Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FURTUM

FURTUMI. Pour les Grecs voy. KLOPÉ. Furt um, en droit romain, désigne le maniement frauduleux de la chose d'autrui, ou seulement de l'usage ou de la possession d'une chose ; il dérive de ferre, pris dans le sens d'auferre, emporter, comme le mot grec yip de Ÿ€p Eiv'. Il faut repousser l'étymologie qui fait venir ferlent de furvus, obscur, synonyme de piger, fuscus, bien que cette opinion ait pour elle VVarron, Labéon et Isidore, quod clam et FUR 1r2 FUR obscure flat et plerumque nocte; on doit ajouter encore moins de foi à l'avis de Sabinus, qui le rattache à fraus 1. A l'époque antérieure aux jurisconsultes classiques, le mot furtum embrassait tout acte attentatoire à la propriété d'autrui, notamment le pillage et d'autres faits qui, plus tard, furent l'objet d'une répression spéciale; toutefois il fallait que la chose volée appartînt à un individu physique et non pas à une hérédité jacente2, mais l'ancienne acception reparaît chez les auteurs classiques'. D'après la notion la plus moderne, il faut une contrectatio fraudulosa rei alienae, vel usus, vel possessionis 4. Parcourons successivement les diverses périodes de l'histoire romaine, en décrivant rapidement les principes du droit répressif en matière de furtum, que Rein notamment, après llube, a profondément étudiés. 1. A l'époque de la loi des Douze Tables, la notion du furtum était encore vague et très compréhensive; elle embrassait le brigandage et la supercherie, mais non le vol, de l'usage ou de la possession. On faisait une distinction importante entre le furtum manifestum et le furtum nec manifestum. Le premier embrassait d'abord tout cas où le voleur était pris en flagrant délit, ce qui fut fort étendu plus tard par les jurisconsultes', notamment au cas où le voleur était pris sur le lieu du vol, ou en tout autre endroit, avant d'avoir atteint le lieu où il se proposait de porter l'objet du furtum, etc.; tout autre voleur était fur non manifestus 6. Le furtum manifestum était puni de la peine capitale'; les esclaves étaient frappés de verges et précipités de la roche Tarpéienne; les hommes libres soumis à un châtiment corporel, puis attribués [ADDICTIj à la personne volée; ils devaient restituer les choses volées ou leur valeur. Quant au furtum nec manifestum, la loi des Douze Tables prononçait, à titre de peine, une amende pécuniaire du double de la valeur de la chose volée 8. La distinction précédente offrait encore de l'importance à un autre point de vue. En effet, le fur manifestus pouvait être impunément tué pendant la nuit, au moment du vol, même en l'absence d'une résistance de sa part. Au contraire, pendant le jour, le fur manifestus ne pouvait être tué qu'autant qu'il entreprenait de se défendre; encore l'allait-il que le volé appelât incontinent des témoins pour ne pas être suspect de meurtre prémédité. La loi admettait un mode solennel de recherche de l'objet volé. On punissait comme furtum manifestum le vol d'objet trouvé au moyen de l'antique perquisitio : le réclamant pouvait entrer dans la maison nu, couvert seulement d'un CINCTUS et portant un plat, pour se livrer à la recherche; alors il y avait furtum lance licioque conceptum°. De plus, la loi des Douze Tables établissait encore deux autres actions : 1° l'actio furti concepti, tendant au payement du triple de la valeur de la chose volée, contre celui qui avait été le détenteur, lors même qu'il n'aurait pas participé au vol, si la perquisition avait été faite de son consentement ou dans les formes solennelles, ou si l'objet avait été découvert accidentellement 10 ; 2° l'action furti oblati au triple compétait à celui chez lequel la chose avait été ainsi trouvée, contre celui qui l'avait fournie, pour se soustraire à la peine du furtum conceptum, Enfin, cette loi pourvoyait à la sécurité des individus volés, en disposant que l'usucAPlo des choses volées serait impossible : rei furtivae aeterna auctoritas esto. Cette règle fut renouvelée, avec quelques modifications probablement, par