GENS. Pivoç. GRÈCE. Le mot ylvo;, comme la racine yav et les mots dérivés y(yvo t t, yovséç, yuvri, yiveatç, renferme l'idée de filiation'; il signifie la famille au sens propre, c'est-à-dire l'ensemble des personnes issues d'un ancêtre commun. C'est donc primitivement une communauté naturelle et non pas une association factice; le lien originel qui réunit les membres du y€voç est le lien du sang. C'est ce qu'exprime aussi un mot synonyme de ylvo;, le mot 7tct z qu'on trouve usité à Gortys d'Arcadie, à Thasos, à Rhodes, à Olymos, à Labranda 2 et d'où est probablement venue à Athènes l'épithète d'Apollon, dieu des 'ln, 7tx i;oç. Théoriquement toutes les branches du ysvoç, si nombreuses qu'elles soient, continuent à former un seul groupe qui se rattache au tronc commun et qui peut comprendre un nombre considérable de personnes : mais, en fait, tant que les tribus helléniques n'ont pas été établies à demeure, il a dû y avoir à chaque instant des démembrements du y€voç; d'autre part le souvenir des ancêtres éloignés a dû disparaître assez vite pour limiter à quelques générations successives les relations véritables de
parenté. Or, d'après la durée moyenne de la vie humaine, quatre générations, depuis le bisaïeul jusqu'à l'arrière-petit-fils, peuvent se trouver en présence; ces quatre générations constituent précisément le yvoç au sens étroit qu'on trouve dans l'ancien droit de la race aryenne ; chez les Hindous c'est la famille sapinda 3 ; chez les Grecs, c'est le cercle de l'âyit-TE(a dont nous verrons le rôle et l'importance. On peut donc distinguer dès l'époque primitive le 'ivoç au sens large et le yivo; au sens étroit, la simple famille, oixoç'. Il n'y eut évidemment qu'un nombre restreint de familles qui gardèrent constamment leur unité, leur cohésion, où les différentes branches maintinrent le souvenir de leur parenté, grâce à des généalogies véritables ou artificielles qui remontèrent jusqu'aux héros fondateurs ; ces familles constituèrent de bonne heure l'aristocratie hellénique.
Quels sont les éléments du ' voç? Il comprend : 1° Toutes les personnes qui descendent par les mâles de l'auteur commun. 2° Les fils adoptifs, car il est vraisemblable, comme on le verra, que l'adoption a fait partie du plus ancien droit grec. 3° Les femmes de familles étrangères introduites dans le ysvo; par le mariage; les principales cérémonies du mariage à l'époque historique, le transport de la femme dans la maison du mari, la 7tou.7tri, ou bien l'enlèvement symbolique, conservé à Sparte 5, les libations qu'on lui verse sur la tête comme au nouvel esclave sont évidemment aussi de très anciens usages [MATRIMONIUM]. La fille, sortie de son yévoq à la suite d'un mariage, perd-elle toute parenté avec les siens ? Les enfants du frère et de la soeur, en ce cas, restent-ils parents? en d'autres termes, la parenté est-elle purement agnatique? ou tient-on compte de la parenté naturelle des cognats? On admet généralement la première hypothèse'. Elle repose cependant sur des vraisemblances plutôt que sur des preuves. Car s'il est vrai que le culte du foyer domestique et le culte des morts ne se transmettent, comme on le verra, qu'en ligne masculine, que la fille sortie de son v 3q;, ne participe plus à son culte 3, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'on ne puisse être parent par les femmes. C'est le caractère particulier qu'a pris la puissance paternelle à Rome qui dans la gens romaine a rendu la parenté strictement agnatique. La puissance paternelle n'a pu produire le même résultat dans la Grèce ; si en persiste à croire que la parenté y a été au début exclusivement agnatique, il faut avouer qu'elle a très rapidement perdu ce caractère. 4° Différentes personnes qui ont été rattachées au yévo; pour diverses causes, communauté de domicile ou d'occupation, culte d'une même divinité, raison politique. Tout en refusant d'admettre que les yin soient des créations artificielles, en rejetant par exemple la tradition qui attribue à Thésée la formation des 360 yls•r) de l'Attique, on peut croire cependant que des législateurs ont à différentes reprises modifié les cadres des familles, surtout
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pour en maintenir le nombre primitif. A Athènes l'ensemble des membres du yévoç s'appelle les ysVViIT«t [EUPATRIDES] : nous ne savons quel était pour les autres . pays leur nom générique.
Il faut aussi rattacher au yévos les esclaves; l'esclavage ne paraît pas avoir joué au début un rôle considérable; il ne tient pas une grande place dans les poèmes homériques, quoiqu'il y existe certainement' : les esclaves, Sp.céss, oixile; se recrutent par la naissance, la guerre ou l'achat'; ils sont employés surtout à l'élevage des bestiaux et paraissent bien traités, quoique légalement leurs maîtres aient sur eux le droit de vie et de mort; ils peuvent avoir une famille, un pécule 3. A Athènes, à l'époque historique, le nouvel esclave était amené à côté du foyer et on lui versait sur la tête des noix et des figues (Tk x«T«ydcuaT«) comme aux nouveaux mariés 4 ; cette cérémonie archaïque montre que l'esclave entrait primitivement dans la famille. Ajoutons comme autres preuves qu'à l'époque historique il est enseveli dans le tombeau de ses maîtres et qu'à Gortyne les esclaves agricoles ont une sorte de droit de succession sur la fortune du maître en l'absence d'autres parents 6. Le y€voç avait-il primitivement une clientèle ? Nous manquons de renseignements sur ce point. Le thète (Ar;) de l'époque homérique n'est pas un client; c'est un ouvrier agricole de naissance et de condition libres, qui loue ses services pour un temps et un salaire déterminés et qui, outre ses gages, a généralement la nourriture et le logement 6. C'est plutôt l'affranchi qui a dû. être le véritable client; les liens qui, à l'époque historique, l'unissent au patron, ont été certainement plus étroits encore à l'époque primitive : dans l'Odyssée l'esclave Eumée dit que si Ulysse était revenu de Troie, il lui aurait donné une maison, un champ et une femme'. Eumée eût été sans doute un affranchi attaché au sol. Il a pu y avoir beaucoup d'affranchissements et de concessions de ce genre qui ont constitué une véritable clientèle; les citoyens de droit inférieur qu'on trouve plus tard, par exemple à Athènes, les thètes et les ivi orrai du temps de Solon sont peut-être des descendants d'affranchis qui ont acquis leur liberté complète et leur émancipation par la disparition des familles de leurs patrons [EUPATRIDES, p. 855, col. 2].
Quels sont les rapports qui unissent les membres du vivo;? Ils dérivent à la fois de la religion domestique et de la parenté naturelle. Une des parties essentielles de la religion primitive est, en effet, le culte du foyer qu'on trouve dans la Grèce, comme en Orient chez les Hindous 8. La maison et la cour sont entourés d'une enceinte ipxoç; dans la cour se trouve généralement l'autel de Zsu; Epxoioç et dans une grande salle le foyer unique, seTi«, i37clp«, qui est considéré comme le centre de la maison° et sur lequel brûle le feu sacré. Il n'est pas absolument prouvé qu'on y ait entretenu perpétuellement le feu; on
ne saurait le conclure des textes qu'on a10; c'est cependant une hypothèse vraisemblable, car le foyer suppose au moins habituellement l'existence du feu et les expressions foyer éteint et famille éteinte sont synonymes". On distingue malaisément le culte rendu au foyer, i -r( , du culte rendu à la déesse `Ecré«-Vesta, personnification du feu [VESTA] ; mais il est certain que c'est le culte du foyer qui est le premier en date; il s'est maintenu même en face du culte de Vesta; tous les éléments de ce dernier ont été empruntés au culte du foyer et la personnalité de la déesse ne s'est jamais bien séparée de son substratum, le feu sacré. Le foyer est une sorte d'être divin qu'on prie pour en obtenir des faveurs i2; c'est au foyer qu'on offre le premier sacrifice d'actions de grâces au retour d'un voyage, d'une expédition 13; il a droit à une part de chaque repas f4, à la première invocation et
une libation dans les sacrifices aux autres dieux "; on trouve souvent, surtout chez les poètes comiques, le serment sur le foyer i6; c'est le foyer qui est le lieu de refuge des suppliants 1'; le feu du foyer doit toujours rester pur"; il peut donc être considéré comme une sorte de divinité familiale dont le culte unit les membres de la famille. C'est pourquoi l'introduction des nouveaunés dans la famille se fait encore à l'époque historique par la cérémonie des AMPRIDROMIA qui consiste essentiellement à les promener autour de l'autel domestique, le cinquième jour après leur naissance 19
En second lieu la parenté naturelle impose aux enfants un certain nombre de devoirs généraux à l'égard de leurs ascendants; il n'y a pas dans la langue grecque de mot, correspondant au mot latin obsequium, qui les désigne dans leur ensemble, mais ils n'en constituent pas moins une partie essentielle du droit primitif. C'est pour cette raison qu'à l'époque historique la conduite de l'enfant à l'égard de ses parents tient encore une place considérable dans le droit public et sert plus que toute autre preuve à faire apprécier la valeur morale d'un citoyen 20;
Athènes on demande au candidat à l'archontat s'il a bien traité ses parents 21 et l'autorité publique a fait de bonne heure respecter ces devoirs de famille ; en cette matière l'archonte éponyme peut frapper d'amendes les fautes légères 22; il y a une accusation publique, la ypacp~ x«xcSrews yov wv contre le manque de respect, les mauvais traitements, le refus de subsistance, la négligence de la sépulture à l'égard des ascendants et les enfants n'ont aucune excuse à invoquer 23 [KAKÔSÉÔS GRAPHE]. Il n'y a que les enfants issus d'un concubinat et ceux que leurs parents ont prostitués ou n'ont pas élevés conformément
leur rang social qui sont dispensés de l'obligation de nourrir et de loger leurs ascendants 24. Un orateur peut être exclu de la tribune et frappé d'atimie si sa conduite
l'égard de ses parents n'a pas été irréprochable 2ë. Le fils doit donc d'une manière générale le respect à ses
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parents; comme devoirs positifs il leur doit la nourriture et la sépulture. Théoriquement ce n'est pas seulement le père et la mère qui ont droit à la nourriture, mais tous les autres ascendants, s'il en reste; en fait, l'obligation ne peut guère s'étendre au delà de la quatrième génération et c'est ce que reconnaît la législation athénienne à l'époque historique'. Les devoirs funèbres sont la continuation, outre-tombe, des soins dus par le descendant à l'ascendant. On sait quelle en est l'importance et le caractère dans la religion primitive : à l'origine chaque famille a son tombeau dans son champ, honore exclusivement ses morts ; les étrangers sont exclus du repas funèbre. Négliger les devoirs funèbres est l'impiété la plus grave qu'on puisse commettre [Furius]. Ce culte des morts est le lien le plus étroit qui unisse les générations successives; théoriquement il s'étend jusqu'aux ancêtres les plus éloignés; c'est pour cette raison qu'un certain nombre de familles se sont fait des généalogies plus ou moins artificielles qui remontent jusqu'à un héros fondateur. Le culte des héros est évidemment sorti du culte des morts, après la fixation définitive des tribus helléniques, sous l'influence de croyances populaires, de chants d'aèdes, de traditions de familles qui se sont attachées à des tombeaux, à des lieux déterminés; il ne paraît pas remonter à une très haute antiquité; car dans la poésie homérique, les grands personnages célèbrent bien les hauts faits et la naissance divine de leurs ancêtres, mais sans leur rendre un véritable culte 2; c'est seulement dans les parties les plus récentes de l'Iliade et dans l'Odyssée qu'on trouve des héros revêtus d'un caractère divin et honorés à ce titre, par exemple Patrocle, Ménélas, les Dioscures3. On peut admettre que le culte des héros a commencé vers le vme ou le vue siècle; le héros possède alors une double personnalité : c'est d'une part un homme mortel qui appartient à un passé légendaire, roi, prince, chef de tribu, guerrier, ancêtre fondateur d'une famille; d'autre part c'est un être divin qui est généralement fils d'un dieu et d'une femme mortelle ou d'une déesse et d'un homme mortel et qui établit ainsi la transition entre le dieu ou la déesse et la série des ancêtres humains; ainsi à Athènes les Alcméonides remontent à Poséidon, les Philaïdes à Zeus, les Anthéades d'Halicarnasse à Poséidon, beaucoup de familles spartiates à Héraclès 4. Quelquefois le héros a été, en même temps que le fils ou le favori, le premier prêtre de la divinité dont la famille conservera plus tard le sacerdoce [IIEROS]. A l'époque historique, on honore généralement les héros soit à leurs tombeaux réels ou supposés, soit dans des sanctuaires dont l'emplacement est très variable 5 ; mais à l'époque primitive on les adorait sans doute surtout au foyer de la maison; il est probable que ces autels sans base, c'ir«t, destinés au culte des héros 6, dont on possède des exemplaires et des représentations sur des bas-reliefs 7, se trouvaient alors dans les maisons et ne différaient pas essentiellement du foyer; aussi les héros portent souvent les épithètes de i écrtot, ir.utoû ot. Il y avait ainsi une association
étroite entre le culte des morts et le culte du foyer.
Dans les devoirs funèbres il faut naturellement distinguer le culte des ancêtres que tous les membres du y vo, doivent pratiquer et les cérémonies des funérailles proprement dites; les descendants les plus éloignés à qui ces dernières pussent incomber étaient, pour les raisons qu'on a déjà vues, les représentants de la quatrième génération par rapport au bisaïeul et à la bisaïeule; aussi de bonne heure, dans beaucoup de villes, la loi dut sanctionner cet état de choses; à Athènes, dans la législation de Solon, pour les funérailles des ascendants, les descendants sont assistés ou en cas de besoin remplacés par les proches parents, jusqu'aux fils de cousins, jusqu'aux cvstlt«ôoi, et les seules femmes autorisées à entrer dans la maison du mort et à suivre l'enterrement sont les femmes âgées de plus de soixante ans et les parentes jusqu'aux filles de cousins8; il y a des prescriptions analogues dans la loi funéraire d'Iulis de Céos [FUNUS]. Si donc la loi établit une sorte de lien sacré entre les proches parents jusqu'au degré de fils de cousins, c'està-dire entre tous ceux qui descendent d'un bisaïeul commun, c'est qu'à l'intérieur du ysvoç (au sens large) elle oblige plus particulièrement les unes à l'égard des autres les quatre générations qui se sûivent, du bisaïeul à l'arrière-petit-fils et qui constituent la famille simple.
