiers siècles de l'Empire, on ne voit ja mais représenté que le mors de filet 11. Mais le Cabinet de Vienne possède un mors (fig. 3294), dans lequel il est impossible de méconnaître un mors à branches 12 M. von Sacken, qui l'a publié, en rapproche quelques autres, dont un trouvé à Chalandry, dans l'Aisne 13. Il semble donc probable que le mors à branches a été connu à l'extrême limite des temps antiques ; le mors de Chalandry, en effet, a été recueilli dans un terrain où se trouvaient éparses des monnaies du Bas-Empire. Les mors qui nous viennent des anciens sont pour la plupart en bronze ou en fer. Quelques-uns, très primitifs, sont l'oeuvre d'ouvriers qui ignoraient encore la soudure: 169 FRE 134 0 FRE ils sont en partie fondus, en partie travaillés au marteau ; pour fixer les diverses pièces dont ils se composent, on les a accrochées les unes aux autres par leurs extrémités tordues et enroulées sur elles-mêmes'. Dès le temps d'Hérodote, les Massagètes, peuple scythe des bords de la mer Caspienne, bridaient leurs chevaux avec des mors en ore. Les poètes classiques ont quelquefois attribué à de nobles coursiers, qu'ils font figurer dans des aventures imaginaires, des mors de matières précieuses3; leur fantaisie n'a pas autant de part qu'on pourrait le croire dans ces inventions. Sous Domitien on vit paraître dans le cirque des chars traînés par des cerfs, auxquels on avait passé dans la bouche des mors en or on cite un cheval de l'empereur Honorius, qui par sa beauté sembla digne « de rouler sous ses dents de vertes émeraudes»). Brides entières. La bride elle-même, dans toutes les parties qui viennent d'être successivement décrites, était quelquefois très richement ornée; on y appliquait des bos settes en métal, des pierres précieuses ou des morceaux d'ivoire teints de RAE], qui joints aux sonnettes et aux grelots donnaient au harnais de tête un brillant aspect. Les Orientaux y déployaient un grand luxe ; en 333, après la bataille d'Issus, Alexandre trouva dans le trésor du roi de Perse des brides couvertes d'or 6; il en fit mettre aux chevaux de sa propre armée, quand il se prépara à envahir les Indes, ne voulant pas paraître moins magnifique que les peuples qu'il allait soumettre Plus tard, chez les Romains eux-mêmes, les riches et les nobles imitèrent ces exemples; on vit aussi sur les brides de leurs chevaux ces ornements ciselés et ces joyaux coûteux $. A la fin du ve siècle, une loi de l'empereur Léon défendit aux particuliers, sous peine d'une amende de cinquante livres d'or, d'enchâsser des perles, des émeraudes ou des hyacinthes sur la bride, la selle et le poitrail; les autres pierres précieuses étaient tolérées. Mais tou tes quelles qu'elles fussent étaient également interdites sur la muselière (curcuma)'. Les sculptures et les vases peints nous offrent un grand nombre de représentations figurées, où l'on peut étudier dans toute la variété de leurs formes les brides dont se servaient les anciens 10. Outre les mors dont il a déjà été question, on a souvent retrouvé dans les fouilles diverses pièces, anneaux, phalères et autres, qui ont dé faire partie du harnais de tête. Nous citerons, à cause de leur beauté et de leur état de conservation exceptionnel, les deux brides antiques dont on peut voir ici la reproduction. La première (fig. 3295) vient de l'Italie méridionale: elle a fait partie de la collection Castellani et se trouve actuellement au Musée Britannique, où elle est exposée telle qu'on la voit ici; elle se compose d'une série de chaînons en bronze, qui étaient appliqués sur une monture de cuir, les ailes du mors ressemblent beaucoup à celles qui ont été observées dans les mors de fabrication étrusque". La seconde bride (fig. 3296) a été trouvée en 1837 sur les bords du Bosphore près de Kertch, l'ancienne Panticapée ; elle avait été enfouie avec un grand nombre d'objets précieux dans le tombeau d'une femme, qu'on suppose avoir appartenu à la famille des rois qui gouvernèrent ce pays au llle siècle de l'ère chrétienne. La monture de cuir FRE 4341 FRI subsiste encore en partie; on y voit fixées de distance en distance des plaques en or avec des cornalines ou chatons; au fronteau était suspendue une pendeloque, qui rejoint presque la muserolle; la sous-gorge se compose de deux courroies réunies sans doute autrefois par une boucle ; sur les plaques qui les terminent à leur extrémité inférieure sont gravés une étoile et un monogramme inexpliqué. Le mors, à barre brisée, est d'un métal dans lequel on a cru reconnaître une composition de cuivre et d'argent; la boucle suspendue à l'un des anneaux devait être destinée à attacher la gourmette'. Parmi les brides communes répandues dans le commerce, l'Édit de Dioclétien en distingue de deux sortes : la bride de cheval (frenum equestre) avec son mors (cum salibario instructum), dont le prix est fixé à cent deniers (3 fr.63)2, et la bride de mulet (frenum mulare) avec un licol (cum capistello), qui doit se vendre cent vingt deniers (4 fr. 40) 3. Ceci montrequ'en général le mulet, étant considéré surtout comme une bête de somme, n'avait pas de mors, mais un simple licol. Manière de brider le cheval (xa),(vwac;) 4. Xénophon a exposé avec beaucoup de soin les règles que l'on doit observer quand on bride un cheval : « Premièrement, dit-il, le palefrenier l'approchera par la gauche ; ensuite, passant les rênes par-dessus la tête, il les posera sur le garot: puis il prendra la têtière avec la main droite, et de la gauche présentera le mors à la bouche du cheval ; bien entendu que s'il le reçoit sans difficulté il faudra le coiffer; mais s'il n'entr'ouvre pas la bouche, il faut, en même temps qu'on applique le mors contre les dents, introduire, à l'endroit des barres, le grand doigt de la main gauche; la plupart cèdent à cela et ouvrent la bouche; mais s'il résistait encore, on pressera la lèvre contre le crochet ; il en est bien peu que ce moyen n'oblige à desserrer les dents. Le palefrenier saura de plus qu'il ne faut jamais mener le cheval par une des rênes ; cela gâte la bouche. On lui apprendra aussi comment le mors doit être placé, à quelle distance des dents molaires : trop haut il blesse la bouche qui deviendra calleuse et par conséquent moins sensible ; trop bas, le cheval pourra le saisir avec les dents et forcer la main. Ce sont là des choses qui méritent toute l'attention et les soins du palefrenier; car cette docilité à recevoir le mors est une qualité si essentielle au cheval qu'avec le vice contraire il ne peut servir à rien. Lui mettant d'ordinaire la bride non seulement pour travailler, mais encore au moment de prendre sa nourriture, ou de rentrer à l'écurie après sa leçon finie, on le verra bientôt saisir de lui-même le mors dès qu'on le lui présentera » Quand on achète un jeune cheval, qu'on n'a pas encore éprouvé, il faut voir avant tout « comment il se laisse mettre le mors dans la bouche et passer la têtière par-dessus les oreilles ; c'est ce qu'on éclaircira en le faisant brider et débrider devant