Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

HECATE

HECATE (`Exc ~rl). 1. Gni cE. Il n'est pas question d'Hécate dans IIomère. Elle a une place dans la Théogonie d'Ilésiode, mais les critiques voient dans les vers qui lui sont consacrés une interpolation orphique. Ce n'est donc que peu à peu que s'est formé le type de cette divinité, et ce n'est qu'à une époque relativementrécente qu'elle a dû être admise aux honneurs du culte. Par suite, il est tout naturel que la nature de la déesse soit très complexe, que l'on trouve dans son essence des éléments très variés et souvent en apparence contradictoires, difficiles à expliquer et à concilier. Les généalogies ne sont pas d'un grand secours ; elles sont assez nombreuses, mais peu instructives. Le plus souvent Hécate passe pour la fille unique, iI.ouvoyiv'r)S 1, du Titan Persès et d'Astéria, soeur de Léto 2; de là son nom très fréquent de Eu7e(7l ou fliFerits 3. Quelquefois Persès est remplacé par Zeus ou même par de moindres personnages, comme Aristaios5. Ce n'est pas tout : on lui a donné comme parents Zeus et Héra Zeus et Déméter 7, Zeus et Phéraia $. Enfin Admète a passé pour son père9, et la Nuit pour sa mère 30. Tout au HEC plus peut-on inférer de ces traditions, puisqu'on lui donnait la Nuit pour mère ('Acr7tp(a n'est peut-être qu'un synonyme de Ntl; et divinise la nuit étoilée) qu'Hécate est une divinité de la lumière nocturne, une divinité lunaire, et puisqu'elle passait pour fille de Déméter, une divinité chthonienne. Cela n'apprend que bien peu de chose. IIécate simple. Il nous semble qu'Artémidore, en opposant IIécate à un visage, E.ovo-pdcw-o;, à Hécate à trois 'visages, 'rptrpdcwroç', nous donne une indication plus précieuse. Il y a en vérité deux Ilécates distinctes; que les textes anciens ne les confondent pas toujours, que les monuments figurés les séparent, cela va de soi. L'une, la 1.tovo77.pdcw770;, a les rapports les plus étroits avec Artémis et s'identifie très souvent avec elle. Eschyle dans les Suppliantes, Euripide dans les Phéniciennes, pour ne citer que des classiques, ne laissent subsister aucun doute à ce sujet. Ce dernier appelle Hécate fille de Léto; cela correspond à la réalité même du culte dans beaucoup de villes, comme Athènes, Épidaure, Délos'. Les peintres de vases sont d'accord avec les écrivains : on voit quelquefois les deux déesses figurées à côté l'une de l'autre dans le même costume, avec les mêmes attributs3, si bien que les commentateurs hésitent souvent, dans telle scène où l'une des deux déesses peut figurer avec autant de raison que l'autre, à se décider pour celle-ci ou pour celle-là, tant la ressemblance est grande 4. Mais il faut bien remarquer que l'Artémis confondue avec IIécate n'est pas Artémis en général. On sait de combien de personnes diverses est formée la déesse que l'on désigne sous ce nom unique [DIAYA]. C'est exclusivement l'Artémis lunaire, ôxôoopo;, porteuse de torches, ou owcopoç, porteuse de lumière. On devait s'y attendre, puisque le nom même d'Ilécate, 'Erzrr, n'est autre chose que le féminin d'UEraro;, l'épithète ordinaire du dieu Soleil. Il indique nettement qu'Ilécate, comme Artémis, est une déification de la lune, étant donné que par une image de poésie populaire la douce et pâle lumière de la lune s'oppose à l'ardeur brillante du soleil, comme la grâce de la femme à la force de l'homme. IIécate, en ce sens, est comme un double d'Artémis. Rien d'étonnant à ce qu'elle se confonde avec elle, qu'elle ait des attributs communs, des surnoms communs, qu'elle remplisse souvent le même rôle, et qu'il soit parfois difficile, en étudiant les monuments figurés, de ne pas les prendre l'une pour l'autre. Ainsi l'une et l'autre portent soit deux torches, soit une seule torche, ce qui leur vaut à toutes les deux la même épithète de owcodpoç3, et tantôt à l'une tantôt à l'autre des épithètes synonymes, comme aeaaeodpoç, ôxôou~oç, xµct-u~o; ~. L'une et l'autre s'appellent âyyeaoç, sans doute messagère du jour Le rapprochement peut être poussé plus loin. Dans la Théogonie, à travers la litanie en l'honneur d'Iiécate, dans l'hymne orphique qui lui est consacré, ailleurs encore, on relève de nombreuses expressions qui toutes marquent le caractère bienveillant de la déesse. Elle est dite expressément aimable, ipavvrj 8, et