la loi Atinialt. Un cas particus lier de vol était sévèrement puni par la loi Décemvirale, celui qui s'exerçait pendant la nuit relativement aux cé II. Dans la période qui suivit, jusqu'à l'époque des jurisconsultes classiques, l'édit du préteur et la doctrine des jurisconsultes qui s'y rattachait opérèrent plusieurs changements fort importants, par rapport à la notion du furtum et du fait constitutif de l'infraction. On admit alors l'opinion, rejetée plus tard, d'après laquelle Ies immeubles étaient susceptibles de furtum13. De plus, la doctrine introduisit l'idée du vol d'usage ou de la possession d'une chose appartenant même au voleur; le furtum rei alienae n'était plus le seul possible. Le furtum usus comprenait le cas du créancier gagiste, du dépositaire ou du commodataire qui se sert des objets à lui remis ou prêtés, contrairement ù la volonté du maîtres'°. On entendait par furtum possessionis la soustraction de la possession juridique; il avait lieu notamment lorsque le propriétaire enlevait au possesseur créancier gagiste la chose donnée en gager ou à l'usufruitier, ou à tout créancier investi d'un droit de rétention 1C, ou même à un possesseur de bonne foi 17; enfin, on assimilait à ces hypothèses celles d'un colon qui, après l'aliénation d'un domaine, avait soustrait un esclave au nouveau propriétaireia. Du reste le furtum exigeait pour constituer un délit : 1° le dolus malus ou l'animas furandi, c'est-à-dire la conscience du tort causé à la propriété d'autrui, dans l'intérêt de l'agent 19 ; 20 un fait matériel, contrectatio, c'est-à-dire le maniement de la chose20; l'appréhension suffitE". Les complices sont punis de la même manière, et l'on comprend parmi eux les instigateurs et ceux qui donnent aide ou instruction pour l'accomplissement du délit. Déjà l'ancienne formule du préteur les indiquait par ces mots: ope consilioque 27. Mais un simple consilium sans aucune intervention matérielle ne suffisait pas 23. Le recéleur était puni comme voleur, et soumis à l'action furti concepti. Quant à la tentative de vol, elle n'était pas considérée comme délit privé"; mais quelquefois l'infraction inachevée était punie en tant que délit spécial, en certains cas comme injure, parfois comme vis 2G Occupons-nous maintenant des conséquences pénales du furtum. L'ancienne addictio avait été abandonnée comme trop dure2° ; autrefois même on y recourait rarement, car les parties transigeaientd'ordinaire, moyennant une somme d'argent, ainsi que le permettait déjà la loi des Douze Tables21. Cette composition devint peu à peu la règle ; le préteur en fit mention dans son édit, et fixa la somme moyennant le payement de laquelle le voleur pouvait éviter l'addictio. S'il était insolvable, FUR 1423' FUS l'addictio devenait nécessaire, comme cela résulte du discours de Caton'. Depuis l'édit du préteur, le vol devint un délit privé, engendrant une obligation au profit de la partie directement intéressée. L'addictio se transforma donc en une action pénale privée appelée actio farci quit suivant que le vol était ou non manifeste, tendait au payement du quadruple ou du double de la valeur de l'objet'. Elle compétait au propriétaire et à tout détenteur ayant un intérêt légal à ce que le vol n'eût pas eu lieu, soit le possesseur de bonne foi, l'usufruitier, le créancier gagiste, le fermier, le locataire 3. Mais il faut toujours supposer une honesta causa; c'est pourquoi ni le voleur auquel la chose a été enlevée, ni le possesseur de mauvaise foi ne peuvent agir. L'action est donnée contre le voleur; si c'est un filius familias ou un esclave, l'action est ouverte noxaliter contre le père ou le maître 4. Le préteur laissa subsister les actions furti cincepti et oblati, conçues au triple de la réparation; plus tard, il introduisit l'action furti prohibiti, au quadruple, contre celui qui s'opposait à la perquisition de l'objet volé, faite en présence de témoins, par un praeco ou un servus publiais, sur l'ordre du préteur, à la place de l'ancienne recherche lance licioque, tombée en