Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article GRANARIUM

GRANARIUM ('A roO xri). Lieu où l'on conserve les grains. Les mots français « grenier » et « grange » sont infiniment plus compréhensifs. On appelle, par exemple, granarium les cases d'un grenier, d'un 1I0RREUI1 dans lequel chaque espèce de céréales est conservée à part'. Cette distinction est encore plus nécessaire dans les liorrea publica, qui contiennent souvent bien autre chose que des grains. Par contre, le granarium peut être une construction spéciale et isolée, tout aussi bien qu'une partie de l'habitation, des communs, de l'horreum ou de la ferme ; le nom s'applique même aux silos. Les agronomes nous ont légué en détail la théorie du grenier romain. Dans le Latium cc qui préoccupe avant tout, c'est la préservation contre l'humidité, in nostris regionibus quae redundant uligine, dit Columelle 3, qui demande que les rez-de-chaussée soient réservés aux provisions liquides, mais que les grains soient entreposés sur planchers, granaria scalis adeantur. On comprend qu'il ne soit plus possible de donner un spécimen des locaux de cette espèce. Varron' voulait que les greniers fussent au haut de la maison, sublimia, ventilés par des fenêtres placées vers le levant et vers le nord. Mais tous deux donnent, avec l'indication d'un carrelage en terre cuite, la formule d'un opus signinum, béton de tuileaux au marc d'huile, pour le sol, et d'un enduit, également au marc d'huile, pour les murs : ces précautions préserveront les grains des souris, des vers, des charançons, de IV. l'humidité. Chacun avait sa recette pour empêcher, dans de tels bâtiments, les tas d'être attaqués des bêtes ou pourris par l'air saturé d'eau : les uns y introduisaient du marc d'huile, d'autres de la terre de Chalcis, de la craie de Carie, de l'absinthe. Le vieux Caton était plus simple : il croyait n'avoir rien à craindre après avoir enduit tout le grenier d'un brai fait de marc d'huile et de paille, recouvert d'une seconde couche'de marc et séché'. Pline, avec raison, pense que, pour bien conserver le grain, la grande affaire est de le récolter à point et de le rentrer sec a. Varron et Columelle 7 connaissent d'autres systèmes de greniers, employés dans d'autres pays. En Apulie et en Espagne, on en construit au milieu des champs, sur pilotis ou sur piliers, qui de cette manière, sont, non seulement aérés par leurs fenêtres, mais ventilés par en dessous, entre le sol et leur plancher. En Cappadoce et en Thrace, on emploie des cavernes ou souterrains que l'on appelle antpot. Il est à croire que Varron transcrit là un renseignement qui s'applique à de vrais silos; car Columelle appelle siri les puits à grains, putei, que son devancier signale comme employés en Afrique et en Espagne 8. Les silos, qui sont en effet de la plus vieille pratique carthaginoise, existent en nombre infini dans tous les pays Barbaresques : il y en a partout, les uns faits de nos jours, les autres hérités des anciens, certains abandonnés ou détruits, et remontant à tous les âges. Ce sont les silos de la Byzacène qui fournirent le blé aux troupes de César9. Le trou étant creusé en bon sol, en forme d'entonnoir renversé ou de bouteille, et bien sec, un lit de paille est étendu au fond ; la cavité doit être ensuite remplie, et bouchée hermétiquement; quelques-unes de ces « matmoura » sont énormes, d'autres de moindres dimensions. En voici une (fig. 3647), en partie remblayée, qui existe près de Monastir, dans l'île d'El Ghadamsi10. Les auteurs disent que le froment peut durer là dedans jusqu'à cinquante ans, et le millet plus de cent. Nous avons vu, en 1888, délivrer aux Tunisiens de l'orge de semence entré au siècle dernier dans les silos de la Rabta. Pline rapporte ce qu'on dit pour et contre chacun des systèmes connus. II décrit fort exactement les greniers en bois montés sur piliers, et un autre système, analogue aux amphores à grains qui s'emploient de nos jours dans certains pays. Ce sont de vrais silos sur terre, et on leur en donne souvent la forme ; les anciens les construisaient de briques, en murs de trois pieds d'épaisseur, sans autre ouverture qu'un regard placé à la partie supérieure, et par oit l'on versait et 208 GRA 1652 GRA puisait Parfois même ils se bornaient à enfoncer dans la terre, comme on le voit dans un grenier d'Ostie que nous reproduisons ici (fig. 3648), ou à empâter dans une maçonnerie, un ou plusieurs de ces immenses clolia qui servaient à contenir les grains 2. Nous relevons (fig. 3649), sur un carnet de voyage, les débris d'un arrangement de cette dernière espèce, rencontré à l'Henchir Inchilla, l'ancienne Usilla, en Afrique. C'est, en plus grand, la jarre qu'on employait à transporter les céréales ou d'autres denrées, et dont on a trouvé des rangées, remplies de blé, dans les boulangeries et dans les moulins de Pompéi. L'exemple le plus ancien qu'on connaisse de cet usage est celui d'Hissarlik, sur l'emplacement de Troie {nutum, fig. 2491]. M.-R. flr. LA BLANen$RE. GRAPIIÉ (Ppcu ii). Dans un article précédent [DIKÈ], nous avons, en collaboration avec M. Paul Gide, donné des notions générales sur les actions à Athènes et sur leurs diverses espèces. Nous avons dit notamment que les actions se divisaient en deux grandes classes, les actions privées, 8(x«t iiiat, appelées simplement 8ixat, stricto sensu, et les actions publiques, Uxat a7ip.oefat, appelées ordinairement ypapat. Nous avons même indiqué sommairement les différences qui existent entre ces deux groupes d'actions. Nous allons maintenant exposer plus complètement les caractères particuliers des actions publiques, et présenter une vue d'ensemble de ces actions, en renvoyant, pour chacune d'elles, à l'article spécial qui lui est consacré. On peut ramener à trois principaux les traits distinctifs des ypapzl, ceux qui les différencient le mieux des il(xat ou actions privées. 1. Tandis qu'une action privée ne peut être intentée que par la personne qui est directement intéressée à sa mise en mouvement ou par son représentant légal, une action publique peut, en principe, être intentée par tout citoyen qui en a le désir, pourvu qu'il soit régu lièrement inscrit sur le ),ri tapi.tx'ov ypallptiaTsiov ou re gistre civique, qu'il ne soit pas en état d'atimie, et qu'il ait l'exercice de ses droits civils : 'E;v tit;t (3ou1ol,.€vtp Il y a plusieurs dérogations à cette première règle : 1° Les tpovtxal i(xat, d'est-à-dire les actions relatives au meurtre volontaire ou involontaire, aux blessures faites avec préméditation, à l'empoisonnement, etc., ne peuvent être intentées que par la victime, ou, si elle a succombé, par quelqu'un de ses proches parents h'r'oc âv5112t6'reyro; 2. C'est un reste du vieux droit primitif, d'après lequel la famille seule a le droit de venger le meurtre du défunt'. Au temps de Démosthène, les exégètes proclament encore que les lois ne reconnaissent la faculté d'agir contre le coupable qu'à ceux qui sont du même y€vo que la victime Il fallut bien cependant tenir compte des nécessités sociales. Comme on ne pouvait pas laisser absolument impuni le meurtre d'un esclave ou d'un affranchi, sous prétexte qu'ils n'avaient pas de famille, le droit d'agir fut reconnu au maître de l'esclave, au patron de l'affranchi, et, par analogie, lorsque la victime était un métèque, au patron de ce métèque ; mais à ces personnes seulement 6. Le fils du patron n'eût pas été autorisé à agir pour faire punir le meurtre d'une esclave que son père avait affranchie ; car cette femme n'était ni sa parente, ni sa servante 6. Malgré ces tempéraments, beaucoup de crimes fussent restés impunis. Mais il est bien probable que, au moins dans le cas de flagrant délit, peut-être même dans d'autres circonstances, la procédure rapide de l'APAGoGÈ remédiait aux inconvénients de la trop stricte application d'un droit suranné. 20 Par une raison analogue à celle qui, chez nous, subordonne la poursuite du délit d'adultère à la plainte de l'époux offensé, cet époux étant souverainement juge de ce que commande l'intérêt de la famille, l'action d'adultère, bien qu'elle fût expressément, d'après Aristote, une action publique, la tlotx.aiaÿ ypctyli', ne pou vait être intentée que par le mari de la femme. Comme cette tioty,si«c ' zpel s'appliquait, non seulement à l'adultère, mais encore à des relations non autorisées avec une fille ou une veuve', il faut admettre a fortiori que le xtrpio; de la femme avait seul le droit d'agir. 3° Pour des raisons faciles à deviner, la ypc sâôtx o sïp/0ïlvat wç µotydv, que pouvait intenter celui qui affirmait qu'on l'avait attiré dans un piège, pour avoir le droit de l'accuser d'adultère et'de lui extorquer une somme d'argent jusqu'au payement de laquelle il serait retenu en chartre privée, cette action publique ne pouvait pas, évidemment, être abandonnée au premier venu. Il suffit de lire, dans Démosthène, quels traitements attendaient celui qui échouait dans cette action, pour être bien certain que la victime de la fraude avait seule le droit de se plaindre. 4° Nous avons déjà fait observer, s. v. 13oULEUSEO$ GRAPIÈ9, que cette action et la Jisuôsyypac?r,ç ypx?r'1, qu'il est malaisé d'en distinguer, offraient les deux particularités suivantes. Tous les textes supposent que le citoyen qui intente l'action est celui-là même qui se dit illégalement inscrit sur les registres contenant les noms des débiteurs de l'État. L'action ne paraît pas accordée au premier venu, v(T) (3ouaop.ivcp. Mais il y a ce fait, plus exceptionnel encore, que, bien que l'inscription, tant GRA 1653 GRA qu'elle n'est pas effacée, ait pour conséquence l'atimie, c'est-à-dire l'incapacité légale d'agir, c'est l'inscrit qui met lui-même en mouvement l'action. Démosthène nous montre Aristogiton, alors qu'il demande à être rayé, agissant lui-même T l T7iç ~iOUÂEÛGEWÇ, ïv aÛTÔÇ Ôttil XEwt, Ypa' '. La foi, provisoirement due à des registres publics, semble malaisée à concilier avec cette solution. L'inscrit avait-il à solliciter une n'eta plus ou moins facilement accordée? 5e Il faut enfin ranger parmi les actions publiques que l'intéressé seul a la faculté d'intenter la 'ieu xXrïTEtz; 'papa. Que celui qui a été condamné par défaut, et qui prétend n'avoir pas été régulièrement assigné, poursuive pour faux témoignage les témoins qui ont prétendu avoir assisté à la citation en justice, rien de mieux. Mais, s'il garde le silence, on ne voit pas pourquoi des étrangers interviendraient. A priori, l'action devrait être une action privée comme l'était ordinairement l'action I.IIEUBOti.apTUpunv. Les xa-tTripss étaient de simples témoins. Mais le législateur athénien attachait un si grand prix à leur sincérité que leurs mensonges pouvaient être punis de mort a. La EuooxXriTEtaç ypacprj était donc une action publique, mais une action publique réservée à l'intéressé. II. Dans les actions privées, le demandeur qui succombait dans son action n'encourait aucune peine. Sans doute, s'il y avait eu dol ou faute lourde de sa part, il pouvait être condamné, comme plaideur téméraire, à des dommages et intérêts envers son adversaire. L'EroBELIA n'était même qu'une forme particulière de ces dommages pour quelques cas dans lesquels la loi présumait la mauvaise foi, Mais, en principe, l'échec dans une action privée n'exposait pas à une pénalité. Le demandeur pouvait également, sans avoir rien à craindre, se désister de son action, lorsque cette action était une action privée. Il n'en était pas de même lorsqu'il s'agissait des ypaya:. Pour prévenir des excès de zèle de la part de gens, qui, sous prétexte de veiller à la sûreté de l'État, auraient intenté, à tort et à travers, des actions publiques, et surtout pour remédier au mal des sycophantes, de ces chiens du peuple (xéwv Toû 871it.00) 3, qui aboyaient, sans motifs, contre les meilleurs citoyens, le législateur athénien avait décidé que tout accusateur, qui, ayant intenté une yezy-i, n'obtiendrait pas le cinquième des suffrages exprimés par les juges, encourrait une amende de mille drachmes payables au Trésor public 4. A cette amende devaient s'ajouter quelques incapacités spéciales, une sorte d'ATIUTA, notamment la déchéance du droit d'intenter à l'avenir une action analogue à celle dans laquelle on avait échoué'. Les mêmes peines étaient édictées contre l'accusateur, qui, sans attendre le jugement, se désistait de son action. En prenant l'initiative d'une ypagil, il était réputé avoir agi dans l'intérêt de l'État. Or, quand cet intérêt est en jeu, on ne peut pas le sacrifier au moyen d'une transaction avec son adver saire. II ne faut pas que ce dernier puisse échapPer à l'action en payant à l'accusateur une somme pour qu'il abandonne ses poursuites Les discours des orateurs sont remplis d'allusions à cet lv Xcî.iat6 b xfvôuvo; à ce danger de payer mille drachmes, auquel s'exposent ceux qui intentent une ypz~r. C'était l'État qui profitait de l'amende de mille drachmes, puisqu'elle était versée dans le Trésor public; c'était aussi l'État qui trouvait dans l'atimie une protection contre le retour de faits regrettables. Mais l'accusé renvoyé de la poursuite n'aurait-il pas eu le droit, comme le défendeur à une action privée, de demander la réparation pécuniaire du préjudice qu'une action publique, intentée de mauvaise foi, avait pu lui causer? Pollux semble bien affirmatif en ce sens que, au moins dans le cas de p«atç, lorsque l'accusateur n'obtenait pas le cinquième des voix, il avait à payer, en sus de l'amende de mille drachmes, une épobélie. D'éminents auteurs , Beeckh 7, Schoemann 8, et, plus récemment, M. T'honissen 0, s'appuyant sur le témoignage de Pollux, ont, avec quelques divergences dans les détails, admis en principe que la rnAsis comportait l'EPDBELIA, à raison des intérêt, privés qui étaient alors très souvent connexes aux intérêts de l'État. Mais l'opinion générale est aujourd'hui qu'il n'y avait jamais lieu à l'EIOBELUA dans les actions publiques". Beeckh lui-même s'est déclaré ébranlé par les objections que Ileffter avait dirigées contre le texte de Pollux et contre la doctrine reposant sur ce texte ". Le contraste est ainsi bien marqué entre les actions privées et les actions publiques. Dans les actions privées, il y a épobélie, sans amende; dans les actions publiques, il n'y a pas d'épobélie, mais il y a l'amende et l'atimie partielle. Ce qui est certain, c'est que, dans les discours qui nous ont été conservés, on ne voit jamais les accusés demander une réparation pécuniaire du tort que leur cause l'accusation. Ce qu'ils demandent, et ce n'est qu'un artifice oratoire, car l'on ne voit pas trop comment les juges auraient pu