Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

GORTYIIORUM

GORTYIIORUM LIGES. En 1885, au moment off s'imprimait l'article que nous avons consacré aux ins titutions politiques et civiles des Crétois [CRETENSIUM RESPUBLicA] on annonçait déjà la prochaine publication par M. Comparetti d'une très longue inscription crétoise1. Découverte l'année précédente par MM. Halbherr et Fabricius, sur les bords du Léthé, à proximité du village d'°Aytot Lu, c'est-à-dire sur l'emplacement de l'ancienne ville de Gortyne, cette inscription devait, disait-on, suffire pour occuper toute une génération de philologues et de jurisconsultes. Ne pouvant pas ajourner longtemps la pu blication denotre article, nous dûmes nous borner à mentionner brièvement ladécouverte en nous engageant à consacrer plus tard un article spécial aux lois de Gortyne. C'est cet engagement que nous tenons aujourd'hui. L'inscription d'°Ayto: ô€xa est gravée en douze colonnes, dont les onze premières ont habituellement cinquante cinq lignes, et la douzièmeenatrentecinq. Des six cent trente-quatre lignes dont elle se composait àl'origine, quelquesunes ont disparu. Mais deux lacunes ont pu être comblées, l'une grâce à un fragment, conservé dans le Musée du Louvre, que M. Thénon avait précisément rapporté de Gortyne en 1862', l'autre grâce à une pierre encastrée dans le mur d'une maison voisine et déchiffrée par M. Haussoullier dès 1879 3. Ces deux fragments remis à la place qu'ils occupaient, le premier en tête de la 11° colonne, le deuxième en tête des colonnes 8', 9° et 10°, on peut évaluer à trente environ les lignes qui manquent aujourd'hui : quinze (dont quelques lettres existent) pour la 10° colonne; quinze pour la 19e. Les dix premières lignes de la 9° colonne sont d'ailleurs incomplètes. Depuis la découverte, en 1884, de cette grande ins cription, d'autres inscriptions, également intéressantes p our le droit de Gortyne, ont été trouvées dans le voisi nage immédiat de la première et successivement publiées. Les éditions de la grande loi de Gortyne sont déjà très nombreuses ; il serait inutile de les énumérer toutes' Nous citerons seulement les deux plus récentes, celle de M. Comparetti', et celle de MM. Dareste, Haussoullier et Reinach6. C'est à la division en paragraphes adoptée par ces derniers que nous nous référerons dans l'exposi tion qui va suivre du droit de Gortyne. M. Comparetti, M. Dareste et ses collaborateurs, ont également édité et commenté les autres inscriptions qui nous renseignent sur la législation de Gortyne. Au moment de la découverte de la grande loi, l'impression générale fut que l'on se trouvait en présence d'un monument très ancien. Le texte est gravé OurTFO~prl8dv, en écrivant de droite à gauche, puis de gauche à droite, et ainsi de suite alternativement. Les colonnes de la loi doivent être lues en commençant par la droite et en allant suc' cessivement vers la gauche. Plusieurs lettres sont de forme archaïque. La langue, le style, certaines institutions portent l'empreinte d'une grande antiquité. On parla duvne siècle avant notre ère. Le temps et la réflexion n'ont pas confirmé ce premier sentiment. I1 y a bien encore des historiens qui, comme M. Comparetti 6 datent la loi de la première moitié du-vie siècle; mais, habituellement, on ne remonte pas plus haut que le v° siècle ; M. Kirchhoff dit même la seconde moitié du v° siècle, et c'est à cette opinion que se rallie M. Dareste7. Il ne semble pas toutefois qu'on puisse descendre beaucoup plus bas. Quand il s'agit de la législation de la Crète, les synchronismes sont naturellement assez GOUTYNIORUDI LEGES. 1 Leggi antiche della cita di Gortyna in Creta, scoperte dai Halbherr ed E. Pabricius, lette ed illustrate da Domenico Comparetti, Firenze, 1885. -2 Froehner, Les inscriptions grecques du Louvre, 1865, n° 93, p. 180 et suiv. -3 Bulletin de corresp. hellénique, t. IV, 1880, p. 461 et suiv. 4 Le Leggi di Gortyna e le altre Iscrizioni arcaiche Cretesi, edite ed illustrate da Domenico Comparetti, Milan, 1893. Ce volume est le 3° des 1lfonumenti antichi pubblic. per cura della Il. Aecadem. dei Lincei. 5 Recueil des inscriptions juridiques grecques, 3° fasc. 1894, p. 352 à 493. 6 LeLeggi, p. 372. -7 Recueil, p. 439. GOR 1631 GOR difficiles à trouver. Cependant nous savions déjà, par le témoignage d'Éphore', que les lois crétoises accordaient aux filles, lorsqu'elles étaient en concurrence avec leurs frères, une dot égale à la moitié de la part héréditaire de ceux-ci. Or, c'est précisément la loi retrouvéé qui fixe à une demi-part le droit héréditaire des filles, lorsqu'elles viennent partager la succession paternelle avec des fils2. Notre loi est donc antérieure à Éphore, et, comme Éphore vivait vers le milieu du Ive siècle, elle est nécessairement antérieure à cette époque. D'un autre côté, si notre loi offre quelques dispositions encore empreintes de la naïveté du droit primitif, elle en contient beaucoup d'autres qui dénotent une culture juridique assez avancée. L'écriture est bien connue, puisque les lois sont écrites. Mais tous les actes de la vie civile, l'adoption, la donation, le partage d'une succession, sont faits sans écritures. Ils ont lieu en public, devant des personnes plus ou moins nombreuses, au témoignage desquelles on recourra plus tard, si l'on a besoin de preuves. La procédure elle-même est exclusivement orale. L'ajournement a lieu de vive voix, en présence de témoins. Les jugements ne sont pas consignés dans des livres. Quand on voudra se référer à une décision antérieurement rendue, on fera appel aux souvenirs du juge et de son greffier. Ce dernier porte même un nom bien caractéristique : c'est un p.vzu.wv un homme qui sait se souvenir, qui a une bonne mémoire lui tenant lieu de registres. On pourrait trouver là un argument en faveur de l'ancienneté de la loi. D'autre part, bien des dispositions portent à penser que le développement juridique de la Crète a, comme les anciens l'observaient déjà, devancé celui des États de la Grèce continentale, et que la Crète était arrivée de bonne heure à une législation relativement perfectionnée. Les filles, nous l'avons déjà dit, n'étaient pas complètement exclues par leurs frères de la succession paternelle ; la. loi leur accordait une demi-part dans l'hérédité'. L'adopté ne devait plus nécessairement être pris dans la famille de l'adoptant', et la loi ne l'obligeait pas à accepter la succession de son père adoptif, s'il la jugeait onéreuse '. Les femmes, les enfants, les colons, les esclaves étaient beaucoup mieux traités qu'ils ne le sont habituellement par les législations anciennes. La condition des filles héritières n'était peut-être pas plus douce qu'à Sparte; mais elle l'était certainement beaucoup plus qu'à Athènes. Dans un autre ordre d'idées, le droit de mettre à mort le complice de l'adultère, lorsqu'il est pris en flagrant délit, n'existe plus dans sa pureté originaire, tel qu'on le trouve encore à Athènes au Ive siècle ; le coupable peut racheter sa vie par une composition pécuniaire que la loi a tarifée, et c'est seulement lorsque cette composition n'est pas payée que l'offensé peut tuer celui qui l'a outragé'. Si l'on compare le sort du débiteur insolvable, du xarazE(,.Evo;, à celui du nexus ou de l'addictus de home, on sera plus frappé encore de la supériorité de la loi de Gortyne sur celle des Douze Tables. Le soin même avec lequel le législateur détermine la force obligatoire de la loi qu'il promulgue et montre comment elle doit se concilier avec la loi antérieure qu'elle abroge, ce soin dénote un sens juridique très exercé. Il a l'habitude de légiférer. Il formule très nettement des règles générales, et sait, quand il le faut, entrer dans les détails de leur application, sans paraître tenté, comme on l'a fait à Sparte et à Athènes, d'empiéter sur un domaine qu'il faut résolument abandonner aux moeurs et aux usages. On serait heureux d'avoir à sa disposition un recueil entier des lois de Gortyne. Malheureusement, la grande inscription, si longue qu'elle soit, n'est pas un véritable code. C'est une collection de lois à peu près exclusivement relatives au droit de famille et à la réglementation de la propriété. Et encore ces lois ne forment pas l'ensemble de la législation de Gortyne sur ces importantes matières. Nous avons seulement devant nous une série de dispositions nouvelles, modifiant, sur certains points, un droit antérieur auquel le législateur se réfère à plusieurs reprises. C'est ainsi qu'il oppose très nettement les donations faites sous l'empire de la loi ancienne, de la loi en vigueur 7cpb T(7)1)h T(Ûv ypapti.dTwv, aux donations faites sous l'empire de la loi nouvelle, qui ne doit pas avoir d'effet rétroactif'. Nous allons essayer de présenter dans un ordre méthodique les dispositions éparses dans la grande loi de Gortyne et dans les autres lois récemment découvertes sur : 1° la condition des personnes; 2° l'adoption ; 30 les caractères de la propriété; 4° les effets du mariage relativement aux biens des époux ; 5° la succession légitime et les institutions qui s'y rattachent; 6° les délits et les quasi-délits ; 7° enfin quelques points particuliers réglés parle législateur. Nous laisserons de côté le divorce, dont nous avons parlé ailleurs [DIVORTIUn, page 321], les donations entre époux [DONATIO, page 383], la dot [Dos, page 394], et toute la partie de la loi relative aux filles héritières, lesrzTpwcdxoc, que M. Lécrivain a analysée [EPIKLEROS, page 664 et suiv.; voir aussi l'article de M. Glotz, EXPOSITIO, page 930 et suiv.] 1. DIVISION DES PERSONNES. La division des personnes, telle que nous l'avons exposée [cRETENSIUn RESPUBLICA, p. 1564], d'après les témoignages des historiens grecs, peut très bien se concilier avec celle que nous trouvons dans les lois de Gortyne. Ces lois nous offrent, en effet, la classification suivante : 1° Les 'Easû9Epoc, qui ne sont pas seulement, comme leur nom l'indique, des hommes libres, mais qui sont les véritables citoyens, ayant la jouissance des droits politiques et faisant partie des hétéries; 2° Les 'A7rsracpoc, qui, comme les précédents, sont de libre condition, mais qui ne jouissent pas du droit de cité et à qui les hétéries sont fermées; 3° Les pocxÉEç, serfs ou colons, attachés non pas à la personne de leur maître ou axcTaç, mais à la terre, au x),ipoç de ce maître ; ils correspondent évidemment aux GYC~a~.tsr zc et aux x).ap7rrzt des historiens; 4° Enfin, les esclaves proprement dits, les ôw).ot, attachés àla personne du maître, qui a sur eux un droit de libre disposition; ce sont les zpuawvr,Toc deshistoriens. Aucune allusion directe n'est faite aux i rlxooc, dont nous avons admis l'existence entre les citoyens et les serfs. Ce silence peut fournir un argument à ceux, qui, comme Grole, estiment que les v:.-xo: ne se distinguaient pas des z.