bonne, Euxo)(vr, 9. Or ce caractère est aussi très souvent celui d'Artémis. Hécate, suivant Hésiode, reçut d'abord de Zeus puissance sur la terre et sur la mer 10. Insister sur le premier point, et rapprocher IIécate d'Artémis serait naïf, car alors il faudrait la rapprocher aussi de bien d'autres ; mais pour le second, il y a lieu de remarquer qu'Artémis fut très souvent adorée comme déesse marine ; il suffit de rappeler qu'elle protégeait tout spécialement nombre de villes marines et d'énumérer ses surnoms, 'Axra(, IIacaa(x, AtN.evdexo-o;, Eû-opfa, 'Exgarrip(aç, Nr,ocrCuoç ". Hécate, elle aussi, protégeait les marins et leur donnait de bonnes traversées sur la mer orageuse 12; elle se plaisait dans les ports, si l'on en croit son épithète de Zlx13. En tant que -pd-ours, de même qu'Artémis, elle protégeait toutes les cités". Qu'elle favorise un mortel, celui-ci l'emportera à l'assemblée; mais Artémis inspire aussi les orateurs sous le nom d'âyopa(a 15, et les assemblées sous celui d'âptcronoûat), de (3ou),x(a ". Qu'Hécate le veuille, elle donnera la victoire et la gloire; mais Artémis est souvent, elle aussi, adorée comme déesse de la guerre, ainsi que de la paix". Hésiode semble cependant prêter à IIécate une bienveillance qui lui est spéciale envers les rois qui, à son gré, peuvent devenir des parangons de justice" ; mais ce rôle, ne sommes-nous pas en droit de supposer qu'il rentrait aussi dans les attributions d'Artémis âotcroggo' ), ? Hécate se montre encore favorable aux chasseurs, quoique parfois elle leur dérobe leur proie 19 ; elle devient elle-même chasseresse; c'est la déesse qui pousse les chiens, xuveyErtxt Oéo;, et l'on n'est pas trop étonné de voir, dans l'hymne orphique, qu'elle aime la solitude et les montagnes, et qu'elle se plaît à poursuivre les cerfs Z9. Rien que de tout naturel alors à ce qu'elle soit plusieurs fois représentée dans le costume même d'Artémis Agrotéra, robe courte, bras et jambes nus, hauts brodequins de fatigue". La figure que nous publions, d'après un vase de Canosa qui représente une scène des Enfers (fig. 3738), HEC -447HEC a pu être prise pour une Érinye, mais si on la compare à une figure voisine, qui celle-là ne peut-être qu'une Érinye, on est tenté de songer bien plutôt à notre déesse, car son attitude est calme, son costume plus riche, sa chevelure plus noble, et les torches ont remplacé, dans ses mains, le fouet et la lance que l'lrinye brandit contre Sisyphe 1. On prétend même qu'il y a quelques représentations d'Hécate chasseresse, portant l'arc et le carquois' ; mais M. Petersen, qui a fait une étude particulière de représentations figurées d'Hécate, affirme qu'il n'en connaît pas C'est encore en tant que déesse lunaire qu'Hécate, aidée d'Hermès, favorise la naissance et la croissance des troupeaux, boeufs, moutons et chèvres ; c'est aussi sans doute comme identifiée avec Artémis, car Artémis sous sa forme de chasseresse veillait à la multiplication des animaux, surtout du gibier, et sous la forme orientale d'Anaïtis, de Persique, si l'on admet décidément l'Artémis persique aux honneurs du Panthéon grec, on la sait et on la voit sans cesse entourée d'animaux'. Il, ne faut pas oublier son nom de 7 o uôo(a 6. Dans le même sens, à peu près, Ilécate est dite, dans l'hymne orphique, protectrice des bouviers, (3ouxciX p EûuEviourav 7. Il y a plus, Zeus a fait IIécate xouForFd9oç, c'està-dire nourricière, protectrice des enfants 8; c'était là un rôle cher à Artémis, comme en témoignent si nettement, en particulier, le culte de Brauron et les épithètes significatives C.?t).d!J,EtFa:, 770t18o'r oç, xoFula))(u 10. Hécate se confond même avec Eileithyia It et Génétyllis 12, et préside aux accouchements ; n'était-ce pas une des attributions préférées d'Artémis, que l'on invoquait sous les noms de ),urt o ' oç 13, de aoyi(a, f.o yo7TCxoç, 75t (Va, et qui elle aussi portait le nom d'Eileithyia'-' D'autres faits viennent se joindre à ceux-là, De même qu'Artémis Evol(a [D'ANA, p. 9.48], Hécate ivol(a ou EivoB(a offre son appui secourable et sert de guide à qui voyage dans la nuit ; elle mérite alors un autre surnom, yu)e ou 1 ïal), gardienne 16. C'est à ce titre, sans doute, qu'elle a soin d'éclairer la route de Déméter errant à la recherche de Coré ravie par Iladès 17, et lorsque III les Grandes