Cette union et cette solidarité particulières des quatre générations successives ne se montrent nulle part mieux que dans un des plus anciens usages de la Grèce, dans le droit de vengeance familiale ; à l'époque primitive, en effet, la répression du meurtre nie regarde pas l'État; c'est la famille du mort qui a le droit et le devoir de le venger. Dans l'Odyssée, le poète énonce cette maxime que le fils est le vengeur naturel de son père et, en effet, les parents des prétendants essayent de venger sur Ulysse le meurtre de leurs frères et de leurs fils°; la déesse Athèna rappelle à Télémaque la gloire que s'est acquise Oreste en tuant Égisthe10; les parents peuvent renoncer dans certains cas à leur vengeance moyennant une composition, dont la plus ancienne forme a peut-être été celle qu'on trouve dans les légendes primitives, c'est-à-dire la prestation de services auprès des parents pendant un temps déterminé; Apollon se met au service d'Admète, Hercule à celui d'Iphitos; mais d'assez bonne heure apparaît la rançon pécuniaire, 7roty« ti, aou. ; dans le procès que représente dans l'Iliade le bouclier d'Achille i1, le meurtrier offre le prix du sang et les deux parties se rendent devant les vieillards pour savoir si cette proposition doit être acceptée ou refusée; il est probable que le tribunal doit apprécier si le meurtre a été volontaire ou involontaire : dans le premier cas il y aurait exil perpétuel du meurtrier; dans le deuxième cas les parents pourraient accepter la réconciliation et la rançon 13. L'opinion publique non seulement accepte, mais recommande ce genre de transaction et blâme les familles qui s'y refusent" ; après la transaction, le droit de vengeance cesse et le coupable rentre sans aucune déchéance dans la société civile et religieuse15; mais si
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la famille n'accepte pas la rançon, le meurtrier ne peut éviter la mort que par l'exil volontaire, sans doute perpétuel' [ExsILlusl]. Il se peut que primitivement ce droit de vengeance ait appartenu à tous les membres du-Ibo; ; mais déjà, dans les poèmes homériques, il n'appartient plus régulièrement qu'aux proches parents, fils, petitsfils, pères, frères; il peut s'étendre jusqu'aux cousins, 'ir t2, v ito(3 qui tantôt assistent, tantôt remplacent les frères, et quelquefois à des parents plus éloignés, tels que le gendre et le beau-père'. C'est sous la même forme que ce droit de vengeance apparaît dans les légendes de l'époque primitive, reproduites ou inventées par les historiens, les poètes dramatiques, les philosophes 5. A l'époque historique il va se restreignant de plus en plus; à Athènes ce n'est plus que le droit d'intenter la poursuite ou de l'abandonner; la famille du défunt peut seule poursuivre le meurtre même volontaire et le dénonciateur doit indiquer dans le serment qu'il prête son degré de parenté 6 ; les parents font la déclaration solennelle (7posn siv) qui interdit au meurtrier de fréquenter les lieux publics 1. Quels sont les parents autorisés à jouer ce rôle? Il y a de nombreuses obscurités dans la loi de Dracon dont nous possédons des fragments sur une inscription et dans un discours de Démo
sthène 8 [EPIIETAI]. Elle mentionne les parents vTÔ; âvrir6TrrTo;, c'est-à-dire le père, les fils, les frères, les
cousins, les oncles; il faut sans doute ajouter à cette liste les petits-cousins, vevtxôo(; ces parents peuvent être secondés dans la poursuite par les gendres, les beaux-pères, les membres de la phratrie. Dans le cas de meurtre involontaire, entraînant seulement un exil temporaire, les parents autorisés à accorder la réconciliation (ai s ;ç) d'un consentement unanime sont le père, les frères, les fils : faut-il admettre qu'il y avait d'autres parents dans la lacune des lignes 1-I6 de l'inscription? elles mentionnaient peut-être encore les cousins et les petits-cousins; cependant ils ne figurent pas dans le texte de Démosthène. A défaut des parents autorisés, les éphètes choisissent pour cette mission dix membres de la phratrie. En cas de meurtre volontaire, si aucun parent ne se présente, on porte à l'enterrement une lance et on demande à haute voix devant la tombe s'il n'y a pas de parent qui demande vengeance 9. A Élis, d'après une inscription qui paraît antérieure au vie siècletD, une loi sur les incantations ordonne à la phratrie, à la ysvsx, et à d'autres personnes qui ne sont pas clairement indiquées, de ne pas se venger elles-mêmes; la punition est confiée au premier magistrat, sans doute l"E),Àxvoô(xr,; et, à son défaut, au collège des démiurges; il y a une amende de dix mines contre celui qui flagellerait le coupable pendant que le procès est engagé, et contre le scribe de la phratrie. On voit qu'à l'époque historique, les parents chargés de la vengeance sont à peu près les mêmes que dans l'épopée homérique. Signalons encore un cas particulier; à Athènes, dans la procédure de l'androlepsie, [ANDROLEPSIA], pour le meurtre d'un Athénien dans un
pays étranger, ce sont les parents de la victime qui doivent saisir les trois otages; ces parents sont sans doute les mêmes que dans les autres cas; quant aux autres parents plus éloignés, ils n'ont ni le droit ni le devoir de poursuivre 1i; ce soin appartient plutôt aux membres de la phratrie. Enfin Démosthène signale encore une application curieuse de la solidarité des âyytatE ; : entre ces parents, dit-il, le faux témoignage ne viole pas seulement les lois écrites, mais la loi naturelle 12.
Le culte du foyer et le culte des morts ou des héros ne doivent jamais ni être interrompus ni cesser; d'autre part, ils ne peuvent se transmettre que de mâle en mâle; c'est là un des principes fondamentaux de l'ancien droit et de l'ancienne religion et qui tient à la supériorité que les croyances primitives attribuent à l'élément mâle dans toutes les opérations de la vie et en particulier dans la génération 13. Ces deux caractères du culte du foyer et du culte des morts ont amené dans le droit privé des conséquences importantes que nous allons voir.
Il n'y a pas de plus grand malheur pour les anciens que l'extinction d'une race, soit d'un yE',oç, soit d'une simple famille ( i.)x oixou); c'est en même temps l'extinction d'un culte; à l'époque historique cette préoccupation religieuse est fortifiée par la préoccupation politique de maintenir le même nombre de familles dans le corps social. Cette considération explique les institutions de Sparte et des villes doriennes; elle revient à chaque instant dans les discours des orateurs attiques 14 ; à Athènes l'archonte éponyme doit faire en sorte que les maisons ne s'éteignent pas 15. Aussi ce ne sont pas seulement les croyances religieuses, mais les lois qui interdisent le célibat et recommandent le mariage [AGAMIOu GRAPnÈ]. Nous ne savons pas si, comme dans l'Inde, d'après les lois de Manou 16, la veuve qui n'avait pas eu d'enfants devait se remarier avec le plus proche parent de son mari. Le mariage est donc obligatoire et il a essentiellement pour but la procréation des enfants légi
times, 7rx(ômv é7c'46Toi yvr,a(uv 17; la possession d'enfants
achève la vie ; le mariage est la fin naturelle, 'rD o;; la maison où l'homme reste sans enfant s'appelle i t v)ri;1B. Il faut naturellement que le mariage soit régulier [MATRIMoNluMl; autrement les enfants sont des bâtards, v6Oot; dès l'époque homérique, ils sont inférieurs aux enfants légitimes; leur part d'héritage est moindref9; à Athènes, au moins à l'époque historique, depuis Solon, ils sont exclus de la succession, comme étant en dehors de l'ây7l 'ra(x, ne touchent que les voOeïa de mille ou cinq cents drachmes, n'ont pas part au culte, ne peuvent le continuer non plus que la famille20. Nous ignorons si, comme dans l'Inde, le divorce était obligatoire en cas de stérilité de la femme ; nous n'avons pas d'exemples probants; l'obligation qui fut imposée à plusieurs rois de Sparte de répudier une femme stérile ou d'en prendre une seconde, s'explique par des raisons politiques spéciales 21; mais nous savons que quand le mariage était stérile par la faute du mari, à Sparte les femmes en
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général, à Athènes les femmes épicières seulement avaient le droit.et le devoir de se livrer à un parent du mari pour en avoir un enfant qui pût continuer la famille et le culte domestique 1; et une loi de Solon qu'il n'y a pas de raison de rejeter ordonnait au mari de la femme épicière de remplir ses devoirs conjugaux au moins trois fois par mois, sous peine de s'exposer à une
ypaP l xaY.dnsEt, ç2. C'est également de la nécessité de
maintenir la famille qu'est sorti l'usage de l'adoption [ADDPTlo]' : quoique nous n'ayons pas de textes à ce sujet, il est vraisemblable que l'adoption a fait partie du plus ancien droit grec et qu'elle y était soumise à peu près aux mêmes conditions qu'à l'époque historique. Y avait-il alors une forme d'émancipation, corrélative de l'adoption? Nous n'avons aucun renseignement sur ce point : peut-être employait-on l'âroxr;t; qui subsiste à l'époque historique [APOKERYXIS]. Enfin nous verrons tout à l'heure que le droit successoral repose aussi sur les principes qu'on a exposés.
Quelle est la constitution, quel est le rôle social et politique du y€vo;? En même temps qu'une famille naturelle, c'est une corporation dont voici les principaux traits.
1° Chaque y€vos a son nom propre; les noms des yévyi se ramènent partout à deux classes, les plus nombreux, ceux qui ont une désinence patronymique et ceux qui sont tirés de diverses racines, noms de lieux, métiers profanes ou sacrés'. Les noms patronymiques se réfèrent généralement au héros fondateur et protecteur; ils sont le plus souvent, comme à Athènes, terminés en L -tiç ou aô7)ç ; le nom du ysvoç se transmet à toutes les générations ; au début il a eu sans doute la même importance que le nom gentilice de Rome et chaque individu devait le porter après son nom particulier et le nom de son père [NoMEN]; ainsi Pindare rappelle toujours dans ses éloges le nom gentilice de ses héros; mais de bonne heure il a cessé d'être usuel et presque partout les régimes démocratiques le remplaceront, comme troisième nom, par le nom du dème.
2° Le yivoç a un chef; nous ne le connaissons que par des documents de l'époque historique où il s'appelle b 14:v0v Toi yvou; et où il n'a plus sans doute que des débris de ses anciennes fonctions; à Athènes, par exemple, il représente sa corporation, est chargé de certaines missions; il est sans doute annuel et tiré au sort [EUPATRIDES, p. 859]. A Chios, le chef de la famille des Klytides administre ses biens5. On peut conjecturer qu'à l'époque primitive ce chef, sans doute le membre le plus àgé de la corporation, était à la fois son administrateur, son grandprêtre, son juge et son représentant politique; mais nous n'avons pas de textes sur ce sujet. Le morcellement duyvoç a certainement enlevé de bonne heure toute importance, sauf peut-être au point de vue politique, au chef de la corporation ; il n'est resté que le pouvoir du père sur la famille simple, c'est-à-dire la puissance paternelle proprement dite. Il n'y a pas en grec de mot qui corresponde au mot latin, potestas; mais l'idée de puissance se trouve dans le mot 7rarnpe. A l'époque historique la
puissance paternelle en Grèce est singulièrement faible : en a-t-il toujours été ainsi, ou est-ce l'effet d'une décadence rapide ? Le problème est difficile à résoudre, faute de documents. La puissance paternelle comprenait d'abord les éléments qu'elle a gardés à l'époque historique ; le père, comme chef religieux, célèbre la religion domestique à sa guise; comme maître de la propriété, il administre la fortune; il a le droit de répudier la femme; il a le droit de reconnaître l'enfant à sa naissance ou de le repousser et de le faire exposer [ExPOSITIO] ; à Athènes jusqu'à Solon le père pouvait vendre ses enfants; d'après la législation de Solon il n'y a plus que le cas d'inconduite qui autorise le père à vendre ses filles, le frère ses soeurs'. Mais dans tous les autres pays grecs la vente des enfants, quoique désapprouvée par l'opinion publique 3, continue à être pratiquée par les parents pauvres, même sous la domination romaine, jusqu'à l'époque chrétiennes. Le père peut expulser ses enfants par l'à7roxvipu;t;. Mais a-t-il sur eux dans le principe un droit illimité de vie et de mort? On ne peut citer que quelques cas, plus ou moins légendaires, par exemple le sacrifice d'Iphigénie, le supplice infligé à la fille d'un archonte d'Athènes au ville siècle pour son inconduite" : si ce droit de vie et de mort a existé en théorie, il a disparu de très bonne heure, car la puissance paternelle a été rapidement battue en brèche par l'autorité publique qui émancipe entièrement le fils dès sa majorité civile et ne laisse au père que la tutelle perpétuelle des filles et
des femmes [EPITnoros, KYRlos], et c'est surtout pour cette
raison que la puissance paternelle n'a pu constituer, en Grèce, comme à Rome, une famille purement agnatique.
30 Il y a entre les membres du vivo; une solidarité d'abord très étroite, mais qui se restreint de bonne heure aux membres de la famille simple. Nous en avons vu un exemple dans le droit de vengeance ; il y en a un autre exemple dans une inscription archaïque, malheureusement mutilée et très obscure, de Mantinée". La solidarité du y€vos se maintient plus longtemps dans le domaine politique ; par exemple la faute de quelques Alcméonides à Athènes amène l'exil de tout le clan 12 devant les tribunaux de l'Aéropage et du Palladion ; l'accusateur invoque la malédiction divine sur lui-même, son yivoç et sa famille dans le cas où son accusation serait mensongère 1'.
4° Le yéVOÇ a son tombeau commun [Furius], son lieu de réunion, LESCIIÉ 1t; dans l'Attique, le dieu des 7râTpat, Apollon, était vraisemblablement le dieu protecteur de ces lieux' 6 ; à Sparte la ))éaz7l est devenue un lieu de réunion plus large pour les phratries et les tribusf6. Le yévo; se réunit pour faire des règlements, OÉal,.ta : il est probable qu'il exerce un contrôle sur l'admission des nouveaux membres, mais nous n'avons d'exemples de ce fait que pour l'Attique [EUPATRIDES, p. 858-859].
5° Le yvo a généralement plusieurs cultes, d'abord, comme on l'a vu, celui de son héros, puis d'autres cultes domestiques qu'il garde même après leur transformation en cultes d'État; mais nous ne les connaissons guère que pour Athènes; à Chios les Klytides, issus du héros Klytios,
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paraissent avoir, en outre, le culte gentilice de Zeus Patroios; à Éphèse, les Baat),fôat gardent le culte de Déméter Éleusinienne, à Milet les Skirides celui d'Artémis Skiris, à Halicarnasse les Anthéades celui de Poséidon 1, à Athènes les membres des yAri pratiquent seuls pendant longtemps les deux cultes de Zeus IIerkeios (Zeuç `Epxeioç) et d'Apollon Patrons ('A7tdaawv 7tarpcUo;); nous trouvons à Cos un privilège du même genre : les cultes d'Apollon et d'Héraclès au sanctuaire d'Halasarna sont réservés aux seuls membres des trois anciennes tribus, c'està-dire sans doute aux descendants des anciens yÉV-,l 2.
6° Le ywo; est-il propriétaire de biens? A. l'époque historique, comme toutes les autres corporations, phratries, tribus, il a des biens administrés par son chef ; nous en avons de nombreux exemples pour Athènes [EUPATRIDES, p. 859], pour Tanagra, pour Mélos, pour Cos; ce sont en général des terrains, des immeubles, des objets sacrés3 ; sont-ce là les restes d'un régime ancien où le y€voç aurait eu des possessions plus considérables, ou même aurait été le seul propriétaire? Cela revient à chercher quel a été le caractère primitif de la propriété foncière en Grèce. Plusieurs auteurs^ ont cru trouver le communisme aux origines de la société hellénique ; il est aisé de réfuter les arguments qu'ils ont apportés Ô. l'appui de cette théorie 5. Les prétendus souvenirs de l'âge d'or, où il n'y aurait pas eu de propriété privée, n'ont évidemment aucune valeur historique 6 ;les théories socialistes des philosophes et des hommes d'État en Grèce, les mesures plus ou moins révolutionnaires, relatives au partage des terres, à l'abolition des dettes, que les gouvernements démagogiques ont pratiquées à différentes époques, surtout dans la période de la décadence, ne nous éclairent en rien sur les origines de la propriété. Certaines institutions de droit public ou privé n'ont nullement le sens qu'on veut leur attribuer; par exemple Théophraste signale parmi les formalités de la vente des immeubles à Thurii la remise d'une pièce de monnaie à trois voisins 7. C'est là, dit-on, la reconnaissance en faveur des voisins, d'un ancien droit de copropriété sur la terre vendue; en réalité, les voisins n'interviennent ici que comme témoins de la vente. On a également et avec aussi peu de vraisemblance trouvé dans les repas publics des cités helléniques un souvenir de la communauté primitive des terres : les repas publics étaient probablement à l'origine une des formes du culte public rendu par la cité à ses dieux; ils existèrent dans toutes les villes, mais ils sont peu à peu tombés en désuétude ou se sont transformés comme à Sparte et en Crète en une institution politique et militaire [EPULA] ; tout ce que nous en savons implique plutôt la propriété privée que le régime de la communauté. On met sur le compte de Pythagore l'établissement du communisme dans plu
IV.
