Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FRUMENTA

FRUMENTA. EtrCSâ~, atrr,pai. Céréales. Les céréales cultivées en Europe appartiennent à quatre genres qui sont : le froment, le seigle, l'orge et l'avoine. Les autorités modernes les plus compétentes, de Candolle, Godron et Metzger, admettent quatre, cinq et même sept espèces distinctes de froment, une de seigle, trois d'orge, et deux, trois ou quatre d'avoine, soit en tout, d'après les divers auteurs, de dix à quinze espèces différentes, qui ont donné naissance à une multitude de variétés'. Les habitants de la Suisse, dès la période néolithique, ne cultivaient pas moins de dix céréales, dont cinq sortes de froment, sur lesquelles quatre sont ordinairement regardées comme des espèces distinctes ; trois d'orge; un panicum et une setaria. Les pois, le pavot, le lin et probablement la pomme étaient aussi cultivés'. TRITICUM. Froment. Il y avait deux espèces cultivées par les anciens, le triticum proprement dit, et le semen adoreum ou far. 1° 7'riticum, 7tupd.. Le grain de cette espèce se séparait de sa balle par le battage. Suivant Pline, il avait aussi pour caractère de présenter quatre noeuds à sa tige Il y en avait trois variétés, d'après Columelle : 1° le rolhus, supérieur aux autres en poids et en blancheur ; 2° le siligo, ct)s(vtov ; 3° le trimestre ou froment de prin les cultivateurs qui, par quelque accident, n'avaient pu semer en automne D'après ce même auteur, il semblerait que le triticum, au lieu de désigner l'espèce, eût été une variété, puisqu'il dit que le triticum semé dans des terres basses et humides produit du siligo après la quatrième récolte Suivant Pline, le siligo se change en FRU 1344 FRU triticum au bout de deux ans'. D'après Bradley et Tozzetti 3, le siligo serait la variété de froment que Linné appelle triticum tribernum et qu'on nomme ordinairement en français blé blanc . Columelle ne donne pas le nom des autres variétés qui étaient sans importance (supervacuae) et cultivées seulement par les agriculteurs qui aimaient à en avoir un grand nombre 5. Le triticum en général convenait mieux aux terres sèches'. La variété siligo s'accommodait cependant des terrains humides, et sous ce point de vue Columelle la met sur le même rang que le far en disant : « Les terres humides et fortes, sujettes à être inondées, sont assez propres au siligo et au far qui peut aussi être semé par un temps humide 7. » Les terres oit l'on semait du blé étaient le plus souvent des jachères. Pendant ce temps de repos, on leur donnait deux labours indépendamment de celui des semailles, si elles étaient légères ; de trois à quatre et même davantage si elles étaient fortes. Après cela on hersait, puis, quand le blé était levé on le piochait deux fois, en hiver et au printemps, puis on le sarclait quelque temps après. Il était bon de laisser reposer les terres à blé tous les deux ans si l'étendue de la ferme le permettait'. S'il en était autrement, on pouvait semer du far après une récolte en vesces, en fèves ou en lupins 9. La quantité de semence était de quatre ou cinq modii par jugerum10 pour le triticum, qui exigeait il est vrai plus de nourriture que le far, mais qui avait l'avantage d'être le plus productif de tous. Du temps de Varron les bonnes terres rendaient de dix à quinze pour un. Au temps de Columelle, les terres communes ne rendaient pas au delà de quatre fois la semence. Il fallait pour quatre ou cinq modii de froment quatre journées de laboureur, une de herseur, deux journées pour piocher pour la première fois (sarrire) une pour la seconde fois, une pour sarcler (runcare), et une et demie pour moissonner 11 On peut aisément semer pendant l'automne à l'aide d'une seule paire de boeufs, 150 modii de froment'. Epeautre. Semen adoreum