désuétude 5 ou peutêtre abolie par la loi Aebutia, d'après Aulu-Gelle °. L'action furti nec exhibiti se donnait contre celui chez lequel la chose était trouvée, pour le triple de la valeur de l'objet. Indépendamment de ces actions spéciales, le maître de la chose volée pouvait intenter la revendication contre tout possesseur de la chose volée, ou la condictio furtiva qui se donnait contre le voleur lui-même ou ses héritiers, et contre celui qui possédait de mauvaise foi, ou qui, par vol, avait cessé de posséder. Ces actions n'entraînaient pas l'infamie, à la différence des actions pénales résultant du furtum, qui étaient toujours infamantes, alors même que les parties auraient transigé 7. Quant aux vols commis entre membres de la même famille, ils étaient traités d'une manière spéciale. Les farta des époux entre eux ne donnaient pas lieu entre eux à l'action furti°; il s'ouvrait seulement une action en revendication, ou l'action civile rerum amolarunt °, On entendait par farta domestica les vols commis par les fils de famille, les esclaves, les clients, les affranchis; l'action furti n'était pas possible entre deux personnes faisant partie de la même famille". Dans le cas oit un affranchi, client ou mercenaire, avait volé son patron ou maître, on refusait également l'action, s'il s'agissait de vols peu importants". III. Sous la période des jurisconsultes, la notion du furtum se restreignit encore en ce sens qu'elle ne comprit plus le pillage, ni différents cas particuliers de fraude. Sans doute le préteur avait déjà admis dans son édit, pour la t'APINA, l'action de vi bonorum raptorum, et la partie lésée pouvait en ce cas agir par cette voie ou par l'action furti; mais du temps de Paul, l'adjonction du mot fraudulosa à la définition contrectatio, etc., indique l'emploi de moyens détournés, exclusifs de la violence''. En effet, le terme fraus comprend de plus que dohls une idée de mystère que n'implique pas nécessairement cette dernière expression, Cependant Paul l'emploie également à propos de furtum" ; de même, les définitions récentes du furtum contiennent les expressions occulta et clandestine. De tout ce qui précède, il résulte donc que cette idée de fraude restreignit la notion primitive du furtum". Un autre changement opéré à l'époque des grands jurisconsultes consistait en ce que le furtum ne fut plus admis qu'en matière de choses mobilières'. Des modifications plus importantes se produisirent au point de vue de la procédure et de la pénalité. On abolit la perquisition domestique plus moderne, qui se faisaittestibus praesentibus, et avec elle tombèrent en désuétude les actions furti concepti, oblati, prohibiti, non exhibiti. Les actions furti mani festi, nec mani festi, demeurèrent seules en usage, et les recéleurs furent poursuivis au moyen de la seconde1°. Ces diverses actions pénales privées parurent insuffisantes au point de vue de l'intérêt public, qui n'était pas sauvegardé. Il y avait bien des cas où l'intérêt privé lui-même n'était pas garanti, notamment lorsque le voleur était insolvable. De plus, l'action furti ne compétait qu'autant qu'un individu physiquement existant avait été dépouillé ; elle ne s'appliquait pas au cas de violation d'un tombeau ou de vol au préjudice d'une hérédité. Ces circonstances amenèrent successivement, dans divers cas, l'établissement d'une action criminelle, avec restitution ou indemnité simple envers la partie lésée. C'est ainsi qu'en vertu d'un rescrit de Marc-Aurèle fut établie l'accusatio ou crimen expilatae haereditatis, qui amenait une coercitio extra ordinania 17, et l'action de sepulcro violato ". Ce fait donnait lieu à la fois à une action civile populaire, prétorienne in factum, et à une poursuite criminelle extra ordinem 19. Un certain nombre de cas particulièrement dangereux furent confiés au PBAEFEGTUS vrGILOn, qui procédait comme en matière de police, et, en province, au lieutenant de l'empereur. Cette procédure extraordinaire se transforma peu à peu en règle générale 20, niais l'examen de ces divers cas nous