GYMNASTICA (ARS), Pui.vacTCx'l ,ssr-1. I. La gymnastique est, selon la définition de Galien ',la science des effets que peuvent produire les exercices corporels. Certains auteurs en font remonter très haut l'origine et en attribuent l'invention à divers héros mythologiques
Comme rien n'est plus naturel que de s'exercer à la course et à la lutte, il est évident que la gymnastique fut pratiquée longtemps avant d'être devenue une science et même d'avoir reçu son nom. C'est ce qu'on remarque dans Homère qui ne la nomme jamais3. Il suffit de lire la description des jeux funéraires célébrés en l'honneur de Patrocle, et celle des exercices auxquels se livrent les Phéaciens à l'occasion du séjour d'Ulysse dans leur île. Le nom de gymnastique, comme appellation générale des exercices corporels, ne peut être antérieur à la date indiquée par Thucydide et Platon où les concurrents se montrèrent entièrement nus et commencèrent à se frotter d'huile et de poussière. Autrefois ces frictions étaient inconnues : il n'en est pas question dans Homère, et les gymnastes conservaient au moins le SUBLIGACULUM. La nudité absolue dont les Lacédémoniens et les Crétois donnèrent l'exemple fut officiellement admise aux jeux olympiques en '721 av. J.-C. (xve 01.). Mais le développement donné à la gymnastique, comme art méthodique, date d'une époque plus récente, antérieure de peu à Platon; elle coïncide avec l'institution des athlètes [ATIILETAE], qui se consacraient exclusivement aux exercices corporels pour se rendre aptes à concourir dans les jeux publics aussi bien que des GYMNASTES et des PAIDOTRIBAI qui faisaient métier de cet enseignement 6 Cet art savant et compliqué continua à jouir d'une grande faveur partout où les moeurs grecques prévalurent ; avec elles il ne tarda pas à être introduit à Rome.
D'après Tite-Live 7, les premiers athlètes parurent dans cette ville l'an 186 av. J,-C. à l'occasion des jeux publics donnés par M. Fulvius pour s'acquitter d'un voeu fait dans la guerre d'1 tolie. Mais des concours réguliers de gymnastique n'y eurent lieu que depuis l'institution des jeux destinés à perpétuer le souvenir de la victoire d'Actium [ACTIA]. Souvent les athlètes furent largement récompensés et jouirent de grands honneurs et de privilèges importants, surtout du temps des empereurs; pourtant ils furent bien loin d'obtenir la même estime qu'en Grèce ; leur art (cos ludicra), uniquement destiné à amuser le public, passait pour peu digne de l'attention d'un homme sérieux. Un sénateur et quelques autres citoyens de Rome remportèrent, il est vrai, comme athlètes, des prix aux jeux olympiques 8. Commode lui-même figura comme athlètes. Mais ce furent là des dérogations graves aux moeurs romaines. Jusqu'à Néron, les citoyens romains s'abstinrent de figurer, à Rome même, dans les jeux publics 10. Jusqu'alors les athlètes qui y paraissaient
IV.
étaient des mercenaires. En opposition à cette gymnastique de théâtre, les Romains en pratiquaient une autre qu'ils tenaient de leurs ancêtres, dans laquelle les tendances militaires ou hygiéniques prédominaient, comme on le verra plus loin. [Vers la fin de la République, de riches particuliers annexaient ,one palestre à leur maison de campagne 11. Le premier gymnase public fut, semble-t-il, construit par Néron t2; encore n'était-il qu'une annexe des Thernlae Neronianae13.]
Remarquons encore que la gymnastique grecque jouit de beaucoup moins de faveur dans les provinces d'Occident que dans celles d'Orient. [Dans certaines villes d'Asie, comme Aphrodisias, la vie publique semble se concentrer tout entière dans le gymnase. Jusqu'aux derniers temps de l'Empire, les jeux agonistiques restent la consolation des provinciaux 1i.] On connaît moins d'exemples de concours publics et périodiques célébrés dans la Gaule ou dans l'Espagne S5, quoiqu'on possède une inscription qui se rapporte à une corporation d'athlètes ayant son siège à Nîmesl6. L'abolition des jeux olympiques, décrétée sous l'influence du christianisme par Théodose en 394, porta un coup très grave à la gymnastique. Toutefois, si on en croit la Chronique de Jean Malelas17, les jeux publics d'Antioche en Syrie ne furent supprimés qu'en 521 par Justin. L'abolition des jeux publics ne suffit pas à effacer toute trace de l'ancienne gymnastique grecque, puisqu'il en est encore question du temps de Justinien.
II. Galien, pour qui la gymnastique est la science des exercices, entend par exercice 18 tout mouvement assez violent pour produire un changement dans la respiration. Les mouvements plus doux, tels que la promenade, ne rentrent donc pas dans sa définition. Or les exercices les plus anciens et que mentionnent les poèmes homé
riques sont le pugilat [PUGILATUS], la lutte [LUCTA], la course [cuRsus], le jet du disque [DiscUS], du javelot [JACUcourse en char [RIPPODROMUS], le saut [SALTUS] et la danse [sALTATIO]. Cette dernière forme plutôt une espèce de
transition entre la gymnastique et la musique, et de même que pour la course en char, à cheval ou à mulet, nous devons en faire abstraction.
Dans les temps historiques nous remarquons les changements suivants :1° à part de rares exceptions, on ne proposait plus de prix pour le tir de l'arc et le combat en armes; 2° le jet du disque et celui du javelot, de même que le saut, ne donnaient plus lieu à des concours spéciaux ; ils faisaient partie des cinq exercices constituant ensemble le pentathle [QUINQUERTIUSI]; 3° que, depuis les temps héroïques, on avait inventé deux concours nouveaux composés chacun d'une série d'exercices, le pentathle, que nous venons de mentionner, et le pancrace [PANCRATIUM]. Outre les exercices usités dans les jeux publics, on en pratiquait beaucoup d'autres, dans les gymnases, soit pour des raisons hygiéniques, soit pour se préparer à des exercices plus sérieux. A ce genre
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appartient l'exercice ditsx7cas8Eisty, qui consiste, suivant Galien i, à courir tour à tour en avant et en arrière en se restreignant dans un espace d'un plèthre (30m,83) et en raccourcissant à, chaque fois l'espace parcouru, de manière à s'arrêter enfin tout court au milieu. Dans la même catégorie, d'après Galien 2, rentrent l'ascension à la corde, la suspension par les mains à une corde ou à une barre ; d'autres exercices consistaient à étendre le bras en fer
mant le poing, tandis qu'un autre essayait de fléchir ce bras ou d'étendre les doigts, à s'accroupir et se redresser tour à tour, à soulever de terre un poids très lourd, etc. D'autres exercices étaient encore pratiqués comme des jeux dans les palestres, par exemple celui qui consistait à se diviser en deux camps et à s'en
traîner de part et d'autre au delà de la limite les séparant, soit que deux adversaires ou un plus grand nombre se saisissent un à un, soit qu'ils tirent une corde en sens opposés : ce sont ces exercices qu'on trouve
mentionnés sous les noms de atsaxur ('e , i),xua'cfvlet, axa7cÉioa 3. La course au cerceau [TROCHES], le CORYCUS,
la paume [PILA] pourraient être considérés aussi bien comme exercices de gymnastique que comme jeux. Certains auteurs modernes, entre autres Mercurialis4 et Burette', ont distingué trois espèces de gymnastique : 1° gymnastique militaire ; 2° gymnastique hygiénique qu'on pourrait aussi appeler pédagogique ; 3° gymnastique athlétique. Cette classification ne manque pas de fondement; mais ce serait aller trop loin que de vouloir assigner exclusivement à chacune de ces trois espèces les différents exercices pratiqués en Grèce. Chacune donnait sans doute la prépondérance à un certain genre de gymnastique ou admettait une succession différente des exercices. Le pugilat, qui semble appartenir exclusivement à la gymnastique athlétique, est conseillé 6 comme remède contre le vertige. L'hoplomachia a appartenu plus ou moins aux trois genres de gymnastique. Il serait facile de multiplier les exemples. Chez les Lacédémoniens, la gymnastique était à la fois militaire et hygiénique. On pourrait, à ces trois espèces de gymnastique, en ajouter une quatrième, celle des bateleurs, beaucoup moins importante, il est vrai, mais qui, plus que les autres, compterait des exercices qui lui seraient exclusivement propres.