~av.ccnTac, et tel est bien, en effet, l'avis de M. Dareste9. Mais nous persistons à croire qu'il y GOR -1632 GOR avait en Crète une classe de personnes de condition libre, intermédiaire entre la classe des citoyens et celle des serfs, comme il y avait, en Laconie, une classe intermédiaire entre les Spartiates et les Ililotes, et il nous semble très facile de la faire rentrer dans le groupe générique des â7T«tpot, dont parle la loi de Gortyne. Quant aux u.vwîT«y ou serfs attachés àl'exploitationdes dornaines de l'État, le législateur auquel nous devons nos Douze Tables n'a pas eu à s'en occuper, même accidentellement, étant donnés les points spéciaux sur lesquels il légiférait, et son silence est bien naturel. en principe, la jouissance, sinon l'exercice de tous les droits attachés à la qualité de citoyen. Régulièrement, il doit être issu de deux parents l'un et l'autre iXEllOEpot. Mais il y a pourtant un cas dans lequel l'enfant issu du mariage d'un esclave avec une femme libre, paraît bien avoir joui de la liberté : Lorsque l'esclave marié à la femme libre était allé demeurer chez cette femme, l'enfant issu de leur union suivait la condition de sa mère et était libre comme elle'. Le jeune Gortynien, de condition libre et de sexe masculin, est désigné, dans la loi, suivant qu'il est plus ou moins avancé dans la vie, par les trois expressions tvwpo;, encore arrivé à la puberté'. Lorsqu'il est pubère, mais n'a pas encore l'exercice de tous les droits civils, on l'appelle â7cclôpou.o; 3; c'est, en quelque sorte, le mineur du droit romain. Son témoignage n'est pas encore admis comme probant, et il est incapable de confirmer, par son assentiment, la vente que son père voudrait consentir de biens faisant partie de la succession de sa mère'. Il est ôpola.ESç quand il est tout à la fois pubère et majeur, et a, dans sa plénitude, l'exercice des droits civils. A quel âge le jeune Gortynien était-il légalement pubère? A quel âge devenait-il ôpola.su;? Ce sont là des questions que nous ne pouvons pas résoudre aujourd'hui. Le texte de la loi de Gortyne est muet et les grammairiens et les lexicographes se sont attachés à d'autres divisions, que nous avons exposées [AGELA1 et qu'il est difficile de mettre en parallélisme complet avec celles de la loi. Aussi les divergences sont grandes entre les auteurs. M. Szanto, qui regarde comme syno nymes les mots ôpoi.Ell; et âyé),«aTO;, pense que l'entrée dans l'ây€ax avait lieu dans la dix-septième année, par conséquent après seize ans révolus 5. Pour M. Comparetti, le ôpouEtîç est le Gortynien quia accompli sa dix-septième année 6. Enfin, d'après M. Dareste, l'âysaa o; n'est pas un ôpouniç; c'est un â7ôôpoll.oç pendant ses dix-septième et dix-huitième années, et l'on ne devient ôpop.nl; qu'à la sortie de l'«yla«, qui a lieu à dix-huit ans accomplis'. Pour la fille, notre loi est plus simple et plus explicite. La jeune Gortynienne est vwpo; jusqu'à l'âge de douze ans 8. Arrivée à douze ans accomplis, elle peut contracter un mariage valable 9. Le voeu du législateur était que jeunes gens et jeunes filles se mariassent de bonne heure. La fille, nous l'avons vu, peut se marier dès qu'elle a complété sa douzième année, rIe(ova«10. Le jeune homme, arrivé à la puberté, `Kiwv, mais encore â7z6ôpo!,.0ÿ, est, dans certains cas, invité par le législateur à se marier ; mais il ne peut être rais en demeure de le faire que lorsqu'il est majeur, ôpoEl.Eéç'•. Ace moment, il y a vraiment obligation pour lui, et, en ne se conformant pas à son devoir, il s'expose à certaines déchéances. Une femme de douze ans, un mari ayant tout au plus dix-huit ans et peut-être astreint aux exercices de l'âgé?,« ! Éphore avait observé que beaucoup de jeunes mariées, au lieu d'aller tenir la maison de leurs maris, restaient dans leurs familles jusqu'au jour où elles avaient acquis l'expérience nécessaire pour la direction d'un ménage'". C'est ce qui nous explique pourquoi la loi de Gortyne prévoit l'adultère commis par la femme dans la maison de son père ou de son frère, avant de prévoir l'adultère commis dans la maison du mari'". L'homme libre peut perdre sa liberté, soit en fait, soit en droit, dans plusieurs hypothèses. Notre loi s'occupe spécialement de deux cas, celui où un homme libre s'engage personnellement pour l'exécution de ses obligations, et celui où un homme libre est fait prisonnier de guerre. La loi de Gortyne permettait à un débiteur, en s'obligeant, d'engager, non seulement sa fortune, mais encore sa personne, de telle façon que, si, à l'échéance, il ne payait pas sa dette, le créancier pouvait s'emparer de lui et le faire travailler à son profit jusqu'à complète libération. Ce débiteur, que l'on a comparé au «vEtazN.EV; E7ci a(ipp.7Tt du droit attique antérieur à Solon et au nexus du droit romain, est désigné par le législateur sous le nom de x«T«xe(l,.Evo;, expression qui convient également à l'esclave que le maître donne en gage à son créancier". Le x«T«xefl,.Evoç, tant qu'il ne s'est pas libéré et qu'il est au pouvoir de son créancier, peut être, dans une certaine mesure, assimilé à l'esclave. Lorsqu'il est victime d'un acte préjudiciable, ce n'est pas lui qui peut intenter l'action en réparation du dommage; cette action doit être mise en mouvement par son créancier'. S'il se rend lui-même coupable d'un fait dommageable à autrui et qu'il puisse établir qu'il a agi sur l'ordre de son créancier, il échappe à toute responsabilité". Le créancier a le droit de mettre la main sur lui partout oû il le rencontre et de l'emmener chez lui, sans encourir les pénalités auxquelles il eât été exposé, s'il avait infligé pareil traitement à un homme libre ". Mais il s'en fallait pourtant de beaucoup que l'assimilation à l'esclave fût complète. Le tarif applicable aux dommages et intérêts dus par l'auteur d'un fait préjudiciable au x«Txxsip.Evo; n'était pas celui de l'esclave ; c'était celui de l'homme libre 13. Le bénéfice de ces dommages n'était pas attribué exclusivement au créancier; il était partagé entre le créancier et le débiteur 19. Si même le créancier ne jugeait pas à propos d'intenter l'action en indemnité du chef de son débiteur, cette action était tenue en réserve pour le jour où le débiteur, ayant recouvré sa liberté, pourrait plaider personnellement 20. Quand le x«T«xE(p.Evo; se rendait coupable d'une faute envers un GOR 1633 GOR tiers, sans pouvoir établir qu'il avait agi sur l'ordre de son créancier, c'était contre lui que la condamnation était prononcée, et s'il n'avait pas de ressources pour payer les dommages et intérêts auxquels il était condamné, un accord intervenait entre ses deux créanciers pour arriver le mieux possible à l'extinction des deux dettes'. Le xaraxo( evo; dont nous venons de parler s'était volontairement mis dans cet état de quasi-servitude. Mais il yavait un cas dans lequel le législateur mettait expressément le débiteur au pouvoir de son créancier, et c'est précisément le cas où le droit attique a laissé subsister cette espèce de contrainte par corps après que Solon eût aboli la dation en gage de la personne même du débiteur. Un citoyen de Gortyne a été fait prisonnier de guerre ou a été capturé par des pirates et il ne peut recouvrer sa liberté que moyennant rançon. Un de ses compatriotes, peut-être un membre de son hétérie, a, plus ou moins spontanément, fourni la somme nécessaire pour le délivrer. La loi paraît supposer que certaines personnes pouvaient être, sur son ordre, obligées de le racheter, peut-être les membres de son hétérie ou ses affranchis. Le solvens aura le droit de retenir le prisonnier libéré jusqu'à ce que le prix du rachat lui ait été intégralement remboursé 2. Les termes dont se sert le législateur de Gortyne sont presque identiques à ceux que l'on rencontre dans le droit athénien : a Le captif libéré des mains de l'ennemi appartient à son libérateur s'il ne rembourse pas la rançon payée3. » La loi de Gortyne ajoute que, s'il y a contestation entre les deux intéressés sur la somme que le libérateur a payée, ou sur la question de savoir si le rachat a eu lieu sur la demande du racheté, le juge statuera d'après sa conscience sous la foi du serment ''. Du xaraxoio.roo;, il convient de rapprocher le vsvexapusvo;3, c'est-à-dire le débiteur condamné, qui n'exécute pas la sentence rendue par le juge et sur la personne duquel le créancier peut impunément pratiquer la manus injectio pour l'emmener chez lui. De même que le xaraxEiu.uvog a été comparé au nexus des anciens Romains, le vevtxaL..vo; peut être comparé à leur addictus. II. 'Aa€r«epot. L'7t€ratpo; est bien au-dessous de l'homme libre citoyen; le tarif des compositions peut donner une idée de cette infériorité. Le viol d'un homme ou d'une femme citoyens donne lieu à une amende de cent statères ; dix statères seulement sont exigibles pour le viol d'un homme ou d'une femme de la classe des &7ri-ratpot 6. L'adultère avec la femme d'un citoyen est puni, suivant les cas, par des amendes de cent ou de cinquante statères ; la loi n'exige que dix statères, lorsque l'adultère est commis avec la femme d'un à7tratpo; Mais, d'un autre côté, l'7tEratpoç est plus considéré que l'esclave, puisque la composition pour le viol d'un esclave ne dépassera jamais la moitié et pourra même descendre bien au-dessous de la moitié de la composition exigible pour le viol de l'7r€ratpo; 8. Une différence analogue pourrait être signalée en cas d'adultère. Commis avec la femme d'un 7tiratpo;, l'adultère est puni d'une peine de dix statères 9. Commis avec la femme d'un esclave, il ne donne lieu à aucune indemnité, si le coupable est un homme libre 19, et, dans le cas où il est lui-même esclave, l'indemnité est seulement de cinq statères". L'xsratpoç est un homme libre. Voilà pourquoi, s'il se rend coupable d'un délit l'exposant à être retenu en chartre privée jusqu'au payement d'une composition, on avertit ses parents, tandis que, lorsque le délit a été commis par un esclave, l'avertissement est donné au maîtrel2 Seulement c'est un homme libre qui ne jouit pas des droits de citoyen, et qui notamment, de là lui est venu son nom, reste à la porte des hétéries. Parmi ces hommes libres 7tratpot, il faut sans doute ranger les affranchis ou 7rc),EéJOEpot, dont la liberté avait été garantie par des sanctions notables ; les étrangers domiciliés, qui, comme les affranchis, demeuraient dans un quartier de la ville, appelé le Latosion, placé sous la surveillance et la juridiction spéciales du kosme des étrangers, le xrVto; x6rî oç13 ; les serfs libérés du servage, en qualité d'héritiers, à défaut de parents ou iniei J,ovre;, du x),âpoç de leur ancien maître ; les enfants, de condition libre, nés hors mariage ; les citoyens frappés de dégradation civique. M. Comparetti et M. Dareste rangent dans la même catégorie les enfants adoptifs, lorsque le père adoptant avait révoqué l'adoption". Admissible à la rigueur pour le cas où l'adopté était le v60o;, l'enfant naturel de l'adoptant, cette solution serait bien dure pour le cas où l'adopté, avant l'adoption, était en possession du droit de cité. On discute, pour d'autres personnes, par exemple pour les xaraxavrat, dont parle Plutarque 15, la question de savoir dans quelle classe il y a lieu de les ranger, question présentement insoluble avec certitude. M. Semenoff voit en eux des 7ré,ratpot1°; M. Ciccotti des esclaves publics ou µvwi-rat 17. III. FotxEeç. Les Fotxés; de la loi de Gortyne, les epait.terat ou x),apinrat des historiens, sont, si l'pn veut, des esclaves, puisqu'ils ont un maître (7râaraç), et plusieurs fois, dans la loi même, ils sont compris parmi les h),ot. Mais ce ne sont pas des esclaves affectés au service personnel du maître; ils sont attachés à un domaine, et, comme les serfs de la glèbe, ils sont inséparables de la terre qu'ils cultivent. C'est seulement dans le cas où ils rompraient eux-mêmes le lien qui les unit au x),âpoç que leur maître aura le droit de les vendre comme des esclaves ordinaires, Le serf fugitif ne peut pas être vendu dans l'année de sa fuite ; mais, si une année s'est écoulée, on présume que le serf ne tient plus à la terre et la vente devient licite 13 Le Fotxvl; n'est pas propriétaire du domaine sur lequel il vit; il est simplement tenancier et doit payer une redevance à son maître. Mais il ne paraît pas qu'il ait été taillable à merci; la redevance était déterminée et les économies qu'il pouvait faire sur les produits du domaine lui appartenaient. 