Déesses confient à Triptolème la sainte mission de répandre à travers le monde le J don du blé, elle est là, devant le char attelé de serpents, portant des torches enflammées pour dissiper devant lui les ténèbres. Les peintres céramiques, qui si souvent ont traité ce sujet avec amour, n'ont eu garde d'oublier notre déesse que sa jeunesse, sa beauté, sa parure, sa naissance aussi, puisqu'on la dit fille de Déméter, font l'égale des divi nités qu'elle accompagne (fig. 3739) 18. L'identification d'Hécate avec Artémis entraîne naturellement son assimilation à quelques-unes des divinités identifiées elles-mêmes avec la soeur d'Apollon. Ainsi Hésiode prétendait qu'Iphigénie fut changée par Artémis en Hécate, lorsqu'elle fut soustraite au couteau de Calchas f9; mais Iphigénie elle-même n'était quelquefois qu'une forme d'Artémis ; Artémis Iphigénie était adorée à IIermione, et Hésychius l'identifie avec Artémis Orthia de Laconie 20 A plus forte raison comprenons-nous qu'Hécate ait été confondue avec Séléné, qui était pour les Grecs la Lune sous sa forme la plus simple et la plus pure21. Artémis, Ilécate, Séléné, auxquelles on ajoutait parfois Méné, en arrivèrent à former une seule divinité en trois ou quatre personnes étroitement unies 22 Ces assimilations, ces combinaisons de plusieurs déesses d'essence identique ne datent certainement pas, comme on le dit en termes trop généraux, de l'époque du syncrétisme religieux ; elles ne sont pas seulement l'oeuvre exclusive des Orphiques. Dès la plus haute antiquité, les cultes répandus dans les peuplades de la Grèce ont confondu leurs éléments communs ; chaque ville a emprunté aux villes voisines des traits de leurs dieux pour les prêter aux siens, et souvent même, de bien loin, se sont introduits dans telle ou telle cité des dieux avec qui les dieux indigènes avaient des analogies plus ou moins frappantes. Il en a été ainsi pour Hécate. Il faut noter, en particulier, avec quelle facilité et quel succès elle s'est introduite dans la religion éleusinienne, combien aisément elle est devenue l'amie, la suivante, même la fille de Déméter, et cela de très bonne heure, puisque déjà l'hymne homérique à Déméter lui donne un rôle dans le mythe de l'enlèvement de Coré, le rôle d'-,(EN.dvr1, conductrice. Plus tard, il fut fait un pas de plus; Hécate fut positivement confondue avec Perséphoné 23 et devint l'épouse d'Iladès 2s. Nous avons dit avec quelle complaisance les peintres de vases ont représenté l'Hécate l leusinienne, toujours sous la forme N.ovoi-:o c 7cos 20. Mais l'Hécate simple, pour l'opposer à la triple Hécate, a bien d'autres fois servi de sujet aux artistes. Il semble que ce type soit de beaucoup le plus ancien. Pausanias mentionne un xoanon d'Hécate, c'est-à-dire une idole de forme très primitive dans le célèbre temple que la déesse avait à Égine; c'était l'oeuvre de Myron ; il insiste sur ce fait qu'elle n'a qu'une tête et qu'un corps 26. C'était plutôt une image debout, les bras collés aux flancs, dont le corps raide était sans mouvement et sans vie, qu'une statue analogue à cette terre cuite trouvée à Athènes, qui porte une dédicace à Hécate 27, et que rien, sans cette dédicace, ne distinguerait de toutes les figurines archaïques représentant des déesses-mères. C'est aussi à l'art archaïque que se rapporte une Hécate peinte sur une amphore à figures noires du Musée Britannique. Derrière Hermès, à cheval sur un bouc, et devant lui sont deux femmes richement vê tues, la tête serrée d'une bandelette; HEC elles portent chacune deux courtes torches. L'une des deux au moins est Hécate'. Il n'est pas étonnant de la rencontrer auprès d'Hermès qui, comme elle, s'est introduit dans le cycle éleusinien. Ce n'est pas du reste le seul monument où on les voit ensemble. Il faut aussi reconnaître Hécate dans la petite figure de déesse portant des torches qui paraît en même temps qu'Hermès Cadmilos sur un certain nombre de bas-reliefs relatifs au culte d'Éleusis. Tantôt elle est figurée sur un des pilastres de l'édicule où est enfermé le principal sujet, tantôt dans l'édicule môme, mêlée aux personnages, ou à l'arrièreplan, présidant à leurs actes 2. Naukydès et Scopas avaient sculpté des statues d'Hécate, le premier de bronze, le second de marbre pour un temple de la déesse à Argos 3. Ce sont les seules