III. [Dans l'Anacharsis de Lucien, Solon est censé conduire le Scythe au Lycée, et, tout en lui vantant les avantages de la gymnastique grecque, il trace un tableau animé et pittoresque du gymnase athénien. Mais, si l'on
veut saisir sur le vif les scènes journalières de la palestre, assister en spectateur aux exercices des éphèbes, étudier leurs attitudes et celles de leurs pédotribes, les instruments dont ils se servent, il faut consulter les monuments figurés. De nombreux vases peints, de la bonne époque, nous représentent d'un trait spirituel et gracieux des épisodes de la vie gymnique. On retrouvera aux articles spéciaux consacrés aux différents exercices les
figures qui les concernent particulièrement. Nous ne citerons ici que quelques exemples d'un caractère général'.
La scène reproduite par la figure 36778, d'après un cratère de Berlin, se plisse sans doute dans 1'apodytérion. A gauche un éphèbe vient d'entrer; avant d'enlever sa chlamyde, déjà dégrafée sur ses épaules, il se fait ôter par un jeune es
clave une épine du pied gauche; il s'appuie du bras gauche sur son bâton et de l'autre sur la tête de l'enfant à demi accroupi. A droite, un autre jeune homme achève de retirer son himation qu'il va remettre au petit serviteur qui attend debout ; au centre, un troisième personnage, après avoir déposé son vêtement sur un siège, verse dans sa main gauche l'huile d'un aryballe retenu à son poignet droit par un cordon; il procédera ensuite à l'onction qui précède la lutte.
Dans la figure 36782, le péristyle de la palestre est représenté par deux colonnes ioniques. La scène se passe donc dans L'ensemble de la composition reproduit les exercices variés de la palestre. Au centre, un éphèbe coiffé d'une calotte retenue par une mentonnière nouée sous le menton, s'apprête à lancer un disque. Un autre mesure le javelot qu'il doit lancer par le milieu : on comptait cette mesure à partir du sein droit jusqu'à la main du bras droit allongé [JAGULUM]. Dans le champ, une pioche piquée dans le sol, et des haltères suspendus. Le cadre circulaire, à partir de la colonne de gauche, montre un autre discobole, un éphèbe appuyé sur son javelot, pouvant aussi servir de piquet pour marquer des buts, ou délimiter des pistes, puis un groupe de lutteurs. Dans le champ, un sac qui contient des provisions ou des habits [GYDINASIUnl, p. 1688], ou servant aux exercices des pugilistes [coRYCOS], des haltères, un strigile, une éponge avec un aryballe, et deux javelots, Sous la colonne de droite, un éphèbe muni d'un javelot mesure une distance sur le terrain, en comptant ses pas : le compas qu'il tient à la main lui servira, une fois la distance fixée, à tracer sur le sol un cercle dans lequel les tireurs devront essayer de faire tomber leurs traits.
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Trois de ces javelots sont représentés dans la position de leur chute à l'intérieur du but, fichés plus ou moins verticalement dans le axx p c ou sol ameubli par la pioche. L'emploi de la pioche (x«rv-1, ax«cosiov 4.71), si souvent
figurée dans les peintures de vases', et qui servait à ameublir le sol, était aussi un exercice pour les jeunes gens qui la prenaient tour à tour2. Plus loin, un de ses . camarades s'essaye à sauter avec des haltères aux mains ;
en bas, un personnage barbu et plus âgé, sans doute un pédotribe ou un gymnaste, dépouillé de ses vêtements pour participer aux exercices, d'un côté montre au précédent comment on lève les haltères, de l'autre surveille le tireur de javelot placé à sa gauche. Dans le champ, des javelots ou des piquets, une pioche, un strigile, une éponge avec une aryballe, un xc;,puxoç.
On voit sur la figure 36793, un éphèbe préparant une corde'', soit pour le jeu ('tsaxurr(vô«) dont il a été question plus haut, soit pour faire sauter son camarade qui se tient prêt, à droite, les haltères dans une main, et lui crie ses indications; au centre et au second plan, un
groupe de pancratiastes séparés par le gymnaste ou le pédotribe, armé de la baguette fourchue, insigne de ses fonctions avec le manteau de pourpre et le bâton 5.
La figure 3680, qui fait suite, sur la même coupe, à la précédente, représente deux lutteurs qui en viennent aux prises sous I'ceil du pédotribe; à droite, un éphèbe maniant la pioche et un autre plus loin qui déroule une corde. A gauche, pend une sorte de havresac, muni d'un cordon à coulisse qui le serre à la manière d'une grosse bourse. C'est peut-être le xuvoûzoç de Pollux 6.
Le fond de la même coupe nous montre un éphèbe jouant, à l'égard d'un de ses camarades, le rôle de pédo
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tribe-adjoint ou de moniteur (fig. 3681)'. Il est armé de la baguette fourchue du pédotribe ; il surveille un
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éphèbe qui marche derrière lui, occupé à mesurer une distance en comptant ses pas, avec un compas dans la
main droite, un javelot ou un piquet dans l'autre. Les Enfin, la figure 36824 montre un joueur de flûte accom
peintures de vases 2 en offrent d'autres exemples pagnant de son instrument et rythmant les exercices de
la palestre. La présence du musicien parmi les athlètes au gymnase ou pendant les concours est attestée par d'autres monuments et par les textes 5.]
IV. Parlons maintenant de la condition, du sexe, de l'âge de ceux qui s'exerçaient et des heures consacrées à la gymnastique. A Athènes, une loi de Solon s avait rendu la gymnastique obligatoire pour les jeunes gens, mais défendait aux esclaves de s'exercer dans les palestres. Cette exclusion existait probablement aussi dans les
autres cités 7; elle se perpétua et ne fut abolie que sous les derniers empereurs'. Isocrate 9 rapporte que, primitivement, les fils des Athéniens riches devaient seuls s'occuper de gymnastique, de chasse, d'équitation et de philosophie, tandis que les fils de citoyens peu aisés apprenaient l'agriculture, le commerce ou quelque autre métier : une des principales fonctions de l'Aréopage consistait à surveiller l'exécution de cet usage, et on peut croire qu'il en était de même dans tous les États qui
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avaient un gouvernement aristocratique. De nombreux passages des anciens indiquent qu'on pouvait, du
premier coup, à la noblesse de sa tenue et de sa démarche, à l'élégance de ses mouvements, distinguer un
homme bien élevé (7tc7zat6EUi.ivoç, i)scuO p;oç, xcû xâyzbi;) d'un artisan ((31vauco;) 1. Au temps de la démocratie, cette distinction n'existait plus, le peuple s'étant fait construire des palestres pour son propre usage 2. Mais cette exception confirme la règle : depuis que les citoyens pauvres trouvaient des moyens d'existence dans le salaire affecté aux fonctions de juge et à la fréquentation des assemblées du peuple et des spectacles, ils n'avaient plus besoin d'apprendre un métier. En se construisant ces palestres, ils songeaient plus aux plaisirs de la conversation qu'aux exercices du corps, et la gymnastique était négligée, au rapport de plusieurs auteurs contemporains.