11 avait donc un véritable pécule. Aussi la loi reconnaît expressément qu'il peut être propriétaire d'un troupeau de moutons et de têtes de gros bétail, qui ne devront pas être compris dans le partage du domaine entre les héritiers du maîtref9. C'est même parce qu'il peut avoir une fortune personnelle qu'on lui GOR 163J GOR impose le versement annuel, dans le Trésor public, d'un statère d'Égine, pour contribution aux dépenses des repas publics'. Le yotxstS; peut contracter un mariage régulier, non seulement avec une femme de sa condition, auquel cas les enfants seront naturellement Fotxéeç, mais même avec une femme de condition libre. Sans être absolument explicite, la loi de Gortyne paraît bien distinguer alors entre le cas où le serf va demeurer chez la femme libre et le cas où, au contraire, la femme libre va s'établir sur le domaine cultivé par le serf. Dans le premier cas, les enfants seront libres comme leur mère ; dans le second cas, ils suivront la condition du père Le Fotxaé; peut même parfois arriver à la liberté, sans être obligé, comme la plupart des affranchis, d'en payer le prix. Si le maître du domaine meurt sans laisser d'héritiers réguliers, le domaine deviendra la propriété de tous les Foxés; qui s'y trouvept établis 3. Par cela même qu'ils seront propriétaires et n'auront plus à payer de redevance, ces Fotxisç seront libres. Mais, bien qu'ils soient devenus maîtres d'un xaEo;, ils ne seront pas citoyens et devront être classés dans la catégorie des personnes libres vivant en dehors des hétéries, les rx7tE'r2tcot. Jouissant dans la campagne qu'ils habitaient d'une indépendance presque complète, propriétaires d'un pécule, chefs de famille, les Foxée; avaient un sort bien meilleur que celui des hilotes de la Laconie. Aussi, au lieu de se révolter périodiquement comme ces derniers, ils se montraient généralement fidèles et dévoués à leurs maîtres. Sur un point seulement, leur état de dépendance était bien marqué. Dans tous les cas où la loi prescrit à un homme libre de prêter serment et où il serait naturel d'exiger aussi ce serment du Fotxalç, ce ne sera pas le FoutEéç qui jurera ; ce sera son maître, son aâsra; 4. A plus forte raison faut-il admettre que le FotxEÛç devait être représenté en justice par son maître Il n'y avait d'exception que pour le cas où l'action était de nature à atteindre le maître lui-même, par exemple pour le cas où le maître avait attenté à la pudeur de son potxsuç ou Les enfants d'un Fotxtt~g étaient naturellement sous la puissance du 7tâ6tiaç de leur père. Ceux d'une Fotxria non mariée n'ayant pas de père légalement connu, la règle ne leur eût pas été applicable. La loi avait prévu ce cas et décidé que l'enfant de la Fous , célibataire et vivant dans sa famille, appartiendrait au maître du père de la Fotxrya, et, si le père était déjà mort, au maître des frères de la Fotxe'x, en d'autres termes au maître du domaine sur lequel la yotri,a était née et résidait encore 7. Le FotxEUç pouvait épouser une Fotxrla appartenant à un maître autre que le sien'. Fallait-il, pour ce cas de formariage, l'autorisation du maître de la Fotx'a ? La loi ne paraît pas l'exiger'. La Fotxrj(z conservait d'ailleurs sa fortune personnelle, et, lorsque le mariage qu'elle avait contracté venait à se dissoudre par la mort du mari ou par le divorce, elle retournait chez son ancien maître, emportant avec elle tout ce dont elle était propriétaire 10 La loi organise même toute une procédure pour le cas où cette fotx's , après le divorce, donnerait le joui :à un enfant : « Cet enfant sera, devant deux témoins, présenté au maître de l'ancien mari. Si ce maître refuse de le recevoir, l'enfant appartiendra au maître de la yotxta. Toutefois, si, dans l'année, cette Fotxtia se remarie à son ancien conjoint, l'enfant sera au maître de ce dernier. Le fait de la présentation sera affirmé, sous la foi du serment, par celui qui aura présenté l'enfant et par les deux témoins ". n IV. Owaot. La condition de l'esclave qui vivait dans la maison du maître, du 8w).oç proprement dit, de l'ivloO1tôfo;, ne paraît pas avoir été trop mauvaise. Cet esclave, affecté au service personnel du 7tdaiaç, avait, sans doute, moins d'indépendance que le potxsuç, puisqu'il était constamment sous l'oeil de son maître ; il était d'ailleurs un objet de commerce, comme les autres objets mobiliers, et pouvait être librement vendu. Mais son estimation n'était pas de beaucoup inférieure à celle du serf, puisque le viol d'une Fotx7ja par un homme libre donnait lieu à une composition de cinq drachmes et celui de l'Evôo9tôfa ôwaz à une composition de deux statères ou didrachmes, c'est-à-dire à quatre drachmes 12. Comme le FoutEt q, l'esclave domestique avait un pécule. La loi le protégeait, non seulement contre les violences des tiers, mais aussi probablement contre les abus de pouvoir de son maître. Si quelqu'un, dit la loi, attente violemment à la pudeur d'une Evlo0t3t« ôwaa encore vierge, il payera deux statères; si la ô 1),a était déjà déflorée, il payera une obole quand le crime aura été commis de jour, deux oboles quand le crime aura été commis la nuit. Ce qu'il y a de plus remarquable encore, c'est que, s'il y avait désaccord entre l'esclave et l'homme libre sur la réalité du viol, c'était à l'esclave, et non pas à l'homme libre, que le serment était déféré, et l'esclave se trouvait ainsi, sous la foi du serment, juge dans sa propre causef3. M. Comparetti ne peut pas, il est vrai, se résigner à admettre une telle solution, bien qu'elle soit imposée par le texte ; il aime mieux croire que le serment, dont parle la loi, était prêté, non pas par la femme esclave, mais par un homme libre s'intéressant à elle, par exemple le maître d'un de ses frères ou d'un de ses proches parents';. Il va de soi, en pareil cas, que l'indemnité, à laquelle le maître était condamné en réparation de sa faute, devait être attribuée à la victime et contribuer à la formation de son petit pécule 15. Si les compositions payées pour délits commis contre les FotxEE; et les âw),ot étaient moins fortes que celles qui étaient payées pour délits commis contre des personnes de condition libre, en revanche, et pour des motifs qu'il est aisé de suppléer, puisqu'ils ont exercé leur influence sur toutes les législations anciennes, les délits commis par les poixis et par les ôùaot entraînaient des compositions plus fortes que celles qu'auraient payées, pour des fautes identiques, des personnes libres. Ainsi, en cas de viol d'une personne libre, si le coupable est un homme libre, la composition est de cent statères; elle est GOR 1635 GOR de deux cents statères, quand le coupable est un esclave. En cas de viol d'un Fotxré; ou d'une Fotxil«, si le coupable est un homme libre, la composition est de cinq drachmes; elle est du double quand le coupable est un Fotxeé; : cinq statères, c'est-à-dire dix drachmes'. De même, dans le cas d'adultère, l'esclave payera toujours, quelles que soient les circonstances, une composition deux fois plus forte que celle qui serait imposée à un homme Iibre2. Ces diverses compositions étaient naturellement payées sur le pécule de l'esclave. Le tarif des compositions inséré dans la loi de Gortyne offre une lacune qui a surpris quelques commentateurs. L'homme libre, qui trouve sa femme en flagrant délit d'adultère, peut exiger du complice une composition qui varie suivant la condition de ce dernier et le lieu oü le délit a été commis. Si le complice est un homme libre, cent statères quand l'adultère aura été commis dans la maison du père, du frère ou du mari, cinquante statères dans les autres cas. Si le complice est un Fotxeéç, la composition sera, suivant la même distinction, de deux cents ou de cent statères. Quand la femme d'un Fotxaéç se rendra coupable d'adultère avec un autre Foocséç, le mari pourra exiger une composition de cinq statères. Mais la loi ne prévoit pas le cas où le complice de l'adultère de la Fotv.-e« serait un homme libre. Ce silence estil fortuit? Il est permis d'en douter. La composition, en cas d'adultère, est le rachat du droit, que toutes les anciennes législations ont reconnu au mari trompé, de se faire luimême justice en tuant les coupables pris sur le fait. Avait-on pu jamais reconnaître à un esclave et même à un serf le droit de mettre à mort un homme libre ? N'ayant pas le droit de tuer, le Fetxe ; ne pouvait pas exiger une indemnité représentative de ce droit'. V. Actions relatives à la condition des personnes. La première table est consacrée tout entière au règlement de la procédure à suivre pour le jugement de diverses contestations relatives soit à la liberté des personnes, soit à la propriété des esclaves. Elle prévoit, mais sans les distinguer autant qu'il le faudrait, trois situations différentes, que, pour plus de clarté, nous allons séparer les unes des autres et étudier successivement. Première hypothèse. Une personne possède un esclave dont une autre personne se croit et se dit propriétaire. Cette dernière intente l'action en revendications. Pendant toute la durée du procès et jusqu'à ce que le juge ait statué, le défendeur doit rester en possession. Le demandeur ne peut pas se faire justice à lui-même par une sorte de manus injeclio : TFb Stxaç vi) âyev 5. Si, malgré la prohibition, le demandeur s'emparait de l'esclave avant le jugement, le juge le condamnerait, pour cet acte illicite, à payer cinq statères au défendeur et lui enjoindrait de restituer l'esclave dans le délai de trois jours 6. Comme notre ordonnance de 1270, la loi de Gortyne essaye de réagir contre des habitudes antérieures de violence en posant en principe que spoliatus est ante omnia restiluendus. La désobéissance à l'ordre de restitution donné par le juge aurait pour conséquence le payement d'une drachme par chaque jour de retard'. Lorsque le moment est venu de juger le fond même du litige, si tous les témoins sont unanimes pour déposer IV. en faveur de l'un des plaideurs, le juge doit donner gain de cause à ce plaideur (ôt(iSSev). Si les témoignages sont contradictoires, le juge est autorisé à statuer suivant les inspirations de sa conscience ; on lui demande seulement d'appuyersa décision d'un serment (ôuvév'ca xp(vEV). Aucun préjugé légal n'est donc attaché au fait de la possession. Si le droit du possesseur est proclamé par le juge, le procès est terminé. Mais, lorsque le demandeur obtient gain de cause, il va falloir que le possesseur lui fasse délivrance de l'esclave que maintenant il détient sans droit. Un délai de cinq jours est accordé au défendeur pour cette remise de l'esclave entre les mains de son adversaire. Si le possesseur ne se conforme pas à son obligation dans le délai légal, il encourt une peine de dix statères, qui s'augmentera d'une drachme par chaque jour de retard jusqu'à la délivrance. Toutefois, au bout d'une année écoulée depuis la condamnation, la peine du retard ne sera plus au maximum que d'un tiers de drachme par jour'. Cette réduction est facile à justifier. Les peines du retard déjà acquises au demandeur dépassent presque certainement la valeur que peut avoir l'esclave litigieux. Le revendiquant, qui avait obtenu gain de cause, était-il obligé de se contenter des indemnités pécuniaires dont parle la loi ? Aurait-il pu exiger la restitution de son esclave, et même, s'il l'eût rencontré, le prendre et l'emmener de vive force? M. Comparetti fait très justement remarquer que la loi ne défend la prise de possession que jusqu'au jugement, apb Stxaç; ici le jugement est rendu et la prohibition ne peut plus s'appliquer 3. L'exécution forcée serait donc possible. Mais cette exécution peut, dans la pratique, offrir à un simple particulier de grandes difficultés, quand il n'a pas à sa disposition d'agents chargés d'agir à sa place. Il peut d'ailleurs préférer à son esclave les fortes sommes d'argent que le défendeur est disposé à lui payer pour conserver une possession à laquelle il attache un grand prix l6. Lorsque la délivrance de l'esclave n'est pas possible parce qu'il s'est réfugié dans un temple où il jouit du droit d'asile, le défendeur est autorisé par notre loi à citer le demandeur, et à lui montrer, en présence de deux témoins, majeurs et libres, le lieu dans lequel se trouve son esclave. Faute de cette citation et de cette indication, les peines du retard seront encourues, et, au bout d'un an, le défendeur rachètera, en quelque sorte, le droit du maître, en lui payant la valeur de l'esclave f'. Deuxième hypothèse. Une personne, qui est en possession de la liberté, est réclamée comme esclave par une autre personne. Elle doit être provisoirement laissée en liberté. Si le réclamant s'avisait de se faire lui-même justice, en mettant la main sur le réclamé et en l'emmenant chez lui, il encourrait des pénalités analogues à celles que nous avons exposées pour l'hypothèse précédente ; mais elles seraient plus fortes, la présomption étant alors que violence est faite à un homme libre. La peine principale est fixée à dix statères, la peine du retard à un statère par jour. Pour mieux assurer le respect de la liberté provisoire, le législateur exhortait tous ceux qui voyaient le réclamant, avant que le jugement eût été rendu, emmener chez lui le réclamé, à prêter main forte à ce dernier72. 