sieurs cités de la Grande-Grèce; mais les textes relatifs à ce sujet ne remontent pas au delà du Ine siècle av. J.-C. 8 ; ils ont plutôt le caractère de légendes que de documents historiques et sont d'ailleurs démentis par les autres renseignements que nous avons sur la vie de Pythagore et les institutions dites pythagoriciennes; Pythagore avait en effet maintenu à Crotone une constitution oligarchique qui reposait sur la propriété foncière 9 ; il y avait des propriétés particulières ainsi que plusieurs de ses disciples 10 ; on a remarqué avec raison que les anecdotes relatives aux succès de la prédication de Pythagore supposent en général chez les pythagoriciens l'existence de la propriété privée 11. Un texte obscur d'Aristote, concernant Tarente 12, ne prouve certainement pas que cette ville ait pratiqué le communisme foncier ; il s'agitsimplement d'une mesure politique dont nous ne connaissons pas le sens exact, prise par l'aristocratie en faveur du peuple. Des aventuriers de Cnide et de Rhodes, établis vers le vI° siècle av. J.-C. dans les îles Lipari, y avaient maintenu pendant quelque temps une sorte de régime d'indivision13 ; mais c'était là un régime artificiel créé sur un très petit domaine pour et par une association de pirates et qui ne fut pas de longue durée. Dans la plupart des établissements des Grecs, dans presque toutes les fondations de villes et de colonies, à la suite d'une conquête ou pacifiquement, nous trouvons la tradition généralement vraie d'un partage des terres et d'une distribution des lots, depuis l'époque homérique jusqu'à la période macédonienne 14; le mot x»,poç qui désignera plus tard l'héritage a désigné primitivement le lot tiré au sort; Platon, fondant son État modèle, s'occupe d'abord de la division du sol95. Cette opération a-t-elle marqué généralement, comme on le prétend, le point de départ et l'origine de la propriété privée? Témoigne-t-elle d'un régime antérieur d'indivision? En aucune façon : elle prouve simplement que les Grecs apportaient partout avec eux la notion de la propriété privée. Dira-t-on que ces partages de terres n'étaient pas définitifs, mais qu'ils étaient renouvelables périodiquement et qu'ils ne conféraient par suite qu'un simple droit de jouissance? On a cité à l'appui de cette opinion les textes d'Hérodote relatifs àla colonie grecque de Cyrène 16, le partage établi par Lycurgue à Sparte" et des textes homériques. A Cyrène le réformateur Démonax aurait partagé entre les citoyens les terres restées jusque-là communes; en réalité il ne s'agit que des pouvoirs politiques transférés de la royauté au peuple, et dans les prétendus partages successifs des terres opérés sous les premiers rois de la Cyrénaïque, il ne faut voir que des déplacements de colons, des invasions de nouveaux émigrants. Le partage des terres attribué à Lycurgue n'a été également qu'une réforme nécessaire qui n'a
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été renouvelée que sous Agis III [LACEDAEMONIORUM RESPU
BLICA]. Les textes homériques ne sont pas plus probants : les nombreuses dotations foncières que le peuple accorde aux rois, aux nobles, prouvent non pas qu'il est le seul propriétaire du sol, mais simplement qu'il dispose d'un
immense ager publicus 1 ; l'épithète i.7t(uvoç, employée à
propos d'une terre, indique un champ indivis que les deux propriétaires veulent partager plutôt qu'un domaine public possédé collectivement 2 ; dans la scène champêtre représentée sur le bouclier d'Achille, les laboureurs paraissent plutôt être des ouvriers au service d'un grand propriétaire que les détenteurs momentanés et provisoires de parcelles communales qui feraient simultanément les labours'. Quand, après la mort d'Hector, Andromaque craint que ses concitoyens n'enlèvent ses terres à son fils orphelin, elle ne veut pas dire qu'on fera rentrer ces biens dans la communauté, mais simplement qu'on s'en emparera par la force 4. En somme il n'y a pas un seul argument sérieux qui prouve que les Grecs primitifs aient connu et pratiqué le communisme agraire. Il n'y en a aucune trace, ni dans Homère ni dans Hésiode. Les rites religieux les plus anciens s'appliquent à la propriété privée, délimitée par des bornes'. C'est la propriété privée qui, selon toute vraisemblance, a régné dès le début de la civilisation hellénique. Comment a-t-elle pris naissance? On a émis l'hypothèse que c'était la religion qui lui avait servi de fondement'. Ce serait l'obligation d'avoir pour la sépulture des ancêtres une place immuable qui aurait assuré à chaque yivo; la possession exclusive d'un champ. H nous semble qu'il y a là une pétition de principe; le yévo; a dû établir le tombeau de ses ancêtres dans le champ qui lui appartenait déjà ; en réalité c'est l'occupation et le travail qui ont constitué la propriété foncière': il n'y a pas de raison de rejeter ces modes naturels de l'acquisition du sol à l'époque ancienne. Ajoutons d'ailleurs que la plus grande partie des propriétés date seulement des grandes migrations et des partages de terres qu'elles ont provoqués. En tout cas les lois civiles et religieuses ont assuré de bonne heure à la propriété foncière une protection sérieuse. L'habitude ancienne de prêter serment sur le foyer d'autrui indique quel respect l'entoure 3; les bornes des propriétés ont un caractère sacré, opot, Obi 6ptot et sont sous la protection spéciale de Zeus opto; et d'Hermès' [TERMINUS, IIERMES]; il est probable qu'à l'origine c'était à Athènes, comme à Rome, un sacrilège que de les déplacer; les prescriptions que renferment à ce sujet les lois de Platon correspondaient sans doute à la législation athénienne 80 ; dans les lois de Charondas, appliquées à Cos, il y avait une amende de 1000 mines contre toute incursion sur le terrain d'autruiS"; les lois de Dracon qui reproduisaient des coutumes antérieures punissaient de mort le vol des fruitsf2.
Quel a été au début le caractère de la propriété privée? S'est-elle présentée sous la forme de la propriété familiale ou sous la forme de la propriété individuelle ? Il se peut que la propriété ait été au début purement gentilice, c'est-à-dire que la corporation du yévo; ait possédé
collectivement la terre en en laissant la jouissance à ses membres de père en fils ; chaque yvo; occupait sans doute une portion délimitée du sol, car à l'époque historique, dans l'Attique plusieurs des dèmes de Clisthène, à Cos les anciennes divisions territoriales, les 7tupyot 13, à Tégée quelques dèmes 1. portent encore des noms patronymiques empruntés à d'anciennes familles. Mais ce régime de la propriété gentilice a disparu de très bonne heure, ne laissant comme débris que les biens sans importance que nous avons vus. La propriété s'est rapidement morcelée, nous ne savons comment, entre les différentes branches du yévo; et c'est en ce sens qu'on peut l'appeler familiale. Elle a les caractères suivants. Elle est d'abord strictement héréditaire; sur ce point il n'y a pas de doute; les témoignages abondent dès l'époque homérique l'. En second. lieu elle est inaliénable et ne peut sortir de la famille. Sur ce point les règles du droit primitif ont été fortifiées en beaucoup d'endroits par des prescriptions moins anciennes et purement politiques, établies par quelques législateurs pour maintenir à perpétuité un nombre à peu près immuable de familles et de propriétés; ainsi, d'après Aristote 16, en beaucoup de cités, particulièrement à Sparte '', la loi défendait de vendre
législateurs de l'Élide, Oxylos, avait interdit d'affecter la terre à la garantie des créances"; à Locres il était défendu de vendre son patrimoine sauf en cas de détresse dûment vérifiée; il y avait la même règle à Leucade"; à Corinthe Phidon s'était proposé de maintenir le même nombre de patrimoines et de citoyens 26. C'est sur le modèle des anciennes législations que Platon interdit, dans ses Lois 21, la vente du lot de terre. D'autre part le testament était inconnu dans l'ancienne Grèce ; il n'existe pas encore dans la loi crétoise de Gortyne et il n'a été introduit à Athènes que par Solon, à Sparte par la loi d'Lpitadée, postérieure à la guerre du Péloponèse 22 [TESTAMENTUM]. La femme ne pouvait pas non plus faire passer la terre dans une maison étrangère par son mariage, car à l'époque primitive il est probable qu'en principe elle ne peut rien posséder; sa dot, comme on le voit dans les poèmes homériques, est un simple don manuel qui ne consiste jamais qu'en bestiaux et en objets mobiliers et qui, après la rupture du mariage, revient à celui qui l'a constituée 23 [Dos]. Quant à l'héritage, la fille, incapable de continuer le culte du foyer et des ancêtres, en est en principe complètement exclue ; si donc il y a des enfants mâles, elle n'a rien à réclamer; c'est par une innovation tardive que la loi crétoise de Gortyne 24 donnera à la fille une demi-part virile ; s'il n'y a pas d'enfants mâles, la fille, alors épicière, se trouve dépositaire de l'héritage et doit épouser le plus proche parent ou le fils adoptif pour fournir un héritier qui puisse continuer la famille [EPIELERos]. Ce système de l'épiclérat paraît être une vieille institution de la race aryenne; il figure dans les lois de Manou 2' et dans celles de Charondas 26.
La propriété héréditaire est-elle indivisible? Il est difficile de répondre à cette question; en théorie les héritiers n'auraient dû être que des usufruitiers et les par
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tages n'auraient pas dû altérer l'unité du patrimoine ; on invoque, à l'appui de ce système, quelques arguments, mais peu probants ; d'après Aristote les membres de la famille s'appelaient dans les lois de Charondas, bp.ostauot et dans celles d'Épiménide de Crète bp.dxaavot, c'està-dire ceux qui mangent à la même table 2; mais ce texte n'a aucune portée. A Sparte, à l'époque historique, plusieurs frères vivaient souvent ensemble du revenu d'un seul lot resté indivis, ne prenaient quelquefois qu'une seule femme pour eux tous ; l'aîné était alors le chef de
la maison, ierrlo7 p.wv, les autres étaient ôi.i.dxautvot, c'est
à-dire du même foyer 3 ; mais cette situation ne se produisait évidemment que quand il n'y avait pas assez de lots pour tout le monde et d'ailleurs, à notre avis, loin de représenter le droit primitif, les institutions de Sparte représentent un droit artificiel, créé pour une situation spéciale. En Crète, d'après la loi de Gortyne, les exploitations rurales occupées par des serfs sont exclues du partage entre les fils 4; mais nous ne connaissons ni le sens ni le but de ce règlement. On trouve d'ailleurs de nombreux exemples du maintien de la communauté entre frères à l'époque historique, lorsque la loi autorise et ordonne le partage [HEHEDITAS]. D'autre part il y a dans les poèmes homériques, non seulement dans l'Odyssée, mais encore dans les parties les plus anciennes de l'Iliade et aussi dans Hésiode des exemples indiscutables de partages entre frères, ou, à défaut de fils, entre collatéraux (zr,posc-rxî ) 6. Si donc la propriété a été indivisible au début, elle a perdu ce caractère, au moins dans la plupart des villes, dès l'époque homérique. Il a dû en être de même du droit d'aînesse. Il se peut que primitivement le fils aîné ait eu, sinon comme dans l'Inde6, la possession, au moins l'administration exclusive du patrimoine et que les cadets, pour jouir d'une fortune indépendante, aient dû, soit émigrer dans une colonie, soit entrer par adoption dans une autre famille ou épouser une fille épicière ; mais de bonne heure le droit d'aînesse a disparu ; dans les poèmes homériques nous ne trouvons qu'une supériorité morale en faveur de l'aîné à qui obéissent les Érinnyes'1 ; plus tard le fils aîné jouit encore dans certaines villes de privilèges politiques qu'on verra, et à l'époque historique, à Athènes, il reçoit généralement, dans l'héritage, par le testament du père, un préciput (apeeGOua) et porte le nom de l'aïeul paternel 2.
Nous avons donc trouvé le système de la propriété familiale, mais nous avons constaté en même temps que dès l'époque homérique elle est déjà très voisine de la propriété individuelle. Cette évolution était naturelle. L'esprit d'indépendance, l'amour du bien-être, le développement rapide du commerce, de l'industrie et par suite de la richesse mobilière, l'antagonisme politique du yévoç et de l'État, la fondation de nombreuses colonies grecques, pourvues de constitutions plus libérales que celles des métropoles, voilà quelques-unes des raisons qui hâtèrent l'émancipation de l'individu et la décadence de l'ancien régime familial; elle fut complète lorsque le
fils de famille put avoir des biens propres et lorsque le père put disposer librement des siens. Nous ne savons pas à quelle époque apparaît le pécule; les textes homériques 9 où on a cru trouver des pécules composés de biens meubles ne sont pas probants; mais déjà, dans la loi de Gortyne 10, les enfants ont des biens propres, meubles et immeubles. A l'égard du père, il est probable qu'une distinction s'établit d'assez bonne heure entre son patrimoine héréditaire, le xai)ooç, et ses acquêts, par exemple les terres nouvellement défrichées; nous n'avons pas de textes pour l'époque primitive 11; la distinction existe à Sparte, mais nous ne savons depuis quelle époque 12 ; on put sans doute de bonne heure aliéner les acquêts et les pécules f3; l'autorisation d'aliéner les biens patrimoniaux fut le dernier pas : quand le fiton? Nous ne savons pas exactement. Il n'y a pas encore dans Homère de contrat de vente foncière ; mais Hésiode parle des dettes et de l'achat d'un champ 14, et il est question de la vente des immeubles dans les lois de Charondas 16 ; toutefois l'opinion publique restreignit encore longtemps la liberté de l'individu en traitant avec défaveur l'aliénation des biens paternels, en la considérant comme un gaspillage immoral. A Milet" le citoyen qui avait commis cette faute était enseveli hors de sa patrie ; à Athènes la tribune lui était interdite" et peut-être même pouvait-il être atteint par une accusation publique
restriction la vente du patrimoine était soumise à Locres et à Leucade. Sparte continua à défendre absolument la vente du lot primitif de l'âpyaïa p.oïpa 19. D'autre part le père n'eut jamais pleine liberté testamentaire que quand il ne laissait pas d'enfants légitimes, naturels ou adoptifs, et même dans ce cas le testament ne désignait jamais d'héritier en dehors de la famille [TESTAMENTUM]. Le système successoral de l'époque historique, tout en consacrant le triomphe du principe individualiste, maintient cependant autant que possible le patrimoine dans la famille par l'adoption, l'épiclérat et la supériorité de la ligne masculine sur la ligne féminine 20. A Athènes les héritiers ab intestat sont d'abord les descendants directs jusqu'aux arrière-petits-fils 21; c'est la vieille institution aryenne, la famille sapinda des Hindous 22; à défaut de descendants directs, la loi appelle les collatéraux paternels, d'abord les frères consanguins et leurs descendants jusqu'aux petits-neveux et aux petites-nièces du défunt"; puis les soeurs et leurs descendants jusqu'au même degré; enfin les oncles, tantes, cousins germains et fils de cousins germains du défunt, d'abord ceux du côté paternel, puis ceux du côté maternel" : cet ensemble d'héritiers forme le cercle de l'yzEcrTz a qui est exactement le même ici que pour le droit de vengeance et les funérailles. Il se divise en deux ordres de parents successibles, les parents par le père et les parents par la mère; le système successoral ne repose donc pas sur l'agnation, ruais sur la cognation. S'il n'y a dans aucune des deux branches de parent successible jusqu'à la troisième géné
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ration, on revient à la branche paternelle, aux parents les plus proches par le bisaïeul, le trisaïeul; à défaut de ces parents nous ne savons pas quel moyen on devait employer pour continuer la famille. A Gortyne les biens échoient en pareil cas' au xnxpoç, c'est-à-dire sans doute aux colons du domaine patrimonial : mais à quel titre? la loi ne le dit pas. A Athènes l'archonte éponyme devait, comme on l'a vu, empêcher l'extinction des familles 2, mais on ignore par quel moyen; on a conjecturé, mais sans preuve 3, qu'on choisissait dans la phratrie du défunt un citoyen chargé de continuer son culte familial; la ressource de l'adoption devait rendre d'ailleurs ce malheur assez rare : mais, en tout cas, il n'y a aucune trace d'un droit de succession au profit du yévo; en l'absence d'héritiers.
7° Le yévo; (ou la 7sxTpx) a été la première forme de société, le premier organisme politique; il y a eu sans doute une très longue période pendant laquelle les hommes n'ont pas connu d'autre groupement. C'est ce qu'avaient déjà reconnu avec raison les historiens et les philosophes anciens4. La réunion d'un certain nombre de ' v7) a formé la cité, 7dnt;. Quels ont été les rapports primitifs du y€vos avec les deux autres divisions fondamentales de la cité hellénique, les phratries et les tribus? Il se peut que la phratrie n'ait été au début que le yvoç dans sa plus large extension 6 et ainsi s'expliquerait la synonymie qu'on trouve à l'époque historique entre les mots pp«Tp(a et auyyéVEta qui désignent la même division politique 6. Mais de bonne heure la phratrie a été l'association de familles sinon apparentées par le mariage, comme l'indique une définition de Dicéarque', en tout cas réunies par un culte commun [PHRATRIA] 8. Il se peut aussi qu'originairement il y ait eu un rapport de parenté entre les membres de la tribu, yu)o ; mais à l'époque historique les tribus ne sont plus que les races qui composent l'État, ou, s'il n'y en a qu'une, ses divisions politiques [TRIBUS]. L'organisation militaire a peut-être reposé au début sur le yévo; : l'armée homérique paraît rangée par races et par familles 6.
8° Tous les hommes libres faisaient évidemment, au début, partie des yV•r1 ; mais l'organisation gentilice qu'on a vue suppose un esprit de suite, un attachement aux traditions et surtout des ressources pécuniaires qui ne pouvaient se rencontrer partout : aussi n'a-t-elle subsisté que dans les familles les plus riches, les plus disciplinées; elle a disparu de très bonne heure dans les pays doriens: inversement elle a été donnée dans quelques villes aux familles des conquérants ou des colons. C'est ainsi que les yi'n représentent une partie essentielle de l'aristocratie, de la noblesse primitive ; leur histoire est jusqu'à un certain point l'histoire même des cités helléniques depuis les origines jusqu'à l'établissement des gouvernements démocratiques. Nous ne la connaissons malheureusement dans le détail que pour Athènes [EUPATRIDES], mais on peut appliquer à la noblesse des autres
pays les traits généraux qui caractérisent les Eupatrides, en faisant toutefois celte remarque que dans beaucoup d'aristocraties il n'y a pas ou plus de yiv7i, mais seulement de simples familles nobles.