accueillir leur requête, c'est qu'on inflige à l'accusateur la peine à laquelle il expose l'accusé par ses poursuites calomnieuses ; c'est qu'on le condamne immédiatement à mort13. II y a eu incontestablement des accusateurs qui ne se sont pas libérés de leur échec par une amende de mille drachmes et par une atimie partielle. Des procès spéciaux ont été intentés contre eux, à raison des méfaits dont ils s'étaient rendus coupables envers la République, en particulier de leurs accusations calomnieuses contre de bons citoyens, et la peine capitale leur a été appliquée. Une loi, rapportée par Andocide, édictait la peine de mort, contre ceux qui accuseraient faussement une personne d'avoir pris part au crime des Ilermocopides l3. Sans qu'il y eût une loi spéciale, l'un des accusateurs de Phocion fut, lorsque le peuple eut reconnu la faute commise en frappant cet homme GRA 1654 -GRA d'État, condamné à mort à l'unanimité des suffrages'. Archinus, lors du rétablissement de la démocratie et du vote de la loi d'amnistie, n'alla pas aussi loin ; il fit décider que tout procès qui serait intenté au mépris de l'amnistie vaudrait à l'accusateur une condamnation à une EPOBELIA2. Mais dans tous ces cas, il s'agit d'une peine prononcée à la suite d'une instance particulière, indépendante de la première instance, et abstraction faite des circonstances dans lesquelles l'accusateur avait succombé L'amende de mille drachmes et l'atimie étaient-elles encourues de plein droit par le seul fait que l'accusateur avait succombé sans obtenir le cinquième des suffrages? Fallait-il quelque décision judiciaire? La première opinion semble bien conforme à l'ensemble des textes. Mais alors pourquoi Isocrate reproche-t-il à ses concitoyens de se montrer trop indulgents pour les sycophantes, qui troublent l'État et nuisent à la République, en poursuivant de leurs attaques les citoyens les plus distingués, les plus capables de bien servir leur pays`? Comment Démosthène put-il, sans encourir aucune peine, se désister de l'action qu'il avait intentée contre Midias'3? Pourquoi le même orateur, alors qu'une ),ora(ou ypatr a été intentée contre lui par Euctémon et que son accusateur s'est désisté, s'écrie-t-il : « A quoi bon punir Euctémon? Il s'est fait justice à lui-même en renonçant à son action. Cela me suffit. Je n'éprouve nul besoin d'agir contre lui 6. » Platner pense que, au moins dans le cas de désistement, la peine ne pouvait pas être encourue ipso jure. Il y avait lieu, dit-il, à une sentence judiciaire, parce que le désistement peut tenir à des raisons de force majeure dont l'accusateur ne doit pas être responsable, une maladie grave, par exemple Ce que le législateur punit, en effet, ce n'est pas simplement le désistement, c'est le désistement contraire aux lois, 7Mp Toûç vdv.ouç. Aurait-on pu, par exemple, incriminer une transaction qui serait intervenue, au cours d'une f.otzs( ypa~il, entre le mari et l'offenseur, alors que la loi déclarait ces compositions légitimes ? La même solution peut être donnée pour les cpovtxai ô(xat, à raison du rôle prépondérant que jouait la famille dans les actions de ce genre 3. Si générale que fàt la règle qui édictait contre les accusateurs téméraires l'amende et l'atimie, elle comportait cependant plusieurs restrictions. Il va de soi d'abord que, lorsque l'accusateur s'était borné à s'acquitter d'une sorte de ministère public, parce qu'il avait été désigné par le peuple pour la poursuite d'un fait illicite °, il ne pouvait pas être puni, quel que fût son insuccès. En second lieu, pour faciliter la mise en mouvement de certaines actions publiques, le législateur avait promis l'impunité aux personnes qui les intenteraient, lors même qu'elles seraient reconnues mal fondées. C'était le cas pour la xaxc5asw ypap7r,, par voie d'aicayys),(a i0, pour arriver à la répression des mauvais traitements à l'égard des orphelins, des épiclères, peut être aussi des veuves, yuvxtxiw, yovEwv ; on disait alors que l'action était sans danger, xx(vôuvoç, .11p.to; ". Tel était aussi le cas de l'action tendant à faire punir une mutilation des oliviers consacrés à Minerve 12. On serait tenté de mettre sur la même ligne l'«7zoypacpl, motivée par un détournement de biens confisqués au profit de l'État 1'; Lysias dit que les accusateurs ne courent aucun risque, .vsu xtvblooly wTSç 14 ; mais, pour ce dernier cas, il y a controverse i5. Nous avons dit, [EISAGGELIA, page 501] que, à l'époque où Hypéride écrivit son discours pour Lyco phron, dans le cas d'eicxyye),(x i3rw,oe(oa; «ôtx4xct, l'accusateur qui échouait n'était exposé à aucune pénalité ; il était «Ilti.toç 16. Mais il est probable que les sycophantes abusèrent de cette procédure et l'on revint bientôt, en partie au moins, à la règle générale. Au temps de Théophraste, si l'accusateur par voie d'sexyys),(a n'obtenait pas le cinquième des suffrages, il encourait l'amende de mille drachmes ; mais il n'était frappé d'aucune incapacité 17 III. On signale habituellement une troisième différence entre les actions privées et les actions publiques. Dans les actions privées, le demandeur agit exclusivement pour son intérêt personnel ; par conséquent la condamnation doit être prononcée à son profit. Lors même qu'une amende devrait être infligée au défendeur, cette amende ne sera pas versée dans les caisses de l'État; elle sera attribuée au demandeur. Au contraire, dans les actions publiques, c'est l'intérêt social qui est en jeu; c'est donc dans l'intérêt de la société que la condamnation doit être prononcée. Cela est manifeste lorsque la peine est afflictive; ce n'est pas dans l'intérêt de l'accusateur que les juges prononcent la peine capitale, l'exil ou l'emprisonnement. Mais il en est de même lorsque la condamnation est pécuniaire, et l'amende doit alors profiter à l'État. La distinction est vraie en principe. Mais, dans l'application, elle n'a pas été rigoureusement observée par les Athéniens. Il y a, en effet, dans la procédure attique, des actions privées qui donnent lieu à des condamnations au profit de l'État. 11 y a des actions publiques dans lesquelles l'État paraît n'avoir pas d'autre intérêt qu'un intérêt moral. Il y en a d'autres dans lesquelles l'amende ne profite pas tout entière au Trésor public; une part est faite tantôt à l'accusateur, tantôt à la victime du fait délictueux. Toutes ces dérogations à la règle rendent, dans la pratique, moins sensible qu'elle ne devrait l'être, la troisième différence entre les deux actions. Nous allons le prouver par quelques exemples. Il y a d'abord des actions privées qui donnent lieu à des condamnations au profit de l'État : 1 e Dans l'4cap&csw; ou srçatCswç ô(xyl, lorsque le maître qui avait été temporairement privé de son esclave, sous prétexte que cet esclave était de condition libre, avait prouvé ses droits de maîtrise, l'auteur de l'px(paets devait, non seulement remettre l'esclave à la disposition du maître, mais encore payer à celui-ci des dommages et intérêts représentant tout le préjudice qu'il lui avait causé. Une somme égale au montant des dommages devait, en GRA 1655 GRA outre, être versée dans le Trésor public'. L'État retirait également un profit de l'€;ou,rIs ôirrl, c'est-à-dire de l'action tendant à faire respecter la chose jugée, lorsque le condamné n'exécutait pas le jugement. Le défendeur, qui succombait dans cette action, devait, non seulement exécuter la décision judiciaire rendue contre lui et payer au demandeur des dommages et intérêts, mais encore verser dans la caisse de l'État une somme égale à l'intérêt en litige 2. 3° Le défendeur reconnu coupable d'actes de violence, à la suite d'une (3ext«,v Merl, était condamné à payer à la victime de la violence une somme égale au préjudice causé, et à verser dans le Trésor public, à titre d'amende, pareille somme3. Démosthène justifie cette disposition par une raison qui aurait dû. faire de la (3tx1wv Un% une pta(o)v ypacp : « Toutes les fois qu'on emploie la violence, on commet un délit qui atteint la société tout entière, même les personnes étrangères à l'affaire". » La remarque est fondée et cependant il n'y avait là qu'une action privée. M. Thonissen a cru trouver un cas où celui qui intente l'action privée n'en recueille aucun avantage et où la condamnation tout entière est au bénéfice de l'État. Lorsque l'ancien maître d'un affranchi avait intenté la ôfxv) ârco6Txe(ou pour cause d'ingratitude et qu'il avait réussi dans son action, l'affranchi était vendu au profit de l'État 6. Mais était-ce bien là l'issue de l'âr;o6'ra6(ou ô(x-ri? M. Gide estimait que le prix de la vente était attribué, non pas à l'État, mais au patron, à titre d'indemnité 6. Mieux encore pourrait-on dire que l'affranchi reconnu coupable d'ingratitude perdait la liberté pour être replacé sous la puissance de son ancien maître 7. D'un autre côté, il ne serait pas exact de dire, d'une façon absolue, que, dans toutes les actions publiques, la peine était prononcée au profit de l'État. Cela peut être vrai des peines afflictives ou infamantes qui sont édictées dans un intérêt social bien supérieur à l'intérêt que l'accusateur peut avoir à satisfaire ses haines ou ses rancunes. Cela est vrai également de beaucoup de peines pécuniaires. Mais la règle comportait pourtant un bon nombre d'exceptions. Ainsi, dans la ypxcp-il âô(xwç Elpefi' vat ieç [Lotydv, si l'accusateur réussissait, il était non seulement déchargé de l'obligation de payer les sommes dont la promesse lui avait été extorquée 3, mais encore il obtenait, à titre de dommages et intérêts, les peines pécuniaires infligées à ceux qui se rendaient coupables d'arrestation arbitraire et de séquestration 9. Dans d'autres cas, une partie de l'amende et des biens confisqués à raison d'un crime était attribuée à l'accusateur. C'est ce que l'on peut constater dans beaucoup de p .rctç et d'«7roypacpx(10. L'État avait voulu stimuler, par l'appât d'une prime, le zèle des dénonciateurs. Quelquefois, notamment dans les xaxôy6so; ypx a(, c'était à la partie lésée que l'amende était abandonnée, soit pour le tout, soit pour partie. Dans un cas particulier, l'amende profitait à trois personnes, à l'État, à la victime, à l'accusateur. Le propriétaire, qui abattait sur son domaine plus d'oliviers que ne le permettait la loi, devait payer deux cents drachmes pour tout arbre arraché en sus du nombre légal. Sur ces deux cents drachmes, cent étaient données au dénonciateur, dix à Minerve que le délit avait offensée, quatre-vingt-dix à l'État. Enfin, l'État n'avait parfois d'autre intérêt que celui d'une bonne distribution de la justice. Dans les f3oo)atirEo; et 4'Euiayypzp'lç ypxnx(, le but poursuivi était l'inscription sur les registres du Trésor du nom d'un débiteur à la place d'un autre. L'État non seulement n'y gagnait rien, mais encore était exposé à se trouver en présence d'un obligé moins solvable que l'ancien. Même observation pour les ôtaôtxac(at, dans lesquelles deux citoyens essayaient de se décharger l'un sur l'autre d'une fonction onéreuse, telle qu'une triérarchie ou une chorégie ". Ces nombreuses exceptions atténuent le principe ; mais on doit cependant admettre, comme thèse générale, la troisième différence signalée. Précisément, parce que, dans la plupart des cas, l'accusateur qui intentait une action publique n'avait aucun intérêt personnel appréciable à agir, on n'exigeait pas de lui la consignation judiciaire des rrpuTaveia, qui était le droit commun dans les actions privées12. Tout au plus lui demandait-on, dans quelques cas particuliers, la rrapxc-rartç, une drachme, somme si minime qu'elle ne devait être qu'un symbole. Mais, lorsque, exceptionnellement, l'accusateur pouvait tirer un, profit de l'accusation, à titre de garantie, on l'obligeait à verser les 7rpUTOtvEix 13 Les actions publiques étant ainsi différenciées des actions privées, nous avons à exposer comment le citoyen, qui était résolu à agir, pouvait mettre en mouvement une action publique. La procédure normale était la citation de l'accusé à comparaître devant le magistrat compétent, citation qui devait avoir lieu en présence de témoins, et le dépôt entre les mains du magistrat d'un acte écrit ou ypcvfr, indiquant l'objet de l'accusation. Puis l'affaire était instruite et suivait son cours régulier jusqu'au jugement. II y avait alors peu de différences entre la procédure de l'action privée et la procédure de l'action publique. Mais, dans certaines hypothèses et pour certains crimes, le législateur avait organisé des procédures particulières, moins formalistes et plus rapides. Quelquefois même, il avait donné à l'accusateur la faculté de choisir, suivant ce que son intérêt paraissait exiger, entre la procédure de droit commun et l'une ou l'autre de ces procédures exceptionnelles. « Solon, dit Démosthène, n'a pas toujours restreint à un seul, pour chaque délit, les moyens d'action mis à la disposition de ceux qui veulent poursuivre les délinquants. Plusieurs voies leur sont quelquefois ouvertes. Ainsi, pour le cas de vol, si vous êtes vigoureux et sûr de vos forces, vous pouvez arrêter vous-même le coupable et le conduire devant les magistrats (c'est la procédure de l'à7mrayr'j) ; si vous ne vous sentez pas assez fort, vous pouvez faire appel aux magistrats, qui se chargeront de l'arrestation (c'est la GRA 4656 GRA. procédures de l' Orly stç). Avez-von* quelque répugnance peur ces maiyens? Employez la procédure du droit coing muni le yéai,i. Vous courrez, il est vrai, dans tous ces cas, le risque de payer mille drachmes en cas d'insuccès, Si vous n'avez pas mille drachmes à sacrifier, agissez simplement devant un arbitre, par l'action privée, la x)oir'ils ~fx-ri ; vous ne serez plus exposé à aucun danger. Vous avez pareille latitude dans le cas d'âst6ata, puisque la loi met à votre disposition 1 âsesias ypzpi , l'â7txy Ûy , l'action devant les Eumolpides et la citation devant l'archonte-roi. 11 en est de même pour presque tous les autres délits. Celui qui est poursuivi n'a pas à examiner si l'accusateur a choisi la meilleure procédure ; il n'a pas à critiquer l'option qui a été faite. Quel que soit le mode d'action, ce que doit faire l'accusé, c'est de montrer qu'il est innocent du délit dont on l'accuse Ainsi la voie normale pour intenter une action publique, c'est la voie de la ypayr, procédure presque semblable, avons-nous dit, à la procédure des actions privées. La différence la plus sensible, c'est que, dans les actions privées, il y avait lieu, au début de l'instance, à certaines consignations judiciaires. Presque toujours les deux plaideurs, le demandeur et le défendeur, versaient les