Dans la plupart des républiques, la gymnastique était pratiquée uniquement par les hommes ; mais dans les États doriens et surtout à Sparte les jeunes filles prenaient également part à certains exercices, et même dans un état de complète nudité 3 Ces exercices consistaient dans la course, la lutte, le jet du disque et du javelot et le saut'. Cependant, sur les monuments figurés de l'antiquité qui représentent une lutte entre un homme et une femme, celle-ci est ordinairement munie d'un subligaculums. Il y avait à Sparte un concours spécial de course pour les jeunes filles, nommé b'detwvl; °. Une course
semblable existait probablement à Cyrène, colonie des Lacédémoniens7; de même en Élide, à l'occasion de la fête de Junon, mais là, les concurrentes étaient légèrement vêtues$. Dans l'île de Chios, qui avait une population ionienne, les jeunes filles s'exerçaient à la lutte avec les jeunes gens °. Il semble que les femmes cessaient de se livrer à la gymnastique, du moins en public, dès qu'elles étaient mariées. Nous disons en public, car dans Aristophane 10 la Lacédémonienne Lampito se vante de devoir sa bonne mine à ses exercices. Platon seul demande, dans sa République, que les femmes se li
vrent à la gymnastique, sans distinction d'âge S1. Dans les Lois 12 il est moins exigeant, il veut que les jeunes filles s'exercent à la course toutes nues jusqu'à l'âge de treize ans et qu'elles continuent depuis cet âge, convenablement vêtues, jusqu'à l'époque de leur mariage. Le médecin Rufus 13 recommande aux jeunes filles la lutte par terre (iXiviiricuç) comme préservatif contre une nubilité trop précoce. Quant aux hommes, depuis l'âge de six à sept ans jusqu'aux limites de la vieillesse, ils continuaient à faire de la gymnastique. Platon veut que pendant trois ans, les garçons apprennent uniquement la gymnas
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tique et qu'ils ne commencent à apprendre à lire qu'à dix ans 1. Aristote prescrit. également d'enseigner d'abord aux enfants les choses qui regardent le corps et ensuite celles qui regardent l'intelligence 2, mais les avis étaient partagés sur ce point 3 ; généralement on menait de front les deux espèces d'enseignement dans les palestres libres, où les paidotribes instruisaient les enfants n'ayant pas encore atteint l'âge de l'éphébie. Quand les garçons devenaient EPnEBI, ils entraient dans les gymnases de l'État; dès lors on donnait la préférence à la gymnastique, sans abandonner entièrement l'instruction proprement
D'après une loi de Solon4 les gymnases et les palestres devaien t être ouverts depuis le lever jusqu'au coucher du soleil. Les jeunes garçons les fréquentaient très probablement deux fois par jour, le matin avant le déjeuner (âplcrov) et l'après-midi avant le dîner, mais surtout le matin La coutume était la même à Lacédémone 6. Quant aux hommes faits, l'habitude d'aller au gymnase avant chaque repas semble avoir existé aussi de tout temps et être devenue de plus en plus générale 7.
V. De tout ce qui précède, il ressort évidemment qu'en Grèce, la gymnastique s'était développée plus que partout ailleurs et qu'elle a exercé sur l'état social des Grecs une bien plus grande influence que chez aucun autre peuple. Pour expliquer ce fait, on a invoqué le goût inné des Grecs pour la beauté corporelle, on a rappelé combien ils étaient convaincus que l'âme ne pouvait agir librement à moins d'habiter un corps parfaitement sain : il faut aussi chercher la principale et la plus simple cause de ce développement extraordinaire dans le nombre des fêtes publiques, qui se rattachaient presque toutes au culte et dont plusieurs remontaient à une très haute antiquité. Elles étaient, en effet, accompagnées presque toujours de jeux ou de luttes gymnastiques. Peut-être ces exercices doivent-ils leur origine à ce que les assistants se livraient à de joyeux ébats alternant avec les différentes cérémonies du culte.
En ce qui concerne l'utilité des exercices de gymnastique, les auteurs tant anciens que modernes sont partagés d'opinion. Les deux principaux résultats qu'on se proposait d'atteindre sont, d'après les anciens : 1° d'assainir le corps et prolonger la vie (EÛEI«) 6 ; 2° de rendre les hommes aptes à la carrière militaire. Les uns soutiennent que les Athéniens à Marathon, les Thébains à Leuctres durent la victoire à leur habileté dans la gymnastique 9. D'autres autorités cependant sont d'un avis tout à fait contraire f0. Philopoemen faisait tout ce qui était en son pouvoir pour empêcher ses soldats de se livrer à la gymnastique qui leur enlevait l'aptitude aux travaux de la guerre ". Cela dépend évidemment du point de vue auquel on se place, de l'époque dont on parle. Les médecins n'étaient pas d'accord"; les moralistes s'en prenaient essentielle
ment à la nudité ou à la prépondérance accordée par les gymnastes aux développements du corps au détriment de celui de l'intelligencet3. Les politiques y voyaient même un danger pour l'État". Les militaires attaquaient surtout l'art dégénéré des athlètes, qui créait des hommes robustes,mais pesants e timpropresàsupporterles fatigues d'une campagne "[ATm,ETA]. Ces attaques diverses devaient naturellement exciter les amis de cet art à prendre sa défense. Le traité de Philostrate Sur la Gymnastique a été écrit dans le but évident d'exalter les vertus des athlètes et de confondre leurs calomniateurs; mais il est surpassé par Dion Chrysostome 16, qui estime la valeur des athlètes bien plus que la valeur militaire ; car celle-ci, dit-il, ne développe qu'une seule qualité, le courage, l'autre développe en outre la virilité, la vigueur et la modération.
L'opinion générale des Romains est résumée dans Plutarque 1". Ils pensaient que la gymnastique avait causé la décadence des Grecs, que les gymnases et les palestres provoquaient l'oisiveté, la flânerie, les passe-temps inutiles, le dévergondage des moeurs ; qu'au milieu de leurs exercices minutieusement réglés, les Grecs avaient désappris, sans s'en douter, l'art véritable de la guerre, parce qu'ils tenaient plus à être beaux, élégants et agiles qu'à être bons fantassins ou bons cavaliers". [Il est vrai que les Romains n'avaient pu connaître les beaux temps de la gymnastique grecque ni la juger à l'oeuvre comme élément de l'éducation nationale dans les anciennes républiques. Ils oubliaient que c'étaient les pédotribes du Lycée, du Kynosarges et de l'Académie qui avaient préparé les hoplites et les admirables cavaliers d'Athènes au ve et au IV siècle ; que les mercenaires de l'expédition des Dix-Mille ainsi que les soldats d'Alexandre avaient tous été formés à l'école des vieilles méthodes. Dans le monde grec pacifié, l'ancienne gymnastique, qui avait fait jadis ses preuves sur tant de champs de bataille, perdit le caractère utilitaire et patriotique qui eût pu la faire absoudre aux yeux des Romains. Elle ne servait plus à former des soldats pour la cité. Mais elle était devenue, comme de nos jours, une sorte d'hygiène conseillée par les médecins contre la surexcitation du système nerveux, destinée à compenser les effets d'un régime trop sédentaire ou trop intellectuel. Quelques Romains de bonne famille pratiquaient la gymnastique grecque par goût comme Scipion l'Africain79. Cicéron 20 et Horace 2' lui demandent uniquement la réaction qui rafraîchit le teint et stimule l'appétit en activant la circulation, et la détente salutaire qui procure un bon sommeil. L'exercice physique devait combiner ses effets thérapeutiques avec l'usage rationnel des bains et de la ï«Tp«XEt7:Ttxi22. Il n'y avait ni gymnastes ni paidotribes; les hommes âgés donnaient l'exemple aux plus jeunes ; Caton l'Ancien enseignait lui-même la gymnastique à son fils 23. Quant aux spécialistes, amateurs de
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jeux gymniques, candidats à tous les lauriers des grands concours, les Romains les confondaient avec les mimes et les bouffons; sûrement, ils les jugeaient moins amusants. Indifférents au côté plastique de l'athlétisme, ils réprouvaient comme un scandale (fiagitium) la nudité complète des habitués de la palestre et du stade. Le spectacle de la beauté, de la force, de l'adresse, de l'agilité et des qualités corporelles cultivées pour elles-mêmes ne leur inspirait ni enthousiasme, ni émotions fortes. Il fallait, pour les émouvoir, l'étalage tragique des grandes douleurs, où leur orgueil trouvait son compte : défilé de captifs dans les cortèges triomphaux, égorgement de gladiateurs dans l'amphithéâtre. L'engouement passager de certains empereurs pour les concours gymniques soulevait la réprobation de tous les conservateurs, restés fidèles aux traditions du vieil esprit romain 2,
Les exercices les plus familiers aux Romains étaient la course 3, le saut', la lutte 5, le pugilat simple 6 pratiqué sans cestes, et dont la tradition leur venait probablement des Étrusques 7, le tir au javelot 8, le disque 9, l'équitation, la natation 10, le jeu de la balle1l. Strabon 72, décrivant les exercices du Champ de Mars, emploie le mot yult.voo!zÉvmv. Mais il ne semble pas qu'on en doive conclure à la nudité complète de ceux qui pratiquaient ces exercices, le mot étant pris dans le sens général plutôt que dans le sens étymologique. Après Auguste et les réformes sur le recrutement de l'armée, cette gymnastique cessa d'être un instrument d'éducation nationale. Elle ne fut plus guère cultivée que par ceux qui se destinaient spécialement à la carrière militaire 13 ; les gens du monde ne la pratiquèrent que dans la mesure où l'exigeait leur santé, concurremment avec l'usage des bains.