La puissance de cette noblesse repose essentiellement sur la propriété foncière ; dans Homère et dans Hésiode, sa richesse consiste surtout en biens-fonds et en bétail"; les Eupatrides, en Attique, ont accaparé presque tout le sol; les i7r7roÔdr24t de Chalcis, les nobles de l'Élide, deLeucade, colonie de Corinthe, de Thurii, de Mantinée, de Samos, les yswti.deot de Syracuse sont également de grands propriétaires fonciers 11. Nous avons vu comment la législation maintenait la propriété foncière dans les anciennes familles. Il n'est pas vraisemblable que les nobles aient eu jamais le droit exclusif de posséder seuls la terre; dans Homère tous les citoyens paraissent avoir des terres et une maison f 2 ; mais en fait les conditions économiques et sociales permettent aux nobles d'accaparer le sol pendant longtemps. Si au début ils ont résidé sur leurs champs, de bonne heure ils se sont établis dans les villes, sauf dans quelques régions, telles que l'Élide, l'Arcadie, l'Épire où la vie rurale continue à prédominer; dès l'époque homérique, les grands propriétaires habitent surtout la ville et ne vont à leurs champs que pour surveiller les principaux travaux ; il ne reste guère à la campagne qu'une partie des petits propriétaires, les ouvriers agricoles et les esclaves13. Les nobles dédaignent en général le commerce et l'industrie, sauf à Corinthe 14
L'histoire de la noblesse montre, en général, les mêmes phases qu'à Athènes : chez Homère, les nobles forment
une classe importante (âptrri~Eç, àyzOo(, yipov7Eç)15, qui se
distingue par la naissance, la fortune, le courage; dans l'assemblée générale du peuple, à laquelle prennent part tous les hommes libres, tous les soldats 16, les nobles inspirent le respect et la crainte aux assistants, prennent la parole. Dans l'Iliade, ils sont encore subordonnés à la royauté, tout en limitant et en contrôlant son pouvoir [REx]; comme l'indiquent les épithètes de
affaires publiques avec le roi qui est tenu d'écouter leurs conseils, tout en ayant le droit de les rejeter 18; le roi les convoque, généralement dans sa maison ou sa tente, après le repas public, pour les consulter, leur faire jurer les traités, offrir des sacrifices aux dieux 19 ; il les choisit ordinairement en petit nombre 20, mais il se peut qu'à une époque antérieure tous les chefs des yév-r( aient fait partie du conseil royal. Enfin les nobles servent souvent de juges et d'arbitres et c'est parmi eux que se recrutent les serviteurs particuliers du roi, les 0e.pâ7rovTEç qui l'assistent en guerre et en paix 27. Dans les parties les plus récentes de l'Iliade, mais surtout dans l'Odyssée, les nobles ont déjà considérablement élargi leur pouvoir aux dépens de la royauté ; à Ithaque, il y a une corporation de nobles qui descendent de Zeus comme le roi, s'appellent (321tn-i(E; et peuvent même aspirer au trône ;
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ils ont chacun un sceptre (5-x7l7rTOÛ/.ot), reçoivent du peuple la dotation appelée ypaç qui peut passer à leurs enfants 1. A Schéria ces nobles sont au nombre de douze 2. Tandis que dans les anciennes parties de l'Iliade, les mots âyopâ. et (3ou),-e désignent tous deux la réunion générale du peuple 3, le mot 3ou),~ s'applique exclusivement dans l'Odyssée et dans les parties récentes de l'Iliade à l'assemblée des grands '; c'est un nouveau corps, le sénat aristocratique qui va devenir le principal organe de l'État. La domination politique de la noblesse grandit par la puissance militaire ; pouvant seule nourrir et équiper des chevaux, elle fournit le principal élément des armées antiques, la cavalerie ; Aristote constate' que les oligarchies se sont établies et maintenues de préférence dans les pays qui avaient une nombreuse cavalerie en citant Érétrie, Chalcis qui avait ses i t7roc6=, Magnésie et Méandre, beaucoup de villes d'Asie ; on peut ajouter à cette liste la Thessalië, Colophon, les villes crétoises qui avaient leurs corps d'@7trrei; 6. La classe des 17rnsi; qui figure encore à Athènes dans la constitution de Solon et le corps d'élite du même nom qu'il y a dans l'armée lacédémonienne attestent aussi l'importance primitive de la cavalerie aristocratique [EQUITES]. La noblesse tire également profit de l'extension de la classe servile. D'une part, en effet, sa clientèle agricole s'est augmentée de tous ces petits propriétaires que les dettes mettent à sa discrétion [EUPATRIDES] ; d'autre part la conquête, surtout dorienne, en créant les différentes catégories d'hilotes que nous connaissons [mLOTES], et en les astreignant à la culture de la terre pour le compte de leurs maîtres, affranchit en beaucoup de pays, à Sparte, en Crète, à Syracuse, les citoyens riches de toute préoccupation matérielle et leur permet de se consacrer entièrement à l'administration de la cité
ainsi que cette aristocratie, soit de naissance, soit d'argent, ait pu gouverner les cités helléniques pendant plusieurs siècles jusqu'à l'époque des guerres Médiques.
Nous trouvons partout d'abord une période de lutte entre la noblesse et la royauté ; les nobles réussissent de différentes manières, quelquefois comme à Milet.' par l'intermédiaire d'un législateur, d'un aiaup.virTrç, à affaiblir, puis à supprimer presque partout la royauté, à différentes dates [EUPATRIDES, p. 861, col. 1].
Dans les aristocraties qui succèdent à la royauté, qu'elles soient composées de familles indigènes ou bien qu'elles comprennent essentiellement les descendants des fondateurs et des conquérants, dans les colonies et dans les États issus d'une conquête 8, le régime politique prend les formes les plus diverses ; Aristote en distingue quatre 9, mais il y en a beaucoup d'autres. En général, le corps des citoyens actifs ne comprend plus tous les hommes libres, comme à l'époque homérique, mais seulement une élite. Parfois il y a un nombre fixe de familles
dont les chefs seuls exercent le gouvernement : on trouve cette forme dans l'Ilade primitive, à Thèbes, en Thessalie, à Corinthe où les Bacchiades ne se marient qu'entre eux et où il faut être issu de deux Bacchiades pour avoir les droits politiques complets, à Istros, à Héraclée, à Cnide 1Q. Ailleurs les familles qui ont la fortune nécessaire fournissent, nous ne savons comment, un nombre fixe de citoyens de droit complet : tels sont les Mille d'Opus, pris peut-être parmi les cent familles dont parle Polybe11, de Cumes, de Colophon, de Crotone, de Locres, de Rhégion12; les Six-Cents d'Héraclée du Pont où ils rempla cèrent une aristocratie plus étroitef3; les cent quatrevingts à Épidaure".
Dans d'autres villes le corps politique comprend les familles qui ont une certaine fortune en nombre indé terminé ; c'est sans doute le cas à Naxos, à Épidamne, à Sybaris, à Cumes de la Grande-Grèce, à Marseille 15. A Mantinée une partie des citoyens, à tour de rôle, est appelée à nommer les magistrats t6. Les aristocraties primitives se transforment d'ailleurs presque toutes graduellement en timocraties et le corps politique s'ouvre peu à peu aux citoyens qui possèdent une certaine for tune, qui peuvent servir dans la cavalerie ou même simplement dans les hoplites. Sauf pour Athènes et Sparte, nous sommes obligés pour presque tous les autres pays de reconstituer les institutions de la période aristocratique avec les' débris qui en subsistent postérieurement. Les principaux sénats aristocratiques con nus sont : à Marseille les 600 'rt.tovyot, élus à vie, pris dans les familles riches qui ont le droit de cité depuis
au moins trois générations 17 ; à Cnide les 60 E,.vi,ti.ovES18; à Épidamne les péaapyot 19 ; à Élis la au.tropy(z qui subsiste
à côté du nouveau sénat des Six-Cents; à Argos les Quatre Vingts20; dans les villes crétoises, les sénats de yipov'reç, les anciens roaf,.ot, élus à vie 21; à Crotone un sénat du même genre 22. Les magistrats aristocratiques se recrutent généralement dans un petit nombre de familles nobles ; c'est le cas par exemple à Sparte, à Athènes, en Crète, en Thessalie 23; souvent une famille ne peut fournir comme candidats que son chef ou le chef et le fils aîné : ce fut d'abord le cas à Istres, à Héraclée, à Cnide, à Marseille où les fils cadets durent conquérir par la force l'accès aux magistratures2"; à Abydos23 ils sont pris dans les groupes appelés hétairies (irat(iEat).
Les noms de ces magistratures indiquent généralement la compétence générale qu'elles avaient avant qu'on ne les eût démembrées au profit des magistratures nouvelles des époques postérieures. A celles qui ont été énumérées ailleurs26, ajoutons : l'âpyd; ou le 7rpoa.CxTaç à
les Tayol de la Thessalie 30, le xvqi.cîr:oXL; de Locres", les Éphores [éPnoRol], les Ouspo. de Mantinée et de Tégée 32, le magistrat que dans les petites localités de l'Élide
désigne la périphrase 6p 11.ire,rev Tao; Ézot u, les 7rp66ouaot
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établis à Corinthe après la chute des Cypsélides 1.
La domination de l'aristocratie fut en général très dure pour les classes inférieures ; les plaintes d'Hésiode 2 sont confirmées par la Politique d'Aristote', et par ce que nous savons de l'histoire des Eupatrides dans l'Attique. Aussi partout le peuple entama contre les nobles une lutte qui se termina par leur défaite. Il se composait d'éléments très divers. Dans chaque ville les citoyens libres qui n'avaient pas conservé l'organisation gentilice avaient été plus ou moins réduits à la condition de citoyens de droit inférieur; en second lieu il y avait eu de tout temps, dès l'époque homérique, des étrangers, fugitifs, aventuriers, artisans. Enfin il y avait les descendants des anciens clients, affranchis de la tutelle de leurs patrons. Ces hommes, privés de droits politiques, possèdent maintenant une partie des terres, soit qu'ils les aient défrichées, soit qu'ils les aient acquises des familles nobles ; un grand nombre se sont enrichis par l'industrie, le commerce terrestre ou surtout maritime, sources de revenus que dédaigne l'aristocratie. La plèbe a ainsi créé à son profit la richesse mobilière qui circule sans formalités et qui contre-balance maintenant la richesse foncière. Il n'est donc pas étonnant que, se sentant forte, elle ait réclamé non seulement des lois écrites et des garanties sérieuses contre la noblesse, mais une part dans le gouvernement. Nous n'avons pas à étudier la série de révolutions qui du vile au ve siècle, amènent l'entrée de la classe inférieure dans la cité et abattent l'ancienne aristocratie 4.
Le yvos, qui avait été le soutien de la noblesse dans la plupart des villes grecques, fut entraîné dans sa ruine ; la formation de l'État, de la Tets, l'avait déjà considérablement affaibli ; il y avait incompatibilité entre le yvos et l'État ; la hiérarchie patriarcale, le pouvoir du chef de famille ne pouvaient résister longtemps à la concurrence de l'autorité politique ; la constitution du y€vos reposait sur un ensemble de croyances et d'institutions que le développement de l'esprit humain et de la civilisation devaient peu à peu ruiner. On a vu aboutir la lente désagrégation du 'ivo; à la famille simple et à la propriété individuelle : il a résisté beaucoup plus longtemps comme corporation politique et religieuse ; aussi quand le parti populaire est victorieux, son premier soin est de créer de nouveaux cadres, de nouveaux groupes pour achever de détruire l'importance politique des anciennes familles. Nous ne connaissons ces modifications en détail que pour Athènes [EUPATRIDES, p. 858]; mais elles eurent lieu en d'autres villes; Aristote y fait allusion quand il recommandes aux réformateurs du parti démocratique l'établissement de nouvelles tribus, de phratries plus nombreuses, la réduction des cultes particuliers à un petit nombre de cultes communs.
C'est peut-être à la suite d'une mesure de ce genre qu'à Cos, à Thasos, à Olymos, à Labranda, les y€v-n et les 7A:reat sont devenus des divisions politiques où on range tous les citoyens 6. A l'époque historique, les yb.'i jouissent encore du prestige de l'ancienneté; Pindare, par exemple, ne manque pas de faire l'éloge de la famille de
ses héros; à Égine seulement il nomme les Midylides, les Théandrides, les Euxénides, les Blepsiades, les Chariades, les Balychides. Les ysvr conservent les biens, les droits corporatifs, les cultes et les sacerdoces que nous avons étudiés. Cu. LÉcmvAIN.
ROME. Le mot gens est dans la langue latine l'équivalent du mot yévoç dans la langue grecque; comme la racine gen et les mots dérivés gignere, genitor7,il renferme l'idée de procréation et de filiation ; il signifie, comme en Grèce, l'ensemble des personnes issues d'un ancêtre commun. C'est le lien du sang qui réunit les membres de la gens, gentiles, gentilitas; la gens est à Rome et chez les peuples italiotes le même groupe naturel que nous avons vu en Grèce, d'abord une seule souche, puis l'ensemble des branches qu'elle produit. Ce n'est ni l'oeuvre d'un législateur ni une association purement politique. Niebuhr 6 y a vu à tort un organisme artificiel, en interprétant faussement le texte où Denys d'Halicarnasse dit que Romulus avait divisé la population de Rome en 3 tribus, 30 curies, 300 gentes, 3000 familles. Cette hypothèse a contre elle tout ce que nous savons de la gens et les définitions des auteurs anciens, en particulier de Festus et de Varron 10.
Dès les origines, les rapports qui unissent les membres des différentes branches de la gens diffèrent évidemment des rapports qu'il y a entre les ascendants et les descendants de la même branche, ou, pour parler plus exactement, entre les ascendants et les descendants qui peuvent normalement se trouver en présence, c'est-à-dire, entre quatre générations successives, du bisaïeul à l'arrière-petit-fils 11. Ce groupe des quatre générations n'a pas eu à Rome le même rôle que le cercle de l'âyxtatiEix en Grèce ; la parenté naturelle s'y est effacée derrière la puissance du chef de famille; néanmoins il a dû falloir distinguer dès l'époque la plus reculée le droit gentilice qui régit toute la gens, et le droit familial qui régit spécialement les représentants des quatre générations dans chaque branche. A l'époque historique, aux débuts de Rome, la gens, tout en ayant gardé plusieurs de ses traits principaux, a déjà subi une série de transformations et de démembrements; elle fait partie d'un organisme politique, elle comprend généralement un certain nombre de familles, pourvues chacune de leur chef, presque indépendantes les unes des autres et qui ne sont plus guère reliées que par la communauté de nom, de culte et d'intérêts politiques. Elle n'a plus de véritable chef, elle n'a plus de personnalité juridique ; le droit gentilice est réduit à quelques débris, tandis que le droit familial a atteint son complet développement. Nous avons donc à rechercher, au moyen des vestiges qui en restent, quelle a dû être l'organisation primitive de la gens.
Elle repose à Rome comme dans la Grèce sur la religion domestique et la parenté naturelle. La religion domestique consiste essentiellement dans le culte du foyer qui a les mêmes caractères qu'en Grèce; la maison et la cour sont entourées par une enceinte (tlerclum), au dehors de laquelle doit se trouver un espace vide de deux pieds et demi (ambitus) qui est consacré aux dieux domesti
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ques 1 ; au milieu de l'enceinte, dans la salle commune qu'il noircit de sa fumée (atrium) se trouve le foyer sur lequel brûle le feu sacré 2; il doit être alimenté avec certains bois 3, rester toujours pur 4 ; le ter mars, chaque famille doit éteindre son feu et le rallumer aussitôt d'après certains rites, aux rayons du soleil ou par le frottement de deux morceaux de bois 5. Ce culte rendu au foyer s'est confondu, comme en Grèce, avec le culte de Vesta [VESTA], sans perdre cependant son caractère particulier : c'est une sorte de dieu bienfaisant qui protège la famille 6, que l'homme invoque à son retour', qui préside aux repas et qui en reçoit les prémices 8 ; dans les prières aux dieux, la première adoration est pour Vesta qui n'est autre ici que le foyer Il y a en outre un lien étroit entre le foyer et les dii Penates [PENATES]; les images de ces divinités ont sans doute été placées primitivement au foyer même; les auteurs anciens confondent souvent le foyer et les Pénates 10. Le culte du foyer ne doit jamais être interrompu, car il représente la continuité de la famille 11; encore à l'époque historique le soldat est autorisé à ne pas répondre à l'appel pour célébrer un sacrifice anniversaire 12, et l'introduction des nouveau-nés dans la famille se fait par une cérémonie qui a lieu pour les garçons le neuvième jour, pour les filles le huitième après leur naissance (dies lustricus) et qui consiste essentiellement à les promener autour de l'autel domestique et à leur donner ensuite leur nom individuel, le praenomen 13 ; c'est pour la même raison qu'il y a deux choses liées dans les croyances comme dans les lois, les sacra et la propriété d'une famille et que primitivement l'héritier est avant tout le continuateur du culte du défunt 14. A l'époque historique il y a naturellement autant de foyers, autant de cultes domestiques que de branches dans chaque gens.