prytanies; quelquefois le demandeur était soumis à la 7capzazze,o),li (Voy. suprà, s. v. DIKÈ, p. 204). Dans les actions publiques, il n'y a, en principe, ni prytanies, ni aapaxxtx6o)4 Parfois seulement, on oblige l'auteur d'une ypa -ri à payer la 7CapxsT«sts; c'est ce qui a eu lieu, nous dit Aristote dans un certain nombre de ypacpxi, qu'il énumère, et parmi lesquelles figurent la çsVias et la i.otyel«ç ypacpii. Mais cette taxe judiciaire ne dépassait pas une drachme, et ce n'était pas la perspective d'une dépense si minime qui devait arrêter un accusateur. Voilà donc une différence : absence de consignations. On en a signalé une autre : Dans les actions privées, les répliques étaient possibles ; elles ne l'étaient pas dans les ypamaf. L'accusateur ne pouvait parler qu'une fois 3. Voilà pourquoi Démosthène, dans son accusation contre Eschine à propos de l'Ambassade, dit aux héliastes : « Si dans sa défense, Eschine s'avise de m'attaquer, ne l'écoutez pas. Ce n'est pas moi que vous jugez en ce moment, et, de plus, après qu'il aura parlé, je n'obtiendrai pas la parole pour me justifier ` ». Mais cette seconde différence n'est pas admise par tous les historiens 5. Antiphon, parlant devant les Héliastes, dans une affaire criminelle, dit expressément : « Si, sous prétexte de m'excuser, j'ai altéré la vérité sur quelque point, mon accusateur pourra le démontrer comme il le voudra dans son second discours, iv 'r ÙoT6pW Mn) s » On cite comme exemple de deutérologies, dans des actions publiques, le second discours de Démosthène contre Arislogiton 7, le second discours de Lycurgue contre Lycophron, d'autres encore. A chacune des preuves alléguées, des objections sérieuses peuvent être faites'. Le mieux est de laisser la question indécise. La procédure de droit commun avait des longueurs presque inévitables. L'accusé opposait à l'accusateur des fins de non-recevoir (vTtypxpt) ou des exceptions dilatoires (è wp.otrix) ; il demandait des sursis (a-aMas), et, chaque fois, il y avait un débat judiciaire. Pour accélérer le jugement dé, l'action publique, d'autres Procédures, plus simples, plus rapides, plus sommaires, furent organisées. Dans le cas de flagrant délit, lorsque l'accusé ne peut pas sérieusement nier sa culpabilité, à quoi bon toute la procédure de la ypatpri ? Il n'y a vraiment qu'à appliquer la peine. Tout citoyen 'pourra mettre la main sur le coupable et le conduire devant les magistrats, qui statueront rapidement sur son sort. C'est l'clantr ytl, dont nous avons précédemment parlé 9. Si les témoins du flagrant délit n'osent pas arrêter eux-mêmes le coupable, ils vont chercher le magistrat et l'amènent sur le lieu du délit, où il prend les mesures qu'il juge nécessaires. Il y a alors itp-ily-fists. Ces deux procédures offrent beaucoup de similitudes et il semble qu'elles pouvaient être indifféremment employées. Toutefois, l'My-fiats était seule applicable, lorsque l'accusé, son méfait publiquement commis, s'était réfugié dans sa maison. Un simple particulier n'aurait pas eu le droit de violer son domicile pour l'en arracher et le traîner devant le juge. Il fallait alors recourir aux magistrats, qui, eux, pouvaient pénétrer dans la maison : 'Arxyety ;sr-rn eis 'r i eeIlwr iov, oûx oi'x«ôe De même, quand une personne frappée de dégradation civique, exerce, malgré son incapacité, les droits politiques qui lui ont été enlevés, tout citoyen doit pouvoir dénoncer le fait aux magistrats, qui appliqueront immédiatement au délinquant, sans autre forme de procès, la peine édictée par la loi. C'est la procédure de l'ivist,ts. Mais, dans toutes ces hypothèses, l'emploi de la procédure sommaire suppose qu'il n'y a pas de question litigieuse. Le magistrat fait une application de la loi à un fait déclaré constant. Si des contestations se produisaient sur la matérialité du crime ou du délit, on serait bien obligé de revenir à la procédure de droit commun. On se trouve quelquefois, dans la vie publique, en présence de faits d'une gravité exceptionnelle, mais que la loi pénale n'a pas prévus, et qui doivent rester impunis, à moins que des mesures extraordinaires, inspirées par le « salus populi suprema lex este », ne soient adoptées, Quel est l'accusateur qui oserait prendre, en pareil cas, l'initiative d'une poursuite judiciaire? Ne serait-il pas trop exposé à la peine des plaideurs téméraires? On peut citer comme exemples des faits politiques, des attaques plus ou moins vives contre le gouvernement établi, des actes compromettants pour la sûreté de l'htat, etc., etc. Pour arriver à la répression de ces faits, on autorisa tout citoyen, et même avec le temps toute personne, quelle qu'elle fût, étrangère ou esclave, à dénoncer les faits qui étaient arrivés à sa connaissance. La dénonciation, contenue dans un acte écrit, n'est plus remise à un magistrat. Le plaignant s'adresse au Conseil des Cinq-Cents ou à l'Assemblée du peuple, qui examinent quelle suite doit lui être donnée. Si elle est jugée bien fondée et que la peine semble devoir dépasser la mesure dans laquelle le Sénat peut prononcer des amendes, l'accusé est renvoyé devant GRA 1657 GRA les tribunaux, et des orateurs sont désignés pour soutenir l'accusation. Nous avons exposé, s. v. EISAGGELIA (p. 499 et s.), tout ce que nous savons sur ce mode d'action publique ; nous n'y reviendrons pas. Bornonsnous à faire observer que c'était alors, en quelque sorte, le peuple, représenté par Ies xaTriyopot qu'il avait élus, qui jouait le rôle d'accusateur. Les simples particuliers n'avaient fait que dénoncer le crime. A cause des facilités qu'offrait l'Elcayïsata, sa sphère d'action s'étendit rapidement. Il était facile, Aristophane l'a plaisamment démontré', de voir dans les faits les plus simples un attentat à la démocratie. Aux formes particulières de procédure que nous venons d'exposer pour certaines actions publiques, on doit rattacher encore, d'après les grammairiens et les historiens (pzctç. Des articles spéciaux ont déjà été consacrés aux trois premières ; nous nous bornons à nous y référer. La 7c oeo),-rl était dirigée contre ceux qui troublaient la célébration d'une fête publique et contre les magistrats qui pouvaient être responsables de ce trouble ou qui ne l'avaient pas réprimé. Elle était admise aussi contre ceux qui trompaient le peuple par des allégations mensongères, et, par extension, contre les sycophantes. Le peuple, qui avait été, pour ainsi dire, témoin et victime de la faute, était consulté, par l'accusateur, sur le point de savoir s'il y avait lieu à poursuites. Quand la réponse était affirmative, l'accusateur portait l'action devant les tribunaux, en suivant la marche ordinaire, mais avec une sorte de préjugéen sa faveur, le préjugé résultant du vote de l'Assemblée. Les héliastes conservaient pourtant toute liberté de statuer suivant leurs convictions personnelles. Ils n'étaient pas plus liés par le vote préalable du peuple que ne le sont nos jurés par l'arrêt de la chambre des mises en accusation. Quant à la cp«ctç, bien que quelques auteurs refusent de voir en elle une action publique proprement dite 2, elle est cependant habituellement rangée parmi les ypacpa( lato sensu', et elle offre cette particularité que l'accusateur retire un profit de l'accusation jugée bien fondée. Il partage avec l'État les condamnations judiciaires et les amendes prononcées contre l'accusé reconnu coupable. Tout citoyen, qui constatait une contravention aux lois de finances, aux lois de douane, aux lois sur les mines, pouvait en dresser procès-verbal en présence de témoins; puis il remettait ce procès-verbal au magistrat compétent pour qu'il réunit le tribunal chargé de juger la contravention. C'était par une procédure analogue qu'on déférait à la justice les tuteurs qui négligeaient de donner à bail les biens de leurs pupilles. Pollux range même parmi les actions publiques Mais cette procédure, si on peut lui donner ce nom, n'est guère qu'une simple voie de fait, autorisée comme menace, comme moyen indirect de coercition, à l'adresse des États voisins de l'Attique; ce n'est pas une action tendant directement à la punition d'un crime. Lorsqu'un meurtrier s'est réfugié sur un territoire étranger', et que l'État, à qui appartient ce territoire, refuse soit de le juger, soit de l'extrader, l'État récalcitrant cesse d'être considéré comme allié des Athéniens. Les parents de la victime peuvent, s'ils en trouvent le moyen, se saisir de trois citoyens de l'État qui donne asile au meurtrier et les garder comme otages jusqu'à l'extradition. Est-ce là, . à proprement parler, une action publique? Traduisait-on devant les tribunaux athéniens les trois otages? Quelle peine aurait-on appliquée à ces innocents'? Le nombre des actions publiques, des ypacpat proprement dites, plus on moins bien caractérisées par un nom spécial, était assez grand. Pollux en cite vingt-huit', dont trois, il est vrai, nous paraissent se rapporter à Sparte donc vingt-cinq pour Athènes. Mais l'énumération de Pollux n'est pas limitative. Il suffit de rapprocher du texte de l'Onomasticon les chapitres dans lesquels Aristote décrit la compétence des magistrats, pour voir que la liste doit être notablement allongée. Aristote attribue à l'hégémonie des Thesmothètes dix ypapat, dont sept seulement se trouvent dans Pollux; le grammairien a peut évaluer de cinquante à soixante le nombre réel. Nous ne précisons pas, parce qu'il y a doute, pour certaines actions, admises sans hésitation par quelques historiens, sur le point de savoir si elles ont réellement existé comme ypauat proprement dites. Tel est le cas de l'pax yriç ypxroii, sur laquelle nous reviendrons s. v. HARPAGÈS GRAPHE, et de quelques autres. Des articles spéciaux étant consacrés à chacune des actions que l'on a, à bon droit ou par erreur, classées parmi les ypacpxi ayant un nom particulier, il nous paraît inutile d'insister plus longtemps sur ce point. Les ypacpat, comme les ô[met , se divisaient en ?NVYal xŒTc sont celles qui ont pour objet la condamnation de l'accusé, il va de soi qu'elles étaient de beaucoup les plus nombreuses. Presque tous les discours relatifs à des ypa:pat qui sont arrivés jusqu'à nous sont des yFe.pal xŒTx Ttvoç. On peut s'en convaincre en jetant un simple coup coup d'oeil sur la rubrique des discours de Démosthène contre Midias, contre Aristocrate, contre Timocrate, contre Aristogiton. Mais il y a cependant aussi des ypacpal apdç Ttva, des actions publiques dirigées contre une personne sans que l'on demande qu'une condamnation soit prononcée contre elle. Le discours de Démosthène contre Leptine en fournit la preuve. Leptine, bien qu'il fût poursuivi par une aapavduov Yeapti, ne pouvait pas être condamné; la prescription était accomplie en sa faveur. L'action était donc dirigée moins contre lui que contre la loi qu'il avait fait voter. C'était sa loi qui était véritablement en cause et ce fut elle qui fut condamnée. Comme les ôixat, les ypapat se divisaient également en C7tp.7Ini lorsque la peine encourue par l'accusé qui était déclaré coupable était déterminée par la loi. Dans les ypacpal Tei.tiltae, il n'en était pas de même; il fallait donc, après la déclaration de culpabilité, un second débat pour savoir quelle peine serait appliquée. Les juges avaient à choisir entre la peine proposée par l'accusateur (T(.i.rip.a) et celle dont le condamné sollicitait l'application (avTtTte.zeQxt). L'accusateur réclame la peine de mort, à la suite GRA 1658 GRA d'une accusation qui s'était probablement produite sous la forme d'une aaoaapssgs(xç ypx i; le condamné demande à n'être frappé que d'une très forte amende, et les juges lui accordent cette faveur '. On sait combien Socrate indisposa ses juges lorsque, à la proposition de Mélétos qui demandait contre lui la peine capitale, il répondit en déclarant qu'il se jugeait digne d'être nourri dans le Prytanée aux frais de l'État. Ce ne fut que sur les vives instances des disciples qui l'entouraient qu'il se décida à offrir une somme d'argent. On vit dans cette motion une sorte de défi adressé au tribunal, si bien que beaucoup de ceux qui, lors du premier vote, l'avaient déclaré non coupable, changèrent d'avis et votèrent pour la mort 2. Les actions publiques pouvaient-elles, comme les actions privées, s'éteindre par l'expiration d'un certain temps(7rpo8ssl.tia)? Les Athéniens ne paraissent pas avoir eu de doctrine bien nette sur ce point. Dans certains cas, les orateurs disent que l'action est imprescriptible. Dans d'autres cas, ils reconnaissent que, au bout d'un certain temps, le coupable ne peut plus être poursuivi. II est donc impossible de formuler une règle générale et l'on doit se borner à procéder par énumération3. Un acte d'impiété, la destruction d'un olivier consacré à Minerve, peut être puni pendant toute la vie du coupable, même à une époque très éloignée du crime. Il n'y a pas de 7rpoOsalt.(a qui mette le délinquant à l'abri d'une poursuite 4. Les attentats contre la démocratie sont dans le même cas. « N'écoutez pas notre adversaire, dit Lysias, s'il prétend que nous avons attendu bien longtemps avant de lui demander l'expiation de ses crimes. Pour de pareils forfaits, il n'y a pas de prescription possible. A quelque époque que se produise l'accusation, qu'elle soit immédiate ou tardive, l'accusé n'a qu'une chose à faire : prouver qu'il n'est pas coupable des faits qu'on lui impute u Mais, d'un autre côté, les povtxa2 ô(xat ne pouvaient pas être intentées pendant un temps illimité. Il se peut, dit Démosthène, qu'on ait laissé passer le temps durant lequel il fallait agir s. Quelle était alors la a poOssp.