206 GOR -1636 GOR Lorsque le moment était venu de statuer sur le litige, si les témoins étaient en désaccord, les uns affirmant la servitude, les autres la liberté, le juge devait se prononcer en faveur de la liberté'. Il est vraisemblable que la personne revendiquée comme esclave avait le droit de se défendre elle-même, sans être obligée, comme à Athènes et à Rome, de recourir à l'intervention d'un tiers, l'assertor libertatis 2. Cette obligation, difficile à concilier avec la présomption favorable à la liberté, ne doit pas être facilement sous-entendue, le texte nous paraît laisser la question en suspens. Troisième hypothèse. Un homme, que l'on dit être de condition libre, est possédé comme esclave. Le possesseur peut être actionné pour se voir condamné à délaisser. Ici, il faut bien supposer un assertor libertatis, le prétendu esclave ne pouvant guère être admis à agir personnellement contre son maître. S'il y a conflit de témoignages, le juge se prononcera encore pour la liberté. Quand le possesseur succombera, il faudra qu'il délaisse dans les cinq jours. Faute de délaissement dans le délai légal, le .possesseur encourra une amende de cinquante statères, auxquels il faudra ajouter un statère par jour de retard jusqu'à l'exécution du jugement3. La loi avait expressément prévu les cas où un kosme se trouverait engagé, soit comme demandeur, soit comme défendeur, dans ces procès relatifs à la liberté ou à la propriété des esclaves. Par un sentiment de délicatesse notable, elle décidait que le kosme, auteur d'une mainmise sur un homme libre ou sur l'esclave d'autrui, ou bien victime d'une mainmise sur un de ses esclaves, ne devrait pas être actionné ou agir en justice pendant toute la durée de ses fonctions 4. On s'était défié sans doute de l'influence inhérente à la charge dont il était investi, Mais la suspension du cours de la justice disparaissait avec sa cause, et la décision, lorsqu'elle était enfin rendue, avait un effet rétroactif au jour où remontait le fait dommageable II. ADOPTION. Un fragment de la loi de Gortyne, contenant les quinze premières lignes de la Table XI, avait été rapporté de Crète, dès 1862, par M. l'abbé Thénon 6, et publié; en 1865, par M. Freehner dans son'rccueil des Inscriptions grecques du Louvre' . Ce fragment a été pendant longtemps regardé comme inintelligible, et, lorsque M. Michel Bréal a enfin réussi à l'interpréter', les opinions se sont divisées sur le point de savoir si le législateur avait eu en vue l'adoption entre vifs ou une sorte d'adoption testamentaire, d'institution d'héritiers, Aujourd'hui, l'hésitation n'est plus possible. De l'ensemble des dispositions de la loi, il résulte bien qu'il s'agit de l'adoption entre vifs 1D. Aucune allusion n'est d'ailleurs faite au teste ,ment dans les lois crétoises que nous connaissons, et l'on peut conclure de leur silence que ce mode de disposition n'était pas encore autorisé lorsque ces lois ont été rédigées. Dans la langue juridique de la Crète, l'adoption était connue sous le nom d'Ïterxvat;; l'adoptant était appelé L'adoption avait été absolument interdite aux femmes et aux impubères (v"reot) 11 ; il fallait donc que l'adoptant fût du sexe masculin et qu'il eût atteint l'âge de la majorité. L'adoption ayant été autorisée pour empêcher une famille de s'éteindre faute de réprésentants et pour perpétuer le culte domestique, il semblerait naturel d'en refuser le bénéfice au citoyen qui avait des enfants légitimes ; c'est ce qu'avait fait le droit attique12. En était-il de même à Gortyne? Il est permis de le croire. La loi suppose bien que l'adopté peut, à la mort de l'adoptant, se trouver en présence d'enfants légitimes ; mais ces enfants'peuvent être des enfants nés depuis l'adoption 13, et dont la naissance est sans influence sur un acte régulièrement accompli". Un fils adoptif pouvait-il lui-même, à défaut d'enfants légitimes, se choisir un enfant adoptif ? En pareil cas, le droit attique n'aurait pas permis l'adoption. La loi de Gortyne dit d'ailleurs expressément que, si l'adopté meurt sans laisser d'enfants légitimes, les biens feront retour aux ayants droit du chef de l'adoptant 15. L'adopté ne pouvait donc pas les transmettre à d'autres qu'à des enfants légitimes 16. M. Dareste conclut à la validité de l'adoption, mais avec cette réserve que l'adoption ne produira d'effet que pour les biens patrimoniaux, les biens personnels du second adoptant, tandis que les biens provenant du premier adoptant feront retour à ses ayants droit". Y avait-il quelques conditions requises du chef de l'adopté? Il est probable que, antérieurement à notre loi, l'adopté dut être choisi parmi les plus proches parents de l'adoptant, i x iwv xx'râ yivoç eyyutis'rw. C'est une idée conforme au but poursuivi dans l'adoption et on la rencontre dans la pratique athénienfie'6. Mais notre loi déclare expressément que l'adopté pourra être pris même en dehors de la_ famille de l'adoptant 19. En fait, l'adoption a dû bien des fois être utilisée pour introduire dans l'hétérie de l'adoptant des personnes qui en étaient légalement exclues, par exemple un enfant né hors mariage26. L'adoptant aurait-il pu faire porter son choix sur une femme ou sur un âvtieoç? M. Dareste tient pour certain que l'adopté devait être mâle, et pour probable qu'il devait être pubère Ÿ1. La loi parle toujours de' fils adoptif; aucune mention ne se rencontre de filles adoptées. Mais l'argument tiré du silence de la loi est-il décisif, alors que d'autres législations, moins favorables aux femmes, la législation athénienne entre autres, permetLaient de les adopter 22? L'adoption à Gortyne était un acte solennel. Le peuple étant assemblé dans l'AGORA, l'adoptant montait sur la pierre qui servait habituellement de tribune aux orateurs et déclarait qu'il adoptait telle personne23. Rien n'indique toutefois que, comme cela avait lieu à Rome 2', l'approbation du peuple fût demandée. Les citoyens assemblés dans l'AGORA ne jouaient pas un rôle actif; ils étaient GOR 1637 GOR simplement les témoins de l'adoption. L'adoptant présentait ensuite l'adopté à son hétérie', A l'occasion de cette solennité, il offrait à ses confrères une victime, que l'on immolait sans doute à Zeus `ETatpe-toc, et une mesure de vin 2. Par l'effet de l'adoption, l'adopté acquiert sur les biens de l'adoptant des droits de succession, qui varient selon les circonstances, et que la loi de Gortyne détermine avec assez de précision. Première hypothèse. Si l'adoptant ne laisse pas d'enfants légitimes, l'adopté est appelé à recueillir la succession tout entière ; mais il n'est pas un héritier necessarius, sire velu, sire polit, Le législateur lui permet d'opter entre l'acceptation et la renonciation. S'il accepte, il sera naturellement tenu de toutes les obligations qui incombaient à l'adoptant, obligations d'ordre civil ou d'ordre religieux. Mais, si la charge lui paraît trop lourde, il est autorisé à répudier la succession 3. C'est précisément cette possibilité de répudiation, si contraire au droit commun de l'antiquité pour le cas d'adoption entre vifs, qui nous avait porté, en 1878', à voir, dans le fragment alors connu de la loi de Gortyne, un texte relatif, non pas à une adoption entre vifs, mais bien à une adoption à cause de mort, à une institution d'héritier par testament. Aujourd'hui, le doute n'est plus permis. L'adopté entre vifs peut, à son choix, lorsque meurt l'adoptant, ou se faire traiter comme un enfant légitime, continuateur de la personne de son père, ou rendre vaine l'adoption. Les biens de la succession qu'il répudie, parce qu'il ne veut pas en accepter les charges, iront aux ayants droit, aux i ttôâ),),ov re; de l'adoptant 5. Deuxième hypothèse. L'adoptant meurt laissant, outre l'enfant adoptif, des enfants légitimes du sexe masculin. En pareil cas, le droit attique mettait sur la même ligne tous ces enfants; légitimes et adoptés succédaient également, ty.o(wç 5. A Gortyne, l'adopté n'est pas exclu par les enfants légitimes; mais il n'a pas les mêmes droits qu'eux ; l'adopté recevra des enfants mâles ce que des filles ont le droit d'exiger de leurs frères'. C'est-à-dire que l'adopté est traité, non pas comme un fils, mais comme une fille, et qu'on lui donne une part représentant seulement la moitié d'une part d'enfant mâle, les filles n'ayant qu'un demi-droit de succession 5. Pour cette seconde hypothèse, la loi garde le silence sur la faculté de renonciation. De ce silence, M. Dareste donne l'explication plausible' que voici : Quand le défunt laisse des fils et des filles (et nous venons de voir que l'adopté est assimilé à une fille), les filles ne sont pas, à proprement parler, héritières de leur père. Les vrais héritiers sont les fils, qui liquident la succession et remettent à leurs soeurs les parts d'actif auxquelles elles ont droit. Elles ne sont donc pas exposées à des charges imprévues plus ou moins lourdes et il n'y a pas de motifs pour leur donner le droit d'opter entre la renonciation et l'acceptation. Le même raisonnement s'applique naturellementà l'adopté to Troisième hypothèse. L'adoptant laisse des enfants lé gitimes qui sont tous du sexe féminin. Dans ce cas, il y aura lieu à un partage égal de la succession entre tous les enfants". Mais comme, dans cette troisième hypothèse, les enfants légitimes et l'adopté seront bien les héritiers, les continuateurs de la personne du défunt, il n'y en a pas d'autres, les charges de la succession pèseront sur eux '2. La loi, pour rester logique, devait, comme dans la première hypothèse, accorder à l'adopté le droit d'échapper àl'obligation de payer les dettes de l'adoptant en refusant de venir à l'hérédité. C'est bien ce qu'a fait le législateur''. L'adopté pouvait donc, par une renonciation, détruire en partie" après la mort de l'adoptant, les espérances légitimes qui avaient inspiré l'adoption. Mais, de son côté, l'adoptant pouvait, pendant sa vie, rompre le lien établi entre lui et l'adopté. La loi voulait seulement que les formes qui avaient été observées à l'origine fussent de nouveau suivies. C'était encore sur l'AGORA, devant les citoyens assemblés, que, du haut de la pierre servant de tribune aux orateurs, l'adoptant déclarait révoquer l'adoption i6. Rien n'indique que l'assemblée du peuple eût à juger si la révocation était motivée par des raisons suffisantes. Une indemnité pécuniaire, sans grande valeur et'qui devait s'expliquer par quelque idée symbolique 1G, était accordée à l'adopté ainsi expulsé de la maison de l'adoptant. Celui-ci déposait dans le tribunal dix statères, que le mnémon du kosme des étrangers faisait parvenir à l'ex-adopté ". Celui-ci cessait naturellement de faire partie de l'hétérie