En second lieu, parmi les devoirs généraux que la parenté naturelle impose aux enfants à l'égard de leurs ascendants, il y a l'obligation de leur rendre les honneurs funèbres et d'entretenir le culte de leurs tombeaux. Chaque gens honore exclusivement ses morts, les enterre dans son tombeau qui primitivement se trouve placé dans son champ 15, parfois sans doute près de la maison d'habitation ; ainsi le tombeau de la gens Valeria était situé auprès de la colline Velia 16, celui de la gens Claudia sur le Capitole, celui des Fabii sans doute sur le Quirinal"; à l'époque historique, dans la vente du terrain, la famille garde le droit de passage pour aller au tombeau. Tous les membres de la gens ont droit à une sépulture commune 18 ; puis chaque branche se construit le sien : nous savons par exemple qu'il n'y eut qu'un seul tombeau pour tous les Cornelii Scipiones avant la séparation des Scipiones Nasicae et des Scipiones Asinae, qui eut lieu au vie siècle de Rome 19. Le mode de sépulture est fixé par la gens ; ainsi la gens Cornelia n'adopta la
crémation que vers l'époque de Cicéron20. Théoriquement le culte des morts et du tombeau s'étend jusqu'aux ancêtres les plus lointains, jusqu'au fondateur de la gens et il revêt deux formes, l'une abstraite, l'autre concrète. La forme abstraite s'adresse à la personnification divine du premier ancêtre, au Lar familiaris, appelé aussi Genius Natalis 21 [LARES], et aux génies des autres défunts réunis sous le nom générique de dii Manes [MANES] ; toutes ces divinités ont les tombeaux pour temples 22; mais en même temps elles sont aussi domestiques, elles ont aussi leur sanctuaire dans la maison, à l'autel du foyer, elles protègent toute la propriété23; il s'est donc établi naturellement une association étroite, signalée par tous les auteurs anciens, entre ce culte abstrait des morts et le culte du foyer24; il est inutile de supposer avec Servius 25 que si on honorait dans les maisons les Lares et les Pénates, c'était parce qu'on y avait enseveli autrefois les morts. Le culte concret s'adresse tantôt au héros lui-même, fondateur réel ou fabuleux de la gens, tantôt quand son souvenir ou sa légende a disparu, à une divinité à laquelle les maisons patriciennes et même plus tard des maisons plébéiennes essayent de se rattacher, tantôt à la fois au héros et à la divinité dont la légende le faisait fils ou descendant ou simplement prêtre ou favori. Nous connaissons plusieurs de ces héros,tirés pour la plupart de la légende troyenne, Calpus, fils de Numa, pour la gens plébéienne Calpurnia26; Attus Clausus pour la gens Claudia 2T ; Caeculus, fondateur de Préneste ou Caecas, compagnon d'Énée, pour la gens Caecilia, sans doute plébéienne ; Cloelius, compagnon d'Énée et Aemylon, fils d'Ascagne, pour les Cloelii et les Aemilii 28; Julus, fils d'Énée et de Vénus, pour les Julii qui, pour cette raison, se constituèrent en collège à l'époque de César pour desservir le culte de Vénus Genetrix 29 [SODALITAS] ; Nantes, un Troyen qui avait porté à Rome la statue de Minerve, pour les Nautii qui conservèrent le culte de cette déesse 30. La gens Sempronia se rattacha à la déesse Fortuna dont elle a encore le culte à l'époque historique 31 ; deux familles, les Pinarii et les Popilii choisirent des héros féminins, Pinaria, la soeur de Pinarius, le premier prêtre d'Hercule, dont le culte resta aux Pinarii, associés avec les Potitii, et Popilia 32. Nous ne savons par quel intermédiaire les Aurelii, plébéiens originaires de la Sabine, prétendaient se rattacher au dieu Sol dont ils continuèrent à" desservir le culte à Rome n ; les cultes de Juno Sororia et de Janus Curiatius, dans la gens Horatia se rattachent évidemment à la légende du combat des Horaces et des Curiaces. Quelques familles ont la mission officielle d'entretenir des cultes qui ont appartenu à des villes soumises 34 ; ainsi les Julii adorent à Bovillae Vediovis, sans doute une ancienne divinité d'Albe 35. Quelques cultes relèvent à la fois d'une gens et de l'État; ainsi après la disparition sans doute
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légendaire des Potitii, c'est le préteur urbain qui offre les sacrifices à Hercule de concert avec les Pinarii' ; le culte expiatoire des Horatii au Tigillum sororium est aussi d'intérêt public 2 : enfin l'État a confié quelques cultes publics à des gentes, par exemple le culte de Faunus Lupercus aux Quinctii et aux Fabii qui ont leur culte domestique sur le Quirinal3 [LurERci]. Les cultes purement gentilices ont un caractère privé ; les auteurs anciens les opposent constamment aux cultes publics 4. Chaque gens est donc une sorte de corporation religieuse qui a ses fêtes (feriae) ses cérémonies, ses sacrifices, ses formules de prières qui sont tenues secrètes autant que possible5 ; le prêtre est le chef de la gens, qui organise le culte d'après ses traditions, à des endroits consacrés 6 souvent dans sa maison ; à l'époque de Cicéron, plusieurs gentes célébraient encore leurs sacra gentilicia dans une chapelle de Diane sur le Coelicule ' C'est un crime capital que de négliger le culte gentilice 8 ; de nombreuses anecdotes nous montrent avec quelle rigueur et quelle ponctualité les Romains primitifs s'acquittaient de cette partie de leurs devoirs religieux 9. Dans la discussion de la loi Canuleia le principal argument des patriciens contre les mariages mixtes fut qu'on ne saurait plus à quel culte appartiendraient les enfants 10; la cessation d'un culte gentilice est un malheur public; Cicéron reproche encore à Clodius de mettre fin au culte de sa gens, dont il est le dernier représentant, en se faisant adopter par un plébéien "
Le double culte du foyer et des morts atteste donc à Rome comme en Grèce l'unité primitive de la gens ; tant que cette unité a duré, il n'y a eu pour chaque gens qu'un seul culte domestique et un seul culte gentilice ; après le morcellement il faudra distinguer les cultes domestiques des différentes familles et le culte gentilice qu'elles gardent en commun. Ces cultes qui ont pour premier caractère d'être perpétuels, ont pour second caractère, à Rome comme en Grèce, de ne pouvoir se transmettre que de mâle en mâle. Il en est résulté des conséquences importantes pour la constitution de la gens et de la famille. Il importe d'éviter l'extinction d'une gens et d'une famille, puisque c'est en même temps l'extinction d'un culte et d'un foyer. Aussi les lois comme les croyances religieuses font-elles primitivement une obligation du mariage; Denys d'Halicarnasse cite à ce sujet une loi royale qui représente le plus ancien droit12 ; et à l'époque historique les censeurs ont encore la mission de proscrire le célibat, infligent des peines aux célibataires f3 [cENSOR]. Le mariage a pour but la procréation des enfants, liberorum quaerendorum causa; sur ce point les textes abondent 84 ; la polygamie est interdite : la femme qui vit avec un homme marié est une pellex, à qui une ancienne loi, attribuée à Numa, interdit de toucher à l'autel de Juno Lucina, sous peine d'offrir à cette déesse un sacrifice expiatoire 15. Le divorce est probablement un droit, peut-être même une obligation à l'égard
de la femme stérile 16 ; cependant la stérilité ne figure pas dans les causes de divorce qu'énumère la prétendue loi de Romulus17. C'est également en vue de la prolongation de la famille qu'une loi royale défend d'ensevelir une femme morte enceinte avant d'avoir extrait l'enfant 13. C'est la même raison qui a donné naissance à l'adoption. Elle a dû offrir plusieurs formes dans le droit de la gens et de la famille patriciennes. L'adoption testamentaire que nous ne constatons qu'à la fin de la République a dû être à Rome, comme en Grèce, la forme primitive du testament; le fils adoptif a dû être chargé de continuer le nom et les cultes ; mais malheureusement nous n'avons aucun renseignement sur ce point [ADOPTIO TESTAMENTARIA]'9. L'adoption entre vifs nous apparaît d'abord sous la forme de l'adrogation qui a pour but de faire passer un citoyen sui juris sous la puissance d'un chef de famille appartenant à une autre gens, qui n'a pas d'enfants et qui ne peut, en raison de sou âge, espérer en avoir [ADROGATI0]. Elle doit procurer à ce dernier un continuateur de son nom et de son culte gentilices. Elle a par conséquent de graves conséquences ; l'adrogé transmet son culte domestique à l'adrogeant et change de culte gentilice. C'est pour cette raison qu'à l'époque historique les pontifes doivent examiner tout projet d'adrogation, voir si l'adrogeant ne se propose pas surtout de profiter de la fortune de l'adrogé, si ce dernier ne doit pas déchoir en entrant dans une gens inférieure à la sienne, si son adrogation ne risque pas d'éteindre le culte de sa gens 20 C'est seulement quand les pontifes ont émis un avis favorable que l'adrogation est soumise aux comices curiates. La dernière formalité qu'entraîne, au point de vue religieux, le changement de gens, est la renonciation de l'adrogé à son culte gentilice, la detestatio sacrorum qui a lieu par une déclaration solennelle dans
les comices calates°l [DETESTATIO SACRORUM]. L'adroga
tion, telle que nous la connaissons, suppose déjà le morcellement de la gens en plusieurs familles, puisqu'elle exige un citoyen sui juris qui ne soit pas le chef de sa gens : elle prouve d'autre part que les gentes s'éteignent assez vite puisqu'on doit avoir recours à un citoyen d'une famille étrangère pour continuer le culte gentilice. Elle ne s'applique, dans nos textes, qu'au citoyen sui filais : le patricien ne pouvait-il donc pas primitivement adopter un fils de famille ? Les formalités compliquées de l'adoption classique paraissent lui assigner une origine relativement récente 22 et il se peut qu'elle n'ait été créée qu'en vue des plébéiens [ADOPTIO] ; mais on admettra difficilement que les patriciens n'aient pu au début adopter entre vifs un fils de famille : c'était le moyen le plus facile de continuer à la fois une famille et une gens, sans risquer d'éteindre une autre gens ; pourquoi s'en serait-on interdit l'usage? Il est donc probable que les patriciens ont pu s'en servir. mais nous ignorons absolument sous quelles formes et sous quel contrôle. En tout cas, à l'époque historique, les patriciens utilisent l'adoption entre
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vifs qui produit les mêmes effets que l'adrogation ; l'adopté porte le nom gentilice et le prénom de l'adoptant en y ajoutant un cognomen en anus, tiré du nom de son père naturel [ADOPTIO]. On vit même aux derniers siècles de la République des patriciens adopter des plébéiens t; mais comme il fallait l'approbation des pontifes, il n'y eut peut-être pas d'exemples de ce fait avant la loi Ogulnia (de 300 av. J. C.) qui fit entrer une moitié de membres plébéiens dans le collège des pontifes. Inversement un patricien put être donné en adoption à un plébéien
Nous avons une image affaiblie, mais exacte de l'organisation de la gens avant son morcellement dans l'organisation de la famille à l'époque historique; dans son sens primitif de propriété, comprenant les hommes et les choses 3, le mot familia a dû s'appliquer à la gens, avant de désigner improprement la branche, la famille simple 1 ; le pater familias que nous connaissons reproduit évidemment les traits, exerce les pouvoirs de l'ancien chef de la gens. Groupons nos renseignements autour de ce personnage. Le mot pater, tiré de la racine pa G, contient., comme le mot potestas, l'idée non pas de la paternité, mais de la puissance, de l'autorité protectrice ; il peut se dire d'un homme qui n'a pas d'enfants, d'un impubère; c'est en ce sens qu'il est appliqué aux dieux dans les formules religieuses : Jupiter, pater hominum deorumque.
Retenons ce double caractère de puissance et de protection. L'unité de la famille est représentée par la puissance du pater familias sur tous les membres. Ulpien dit avec raison : « Pater familias appellatur qui in domo dominium habet G n. Cette puissance s'exprime juridiquement par le droit qu'il a de reprendre par la force ce qui lui appartient et qui est contenu dans la vindicatio primitive [vINDICATIO] 7. Le mot manus paraît avoir été l'expression symbolique de ce pouvoir général ; il se retrouve dans les mots mancipium, manumissio; quoiqu'il n'y ait à proprement parler ni puissance paternelle ni puissance maritale, il s'est décomposé naturellement dans la suite des temps en un certain nombre de pouvoirs qui ont reçu des noms différents, manus au sens étroit par rapport aux femmes de la famille, patria potestas, par rapport aux enfants et petits-enfants, dominium par rapport aux choses. Ce pouvoir général est issu du droit coutumier antérieur à la fondation de Rome et il a été fortifié par le droit nouveau, le jus Quiritium dont ce dernier événement a amené la création. Le principal caractère de la puissance du pater familias à Rome, c'est que, contrairement à ce qu'on a vu en Grèce, elle dure pendant toute sa vie; le fils de famille est toujours mineur, quels que soient son âge et son rang ; il n'a la capacité qu'en droit public. D'après une théorie nouvelle 3, les pouvoirs du chef de famille comme père (pater) viendraient du droit coutumier et ses pouvoirs, comme maître, du jus Quiritium; il y aurait par suite à distinguer deux groupes, la familia et la domus, la familia
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comprenant les personnes associées au même culte et protégées par le même père, la domus comprenant les personnes placées par la loi civile sous la dépendance d'un même maître. Cette théorie, commode pour le classement des rapports juridiques, ne repose que sur quelques formules où il y a les mots domus et familia, mais plutôt comme des synonymes que comme des mots de sens différent9; les jurisconsultes romains ignorent entièrement cette prétendue distinction 10 qui n'est d'ailleurs pas nécessaire pour l'intelligence de l'ancien droit. Le pater familias est à la fois le prêtre, le magistrat et l'administrateur de la famille; il est souverain dans son domicile qui est un asile inviolable1l. Il doit : 1° Pourvoir à l'entretien des membres de la famille. 2° Assurer la perpétuité de sa race et de ses cultes par le mariage, comme on l'a vu. 3° Accomplir les cérémonies religieuses qu'on a indiquées. 4° 11 a le droit de reconnaître le nouveau-né ou de le repousser (liberum repudiare, ne
dans la famille; il est associé aux cultes, comme on l'a vu, par la lustratio; ici l'intérêt public limita de bonne heure les pouvoirs du père de famille ; une loi royale l'obligea à élever tous ses enfants mâles et l'aînée de ses filles, et à ne tuer aucun enfant avant l'âge de trois ans, à moins qu'il ne fût monstrueux ou difforme, et la loi des Douze Tables ne l'autorisa qu'à faire disparaître les enfants monstrueux [ExPOSITIO]. 5° Il a le droit de marier le fils ou la fille, de conclure les fiançailles (sponsalia) ; le consentement de la jeune fille et du jeune homme, s'ils sont alieni juris, n'est nullement nécessaire 14 ; c'est le père qui accepte dans la famille la jeune épouse. 6° Il a seul autorité, à l'exclusion des magistrats publics, sur les membres de la famille ts ; il a sur eux le pouvoir de vie et de mort (vitae necisque potestas) 1G ; en cas de faute légère, il prononce seul la punition ; il soumet les fautes graves au tribunal domestique (judicium dornesticum), sauf quand il y a eu flagrant délit d'adultère ou que le coupable est un esclave 17 ; ce tribunal, dont la composition n'a été déterminée que par la coutume, devant lequel il n'y a pas de procédure régulière, comprend des parents, en particulier les plus proches cognats s'il s'agit d'une femme i8, et des amis 19; ces juges font l'enquête et émettent ensuite leur avis sous la présidence du chef de famille 20, qui prononce la sentence et la fait exécuter 21 ; les peines qu'il peut infliger sont : la mort 22,. la vente comme esclave qui, depuis la loi des Douze Tables, doit avoir lieu à l'étranger (trans 7iberim) 23, la flagellation, l'emprisonnement 2;, la répudiation contre la femme mariée, l'abdicatio contre le fils de famille [PATRIA POTESTAS]; en outre il peut faire prononcer la peine de l'exsecratio contre l'enfant qui a frappé un de ses parents ou sa mère 25. Mais ici encore la loi limita de bonne heure les droits du père ; par exemple le fils coupable
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de violences à l'égard d'un tribun de la plèbe dut être traduit devant les comices par tribus en vertu de la lex
sacrata de 494 [TRIBUNUS PLEBIS] ; en cas de vol manifeste,
le père n'eut plus la faculté d'indemniser la personne lésée ou de faire l'abandon noxal du fils; il dut le livrer aux magistrats qui le battent de verges et le livrent ensuite à la personne lésée' ; la loi des Douze Tables remplace encore la punition domestique par la punition publique pour certains crimes, tels que l'incendie, la destruction nocturne de récoltes'. 7° Le père de famille peut exclure l'enfant de la famille soit par l'abdicatio qui ne produit pas par elle-même d'effet juridique, soit par la vente qu'on a vue, mais qu'une loi attribuée à Numa interdit à l'égard de l'enfant marié farreo soit par la mancipation simple à titre temporaire et la triple mancipation à titre définitif, qui sont déjà sanctionnées par la loi des Douze Tables, soit par l'émancipation, postérieure aux Douze Tables, qui complète l'effet de l'abdicatio, rend l'enfant sui juris, lui enlève les droits attachés à l'agnation et à la gentilité en lui infligeant une capitis dimi
mari, soit comme chef de la famille, répudier sa femme ou les femmes soumises à sa puissance, non pas arbitrairement, mais sur l'avis du tribunal domestique, constitué comme on l'a vu en prononçant la formule : « Tuas res tibi habeto beate foras ° » ; il doit en ce cas offrir aux Mânes un sacrifice expiatoire et consacrer une certaine somme à Cérès ; d'après une loi royale, quand la femme est reconnue coupable d'adultère, de sortilège, de soustraction des clefs du cellier, le mari garde sa dot et ne doit à Cérès aucune réparation' ; le mariage patricien ne peut sans doute être dissous que dans ces cas et dans le cas de stérilité, par la cérémonie spéciale de la di ffarreatio [MATRIMONIUM, REPUDIUM]. 9° Il a le droit d'adopter et de
donner en adoption. 10° Il peut seul paraître en justice, sauf les restrictions qu'on a vues ; il est responsable des délits des siens pour lesquels il doit offrir une indemnité ou faire l'abandon noxal du coupable. 11° Il est à la fois l'administrateur et le propriétaire des biens de la famille dans lesquels entrent la dot de la femme, si elle est alieni juris, sa fortune, si elle est sui juris, et les acquisitions faites par le fils de famille ou l'esclave'.