(a? Peut-être cinq ans. Car nous avons un exemple d'accusation pour coups portés avec intention de donner la mort, la 7;paûp.x.roç ht ,rpovo(aç ypacpr, qui fut intentée quatre ans après les blessures, et l'accusé n'opposa pas l'exception de prescription 7. La ypacpil 7rapcevélt.cov se prescrivait par un an. Leptine, dit Démosthène, pourrait maintenant reconnaître que la loi qu'il a fait voter est une loi détestable ; car il n'a plus rien à redouter, les délais pendant lesquels la ypzps était possible sont expirés : ii;irt)Oov ot Zpévot 8. Mais quel était le point de départ de l'année au bout de laquelle l'auteur de la proposition devenait irresponsable 9 ? Était-ce le jour où la proposition avait été faite ou bien le jour où elle avait été adoptée? Le doute est possible. Il y a lieu toutefois de noter que le procès pour la Couronne, ce procès dans lequel Ctésiphon avait à se défendre contre une ypx;~ 7rapavéucov intentée par Eschine, fut seulement plaidé en l'année 330, alors que la proposition incriminée remontait à 336. Mais cette proposition, agréée par le Sénat, n'avait pas encore été votée par l'Assemblée du peuple. On peut en conclure que, jusqu'à ce vote, la prescription n'avait pas couru. Il est vrai que les partisans de l'opinion qui fait courir la prescription du jour où la proposition était faite pourraient écarter l'argument en objectant qu'Eschine avait intenté la ypaf;1 7rapavéutov dans l'année 336, aussitôt après la proposition, et que la prescription ne courait pas inter moras liais; mais elle aurait produit son effet s'il se fût désisté comme le firent les premiers accusateurs de Leptine. Faute de tettes précis, il convient de poser la question sans la résoudre. Enfin l'action en responsabilité des magistrats pour les délits qu'ils avaient commis dans l'exercice de leurs fonctions était susceptible d'extinction par un temps assez court 10. Boeckh le restreignait à trente jours; Meier accordait une année. La vérité était que les auteurs anciens alors connus n'indiquaient pas de délai. Aujourd'hui, nous avons le texte d'Aristote : « Les euthynes sont tenus, à l'époque de la reddition des comptes, de se tenir près de la statue du héros éponyme de chaque tribu et de donner audience à tous ceux qui, dans un délai de trois jours à dater du moment où un magistrat a rendu ses comptes devant un tribunal, veulent engager une action contre ce magistrat" ». Trois jours ! C'est bien peu, Aussi a-t-on déjà proposé de corriger le texte d'Aristote, et de substituer au chiffre y, qui serait une erreur de copiste, le chiffre A, qui nous ramènerait, avec une variante dans le point de départ, aux trente jours de Boeckh. M. Busolt juge même cette correction indubitable 12 E. CAILLEMER. GItATIAE, en grec Xcptisç, les Grâces. Le mot grec est parfois employé par les Latins'. 1. Noms, nombre, généalogies. Au point de vue mythologique, il n'y a presque rien à dire sur ces divinités, dont le caractère individuel est très peu marqué. Dans l'Iliade, Homère donne pour épouse à Héphaistos la belle Charis, à la brillante coiffure2. Ailleurs, Héra promet au Sommeil, s'il consent à endormir Zeus, une des plus jeunes parmi les Charites, et le Sommeil demande Pasithéa, qu'il aime avec ardeur 3. Le vêtement divin d'Aphrodite est l'oeuvre des Charites ". A. Paphos, elles baignent cette déesse, la parfument d'une huile divine et la couvrent de vêtements précieux et admirables 5. Dans la Théogonie, Hésiode nomme trois Charites, Aglaia, Euphrosyne et Thalia, et il les fait naître de Zeus et d'Eurynome, fille de l'Océans ; il donne Aglaia, la plus GRA 1659 GRA jeune des Charites, pour épouse à Iléphaistos 1. Les noms que leur donne Hésiode se retrouvent chez la plupart des écrivains postérieurs2. Cependant, d'après Pausanias3, le poète élégiaque Hermésianax, qui vivait au Ive siècle, mettait Peitho au nombre des Charites, « ce que n'avait fait personne avant lui ». Proclus, dans ses scolies d'Hésiode, les appelle Peitho, Aglaia et Euphrosyne' et une scolie d'Aristophane, en parlant du bas-relief de Socrate qui se trouvait sur l'Acropole d'Athènes, leur donne les noms de Peitho, d'Aglaia et de Thaleia 5. A la suite d'Homère, Stace et Nonnus font de Pasithéa une des Charites G. A Sparte, on nommait Kléta et Phaenna, deux divinités identifiées, peut-être tardivement, aux Charites Pausanias dit qu'à Athènes les Charites s'appelaient Auxo et IIégémoné 8, mais M. Robert a soutenu, non sans vraisemblance, que l'écrivain grec a fait erreur et que les véritables noms des Charites, dans la tradition populaire athénienne, étaient Thallo, Auxo et Karpo 9. Quant au nombre des Charites, le poète Pamphos, qui, d'après Pausanias, fut le premier à les célébrer, était muet à cet égard "0. Homère, dans un passage cité plus haut", parle de Pasithéa, « une des plus jeunes parmi les Charites. » Dans le culte très antique d'Orchomène, en Béotie, elles étaient adorées au nombre de trois 12 : c'est aussi ce nombre qu'indiquent le Béotien Hésiode 13 et, après lui, presque tous les auteurs anciens ", et que nous montrent les représentations figurées15. D'un passage de Pausanias", on a pu conclure que les Charites étaient primitivement adorées à Athènes au nombre de deux (Auxo et Hégémoné) et que ce fut l'influence du culte d'Orchomène qui y fit adopter le chiffre de trois, mais il est permis de douter de l'exactitude de ce renseignement, les divinités en question se présentant toujours au nombre de trois, soit dans les textes, soit sur les monuments attiques, dont plusieurs remontent à la fin du vie siècle et à la première moitié du ve 17. Les deux divinités spartiates Kléta et Phaenna ne semblent pas, comme nous l'avons dit, avoir été véritablement des Charites. Il est rare que les écrivains et les artistes nous montrent une des Charites séparée de ses soeurs ; elles forment presque toujours un groupe, dans lequel la personnalité de chacune d'elles disparaît. Comme Hésiode, la plupart des poètes et mythographes leur donnent Zeus pour père 18, mais le nom de leur mère n'est pas partout le même. Les uns l'appellent Eurynome, à la suite d'Hésiode 10 ; d'autres, selon Cornutus, Eury IV. dome, Eurymedusa, Évanthe 20. Lactantius Placidus, scoliaste de Stace, donne Ilarmonia pour mère aux Charites 2f. D'autres nomment Héra". Selon Antimaque, elles étaient filles d'Hélios et d'Aiglé23; selon Nonnus, de Dionysos et de Coronis°6 ; selon Servius, de Liber et de Vénus2J. Cicéron indique Gratia parmi les enfants de l'Érèbe et de la Nuit°°. Une scolie d'Homère dit que quelques-uns donnent Léthé pour mère à Charis, parce que la reconnaissance (zoiets) meurt vite27. Ces diverses généalogies, dues à des poètes ou à des faiseurs de cosmogonies, ne présentent guère d'intérêt au point de vue de la signification primitive du culte des Charites. II. Les Chartes, divinités de la nature. D'abord adorées comme des divinités de la nature, les Charites furent plus tard regardées surtout comme des personnifications du charme uni à la beauté, répandant parmi les hommes le don de plaire, présidant aux fêtes d'où la grâce et la mesure ne sont pas exclues. C'est sous ces deux aspects qu'il convient de les considérer. Seules ou associées à d'autres divinités, les Charites sont primitivement des déesses qui rendent la nature belle et aimable, qui font naître et croître les fleurs et les fruits, et dont l'action bienfaisante se manifeste surtout au printemps. A Orchomène, ois leur culte remontait à une très haute antiquité, les prémices de la moisson leur étaient offertes 23. A Athènes, les noms qu'elles paraissent avoir porté, Thallo, Auxo, Karpo, indiquent des divinités présidant à la floraison, à la croissance, à la maturité des produits du sol20. A Élis, où se voyaient des statues très anciennes des Charites, l'une tenait une rose, l'autre une branche demyrte30. Mèmeà une époque tardive, on les représente avec des fleurs, des rameaux et des fruits dans les mains 31. Les fleurs printanières leur appartiennent32. « Vois, dit une poésie anacréontique S3, comment les Charites font croître les roses, quand vient le printemps. » Horace les montre fêtant le retour du printemps avec Vénus et les Nymphes u. C'est dans cette saison surtout, selon Stésichore35 et Aristophane 36, qu'il convient aux poètes de les célébrer. Ainsi s'explique l'association des Charites au culte de plusieurs grandes divinités de la nature, de Dionysos, d'Aphrodite, d'Hécate, de la grande déesse asiatique, association dont nous parlerons au § IV. Telle est aussi la cause des rapports étroits qui unissent les Charites à d'autres divinités, primitivement presque identiques : aux Heures qui président à la croissance des produits de la nature, 209 GRA 1660 GRA aux Nymphes qui répandent partout la vie et la fertilité. Charites, Heures et Nymphes étaient même à l'origine si dépourvues de caractère individuel que parfois on les confondait'. Comme les Charites, les Heures sont filles de Zeus L'hymne homérique à Apollon Pythien les fait figurer ensemble dans le cortège de ce dieu 3. «Dans les festins, dit le poète élégiaque Panyasis4, la première coupe appartient aux Charites, aux Heures et à Dionysos ». Elles sont surtout associées comme compagnes d'Aphrodite 5. A lrythres, il y avait, devant le temple d'Athéna Polias, des statues des Charites et des Heures, oeuvre d'Endoios6 ; Phidias les avait représentées ensemble sur le trône de Zeus, à Olympie', Polyclète, sur la couronne d'Héra, à Argos 6. Elles figurent les unes auprès des autres sur le monument du musée du Louvre appelé communément autel des douze dieux9. A Athènes, les mêmes noms, Thallo, Auxo, Karpo, semblent avoir été donnés aux Charites et aux Heures `IIORAE] 10. Quant aux Nymphes, elles sont aussi associées aux Charites comme compagnes d'Aphrodite ". Les bas-reliefs de Thasos, conservés au Louvre, montrent les Charites avec Hermès, les Nymphes avec Apollon 12. Dans les lieux où les Nymphes étaient adorées, une place était souvent réservée aux Charitesf3, par exemple dans la grotte de Vari, au sud de l'Hymette 14.On les voit sur le célèbre bas-relief de Paros, consacré aux Nymphes 15. Elles figurent aussi sur des monuments votifs d'époque romaine : sur un bas-relief (au musée du Capitole), dédié par un affranchi de Mare-Aurèle aux Sources et aux Nymphes, Fontibus et Nymphis sanctissimis 16; sur un autre bas-relief (aujourd'hui perdu), consacré aux Nymphes par une femme, Batinia Priscillaf7. Dans l'art attique, le motif des trois Charites qui s'avancent d'un pas cadencé, en se tenant par les mains, et qui sont précédées d'Hermès, servit aussi à représenter les Nymphes 18 [NYMPHAE]. Pour le poète Antimaque, les Charites étaient des divinités d'origine solaire : il les faisait naître d'Hélios et d'Aiglé (c'est-à-dire lalumière brillante) 19. A Sparte, l'une des deux déesses assimilées aux Charites s'appelait Phaenna, la lumière éclatanteY0. De nos jours on a cherché à rattacher Charites à la racine sanscrite bar, signifiant jaillir, luire, brûler, à les mettre en relation avec les haritas, chevaux du Soleil dans les Védas et à voir en elles les rayons du soleil perçant les nuages 21 : il est presque inutile de faire remarquer combien ces rapprochements sont incertains. III. Les Charites, divinités de la grâce dans la vie humaine. Les Charites ne cessèrent jamais d'être regardées comme des divinités de la nature; cependant c'est sous un autre aspect que la plupart des écrivains anciens, les poètes surtout, nous les présentent d'ordinaire. Ils les célèbrent comme des déesses intimement mêlées à l'existence humaine, dispensatrices du charme, de la grâce, du plaisir mesuré, aussi bien au point de vue intellectuel qu'au point de vue physique. Les noms qu'elles portent déjà dans Hésiode, Euphrosyne la joyeuse, Aglaia l'éclatante, Thalia la florissante, indiquent des divinités occupées plutôt du plaisir des hommes que de la fertilité de la nature22. Gaies et rieuses", elles sont appelées dans un hymne orphique « les mères de la joie, déesses aimables et bienveillantes u ». « C'est avec vous, leur dit Pindare 25, que toutes les choses agréables et douces arrivent aux mortels, sagesse, beauté, gloire. » Théocrite dit à son tour26 : « Sans les Charites, qu'est-ce que les hommes peuvent aimer? » Il était naturel que les Charites, répandant le don de plaire, fussent elles-mêmes regardées comme belles et aimables 27 : elles sont qualifiées de déesses à la belle chevelure", à la brillante coiffure 29, aux belles joues, aux joues blanches 3°, au visage semblable à un bouton de fleur31, aux bras, aux mains de rose u, au large sein", brillantes 3'', florissantes 35, qui cueillent la fleur de la beauté 36, dignes d'être aimées '7, dignes d'exciterles désirs 3A,inimitables39. Elles ajoutent le charme à la beautéY0. « La beauté sans les Grâces, dit un poète , nous plaît, mais ne s'empare pas de nous : c'est comme un appât détaché de l'hameçon. » Les poètes donnent à des jeunes gens, à des jeunes filles les noms de rejeton 42, de nourrisson43, de fleur 4«, de guirlande 45 des Charites; ils les comparent à ces divinités 46. Callimaque appelle la reine Bérénice la quatrième des Charites '7. Une plaque de marbre de la fin du ter ou du commencement du n° siècle après JésusChrist, plaque qui servait d'enseigne, montre les trois GRA 1661 GRA Grâces nues, auprès d'elles une femme vêtue, et, audessus de ces figures, l'inscription Ad sorores 111V : il est probable qu'on a voulu par là désigner cette femme comme une quatrième Grâce. Les Charites répandent la grâce sur les vers des poètes, sur la parole des orateurs, elles président à la danse, aux arts et en particulier à la musique. Aussi sont-elles très fréquemment associées aux Muses 2 ; elles font avec elles partie du cortège d'Apollon 3. Avec les Muses, elles sont invoquées par les poètes, qu'elles inspirent'. Pindare appelle la poésie « le jardin exquis des Charites » Un poète vante les vers d'Anacréon, « pleins du souffle des Charites et du souffle des Amours»). Un autre poète dit que les Charites, « cherchant un temple indestructible, trouvèrent l'âme d'Aristophane 8 ». Les philosophes eux-mêmes se mettent sous la protection des Charites : Platon recommandait souvent à Xénocrate, qui avait un caractère sombre, de sacrifier à ces déesses 9 ; Speusippe, élève de Platon, plaça leurs images dans l'Académie t0 Dans Martianus Capella", une des Charites vient baiser sur la bouche la Philologie et « communique la grâce à sa langue ». Les images des Charites, placées dans une des mains de la statue d'Apollon à Délos, tenaient des instruments de musique '2. Dans l'Odéon de Smyrne, on voyait une Charis peinte par Apelles 13. Elles chantent sur le mont Ida, en compagnie d'Aphrodite et des Nymphes''`, ainsi qu'aux noces de Cadmus15. Euphrosyne et Thalia sont appelées par Pindare les amies des chants' 6. C'est par ces déesses « à la voix séduisante 17 », « au doux langage 16», que la parole humaine charme et persuade : ce qui fait qu'on les unit à Hermès Logios13 et à Peitho, la Persuasion 20; car « c'est surtout l'éloquence, dit Plutarque, qui exige le don de plaire et de se faire aimer', ». L'épitaphe métrique d'un comédien mort à Thespies est ainsi conçue : « Voyez ici la tombe du sage Eutychianos, qui, parle don des Muses, eut le langage des Charites21 ». Très souvent on nous les montre exécutant des danses, en se tenant parla main 23; des poètes lesappellentyopo7cotot24, ~op(Ttiog25. A Orchomène, la fête nocturne des CIIARITESIA, célébrée en leur honneur, consistait surtout en danses 2s Dans Pindare, elles accordent la gloire aux vainqueurs des jeux 27; Callimaque dit d'un