ou far. C'est le spelt des Allemands, la et« des Grecs 13. Pline donne tantôt les noms de far, d'alica et de zea au même grain tantôt il les différencie. Alica était à la fois le nom du grain et de la farine qu'on en faisait : alica fit e zea14. Quelques commentateurs de Pline ont prétendu à tort, que les épis de cette espèce étaient barbus. Pline dit en effet, et d'une façon très positive, que le fruit de tout ce que nous semons est contenu dans des épis, et fortifié d'un quadruple rempart de barbes, tel que celui de l'hordeum et du triticum : omnium satorum fructus aut spicis continetur, ut tritici, hordei, muniturque vallo aristorum quadruplici, mais il ne parle pas du far". Il dit cependant plus loin que le far étant très difficile à battre, on le serre avec sa palea, en le séparant seulement de sa paille et de ses barbes, et stipula tantum et aristis liberatur ". Varron dit aussi que l'épi de l'orge ou du triticum qui n'a pas été mutilé, a trois parties, le grain, la balle et la barbe : spzca ea quae mutilata non est, in hordeo et tritico, tria habet continentia granum, glumam, aristam 17. La présence des barbes n'est donc pas un caractère propre au far, puisque les auteurs l'indiquent comme appartenant à certaines variétés de triticum. L'adhérence de la balle au grain constitue donc la véritable différence entre les deux espèces. Pline 18 donne aussi comme un des caractères distinctifs du far, d'avoir six noeuds ou articulations à sa tige, au lieu de quatre que présentait le triticum. D'après Columelle 1', il y en avait quatre variétés, le clusinum d'une couleur blanche et brillante; le venuculum, l'un blanc candidum; et l'autre rouge rutilum; et enfin l'halicastrum semen trimestre qui se semait au printemps et était ainsi l'équivalent du triticum trimestre ; c'était la meilleure comme qualité et comme poids. Il y avait encore une variété appelée arinca, qui appartenait à la Gaule quoiqu'il y en eût beaucoup en Italie 20. Les Gaules, dit Pline ", ont aussi leur espèce de far qu'on y nomme brace (froment blanzé), chez nous sandala. Il était bon de semer toutes ces variétés de far ou de triticum, car aucune ferme n'ayant que des terres de même nature, les unes s'accommodaient des lieux secs et les autres des terrains humides. Le froment vient mieux dans une terre sèche, tandis que l'épeautre supporte mieux l'humidité 22. Le far, de même que le millet et le panicum ne pouvant être privés de leurs glumes que par la torréfaction, purgari nisi testa non possunt, on conservait dans cette enveloppe les graines qu'on destinait à être semées". En raison de cette propriété, Columelle conseille de le cultiver de préférence dans les terres mouillées, cette enveloppe ferme et durable, firmus et durabilis, le mettant à l'abri d'une humidité prolongée 2i. On comprend que ces grains présentant un volume double de celui qu'ils auraient eu sans leur enveloppe, il en fallait deux fois plus pour la semence. D'après Varron, Columelle et Pline, cette quantité était de neuf à dix modii par jugerum. Palladius seul, indique le même nombre de mesures que pour le triticum; il est probable qu'on avait trouvé de son temps le moyen de séparer le grain de cette balle 25. Cette espèce était plus rustique que le froment, résistait mieux à l'hiver et prospérait dans les terres froides ou chaudes, sèches ou humides. Elle était exclusivement cultivée par les Romains des premiers siècles, ce qui est prouvé par l'emploi qui s'en était conservé dans les cérémonies du culte 26 HOHDEUSI, xp;Ot, orge. Le grain le plus anciennement cultivé en Grèce et en Italie 27, le meilleur après le froment, dit Columelle ", est l'orge. Il lui est même préférable pour la nourriture du bétail, et plus sain pour l'homme que le mauvais froment; c'est