[Enfin, la doctrine chrétienne, en prêchant le mépris du corps, en proposant l'ascétisme comme 'un idéal, acheva la décadence des exercices physiques; quant à l'athlétisme, l'abolition des pompes païennes lui avait
porté le dernier coup.] BUSSEMAKER. [G. FOUGÈRES.]
de classe inférieure à Argos. D'après les notices qu'on retrouve en termes presque identiques dans Pollux', dans Étienne de Byzance', et dans le Commentaire d'Eustathe à Denys le Périégète 3, ils vivaient dans une condition
intermédiaire entre la liberté et l'esclavage, analogue à celle des hilotes spartiates; ils paraissent donc avoir été des serfs de la glèbe, assujettis par la population dorienne conquérante à un service subalterne en temps de guerre, tandis qu'une autre classe de vaincus de l'Argolide, assimilés aux Périèques et nommés encore 'OpvE«Tat, jouissait d'une situation privilégiée'. D'après ces indications, il faudrait reconnaître dans ces Full.v-i,=: les esclaves dont parle Hérodote, qui, après le massacre des Argiens par Cléomène, se substituèrent pendant quelque temps à la population libre et accaparèrent les magistratures 5; puis quand les fils des Argiens décimés eurent atteint l'âge adulte, ils furent chassés par ceux-ci d'Argos et occupèrent Tirynthe. On a voulu retrouver dans leur nom le souvenir du rôle qu'ils avaient à jouer dans les armées argiennes, et qui aurait été analogue à celui des yult.vriTeç, ou soldats armés à la légère des troupes grecques; mais cette interprétation reste très hypothétique et ne paraît s'autoriser que d'une ressemblance fortuite entre l'ethnique Fu(I.vot et la dénomination de yuEI.vic7o;6. F. DURRBACH.
Sparte, en l'honneur d'Apollon Pythaios 1. Leur nom venait des danses que les jeunes gens exécutaient nus, en chantant, autour des statues d'Apollon, d'Artémis et de Léto sur la place appelée le Choeur (Xopds)'. Il y avait deux choeurs, l'un formé par tous les jeunes garçons (-az(aEç), l'autre par les hommes faits ; seuls les célibataires étaient exclus 3. Les premiers imitaient par des mouvements graves et cadencés les passes de la lutte et du pancrace, avant de se livrer aux danses bachiques, plus animées'. Les chants avaient été composés par les poètes et musiciens les plus célèbres, tels qu'Alcman et Thalétas. Ce dernier est particulièrement désigné comme l'organisateur des chants et des danses des gymnopédies au vile siècle'. Des changements ont pu se produire par la suite et il faut peut-être rapporter ce que disent Plutarque et Pollux 6 de la division triple des choeurs lacédémoniens, soit aux gymnopédies en général, soit à la célébration de la victoire de Thyréa, qui était dans ces fêtes comme une fête distincte'. Les conducteurs des choeurs portaient des couronnes de feuilles de palmier, qu'on
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Les gymnopédies paraissent avoir rempli plusieurs jours : on n'en connaît pas exactement la durée. Elles avaient lieu en été' au milieu d'une grande affluence d'étrangers 2. Telle était pour les Lacédémoniens leur importance et leur sainteté que, lorsque la nouvelle de la défaite de Leuctres arriva à Sparte, les éphores ne permirent pas que les choeurs fussent interrompus 3. E. SAGLIO.
1. GRÈCE. Ces mots désignaient la partie de l'habitation grecque réservée aux femmes, tandis que l'elvôrwv ou âvôp wv,rtç était plus spécialement destiné aux hommes 2. Il est aussi impossible de reconstituer sûrement un type du gynécée grec, qu'un type de la maison ellemême dans son ensemble. Autant d'époques, autant de fortunes, autant de positions sociales, autant de fantaisies même, peut-on dire, autant de plans variés d'habitations [DOMS], et l'on doit, pour le point particulier qui nous occupe, se contenter de renseignements épars.
Il est clair que dans les huttes des populations primitives, où toute la famille se confondait autour du foyer central, hommes et femmes vivaient dans une véritable promiscuité. Un peu plus tard, lorsque les demeures furent partagées par des cloisons en quelques salles distinctes, une ou plusieurs d'entre ces salles furent sans doute attribuées aux femmes, sans qu'on puisse dire que les femmes y furent confinées, d'autant que toutes les pièces donnaient sur une pièce commune. Mais déjà nous voyons que les palais où les poèmes homériques font vivre les princes, celui d'Ulysse à Ithaque, celui de Priam à Troie, de Ménélas à Sparte, celui, plus luxueux et moins réel, d'Alcinoos, sont divisés en trois parties principales dont l'une, formée par les Oxa E,.ot, est un gynécée. C'est là que se trouve, très retirée, la chambre conjugale puis des salles où s'entassent, sous la surveillance des intendantes, les richesses de la maison 4. Homère indique de plus qu'un escalier, dans le palais d'Ulysse, conduisait à un premier étage où Pénélope plus d'une fois se réfugia auprès de ses esclaves 6 ; c'était aussi au premier étage, semble-t-il, que les princes reléguaient les chambres de leurs filles non mariées 6.
Le fameux palais de Tirynthe (fig. 2496), déblayé par Schliemann, complète d'une façon heureuse ces données des poèmes épiques. Derrière l'appartement des hommes, et le répétant pour ainsi dire dans des proportions moins vastes, on trouve le gynécée. C'est un ensemble de deux cours autour desquelles sont groupées une vaste salle commune et des salles de dimensions diverses, chambres à coucher, cuisines ou magasins. Tout cet appartement, que des murs épais enserrent et ferment comme un harem, n'a que deux issues, l'une conduisant aux propylées, c'est-à-dire à la grande porte d'honneur, l'autre, par une suite de couloirs détournés, à l'appartement des hommes'. Le pa
lais de Mycènes offre un dispositif du même genre 8.
Ces antiques traditions s'étaient conservées chez les Grecs. Certes à l'époque classique, si l'on en juge par les traces laissées par les maisons dans les quartiers pauvres d'Athènes (fig. 2498), les petites gens se préoccupaient peu, dans les grandes villes, de livrer aux femmes une partie exclusive du logis. Peut-être en étaitil autrement dans les villes modestes et dans les campagnes, où la place était moins ménagée. Dans tous les cas, à l'époque classique, les riches faisaient construire leurs demeures sur un plan qui rappelait en somme le palais homérique. La yuvatxwvrrtç y était reculée en arrière de l'âvôpwvi'rt;, n'ayant avec elle que de rares communications', et constituée essentiellement par une salle commune, destinée au travail1', par la chambre conjugale", la chambre des filles f2, les chambres des esclaves femmes et les dépendances 13. Il arrivait assez souvent que le gynécée se complétait d'un premier étage "w, ou bien même que, l'«vSpwv.'rtç occupant tout le rez-de-chaussée, les femmes habitaient exclusivement le premier16 [noMUS, p. 343]. Mais nous ne pouvons donner d'explications plus précises, car les renseignements font défaut ; les architectes anciens prenaient d'ailleurs avec leur art beaucoup de liberté, et subissaient toutes les nécessités que subissent les architectes modernes.
Le gynécée, même à cette époque, n'était pas toujours aussi fermé qu'on pourrait le croire, et les femmes ne s'y tenaient pas absolument confinées; elles empiétaient souvent sur le domaine des hommes. Si l'on en croit Plutarque, c'était une bonne précaution de frapper à la porte avant de pénétrer chez un Grec, car en entrant brusquement le visiteur risquait de surprendre la femme ou la fille au milieu de la cour, ou un esclave qu'on rouait de coups, ou des servantes en pleurs". C'est peut-être pour remédier à cet inconvénient que l'on se décida souvent, à l'époque hellénistique, à agrandir le gynécée et à le rendre plus confortable. Il forma, pour ainsi dire, une seconde maison accollée à la première (fig. 2499) ; sur le devant sont, autour du péristyle, les appartements réservés aux hommes, les salles d'apparat ; par derrière sont les appartements intimes, où la famille peut vivre sans être troublée, ayant toutes ses aises, autour d'un second péristyle (fig. 2"0'3). Telle est, du moins, la maison que décrit Vitruve, et qui n'est pas, sans doute, absolument théorique ".