chorège vainqueur qu'il est monté sur le cear des Charites28. Amies de la société, elles ont leur place à toutes les fêtes, aussi bien dans l'Olympe n que parmi les mortels30; mais il faut que la décence y soit observée, car ce sont des vierges' respectables32, pures" et saintes 34. Dans les festins, dit Horace 35, la Grâce, craignant les querelles, défend de vider plus de trois coupes. Selon Panyasis3s, seule la première coupe leur appartient, ainsi qu'aux Heures et à Dionysos; la seconde est à Aphrodite et de nouveau à Dionysos; mais, avec la troisième, arrivent la Violence et la Folie, qui apportent le malheur. Elles assistent aux mariages 37. Aux noces de Cadmus, elles vantent dans leurs chants l'union de la beauté et de la grâce : « Ce qui est beau, disent-elles, est aimable, ce qui n'est pas beau n'est pas aimable 38 ». Elles dansent aux noces de Pélée et de Thétis39. AAthènes, les jeunes gens, à leur entrée dans la vie civile, leur offrent un sacrifice, en même temps qu'à Héra et à Aphrodite, en prévision de leur mariage prochain40. Dansl'épithalame de Stella et de Violantilla, Stace montre Vénus préparant le lit et le sacrifice nuptiaux, tandis que l'Amour et la Grâce ne cessent de répandre une pluie parfumée de fleurs sur le corps de neige de l'épouse désirée 41. La peinture connue sous le nom de Noces Aldobrandines présente, à gauche du groupe principal (comprenant la fiancée et Vénus), une jeune fille à demi vêtue, qui verse dans une coupe le contenu d'un flacon 43 : il faut peutêtre y reconnaître une des Grâces, qui s'apprête à parfumer la fiancée. On les voit fréquemment sur des monuments romains représentant des mariages43; elles y figurent comme des servantes de la mariée, assimilée elle-même à Vénus. Sur un cratère du musée des Conservateurs, à Rome, elles sont présentes à la première entrevue de Pâris et d'llélène 44. On jure souvent par elles : v•i) ,ras Xxpcna;, 7tpos Tav XapiTwv, w p(aac Xâpttiss 45. Elles sont enfin considérées comme les déesses de la reconnaissance (yciptç)''6. Aristote dit que, dans les villes, GRA 1662 GRA on place le temple des Charites bien en vue, comme témoignage de reconnaissance'. A Athènes, le culte du Démos, puis celui de la déesse`llome furent associés au culte des Charites : c'était pour les Athéniens une manière de manifester leur gratitude pour les avantages qu'étaient censés leur procurer le gouvernement démocratique et, plus tard, la domination romaine. On plaçait dans ce temple les images des bienfaiteurs d'Athènes2. IV. Association des Charites à d'autres divinités. A Orchomène, le culte des Charites n'était lié à celui d'aucun autre dieu. Cependant, en général, il n'en était pas ainsi. Il est possible qu'en plusieurs lieux de la Grèce, les Charites, divinités primitives, aient dû partager leur culte avec des divinités plus récentes et appartenant à des tribus conquérantes. D'autre part, la grâce ne constitue pas l'essence des choses : c'est une qualité qui leur est donnée par surcroît. Enfin, le caractère individuel des Charites était si peu tranché, qu'au lieu d'en faire des personnalités indépendantes, il était naturel qu'on les rattachât à des êtres divins dont la physionomie était plus nette et qui avaient, pour ainsi dire, leur histoire mythologique. Les Charites sont donc d'ordinaire des divinités secondaires, au service d'autres divinités. Selon un hymne homérique 3, elles sont « les compagnes de tous les dieux ». Elles figurent sur l'autel des douze dieux, au Louvre 4. On célèbre leur culte, on place leurs images à l'entrée de certains sanctuaires consacrés à de grandes divinités'. En étudiant ces associations, il y a lieu de distinguer celles qui nous montrent les Charites comme des divinités de la nature, sur laquelle elles répandent leur charme, et celles où l'on doit reconnaître en elles des déesses mêlées à l'existence humaine et accordant aux mortels le don de plaire. Quand, par exemple, les femmes d'Élis invoquaient Dionysos aux pieds de taureau et, avec lui, les Charites 6, il paraît certain que leurs voeux s'adressaient à des puissances présidant à la régénération de la nature au printemps. Quand, d'autre part, les Charites apparaissent chez les poètes en compagnie d'Apollon, d'Hermès Logios, d'Éros, elles représentent la grâce unie à l'art, à l'éloquence, à l'amour. Mais cette distinction n'est pas facile à faire ; souvent on doit constater l'association des Charites avec telle ou telle divinité, sans pou voir l'expliquer d'une manière précise et certaine. Nous énumérerons ici les dieux avec lesquels elles sont mises en rapport. Comme nous l'avons vu7, elles sont filles de Zeus, et, à Olympie, Phidias les avait représentées sur le trône de sa grande statue chryséléphantine. Nous avons dit aussi que plusieurs mythographes leur donnent Héra pour mère"; qu'Homère les place sous la dépendance de cette déesse'; que Polyclète Ies fit figurer sur la couronne de sa statue d'Héra, à Argos i0. Au même lieu, dans le vestibule du temple d'Héra, on voyait d'antiques statues des Charites ". « Les Charites, dit Pausanias", appartiennent à Aphrodite, plus qu'à toute autre divinité », à Aphrodite, déesse du printemps et déesse de la beauté. Aussi lui sont-elles très souvent associées 12. Servius nomme Vénus la mère des Grâcesf4, Coluthus l'appelle leur reine 15. Elle dirige leurs danses au printemps1', elle tresse avec elles des couronnes de fleurs 17. Les Charites sont ses servantes" : elles la baignent, la parfument, la coiffent, lui font des vêtements 19. Elles sont fréquemment aussi données pour compagnes à Éros 2e. A Élis, la statue de ce dieu était placée sur la même base que les leurs 21. Un tableau du peintre Néarque représentait Vénus entre les Grâces et les Amours 23. Elles apparaissent sur quelques sarcophages romains, auprès d'Éros et de Psyché 23 On les trouve souvent aussi avec Apollon. Dans l'Olympe, « elles ont, dit Pindare 2+, leur trône placé auprès de celui d'Apollon Pythien, à l'arc d'or. » Elles dansent, tandis qu'il joue de la cithare en présence des dieux 26 Sur le vase François, il semble qu'elles aient figuré à côté du char d'Apollon et d'Artémis 26. Des statues du dieu les tenaient sur une des mains 27. Des bas-reliefs, qui appartiennent à l'époque hellénistique, mais qui reproduisent plus ou moins fidèlement un original archaïque, nous montrent Apollon Citharède, accompagné de Léto et d'Artémis, et tendant àla Victoire une coupe que cette déesse remplit : sur plusieurs d'entre eux, on voit, auprès de la Victoire, un autel cylindrique autour duquel sont représentées trois femmes dansant : ce sont peut-être les Charites28. Dans un hymne homérique 29 Artémis, se rendant à Delphes, est accompagnée des Muses et des Charites. En GRA 1663 GRA Attique, les Charites sont en rapport étroit avec le culte d'Artémis-Hécate, ou (luss-?ôpoç, déesse lunaire dont l'action bienfaisante s'exerce sur les fruits et sur les semailles, appelée aussi Eut tuFytSia, parce que son sanctuaire surmontait un bastion établi dans la partie sudouest de l'Acropole'. Elles avaient un prêtre commun 2 De nombreux monuments, dérivés d'un original qu'on attribuait au sculpteur Alcamènes, représentent cette Artémis-Hécate sous la forme d'une divinité à triple corps, ou tout au moins à triple visage ; sur plusieurs, qui affectent d'ordinaire la forme d'hermès, la partie inférieure est occupée par trois jeunes femmes, vêtues d'un long chiton et d'un manteau, coiffées d'un calathos élevé, se tenant par la main et s'avançant vers la droite en dansant3. Ce sont peut-être les Charites, représentées ici comme associées et subordonnées à Hécate. Mais on peut supposer, d'autre part, que ces femmes sont, sur ces monuments, une seconde image de la triple Hécate, qu'un poète grec anonyme invoque en ces termes : « Toi qui exécutes des danses sous la triple forme des trois Charites' 1 » Le calathos qu'elles portent sur la tête semble mieux convenir à Hécate qu'aux Charites, divinités secondaires; en outre, sur d'autres monuments à peu près semblables à ceux que nous venons de décrire, ces trois femmes sont assez clairement caractérisés comme une triple représentation d'Hécate, soit par un flambeau que tient l'une d'entre elles, soit par un chien (animal consacré à Hécate), qui les accompagne 5 [IECATE]. Quelques statues nous offrent l'image d'une femme debout, portant une grosse couronne et un collier, vêtue d'un chiton, d'un grand voile qui couvre le dessus de la tête et le derrière du corps, enfin d'une longue pièce d'étoffe placée sur la poitrine. Cette pièce est divisée horizontalement en plusieurs registres, où l'on voit les bustes d'Hélios et de Séléné, des Amours, une femme nue tenant un voile au-dessus de sa tête, une femme demi-nue sur un animal marin, enfin le groupe des trois Charites, nues, tenant des fleurs, des épis ou des fruits, et flanquées de deux cornes d'abondance remplies de fleurs et d'épis. Ces statues représentent soit une divinité de la nature, soit une prêtresse de cette divinité, laquelle devait être d'origine asiatique et apparentée à l'Artémis d'Éphèse e. On peut de même, ainsi que nous l'avons montré', considérer l'union des Charites et de Dionysos comme un symbole du charme qui se répand sur la nature au printemps, avec la renaissance de la végétation. Comme à Élis, nous trouvons ces divinités adorées ensemble à Olympie, où elles ont un autel communs, et à Corinthe', Quelques textes donnent Dionysos pour père aux Charites". Parfois, c'est spécialement au dieu du vin qu'elles sont associées ". Dans une poésie mise sous le nom d'Anacréon, celui-ci demande qu'on grave sur sa coupe les Charites souriantes, à l'ombre d'une belle vigne32. Elles sont très souvent mentionnées ou représentées avec Hermès 13. Il faut distinguer à ce sujet plusieurs aspects du dieu. Avec Hermès Logios, elles personnifient, comme on l'a vu 16, la grâce unie à l'éloquence. Mais lorsqu'un bas-relief archaïque de l'Acropole (fig. 3650) nous les montre s'avançant en exécutant une danse et précédées d'Hermès, celui-ci est alors considéré comme conducteur et chef du choeur, xoriyd; 45, de même que sur des monuments d'une composition analogue où il apparaît avec des Nymphes 16. En Attique, Hermès faisait d'ailleurs partie du collège divin que formaient Hécate et les Charites 17 : on les invoquait ensemble '$, on les adorait à l'entrée de l'Acropole 19, on leur offrait une victime commune aux Éleusinies 20. Il y avait des statues des Charites devant le temple d'Athéna Polias à Érythres2l. A Cyzique, le pronaos du sanctuaire d'Athéna contenait peut-être des statues de ces divinités22. A Coronée, leurs images avaient été placées, du temps de Pausanias, dans le temple d'Athéna Itonia et de Zeus 23. iElius Aristide dit que les Charites sont à la disposition d'Athéna24. Un bas-relief d'époque romaine, conservé au musée du Vatican, nous montre Asklépios, auquel Hermès présente un homme agenouillé; auprès de lui se voient les Charites nues, qui personnifient ici, soit la reconnaissance due au dieu qui guérit les malades, soit la joie vivifiante qui accompagne le retour à la santé 2S. a Avec toi, bienheureuse Hygie, dit le poète Ariphron de Sicyone, tout fleurit et le printemps des Charites resplendit 26. » Nous avons vu qu'Ilomère et, après lui, d'autres poètes ont fait d'une des Charites la femme d'Héphaistos 27 : c'est, selon Cornutus28, parce que les oeuvres d'art sont agréables. A Sparte, les Dioscures et les Charites avaient un temple commun 23. V. Répartition géographique du culte des Charites. Le culte des Charites en Grèce remonte à une époque très reculée 'D. Le plus célèbre et le plus antique de leurs sanctuaires se trouvait en Béotie, à Orchomène, contre le fleuve Céphise. « Elles sont, dit Pindare", les reines de la brillante Orchomène, les patronnes des antiques Minyens. » Leur culte passait pour avoir été institué par le héros Étéocle 32 ; on les adorait sous la forme de pierres GRA 1664 GRA qui étaient tombées du ciel, au dire des habitants, et qu'Étéocle avaient recueillies : ce fut seulement au temps de Pausanias que des images faites avec art leur furent consacrées en ce lieu Des fêtes appelées CIIARITESIA étaient célébrées en leur honneur 2 : des concours divers, poésie épique, tragédie, comédie, flûte et cithare avec chant, y attiraient des concurrents de toutes les parties de la Grèce, de l'Asie Mineure et même de la Grande-Grèce'. On y exécutait des danses nocturnes, à la suite desquelles des gâteaux de farine et de miel (appelés yapfata) et des pâtisseries étaient distribués aux assistants4. Une inscription de ce lieu, du me siècle av. J.-C., rappelle la dédicace d'un trépied aux Charites par la confédération Béotienne, d'après l'ordre de l'oracle d'Apollon'. Nous retrouvons aussi à Coronée, en Béotie, le culte des Charites avec celui d'Athéna Itonia6, Les Charites étaient très vénérées à Athènes'. Dans le serment que prêtaient, au temple d'Aglaure, les jeunes gens qui entraient dans le collège des éphèbes, leurs noms étaient invoqués en même temps que ceux d'autres divinités : Aglaure, Ényalos, Arès, Zeus, liégémoné8. Elles avaient deux sanctuaires dans la ville. L'un d'eux se trouvait près de l'entrée de l'Acropole 9. On y célébrait des mystères 10, et ce culte était, comme nous l'avons déjà fait observer", lié à celui d'ArtémisHécate et d'Hermès, que l'on adorait au même lieu. Plusieurs bas-reliefs du vie et du v° siècles, représentant les Charites et trouvés sur l'Acropole, semblent avoir été des ex-voto placés dans ce sanctuaire f2. Dans la ville même, à peu de distance du Théseion, il y avait un temple de Démos et des Charites qui remontait au moins au Ive siècle 13. Un fragment de bas-relief, trouvé à Athènes, représente probablement ce temple : dans le fond se dresse une stèle avec l'inscription .à-i[..