le grain le plus précieux dans les temps de disette. Il en cite deux variétés, l'une que les paysans appellent hexastichum ou cantherinum, l'autre distichum ou galaticum. Pline mentionne aussi deux variétés, l'une à deux rangs de grains, l'autre en présentant jusqu'à six : spicae quaedam bines ordines habent, quaedam plures usque ad senos 29. Il y en FR.U 1245 FRU avait encore d'autres différant par la forme ou la couleur du grain qui était plus lourd ou plus léger, plus court ou plus long, blanc, noir ou pourpre. On employait ce dernier pour faire la polenta; le plus blanc résistait mal aux tempêtes '. L'orge ne réussit que dans une terre sèche et meuble et qui ne soit pas d'une qualité médiocre (nullam medioeritatem postulat) c'est-à-dire très grasse ou très maigre, vel pinguissima vel macerrima, praevlida vel exilis. A l'inverse des autres céréales qui supportent un sol mouillé par de longues pluies, l'orge périt quand la terre est boueuse, lutosa'. On la regardait comme épuisant la terre, segetem exsugens 3, aussi la semait-on le plus ordinairement sur une terre nouvelle ou sur celle qu'on nommait restibilis, et qui était assez riche pour produire une récolte tous les ans : hordeum qui locus novas erit aut qui restibilis fieri poterit serito 4. Après la récolte, la terre devait être mise en jachère, si on ne la fumait copieusement, pour remédier à cette pernicieuse influence. La variété cantherinum ou hexastichum était semée sur le second labour après l'équinoxe dans les terres riches, et avant, dans celles qui étaient pauvres, à raison de cinq modii par jugerum La variété galaticum ou distichum est fort pesante et blanche; mêlée au froment elle donne un excellent pain de ménage. On la sème en mars ou mieux en janvier dans les terres riches et froides, suivant Columelle et Palladius °, à la fin de février ou au commencement de mars dans celles qui sont tempérées'. La quantité de semence était, comme pour la précédente, de cinq modii par jugerum d'après Columelle, de six d'après Varron, et de huit d'après Palladius. « Lorsque le soleil est dans la Balance, dit Virgile, et que les jours et les nuits sont de la même longueur, semez L'orge, même aux approches des pluies de l'implacable solstice d'hiver » Suivant Pline, l'orge peut être semée avant tous les grains, l'époque variant cependant avec les diverses espèces 9. On la sarclait et on la houait deux fois comme le froment et les fèves. Il ne fallait la biner que quand elle était sèche, hordeum nisi siccum ne sarrito 10. Un journal d'orge demandait trois journées de laboureur, une de herseur et une et demie de boueur". C'est de tous les grains le moins exposé aux accidents, car on l'enlève avant que la rouille s'empare du blé; aussi les laboureurs sages ne sèment de blé que ce qu'il en faut pour leur nourriture '2. L'orge se moissonne en effet plus tôt qu'aucun autre grain, même avant sa complète maturité, car sa tige fragile et la nudité de son grain font qu'il se détache plus facilement de l'épi 73. L'appari,tion des cicindèles indiquait aussi le moment de moissonner14. Cette prompte maturité permettait en Celtibérie d'en faire une double récolte dans le même champ 16. L'orge se cultivait aussi comme fourrage, farrago. Pour cela on semait dix modii de la variété cantherinum par jugerum, vers l'équinoxe d'automne, avant les pluies. Elle levait alors immédiatement et était assez forte pour résister à l'hiver Y6. La paille en est des meilleures et aucune ne lui est comparable pour litière Pline cite l'égilope ovale (Aegilops ovata, Linn.), comme tuant cette plante". AVENA. Bpoll.oç ou (3pûll.oç (de Théophraste), avoine. L'avoine était considérée par Pline comme une maladie du blé, et la première de toutes, primum omnium vitium. L'orge aussi, dit-il, se