Quelle est, dans ce régime, la condition juridique des membres de la famille? 1° La femme du chef est la seule mater familias 16 ; elle s'occupe des travaux intérieurs, élève les enfants, offre les sacrifices aux dieux Lares, a les clefs de la-maison, sauf celles du cellier'-'. La femme, qui est in manu, est associée au culte gentilice ; qu'elle soit ou non in manu, elle entre dans la famille de son mari et participe à son culte domestique; elle est donc toujours soumise au pouvoir général du chef de famille ; ce dernier peut, par exemple, répudier la femme de son fils ou de son petit-fils, la condamner dans les cas indiqués. Le mariage patricien a toujours dû entraîner la manus
c'est à tort qu'on le conteste [MATRIMONIUM] ; la femme est
alors filiae loto, quoiqu'elle ne puisse être mancipée13 ; le droit du père de famille l'emporte ainsi sur le droit de propriété du père naturel;les biens de la femme in manu se confondent avec ceux du mari, mais en revanche elle devient son agnate, acquiert le droit d'héritage sur sa fortune. Plus tard, comme on le verra, les patriciens se passèrent de la confarreatio, et, à l'exemple des plébéiens, pratiquèrent le mariage sine manu ; dans ce cas la femme resta soumise au droit de son père, tout en entrant dans la famille de son mari, conserva ses biens, ne s'appela pas mater familias, mais simplement matrona ou uxor 14 ; et ce fut sans doute alors l'assemblée des gentiles qui jugea les conflits qui purent s'élever entre son mari d'un côté, son père ou son tuteur de l'autre. 2° Le fils de famille, capable endroit public, ne l'est pas en droit privé ; au début il ne peut ni posséder ni s'obliger, ni ester en. justice ; mais le droit classique modifiera cette situation et depuis une époque assez ancienne, peut-être avant les Douze Tables, iL a été d'usage de lui concéder sinon la propriété absolue, au moins la jouissance et la libre disposition d'un pécule [PEcuLIUsi]. On peut encore faire rentrer dans la famille : 1° l'esclave qui est soumis au pouvoir du chef, qui est compté parmi les familiares16, qui partage les prières et les fêtes de la famille 16, peut même célébrer le culte domestique au nom du maître"
Nous avons maintenant à examiner l'organisation de la gens après son morcellement. Voyons, d'abord, quelle est sa composition, en prenant comme point de départ la définition de Cicéron" : « les gentiles sont ceux qui portent le même nom, qui descendent d'ingénus, qui n'ont dans leurs ancêtres que des ingénus, qui n'ont subi aucune diminulio capitis ». La gens comprend donc : 1° Tous les individus qui descendent réellement, par les mâles, de l'auteur commun, à la condition d'avoir été acceptés par le chef de chaque famille et d'être issus d'un mariage légitime ; les enfants dont le père est inconnu, ou nés hors mariage, sont sui juris, portent le nom gentilice de leur mère, quoiqu'ils ne soient pas membres de sa gens; ce nom est suivi de la qualification de spurius 1' ;nous ne savons pas exactement quelle était au début leur condition juridique; peut-être étaient-ils considérés comme des clients soit du chef de famille, soit du tuteur de leur mère. 2° Les enfants adrogés ou adoptés qui entrent à la fois dans la famille, dans la gens et sous la manus de l'adrogeant ou de l'adoptant. 3° Les femmes introduites dans la gens par le mariage [MATRIMoNIuM]. Le mariage comporte d'abord un certain nombre de cérémonies, d'origine très ancienne, qui ont dû être communes aux patriciens et aux plébéiens, la dextrarum junctio 20, qui consiste à mettre la main droite de la jeune fille dans la main droite du mari, le sacrifice offert aux dieux par les fiancés pour obtenir la fécondité du mariage ", le transport de la fiancée après un rapt simulé
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dans la maison de son mari (domum deductio)', où on lui offrait, à l'entrée de l'atrium, l'eau et le feu pour indiquer son admission dans la famille et son association au culte domestique; c'est devant la porte qu'en outre la femme patricienne prononce la formule : « ubi tu Gaius, ibi ego Gaia 2 n qui paraît se rapporter à son changement de nom3. Il y a, en outre, un certain nombre de règles particulières aux patriciens. Jusqu'à la loi Canuleia, il n'y eut pas de conubium entre les patriciens et les plébéiens' et les Décemvirs consacrèrent encore cette interdiction dans la loi des Douze Tables' ; les patriciens pouvaient donc se marier d'abord entre membres de la même gens sauf les empêchements qui résultaient de la parenté entre agnats et cognats [MATRIMONIUM] ; en second lieu les différentes gentes avaient-elles entre elles le conubium? Il est vraisemblable que le passage d'une gens dans une autre par le mariage, la gentis enuptio', ne pouvait avoir lieu que sur l'avis conforme des pontifes et avec l'approbation des comices curiates, surtout quand la fiancée était sui juris et qu'elle pouvait ainsi, en transportant ses biens dans la maison de son mari, diminuer la richesse et l'importance de sa gens ; si, à l'époque de l'affaire des Bacchanales, en 186 av. J.-C., un décret de la gens était encore nécessaire pour l'enuptio gentis d'une affranchie', les tuteurs de la femme et l'assemblée des gentiles devaient certainement, à l'époque primitive, avoir le droit et souvent le devoir de s'opposer au préalable à un mariage de ce genre. On a émis récemment ° l'hypothèse que la confarreatio aurait été non pas la forme primitive du mariage patricien, mais simplement la solennité obligatoire pour l'enuptio gentis : l'offrande du gâteau d'épeautre (farreum libum) faite à Jupiter par son flamine rappellerait le pacte fédéral conclu entre les gentes sous la protection de Jupiter Stator, lors de la réunion de l'Esquilin et du Palatin; l'intervention de ce Flamine et du grand pontife s'expliquerait parce qu'il y avait un intérêt public engagé dans l'enuptio gentis et les dix témoins représenteraient les comices curiates où les femmes n'avaient pas accès. Cette théorie n'a pour elle aucun texte, aucune vraisemblance. Cette réunion de l'Esquilin et du Palatin est une pure hypothèse. Il faut s'en tenir à l'opinion traditionnelle qui fait de la confarreatio une solennité commune à tous les mariages patriciens, et qui, dans le cas d'enuptio gentis, a pour résultat particulier d'associer la femme au culte gentilice du mari. C'est avec raison que la légende associe la confarreatio au nom de Romulus, au représentant de l'époque la plus ancienne10 ; les dix témoins représentent l'intérêt politique, au nom soit des dix gentes de la curie, soit des dix curies de chaque tribu, et le grand pontife représente l'intérêt religieux. De même la prise d'auspices est sans doute aussi nécessaire pour tout mariage patricien". La femme qui sort de sa gens par le mariage doit-elle prononcer une detestatio sacrorum? On ne possède pas de texte sur ce point 12. Après le plébiscite de Canuleius on appliqua la formalité des auspices aux mariages entre patriciens et plébéiens"; la confarreatio fut toujours théoriquement réservée aux
patriciens, mais tomba peu à peu en désuétude à mesure que se multiplièrent les mariages entre patriciens et plébéiens ; on n'en maintint la nécessité que pour les !lamines de Jupiter, de Mars, de Quirinus et pour le rex sacrorum qui devaient être issus d'un mariage de ce genre et être mariés sous le même régime"; en outre, sous Tibère, en 23 ap. J.-C., on décida que dans le mariage farreo, la femme du flamine de Jupiter et peut-être toutes les femmes ne seraient réputées in manu que pour le culte gentilice 1'. La plébéienne qui épouse un patricien a beau passer sous sa manus, elle n'entre sans doute pas dans sa gens, mais les enfants y entrent puisqu'ils suivent la condition du père 16. Lorsque les patriciens se mirent à employer, à l'imitation des plébéiens, le mode d'acquisition de la manus appelé coe7ntio, même dans ce cas l'épouse patricienne entra dans la gens, quoique la communio sacrorum, obtenue ainsi, ne fût pas équivalente à celle qui résultait de la con farreatio. Mais dans le mariage sans manus, déjà pratiqué à l'époque de la loi des Douze Tables, la femme n'entre pas dans la gens du mari ; elle reste dans la sienne, sous la puissance de son père ou de ses gentiles et garde son nom. Signalons encore un cas spécial, une sorte de restitutio in integrum : Camille recouvra le droit de cité par un vote, sans doute, des centuries ou des tribus et ses droits gegtilices par un vote des curies 17 ; l'application du postliminium a évidemment les mêmes résultats.
Les personnes qui cessent de faire partie de leur gens sont : P les individus donnés en adoption ou en adrogation et qui passent ainsi dans une autre gens; 2° les femmes mariées, dans les cas qu'on a vus et les femmes répudiées qui sortent de la gens de leur mari pour rentrer dans la leur; 3° les enfants mancipés une seule fois, pendant la durée de la mancipation ; 4° les enfants vendus, mancipés trois fois, émancipés ou soumis à un abandon noxal ; mais ils gardent leur nom gentilice. Enfin un patricien peut non seulement sortir de sa gens, mais acquérir la qualité de plébéien, directement ou indirectement, directement par une adoption ou une adrogation, indirectement par la transitio ad plebem ; on est à peu près d'accord aujourd'hui pour distinguer ces deux modes18. Mais comment se fait la transitio ad plebem? Lange croit19 que le patricien doit abjurer son culte gentilice, être adrogé s'il est sui juris, adopté, s'il est filins familias, par un plébéien, puis émancipé par ce dernier ; cette théorie est trop compliquée et n'explique pas pourquoi le nouveau plébéien garde son ancien nom.
Mommsen démontre, au contraire, que dans le seul cas que nous connaissions avec quelques détails, celui de Clodius en 59 av. J.-C., ce dernier avait essayé d'abord d'user de la simple transitio ad plebem par une abjuration de ses sacra devant les comitia calata réunis par le grand pontife, mais que, trouvant des obstacles, il avait employé ensuite le second moyen 20, c'est-à-dire une adrogation et une émancipation 21 ; la transitio ad plebem paraît donc s'être faite par une simple detestatio sacrorum devant les comices calates22; nous en avons de nombreux exemples, la plupart légendaires, mais
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quelques-uns historiques'; le patricien abjurait sa qualité pour pouvoir aspirer au tribunat de la plèbe.
On voit, d'après ce qui précède, quel est le rapport de la gentilité et de l'agnation. L'agnation n'existe qu'entre les gentiles qui sont soumis à la puissance du même chef de famille ou qui y seraient soumis s'il était encore vivant [AGNATIO] 2. Deux gentiles qui ne sont pas soumis à la même puissance ne sont pas agnats, quel que soit leur degré de parenté naturelle, de cognation ; par exemple une fille qui passe par le mariage 'sous la manas d'un membre de sa gens reste gentilis par rapport à son frère ou à son père, mais n'est plus leur agnate. Théoriquement, si haut qu'on remonte dans la série des ancêtres, tous les gentiles qu'on peut supposer avoir été toute leur vie sous la puissance de l'ancêtre le plus éloigné sont agnats; mais, en fait, on ne peut tenir compte, comme pour l'âyztarE(x des Grecs, que des ancêtres les plus rapprochés, de ceux dont on garde réellement le souvenir, c'est-à-dire de l'aïeul et du bisaïeul ; ainsi le cercle de l'agnation est beaucoup plus étroit que celui de la gentilité; la plupart des gentiles, ne connaissant pas leur lien agnatique, ne sont pas considérés comme agnats.
Une grande partie de l'importance politique et sociale qu'ont eue les gentes tient à ce qu'elles comprennent encore une classe nombreuse d'individus, c'est-à-dire les hommes libres qui ne sont pas patriciens, les clients. L'organisation de la clientèle remonte évidemment à une époque antérieure à la fondation de Rome, où les gentes avaient encore leur unité, leur autonomie, étaient le seul groupe politique et social. Les clients de l'époque historique sont issus de trois sources principales, l'affranchissement, la conquête qui laisse la liberté sans donner le droit de cité et le jus applicationis. Ils sont de père en fils sous la dépendance d'un patron [cLIGNS] ; mais d'autre part ils se rattachent à sa gens ; les rapports des clients avec leurs patrons ont rejeté dans l'ombre les rapports aussi importants qu'ils ont avec les gentes. Le client porte en effet le nom de la gens, participe à son culte, à ses dépenses communes' ; il est inhumé dans son tombeau, il doit assistance aux gentiles qui lui doivent également leur appui ; l'obligation, maintenue plus tard à l'égard de l'affranchi de se marier dans la gens, pèse sans doute aussi alors sur le client; la concession de terre que lui accorde le patron, à titre de précaires, est prise comme on le verra sur le domaine de la gens ; et encore à l'époque historique, c'est dans la clientèle non pas d'un individu, mais de toute sa gens, qu'on voit souvent se placer une ville, un État provincials.
On vient de voir la composition de la gens. Quelle est sa constitution? C'estune corporation dont les membres sont reliés :
Par la communauté d'origine ou la soumission à la puissance du même homme comme on l'a vu.
Par la communauté du culte gentilice.