Le gynécée est le domaine propre de la maîtresse de maison; c'est là qu'elle habite avec ses enfants et ses esclaves, de là qu'elle dirige et administre le ménage et les biens domestiques qui lui sont confiés. Ce n'est point une sinécure. D'abord la mère de famille est entièrement chargée des soins à donner aux enfants en bas âge, filles et garçons. Non qu'elle les allaite toujours elle-même : déjà dans Homère l'usage des nourrices
mercenaires est fréquent'; à l'époque classique, surtout dans la classe moyenne, il est presque exclusif. On confiait les nourrissons tantôt à des esclaves, tantôt à des femmes libres qui trouvaient là l'occasion de gagner un peu d'argent'. Mais nul n'ignore que malgré le dévouement qu'elle peut trouver chez une nourrice, une mère est tenue â,son endroit
à la plus étroite surveillance ; il en était certainement dans l'antiquité comme de nos
p. 466, 467]. Puis il fallait, après le sevrage, s'occuper à donner aux enfants des mets appropriés à leur âge et commencer leur éducation, car tous restaient aux mains des femmes,dansle gynécée (fig. 3683), jusqu'à l'âge de six ou sept ans, et recevaient même
nourriture et mêmes leçons 3. Quand les garçons passaient aux mains des pédagogues, la mère continuait à diriger les filles, jusqu'à la date, assez hâtive il est vrai, de leur mariage. Mais cette éducation trèsrestreinte, comme nous le verrons, les absorbait moins que l'administration domestique. Pollux nous apprend que du gynécée dépendaient des ateliers de tissage et de filage, une boulangerie, une cuisine, plusieurs offices et magasins'. La femme gouvernait le peuple d'esclaves qui travaillaient dans toutes ces salles. Au temps homérique, c'était le travail de la laine et du lin qui était le plus important. A l'époque classique, la femme avait plus à faire. Xénophon nous explique comment, dans le ménage modèle d'Ischomachos, l'épouse devait faire régner l'ordre le plus strict dans la maison, former les esclaves et les rendre aptes aux diverses fonctions, les récompenser et les punir, les soigner même s'ils tombaient malades, faire accompagner ceux des serviteurs chargés des travaux du dehors, surveiller le travail de ceux qui travaillent à l'intérieur, conserver les provisions soigneusement disposées dans les magasins, les distribuer jour par jour, de manière à les ménager, convertir en habits la laine des troupeaux'.
Ainsi, mettre au inonde des enfants et les soigner durant leur bas âge, ensuite gouverner la maison avec ordre et économie, voilà tout ce que les Grecs demandaient à leurs femmes. Malgré les controverses des savants, il n'est pas douteux que là se soit restreint le rôle
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singulièrement étroit des épouses légitimes. Il n'est pas question, dans le mariage grec, d'un accord intime de deux êtres unissant leurs coeurs, leurs volontés et leurs intelligences en vue d'un bonheur moral, d'une association parfaite où chacun, avec les mêmes aspirations, les mêmes goûts, les mêmes idées, apporte une part égale d'amour, de courage et de travail. C'est là un idéal qui ne fut jamais celui des Grecs. Le chef de famille, dans les ménages les mieux assortis, n'a jamais prétendu que sa femme fût une compagne, au sens profond que nous attachons à ce mot; en passant du gynécée de son père dans celui de son époux, la jeune épousée n'était destinée qu'à devenir la mère des enfants qu'elle lui donnerait et l'intendante de la maison qui lui était confiée e. Les philosophes ont bien pu imaginer pour elle un sort différent, et d'essence plus haute et plus d'une femme peut-être songea qu'elle pourrait avoir quelque chose de meilleur encore et de plus noble à accomplir. Mais, en règle générale, il est certain que l'éducation, la religion, les idées, les moeurs, tout concourait à abaisser la femme et à la renfermer étroitement dans le gynécée.
La petite fille, on peut le dire, n'apprenait rien ou presque rien au gynécée; l'enseignement tout à fait élémentaire que reçoivent chez nous les enfants avant d'aller à l'école n'existait pas chez les Grecs; la mère se préoccupait un peu de leur éducation, pas du tout de leur instruction ; les meilleures se contentaient de leur donner de bons exemples et de bons principes de morale, surveillant devant elles leurs actes et leurs paroles e. Le plus clair du temps se passait en amusements de toute sorte [EDUCATIO, p. 476]. Le gynécée connaissait les jeux bruyants où filles et garçons livrés aux seules ressources de leurs corps et de leur intelligence exerçaient leur pétulance, et la nursery antique était pleine aussi de jouets ingénieux, dont beaucoup étaient appropriés aux goûts des filles, comme les poupées (xo'p«t) de terre cuite ou de cire ' [PUPA]. Il y avait bien quelques villes où, à l'âge où les garçons étaient livrés aux pédagogues, les filles aussi sortaient du gynécée pour recevoir une véritable éducation physique ou intellectuelle. Chacun sait qu'à Sparte les filles fréquentaient la palestre et s'y
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IV.
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livraient aux mêmes exercices que leurs frères 1 ; c'était un système qui séduisait Platon, et qu'il aurait voulu introduire dans sa république idéale Dans quelques autres cités, à Téos 3, à Chios 4, ailleurs encore, les filles, avant leur mariage, fréquentaient une école, et se mêlaient, bien qu'avec moins de rudesse qu'à Sparte, aux leçons et aux exercices des garçons [EDUCATIO, p. 476, 477; GYMNASTJCA, p. 1703]. Mais à Athènes, et c'était
presque partout la règle, les filles n'allaient ni à la palestre ni à l'école. Sans doute leurs mères ou leurs nourrices leur apprenaient quelques éléments de lecture s et cultivaient leurs dispositions naturelles pour la danse (fig. 2606); peut-être essayait-on de les initier un peu à la direction du ménage ou de les occuper aussi à filer, à tisser ou à broder, travaux auxquels on les voit se livrer dans les scènes d'intérieur représentées sur les
vases peints (fig. 3684) 7 [cf. CALATIIUS, fig. 998, et Fusus, fig. 3381, 3382]; mais comme elles se mariaient très jeunes, on peut dire qu'elles se mariaient très ignorantes. Des vierges de quinze ans qui, la veille de leur mariage, allaient consacrer à Artémis leur balle et leur poupée, ne pouvaient guère avoir qu'en puissance les vertus domestiques. La délicate femme d'Ischomachos, que Xénophon a parée de tant de grâce ingénue, nous en donne un frappant exemple.
En second lieu, personne n'ignore que le mariage antique était d'origine purement religieuse, et qu'en Grèce, en particulier, les lois civiles qui le régissaient n'étaient que l'expression des nécessités du culte domestique. L'homme, chef de famille, héritier du culte de son père et de ses aïeux, se mariait pour avoir un fils à qui transmettre à son tour ce même héritage : la femme qu'il prenait n'était qu'un instrument; en tant que personne morale, elle tenait dans le mariage une place nulle. On la transportait d'un foyer à un autre foyer pour perpétuer une famille qui n'était pas la sienne, celle de son père, mais celle d'un étranger, et si elle était stérile, son mari pouvait et devait sans doute, du moins à l'origine, la répudier comme inutile 6, pour chercher ailleurs une union féconde. Cet étranger, d'ailleurs, à l'époque classique comme aux temps primitifs, la femme devait le suivre et trouver auprès de lui une destinée nouvelle, à l'âge très tendre de la nubilité, sans être consultée sur son choix, sans le connaître, sans même l'avoir vu. Son père était seul juge des raisons qui rendaient l'alliance sortable. La volonté de l'épouse, à plus forte raison son coeur, n'entraient pas en ligne de compte. De son côté l'époux ne se laissait guider, en se mariant, que par des raisons extérieures; son choix était dicté
par des motifs de pure convenance. Souvent même n'avait-il pas le choix, et l'épouse qu'il prenait, si c'était par exemple une fille épicière [EPIKLÉROS], c'est-à-dire une orpheline dépositaire plutôt qu'héritière des biens paternels, lui était imposée, en tant que proche parente, par le testament du père ou par des nécessités légales 9. Pour l'homme pas plus que pour la femme, il ne faut chercher dans un mariage grec, sauf de rares exceptions, l'entraînement de la passion ou ces considérations d'ordre si varié qui décident chez nous les mariages de raison.
Une fois le mariage accompli, les qualités de l'épouse pouvaient sans doute resserrer les liens moraux de cette union, mais par malheur ces qualités, que l'éducation première n'avait pas contribué à faire naître, avaient peu l'occasion de se développer et de paraître. L'intelligence, l'activité de la femme n'ayant à se produire que dans les travaux domestiques, son esprit ne s'ornait point de ces grâces qui captivent les hommes et que les Grecs allaient chercher hors de la maison familiale, près des hétaires voluptueuses et raffinées, ou des éphèbes.