mentions de statues de ce type que fassent les auteurs anciens. De même les statues conservées sont assez rares; la déesse y est figurée soit avec des torches, soit avec une phiale et une torcher.. Cependant on sait que ce type ne disparut pas, et longtemps encore on voit Hécate simple sur des monnaies 5. La célèbre peinture de Pompéi (fig. 2335), représentant les préparatifs du sacrifice d'Iphigénie, nous montre, dressée sur une colonne, entre deux chiens, Hécate simple, portant deux torches, dans une attitude archaïque 6. Quelquefois même, ayant à représenter Hécate dans une des attributions qui regardent la déesse infernale et non plus céleste, les artistes lui donnent un seul corps et un seul visage. Ainsi, sur un beau miroir gravé de la Bibliothèque nationale, on voit Tantale assistant à la résurrection de Pélops. Le héros sort d'une chaudière dans laquelle Cérès, assistée par Hécate, lui a rendu l'existence. IIécate, sans attributs, ne se distingue de l'autre déesse, dont le costume est identique au sien, que par son diadème en forme de croissant renversé 7. Hécate triple. Le Grec, pendant la nuit, en proie à des terreurs subites, se croyait aisément victime des divinités infernales. Tout naturellement la lune, dont la lueur mystérieuse et pâle, laissant partout où elle ne pénètre pas des ombres noires et dures, la lune qui se cache, se voile, dont le disque semble une face ricanante et qui a l'air, lorsqu'elle disparaît, de plonger sous la terre, devait être classée parmi les dieux d'en bas. L'Hécate infernale, c'est l'Hécate Tp(p.opy,o,. Celle-ci n'est pas bienveillante, mais méchante. Elle s'identifie non plus avec la douce et bonne Artémis, mais avec des divinités farouches, le plus souvent venues des pays du Nord, où la religion est plus dure, et, si l'on peut dire, plus superstitieuse. Ainsi, en maint lieu, on la confondait de même qu'Artémis avec d cEz(«, BAlad et Diva« ', et avec ces épouvantails, " Ep.aouc«, 'Aura(«, `P€« 9. C'est à ce titre qu'on dresse son image dans les carrefours, ces Hécataia où elle est représentée sous la forme triple, et auxquels on offre des repas et des sacrifices, pour HEC l'apaiser et se la rendre favorable. De là son épithète caractéristique, rptoôïTc; 10. Ces cérémonies ont lieu au moment ,de la nouvelle lune; on les appelle `Exâr7,; ôE'rrva, `Exxrzïz, `Er.«Trac« " ; ils consistent en dons de pains, de gâteaux de miel, de poissons, surtout de ceux qu'on appelait Tpfy),zt ou Tecy),13E; ou p.zcv(ôsç, et aussi d'oeufs et de fromage 12. Les victimes qu'on lui immole sont des chiens i3, parce que le chien hurle à la lune et qu'il est l'animal préféré de la déesse 14. On profitait du reste de ces cérémonies populaires pour purifier les maisons que l'on nettoyait et balayait, et dont on brûlait les balayures devant l'idole de la rue; c'était la cérémonie appelée ô;vitip.t« et 7-.Eptaxv),xxc5-p.;'5. Le culte des Hécataia était tout populaire et en quelque sorte domestique, puisque non seulement au croisement de toutes les rues, mais presque devant toutes les portes se trouvait une idole de ce genre, à côté de l'Apollon 'Ayu,EUç" C'est sans doute cela qu'il faut entendre par les noms qu'on lui donne de 7tpoOu ot(« et, par suite de x),Etaoûzo;, porteuse de clefs, bien que ce dernier la désigne surtout comme chargée des portes de l'Enfer, comme la portière d'IIadès, une sorte d'iris du monde d'en bas". La clef est un des attributs les plus fréquents que les artistes donnaient à Hécate. Nous en présentons ici un exemple : sur une lampe, on voit jlécate, entre Artémis et Séléné, portant une clef et une corde (fig. 3740) 18. Le culte que rendaient à la déesse des villes ou des États affectait tout naturellement une forme mystérieuse; M. Steuding a relevé toutes les traces de ces cultes dans le monde antique : on le trouvait en Asie Mineure, à Stratonicée, à Lagina, à Iléracleia du Latmos, à Aphrodisias, Antiochia, Tralles (où elle était réunie à Priape), à Cnide, en Carie; à Sidyma de Lycie, à Aspendos de Pamphilie; en Ionie, à Milet, à Éphèse, à Colophon, à Samos ; en Phrygie, à Apamée, iEzani, Appia (ou Aria?) près d'ihzani, à Cotiaeon; en Lydie, à Mas HEC taura, Smyrne et Thyatire; en Mysie, à Cyzique; dans les Cyclades, à Théra, llecatês-Nêsos, Délos, Andros; à Égine; à Argos et Épidaure; en