(1) xalXâFtatv], et, sur cette stèle, une plaque votive où figurent les trois Charites, s'avançant à gauche 14. Sur une des faces d'un jeton de plomb attique, on voit la tête du Démos, sur l'autre, les trois Charites et, au-dessous, la légende de .1re(c;atov) ". A Éleusis, le sacrifice solennel, offert le 21 du mois de boédromion, consistait en un taureau, un bélier et un verrat à Jacchos et aux Grandes Déesses, une chèvre à Triptolème, une chèvre à IIécate", à Hermès Énagonios et aux Charites 17 Nous constatons encore le culte des Charites à Corinthe (où il est associé à celui de Dionysos)", à Argos (avec celui d'Héra)19, à Hermione, en Argolide 20, à Élis (avec Éros et Dionysos) 21, à Olympie (avec Dionysos) 22, près de Mégalopolis en Arcadie 23, à Sparte (avec les Dioscures)". Dans ce dernier lieu, près du fleuve Tiasa, il y avait un temple, dont on attribuait la fondation au héros légendaire Lacedaemon, et qui était consacré aux deux déesses Kléta et Phaenna: on a vu plus haut qu'elles sont assimilées dans Pausanias aux Charites". A Paros, Minos, selon une légende qui nous est conservée dans la Bibliothèque d'Apollodore 26, sacrifiait aux Charites, lorsqu'il reçut la nouvelle de la mort de son fils Androgéos : il rejeta alors la couronne qu'il portait sur sa tête et fit taire la flûte, mais il n'en accomplit pas moins le sacrifice. C'était ainsi qu'on expliquait la coutume qui s'était conservée à Paros de sacrifier aux Charites sans nette, ni couronne. Cette association du culte de nos déesses au souvenir de Minos prouve du moins la haute antiquité de leur culte dans l'île 27. A Naxos, à Délos, à Thasos, colonie de Paros, on adorait aussi les Charites : à Thasos, contrairement à ce qui se passait en Attique aux fleusinies, il était défendu, d'après une inscription du début du v° siècle, de leur sacrifier des chèvres et des porcs 28. On trouve encore les Charites à Cyzique (avec Athéna)" et à Érythres en Ionie (avec Athéna Polias)'0. Hérodote dit que, près de la Grande Syrte, coule le fleuve Cinyps, qui prend sa source au lieu appelé colline des Charites; cette colline est couverte de forêts, tandis que tout le pays environnant est sans arbres 31. Peut-être le culte des Charites avait-il été porté en Cyrénaïque par les Minyens, dont elles étaient les principales divinités à Orchomène. VI. Représentations figurées des Chartes. 'A Orchomène, les Charites étaient simplement représentées, jusqu'à l'époque romaine, par des pierres, peut-être par des aérolithes''. A Élis, c'étaient des statues de bois, dont le visage, les pieds et les mains étaient en marbre et les vêtements dorés; chacune d'elle tenait en main un attribut : une rose, un dé et une branche de myrte". A Argos, les statues qui décoraient le vestibule du temple d'Héra appartenaient à une époque ancienne'`. On attribuait à Boupalos de Chios (milieu du vie siècle environ) des Charites qui étaient placées dans le temple de Némésis, à Smyrne'', et d'autres images de ces mêmes déesses, conservées dans la collection d'Attale, à Pergame 36. Vers le même temps, Tektaios et Angélion, élèves des Crétois Dipoinos et Skyllis, les placèrent sur la main de la statue d'Apollon qu'ils firent pour le temple de Délos" : on a sur des monnaies et sur une gemme GRA 1665 connu a été trouvé sur l'Acropole en 1889 (fig. 3650)". Il représente Hermès jouant du chalumeau; par derrière GRA des reproductions de cette oeuvre, reproductions libres dans lesquelles les Charites sont d'ailleurs peu distinctes `. On voyait à Érythres des statues des Charites en marbre blanc, oeuvre d'Endoios2.Al'époque archaïque, les Charites étaient toujours représentées vêtues : Pausanias l'affirme 3 et les monuments qui nous restent le prouvent. En général, il est pourtant difficile d'identifier avec certitude les Charites, car elles ne se distinguent guère des divinités qui leur sont apparentées, Nymphes, fleures ou Muses Ainsi, elles sont peut-être figurées sur'un certain nombre de vases à figures noires, en compagnie d'autres dieux, en particulier d'Apollon, avec des rameaux, des crotales, des fleurs dans les mains 5, mais en l'absence d'inscriptions, rien ne prouve que ce soient véritablement elles. Sur les bas-reliefs que Miller a découverts à Thasos et qui sont aujourd'hui au Louvre étaient représentées les Charites et les Nymphes, comme le prouvent les inscriptions qui s'y lisent. On s'accorde à reconnaître des Nymphes dans les trois femmes qui se voient sur la plaque principale, vis-à-vis d'Apollon (Apollon Nymphégète, dit une des deux inscriptions), dieu dont elles sont séparées par une sorte de porte. Quant aux Charites, plusieurs savants croient qu'elles devaient suivre Hermès (Hermès yopziydç). Or ce dieu, tourné à gauche, apparaît sur une deuxième plaque plus petite, et, derrière lui, une femme, tenant une guirlande ou un bandeau, se dirige du même côté : ce serait précisément une des Charites; les deux autres auraient été représentées sur une plaque non retrouvée qui aurait fait suite à celle-là'. Mais il est plus vraisemblable de reconnaître les Charites dans trois femmes, tournées à droite, que nous montre une troisième plaque, de mêmes dimensions que la deuxième, et qui devait lui faire pendant : les Charites auraient ainsi fait vis-à-vis à Hermès, de manière à former un motif d'ensemble, symétrique à celui de la plaque la plus longue, où les Nymphes se trouvent en face d'Apollon 8. Ces femmes, dans lesquelles nous voyons les Charites, s'avancent lentement; elles portent des vêtements différents, double chiton de lin et long manteau, chiton et chitonisque disposé en travers de la poitrine, chiton finement plissé et manteau ; elles avaient sur la tête une couronne, dont il ne reste que les clous en bronze qui la maintenaient. Dans leurs mains elles tiennent, l'une un objet rond qui peut être un fruit, la seconde une guirlande, la troisième une guirlande et probablement un fruit. Ces bas-reliefs de Thasos sont du commencement du ve siècle environ 9. Toute une série de bas-reliefs attiques, dont nous possédons les originaux ou des copies, nous montre les Charites s'avançant vers la gauche d'un pas dansant, en se tenant par les mains, « â),a-r'lao)v É7[: xcf nW ysî iaÇ É OU6 t », selon l'expression que l'on trouve dans l'hymne homérique à Apollon Pythien !0. Le plus ancien qui soit actuellement lui, les trois déesses, qui montrent leur poitrine et leur visage de face ; enfin un adolescent nu, que la troisième des Charites tient par la main : il est de taille plus petite que les quatre autres personnages et paraît être le dédicant. Les Charites portent une stéphanè, un long chiton, et, par-dessus, un vêtement plus court, finement plissé. La première, qui, seule, a une des mains libres, tient un fruit. Ce monument votif, qui paraît dater de la fin du vie siècle, est d'un art encore grossier : les corps sont trapus, les visages carrés, les yeux ronds et saillants, l'ensemble très lourd. Au Pirée a été découvert un fragment en marbre pentélique, aujourd'hui au musée de Berline" : on y voit la tête et le haut du corps de deux Charites, se présentant de face : elles portent aussi une stéphanè et sont vêtues, l'une d'un fin chiton, l'autre d'un chiton et d'un manteau. Pour le style, ce fragment occupe une place intermédiaire entre le précédent et ceux dont nous allons parler. Plusieurs bas-reliefs et fragments de bas-reliefs, dont deux ont été trouvés sur l'Acropole et un autre sur la pente méridionale de cette colline, et dont le meilleur exemplaire est conservé au Vatican (musée Chiaramonti), se rattachent à un même original (fig. 3651)13. Les trois Charites s'avancent solennellement d'un pas cadencé, la première se présentant de trois quarts et la seconde presque de face. Les deux premières portent un péplos dorien en laine, dont là partie supérieure est rabattue; la troisième, un chiton ionien en lin et un lourd manteau. Cette différence de costume, qui marque une époque de transition entre la mode du chiton ionien et du péplos dorien à Athènes, l'absence de ces longues boucles tombant sur les épaules que nous GRA 1666 GRA montrent tant d'oeuvres de l'art attique primitif, le bonnet qui coiffe deux des Charites, l'aisance avec laquelle sont traités les plis des vêtements et en même temps la raideur des attitudes, toutes ces particularités nous reportent vers la fin de la période archaïque ou le début de la période de l'art libre : vers 470'. On voit, sur un cratère en marbre du musée des Conservateurs (fig. 3652), à Itome, représentant l'entrevue de Pâris et d'Hélène 2, et sur l'autel des douze dieux du Louvre', des images des Charites très apparentées entre elles : ce sont des copies d'oeuvres attiques, de la fin de la période archaïque; elles montrent le raffinement, la grâce précieuse qui semble avoir caractérisé l'école de Calamis. Les déesses, coiffées à l'ancienne mode, avec de longues boucles tombant sur les épaules, couronnées de diadèmes, vêtues d'une fine tunique sans manches ou à manches courtes et d'un péplos rabattu dans-sa partie supérieure, chaussées de sandales, s'avancent vers la gauche, comme dans les bas-reliefs précédents, d'un pas léger et en se donnant la main. Sur le cratère, la première tient une fleur dans sa main droite restée libre. Le philosophe Socrate, qui avait étudié la sculpture dans sa jeunesse, était l'auteur d'un bas-relief représentant les trois Charites vêtues, que l'on voyait exposé à l'entrée de l'Acropole, sans doute dans le sanctuaire que les déesses avaient en ce lieu'. Cette oeuvre était célèbre. Des drachmes et des tétradrachmes attiques, postérieurs à Alexandre, et portant le nom de l'inspecteur monétaire Socrate, offrent l'image des trois Charites vêtues, se dirigeant à gauche, en se donnant la main Ce sont sans doute des reproductions de l'oeuvre du grand Socrate, dont cet inspecteur était fier d'être l'homonyme. Sur un fragment de bas-relief de l'Acropole, on voit la tête de Socrate et, à gauche d'elle, le reste d'un fronton qu'accompagne ce fragment d'inscription... I~( TOI... Il PATOPOl. M. Robert le complète ainsi : [Tai; é ip]tci Tb [é,rwp.ce uû'rox]Fx'roro;, pensant qu'il s'agit d'une repré sentation du sanctuaire des Charites, auprès de Socrate, auteur de leur image e, Quelques archéologues' ont voulu attribuer à Socrate le bas-relief dont la meilleure réplique est au musée Chiaramonti : ce que nous ne croyons pas admissible, car il faudrait dater cette oeuvre de 445 à peu près, tandis que son style indique qu'elle est plus ancienne d'environ un quart de siècle. D'ailleurs, tout ce que les textes et les monnaies nous apprennent sur L'oeuvre de Socrate, c'est que les Charites y étaient vêtues et qu'elles s'avançaient à gauche en se tenant par les mains, motif que l'on retrouve, comme nous venons de le voir, non seulement sur les bas-reliefs du type Chiaramonti, mais sur toute une série d'autres, appartenant à l'art attique. On a dit plus haut que les Charites furent représentées par Phidias sur le trône de la statue de Jupiter Olympien', et par Polyclète sur la couronne d'Iléra à Argos'. Sur la frise orientale du temple d'Athéna-Nikè, frise qui montre une réunion de dieux et qui date de 425 environ, on voit, à gauche, un groupe de trois jeunes filles, portant des chitons flottants et se dirigeant vers la droite, d'un pas de danse léger, mais sans se tenir par les mains le : l'image de la déesse Aphrodite, figurée auprès d'elles, permet de supposer que ce sont les Charites''. GRA 1667 GRA. Parmi les peintres, Apelies fut l'auteur d'une Charis vêtue, que l'on voyait à Smyrne' ; il peignit aussi les Charites avec la Fortune 2. Dans le Pythion de Pergame, l'on montrait des Charites, vêtues aussi, de Pythagoras de Paros'. A partir de l'époque hellénistique, on trouve rarement sur les monuments des Charites vêtues. Les représentations de mariages sur les sarcophages romains font cependant exception 4. Elles y figurent d'ordinaire en costume grec 5 et tiennent, soit une cassette, soit une pyxis à fard, soit un miroir, soit un vase à verser et une patère, soit une draperie contenant des fruits, soit un rouleau (sans doute le rouleau sur lequel on écrivait le carmen nuptiale). Au ive siècle ap. J.-C., elles apparaissent encore entièrement vêtues sur le coffret d'argent de Secundus et de Projecta, où elles font pendant à une scène représentant la conduite de la jeune fille à la maison de son fiancé 6. Dans une lettre de Synésius 7, il est question d'artistes d'Athènes qui revêtaient Aphrodite, les Charites et autres beautés des attributs des Silènes et des Satyres. Nous n'avons pas de représentation figurée qui réponde à ce texte. Sénèque, copiant Chrysippe, dit que les Grâces se donnent la main et portent des vêtements flottants et transparents'; Horace parle des Grâces aux ceintures dénouées, solutis Gratiae zonis 3. Nous ne connaissons pas non plus d'oeuvre d'art où elles soient représentées de cette manière. Au contraire, sur beaucoup de monuments, elles apparaissent sans vêtements, et des textes nombreux nous parlent de leur nudité 10. Pausanias dit que, de son temps, les artistes ont l'habitude de les montrer nues, mais qu'il n'a pas pu savoir quel fut le peintre ou le sculpteur qui, le premier, les représenta ainsi11. Cette nouveauté date vraisemblablement de la fin du ive siècle ou du commencement du nie. Callimaque12 et Euphorion 13 appellent les Charites rtia),ic; et âaapés„ c'està-dire sans vêtements. Les Grâces, dit Servius 14, sont nudae, connexae;... una aversa pingitur, duae nos respi ciunt 16. Un grand nombre de copies d'un même original répondent exactement à cette description. On y voit les Charites debout. Celle du milieu se présente de dos et montre sa tête de profil, tournée à droite ; le poids de son corps repose sur la jambe droite. Les deux autres se IV. montrent de face ; elles inclinent la tête, et leur corps s'appuie sur la jambe qui se trouve en dehors (la gauche pour la Grâce de droite, la droite pour celle de gauche). La Grâce de gauche pose sa main gauche sur l'épaule droite de celle du milieu; celle-ci, sa main gauche sur l'épaule droite de celle de gauche; la Grâce de droite, sa main droite sur l'épaule gauche de celle du milieu 16. De leur autre main, elles tiennent d'ordinaire quelque attribut : fleurs, épis, rameau ou fruits. A côté d'elles, on voit parfois un ou deux vases, sur lesquels sont déposés des vêtements. En montrant de dos l'une des trois soeurs, en alternant les points d'appui, l'auteur de ce groupe a évité la monotonie ; par la disposition des bras, il les a étroitement unies; les lignes souples et élégantes des corps, en particulier des hanches, les têtes penchées pudiquement, les mains libres portées en avant, comme pour présenter ces aimables attributs donnent à l'ensemble un grand charme, qui explique la popularité de l'oeuvre. Comme elle est faite pour n'être vue que d'un seul côté, on a supposé, avec une très grande vraisemblance, que l'original était une peinture 17. Parmi les répliques, qui ont été énumérées par O. Jahn 18, la plus connue est un groupe trouvé à Itome et aujourd'hui conservé à Sienne (fig. 3653), groupe auquel manquent malheureusement les mains tenant les attributs, ainsi que la tête de la Grâce du milieu 19. Dans un autre groupe, que l'on voit au musée du Louvre, les têtes sont modernes 2c. Les bas-reliefs sont en général soit des ex-voto 2f, soit des représentations ornant des sarcophages22. I)es peintures, entre au tres une charmante composition de Pompéi", des mosaïques 24, des pierres gravées25, des monnaies 26 et des lampes 27 se rattachent au même original. S. GsELL. 