Ce n'est point à dire que les femmes fussent hermétiquement cloîtrées dans le gynécée, comme les odalisques dans le harem; plus d'une circonstance leur était offerte où elles pouvaient sortir, mais sauf les visites qu'elles se faisaient parfois d'une maison à l'autre 10, il fallait l'occasion d'une cérémonie funéraire 11 ou religieuse 12 où leur place était marquée par les rites [FUNUS] pour les attirer au dehors, et cela ne pouvait leur tenir lieu de la vie du monde.
Aussi doit-on constater que la femme grecque, entendons la femme honnête, était en général d'esprit assez borné et de caractère assez médiocre. Travaillant quelquefois, le plus souvent oisive ou occupée des soins
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de sa toilette e t de jeux enfantins (fig. 3685, 3686 et 3687)', la vie semi-recluse qu'elle menait développait en elle plus d'un défaut mesquin, par exemple, la curiosité enfantine. Les textes 2 et les monuments (fig. 2502, 2925, 2926) nous
la montrent, telle qu'aujourd'hui la femme arabe, épiant de sa fenêtre, et comme en fraude, les menus incidents de la rue; elle y perd son temps, et fait quelquefois pis encore. Par là se glisse plus d'un regard provocant, et
là s'ébauche plus d'une intrigue dont le dénouement sera fatal à l'honneur du mari, pour peu que s'en mêle une esclave infidèle ou l'une des nombreuses entremetteuses qui rôdent de gynécée en gynécée '. L'adultère n'est point rare, et l'épouse se venge ainsi, sans intention bien arrêtée du reste, des libertés que prend l'époux envers elle. L'amour retrouve ses droits hors du mariage, avec son cortège de ruses spirituelles; qu'on se rappelle la plaisante aventure d'Euphilétos, ce client de Lysias, qui avait eu la complaisance débonnaire d'abandonner à sa femme le rez-de-chaussée de sa maison où celle-ci pouvait à son aise recevoir son amant, sous prétexte d'allaiter son fils Trop souvent aussi celles qui ne violaient pas la loi conjugale contractaient, à vivre renfermées et au contact perpétuel des esclaves, une humeur acariâtre et revêche qui contribuait à écarter d'elles leurs maris. Telle, la femme de Socrate, Xanthippe.
La loi, d'autre part, accentuait à plaisir l'état d'infériorité de la femme; elle lui refusait toute personnalité; la jeune fille est aux mains de son père ou de son tuteur, la femme aux mains de son mari comme une chose dont ceux-ci disposent à leur gré Elle n'est en quelque sorte qu'une portion d'un héritage ; elle est, en se mariant, transmise avec la fortune paternelle sous forme de dot, sans qu'elle ait aucun droit sur cette dot, si bien que, devenant veuve, ce sont ses fils, et non elle, qui sont mis en possession de ses biens propres; ses enfants doivent seulement subvenir à ses besoins si elle reste dans la maison paternelle 6. Elle n'est jamais majeure et ne peut jamais agir sans l'autorisation de son xuptoç, c'est-à-dire de son maître. Enfin son mari, non content de la délaisser, s'il veut, ou tout au moins de la négliger pour porter son affection aux hétaires, peut lui imposer la vie commune avec ses concubines' [CONCUBINATUS] et même faire élever des bâtards dans le gynécée à côté de ses enfants légitimes8. Bien plus, il peut la répudier quand et comme il lui plaît, sans même fournir un prétexte, quitte à rendre la dot [DIVORTIUM], tandis que la femme, si elle peut légalement réclamer le divorce, trouve tant d'obstacles à l'exercice de son droit que c'est un droit illusoire9.
Sans doute les moeurs douces et l'esprit supérieurement
droit des Grecs, peut-être aussi l'influence des idées philosophiques, corrigeaient ce que le sort de la femme avait en principe de mesquin et d'humilié. Le ménage modèle d'Ischomachos est un ménage idéal sans doute, mais cet idéal a ceci de remarquable qu'il ne touche en rien à l'utopie. La jeune épouse n'a rien d'exceptionnel ni dans son éducation ni dans ses idées; ni les circonstances ni les conditions de son mariage ne sont spéciales ; c'est simplement une jeune Athénienne douce et bonne, à qui son époux ne demande rien de rare, et qui n'aurait du reste rien de tel à lui offrir. Et ces deux époux vivent selon les lois et les moeurs de leur ville, ont sur toutes choses, en général, les idées de leur temps ; mais ils savent si bien s'adapter à ces moeurs et suivre ces lois que leur ménage tout grec, tout athénien par la forme extérieure, est au fond un ménage selon la formule moderne, parce que tous les deux sont admirablement unis et se complètent l'un par l'autre en vue du bonheur : le mot est de Xénophon 10. Il était loisible, en somme, à toute femme grecque de vivre comme vivait la compagne d'Ischomachos; il s'agissait de tirer le meilleur parti d'institutions défectueuses ; mais il faut avouer que cela n'était pas facile, et il est fâcheux que nous soyons réduits à étudier la vie et les moeurs des hétaires, ces redoutables rivales des mères de famille ", pour connaître le degré d'intelligence, d'esprit et de culture, où était capable de s'élever la femme grecque. Si le gynécée n'était pas le harem abrutissant, c'était une demeure étroite, obscure et étouffante.
IL Rosn. Bien que le mot gynaeceuni ait, en latin, un sens spécial qu'on trouvera expliqué plus loin, nous croyons devoir placer ici le tableau de la vie romaine qui fait pendant à la vie grecque.
La maison romaine avait plus de jour et plus d'air. D'abord il ne s'y trouvait pas de quartier réservé spécialement aux femmes. L'ATIIluM, qui était la pièce essentielle du logis, chez les riches comme chez les pauvres, était, aux premiers siècles de Rome, un centre où se réunissaient tous les membres de la famille ; la femme y régnait en maîtresse au même titre que son mari. En face de la porte était placé le lit conjugal12; c'est là que toute la famille, y compris les esclaves, se tenait et
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travaillait' ; là aussi que se prenaient les repas en commun 2 [Doms]. Et lorsque le luxe devint plus grand à Rome, Iorsque les maisons s'agrandirent et que l'atrium se fut transformé en une sorte de salon (fig. 2515, 2523), les femmes, dont les chambres furent refoulées ailleurs, n'en restèrent pas moins à leur place dans toutes les parties de la demeure.
Ce fait seul est déjà tout à l'avantage de la femme romaine. Elle vit dans une intimité beaucoup plus grande avec son mari, puisque tout le jour, quand il n'est pas à ses affaires, elle reste à ses côtés. Elle a de plus mille occasions, que n'avait pas la femme grecque, de voir les hommes étrangers et de parler avec eux. Comme les hôtes et les étrangers sont reçus dans l'atrium, elle aide son mari à leur faire accueil, elle prend sa part aux entretiens, elle partage non seulement les repas des hommes de la famille, d'abord assise à côté des lits, et plus tard couchée', mais ceux mêmes auxquels sont conviés les étrangers 4. En un mot, comme dit un ancien, elle tient la première place dans la maison et y vit au milieu du monde 5.
Rien ne s'oppose d'autre part à ce que les femmes sortent de chez elles, tantôt pour assister aux sacrifices et aux fêtes religieuses aux funérailles', tantôt pour faire des visites et prendre part à des dîners où les conduisent leurs maris tantôt pour aller aux bains °, ou aux spectacles; au théâtre, elles étaient même assises avec les hommes, et ce n'est que sous Auguste que la coutume s'établit de leur réserver des places 10.