Arcadie, à Méthydrion (unie à Hermès); à Olympie, à Salamime, à Athènes, Éleusis et Agrae; en Thessalie, à Phères; à Samothrace et à Byzance; en Italie à Tarente, Hipponium (dans le Bruttium), à Syracuse; enfin en Afrique, à Cyrène, en Égypte et au nord du Pont-Euxin, sur une montagne appelée "A),eoç `ExTr, 1. Ceux de ces cultes que nous connaissons le mieux donnaient lieu à des cérémonies mystérieuses. A Samothrace on en célébrait en l'honneur d'Hécate, en même temps qu'en l'honneur des Corybantes, dans une grotte, l'antre Zérynthien 2. Le culte d'1gine, qui passait pour institué par Orphée, était de même nature ", ainsi sans doute que celui de l'île d'Hécate, près de Déloset c'étaient aussi des mystères que les fêtes de Lagina, en Carie, où Hécate avait un de ses sanctuaires les plus anciens et les plus révérés 5. Comme il nous est bien connu par des découvertes récentes, nous en dirons quelques mots. Laissons de côté l'histoire du temple, après avoir noté qu'il remontait à une très haute antiquité, comme le prouvent les réclamations des Laginiens en faveur de leur droit d'asile, lors de la grande enquête de Tibère °, et que le culte y fut très longtemps florissant. Il accueillit volontiers des divinités de tout ordre. A côté des mystères d'Hécate, on célébrait là des mystères de Dionysos 7, et l'on voit le culte de la déesse uni d'abord à celui de la déesse Rome, puis à celui des empereurs 8. Le prêtre principal s'appelait tout simplement ieEe~' ; ; il pouvait du reste s'associer des membres de sa famille; sous ses ordres ou à côté de lui était la prêtresse, i4csz, la x),sdi'oud os, ou porteuse de la clef, le néocore, le cosmophore, chargé de porter les ornements destinés à parer la statue d'Hécate, enfin le mystagogue, l'épimélète des mystères, et le izzp tou.7.6;, dont les attributions ne sont pas bien certaines. Les mystères, pour la célébration desquels étaient institués les mystagogues et les épimélètes, étaient des fêtes annuelles, différentes de beaucoup d'autres célébrées plusieurs fois par an, et portaient le nom caractéristique de ;a od ç 7rop.r ii ou âYwYr,. Il y avait, en outre, des fêtes quinquennales, pendant lesquelles on offrait des jeux superbes aux habitants de Lagina, de Stratonicée, et aux étrangers accourus en grand nombre. Les cérémonies proprement religieuses consistaient, outre la procession de la clef, en sacrifices, chants d'hymnes à la déesse, et sans doute aussi scènes d'initiations. La triple Hécate était donc une divinité chthonienne ; de fait, elle reçut l'épithète de 7Oovia t0, et l'on voit l'importance du culte qu'elle recevait à ce titre. Nous V. HEC avons signalé en passant ses rapports avec Hadès. Elle est la portière de l'Enfer ; elle est la gardienne de Cerbère " ; elle a affaire aux morts, puisqu'on l'appelle vepTéchov apuTava; ou âvxcca ", qu'elle célèbre des orgies avec eux 73, et qu'elle peut l'aire apparaître leurs âmes sur la terre 1'. Mais, en tant que divinité lunaire, elle est encore plus importante. A cette conception se rattache un grand nombre de ses attributions. Reine des carrefours, où les voyageurs hésitent sur leur route, en proie aux mauvais esprits, tandis que la simple Hécate les encourage et les guide avec bienveillance, la triple Hécate leur envoie les fantômes et les monstres terrifiants de la nuit, Empousa 15, Antaïa 16, avec qui nous l'avons d'ailleurs vue se confondre, et les 'ExaTaïa 17, des géants à tête de serpent 18, tous les démons 79; c'est elle aussi qui envoie les mauvais rêves 20. Quelquefois c'est elle-même qui apparaît sous le nom d'Empousa21, en prenant mille formes plus effrayantes les unes que les autres, chienne véritable, femme à tête de chien 22, ou bien lionne, cavale, vache", vieille femme géante, des serpents dans les cheveux, les jambes terminées en queue de dragon, brandissant une grande épée ou des torches 2A. Le tonnerre l'accompagne; sa voix se mêle aux hurlements des chiens u, par exemple de Cerbère qui la suit26. C'est le plus affreux des épouvantails. Heureux ceux que de telles visions ne rendent pas fous ; comme nous, les Grecs croyaient aux Lunatiques 27. Une telle divinité n'a pu mettre au monde que des êtres redoutables et malfaisants comme eIIe. De son union avec Phorkys, ou Phorbas, est née la monstrueuse Scylla 28, qu'on nomme aussi