210 GRI 4668 GRY ment parler un filet' ; au figuré, il désigne des questions énigmatiques que l'on se posait après boire entre convives. On sait que dans la dernière partie du repas, au symposion, les Grecs entonnaient les chants des festins ou scolies, jouaient au cottabe, et un autre de leurs amusements consistait à deviner des énigmes (ypTpot) : les convives qui ne pouvaient les résoudre se soumettaient sans doute à une peine Tel est le sens habituel du mot. Par extension, il s'appliquait à tout discours embrouillé ou ambigu. Cet usage de jouer aux charades devait être fort ancien. Nous ne le relevons, il est vrai, pour la première fois, que dans une comédie d'Aristophane 3, mais le poète y fait allusion comme à un passe-temps fort commun de son tempe : il est donc probable que la mode n'en était pas nouvl .le au ve siècle. On ne saurait douter de l'ancienneté des ypipot, si l'on songe à l'antiquité des premiers oracles, de la légende d'OEdipe et du Sphinx : à l'origine, cette façon de parler énigmatique avait une valeur mystique et religieuse. On attribuait à Ilomère un certain nombre de yptpot; l'Anthologie cite deux énigmes de Cléobuline 4, fille de Cléobule, un des sept sages de la Grèce, qui vivait au vle siècle, et Thalès lui décerne l'épithète de cops « pour caractériser en elle l'union de la sagesse et de la poésie ». De même Ësope sut poser et résoudre des énigmes qui nous ont été conservées Insensiblement, de religieux et de didactique qu'il était, le ypïpoç devint un simple jeu d'esprit, qui plut à un peuple à l'intelligence déliée, amoureux des finesses et des sous-entendus du langage. L'Anthologie contient une cinquantaine de ypipot sauf les deux pièces de Cléobuline et une énigme attribuée à un certain Socrate, É7tty pafiit«Ttov 7ots 7, elles sont toutes anonymes. Rédigées d'abord en hexamètres, plus* tard en distiques élégiaques, leur forme littéraire est de valeur très inégale : si quelques-unes d'entre elles sont joliment présentées, un certain nombre n'ont guère plus de mérite que les productions analogues que nous trouvons de nos jours à la quatrième page des journaux. Les sujets en sont variés, généralement décents; la mythologie fournit quelques casse-têtes qui a exercé la sagacité des commentateurs 6. La plupart roulent sur des mots ou des objets ordinaires, instruments, fruits, animaux... etc. Le mécanisme des ypipoc a toutes les formes connues du genre : tantôt ce sont de simples énigmes 9, tantôt ce sont des charades"; ailleurs ils roulent sur la ressemblance de plusieurs noms"; d'autres jouent sur les lettres ", sur les syllabes 13, sur les mots. On demandait, par exemple, un vers déjà connu qui commençât par telle lettre, ou qui manquât de telle autre ; ou bien un vers dont les pieds fussent composés d'un même nombre de lettres, ou pussent changer mutuellement de place sans nuire à la clarté ou à l'harmonie ". Le ypipoç consistait donc indifféremment dans ce que nous appelons énigme, charade ou logogriphe ". L'esprit mis en oeuvre dans les petites pièces de l'Anthologie ne dépasse pas d'drdinaire la valeur du genre : les Grecs avaient du moins pour excuses de n'en faire qu'un jeu après boire. E. ARDAILLON. GRUS (Pipuvo;). I. Grue, oiseau que les anciens avaient réduit à l'état domestique [BESTIAE, p. 102]. Machine pour enlever des fardeaux [MACHINAE]. Danse où les mouvements de la grue étaient, dit-on, imités [SAL'r'ATIO]. GRYPS ou GRYPIIUS, yp4, griffon : animal fabuleux, partie aigle, partie lion, et de la même famille que tant d'êtres fantastiques et composites, sphinx, chimères, harpyes, etc., que la Grèce emprunta, en les modifiant plus ou moins, à l'Orient. Le mot ypuv, qui se rattache peut-être à la racine indo-européenne grabh, saisir', paraît être de formation grecque ; du moins on n'en connaît pas l'équivalent dans les langues asiatiques; l'assimilation avec le chaldéen khéroub n'est guère admissible, bien qu'il y ait entre le griffon et le taureau ailé d'évidentes analogies 2. Hésiode, nous dit-on 3, fut le premier à traiter des légendes relatives aux griffons, mais nous ignorons en quel poème, et quelles étaient ces fables; comme nous savons d'autre part qu'Hésiode avait aussi parlé des Hyperboréens il est possible qu'on doive combiner ces deux données et admettre que déjà dans la version d'Hésiode, les griffons résidaient non loin du pays des Hyperboréens. Ce qu'en disait Aristéas de Proconnèse, poète qui vécut au vie siècle avant notre ère, nous est mieux connu, grâce aux analyses d'Hérodote Aristéas racontait qu'inspiré par Apollon 6 il était allé à la recherche du pays des Hyperboréens, séjour favori du dieu. En poussant vers le Nord, il arriva jusque chez les Issédons, la dernière des peuplades scythes. Ceux-ci lui révélèrent qu'en avançant toujours dans la direction du Nord, on rencontrerait d'abord les Arimaspes, peuple de barbares qui n'ont qu'un oeil, puis une contrée occupée par les griffons, et enfin les Hyperboréens, qui sont à GRY -4669GRY l'extrémité du monde. Les griffons sont des gardiens vigilants de l'or qui se trouve en abondance dans ces parages et qui leur est disputé, dans d'âpres luttes, par les Arimaspes [AIIMASPI]. Cette légende serait donc d'origine scythe ; Ilérodote, qui la commente, veut que le nom même d'Arimaspes soit l'équivalent scythe du grec g.ovdpOX),uot. Quant aux animaux fabuleux avec lesquels les Arimaspes sont aux prises dans les récits des Issédons, selon toute apparence c'est Aristéas qui a eu l'idée de les identifier avec les griffons, dont la représentation était depuis longtemps populaire en Grèce Et enfin quelle a été l'occasion même de la légende? 11 faut sans doute la chercher dans l'existence des gisements d'or de l'Oural, de l'Altaï, de la rivière Tom, affluent de l'Obi, exploités dès l'antiquité : ces régions, dans la géographie d'Hérodote, sont précisément au Nord de l'Europe. L'écho de la même fable se retrouve chez Eschyle : son Prométhée recommande à Io d'éviter les griffons et les géants Arimaspes, à l'oeil unique, et qui habitent près du fleuve d'or Plouton 2 ; toutefois, d'après Eschyle, griffons et Arimaspes ne résident plus à l'extrême Nord, mais immédiatement avant les Éthiopiens, c'est-à-dire à l'extrême Orient 3. Chez Ctésias, autre variante. La légende est localisée dans le nord de l'Inde, et il n'est plus question des Arimaspes. Hérodote avait déjà raconté qu'il y avait, dans cette région, un désert où vivaient des fourmis gigantesques, d'une taille intermédiaire entre celle du chien et du renard ; en se creusant des tanières sous le sol, elles extraient du sable d'or : les Indiens vont chercher cet or avec de grandes précautions, car ces fourmis sont des animaux très dangereux, très rapides, qui attaquent l'homme et le déchirent'. Telle est la version qui est reprise par Ctésias, à quelques détails près ; mais chez lui, les fourmis d'Hérodote sont devenues des griffons; il en donne du reste une description minutieuse et qu'il tire évidemment de son cru; leur plumage est noir sur le dos, rouge sur la poitrine ; les ailes sont blanches, le cou bleu sombre, le bec et la tête sont une tête et un bec d'aigle, etc. Ce sont là les deux seules traditions que nous trouvons dans la littérature sur la fable des griffons : celle d'Aristéas, qui est transmise par Hérodote, et celle de Ctésias qui n'est qu'une adaptation d'un récit d'Hérodote sur d'autres animaux merveilleux, les fourmis gigantesques qui déterrent l'or dans l'Inde septentrionale e. C'est à ces deux sources que remontent toutes les allusions, très brèves d'ailleurs, des auteurs anciens aux griffons'. Ce n'est qu'à partir du ve siècle avant notre ère que les monuments figurés grecs s'inspirent de la légende propagée par Aristéas et par Hérodote; en particulier, les combats d'Arimaspes et de griffons sont tous posté rieurs à cette date. Et pourtant, depuis longtemps, le griffon est familier à l'art grec ; mais il n'est encore qu'un motif de décoration emprunté aux arts voisins et primitifs de l'Orient ; il y a passé en perdant toute signification mythique, comme le sphinx égyptien. On doit donc conclure que les monuments figurés grecs, à l'origine, loin de présupposer la légende sous la forme précise que nous avons analysée, l'ont suggérée tout au contraire. En appelant griffons les animaux fabuleux que des peuplades barbares considéraient comme gardiens de l'or, les Grecs ne firent que donner un nom connu à des monstres nouveaux pour eux, et les identifièrent avec une forme déterminée dont ils avaient sous les yeux l'image depuis des siècles sans qu'elle s'associât pour eux à un mythe précis. Cette image, d'où leur venait-elle au juste? La plupart des peuples orientaux ont représenté le griffon ; mais il n'a pas chez tous le même type, les mêmes éléments constitutifs, il ne répond pas à la même conception : ici, il a un caractère mythique ; ailleurs, ce n'est qu'un motif de décoration. Bien qu'il soit nécessaire, pour un être monstrueux qui est le produit de combinaisons fantaisistes, de faire la part du caprice individuel des artistes, on peut établir des distinctions assez marquées, suivant les différents pays$. La Chaldée a figuré le griffon comme un lion ailé, avec des pattes de derrière et la queue de l'aigle, quelquefois couché, le plus souvent dressé sur ses pattes de derrière, la gueule ouverte, attaquant un homme ou un animal 9 ; c'est probablement un des aspects des démons malfaisants, hostiles à la divinité 10. Il a sûrement ce sens en Assyrie, puisqu'on le voit souvent combattu par les dieux ou asservi par eux ; ici encore, il a d'ordinaire la tête du lion; on le rencontre cependant, mais moins souvent, avec une tête d'aigle munie d'une crête" ; la tête d'aigle n'est d'usage que chez les griffons purement décoratifs de quelques bas-reliefs, qui sont probablement d'imitation syrienne 12. Enfin, c'est toujours l'adversaire des dieux, le démon nuisible, mis à mort et dompté par le roi, que nous présentent les monuments de l'art perse ; le lion fournit le corps et la tête, avec oreilles pointues et cornes recourbées ; les pattes de derrière sont tantôt celles de l'aigle, tantôt celles du lion ; on voit aussi apparaître une queue de scorpion ou d'oiseauf3. Tel est l'aspect, notamment, des griffons sur les fameux bas-relief de Persépolis, où l'on retrouve, comme on sait, le style et la facture des artistes ioniens qui furent appelés à décorer le palais'. Ce type du griffon à tête de lion cornu passa plus tard, sans changement, de l'art perse à l'art grec. Mais, pendant la période de l'archaïsme grec, c'est une autre représentation du griffon qui prévalut, celle du griffon proprement dit à tête d'aigle; celle-ci est, du reste, à GRY 1670 GRY toutes les époques, la plus répandue dans l'art hellénique. M. Furtwaengler a cru trouver le prototype de ce griffon dans la Syrie du Nord : ce serait une création de la civilisation hittite. A part quelques exceptions, qui rappellent le lion ailé babylonien, le griffon s'y présente d'ordinaire avec un corps de lion ailé, avec pattes de lion et une tête d'aigle 1. La tête d'aigle, quand elle n'est pas sans appendice, est munie d'une crête ou d'un ornement enroulé qui se détache par derrière, ou encore d'oreilles pointues et dressées. Différent d'aspect du type chaldéo-assyrien, il a aussi une signification tout autre : c'est un symbole de la puissance divine ; il est aux côtés d'un dieu, d'ordinaire assis sur son train de derrière, levant une des pattes de devant ou toutes les deux. De Syrie, ce • type aurait passé en Égypte. Il y apparaît pour la première fois sur le tranchant de la belle hache du roi Ahmos, le premier roi de la xvme dynastie L'Égypte n'a connu que le griffon à tête d'aigle surmontée d'une crête; il y est souvent figuré comme un symbole de rapidité; plus rarement, c'est simplement un animal carnassier de même ordre que le lion; dans ce dernier cas, on distingue à la partie supérieure de l'aile des boucles, détail caractéristique qui reparaît dans les oeuvres mycéniennes3. A Mycènes, en effet, l'analogie avec ce dernier type est frappante : ici encore, le griffon est souvent un animal carnassier, une bête de proie, sauvage, très agile, qui alterne, dans ce sens, avec le lion. Les ailes sont ornées de ces boucles qu'on vient de signaler et que présente aussi le sphinx à Mycènes ; la crête généralement est absente; par exception on la rencontre encore. C'est ainsi qu'on le voit figuré sur des reliefs en or repoussé trouvés dans les tombeaux de l'acropole ' ; une lame de poignard en bronze représente une série de griffons cou rant à toute vitesse (fig. 3654) 5; ailleurs, sur une gemme, un griffon et un lion attaquent ensemble un taureau 6 ; sur une autre, un griffon égorge un cerf'. Le même type apparaît sur des ivoires sculptés de Mycènes : griffon aux ailes éployées 8, combat du griffon contre un cerf'. En somme, comme tant d'oeuvres de provenance mycénienne, c'est à l'art égyptien que fait songer le griffon de Mycènes; il est surtout devenu un animal de proie, rapide et féroce. L'Égypte, qui paraît avoir emprunté ce type à la Syrie, l'a assimilé aux animaux féroces réels, et c'est par cet intermédiaire et dans cette attitude que le griffon a passé à l'art mycénien. Cependant, à Mycènes, on le trouve quelquefois interprété comme symbole de force et de vigilance; à cette conception, d'un caractère syriaque très marqué, se rattache une curieuse intaille (fig. 3655) d'un tombeau de Mycènes, qui n'est qu'une variante du célèbre bas-relief de la Porte aux Lions : une colonne sépare deux griffons affrontés héraldiquement, la tête tournée en dehors. La colonne, qui supporte un chapiteau d'ordre mycénien et un entablement, n'est autre chose que le palais en raccourci; l'autel, sur lequel elle pose, est celui du foyer. Les griffons jouent donc ici le rôle de protecteurs, comme les lionnes de la Porte. La pose est pareille, les pattes de derrière appuyées sur le sol, celles de devant dressées sur une sorte de plinthe 10. Nous retrouvons la même conception dans une série de cylindres qui ont été découverts à Cypre, et qu'on doit considérer soit comme ayant été importés de Syrie, soit comme ayant été exécutés à l'imitation des modèles hittites : on y voit le griffon assis, une patte levée ; devant lui, l'arbre sacré dans le style propre aux monuments syriaques ". Telle est encore l'attitude du griffon sur des