de l'adoptant. Il devenait â7rlratpos et c'est là ce qui peut expliquer l'intervention du mnémon du kosme des étrangers, c'est-à-dire du magistrat ayant juridiction sur les â7rTatpot. La loi assez minutieuse que nous venons d'analyser devait être sur beaucoup de points introductive d'un droit nouveau. Aussi le législateur déclare-t-il qu'elle ne régira que l'avenir. Elle n'aura pas d'effet rétroactif. Quant au passé, à perte ou profit pour eux, les adoptants et les adoptés conserveront leurs situations respectives et ne pourront pas les modifier par un recours à la justice rieurement à la loi qui a été retrouvée en 1884, le père a dei avoir sur les biens de ses enfants, le mari sur les biens de sa femme, des droits de disposition plus ou moins étendus. Mais la loi nouvelle trace une ligne de démarcation très marquée entre les biens des divers membres de la famille. Elle défend expressément à chacun d'eux de disposer des biens des autres, sans distinguer entre celui qui est soumis à la puissance paternelle ou maritale et celui qui exerce cette puissance. Ainsi, tant que le père sera vivant, le fils ne pourra pas aliéner ni hypothéquer, soit pour le tout, soit pour partie, les biens de son père. Il pourra seulement disposer de ce qu'il aura acquis personnellement et de ce qui lui aura été attribué dans un partâge !9. Rien de plus naturel. Mais, de son côté, le père ne pourra ni vendre ni GOR 1638 GOR engager les biens que ses enfants auront acquis personnellement ou par l'effet d'un partage'. De même, le mari ne pourra ni vendre ni engager les biens personnels de sa femme'. Le fils ne pourra ni vendre ni engager les biens personnels de sa mère 3. Ces prohibitions de vendre ou d'engager les biens des personnes que l'on a sous sa puissance ne sont toutefois édictées que pour l'avenir. Les actes antérieurs à la nouvelleloi ne pourront donner lieu àune action en justice fondée sur un excès de pouvoirs de la part de l'aliénateur . La sanction des défenses légales est nettement déterminée. La vente, l'hypothèque, l'engagement des biens, s'ils émanent d'une personne autre que le légitime propriétaire, n'auront pas pour effet un déplacement de la propriété. La femme restera donc propriétaire des biens dont son mari aura disposé, la mère propriétaire des biens que son fils aura aliénés ou engagés. Mais l'acheteur, le créancier hypothécaire, le bénéficiaire de l'engagement, trompés dans leurs espérances, auront le droit d'exiger de la personne, qui aura transgressé la loi en disposant de la chose d'autrui, uneindemnité double de la valeur de cette chose, et même, s'il y a lieu, des dommages et intérêts équivalents au préjudice subi'. C'est précisément parce que la fortune de chacun des membres de la famille est nettement séparée de celle des autres que, si un fils se porte caution du vivant de son père, il répondra de son engagement sur tous ses biens personnels, mais le créancier ne pourra pas agir sur les biens de ses parents Seulement, si le fils est condamné à payer, il va de soi que son père, pour lui faciliter le payement, pourra lui donner, en avancement d'hoirie, sa part héréditaire Lorsque la mère mourra, laissant son mari et des enfants, le mari conservera l'administration et la jouissance des biens de sa femme 8, au moins tant qu'il gardera viduité Mais, pendant son veuvage, le mari n'aura pas le droit de disposition. Pour qu'une vente, une hypothèque ou un engagement soient possibles, il faudra le consentement des enfants, consentement qui ne pourra être donné par eux, que lorsqu'ils seront majeurs et qui ne vaudrait rien s'il était donné par des mineurs. Les actes de disposition faits par le père sans l'adhésion de ses enfants ne seront pas opposables à ceux-ci. Les enfants pourront revendiquer leurs biens entre les mains des tiers, sauf aux tiers, après l'éviction, à se retourner contre le père pour lui demander au double l'estimation de la chose et au simple des dommages et intérêts 10 Si même, le père vient à contracter une nouvelle union, il perdra l'administration et la jouissance des biens de sa femme prédécédée. Les enfants issus du mariage dissous pourront, s'ils sont majeurs, exiger de leur père qu'il leur remette les biens de leur mère, biens dont ils seront les maîtres absolus 11. Si les enfants étaient encore mineurs, la remise des biens aurait lieu probablement tioiç «Tpwr, 12, c'est-à-dire aux oncles maternels des enfants, aux frères de leur mère13. Dans les lois qui sont parvenues jusqu'à nous, le législateur de Gortyne n'a réglé que sur un seul point les relations qui doivent exister entre propriétaires voisins i4. Le sens précis de chacun des termes de la loi n'est pas encore nettement déterminé ; mais il paraît certain qu'elle a en vue le droit d'irrigation appartenant aux propriétaires riverains du Léthé, le fleuve sur les bords duquel Gortyne s'était élevée. Si, pour arroser son immeuble, le propriétaire riverain détourne une partie du cours d'eau (soit au moyen d'un canal établi sur son propre fonds ", soit au moyen d'un barrage construit au milieu du lit du fleuve 16), il n'encourra aucune pénalité. Il ne doit pas toutefois absorber la totalité ni même une trop grande partie de l'eau courante. Le fleuve doit toujours couler assez abondamment pour affleurer le point de repère marqué sur le pont de l'agora. Un autre texte paraît avoir pour but de déterminer les droits respectifs du propriétaire d'un immeuble et du concessionnaire d'un droit réel sur cet immeuble, superficie ou emphytéose 17. La ville de Gortyne a concédé, dans les districts de heskora et de Pala, des terres, probablement incultes, sur lesquelles des plantations devaient être faites par les concessionnaires. Ceux-ci ne pourront ni vendre, ni hypothéquer. La vente et l'hypothèque qu'ils auraient consenties, soit pour le tout, soit pour partie, seraient frappées de nullité. Mais, ce principe posé, le législateur prévoit aussitôt, en termes assez énigmatiques, une pignoris capio, exercée, sans doute, par les créanciers du concessionnaire. Le saisissant, d'après M. Comparetti 18, ne pourra pas s'approprier la totalité des fruits; il devra abandonner au concessionnaire une part de ces fruits suffisante pour assurer son existence. D'après M. Dareste 79, la saisie ne sera possible que sous la condition que le saisissant payera à la ville la redevance due par le concessionnaire. Quelle que soit la véritable explication, elle ne sera jamais bien satisfaisante au point de vue juridique. Car, si un créancier saisissant peut, à de certaines conditions, se substituer au concessionnaire, on ne voit pas pourquoi la loi avait absolument défendu à ce concessionnaire de céder, directement ou indirectement, aux mêmes conditions, ses droits sur la chose, et de se faire remplacer soit par un subrogé volontaire, soit par un subrogé sur expropriation par l'effet de l'hypothèque. Époux. Le régime matrimonial de Gortyne paraît avoir été très simple. Chacun des époux restait, pendant la durée du mariage, propriétaire exclusif des biens qu'il avait apportés ou qui lui étaient échus. Nous hésiterions toutefois à dire, avec M. Dareste 20, que la femme conservait l'administration de ses biens propres. Cette administration devait, suivant toute vraisemblance, passer au mari 21, et c'est précisément pour ce motif que le législateur avait cru nécessaire de bien préciser les pouvoirs appartenant à ce dernier. La vente, l'hypothèque, la mise en gage des biens personnels de la femme, c'est-à-dire les actes 'de disposition, lui étaient interdits sur les biens personnels de sa femme 23. Par a contrario, les autres actes, les actes d'administration, lui étaient permis. Il y avait, au moins dans quelques hypothèses, une GOR 1639 GOR sorte de communauté d'acquêts entre les deux conjoints. Les fruits des biens propres des époux, qui n'avaient pas été employés à l'entretien de la famille, et qui existaient encore au moment de la dissolution du mariage, étaient parfois, soit en totalité, soit pour partie, divisés entre la femme et le mari ou ses représentants. II en était de même des produits de l'industrie de la femme, c'est-à-dire des objets qui avaient été tissés sous sa direction, le tissage des laines étant alors le seul mode ouvert à son activité industrielle. Pour bien déterminer l'étendue des droits de la femme à la dissolution du mariage, il faut étudier séparément les trois causes de dissolution : la mort du mari, la mort de la femme, le divorce. Lorsque le mariage est dissous par la mort du mari, il faut, nous dit la loi de Gortyne, distinguer le cas où il y a des enfants du cas où il n'y en a pas.S'il y a des enfants, la femme peut continuer à demeurer avec eux dans la maison paternelle, et alors tout restera dans l'indivision. Mais, si la veuve a le désir de se remarier, elle peut exercer ses reprises. Son droit sera alors limité : 1° aux biens qui lui sont propres; 2° aux biens que son mari lui aura régulièrement donnés, devant trois témoins majeurs et libres', dans la mesure de la quotité permise entre époux, cent statères au maximum. S'il n'y a pas d'enfants, les reprises de la femme porteront, comme dans le cas précédent : 1° sur ses biens propres ; 20 sur les biens qui lui auront été donnés par son mari. Elle aura en outre : 30 la moitié des étoffes qu'elle aura tissées, et 4° une part, probablement la moitié, de tous les fruits existant dans la maison au moment du décès du maria. Lorsque le mariage se dissout par la mort de la femme, il faut également distinguer le cas où il y a des enfants nés du mariage du cas où il n'y en a pas. S'il y a des enfants, le mari, tant qu'il restera veuf, sera le maître des biens laissés par sa femme, c'est-à-dire qu'il en aura l'administration et la jouissance, avec charge de subvenir aux besoins des enfants. Car les actes de disposition, la vente, l'hypothèque, lui seront interdits, à moins que les enfants, parvenus à leur majorité, ne donnent leur consentement à ces actes'. S'il se remarie, le père ne conservera pas l'administration et la jouissance des biens de sa première femme. Administration et jouissance passeront aux enfants, s'ils sont majeurs, et, s'ils sont mineurs, à leurs représentants légaux'. Si la femme est morte sans laisser d'enfants, ses héritiers prendront : 1° tous les biens qui lui appartenaient en propre ; 2° la moitié des objets qu'elle aura tissés; 3° la moitié des fruits existants, qui seront provenus de ses biens personnels 5. En prévision de la dissolution du mariage par la mort de l'un d'eux, le mari peut autoriser la femme, la femme peut autoriser le mari à exiger, outre ses reprises, ou bien un vêtement, ou bien douze statères, ou bien un objet valant douze statères, mais pas davantage 6. Il y a là une sorte de préciput conventionnel, indépendant des donations proprement dites que le mari a pu faire à sa femme; la loi le désigne sous le nom de xdu.tr'r z. Pour le divorce, nous renvoyons à ce que nous avons La loi de Gortyne avait prévu le cas où la femme divorcée emporterait avec elle, outre les reprises auxquelles elle avait droit, des objets appartenant à son mari, et elle avait organisé pour ce cas une procédure spéciale, que l'on peut rapprocher de l'actio rerum amotarum du droit romain. Il est probable que la même procédure était applicable au cas de dissolution par la mort du mari, si la femme tentait alors de s'approprier des biens faisant partie de la succession de son conjoint décédé. La femme, accusée d'avoir ainsi détourné à son profit des biens du mari, était obligée de se disculper, en prêtant serment par Artémis, près de 1'Amykléon et de la statue qui porte l'arc. Ce serment devait être prêté dans un délai de vingt jours, le juge étant présent, et, quatre jours avant la prestation, le plaignant avait d11 nettement préciser ses