Elles jouissent ainsi de la plus grande liberté, et l'indépendance de leur allure ne nuit pas à leur considération. C'est ainsi que dans la rue tous les hommes, même les consuls, s'empressaient de leur céder le pas 11; chez elle comme hors de' chez elle, la femme était vraiment la maîtresse, domina, et c'est de ce nom qu'on la saluait 42. Il est vrai que la rudesse des moeurs, et cette vieille idée persistante au fond des esprits que la femme est un être inférieur, léger, incapable de se conduire seul, tempéraient la liberté des femmes et réprimaient toute velléité d'abus. Les Romains n'enfermaient point leurs femmes, mais ils Ies estimaient et les honoraient d'autant plus qu'elles sortaient moins de la maison et qu'elles s'y livraient avec plus de zèle aux travaux de leur sexe. Ainsi. aux temps rigides de la république, trois citoyens répudièrent, dit-on, leurs femmes, parce que l'une avait été vue dans la rue tête nue, parce qu'une autre avait assisté à des jeux sans l'assentiment de son mari, qu'une troisième avait causé hors de chez elle avec une affranchie 13. Le plus bel éloge qu'on pût faire d'une matrone était qu'elle resta au logis et fila de la laine1', et les auteurs insistent souvent sur le bonheur et la dignité réservés aux femmes dont la sagesse s'appliquait à obéir à leurs maris t5, à bien gouverner leurs esclaves, à filer
la laine, à surveiller avec soin tous les biens de la famille, en un mot à se montrer excellentes ménagères/5.
A toutes ces charges, déjà nombreuses, il faut naturellement ajouter l'éducation des enfants [EDUCATIO, p. 478]. On a souvent insisté sur la grande influence que la mère de famille prenait sur ses fils comme sur ses filles, et l'autorité qu'elle exerçait constamment, même lorsque les uns et les autres étaient avancés en âge. Cela tient sans doute en partie à la forte éducation qu'elle avait reçue elle-même. Dans leur toute petite enfance, les filles romaines étaient élevées à peu près comme les grecques. Leurs mères les confiaient tout aussi bien à des nourrices mercenaires qui souvent continuaient à les soigner à titre de nourrices sèches"; elles passaient leurs premiers ans à la maison, remplissant l'atrium de leurs jeux 18, s'ébattant librement avec leurs frères ; mais l'âge de l'instruction venu, au lieu de rester à ne rien faire, ou presque rien, dans le gynécée, comme les jeunes Grecques, la plupart, celles que leur famille ne faisait pas étudier à la maison 1°, allaient à l'école élémentaire sous la conduite de leurs gouvernantes 2U, et s'y asseyaient sur les mêmes bancs que les garçons". C'est dire qu'outre l'enseignement que nous appelons primaire, et sans doute quelques arts féminins 22, elles acquéraient des connaissances que n'eurent jamaisles femmes honnêtes d'Athènes [EDUCATIO, p. 488]. Sans doute bon nombre de Romaines se mariaient extrêmement jeunes, dès leur douzième année", et celles-là pouvaient consacrer aux Lares de la maison paternelle, la veille de leurs noces, leurs jouets enfantins 2'`, mais celles qui se mariaient plus tard, et qui consacraient aux Lares ou à la Fortune Vierge du forum boarium leur robe prétexte ", avaient le temps de former, de développer, d'orner leur intelligence, ce qui n'était point un obstacle à l'éclosion des vertus familiales et domestiques.
C'est ainsi que la Romaine, par sa jeunesse studieuse, par sa vie libre et respectée, s'élevait à la dignité de mère de famille, de matrone, et non seulement dans le ménage, mais dans la République, prenait une importance et jouait un rôle auquel, malgré la fantaisie d'un Aristophane ou la rêverie d'un Platon, la femme grecque ne semble pas avoir jamais aspiré.
S'être fait dans la famille et presque dans l'État une place égale à celle de leurs maris est d'autant plus glorieux pour les antiques Romaines que la loi était plus dure pour elles. Le père de famille, à la fois prêtre chargé d'assurer les sacrifices héréditaires et maître absolu de tous les membres comme de tous les biens de la maison, a sur ses enfants, fils et filles, un pouvoir absolu qui va
jusqu'au droit de vie et de mort [PATERFAMILIAS]. Mais
tandis que le fils est émancipé lorsqu'il devient majeur, la fille reste en la puissance paternelle jusqu'au jour de son mariage ; elle a seulement une part assurée à son
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héritage, à moins d'exhédératibn solennelle, et le droit de prendre, sans aucune autorisation, un engagement valable. Restée orpheline, tandis que son frère, même impubère, entre en pleine possession de tous ses droits,
elle tombe au pouvoir d'un tuteur [CURATOR, TUTOR], et
ce pouvoir est plus étroit encore que le pouvoir paternel, parce qu'il est exercé par ses agnati [AGNATI], ses héritiers présomptifs, qui veulent veiller sur son héritage; puisqu'elle perd le droit de disposer de sa part de fortune, elle ne peut même pas• faire de dettes sans autorisation, et en aucune façon tester. C'est une véritable servitude, mais qui concerne exclusivement les biens de la femme. Le tuteur n'a point à s'occuper de ses moeurs ni de sa conduite, ni à intervenir dans le choix qu'elle fait d'un mari; son rôle se borne à veiller à ce qu'elle n'entame ni n'engage son patrimoine 1.
Que si elle se marie [MATRISIONIUn], la loi semble encore plus sévère. Ou bien elle reste sous la tutelle de son père ou de ses agnats, elle se marie sans convention in manus, et alors son père, s'il vit encore, garde tous ses droits sur elle; il peut l'enlever à son époux, la vendre, la punir, même de mort; mais le mari acquiert ces mêmes droits, et l'on voit quel risquerait d'être le sort de la malheureuse, si l'intervention du tribunal domestique, ou celle du censeur, ne venait tempérer les abus et les conflits de cette double autorité despotique. Si l'époux est in manus, elle devient comme la fille (loto filiae) de son mari, qui a sur sa personne les mêmes droits que sur ses esclaves; il n'y avait, pour combattre ces droits tyranniques, que le pouvoir du censeur [cENSOn, p. 997], qui pouvait punir les brutalités dont la femme risquait d'être victime, ainsi que les répudiations arbitraires 2. Cette intervention du reste était rare, car les Romains n'aimaient pas qu'on se mêlât des affaires de leur ménage', et les maris, en général, savaient se préserver de tout excès de pouvoir, parce qu'ils n'oubliaient pas que le mariage était, en même temps que la confusion de deux patrimoines, l'union de deux vies, la communion du droit divin et humain ", qu'ils associaient leurs femmes à la fois à leur vie sociale et à leur vie religieuse, puisqu'ils offraient avec elle les sacrifices aux dieux Lares, et qu'ils les respectaient comme on doit respecter les mères.
Malheureusement, et par la faute des hommes et par la faute des femmes, ces beaux temps ne durèrent pas. Déjà sous la république les femmes avaient des velléités d'abuser de leur indépendance pour satisfaire, à mesure qu'augmentait la richesse de Rome, leur goût inné de luxe et de coquetterie. La loi Oppia, destiné à réprimer des excès fâcheux, fut abrogée malgré le vieux Caton, et ce succès des femmes ne fut pas balancé par le vote de la loi Voconia qui prétendait du moins leur défendre de s'enrichir 5. Mais le mal éclata plus général et plus grand, transformant les défauts en vices, et souvent les péchés en crimes, lorsque les Romains se furent laissés corrompre par les faux brillants de la civilisation grecque en décadence.
On a dit bien du mal des femmes de l'empire romain, depuis Auguste, et les reproches sanglants que Juvénal accumula contre elles semblent mérités, si même on fait sa part à la violence outrée de la satire. C'était une
triste société que la société romaine, si vraiment les femmes avaient perdu toutes les belles et nobles qualités de leurs aïeules Leurs mœurs sont déplorables. L'exemple de l'impudeur et de la débauche, donné par les femmes de la maison impériale, par les héritières des plus grandes et des plus illustres familles, est suivi par celles des plus modestes. Bien peu, même de celles qui ne font pas profession de turpitudes, gardent la foi conjugale. Sans doute les hommes sont de leur côté assez vils pour rechercher avant tout les unions opulentes; ils vendent leur liberté pour être riches, et leurs femmes profitent de ce qu'ils se sont vendus. Non contentes de traiter leurs maris de haut en bas, de leur imposer superbement leurs volontés, sans permettre qu'ils les discutent, elles réclament cyniquement le droit à l'adultère. Et ce sont les pires des amants qu'elles choisissent, des histrions, des chanteurs, des mimes, des saltimbanques, tout le personnel vil du théâtre et du cirque, quand elles ne roulent pas jusqu'à la plus ignoble fange. Le mariage, d'ailleurs, est chose si peu grave! De presque indissoluble qu'il était, c'est devenu un contrat éphémère, légèrement conclu, plus légèrement rompu; couramment une noble Romaine comptait les années non par le nombre des consuls, mais par le nombre de ses maris, divorçait pour se remarier, et se remariait pour se faire répudier'. Souvent d'ailleurs tous ces mariages l'entraînent au crime, suppositions d'enfants, empoisonnements, que sait-on encore? Aussi doit-on trouver admirables les femmes qui ne se distinguent que par ces péchés bénins, la morgue insupportable, le pédantisme, l'effronterie, la coquetterie, la prodigalité, la passion folle des spectacles, la crédulité superstitieuse, la cruauté envers les esclaves, l'humeur batailleuse et processive, ou l'ivrognerie. Comprend-on, après cela, qu'un honnête homme songe à prendre femme ?