Par la communauté du nom gentilice. Si nous laissons de côté les indications accessoires de la filiation et de la tribu , le nom complet du patricien, à l'époque
historique, comprend trois éléments essentiels, le praenornen, le nomen et le cognomen [NOMEN]. Primitivement, comme le dit Varron', le nom était'simple; pour distinguer les individus on ajoutait simplement à ce nom propre le nom, au génitif, du père pour les enfants, du mari pour la femme ; ce génitif possessif indiquait la subordination des enfants et de la femme à l'égard du chef de la famille. Il n'y avait qu'un très petit nombre de noms propres, une trentaine d'après Varron 8 ; nous en connaissons environ dix-sept dont l'usage a persisté', ils étaient sans doute au début réservés aux patriciens; chaque gens avait les siens ; ainsi les Aemilii en avaient huit, les Furii et les Cornelii sept, les Claudii et les Manlii six, les Fabii cinq, les Julii quatre 10; certains prénoms ne se rencontrent que dans une ou deux gentes"; il n'y en a que quinze qui soient d'un usage général :
Aidas, Decinlus, Gaius, Gnaeus, Kaeso, Lucius, 111anius, ilarcus, Publius, Quintus, Servius, Sextus, Spurius,l'ibe
rius, Titus. Mais de bonne heure on ajouta au nom propre individuel qui devint le prénom le nom gentilice, nomen gentilicium, qui fut à la fois la preuve 12 et la présomption de la filiation ou de la subordination au même chef ; tandis que chez les Grecs le suffixe du nom gentilice est encore variable, soc, (iris, to;, chez les peuples italio tes et surtout chez les Romains, c'est presque toujours ius ; le rôle du nom gentilice explique l'importance qu'il a gardée jusqu'à la fin de l'histoire romaine, en même temps qu'il atteste la forte cohésion primitive de la gens. Nous ne savons pas à quelle époque apparut le cognomen ; la place qu'il occupe à l'époque historique dans l'ordre officiel des noms, après les deux autres et après la mention de la tribu indique qu'il n'a été employé couramment, qu'après l'époque dite de Servius Tullius; mais il était certainement antérieur à cette date; d'abord personnel, simple sobriquet, réservé sans douté au début aux patriciens, il est devenu assez tôt héréditaire et a servi alors à distinguer les différentes branches d'une gens, plus tard même les subdivisions d'une branche: mais il n'a jamais eu la même fixité, n'a jamais été aussi obligatoire que le nom gentilice ; certaines gentes ont adopté un cognomen, quoiqu'elles ne se soient pas divisées en branches, pour se distinguer de leurs clients qui portaient leur nom gentilice et aussi, par usurpation, leur prénom.
Par le droit à une sépulture commune.
Par un ensemble de coutumes qui sont propres à chaque gens, dont beaucoup sont antérieures aux lois civiles et qui constituent les mores majorum. Tacite fait remarquer à propos de l'adoption de Néron qu'il n'y avait pas encore eu d'adoption chez les Claudii, depuis le fondateur de la gens, At tus Clausus" ; les Fabii s'étaient interdit le célibat et l'exposition des enfants'.
Par une solidarité qui se manifeste en général dans la vie politique, comme le montre toute l'histoire de la lutte entre les patriciens et les plébéiens et en particulier par différents devoirs d'assistance et de surveillance mutuelles. Par exemple la gens entière doit aider un des gentiles à payer une rançon ou une amende 's, à subvenir
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aux dépenses d'une magistrature, d'un sacerdoce ' ; on ne doit ni plaider ni porter témoignage contre un membre de sa gens; un accusé se fait accompagner au tribunal par ses genliles; ainsi C. Claudius va défendre son ennemi personnel Appius Claudius le décemvir avec ses gentiles et ses clients2; d'après une ancienne loi attribuée à Numa, les agnats d'une personne tuée par imprudence peuvent exiger du coupable un bélier qu'ils sacrifient à sa place3 ; c'est peut-être un débris de l'ancien droit de vengeance familiale qui a disparu de bonne heure à Rome. La gens Manlia avait défendu l'emploi du prénom Marcus, qui avait été déshonoré par le traître M. Manlius Capitolinus` et la gens Claudia celui de Lucius; cette dernière avait autorisé l'introduction du cognomen Nero 5; plus tard c'est le Sénat qui prit des décisions de ce genre, abolissant par exemple le prénom de Marcus chez les Antonii et celui de Cnaeus chez les Calpurnii Pisones °. Les moyens de contrainte que pouvaient employer les gentiles étaient le blâme du conseil de la gens, la nota gentilicia', et peut-être, pour les fautes plus graves l'exclusion de la corporation. Un gentilis peut avoir besoin d'une protection juridique et il importe de sauvegarder toutes les portions de la fortune de la gens. Ces deux raisons expliquent les institutions suivantes : 1° La curatelle du fou est attribuée par la loi des Douze Tables, avec pleins pouvoirs, à ses agnats, ou à leur défaut à ses gentiles : Si furiosus escit adgnatunt gentiliemque in eo pecuniaque ejus potestas esto 8 ; ils
ont donc à déléguer le soin de sa fortune et de sa personne à l'un d'entre eux qui est le curateur; les magistrats n'ont pas à intervenir dans sa gestion. `3° Le prodigue qui dissipe son patrimoine au détriment de ses enfants peut être, d'après la coutume que consacrent les Douze Tables, frappé d'interdiction 9; dans le droit classique c'est le préteur qui prononce l'interdiction; à qui appartenait cette mission, avant l'institution de la préture? peut-être aux agnats et aux gentiles, mais il n'y a pas de texte sur ce point. 3° La loi des Douze Tables attribue la tutelle des impubères, à défaut de tuteur testamentaire, aux agnats, sans doute au plus proche d'entre eux qui devient le tuteur légitime"; à défaut d'agnats, a-t-on recours aux gentiles, à l'époque où n'existe pas encore la tutelle dative? Nous manquons également de renseignements sur ce point. 4° Les tuteurs légitimes d'une femme pubère, sui juris, sont, à défaut de tuteur testamentaire, les agnats du mari" et, à leur défaut, probablement les gentiles; mais ici encore nous manquons de textes. D'ailleurs la tutelle de la femme fut de bonne heure singulièrement adoucie; le mari put d'abord luiléguer la faculté de choisir son tuteur et l'institution du tuteur datif par la loi Atilia, qui est sans doute de la fin du ve siècle, montre combien les liens de la gentilité et de l'agnation s'étaient déjà relâchés, puisque, dans beaucoup de cas, il n'y avait plus de tuteurs légitimes [TUTOn]. 5° La femme affranchie ne peut sortir de
la gens par mariage qu'avec l'autorisation des gentiles; il en est encore ainsi au ne siècle av. J.-C. 12.
La corporation gentilice a un chef et un conseil. A l'époque historique, quoique les différents chefs de famille aient la plus complète indépendance et forment autant d'unités distinctes, la gens est cependant encore représentée par un chef au point de vue politique et au point de vue religieux. En politique, en effet, la gens a son délégué au Sénat primitif [sE\ATUS]; quand les Fabii se chargent de la guerre contre Véies, c'est un des principaux d'entre eux, le consul Fabius, qui vient faire cette proposition au Sénat 13 ; dans son émigration à Rome, la gens Claudia a pour princeps Attus Clausus1t ; le pater familias s'appelle aussi dux et princeps dans un texte de Festus 13. On a vu d'autre part le rôle du prêtre de la gens. Ce sont là sans doute les débris des pouvoirs qu'avait autrefois le chef de la gens : l'existence d'un patrimoine commun suppose, comme on le verra, un administrateur; la situation juridique des clients suppose aussi un chef unique; mais nous sommes réduits ici à des conjectures; quels étaient par exemple, les rapports de ce chef avec ses frères, pères de famille? Qui prenaiton pour chef? Était-ce l'aîné des patres familias de chaque gens? Nous ne le savons pas; il n'y a plus aucune trace dans nos documents de cette sorte de droit d'aînesse qui a cependant dû exister au début pour maintenir l'unité de la gens. Le conseil était sans doute composé de tous les patres familias ; il a dû être créé sur le modèle du tribunal domestique ; le chef le consulte sans doute sur les intérêts communs 16 ; on a vu son rôle dans la tutelle et la curatelle et toutes les décisions qu'on a vu prendre à la gens émanent sans doute de son conseil.
La gens primitive était-elle propriétaire? Nous touchons ici aux origines de la propriété à Rome. Il est vraisemblable que c'est la gens qui a été le plus ancien propriétaire du sol et que la propriété privée ne s'est appliquée à l'origine qu'a une petite portion du sol, à l'heredium. Romulus aurait divisé le sol de sa ville, de la Iloma quadrata en trois parties, l'une pour le culte, l'autre pour le domaine public, la troisième pour les trente curies; Numa aurait complété ce partage en obligeant les maîtres de maison à borner leur propriété et ainsi chaque citoyen aurait eu un heredium de deux jugera". Cette légende paraît correspondre à un fait historique ; ce chiffre de deux jugera a été évidemment emprunté aux premières assignations coloniales; les colons d'Anxur18, de Lahici 19, par exemple, reçurent deux jugera chacun; dans les colonies la centuria .comprend '200 jugera, c'est-à-dire cent lots de deux jugera20 ; la tradition fait aussi donner deux jugera à chacun des colons amenés par Appius Claudius21; cette habitude d'assigner deux jugera reproduisait probablement une ancienne institution; on peut donc admettre que l'herediunl a été au début la propriété privée opposée à la propriété gentilice, la part assignée à chaque chef de famille ; d'après Pline,
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dans la loi des Douze Tables, la villa s'appelait hortus et l'hortus herediumt ; la propriété privée comprenait alors la maison et le jardin attenant. Où était situé ce domaine? Sans doute à l'intérieur de Rome, d'abord de la Borna quadrata, puis de la Rome de Servius Tullius ; on peut apporter à l'appui de cette hypothèse un certain nombre de faits : d'abord, d'après toutes les traditions, les quatre tribus, dites de Servius, la Sucusane, la Palatina, l'Esquilina, la Collina ne comprirent que le territoire de la ville jusqu'au pomerium 2; or dès cette époque les tribus ne comprennent sans doute comme plus tard que les terres qui sont ou peuvent être propriété quiritaire [TRIBUS] 3. En second lieu, d'après la légende relative à l'établissement des Claudii à Rome, on leur donna des terrains à bâtir dans la ville, un tombeau au pied du Capitole et des terres du domaine public au delà de l'Anio 1. Enfin dans toutes les traditions le patriciat romain est avant tout urbain ; c'est dans la ville qu'il a ses demeures, ses autels, ses tombeaux; l'interdiction d'enterrer dans la ville, qui est déjà dans la loi des Douze Tables', n'a pas toujours existé ; l'organisation des trente curies est essentiellement urbaine ; c'est à Rome que,d'après la tradition, sont transportées les familles patriciennes d'Albe.
Quelle était la constitution juridique de l'heredium primitif ? 1° Il est héréditaire 6 ; la loi des Douze Tables donne le patrimoine du chef de famille à ses héritiers siens qui en étaient déjà en quelque sorte les copropriétaires'; ces héritiers siens sont les enfants, sans distinction de sexe ni de primogéniture et, en partage avec eux, la veuve du défunt, si elle avait été soumise à sa manas [HEREDITAS]. 2° Il est sans doute inaliénable entre vifs 8 ; car nous ne connaissons pas de mode patricien de l'aliénation entre vifs de la propriété foncière; la mancipation n'a été appliquée qu'ultérieurement aux fonds de terre ; enfin si le tombeau est resté si longtemps inaliénable, c'est qu'il en était de même, à l'origine, du champ tout entier; jusqu'à la fin de la République, même quand l'heredium a compris d'autres biens que les deux jugera, on a toujours considéré comme un déshonneur de le dissiper ou de le vendre 10. Ce souci de la conservation du patrimoine explique l'interdiction du prodigue et aussi le respect qu'on a pour la maison : en cas de confiscation des biens par l'État, on la laisse à son propriétaire 11 ou on la détruit pour en consacrer l'emplacement aux dieux ou y élever un temple12. 3° Il est sans doute aussi inaliénable à cause de mort. Le testament comitial ne devait évidemment être permis qu'au citoyen qui n'avait pas d'enfants, et même dans ce cas il devait autant que possible choisir son héritier parmi ses gentiles. La loi des Douze Tables ne donne encore la liberté de tester que pour les biens purement individuels, la pecunia, et non pour le patrimoine, la familia'3. 4° Est-il indivisible? Le principe de l'indivisibilité paraît ressortir des textes qui présentent l'heredium comme un consortium t 1 et des exemples
qui montrent le maintien de la communauté entre frères ou parents à l'époque historique 15 et nous ne connaissons l'action en partage que dans la loi des Douze Tables" Mais, d'autre part, comment concilier le régime de l'indivision avec le droit d'héritage de la fille et de la femme. Il y a là une difficulté que nous ne pouvons résoudre. 3° L'heredium est placé sous la protection de la loi, délimité suivant le rite étrusque"; la religion de la borne, du TERMINUS, est très ancienne ; c'est un sacrilège que de le déplacer; aux termes d'une prétendue loi de Numa, le laboureur qui commet ce délit est déclaré
sacer, lui et ses boeufs 13 [TERMINUS]. L'feeredium, hérédi
taire, inaliénable entre vifs ou à cause de mort, a quelques-uns des caractères de la propriété familiale, mais à cause du droit d'héritage des femmes, il se rapproche déjà du régime de la propriété individuelle qu'il atteindra définitivement à l'époque de la loi des Douze Tables. Ce qu'on vient de dire de l'heredium s'applique à la familia dont il est une partie et qui comprend, en outre, la plupart des choses que les jurisconsultes appelleront res mancipi, c'est-à-dire les esclaves et les bêtes de trait ou de somme, boeufs, mulets, chevaux, ânes13 ; cet ensemble forme le patrimoine, soumis au droit quiritaire. Il faut en distinguer les autres biens qui constituent la richesse individuelle de chaque père de famille, la pecunia, qui comprend les animaux qui paissent en troupeaux dans les pâturages gentilices ou publics, les fruits, les récoltes, le métal monnayé, c'est-à-dire les choses nec ni ancipi 20. Elles ne sont pas considérées au début comme objet de propriété quiritaire ; le possesseur en a la libre disposition ; dans les Douze Tables il peut en disposer librement par testament 21 ; la pecunia a eu dès le début une importance considérable surtout en matière politique pour le classement des citoyens [CENSUS].
A qui appartenaient primitivement les terres situées en dehors du pomerium ? Il se peut qu'il y ait eu dès le début un ager publicus assez étendu, quoiqu'il faille rejeter la plupart des assignations de l'époque royale ; mais la majeure partie des terres a dû appartenir aux gentes. On peut invoquer les arguments suivants : 1° le droit d'héritage que garde encore la gens, comme on le verra, à l'époque historique ; 2° les domaines gentilices dont il est plusieurs fois question, par exemple les prata Quinctia22, rager Tarquiniorum consacré à Mars après l'expulsion de la gens Tarquinia 23, les prata M'ucia 21, le domaine assigné aux Claudii lors de leur établissement à Rome23; 3° les concessions de terres, faites aux clients, révocables à volonté et qui supposent un fonds commun ; 4° les noms de gentes, portés par les seize premières tribus rustiques, en opposition aux noms de lieux portés par les tribus postérieures : Aemilia, Camilia, Claudia, Cornelia, !'abia, Galeria, Horatia, Lemonia, 117enenia, Papiria, Pollia, Pupinia, Romilia, Sergia, Voltinia, Veturia 26. Nous savons que c'est le territoire donné à la gens Claudia qui a formé le pages Claudius, puis la tribu
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Claudia'; il est donc probable que les quinze autres tribus comprenaient aussi les terres des gentes dont elles prirent les noms; sans doute il y avait plus de gentes et de pagi que de tribus 2, mais la tribu peut soit comprendre exclusivement les terres d'une gens, soit tirer son nom de la plus importante des gentes qu'elle renfermait On peut donc admettre qu'il y avait des domaines gentilices, qui appartenaient en commun aux genlites et que la gens avait une sorte de personnalité juridique ; au début, elle attribuait sans doute des lots de terre à vie aux chefs de famille ; ce communisme reçut une première atteinte lorsqu'on attribua un heredium en propriété privée à chaque chef de famille ; cet heredium était évidemment insuffisant pour une famille ; il fallait qu'elle eût en outre la jouissance du domaine collectif de sa gens. Comment s'est accomplie ensuite l'appropriation des terres gentilices? Les a-t-on épuisées en constituant sur le domaine commun d'autres heredia pour chaque nouvelle génération? Cette hypothèse est peu vraisemblable, car elle suppose l'existence d'une sorte de droit d'aînesse, dont nous n'avons aucune trace, en faveur du fils aîné qui aurait gardé l'ancien heredium, en envoyant ses frères se pourvoir ailleurs. On a émis récemment' une autre hypothèse d'après un texte de Festus : on aurait étendu aux terres gentilices l'usage admis pour les terres domaniales; les membres de la gens auraient été autorisés à garder héréditairement la jouissance des terres gentilices qu'ils cultivaient et cette possession se serait transformée en propriété quiritaire au bout d'un certain délai, par une usucapion que les Douze Tables fixent à deux ans 0. Ce système ne repose que sur le texte de Festus qui ne paraît pas s'appliquer aux terres gentilices. En somme, nous ignorons comment et à quelle époque s'est faite la transformation des communautés agraires en propriétés privées ; en tout cas, elles n'existent plus dans la loi des Douze Tables. Les terres gentilices avaient d'ailleurs considérablement perdu de leur importance depuis que les patriciens s'étaient réservé, sinon légalement, au moins en fait, la jouissance du domaine public' [AGRARIAE LEGES]. A l'époque historique, les Douze Tables attribuent le patrimoine à défaut d'héritier sien ou testamentaire au plus proche agnat quel que soit son degré, et, à défaut de cet agnat, aux gentiles 8 ; ce droit des gentiles est plutôt un droit de retour, débris d'une communauté primitive, qu'un droit de succession; ils sont d'ailleurs simples successeurs aux biens et ne continuent pas le culte domestique du défunt. Ce droit gentilice est encore appliqué au dernier siècle de la République9, mais Gaius et Ulpien n'en parlent plus que comme d'une institution disparuei0; nous ne savons pas d'ailleurs comment un héritage vacant se partageait entre les gentiles.