pierres gravées de la période mycénienne, provenant de différents points du monde grec, en particulier sur celles qu'onnomme improprement «pierres des îles ». Le griffon n'y est pas animal de proie, mais il est représenté seul, dans une attitude tranquille de gardien 12. Le griffon animal de proie, et le griffon gardien à la fois vigilant et redoutable, se retrouvent tous deux dans les produits qu'on peut attribuer à l'art phénicien. On sait que cet art composite a peu innové, et qu'il a emprunté ses motifs aux civilisations voisines. M. Furtwaengler considère comme phéniciennes les plaquettes d'ivoire trouvées dans le palais d'Assour Nasirpal à Nimroud, et qui présentent des griffons du type égyptien, avec crête et une simple ou double boucle le long du cou 13 ; le griffon y est simplement décoratif. Les célèbres coupes en bronze du palais Nord-Ouest de Nimroud offrent aussi, pourles représentations et le style, d'étroites analogies avec l'Égypte ; mais un nouvel élément dans la composition, les zones concentriques, paraît d'origine grecque, comme l'indique la comparaison avec les vases dits rhodiens 14 ; il est difficile de croire que cette heureuse innovation soit d'inspiration phénicienne, et il est infiniment plus vraisemblable d'en faire honneur aux artistes grecs. Ces zones sont remplies, comme on sait, par des files d'animaux, taureaux, bouquetins, chevreuils, etc. : le griffon y figure marchant tranquillement, ou attaqué par une panthère, ou dans une mêlée d'animaux. Une coupe de bronze au musée d'Athènes, portant une inscription araméenne, montre le griffon aux prises avec un homme qui le saisit par la crête et GRY 1671 GRY l'égorge'. Même sujet sur les coupes d'argent doré trouvées à Larnaca, où on le voit aussi placé comme un gar dieu vigilant auprès de la plante sacrée (fig. 3656) 2. Dans la plupart de ces représentations les ailes sont droites ou légèrement recoquillées : forme qui va devenir traditionnelle dans l'art archaïque grec et qui, sans doute, a été imaginée par lui. La période archaïque de l'art grec a formé le griffon sur le modèle de la Syrie du Nord : corps et pattes de lion, tête d'aigle. Un certain nombre de particularités s'y sont ajoutées, soit par emprunt à d'autres types similaires, soit par l'initiative de la fantaisie hellénique : les boucles, qui descendent le long du cou, proviennent, par l'intermédiaire de la Phénicie, du griffon égyptien ; c'est en Syrie et à Cypre qu'il faut cherchér la première idée de l'ornement enroulé en forme de volute qui se détache de la tête par derrière ; la crête n'apparaît plus jamais ; en revanche les oreilles, droites et aiguës, sont nettement détaillées comme dans l'art syrien, et sur le front, immédiatement au-dessus de l'oeil, se dresse un appendice étrange, en forme de bouton, qui a son prototype, semble-t-il, dans une protubérance marquée à la même place sur quelques lions ailés d'Assyrie et d'Asie Mineure 3 ; l'énorme bec est toujours largement ouvert ; enfin les ailes, quand le type grec est définitivement arrêté, sont recoquillées par devant: sorte de convention décorative du plus heureux effet, et que nous trouvons également dans les types hellénisés des Artémis persiques, des sphinx, des harpyes, etc. Jusqu'à la fin du vIe siècle, le griffon en Grèce n'a plus jamais la signification d'un démon malfaisant, comme en Mésopotamie et en Perse ; ce n'est même plus l'animal sauvage qui lutte avec l'homme ou s'attaque à d'autres animaux. Les anciens vases « rhodiens » le présentent assez souvent, soit isolé et comme aux aguets, le corps portant sur les pattes antérieures, qui sont allongées (fig. 3657) soit paisiblement aligné dans une frise d'animaux, soit dans un groupe de deux griffons affrontés, assis sur les pattes de derrière Il apparaît aussi sur les vases d'ancien style corinthien6, qui offrent, entre autres, une très remarquable et très particulière variante du type ordinaire : la tête de griffon posée sur le corps d'un oiseau aux ailes largement éployées7. On ne le rencontre pas sur les vases chalcidiens, et rarement sur les anciens vases attiques : dans cette série, le célèbre vase François, du musée étrusque de Florence, présente le motif de deux griffons affrontés, assis sur leur train de derrière, une patte de devant levée, et séparés par un ornement 8. Le même motif reparaît sur le grand relief en bronze d'Olympie (fig. 3658), deux griffons affrontés sur la deuxième bande, au-dessous de trois aigles, les oiseaux de Zeus9, et sur une bande de bronze trouvée au sanctuaire d'Apollon Ptoos en Béotie70. Les monnaies de Téos et d'Abdère, sa colonie (fig. 3659), portent, comme emblème de la ville, un griffon, tantôt passant, tantôt assis, levant une patte", ou encore la protomé seule du griffon; dans les exemplaires les plus récents, qui datent du commencement du ve siècle, le cou est garni d'une sorte de crinière dentelée, qui plus tard sera un des attributs constants du griffon classique. Dans ces derniers exemples, le griffon est manifestement un symbole de force et de vigilance ; d'ordinaire, dans l'art archaïque, et notamment sur les vases peints, il n'a guère que la valeur d'une figure décorative. On sait que la plupart des produits de l'ancien art étrusque se rattachent étroitement à l'archaïsme grec, qu'ils aient été soit importés directement de Grèce, soit exécutés en Italie même à l'imitation des modèles helléniques. C'est ainsi que beaucoup d'anciens vases trouvés en Italie, poteries rouges à reliefs ou vases peints, présentent, sans variantes, le type que nous avons décrit12. M. Furtwaengler attribuerait même volontiers à l'influence de Phocée des oeuvres que l'on considérait comme phéniciennes : ainsi la dent d'ivoire de Chiusi, où le griffon apparaît dans une file d'animaux de style GRY 1672 GRY purement grec ',les oeufs d'autruche trouvés à Cervetri, sur l'un desquels se voient deux griffons affrontés 2. Citons encore une plaque de coffret en argent de Palestrina, conservée au Musée Britannique3, un fragment de tasse en argent historié, provenant de Vetuloniaoù le griffon défile dans des zones d'animaux fantastiques, etc. Une série de représentations, dans l'art archaïque, mérite une mention particulière : ce sont les têtes de griffons (protomés) qui servaient d'ornements en saillie à des vases x ou à des cratères de bronze, où ils sont placés sur le bord de façon à regarder au dehors. Les plus anciens exemples en bronze sont travaillés au repoussé : on en a trouvé à Olympie et à Préneste ; mais les plus beaux types sont en bronze fondu. Olympie en a fourni plusieurs d'un galbe admirable (fig. 3660) 7, et il s'en est rencontré aussi en Italie 8. Le même motif est traité dans un relief de terre cuite de l'art ionien du vie siècle', et c'est encore lui qu'il faut reconnaître dans le monstre singulier qui borde, du côté droit, le fameux bas-relief de Samothrace 18 tache n'est pas autre chose que cette boucle enroulée qui, dans le griffon archaïque, se déploie derrière la tête. A partir du ve siècle, le type du griffon, tout en restant conforme, dans ses éléments essentiels, à celui de l'art archaïque, subit quelques modifications, qui persisteront jusqu'à la fin de l'hellénisme : les ailes droites et recoquillées sont remplacées par les ailes normales et naturelles de l'aigle; l'appendice frontal en forme de bouton disparaît; enfin le cou est garni d'une crinière raide et continue à dents saillantes. L'emploi et le sens du griffon se diversifient depuis cette époque et jusqu'à la fin de l'art ancien. Le fait caractéristique de la période classique, c'est qu'elle revient souvent à la conception, que nous avons déjà rencontrée dans l'art égyptien et mycénien, du griffon animal de proie, qui s'at taque aux autres animaux et les déchire ; par exemple, sur une pierre gravée de la collection Danicourt (fig. 3661) ", où un griffon s'élance sur un cerf. Un beau vase d'argent de Nicopol nous montre deux griffons assaillant un cerf 12; utn autre, également en argent, de Koul-Oba, un bouquetin déchiré par deux griffons f 3, etc. C'est aussi à partir du ve siècle, avonsnous dit, que la légende sur les Arimaspes commence à être traduite sur les monuments figurés. Les scènes qui représentent les Arimaspes aux prises avec des griffons sont surtout fréquentes dans les objets, vases, colliers, bijoux, provenant de la Itussie méridionale. Les Arimaspes sont désignés par l'accoutrement des Barbares, d'ordinaire combattant à cheval, comme sur des vases du ive siècle d'origine attique rarement à pied". Au lieu d'hommes, ce sont quelquefois des femmes qui combattent les griffons : on a proposé d'y reconnaître des femmes d'Arimaspes ; ce sont, plus vraisemblablement, des Amazones (fig.•3662)1e. On avu que, dans l'art archaïque, le griffon est parfois attribué, comme symbole de vigilance, aux divinités. Cet usage se retrouve et devient même beaucoup plus fréquent, aux époques suivantes. Déjà, nous le savons par des tétradrachmes attiques 17, l'ancienne statue d'Apollon du temple de Délos était accostée de deux griffons : la juxtaposition du griffon et du dieu se retrouve, dans la suite, sur des monuments très divers, par exemple sur un cratère du musée de Berlin 18, sur un certain nombre de sarcophages du British Museum, du musée de l'Ermitage, de Berlin 19, etc. Ailleurs, Apollon chevauche le griffon, comme sur une kylix de Vienne (fig. 368) 20, sur des monnaies d'époque impériale en Asie Mineure 21, sur une remarquable mosaïque de Palerme'', enfin sur la cuirasse de la statue d'Auguste trouvée près de la Porta PrimaR3. L'association particulièrement fréquente du griffon et d'Apollon s'explique-t-elle par les contacts que la légende avait imaginés entre le dieu d'une part, les griffons d'autre part, et le peuple mythique des Hyperboréens ? C'est possible ; et peut-être est-ce à cause de la parenté d'Apollon et d'Artémis que celle-ci, à son tour, était représentée, d'après Strabon, comme chevauchant GRY 1673 GUIS un griffon dans un tableau du peintre corinthien Arégon'. Pour d'autres divinités, les mêmes motifs n'existent pas, et il ne faut sans doute voir dans l'association des griffons avec elles que la fantaisie de l'artiste, ou du moins cette idée générale que le griffon, en sa qualité d'animal merveilleux et terrible, est pour elles un gardien sûr, digne aussi, par sa rapidité, de leur servir de monture ou d'attelage. C'est ainsi qu'une belle plaque estampée du milieu du ve siècle représente Aphrodite avec Éros montant sur un char traîné par deux griffons, dans le style large et sévère de la belle époque (fig. 2148) 2. Avec Némésis, le griffon se rencontre surtout à l'époque romaine, posant la patte sur la roue qui est devenue un emblème de la déesse, ou encore attelé à son char'. Il accompagne souvent Dionysos, et cette association paraît remonter aux monnaies de Téos; sur des vases du Ive siècle, le dieu est conduit par un attelage de griffons, ou d'une panthère et d'un griffon; à l'époque romaine, il n'est pas rare de le rencontrer dans le cortège du dieu 4. Enfin des monnaies d'Assos, de Phocée, d'Ambracie, offrent au droit des têtes de divinités, Athéna, Hermès, Zeus, au revers un griffon : mais il n'est pas certain qu'il faille établir une connexion entre elles et lui Le griffon figurait aussi, nous le savons par Pausanias', sur le casque de la Parthénos de Phidias, soit, comme l'indiqueraient quelques statues, pour supporter deux des trois aigrettes soit, comme le donneraient à penser l'intaille d'Aspasios (fig. 35'23) 8 et les médaillons de Koul-Oba (fig. 3449) 9, en relief sur les couvrejoues relevés qui s'adaptent de chaque côté au timbre du casqueOn le voyait aussi, si l'on en croit les mêmes médaillons et une tête de Berlin, dans cette garniture d'animaux qui décorait le casque au-dessus de la visière 10 Il ne faut voir, dans ce motif, aucune relation particulière du griffon avec Athéna, puisqu'on le trouve concurremment avec le Sphinx et des Pégases, qui n'ont évidemment ici aucun sens mythique. Le griffon reparaît sur d'autres casques à l'époque hellénique 11, et très fréquemment, chez les Romains, sur des armures, en particulier des cuirasses. Sur les deniers romains, le casque de Roma n'est, en quelque sorte, tout entier qu'une protomé de griffon librement traitée 12. Sur les sarcophages et les urnes, il est très fréquent, ainsi que sur tous les objets mobiliers les plus divers d'époque hellénique ou romaine, tels que vases, lampes, sièges, etc. 13 Il faut citer, comme tout à fait hors de pair pour leur beauté, les sept griffons qui décorent un riche bas-relief du Louvre 14 et ceux qui ornent aujourd'hui la petite porte d'entrée de la salle de la Paix 15 On trouve assez souvent, dans l'art grec, mais seulement à partir du ve siècle, une variante du type que nous avons décrit jusqu'ici : c'est le griffon-lion. Il dérive directement de la Perse. Les monnaies lyciennes, au commencement du ve siècle, reproduisent d'abord sans modification l'original persan : corps de lion aux ailes recoquillées, tête de lion surmontée de cornes torses ou recourbées, pattes de derrière et queue d'aigle; un peu plus tard, les pattes de derrière, elles aussi, sont celles du lion 16. A leur tour, les monnaies d'or de Panticapée montrent ce nouveau type dans l'attitude d'une marche tranquille, un dard dans la gueule : il y figure sans doute à titre de gardien fabuleux des régions aurifères, l'Oural et ',Altaï, d'où les Grecs de Crimée tiraient l'or en si grande quantite " Ce dernier exemple semble indiquer que le griffonlion est à peu près l'équivalent du griffon ordinaire; en effet, on le trouve, concurremment avec ce dernier, sur l'aryballe de Xénophantos 18. Néanmoins, sur ce vase, il faut remarquer qu'il est chassé par des hommes vêtus à la mode persane. Et en effet, il semble bien que les Grecs aient eu conscience qu'ils empruntaient ce nouveau monstre à la Perse. Les motifs qui ornent, au théâtre d'Athènes, le siège du prêtre de Dionysos, et qui sont probablement du ive siècle, le montrent aussi aux prises avec des Perses 19. Un bas-relief d'Athènes, de même époque, représente également (fig. 3663) un Perse debout entre deux griffons-lions qui se dressent sur leurs pattes de derrière 20. Il est tout simple de supposer, avec M. Furtwaengler, que ce sont là des motifs librement imités de la décoration des tapis perses très répandus en Grèce. Enfin le griffon-lion est fréquent sur les objets de parure à partir du Ive siècle 21 ; il se retrouve dans les mêmes scènes que le griffon ordinaire" : on les emploie à peu près indifféremment l'un pour l'autre. F. DÜRRBACII.