transforme en avoine, et à son tour l'avoine devient un équivalent du blé. Les peuples de la Germanie en sèment, et ils ne se nourrissent que de la bouillie de ce grain. Cette dégénérescence est due surtout à l'humidité du sol et du climat. La seconde cause est la faiblesse de la semence trop longtemps retenue par la terre avant de pouvoir en sortir. Il en est de même quand le grain qu'on sème est piqué, ou quand les grains déjà développés, mais non encore mûrs, sont frappés par un souffle nuisible et avortent dans l'épi '9. Plus loin, il parle d'une espèce d'avoine, bromos, nuisible aux moissons, dont les feuilles et la paille ressemblent à celles du froment. On en employait la graine en cataplasmes, et en décoction contre la toux 20. Cuite dans du vinaigre, la farine d'avoine enlève les taches du visage21. Les Éthiopiens se nourrissaient des grains de cette plante qui croît spontanément dans leur pays 22. Il en était de même des habitants des îles Oonos 2°. Les peuples de la Germanie, en particulier, ne se nourrissaient que de la bouillie de ce grain, neque alia pulte vivant". D'après Oribase, on n'en faisait du pain que lorsqu'on y était forcé par la famine; ce pain, qui est désagréable, a l'avantage de ne resserrer ni relâcher le ventre. On en mangeait la farine après l'avoir fait bouillir dans de l'eau, avec du vin d'un goût sucré, du vin nouveau cuit, ou du vin miellé". SECALE, seigle. Nous trouvons seulement dans Pline quelques indications sur cette espèce. « Le seigle, dit-il, est appelé Asia par les Taurins, au pied des Alpes; très mauvais blé qui ne sert qu'à écarter la faim. Il est productif, mais a le chaume grêle; il est d'une couleur triste et foncée, mais très pesant. On y mêle du far pour en adoucir l'amertume; malgré ce mélange, il est très désagréable à l'estomac; il vient dans toute espèce de sol, et rend cent pour un ; il sert aussi d'engrais 26. » Aujourd'hui encore, on obtient ce mélange en semant dans le même champ du seigle et du froment. On lui donne le nom de méteil dans le nord de la France, de conceau dans le centre et l'est, et de cousigal dans le midi. PANICUM, panic, et MILIVM, mil ou millet. Les com mentateurs des ouvrages sur la botanique et l'agriculture qui nous ont été laissés par l'antiquité, ne sont pas d'accord sur l'identité de ces deux espèces. Pour la plupart cependant, notre panic cultivé serait le Panicum italicum (Linn.) et notre millet, le Panicum miliaceum (Linn.), tous deux originaires de l'Inde. Suivant M. Fée, le panic serait le Panicum miliaceum, l1.éXtvoç de Théophraste, D,up.oç ou N.AtvIl de Dioscoride et le millet, le Panicum italicum, x€yzeoç des Grecs. Suivant M. Fraas, le panic serait l'Holcus sorgho, et le millet, le Panicum miliaceum 27. « Le panic et le millet (dit Columelle), que j'ai rangés plus haut28 parmi les légumes, doivent être également comptés au nombre des grains parce qu'en plusieurs FRU 1346 FRU contrées on en fait du pain'.» Le mot panis, en effet, vient évidemment de panicum. Pline leur donne aussi le nom de blés d'été par opposition au blé, au far et à l'orge qui sont nourris par la terre pendant la mauvaise saison'. Ils appartiennent en commun aux cultivateurs et aux petits oiseaux, car ils sont renfermés sans défenses des tuniques 3. Le panic, ajoute cet auteur, est ainsi nommé du mot panicule; la tête en est languissamment penchée, la tige en diminue peu à peu de grosseur, presque aussi dure qu'un scion d'arbre; les grains en sont très serrés les uns contre les autres, et l'épi très allongé a un pied. ll y en a plusieurs espèces; le panic à mamelles dont la grappe est divisée en plusieurs épis et dont la tête est double. Il y en a aussi de blanc, de noir, de roux et de pourpre. La chevelure du mil qui renferme la