Crataïs ; de son union avec Zeus, la farouche Britomartis u. Ceux de ses enfants qui ne sont point aussi terribles sont des magiciens : comme épouse d'Aiètés, elle devient mère de Circé et de Médée". Elle-même est la magicienne par excellence et elle aime la magie. Pour calmer une telle déesse et se la rendre favorable, il n'y avait que les incantations. On croyait qu'elle habitait dans un angle du foyer des magiciennes''; pour la faire apparaître, ce qui était le but idéal, il fallait l'appeler sept fois"; les torches", la toupie3', servaient en particulier d'instruments aux sortilèges, avec toutes sortes de plantes et d'ingrédients mystiques. On peut voir dans Apollonios de Rhodes la description de toutes ces pratiques, dont le détail sera mieux placé ailleurs 85 [1IAGICA ARS]. C'était Hécate qui les avait apprises aux magiciennes , ses filles , ses prêtresses ou ses élèves"; elle connaissait toutes les conjurations amoureuses 37, tous les poisons et 7 HEC 50 IHEC tous les philtres toutes les métamorphoses 2 et l'art de la vengeance A cet ordre d'idées se rapporte une série de documents curieux, des pierres gravées d'ordinaire, où apparaît la triple Hécate magicienne, souvent avec une inscription gnostique 4. Ici Hécate est figurée avec trois têtes et six bras; deux des mains tiennent de courtes torches deux des fouets et deux des pointes de lance, les têtes sont coiffées du polos; une inscription gnostique se lit sous les pieds (fig. 3741) Ailleurs les fers de lance sont remplacés par des serpents à droite et à. gauche d'Hé cate se trouvent deux petites figures, à gauche Pallas, à. droite Némésis Reste à savoir pourquoi l'Hécate infernale et lunaire est appelée la triple Ilécate, pourquoi elle a trois têtes et trois corps, et mérite le nom de Tp(i.opcpoç, Tpt7rpdawitoç, La plupart des auteurs anciens cherchent une explication mystique. Les trois faces d'Hécate, pour les uns, signifient les phases principales de la lune, la lune naissante, la pleine lune et la lune finissante 3, ou bien, avec plus de précision, le premier quartier, la pleine lune, la demi-lune.Lorsqu'elle a trois jours, dit le scholiaste d'Euripide, la lune s'appelle Séléné ; à six jours, Artémis; à quinze, Hécate9. Pour d'autres la triple Hécate n'est autre chose que la réunion des trois principales divinités lunaires, Artémis, Séléné, Hécate S0; pour d'autres encore la forme triple indique le pouvoir de la déesse sur le Ciel, sur la Terre et sur la Mer, à laquelle on a substitué les Enfers ". Enfin, et c'est l'opinion qui nous semble la meilleure, si Hécate a trois corps, c'est qu'elle est la déesse des carrefours. Comme elle doit présider à la fois à trois routes, il faut que ses regards puissent se porter de trois côtés à la fois; pour que vraiment elle protège ou effraye les voyageurs attardés dans la nuit, il faut que ceux-ci l'aperçoivent devant eux, bien en face, de quelque route qu'ils arrivent. Et la forme même de la déesse, par son étrangeté, doit ajouter à l'hésitation, à la frayeur superstitieuse de l'homme. Cette explication n'est-elle pas la plus naturelle et la plus satisfaisante? La triple IIécate est une création de l'imagination populaire, et le caractère de la déesse et de son culte s'accommode bien de cette simplicité. L'art s'est emparé de bonne heure de la .figure de la triple Ilécate; il trouvait dans ces xcurccia un motif original et pittoresque. Si l'on en croyait Pausanias, Alca mènes le premier aurait représenté Ilécate avec trois corps accolés et trois têtes, et cette idole décorait, à. Athènes,le bastion du temple de la Victoire sans ailes". Il est certain qu'il ne faut pas prendre cette assertion au pied de la lettre. Peut-être seulement Pausanias a-t-il voulu dire que l'Hécate E7rc upyil(ce est le premier Hécataion signé d'un nom célèbre. Dans tous les cas, on connaît au moins une série de triples Ilécates qui est antérieure à l'ceuvre d'Alcamènes 12 Il est d'ailleurs téméraire, dans le nombre très considérable d'Hécataia que M. Petersen a récemment énumérés et étudiés 14, de vouloir reconnaître ceux qui ont été directement inspirés par l'ceuvre du grand sculpteur attique. Sans doute celui que représente la figure 374'2 est un des plus beaux, de grand style et d'excellente époque"; celui du Musée d'Amiens ne lui cède pas beaucoup ", et l'un et l'autre sont traités avec un soupçon d'archaïsme qui conviendrait assez bien à Alcamènes; mais que peut-on affirmer, et qu'a-t-on le droit de supposer de plus? M. Petersen est sur un terrain plus solide lorsqu'il groupe toutes ces représentations, dont quelques-unes se distinguent assez nettement des autres. Dans un premier groupe il place des figures en marbre blanc, hautes en moyenne de 0,,33. Les trois déesses sont placées dos à dos, les bras collés au corps, tenant des torches, la tête surmontée du polos ou du calathos, des chaussures aux pieds. Quant au vêtement, il se compose presque toujours d'une tunique talaire que recouvre une tunique plus courte, avec une ceinture nouée sous les seins, et plus haut relevée au milieu du corps que sur les côtés. Presque tous ces monuments sont d'origine attique. Tantôt les trois figures sont identiques, tantôt un peu différentes; par exemple, quelquefois une seule main porte une torche ; l'autre saisit l'étoffe de la robe comme pour la relever, ou.bien, repliée contre la poitrine, porte un fruit; souvent cette main, au contraire, tombe naturellement et tient une phiale. Les attributs changent très souvent; à côté des torches, des phiales, des vases à, verser, des fleurs, des fruits, on voit les poignards, les fouets, etc. A côté d'Hécate paraissent d'autres personnages, Pan, les Grâces dansant autour d'Hécate réduite HEC 51 HEC à la forme d'Hermès tricéphale (fig. 3743) 1, on voit entre les figures principales des chiens, des serpents. M. Petersen a étudié de très près tous ces attributs ; quelques-uns s'expliquent d'eux-mêmes, la torche, le fouet, attributs de la érta-p6poq et de la c?taorrva«;; les poignards symbolisent le caractère farouche de la déesse infernale, que le serpent accompagne naturellement, comme le chien; le vase à verser et la phiale, à laquelle le chien semble souvent boire, font allusion sans doute à la rosée nocturne ou à la fraîcheur nourricière des plantes ; les fleurs et les fruits expriment les mêmes idées de fécondité; Pan et les Grâces sont des divinités de la nature agreste dont le rapprochement avec la déesse vivifiante est fort compréhensible. Dans un second groupe, M. Petersen fait rentrer les statues et statuettes de la triple Hécate en pierre, en bronze, les bas-reliefs (sauf celui que représente notre figure 3742), les monnaies, les pierres gravées. Ce groupe est beaucoup moins nombreux, mais ne manque pas d'intérêt, parce qu'il contient des œuvres traitées avec beaucoup plus de liberté que les précédentes, et de provenances très variées. Hécate est toujours une en trois personnes, mais ces trois personnes semblent souvent plus indépendantes les unes des autres; leurs attitudes sont plus variées ; leurs attributs aussi; on trouve par exemple la clef, et la corde ; les coiffures changent ; à côté du polos paraît le bonnet phrygien ; les têtes se couronnent de feuillages, de fleurons, de rayons (fig. 3744) 2. Ou bien au contraire les trois corps se resserrent, s'enferment dans une gaine qui se couvre de bas-reliefs variés Hécate devient une sorte d'Hermès à. triple tête. Nous connaissons même une Hécate non plus triple, mais double, qu'on pourrait à la rigueur ajouter à cette série dans laquelle rentrent aussi les images gnostiques dont nous avons Après cette longue énumé ration de monuments qui sont d'ordinaire plus intéressants pour l'archéologue que pour l'artiste, il faut faire une place à part à l'image d'Hécate sculptée sur la frise des Géants de l'autel de Pergame. La déesse est triple sans l'être ; on ne voit qu'un corps, presque qu'une tête, et peu de bras. L'artiste, en montrant Hécate de dos, a réussi à la rendre à peine monstrueuse. Deux des têtes se perdent, assez vagues, au second plan, et la plupart des bras sont ca chés par le corps et le bouclier (fig. 3745) 5. H. Ro31E. Hécate n'a pas dans la mythologie romaine la même importance que dans la mythologie grecque. Nous ne savons pas si vraiment, comme on l'a dit, lorsque les idées et les croyances grecques entrèrent en contact avec les romaines, Hécate se confondit avec la vieille divinité italiote Mana-Génèta6. Le nom de Mana, qui se rapproche du grec M v et M's v , ne nous semble pas une raison suffisante, non plus que ce fait qu'on sacrifiait des chiens à Mana-Génèta. Des