griefs contre la femme 7. Si la femme ne se justifiait pas de l'accusation, elle devait payer, au mari ou à ses héritiers, cinq statères, à titre de dommages et intérêts, et restituer en nature la chose par elle emportée ou divertie 3. Le législateur avait ensuite prévu l'hypothèse où un tiers (â),adTptoç) s'était associé aux détournements de la femme, et il avait prononcé contre ce tiers des peines deux fois plus fortes que celles qui étaient encourues par la femme, dix statères et deux fois la valeur de la chose 9. II y a enfin, dans la loi, une troisième hypothèse assez mal définie 10. Le sens que nous avons donné s. v. DIVOIITIU11f, page 321, à cette partie obscure du texte, ne rencontre plus d'adhérents"Aujourd'hui, on interprète généralement la loi en ce sens que, si, après avoir juré qu'elle n'a rien emporté des biens de son mari, la femme soustrait quelque bien par l'entremise d'une personne placée sous sa puissance, il y aura lieu, comme dans le premier cas, à une amende de cinq statères et à la restitution de la chose 'a. Contre qui la condamnation sera-t-elle prononcée? Contre la femme personnellement, ou contre l'auteur du divertissement? Nous avons vu plus haut que des yotxie pouvaient contracter un mariage valable. Le régime matrimonial était alors très simple et rappelle notre régime sans communauté. Lors de la dissolution, la potr.ila reprenait ses biens personnels, rien de plus. Par conséquent tous les fruits et tous les produits de la collaboration commune restaient au mari ou à ses héritiers V. DES SUCCESSIONS. Dans toute la loi de Gortyne, il n'y a pas un seul fragment qui autorise à dire que les Crétois aient connu le testament. M. Zitelmann a bien cru trouver, dans le passage où il est dit que l'adopté doit TÉÂ).Et1. T'X O vz xzl Ta av0pc nva 14, la preuve que le de cujus pouvait mettre à la charge de son héritier des legs au profit des personnes qu'il désirait avantager. Mais les âv0ps'avz, dont parle la loi, ne sont pas des legs imposés à l'héritier. Ce sont les obligations civiles dont le défunt était tenu, par opposition aux OEvx ou obligations religieuses. L'héritier, continuateur du défunt, succédait naturellement aux unes et aux autres. Nous n'avons donc pas à traiter des successions testa GOR 1640 GOR mentaires ; nous n'avons à parler que des successions légitimes. Voici quelle est l'économie générale de la loi. Lorsqu'un homme ou une femme vient à mourir, les successibles sont, au premier rang, les enfants, les petitsenfants et les arrière-petits-enfants ; au deuxième rang, les frères du défunt, les enfants des frères (neveux) et les enfants de ces enfants (petits-neveux); au troisième rang, les soeurs du défunt, les enfants des soeurs (neveux), et les enfants de ces enfants (petits-neveux) ; au quatrième rang, les 7tcU),)\ovTEç, les ayants droit, ou membres de la famille non compris dans les catégories précédentes, à quelque degré qu'ils soient; en dernier lieu, à défaut d'E7ne0tlovTcç, les serfs ou FocxEs attachés au domaine rural du de cujus'. Aucune allusion n'est faite aux ascendants, et ce silence de la loi, qui détermine si catégoriquement les divers ordres de successibles, peut fournir un argument aux historiens qui prétendent que, dans le droit grec, les successions ne remontaient pas2. La loi appelle, en première ligne, les enfants, les petitsenfants, les arrière-petits-enfants du de cujus. Cette limitation au troisième degré dans la ligne directe estelle intentionnelle? Si le de cujus avait laissé des descendants au quatrième degré, ces descendants auraient-ils été exclus de la succession, au profit des frères, des neveux et des petits-neveux ? Pareille question se pose pour le droit attique; nous l'avons résolue en faveur des descendants3. On nous a toutefois objecté que la limitation au troisième degré, que l'on rencontre dans d'autres législations anciennes', peut être rattachée à certaines idées religieuses formellement exprimées dans les Lois de Manou : « Les libations ne doivent être faites que pour trois ascendants; le gâteau funéraire ne doit être offert qu'à trois ascendants ; l'arrière-petit-fils est donc le dernier des descendants tenus des offrandes funéraires ; les descendants qui suivent n'y participent pas °. »Nos questions, pour Gortyne doivent rester provisoirement indécises. A l'origine, en Crète, comme dans tous les autres États grecs, les filles ont dû être exclues par les fils de la succession paternelle. Héritiers de la totalité du patrimoine, les fils étaient seulement tenus de pourvoir aux dépenses de leurs soeurs et de leur procurer un établissement. A une date, qu'il nous est impossible de préciser, faute de synchronismes, alors que Kyllos et ses collègues du GTc pTOç des Æthaliens remplissaient les fonctions de kosmes, une loi admit les filles à succéder à certains biens concurremment avec les fils °. La loi trouvée en 1884 décide, sans rétroactivité, que les filles succéderont en même temps que les fils. Les fils jouiront toutefois d'un double privilège : 1° Ils partageront seuls, à l'exclusion des filles, les maisons de ville, tout le mobilier garnissant ces maisons, et tout le bétail, gros ou menu'. Si, cependant, la succession se composait exclusivement de la maison de ville, les fils ne pourraient plus réclamer un préciput qui aboutirait à l'exhérédation des filles, La maison de ville devrait alors être partagée entre les fils et les filles'. 20 Les fils et les filles, même pour les biens qui ne sont pas soumis au préciput des fils, ne partageront pas sur un pied d'égaliié. Les fils recevront deux fois plus que les filles. « Les fils, en quelque nombre qu'ils soient, recevront chacun deux parts; les filles, en quelque nombre qu'elles soient, recevront chacune une seule part'. » Les mêmes règles étaient applicables à la succession du père et à la succession de la mère70. Le partage d'ascendant était autorisé, soit pour le père, soit pour la mère; mais, en principe, il n'était pas obligatoire pour les parents, les enfants ne pouvaient pas l'exiger. Le père, dit la loi, est le maître de ses biens, et il est libre, s'il le veut, de les partager entre ses enfants. Les mêmes solutions doivent être données pour la mère, en ce qui concerne ses biens personnels. Tant que vivent les parents, le partage ne peut pas être exigé ; il est laissé au bon plaisir des parents ". La loi ajoute, il est' vrai, que, si l'un des enfants vient à être frappé d'une condamnation pécuniaire, il y a lieu de lui faire une part, conformément à ce qui est écrit dans la loi. Est-ce à dire que l'enfant, ou bien ses créanciers ou ayants cause pouvaient exiger que le père leur attribuât, par une sorte d'avancement d'hoirie, toute la part à laquelle l'enfant aurait eu droit, si la succession s'était réellement ouverte à cette époque? Était-ce seulement une part des biens présents, déterminée par une loi que nous ne connaissons pas, que l'enfant pouvait immédiatement demander à son père, en vertu de la copropriété familiale, sans renoncer à venir ultérieurement à la succession, et sauf à précompter sur sa part héréditaire ce qu'il avait reçu du vivant du de cujus 13? Nous ne pouvons que poser ces questions, les éléments de décision nous font défaut. Sans aller jusqu'à une véritable démission de biens ou à un partage d'ascendant, le père pouvait faire à ses enfants des donations en avancement d'hoirie. Ainsi, en mariant une de ses filles, le père avait le droit de lui constituer en dot sa part héréditaire, mais rien de plusi3. Si, en fait, la dot ainsi constituée excédait sa part héréditaire, la fille devait rapporter à la succession tout l'excédent; si, au contraire, la fille avait reçu moins que sa part héréditaire, elle était admise à réclamer le complément de cette part. A défaut de descendants, la loi de Gortyne appelait les collatéraux. Deux observations peuvent être faites ici : 1° Notre loi, qui avait, au moins en partie, supprimé le privilège de masculinité dans la ligne directe descendante, l'avait maintenu intact dans la ligne collatérale. Les frères et_ les descendants de frères passaient avant les soeurs et les descendants de soeurs 14. 2° Le législateur, en appelant seulement les frères, les enfants et les petits-enfants de frères, puis les soeurs, les enfants et les petits-enfants de soeurs, avait-il voulu limiter le droit de succession, en ligne collatérale, au quatrième degré GOR 1611 GOR inclusivement, neveux et petits-neveux? Si le de cujus n'avait laissé que des arrière-petits-neveux, issus de ses frères prédécédés, auraient-ils été exclus par les soeurs et les descendants de soeurs jusqu'au quatrième degré, sauf à revenir, si cela était possible, en qualité d'Éat6aaaovTEç? Ces questions restent provisoirement indécises. A défaut des frères et soeurs ou descendants d'eux, c'est-à-dire des successibles se rattachant au de cujus par son père, la loi de Gortyne appelait les t.ato6iaaovts. Ce mot générique, qu'on peut traduire par « ayants droit », comprenait, dit-on, les oncles et leurs descendants, cousins germains du défunt et autres, se rattachant au de cujus par un aïeul commun; puis les grands-oncles et leurs descendants, cousins issus de germains et autres, se rattachant au de cujus par un bisaïeul commun; les parents par l'aïeul excluant les parents par le bisaïeul et la représentation dans chaque ordre de parenté s'étendant à l'infini t. Il est permis toutefois de faire observer qu'il est peu logique d'admettre l'oncle à succéder, alors qu'on exclut le père, puisque l'oncle et le père sont sur la même ligne généalogique; d'admettre le grand-oncle, alors qu'on exclut l'aïeul. La succession remonte aussi bien dans un cas que dans l'autre. C'est, sans doute, pour échapper à ce reproche que M. Thalheim a fait une place au père, à défaut de descendants issus des soeurs, parmi les é1[t6t anovrEç'. Il n'est pas non plus conforme à la raison d'admettre la représentation à l'infini pour les collatéraux descendant de l'aïeul ou du bisaïeul, alors qu'on la délimite strictemen t pour les collatéraux descendant du frère et de la soeur, et même pour les successibles en ligne directe descendant du de cujus. Enfin, à défaut d'E7fteâaaovTEç, la loi appelait les FotxÉeç oèrtvEç x' ètov't b x),âpor,, c'est-à-dire les représentants des anciens possesseurs du xaâpoç, de la terre attribuée par le sort au conquérant dont était issu le de cujus. Lorsque la postérité du vainqueur est complètement éteinte, la loi rend le sol aux Fotxixç, qui depuis longtemps le cultivent, à ces FotxéE;, héritiers des vaincus, qui vont enfin être libérés de la servitude de la glèbe et arriver à la liberté. Nous devons reconnaître toutefois que cette interprétation de la loi, quoique très généralement admise, a été contestée. M. Schaube et M. P. Guiraud ne croient pas que les serfs aient jamais été autorisés à devenir propriétaires du sol. A leur avis, le xaâpoç vacant faisait évidemment retour à l'État, qui l'assignait à un autre citoyen. Les biens continuaient d'être exploités par les Fotx.Eç établis sur eux, mais en qualité de simples possesseurs pour le compte de l'État et du nouveau maître à désigner ultérieurement'. La représentation était-elle admise dans le droit de Gortyne? Il est permis d'en douter, soit pour la ligne collatérale, soit même pour la ligne directe. La loi sur les filles héritières dit qu'une fille est patroôque dès qu'elle n'a plus ni père ni frère consanguin 4. De là il faut bien conclure qu'elle serait patroôque lors même qu'elle aurait un neveu issu de ce frère consanguin prédécédé. Or, si la représentation avait été admise, ce neveu aurait pris la place de son père et aurait eu un droit supérieur à celui de sa tante. La patroôque, dit aussi la loi, épousera le frère de son père, son oncle paternel, et, s'il y a plusieurs