graine, est frangée et recourbée. Pline parle aussi d'un mil de couleur foncée, apporté il y a dix ans de l'Inde en Italie. Sa tige de roseau s'élève à la hauteur de sept pieds et ses grains sont gros. On nomme ce grain loba. C'est le plus productif de tous : un seul grain en produit sept septiers ; il faut le semer dans les terrains humides. D'après M. Fée, cette espèce serait l'Holcus sorgho, et d'après M. Fraas, le maïs, qui aurait pénétré en Occident par l'Asie. D'après Caton, quand le sol est souvent couvert de brouillards, il faut y semer surtout du millet et du panic. Columelle dit qu'ils demandent un sol meuble et léger, levem solutamque humum. Ils prospèrent non seulement dans une terre sablonneuse mais dans le sable luimême. La fin de mars est l'époque la plus convenable pour les semer; il n'en faut que quatre septiers par jugerum. Il est indispensable de les piocher et de les sarcler souvent ; on les cueille à la main avant leur complète maturité, et après les avoir fait sécher au soleil, on les serre, et ils se conservent plus longtemps que les autres grains'. Columelle, revenant plus loin sur ces mêmes graines, indique les ides d'avril comme l'époque où ils doivent être semés, et le mois de septembre comme celle où on les moissonne. Virgile dit aussi que le millet se semait au printemps 7. Patladius répète ce qu'a dit Columelle, en faisant cependant observer qu'il est nécessaire que le sol soit humide et arrosé 8. Les grains d'été aiment mieux les lieux arrosés que les pluies qui sont surtout contraires au mil et au panic au moment où leurs feuilles poussent9. D'après les Géoponiques, le millet se sème à partir de l'équinoxe, c'est-à-dire depuis le 9 des calendes d'avril. II est nuisible de le semer trop épais, une poignée suffit pour un jugerum et rapporte quarante modii10. On ne semait ces graines ni entre les vignes, ni entre les arbres à fruit, car on pensait qu'elles amaigrissaient la terre" Le millet donne un pain assez agréable, mangé avant d'être refroidi ". Ce pain est peu nourrissant, et froid, friable et cassant, et resserre le ventre relâché. Le panic et le millet, pilés et débarrassés du son, donnent avec le lait une bouillie qui n'est pas à dédaigner 13. Du temps de Pline on faisait diverses sortes de pain avec le mil, mais rarement avec le panic ; suivant lui, aucun grain n'est plus pesant que le mil, et ne grossit plus par la cuisson. Un boisseau donne soixante livres de pain, et trois septiers mouillés un boisseau de bouillie'. On l'employait principalement pour les levains; pétri avec du moût, il se gardait un an. Les Gaules, et surtout l'Aquitaine, faisaient! usage du panic. Les nations du Pont ne lui préféraient aucun autre aliment 15. La Campanie était particulièrement productive en mil. On en faisait une puis blanche, pultem candidam. Les nations sarmatiques se nourrissaient principalement .de cette bouillie, ou même de cette farine crue. Les Éthiopiens -ne connaissaient pas d'autres céréales que le mil et l'orge 1G. Dr Louis MARCIIANT. sont toutes celles qui eurent pour objet de procurer du blé (triticum ou far), à bas prix ou même gratuitement au peuple de Rome'. Déjà anciennement, dans les cas de disette extraordinaire, les édiles [AEDILIS] ou même un curateur particulier [PRAEFECTUS ANNONAE] avaient été chargés de veiller spécialement à l'alimentation de Rome [CURA ANNONAE]. Mais ce fut seulement à partir du vile siècle de Rome que cette matière devint l'objet d'une législation particulière. L'agriculture étant ruinée en Italie, au point de vue de la production en céréales [LATIFUNDIUM] et une grande masse de pauvres affluant dans la capitale, les hommes politiques se saisirent des lois frumentaires 2 comme d'une arme toute-puissante pour dominer la masse indigente, et contre-balancer l'influence de la noblesse [NOBILES]. Ces distributions de blé étaient favorisées par l'énorme production en céréales de la Sicile et de l'Afrique, où les esclaves les cultivaient à peu de frais; elles achevèrent de tuer cette culture en Italie, et fournirent une prime au développement de la foule oisive des prolétaires de Rome 3. Gains Gracchus fut le premier auteur d'une disposition de ce genre, la loi Sempronia, rendue en 631 de Rome (123 av. J.