Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FUSORIUM

FUSORIUII. Évier, égouttoir, décharge pour les eaux'. Le procédé très simple usité chez les peuples classiques pour fabriquer le fil (vaiv, vnOely, 0,wO6,v, nere) remonte au delà du temps d'Homère et il s'est perpétué jusqu'à nos jours dans les pays où subsistent encore les moeurs primitives. La matière qui servait le plus ordinairement FUS 1425 FUS à la confection des étoffes était la laine; lorsqu'on en employait d'autres, telles que le lin et la soie, il est hors de doute qu'on pratiquait de même l'opération du filage; on peut donc sans inexactitude appliquer à toutes les matières textiles les renseignements que les auteurs nous donnent en pensant presque toujours au filage de la laine. Après que ces matières avaient subi diverses manipulations préalables [LANA, LINUM] elles étaient confiées à la fileuse (zspv~titç 1, vitiO(ç quasillaria 3), enfermées dans une corbeille [quasillus, CALATHUS]. Elle en prenait une certaine quantité et l'enroulait, de façon à en former une balle (ioaû7c11', tiâ ),.xatia , mollis Tana °, tractus') à l'extrémité supérieure de la quenouille (;;aarxti~ $, colus 9). En général cet instrument, comme aujourd'hui dans nos campagnes, se composait d'un simple roseau 10 ; mais on en faisait aussi en ivoire pour les femmes de condition aisée 11 ; il y avait même pour les plus riches des quenouilles en or, ou revêtues d'or12. Une fois que la quenouille avait été garnie de laine, qu'elle était plena 13 ou compta'', l'ouvrière devait sc pourvoir d'un fuseau; le plus souvent il était fait avec la plante que nous appelons carthame (â.'cpx'cu),tç, cnecus 15), ou taillé dans un morceau de buis16; mais on employait aussi pour cet usage des matières plus durables, comme nous le voyons par des spécimens qui nous sont parvenus. Dans le fuseau lui-même on distinguait la tige", munie d'un crochet ('yxtcipov) 18, qui maintenait le fil en place, et le peson (acivâvaoç 19, verticillus turbo 21), généralement fait d'une matière assez lourde, telle que la pierre ou la terre cuite, de façon à tenir le fil tendu et à accélérer le mouvement de rotation nécessaire pour le tordre. Il faut avoir soin de noter que l'antiquité n'a pas connu le rouet; c'est une invention du moyen âge22. Le travail de la fileuse a été souvent décrit par les anciens; il a notamment inspiré à Catulle quelques vers pleins de grâce, où la beauté de l'expression poétique ne fait point tort à l'exactitude des détails23. La fileuse prenait la quenouille dans la main gauche, ou bien elle en fixait l'extrémité inférieure dans sa ceinture, si elle voulait garder à cette main la liberté de ses mouvements 15, Après avoir saisi quelques brins de la quenouillée et les avoir attachés au crochet du fuseau, elle en formait peu à peu un fil, qu'elle façonnait de la main droite en l'humectant de sa salive2J, et en le tirant à elle sans interruption (erru.ova, xNdx'ty xarxymty, Ëaxmto21, Ilium deducere 27) ; en même temps elle imprimait un mouvement de rotation au fuseau («rpax. v Eatccety, É7rtcrpipEty 28, fusum versare, Iorquere29) et elle tordait le fil entre le pouce et l'index (v71t.i.a azplcosty 30, [Huai torquere 31). Elle y mettait plus ou moins de force et accumulait plus ou moins de matière, suivant qu'elle voulait produire un fil épais et résistant (azri i.wv 7cuxvd;, rropEç32, filum plenum, crassum33) ou un fil mince et léger (cro wv é;scp.voç, i'vdç, âpatdç 34, filum subtile 33); le premier devait servir ensuite au tisserand pour faire la chaîne de l'étoffe, le second pour faire la trame 30. Quand le fuseau était suffisamment chargé, l'ouvrière coupait le fil pour le séparer de la quenouille"; puis elle en débarrassait le fuseau (fusum evolvere38) et en formait un peloton (x)wrTrip39, glomus 40), qu'elle déposait dans une corbeille. Nos musées possèdent un assez grand nombre de monuments figurés, où sont représentées ces diverses opérations. On peut voir (fig. 998) une fileuse qui semble sur le point de reprendre un travail déjà commencé. Celle de la figure 3381 a probablement terminé sa tâche; car son fuseau est vide et il ne reste à peu près rien sur sa quenouille 41. La figure 3382 reproduit une scène peinte sur le fond d'une coupe d'Orvieto52; c'est un monument unique en son genre, qui éclaire 1 FUS 1426 -FUS d'une vive lumière le témoignage des textes. On pourrait croire que la fileuse coupe le fil avec ses dents; mais il n'en est rien, puisque de la main droite elle le tient au dessus de sa bouche, et non au-dessous; elle est donc en train d'en égaliser les aspérités avec ses dents; c'est ce que Catulle a exprimé ainsi : Les Grecs désignaient par le verbe xpri,xur',Esv l'action que décrit Catulle 2. La quenouille et le fuseau apparaissent sur les monuments de l'art comme des attributs qui distinguent Hercule aux pieds d'Omphale, Minerve, les Parques [voy. p. 1020, fig. 2897] et quelquefois Vénus'. Des