L'organisation de la gens repose sur le droit coutumier et sur le droit quiritaire, le jus Quiritium. Quelle est l'origine de cette expression? Il y a ici deux théories en
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presence : plusieurs auteurs anciens t', suivis par la majorité des historiens modernes, Niebuhr, Mommsen, Willems, font venir Quirites de Cûres, ville sabine ou de qu'iris, lance sabine; les Romains auraient été appelés Quirites, après la conclusion du traité entre Romulus et Tatiusf2 et cette nouvelle ville aurait adopté la lance sabine ou bien il y aurait eu la formule Populus Romanus et Quiritium, abrégée peu à peu en Quirites. On allègue en outre quelques faits historiques : la tribu Quirina, formée en 9.41, comprend précisément le pays sabin" ; les tribus sabelliques qui ont envahi la Campanie ont pu envahir aussi le Latium. Mais cette théorie se heurte à de nombreuses objections: la métropole légendaire de Rome aurait dû être non pas Albe, mais Cures; les gens de Cures s'appelaient Curenses et non pas Quirites" ; la colline du Quirinal ne s'est appelée au début que Collis 75, une seule partie s'appelait Collis Quirinalis à cause du temple de Quirinus ; l'épithète Quirinus est associée aussi à Janus, à Junon16 ; il y avait un temple et des prêtres de Juno Curis à Faléries, à Tibur" ; à Rome l'emplacement consacré à la Juno Curis n'est pas sur le Quirinal, mais sur le Champ de Mars 18 ; la lance des Romains ne s'est jamais appelée quiris, mais hasta, et d'ailleurs le mot Quirites s'applique toujours aux citoyens en paix par opposition aux citoyens armés. Dans l'autre théorie on identifie Quirites avec Curites, membres des curies ; sans doute la voyelle radicale est brève dans Quirites, longue dans Gunites, mais dans le mot decuria, la voyelle u est brève t 9. Ce second système est donc beaucoup plus vraisemblable ; les Quirites sont sans doute les membres des curies, les patriciens qui possèdent exclusivement et peuvent seuls invoquer le jus Quiritium.
Quel a été le nombre primitif des gentes ? Cette question est liée à l'histoire des origines de Rome et du sénat romain primitif. Il y a deux traditions principales : dans l'une il y aurait eu au début 100 sénateurs Ramnes créés par Romulus 20, 100 sénateurs soit sabins (Tities) créés après la fédération des Ramnes et des Tities, soit albains, introduits au sénat par Tullus Ilostilius 21, en tout 200 patres majorum gentium auxquels Tarquin l'Ancien aurait ajouté 100 patres minorum gentium pris parmi certaines familles plébéiennes22. L'autre tradition suppose 100 sénateurs Ramnes, 50 Tities, c'est-à-dire 150 sénateurs majorum gentium et 150 minorum gentium 23 ; dans les deux traditions les points de départ et d'arrivée sont ]es mêmes, 100 sénateurs aux débuts de Rome, 300 à la fin du règne de Tarquin l'Ancien; il n'y a que Tacite qui attribue à Brutus la création des sénateurs minorum gentium 2;. Il y a désaccord entre les historiens sur les dates et l'importance respective des deux augmentations successives du sénat; ils ont essayé de les combiner de façon à répondre à toutes les légendes ; ils ont suivi le même procédé en essayant, suais inutilement, de maintenir un rapport constant entre les progrès du sénat et ceux des centuries équestres; ainsi, d'après
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Tite-Live 1, Romulus aurait levé trois centuries de cavaliers, les Ramnenses, les Titienses, les Luceres ; Tullus, aurait doublé cet effectif après l'incorporation des Albains et Tarquin l'Ancien aurait ajouté six nouvelles centuries qualifiées de Ramnenses, Titienses, Luceres posteriores 2. Il n'y a donc pas dans Tite-Live le même rapport numérique entre les augmentations des centuries qu'entre celles du sénat et en fait il n'a pu ni dû être le même [EQUITES3]. La seule conclusion vraisemblable qui ressorte de toutes ces traditions, c'est que les trois tribus des Ramnes, des Tities, des Luceres ne représentent point chacune une race, mais sont de simples divisions d'une seule race [TRIBUS] et qu'elles ont dû avoir au début comme représentation politique un sénat de 300 membres. Comment expliquerons-nous alors la réforme de Tarquin l'Ancien? En supposant simplement 4 qu'il ne s'agissait pas de doubler le nombre primitif (soit 100, soit 150) des sénateurs, mais de compléter l'effectif de 300. C'est qu'en effet, à Rome, dès les premiers siècles, les familles patriciennes s'éteignaient avec une grande rapidité. Festus 5 et Plutarque 6 donnent pour raison à la promotion de sénateurs qu'ils attribuent aux deux premiers consuls, la pénurie de patriciens. Les familles patriciennes ne paraissent pas avoir été très fécondes. On a soutenu à tort que le chiffre normal des enfants avait été de cinq'. Beaucoup de raisons, au contraire, condamnaient les familles à un épuisement précoce : les guerres, les mariages consanguins, la sévérité des lois religieuses qui rendait très difficile l'adoption de plébéiens et surtout le régime économique de la gens primitive. L'histoire des familles patriciennes aboutit, comme comme on va le voir, à la même conclusion; le patriciat de laroyauté et de la République est en voie de disparition continuelle; l'étude des cognomina montre que, sur vingt-huit gentes qu'on peut suivre d'un peu près, quatorze ne paraissent pas s'être fractionnées ; sept autres ne le sont pas encore au me siècle de Rome; c'est seulement plus tard, quand le régime économique de la gens s'est modifié, qu'on voit les gentes survivantes se diviser en un grand nombre de familles. On peut donc admettre que Tarquin a comblé les vides du sénat en élevant an patriciat les minores gentes. D'où venaientelles? La fusion rapide des deux groupes de gentes et peut-être aussi la vanité des nouvelles familles, préoccupées de faire oublier leur origine, ont rendu très difficile l'étude de cette question.Il est cependant vraisemblable que cette augmentation du patriciat coincide avec l'annexion, à l'ancienne ville, du Quirinal et du Viminal, en d'autres termes, de la Collis, car elle concorde avec le doublement d'un certain nombre de corps sacerdotaux et de fonctionnaires religieux : on a adjoint en effet les Luperci Fabiani recrutés dans la gens Fabia du Quirinal aux Luperci Quinctiales, tirés de la gens Quinctia du Palatin, aux Salii Palatini les Salii Collini, au Flamen Martialis, prêtre de Mars sur le Palatin, le Flamen Quirinalis, prêtre de Mars sur le Quirinal; on a porté de trois à six le nombre des Vestales, des augures, des pontifes. Le Quirinal et le Viminal constituaient-ils, comme on l'a
souvent pensé, une ville sabine, contemporaine et rivale de Rome? Le principal argument 8, c'est l'existence sur le Quirinal de certains sanctuaires consacrés à des divinités sabines, Quirinus, Sol, Semo Sancus, Salus, Fortuna, Flora; mais le caractère sabin de ces divinités n'est nullement prouvé; Varron ne l'indique qu'avec hésitation°; il attribue la même origine sabine à quantité de divinités purement romaines ou communes à toutes les nations italiotes, Vesta, Jupiter, Diana, Janus, Juno, Minerva, Mars; il y avait à Rome, ailleurs que sur le Quirinal et dans` d'autres parties de l'Italie, d'autres temples des divinités Fortuna, Sol, Flora, Semo Sancus; t'épithète de Quirinus accolée à Mars n'est pas probante, comme on l'a vu. Le Quirinal et le Viminal étaient donc plutôt un faubourg renfermant, soit une population plébéienne, soit les familles patriciennes des communautés voisines incorporées à Rome7°. Pouvons-nous reconnaître ] es gentes minores? On n'arrive qu'à des résultats très pauvres. On ne peut d'abord utiliser qu'avec défiance les cognomina de gentes tirés de villes ou de nations voisines, par exemple Mugillanus chez les Papirii (de Mugilla du Latium), Medullinus chez les Furii (Medulla du Latium), Fidenales chez les Sergii (Fidenae du Latium), car une partie de ces surnoms peut faire allusion seulement à des prises de villes, à des victoires "; d'autres ne s'appliquent qu'à une branche de la gens; dans les familles dites albaines la plupart des cognomina, Varichez les Quinctilii, llacerini chez les Geganii, ne se rapportent pas à la provenance. En second lieu, les seize gentes qui ont laissé leur nom aux seize premières tribus rustiques ne peuvent être mises d'emblée parmi les minores gentes, car on a vu que les plus anciennes gentes de Rome avaient dû avoir leurs domaines gentilices aux environs de Rome, souvent à une certaine distance; peut-être cependant peut-on regarder comme minor la gens Pupinia qui avait ses terres aux environs de Tusculum, près de celles des Papirii 12. On ne doit donc mettre parmi les gentes minores que les familles sur lesquelles on a des témoignages précis, la gens Fabia 13, la gens Menenia sortie de la plèbe 1", la gens Papiria 10, la gens Claudia qui a dû être incorporée au patriciat non pas sous Romulus, comme le dit Suétone, ni après la chute des rois, mais entre ces deux dates, puisqu'on lui a donné un tombeau au pied du Capitole 16, et la gens Tarpeia qui a peut-être laissé son nom à une partie du Capitole. C'est à tort qu'on a essayé 17 d'augmenter le catalogue des minores gentes en regardant comme telles les familles patriciennes qui ont à côté d'elles, au ter siècle de la République, des familles plébéiennes du même nom et celles qui ont soutenu les Tarquins soit avant, soit après leur chute. On peut citer comme majores gentes la gens Quinctia 18, la gens Valeria qui avait son tombeau sur la Velia 19, puis les gentes dites albaines, installées sur le Coelius, Tullia, Servilia, Gegania, Julia, Curiatia, Cloelia, Quinctilia; Denys d'Halicarnasse20 y ajoute à tort la gens Metilia qui n'est sans doute pas patricienne.
La dernière modification du sénat dont nous ayons à nous occuper eut lieu la première année de la Républi
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que ; dans une tradition représentée surtout par Festus et Tite-Live t, on aurait alors complété l'effectif des 300 sénateurs avec 164 plébéiens-, d'après Tacite et Denys2 ces plébéiens auraient d'abord été élevés au patriciat et c'est de cette époque que, d'après la plupart des auteurs3, daterait la formule patres conscripti, les patriciens appelés patres et les plébéiens conscripti. Le sens de cette formule est très contesté [SENATUS]. Disons seulement qu'il y a ici deui systèmes en présence : celui de Mommsen, qui admet l'entrée des plébéiens au sénat à cette époque, et celui de Willems, qui croit que les premiers consuls de la République ont seulement aboli la condition d'àge et admis au sénat les juniores, c'est-àdire les jeunes patriciens au-dessous de quarante-six ans, qui faisaient seulement partie des centuries équestres. Quoi qu'il en soit, la concession du patriciat a dû avoir lieu de concert entre le roi et les comices curiates qui procèdent à une sorte de cooptatio ; elle suppose de plus que les familles à coopter avaient déjà l'organisation gentilice. Il n'y a plus d'exemples authentiques de cette cooptation après la chute de la royauté ; César seulement recommencera à octroyer le patriciat en s'y faisant autoriser par un plébiscite
Peut-on, de ce qui précède, déduire le nombre primitif des gentes? Chaque gens était sans doute représentée au début par son chef ou l'aîné de ses patres familias ; il dut donc y avoir 100 ou 300 gentes, selon la tradition qu'on accepte. Ce nombre déterminé ne doit pas nous étonner : si Rome, comme l'ont pensé la plupart des historiens anciens a été une colonie d'Albe, elle a pu avoir un nombre précis de colons, ou au moins de chefs de famille et c'est en ce sens que le texte de Denys 7, qui répartit les 300 gentes en 30 curies et 3 tribus, a quelque valeur. Le témoignage de Varron qui parle de 1000 gentes, est isolé. Les essais qu'on a faits pour reconstituer la liste des gentes n'ont pas donné de résultats complets. Les anciennes annales citent peu de noms en dehors de ceux que donnent les Fastes. Mommsen a surtout utilisé les noms portés par les titulaires de fonctions politiques et religieuses qui ont été réservées jusqu'à une certaine époque ou jusqu'à la fin de la République aux patriciens. Rejetant d'une manière définitive les Calpurnii et les Pomponii qui prétendaient remonter à Numa, les Caecilii à Caecas compagnon d'1 née, les Chientii liés à la légende d'lnée 0, les Octavii i0, les Vitellii 11, les Metilii, il a dressé '2 une liste de 54 noms de gentes dont le patriciat paraît prouvé, sauf pour sept 13 : AebuLia, Aemilia, Aquilia, Aternia, Camilia, Cassia, Claudia, Cloelia, Cominia, Cornelia, Curiatia, Curtia, Fabia, Foslia, Furia, Galeria, Gegania, Genucia, IIermenia, Horatia., Julia, Junia, Lartia, Lemonia, Lucretia, Manlia, Menenia, Minucia, Nautia, Numicia, Papiria, Pinaria, Pollia, Postumia, Pupinia, Quinctia, Quinctilia, Racilia,
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Romulia, Sempronia, Sergia, Servilia, Sestia, Siccia, Sulpicia, Tarpeia, Tarquinia, Tarquitia, Tailla, Valeria, Verginia, Veturia, Voltinia, Volumnia. Willems a fait à cette liste des additions importantes. D'abord il y ajoute 39 noms qui ont été portés par des plébéiens avant le milieu du ive siècle de Rome, supposant que les plus anciennes familles plébéiennes étaient des familles clientes pourvues du même nom que leurs patrons 15 ; mais cette théorie est inexacte, car la plèbe ne sort pas exclusivement de cette clientèle ; il n'y a donc aucune certitude pour ces 39 noms. Il y a plus de probabilités en faveur d'une vingtaine d'autres noms que donne Willems 12, pour différentes raisons; en rejetant les gentes Fufetia, Taracia, la gens Caeliaf6, on peut ajouter environ 17 noms nouveaux : Antonia, Raboleia, Duilia, Oppia f7, Atilia 16, Poetelia19, Mucia 20, Orbinia2', Pompilia42, Potitia 23, Roscia 2Y, Verania23, Canoleia 26, Gispia 27, Fulcinia 28, Hostilia 23, Marcia 30. Nous ne retrouvons donc les traces que d'environ 71 gentes. Onze ne sont connues que par la tradition ou pour avoir donné leur nom à un quartier de Rome ou à une tribu rustique ; nous ne savons à quelle époque elles ont disparu ; ce sont les gentes : Camilia, Canoleia, Cispia, Galeria, Ilostilia, Lemonia, Pollia, Pompilia, Pupinia, Verania, Voltinia. Dix-sept disparaissent entre la fondation de la République et le Décemvirat, dix-sept autres entre le Décemvirat et les lois licinio-sextiennes; il n'en reste plus qu'environ quatorze au dernier siècle de la République ; après Auguste et Tibère il ne reste que les Aemilii, les Claudii, les Cornelii, les Fabii, les Sulpicii, les Valerii 31 Sans doute nos connaissances sont insuffisantes ; ainsi Denys compte de son temps cinquante familles dites troyennes et nous n'en connaissons qu'un très petit nombre, mais néanmoins on ne saurait mettre en doute le dépérissement rapide du patriciat.
Nous avons laissé de côté jusqu'ici l'histoire politique des gentes. Dès la fondation de Rome, les gentes nous apparaissent non pas isolées, indépendantes, comme à l'époque primitive où elles formaient le seul organisme social, mais réunies dans une cité, groupées en tribus et en curies, dirigées par un roi. Ce sont les membres des gentes qui forment le patriciat romain : les patriciens, patricii32, sont les seuls ingénus, au sens étymologique du mot 33, les seuls citoyens de droit complet. Nous renvoyons l'étude des institutions politiques de la Rome
A l'époque historique, les familles de la noblesse plébéienne se sont donné une organisation analogue à celle des gentes patriciennes, ont adopté la parenté agnatique, et constitué des souches (stirpes). A l'époque de Cicéron des membres de familles plébéiennes, autres que les
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ganats, invoquent pour la tutelle et la succession ab intestat un jus stirpis analogue au droit des gentiles'.