Mais certainement le tableau est bien chargé; les vertus féminines étaient plus rares sous l'empire que sous la république, mais il y en avait encore. Les Lettres de Pline le Jeune, les Annales de Tacite nous font connaître des Romaines dignes, par la distinction de leur esprit et la noblesse de leurs sentiments, des plus admirables matrones d'autrefois. Les exemples de courage, de dévouement, de fidélité, que nous rapporte l'histoire, balancent heureusement les exemples de débauches et de crimes : Arria vaut qu'on l'oppose à Messaline. Et sans aller chercher si haut, les femmes ds mœurs austères, aimables, bonnes et intelligentes, peuvent s'appeler légion. Les épitaphes, si même nous tenons compte de l'exagération naturelle, de la banalité si l'on veut, pour ne pas dire du mensonge de ce genre, sous leur forme concise ou pompeuse, rendent à plus d'une épouse, plus d'une mère, plus d'une sœur, des hommages que l'on ne peut mépriser et passer sous silence. A côté du portrait de la grande dame romaine, entraînée à tous les vices d'une opulente oisiveté, corrompue par la richesse, les mauvais exemples, l'encouragement public, il convient sans doute de dresser en bonne place l'image de la modeste bourgeoise, bien élevée, fidèle à ses devoirs, absorbée dans l'amour de son mari et de ses enfants et le soin de sa maison 8.
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Il va de soi que la situation juridique des femmes dut se modifier en même temps que les mœurs. La liberté illimitée de conduite qu'elles conquéraient peu à peu devenait incompatible avec la dépendance absolue, pouvoir paternel, tutelle, autorité maritale ou manus où les condamnaient les anciennes lois. Les femmes, sous la république même, en étaient arrivées à s'affranchir progressivement de toutes ces entraves pesantes, surtout de la tutelle et de la manus, et bientôt, comme on l'a dit, « de toutes les barrières élevées autour de la femme par l'ancien droit civil, rien n'était resté que d'inutiles débris' ».
Mais alors l'État intervint, substitua sa puissance à celle du père, du tuteur ou du mari, et prétendit s'occuper autant de la personne de la femme que de ses biens. Ainsi, tandis qu'autrefois le mari qui soupçonnait sa femme de le tromper, avait le droit de la tuer, sous l'empire, le mari outragé n'a plus le soin de son honneur; la femme coupable devient justiciable des tribunaux, et tout citoyen peut l'y traduire. D'ailleurs l'État protège aussi l'épouse contre l'époux; non seulement il s'oppose à ce qu'il sévisse contre sa femme, lorsque celle-ci le mériterait, mais il punit les torts qu'il peut avoir envers elle, et règle les divorces 2. Pour nous borner, ajoutons seulement ce trait, qu'Auguste, par exemple, édicta tout un ensemble de pénalités sévères pour s'opposer au débordement des désordres et des scandales, pénalités qui frappèrent les femmes non moins durement que les hommes, et qui les frappaient à. la fois dans leurs personnes et dans leurs biens. C'est ainsi que les femmes adultères ne pouvaient plus « témoigner en justice ni contracter un mariage légitime, ni être instituées héritières, ni recevoir aucun legs ou fidéicommis. Les femmes honorables elles-mêmes ne pouvaient recueillir les legs et les successions testamentaires qu'autant qu'elles se mariaient et avaient des enfants 3. » C'est ainsi que le législateur substitua des incapacités nouvelles celles-là, et bien d'autres encore aux incapacités abolies, incapacités dont l'énumération et l'étude n'est point de notre sujet, mais dont il faut au moins bien connaître l'esprit. Nous ne saurions mieux dire que M. Gide : « Les anciennes incapacités », dit-il, « n'avaient pour fondement que l'intérêt de la famille, et pour objet que les rapports de la femme avec son père, son mari, ses agnats; les incapacités nouvelles, au contraire, vont être établies dans un intérêt public, elles vont réglementer les relations de la femme, non pas avec ses parents, mais avec les tiers; la femme sera incapable, non pas comme épouse, comme fille ou comme sœur, mais comme femme ; la cause de son incapacité, ce sera
son sexe, fragilitas, ionprudentia, imbecillitas sexes 4. »
Ajoutons que le législateur n'a désormais qu'un but, enrayer le mouvement d'émancipation des femmes, refréner la corruption, et ramener les bonnes moeurs 5. On l'a remarqué, plus les mœurs sont mauvaises, plus les lois
d'un pays deviennent sévères. Nous en avons à Rome, en ce qui concerne les femmes, un exemple frappant; mais le succès n'a pas répondu aux efforts, ni aux espérances. Il fallait, pour changer la face de la société romaine, autre chose que les efforts des empereurs et des juristes : il fallait la rénovation par le christianisme. P. PAals.
III. Le mot gynaeceum avait été emprunté aux Grecs par les Romains pour désigner, quand ils s'approprièrent les dispositions de la maison grecque, la partie réservée aux femmes. Là les servantes réunies travaillaient à filer, à tisser, à broder, formant de véritables ateliers B.
Dans les textes du ive et du ve siècle, ce nom est appliqué à des établissements industriels, dépendant de l'empereur, où se tissaient des étoffes et se fabriquaient des vêtements. Il est évident que cette dénomination leur venait du fait que des femmes y travaillaient; mais on y employait aussi des hommes. On les nommait gynaeciari 7. Ces ouvriers des deux sexes étaient de condition servile mancipia, dit le Code Théodosien8; on y trouvait aussi, comme dans tous les ateliers impériaux, des condamnés et en particulier des chrétiens Ils étaient groupés en corporations (cor pus 10, familia 11) ; leur condition ressemblait à celle de tous les artisans qui formaient des collèges à cette époque : ils ne pouvaient se soustraire à leurs fonctions 12; il leur était interdit de répondre aux propositions avantageuses que les particuliers pouvaient leur faire pour les attirer dans l'industrie privée 13 et ceux qui leur donnaient asile pour leur permettre de se soustraire à leurs devoirs, étaient passibles de châtiment 1;.
Pour fournir à ces manufactures la matière première, on faisait appel aux particuliers. On les obligeait de l'apporter au gynécée, contre remboursement équitable, le tarif étant fixé par le gouverneur de la province S6. Là, des ateliers différents la transformaient en vêtements de luxe ou en habillements plus grossiers. Les premiers étaient réservés aux empereurs, à leur famille, hommes et femmes, à leur entourage 7e; les autres étaient destinés aux employés des services publics que l'État habillait 17, en particulier aux soldats. On sait que, pendant tout l'empire, les vêtements furent fournis gratuitement aux militaires, soit en nature, soit en argent18. Pour l'époque d'Honorius et de Théodose seulement, on possède des renseignements précis. A cette date il n'y avait que les simples soldats et les conscrits qui fussent habillés par les gynécées 70.
La Notice des Dignités nous apprend que chacun de ces établissements avait à sa tête un procurateur, qui dépendait lui-même du Gomes sacrarum largitionum 20. 11 semble, par un autre passage, que certains de ces procurateurs relevaient plutôt du Cames rerum privatarum2i, mais le texte de ce passage est extrêmement corrompu sa
Le même document nous fait connaître, pour l'Occident, le nom des villes qui possédaient des gynécées 23.
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Ce sont, pour l'Italie, Rome, Canusium, Venusia, Milan, Aquilée; en Dalmatie, Jovia; en Pannonie, Bassiana (remplacée plus tard par Salone) et Sirmium ; en Gaule, Arles, Lyon, Reims, Tournai, Trèves et, Autun (remplacée ensuite par Metz); en Bretagne, Venta; en Afrique, Carthage.
Il est possible que ces établissements aient existé déjà à une époque antérieure au Ive siècle; mais nous n'avons aucun document sur ce sujet avant cette époque.