frères vivants, elle épousera le plus âgé de ces frères. Si tous les frères sont morts, si, par suite, la patroôque n'a plus d'oncles paternels, mais que ces oncles aient laissé des enfants, cousins germains de l'héritière, la patroôque épousera celui qui est le fils de l'aîné de ses oncles5. Si la représentation eût été admise, ce fils aurait dû venir, dans la classification des prétendants, immédiatement après son père décédé, tandis que la loi appelle successivement avant lui tous les frères de son père. A raison de l'analogie existant entre le droit à l'hérédité et le droit à la fille héritière, on peut supposer pour l'hérédité des règles identiques à celles qui étaient données pour la patroôque ' . Ce ne sont toutefois que des inductions. Le texte même de la loi sur les successions est trop concis pour fournir un argument décisif contre la représentation. Si on exclut cette faculté pour un fils de prendre la place de son père prédécédé, il faudra dire, non seulement que les petits-fils du de cujus, issus de fils prédécédés, ne succéderont pas, tant qu'il y aura encore des fils vivants, mais encore que, lorsque tous les fils seront décédés, les petits-fils, venant alors à la succession, recueilleront par têtes et non par souches, per capita non per stirpes7. Si ces conclusions sont exactes, il y aurait sur ce point une différence no table entre le droit de Gortyne et le droit attique, qui, lui, admettait la représentation Lorsqu'une succession était échue à plusieurs successibles du même degré et que les uns voulaient partager tandis que les autres tenaient à rester dans l'indivision, le juge ordonnait que tous les biens fussent mis à la disposition exclusive des héritiers qui demandaient le partage, jusqu'au moment où les autres se décideraient à consentir à la division. Si les récalcitrants s'avisaient de troubler les envoyés en possession et de leur enlever l'un des biens héréditaires, ils encouraient une amende de dix drachmes et devaient rendre au double la valeur de la chose par eux enlevée'. C'était un moyen bien arbitraire, mais aussi certainement infaillible, pour faire cesser toute résistance. L'indivision ne pouvait donc subsister entre cohéritiers que lorsque tous étaient d'accord pour la maintenir ; mais, d'un autre côté, le juge n'avait pas le droit d'ordonner le partage i0, puisque la loi avait dû recourir à une voie détournée pour obtenir que; tous les intéressés consentissent à cette opération. Par exception, le juge pouvait, de sa propre autorité, et à la seule condition d'appuyer sa sentence d'un serment, effectuer, sur la demande de l'un des cohéritiers et malgré la résistance des autres, le partage des animaux, des fruits, des vêtements, des bijoux et des autres biens mobiliers tt. GOR 4642 GOR Quand les parties s'étaient mises d'accord pour sortir de l'indivision, le partage avait lieu, en présence de témoins. Pour sa régularité, il fallait un minimum de trois témoins majeurs et libres'. Si des difficultés surgissaient entre les copartageants relativement à la formation des lots et qu'il devînt malaisé de.partager en nature, on mettait les biens en vente et on les adjugeait à celui qui en offrait le prix le plus élevé. La somme provenant de cette licitation était partagée entre les héritiers proportionnellement àleursdroits2. La loi de Gortyne, et c'est, à notre avis, -une de ses dispositions les plus notables, avait déchargé l'héritier de l'obligation, habituelle dans le droit primitif, au moins en ligne directe, de supporter tout le poids d'une succession insolvable. D'après notre loi, il n'y a plus d'héritiers nécessaires. L'habile à succéder, lors même qu'il serait un descendant, peut, dans une certaine mesure, répudier la succession. « Si une personne meurt débitrice d'une somme d'argent, soit à raison d'un contrat, soit par suite d'eue condamnation judiciaire, ses héritiers auront les biens, pourvu qu'ils soient disposés à payer la dette ou le montant de la condamnation. S'ils ne veulent pas payer ainsi, ils échapperont à toute poursuite en abandonnant les biens aux créanciers. » Il va de soi que les créanciers du père, n'ayant pour gage que les biens paternels, ne pourront pas exiger que les enfants leur abandonnent des biens maternels, et réciproquement. L'abandon ne doit porter que sur les biens composant la succession du débiteur 3. Les termes dont se sert le législateur permettent toutefois de croire que l'héritier, qui usait de la faculté d'abandonner les biens aux créanciers, ne cessait pas d'être héritier, et qu'il n'y avait, par conséquent, ni accroissement au profit de ses cohéritiers, ni dévolution au degré subséquent. L'effet de l'abandon était simplement de mettre l'héritier à l'abri de toute poursuite des créanciers sur ses biens personnels'. C'était quelque chose d'analogue au droit, que l'article 802 de notre code civil accorde à l'héritier sous bénéfice d'inventaire, de se décharger du payement des dettes, en abandonnant tous les biens de la succession aux créanciers, et cela sans se dépouiller de sa qualité d'héritier. On peut donc dire que, à Gortyne, au temps de notre loi, les héritiers pouvaient n'être tenus des dettes du défunt qu'infra vires hereditatis, puisque, en délaissant l'hérédité aux créanciers, ils se dérobaient à toute action personnelle de la part de ces derniers. Mais ils restaient héritiers, malgré l'abandon des biens, et continuaient d'être tenus des obligations religieuses attachées à la qualité d'héritier. conque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Aussi une loi de Cnossos dit-elle que l'homme qui aura brisé les cornes d'un boeuf devra payer au maître du boeuf cinq chaudrons (7rÉVTE ]`Eeiri'raç) 5. Peu importe, au point de vue qui nous intéresse, s'il s'agit ici de véritables chaudrons, en fer ou en cuivre, jouant le rôle de monnaie à une époque où le système monétaire de la Crète n'était pas encore organisés, ou s'il s'agit de pièces de monnaie frappées ou au moins contremarquées au type du chaudron7. Les 7C.:VTc ),ÉÉriTsç payés au maître du boeuf lui sont attribués en réparation du dommage dont il est la victime. La responsabilité ne doit pas même être limitée au dommage que l'on cause par son propre fait; elle s'étend au dommage causé par les personnes que l'on a sous sa puissance, et, en particulier, par les esclaves. C'est un principe qui était partout en vigueur dans l'antiquité grecque 6, et que nous ne sommes pas surpris de voir appliqué à Gortyne. Seulement, lorsque l'esclave avait eu successivement plusieurs maîtres, la question se posait de savoir quel était le maître responsable. Était-ce celui qui possédait l'esclave au moment de l'acte dommageable? Était-ce celui qui le possédait lorsque l'action en indemnité était intentée? Le droit attique s'était prononcé dans le premier sens 0, tandis que la loi de Gortyne avait adopté une règle analogue à celle que les Romains formulèrent plus tard: noxa capot sequitar, A Gortyne, le maître est, en effet, responsable de tous les dommages causés par son esclave, de ceux qui sont antérieurs comme de ceux qui sont postérieurs à son acquisition : « Si l'esclave a causé un dommage à quelqu'un, avant ou après l'achat sur le marché, c'est le possesseur actuel qui sera soumis à l'action en justice 10 ». Voilà pourquoi un acheteur d'esclave, qui, aussitôt après son acquisition, découvrait qu'il était exposé à subir une responsabilité plus ou moins lourde du chef de son nouveau serviteur, était autorisé, sans doute comme pour le cas de vices cachés, à demander la résiliation de son contrat. Soixante jours lui étaient accordés, à dater de son acquisition, pour la mise en mouvement de cette action rédhibitoire". Une autre loi de Gortyne s'était occupée du dommage causé par un esclave fugitif. Le maître qui achetait cet esclave était tenu de réparer le préjudice qu'il avait causé, no tamment d'indemniser les personnes auxquelles il avait volé certaines choses. Mais la loi lui permettait, comme dans l'hypothèse précédente, de demander la résiliation de son contrat; elle avait seulement restreint de soixante à trente jours le délai dans lequel la redhi bitio, ou, comme dit le texte, la 7tuîvi ,ctç, pouvait être demandée '2. Ce texte est malheureusement très mutilé; mais il prévoyait certaines transactions entre l'acheteur de l'esclave et la victime du dommage, soit pour éviter la résiliation ou aepal(satç, soit pour rendre l'abandon noxal moins préjudiciable. Il nous est impossible de préciser la nature de ces conventions. Les délits commis par la personne libre qui s'était personnellement obligée, par le xsTvxv;'p.eVOç, n'engageaient pas la responsabilité du créancier. C'était le x«TaxE(N.avc lui-même qui devait réparer le dommage par lui causé. S'il n'avait pas de biens sur lesquels la victime du dommage pût se faire indemniser, un accord intervenait entre les deux créanciers, sans doute pour la répartition entre eux des services de l'engagé 13. Responsable du dommage causé par ses esclaves, le GOR 46 3 GOR maître devait être, à plus forte raison, responsable du dommage causé par les animaux domestiques dont il était propriétaire. Une loi de Gortyne contient, sur cette TETpceeisv (i?,1*1, des dispositions minutieuses, dont on peut rapprocher un fragment d'une loi de Cnossost. Une bête à pied corné a estropié ou tué une bête de la même espèce appartenant à un autre propriétaire. Ce dernier doit conduire l'animal blessé ou faire transporter son cadavre chez le maître de l'animal qui a causé le préjudice. Si la conduite et le transport sont impossibles, le plaignant fera, dans les cinq jours, sommation à son adversaire de venir voir la bête, malade ou morte, là oùelle se trouve. Cette formalité de la présentation de la victime, ou de la sommation de venir la voir, est requise par le législateur à peine de nullité. Aucune action ne devrait être reçue en justice, si elle avait été omise2. Le propriétaire lésé a le droit d'exiger que l'animal qui a causé le dommage lui soit livré en échange de l'animal blessé ou tué. Mais il pourrait arriver que cet échange fût très peu avantageux pour lui. Aussi la loi lui permet-elle d'y renoncer et d'exiger de son adversaire la réparation pécuniaire du dommage, c'est-à-dire la valeur, au simple, de l'animal tué ou estropié'. Le législateur avait cru nécessaire de régler par des dispositions particulières, analogues à celles que nous offrent plusieurs lois franques, presque tous les cas qui pouvaient se présenter dans la vie quotidienne. Il prévoit le cas où l'auteur du dommage est un porc, qui a estropié ou tué une bête à pied corné; le cas où la victime est un cheval, un mulet, un âne; le cas où un chien a reçu une ruade. Mais les textes sont incomplets et nous ne pouvons pas dire quelle était la réparation spéciale à chacune des hypothèses prévues. Le législateur de Gortyne, en ce qui concerne les délits proprement dits, ne s'est occupé, dans notre loi, que des délits contre les moeurs, adultère, viol, attentat à la pudeur, et les moeurs crétoises l'ont obligé à prévoir les violences aussi bien contre les hommes que contre les femmes'. Les dispositions relatives à l'adultère dénotent certainement un état de civilisation plus avancé que celui que l'on rencontre à la même époque dans les autres républiques grecques. Il est aujourd'hui généralement admis que les lois sur l'adultère ont eu, chez tous les peuples, une évolution bien déterminée. Le mari est d'abord autorisé, lorsqu'il surprend les coupables en flagrant délit, à tuer le complice de sa femme; c'est la forme la plus rigoureuse de la justice privée. Plus tard, la loi se montre favorable au mari qui s'abstient de donner la mort et qui se borne à s'emparer du complice, à le mettre en chartre privée et à le retenir jusqu'à ce qu'il ait payé une rançon. Le