-C.) ; elle portait ' que des magasins publics (horrea Semproniana) seraient établis à Rome et fourniraient chaque mois à tout citoyen, père de famille, qui en ferait la demande, une certaine quantité de blé (peut-être cinq modii 5), pour 6 as 1/3, senos aeris et trientes °, au lieu du prix courant de 8 à 12 as le modius 7. Une loi Octavia, que Rudorff 6 reporte à l'année 634 de Rome (120 av. J.-C.), chercha à remédier' à l'affluence des prolétaires à Rome, en élevant le prix et en diminuant la quantité de blé distribuée. La loi Apuleia 10, proposée en 654 de Rome (100 av. J.-C.) par le tribun Apuleius Saturninus, pour rétablir le système de C. Gracchus, et la loi Livia, portée par Livius Drusus 11 dans le même sens peut-être, en 663 de Rome (91 av. J.-C.), furent cassées sous des prétextes religieux. Enfin Sylla", pendant sa dictature, en 673 de Rome (81 av. J,-C.) FRU 1347 FRU abolit, complètement les frumentationes par la loi Cornelia' : le peuple, privé de sa liberté, ne conserva pas même ses aliments serviles (populus ne servilia quidem alimenta reliqua baba). Mais avec le système de déshonneur jeté sur le travail libre, et la ruine de la classe moyenne en Italie, les lois frumentaires étaient devenues un mal inhérent à l'organisation de la société romaine. Aussi un sénatus-consulte et une loi Terentia Cassia, rendus en 682 de Rome (73 av. J.-C.), remirent-ils en vigueur la loi de Caius Gracchus 2. Cependant Walter croit qu'elle se borna à réglementer le mode de distribution de la quantité de blés réduite à cinq modii par mois, par une loi de M. Octavius, qu'il place à l'année 676 3. Quoi qu'il en soit, il est certain que la loi Terentia mit à la charge de la Sicile le fardeau de cette frumentatio, en décidant que, si le produit des dîmes [DECUMAE] ne suffisait pas, l'excédent serait fourni par les cultivateurs sur remboursement [FRUMEN'TUM EMTUM] En 693 de Rome (62 av. J.-C.), le sénat lui-même donna le funeste exemple 5 d'une distribution gratuite de blé aux prolétaires. Il fut bientôt consacré par la loi Clodia, rendue en 696 de Rome (58 av. J.-C.), qui chargea l'AERARIUM de la nourriture de la plebs urbana 0, c'est ainsi qu'on nommait les prolétaires des tribus urbaines [TRtBos). On ne connaît pas la teneur d'une loi Scribonia alimentaria7, rendue en 70'1 de Rome (50 av. J.-C.). Enfin Jules César s'efforça de remédier aux abus des distributions gratuites, il voulait transformer la honteuse politique des frumentationes 8 en des institutions de prévoyance au profit des vieux vétérans pauvres. En attendant,ilréduisit° de 320000, qu'il trouvait en 708 de Rome, à 150000 le nombre de ceux qui recevaient du blé de la république. Chaque année, le préteur devait procéder à la revision des listes et à l'inscription par la voie du sort des nouveaux postulants, pour remplir les places vacantes. Les demandes furent réglementées par la loi Julia municipalis ou tabula Heracleensis de 70910. Les abus, en effet, étaient énormes : tous les indigents de l'Italie affluaient à Rome ", les maîtres affranchissaient leurs esclaves, afin de participer par leur entremise aux distributions, etc. 12. Elles portaient toujours sur cinq modii par mois, et ne se faisaient qu'au profit de la plebs urbana, inscrite sur des listes 13; ces pauvres recevaient