mythologues font d'elle une déesse de la naissance et de la mort, une sorte de Vénus Libitina, plutôt qu'une déesse lunaire Dans tous les cas, en pénétrant à Rome, Hécate n'y pénétra que sous sa forme de déesse lunaire et de déesse infernale 8. Elle est, dit Virgile, puissante dans le ciel et dans l'Erèbe9. Les poètes la confondent sans cesse avec Diane 10; elle est pour eux la fille de Latone 11, la soeur d'Apollon, ayant avec son frère des temples et des prêtres communs"; il n'est plus aucun souvenir ni de sa généalogie ni de sa descendance ; son père Persès et sa mère Astéria, les autres dieux ou héros que les Grecs lui donnaient pour parents sont oubliés ; la monstrueuse Scylla n'est plus sa fille 13 Hécate, d'ailleurs, n'apparaît plus que sous sa triple forme et les épithètes qui accompagnent son nom sont presque toujours triplex 14, tri formis 15, tergemina r6, triceps 17. Les chiens sont, comme en Grèce, ses animaux familiers et ses victimes de prédilection 18. Son culte, célébré dans les carrefours, lui vaut l'épithète très ordinaire de Triviia19. Il est même intéressant de noter que ce mot est employé couramment tout seul pour désigner Hécate, mais aussi Diane, si bien qu'il est souvent difficile de dire s'il s'adresse à l'une ou l'autre divinité. Ainsi des critiques regardent comme particulièrement dédié à Hécate le bois sacré et le lac de Némi, tandis que d'autres en font un sanctuaire de Diane. C'est que le nom officiel était simplement Triviae nemus et Triviae lacus [DIANA, p. 154]. Enfin, détail bien curieux, à une date assez basse de l'Empire, nous remarquons que le mot T rivia s'est employé au pluriel. On a retrouvé une dédicace Triviis quadriviis ceterisque dibus 20. Est-ce à dire qu'on rendait dans les carrefours, en même temps qu'à Hécate, un culte aux démons malfaisants, aux fantômes que l'imagination populaire lui donnait pour cortège et divinisait à côté d'elle? Le culte des carrefours était IIEG 52 HEI aussi répandu dans le monde romain que dans le monde grec. Les paysans célébraient là, en l'honneur d'Hécate, des cérémonies mystiques, mêlées de hurlements et de lamentations 1. Son image, sous la forme d'un Ilécataion, s'y dressait en bonne place, quelquefois avec des inscriptions dont quelques-unes semblaient réduire la déesse à des rôles assez humiliants'. Les auteurs latins nous montrent surtout dans Hécate la déesse infernale. C'est vraiment la reine dés royaumes d'en bas, elle domine les ombres, les réfrène et prépose des gardiens aux portes des Enfers, par exemple la Sibylle, dans l'Enéide. Rien d'étonnant à ce qu'elle se confonde étroitement avec Proserpine'. Mais à ce titre elle est avant tout la déesse de la magie. On sait combien les Romains étaient superstitieux, comme les pratiques de la sorcellerie furent anciennes chez eux, et comme les pouvoirs publics et les hommes de bon sens avaient de la peine à réagir contre les charlatans de de toute espèce Aussi n'est-il pas étonnant que le culte d'Hécate ait fait dans le monde romain de rapides progrès. Parmi les Hécataia conservés jusqu'à nous, beaucoup sont de l'époque romaine et ont été trouvés dans des provinces même reculées. Les inscriptions nous apprennent que le culte d'Hécate fut surtout répandu sous l'Empire et prit à peu près la même extension que les cultes orgiastiques venus de l'Orient. Hécate est très souvent jointe, dans les dédicaces, à Liber ou Dionysos'', à la grande Mère des dieux, au dieu Soleil Mithra, à Athis Mèn Tyrannus, à Isis et Sérapis 6 ; les prêtres de ces divinités sont souvent ses prêtres. Mais quelquefois ils prennent pour la servir le titre d'hiérophantes7, ce qui prouve bien que la religion de la déesse avait conservé la forme mystérieuse qu'elle avait en Grèce. Du reste, on sait que Dioclétien institua à Antioche un culte souterrain d'Hécate ; on le célébrait dans une crypte où l'on descendait par un escalier de 365 marches e. C'est peut-être en souvenir de quelque fondation impériale de ce genre, qu'on trouve une dédicace, en Norique, en l'honneur d'Hécate Auguste', et qu'à Préneste un personnage important consacra dans le temple de Junon, avec les images d'Antonin (le Pieux?), d'Auguste, d'Apollon, d'Isis Tychè, de l'Espérance, de Minerve, de la Fortune Primigena, une statue de Trivia 10. PIERRE PARIS. IIEDNA [Dos].