délinquant est atteint, non plus dans sa personne, mais dans ce qu'il a de plus précieux après la vie, dans sa fortune, et, pour racheter sa vie, il faut qu'il paye par lui-même, ou par ses parents, ou par ses amis. Le chiffre de la rançon, de la 7rQ(v7i, varie naturellement suivant une foule de circonstances. Par un nouveau progrès et afin d'éviter l'arbitraire, le législateur détermine lui-même, en tenant compte de la diver IV. sité des cas, le chiffre de la composition. Le pacte, ayant pour but la renonciation à la vengeance privée et le rétablissement de la paix (pax, pactum) entre l'offenseur et l'offensé, de facultatif qu'il était jusqu'alors, devient obligatoires. Au Ive siècle, Athènes proclame encore le droit de vengeance privée ; le mari a le droit de vie et de mort. Gortyne, dès le ve siècle, a un tarif légal de compositions, dressé avec un soin minutieux, eu égard à la condition juridique des parties en cause, et même au lieu dans lequel le délit a été commis. Quand la femme adultère et son complice sont l'un et l'autre de condition libre, la composition est fixée à cent statères, si le délit a été commis dans la maison du père, du frère ou du mari de la femme; à cinquante statères, si le délit a eu lieu dans la maison de toute autre personne 6. Si la coupable est la femme d'un it rtpoç et que le complice soit de condition libre, la composition sera de dix statères'. Dans tous les cas qui précèdent (la loi ne vise expressément que l'hypothèse de l'ÉÀoo u, mais il y a parité de motifs pour le cas de l'paTalpe), si le complice de l'adultère est un esclave, le tarif légal sera doublé 8. Les compositions seront donc, suivant les distinctions qui précèdent, de deux cents, de cent, de vingt statères. Enfin, si les deux coupables sont l'un et l'autre esclaves, la composition sera de cinq statères°. Il y a cependant un cas qui n'est pas prévu par la loi : c'est celui où un homme libre se rend coupable d'adultère avec une femme esclave. Le silence pourrait bien être intentionnel10. Les lois primitives, qui reconnaissaient à un mari outragé le droit de venger son honneur en mettant à mort l'auteur de l'outrage, avaientelles eu en vue l'esclave qui surprenait près de sa femme un homme libre? Il est permis d'en douter. Or, si l'esclave n'a pas eu à l'origine le jus vitae necisque, il n'a pas dû avoir plis tard le droit d'exiger la 7rotv7i, la composition légale, qui a remplacé la vengeance privée". La composition n'était accordée qu'au mari qui surprenait les coupables en flagrant délit, qui s'emparait de l'offenseur et le mettait en chartre privée. Mais alors comment obtenait-il la rançon? La loi nous dit que l'offensé, en présence de trois témoins, si le coupable est un homme libre, fait sommation aux proches parents du captif de payer la composition légale dans le délai de cinq jours". Quand le coupable est un esclave, la sommation est adressée à son maitre et il suffit de deux témoins13. Les cinq jours expirés sans que la composition ait été payée, l'offensé pourra faire de son captif ce qu'il voudra". Faute de rachat, on revient donc au système de la vengeance privée. Plus d'une fois, à Gortyne, comme à Athènes et à Rome, un guet-apens fut organisé par des époux malhonnêtes pour obliger quelque citoyen riche à s'imposer en leur faveur un sacrifice pécuniaire. La loi prévoyait le cas. Quand le prétendu délinquant articulera qu'il est victime d'une fraude, le mari qui le tiendra en chartre privée devra affirmer sous la foi du serment qu'il a pris son détenu en flagrant délit d'adultère et qu'il ne l'a pas 207 GOR 1644 .GOR attiré dans un piège. Mais alors, chose très notable? son affirmation solennelle devra être corroborée par des cojuratores ', dont le nombre variera suivant les cas. 11 y en aura quatre quand la composition sera de cinquante statères ou de plus forte somme, par conséquent quand le mari sera de condition libre. Il y en aura deux si le mari est un âaTatpos. Enfin, si le mari est esclave, un seul suffira 2. Il est vrai que, dans ce dernier cas, comme l'esclave ne peut pas jurer personnellement et qu'il est représenté par son maître, il y aura encore deux serments : celui du maître et celui d'une tierce personne. Indépendamment de ces peines qui profitaient à la victime du délit, y avait-il quelques pénalités afflictives ou infamantes prononcées par un tribunal de répression? Élien le dit expressément : « A Gortyne, celui qui était surpris en adultère était conduit devant les magistrats. Dès que la preuve du délit était fournie, on lui mettait sur la tête une couronne de laine; il était vendu au profit du trésor public, frappé de l'atimie la plus forte et exclu de toute participation aux actes de la communauté 3. » Mais le témoignage de l'historien ne peut pas se concilier avec le droit que nous avons exposé ; il ne serait donc admissible que pour une époque ultérieure. 11 offre d'ailleurs des contradictions et des invraisemblances qui obligent, au moins pour partie, à en suspecter l'exactitude °. Pour le viol, comme pour l'adultère, le législateur de Gortyne avait dressé tout un tableau de compositions pécuniaires, dans la fixation desquelles il avait également pris en considération la condition de l'offenseur et celle de l'offensé, quelquefois même les circonstances du crime. Si le coupable, dit la loi, est de condition libre, il paiera cent statères, lorsque la victime du viol sera de condition libre; dix statères, lorsqu'elle appartiendra à la classe des âa:Tcaeo ; cinq statères, lorsqu'elle sera de la classe des FomxiEç 3. Si le coupable est un esclave et la victime de condition libre, la composition sera deux fois plus forte; elle s'élèvera donc à deux cents statères 6. Il est probable que la composition était également doublée, lorsque la victime du viol commis par l'esclave était un naoupos, et qu'elle était portée à vingt statères. Enfin, lorsque le coupable et la victime étaient l'un et l'autre des FotxEç, la composition était de cinq statères 7. Si l'on rapproche ce tarif de celui que nous avons présenté pour l'adultère, on remarquera plusieurs similitudes. Il convient toutefois de noter que le viol d'une personne libre est puni plus sévèrement que l'adultère simple, c'est-à-dire commis hors de la maison du père, du frère ou du mari, et qu'il est mis sur la même ligne que l'adultère avec la circonstance aggravante attachée au lieu oit la faute a été commise. La loi avait cru devoir protéger spécialement l'esclave domestique, l'ivôoOtô(«, contre les violences de son maître. Si elle était encore vierge au moment de l'attentat, le maître devait lui payer deux statères. Si elle était déjà déflorée, la loi distinguait suivant que le crime avait été commis pendant le jour ou pendant la nuit : une obole dans le premier cas, deux oboles dans le deuxième. Chose très notable! L'esclave qui accusait son maître était crue sur parole, pourvu que son accusation fût corroborée par un serment $. Il y a enfin, dans la loi, un texte qui édicte une peine de dix statères pour un délit assez mal caractérisé. S'agitil de la séduction d'une femme libre ou d'une simple tentative de stuprum 9 ? Il est malaisé de répondre. Quoi qu'il en soit, la peine sera encourue lorsqu'un parent aura constaté le fait et qu'un témoin confirmera sa déposition". VII. Dlsrosl ioiss PARTICULIÈRES. Notre loi règle pour l'avenir la quotité de biens dont un mari pourra disposer en faveur de sa femme, ou dont un fils pourra disposer en faveur de sa mère : cent statères, tel est le maximum qui ne pourra jamais être dépassé. Lorsque la donation aura eu lieu en numéraire, aucune difficulté ne s'élèvera entre les intéressés sur le point de savoir si le donateur a donné plus ou moins que la quotité disponible. Mais, si la donation consiste en objets susceptibles d'évaluations contradictoires, faudra-t-il nécessairement recourir à une expertise plus ou moins dangereuse? Devançant l'article 917 de notre code civil, la loi de Gortyne permet aux héritiers de se soustraire aux chances d'une estimation. Que les ayants droit exécutent la libéralité telle qu'elle a été faite, ou bien qu'ils gardent pour eux tous les biens du disposant, en payant à la donataire une somme d'argent égale à celle dont le donateur pouvait valablement disposer ". Il sera bien certain que la quotité disponible n'est pas dépassée. La loi nouvelle n'aura toutefois son effet que pour l'avenir. Les donations faites par un fils à sa mère, par un mari à sa femme, conformément à une loi antérieure, que le législateur mentionne sans dire ce qu'elle contenait, ne pourront pas donner lieu à une action de justice 12. Devançant également le préteur Paulus, la loi de Gortyne annule les donations qu'un débiteur a pu faire au préjudice de ses créanciers. « Si quelqu'un, débiteur d'une somme d'argent, ou frappé d'une condamnation pécuniaire, ou engagé dans un procès, fait une donation, et que le surplus de ses biens ne suffise pas à l'acquittement de ses obligations, la donation ne sera pas opposable à ses créanciers13. » Il y a toutefois une notable différence entre cette disposition cré toise et l'action paulienne. Le préteur Paulus avait eu surtout en vue les actes frauduleux d'un débiteur, ceux qu'il fait en haine de ses créanciers, quai in fraudeur creditorum geste sunt, tandis que la loi de Gortyne se préoccupe surtout de l'eventus damni, du préjudice causé aux créanciers. Elle décide que la donation ne sera pas opposable dès l'instant qu'elle ne laissera pas aux créanciers un actif suffisant pour leur payement, lors même que le débiteur n'aurait pas eu le consilium fraudis, lors même qu'il n'aurait pas su que, en faisant la donation, il se rendait insolvable. Le second Code de lois de Gortyne, celui qui est gravé sur le mur circulaire du théâtre, nous offre une application d'une règle bien connue des romanistes : In fitiatione lis crescit in dup lum. Celui qui a reçu, à titre de dépôt, de commodat ou à tout autre titre précaire, un animal, quadrupède ou oiseau, doit évidemment le rendre en nature, lorsque le maître de l'animal en exige GRA -16415GRA la restitution. Si la restitution en nature est impossible, par exemple parce que le débiteur a fait périr l'animal, le débiteur payera au simple sa valeur. Mais, si le défaut de restitution est aggravé par une négation de la dette, qui oblige le créancier à recourir à la justice pour faire reconnaître son droit, le débiteur payera deux fois la valeur de l'animal et sera en outre condamné à une amende envers la ville I. Étudiée dans son ensemble, la loi de Gortyne laisse cette impression qu'elle n'exige pas, pour les actes de la vie civile, d'autres modes de preuve que la preuve testimoniale. Les obligations sont contractées en présence de témoins pubères, aux souvenirs desquels on fera plus tard appel devant le juge, si le débiteur nie l'existence ou les conditions de la dette. La loi se borne, suivant les cas, à exiger un, deux ou trois témoins. Il semble bien, en effet, que, lorsque l'intérêt en litige était susceptible d'évaluation, le nombre des témoins était proportionné à cet intérêt. Dans un texte assez obscur, où l'on a cru voir une promesse de commandite en argent, il est dit qu'il y aura trois témoins s'il s'agit de cent statères ou d'une somme plus forte, deux témoins s'il s'agit de dix à cent statères, un seul témoin s'il s'agit de moins de dix statères 2. L'analyse succincte que nous venons de présenter des lois retrouvées sur le sol de l'ancienne Gortyne suffit pour montrer que les décisions judiciaires en Crète n'étaient pas, comme l'a dit Aristote abandonnées à l'arbitraire des juges. Ceux-ci devaient se conformer à des lois écrites, rédigées avec une précision remarquable, qui inspire aux historiens du droit une haute estime pour les législateurs crétois. E. CAILLEMER.