des tablettes de bronze avec leur nom''' (tessera frumcntaria) ; de là, le nom d'aeneaeatores qu'on donnait aux participants''. Octave en réduisit le nombre à 2000001G. C'est à tort que Mommsen avait soutenu f1 que l'État distribuait du blé à bas prix à tous les citoyens de Rome, et IV. seulement des cartes gratuites à un certain nombre par tribus; il paraît lui-même avoir abandonné cetteopinioni", bien qu'il y ait quelque indécision dans le système indiqué par lui dans son Histoire romaine19. De leur côté, Becker et Marquardt allaient beaucoup trop loin, en admettant" que chaque citoyen de Rome, sans exception, recevait gratuitement cinq modii par mois, ce qui ne s'accorde pas avec les chiffres donnés par les auteurs anciens, et d'ailleurs cette distribution aurait mis à la charge de l'État une énorme dépense. Le nombre de 200000 indigents serait déjà bien considérable, si l'on n'observait que les enfants au-dessus de onze ans21, et même parfois ceux de trois ou quatre ans étaient admis aux distributions. C'est par erreur que des auteurs grecs anciens ont appliqué ces chiffres de 320000 sous César et de 100000 sous Auguste 22 à l'ensemble de la population des citoyens romains et non à la partie indigente inscrite aux registres des frumentationes. La direction de cette institution ,jadis confiée aux édiles2J, fut attribuée d'abord par Octave, en 732 de Rome, à deux, puis, en 736, à quatre euralores ou praefecti frumenti dandin. En '759 et 760, il chargea deux consulares de la CURA ANNONAE, et, en 760, il prit cette cura lui-même, en se faisant représenter par nn praefectus annonae permanent et du rang de chevalier 28. La quantité de blé donnée gratuitement par mois, fut réglée de façon à ne pas suffire 2ô à la nourriture d'une personne, de manière à ne pas trop nuire à la culture. Auguste avait même songé à abolir les frumentationes publicae comme nuisibles à l'agriculture, mais il y renonça, bien convaincu que le désir d'une vaine popularité les ferait rétablir un jour. Suivant Rudorff 2', lors de la revision des listes faites en 758 de Rome (2 av. J.-C.), non seulement Octave fit rayer les célibataires (caelibes) en âge de se marier et les orbi ou mariés sans enfants [CADUCARIAE LEGES] 28; mais il transforma en partie le système des frumentationes en une sorte d'institution de prévoyance, en permettant à un père de famille d'acheter un droit à la distribution 2°. Nous renvoyons pour les détails à l'article TESSERA FRUMENTARIA. Au temps d'Aurélien 30, ce système fit place aux distributions de pain (panic gradilis) [cANoN FRUMENTARIUS, ANNONA CIVICA]. Des tentatives faites sous Néron et sous Nerva pour abolir les distributions et les jeux du cirque demeurèrent inefficaces 31, il fallut les rendre à ce peuple dégénéré, et même, selon Ilirschfeld, ce fut Claude ou Néron qui fit des frumentationes une charge fiscale, charge qui, au temps des Flaviens, aurait été imposée au fiscus frumentarius32. G. HUMBERT. 1 70 FRU 1348 FOR FItUMENTARIUS. On nommait ainsi les soldats chargés d'assurer l'alimentation en blé des troupes, particulièrement ceux qui composaient ou escortaient les convois' ; en ce sens, le mot est synonyme de frumentator. Mais ce terme prit, à l'époque impériale, une valeur toute différente, par suite du changement ou plutôt de l'extension des fonctions réservées aux milites frumentarii. On désigne, dès lors, par cette épithète, un corps spécial de soldats, casernés à Rome, et se tenant à la disposition de l'empereur. Les frumentarii sont mentionnés surtout dans les inscriptions : par elles, nous apprenons qu'ils étaient tirés des différentes légions 2, avec cette particularité caractéristique qu'ils ne cessaient point, en devenant f rumentarii,, de faire partie du corps d'où ils venaient