fuseaux plus ou moins bien conservés ont été recueillis sur divers points de l'ancien monde. Un des plus riches a été trouvé en Crimée dans un tombeau royal; il est revêtu d'une mince feuille d'or, entourant du bois de cyprès. On distingue encore au-dessous de la rondelle en or, qui divise l'instrument en deux parties, un fragment de l'anneau en bois, qui devait donner à l'extrémité inférieure le poids nécessaire à son aplomb Le musée de l'Ermitage, à Saint-Péters bourg, possède plusieurs autres fuseaux en ivoire ou en bois, qui proviennent des tombeaux des environs de Kertsch Celui de la figure 3383 est en bronze; il a été trouvé à Tégée Ceux des figures 3384 et 3385, d'un modèle plus simple, également en bronze, sont de travail étrusque; ils ont fait partie de l'ancienne collection Castellani Beaucoup de collections possèdent aussi des pesons détachés de leur fuseau; les archéologues ont pris l'habitude de les désigner sous le nom de fusaïoles ; Schliemann en a recueilli une quantité considérable dans les ruines de Troie. Ce sont de petits cônes tronqués, en terre cuite, percés d'un trou au milieu, et souvent ornés de des sins géométriques sur leur section la plus large(fig. 3386, 3387, 3388) 3. On s'est demandé si tous ces petits objets avaient été bien réellement affectés à l'usage qu'on leur attribue et si l'on devait continuer à leur donner le nom de fusaïoles. On a fait remarquer que, d'ordinaire, ils gisaient en nombre au même endroit, et on a pensé qu'il était plus naturel de les considérer comme des pièces d'ornement, autrefois réunies pour former des colliers. On tend aujourd'huià admettre qu'il y a lieu en effet d'établir une distinction parmi ces objets qu'on avait qualifiés en bloc de fusaïoles ° ; on en a rencontré en Italie qui étaient réunis en grand nombre dans le même tombeau et il n'est pas douteux, d'après la place qu'ils occupaient sur le cadavre, qu'ils ont dû former des colliers 10. Mais d'autres sont certainement des pesons de fuseau; tel est le cas, par exemple, pour celui que représente la figure 3388; il a été recueilli à Albano, dans une urne cinéraire, jusque-là intacte, où il se trouvait seul, au milieu des cendres du mort 11. Les musées de Bologne et de Mayence possèdent des fuseaux complets, le premier est un fuseau étrusque en bronze (fig. 3389) auquel adhèrent encore quelques restes de fils 12 ; le second est un fuseau (fig. 3390) dont la tige est en os et 180 FUS 1427 FUT le peson en pierre Si qn compare au peson de cette pièce quelques-uns des objets que Schliemann a exhumés dans ses fouilles, on conviendra qu'il est difficile de souhaiter une ressemblance plus parfaite. Des fusafoles présentant de grandes analogies avec celles de Troie ont été signalées, tant en Grèce qu'en Italie, parmi les vestiges des âges antérieurs à l'histoire 2. Les deux petits objets des figures 3391, 3392, viennent de Préneste ; ils étaient enfermés dans une ciste' ; il est à présumer qu'ils ont d11 servir de bobines pour enrouler le fil, lorsque l'ouvrière déchargeait son fuseau; on remarquera dans l'une de ces bobines la dent destinée, suivant toute apparence, à fixer l'extrémité du fil; l'objet a une base qui permettait de le poser debout sur une table Dans l'édit de Dioclétien sur les tarifs, le prix maximum d'un fuseau avec son peson est fixé à douze deniers (en viron 0 fr. 40), si l'objet est en buis, à quinze deniers (environ 0 fr. 50) 5, s'il est d'un autre bois Le filage était avec le tissage l'occupation principale des femmes dans la famille [LANA, TExTORj; le zèle qu'elle y déployaient donnait la mesure de leurs vertus domestiques aux yeux de ceux qui défendaient comme un héritage sacré les traditions patriarcales des temps primitifs ; dire d'une femme qu'elle avait passé sa vie à filer la laine, c'était lui décerner le plus beau de tous les éloges. Chez les Romains, dans les cérémonies nuptiales, on portait une quenouille et un fuseau à côté de la mariée comme un symbole de ses devoirs'. Ces instruments familiers des bonnes ménagères sont quelquefois mentionnés parmi les offrandes qu'elles déposaient dans les temples pour en faire hommage à leurs divinités protectrices' : c'est là peutêtre ce qui explique qu'on en ait si souvent retrouvé des débris dans les fouilles. En accomplissant sa tâche., la fileuse accompagnait par des chansons le mouvement de ses doigts ; Catulle s'est inspiré de cette coutume, lorsqu'il a mis dans la bouche des Parques un chant prophétique en l'honneur d'Achille 9. D'après Pline l'Ancien, une loi rurale observée dans la plupart des métairies de l'Italie défendait aux femmes, en marchant dans la campagne, de tourner leurs fuseaux ou même de les porter découverts: on croyait que, faute d'observer cette prescription, elles pouvaient faire manquer les récoltes 1D. Les gens experts dans l'art de la divination prétendaient pouvoir tirer certain présages du mouvement d'un fuseau; on appelait