et d'en porter le numéro. soit à Rome', soit même lorsqu'ils étaient envoyés en mission dans les provinces, auprès d'autres légions de gouverneurs militaires'` ou de gouverneurs civils'. Le sens même du mot indique que, primitivement, les frumentarii étaient chargés de l'alimentation des troupes ; j'ai avancé ailleurs que cet office leur avait été conservé pendant toute la durée de l'empire et qu'ils étaient peutêtre les prédécesseurs des primipilares de l'époque postérieure à Dioclétien, chargés de surveiller la perception de l'annone militaire et d'en assurer le, transport aux magasins de l'armée'. 'En tout cas, il est certain qu'ils n'étaient pas étrangers au service des vivres légionnaires, puisque l'on a conservé, dans une inscription, le souvenir d'un frumentarius misses in legionem II ltalicam ad frumentarias res curandas Mais c'était là la moindre des fonctions qui leur étaient confiée. De tous les textes que l'on possède, il semble bien résulter que les frumentarii étaient, avant tout, des agents de police, aussi bien à Rome qu'en Italie et dans les provinces 8. On voit, en effet, que le préfet du prétoire s'adresse à eux pour opérer des arrestations9 et l'empereur pour faire surveiller ceux qu'il juge dangereux f0, On rencontre leurs noms à côté de ceux des vigiles dans les postes de police de la capitale (excubitoria)"; on les trouve établis en certains points spéciaux, le long de la voie Appienne'', à Ostie 73, à Pouzzoles'`; en province, ils sont employés comme chefs de détachements'', comme directeurs dans les prisons 16 ou dans des carrières', dont le personnel d'exploitation réclame la présence d'une force armée, et même comme agents de poursuite contre les chrétiens". Dans les légions, outre leurs fonctions de vivriers, ils devaient avoir un rôle de policiers, analogue à celui qui est réservée à la gendarmerie dans nos corps d'armée. Enfin, on avait recours à eux, comme courriers'', comme estafettes pour le transport des ordres et de la correspondance, L'établissement de ce corps comme troupes de police, remonte au ne siècle, probablement au règne de l'empereur Hadrien, qui, au dire de son biographe 20, per frumentarios occulta omnia explorabat. Henzen a remarqué que l'on rencontre parmi les frumentarii, de nombreux soldats portant les gentilices impériaux de cette époque (Ulpii; Aelii) 21, A partir de Septime Sévère, les frumentarii furent logés à Rome. dans une caserne spéciale appelée castra peregrinorum ou peregrina2', sur le mont Coelius. Ce nom lui venait précisément de ce que, les frumentarii appartenant à différentes légions provinciales, on pouvait les regarder et on les regardait, en réalité, comme des pérégrins, non point à cause de leur état civil, puisqu'ils étaient citoyens romains par cela même qu'ils étaient légionnaires -mais à cause de leur origine extra-italique. Henzen suppose que ce nom de pere grini ne fut d'abord qu'une désignation usitée dans le peuple, mais qu'elle passa ensuite dans le langage officiel 23. On trouve à la tête de ce corps, et sous le commandement suprême du préfet du prétoire, général en chef des troupes rassemblées à Rome, un princeps peregrimntint 24, un subprinceps peregrinorum 2a, un optio peregrinorum20 et des centurions (centuriones frumentarii ou frumentariorum) 27. Une inscription cite également un exercitator frumentariorum 28, ce qui permet de supposer, l'exercitator étant un maître de manège, que les frumentarii étaient montés ; on ne comprendrait, guère, au reste, qu'il en fût autrement pour des estafettes. Les frumentarii étaient surtout tirés des légions de Germanie et du Danube 29, comme les egailes singulares, et, en général, comme toutes les troupes de Rome auxquelles l'empereur confiait le soin de sa sécurité. R, CxGN1T,