Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

HOMICIDIUM

IIOMICIDIUM.Pour les Grecs, voy. PHONOS.-Dans la langue du droit romain, sous l'Empire, le mot homicidiuni s'applique à tout homicide volontaire' ; il importe, pour exposer clairement l'histoire du droit pénal en cette matière, de distinguer diverses périodes; nous examinerons donc successivernent les peines en vigueur avant la loi des Douze Tables, puis jusqu'à la loi Cornelia, enfin sous l'Empire. I. La plupart des interprètes modernes ont cru, sur le fondement de certains passages des auteurs anciens, que l'homicide volontaire portait à l'origine le nom de PARmcmius 2. Rein nous paraît avoir démontré que ces textes ne sont nullement décisifs. En effet, il en résulte seulement qu'une loi fort ancienne (attribuée à Romulus ou à Numa) devait renvoyer la connaissance de l'homicide au 231 110M tribunal qui était compétent pour statuer sur le parri cide3, c'est-à-dire les QUAESTORES PARRICIDII; d'ailleurs la peine ne pouvait être identique dans les deux cas. Cette loi, qui mit fin probablement au droit de vengeance privée, dont on trouve encore des traces dans les Douze Tables, n'appliquait la peine de mort qu'à celui qui avait tué sciemment et par dol un homme libre ; eneffet, d'une part, le meurtre de l'esclave d'autrui n'était qu'un délit privé, et, d'autre part, le maître avait le droit de vie et de mort sur ses propres esclaves. En outre, le dol était exigé, car, dans certains cas, le meurtre simplement volontaire était licite, notamment envers l'adultère pris en flagrant délit, le voleur nocturne, et contre cAPITIS]. De plus, le père de famille pouvait, avec le conseil de ses agnats réunis en tribunal domestique [JUDICIUM D0MESTICUM], punir de mort les membres de sa famille, placés sous sa puissance. Dans ces derniers cas, l'homicide était dit jure caesus. Quant à l'homicide par imprudence, si l'on en croit Servius', une loi de Numa prescrivait à l'auteur du fait d'offrir aux agnats de la victime un bélier, qui était sans doute sacrifié aux dieux pour apaiser leur colère' ; il était remis aux agnats, en souvenir du droit de vengeance privée et comme une sorte de composition, sans distinguer s'il y avait eu faute ou accident (casus). La tentative de meurtre n'était pas punie comme telle, mais comme une lésion corporelle, s'il y avait lieu, ou comme une injure. II. Les anciens usages furent très probablement confirmés par la loi des Douze Tables. Il résulte de plusieurs textes qu'elle conserva pour le meurtre involontaire la peine expiatoire de l'offrande d'un bélier 6. Elle s'occupait aussi du meurtre volontaire qu'elle punissait de mort'. Du reste,on n'avait pas encore distingué la cuLPA du casus. La peine de l'homicide volontaire était la mort par la hache, déjà vraisemblablement usitée sous la royauté. Il existait sans doute une action civile tendant à la réparation du dommage, comme celle qu'admit plus tard la loi Aquilia, qui établit une action mixte 8. Si l'on en croit Cicéron', les meurtres étaient assez rares pendant cette période. Les procès en cette matière étaient portés devant le peuple, qui statuait lui-même dans les comicescenturies, ou nommait un commissaire [QUAESTOR] chargé d'instruire et de juger l'affaire. Les historiens nous en offrent plusieurs exemples, que Rein a réunis dans un tableau fort intéressant auquel nous renvoyons '6. A cette époque, l'empoisonnement était jugé et puni comme l'homicide ordinaire". III. Les effroyables conséquences de l'anarchie çausée par les guerres civiles de Marius et de Sylla amenèrent la nécessité d'une législation nouvelle sur l'homicide. Les chefs des deux partis s'étaient entourés de gens sans aveu, qui avaient répandu la désolation dans l'Italie; les I10M 232 HOM crimes et les violences de toute nature se multipliaient, et la corruption des mœurs enlevait toute sécurité même au foyer de la famille'. Sylla, au début de sa dictature, voulut, après ses proscriptions, rétablir la sécurité publique, et porta en 671 ou 672 de Rome, une loi De sicariis et veneficiis 2, quelquefois nommée simplement De sicariis 3, qui avait une portée plus étendue que son titre ne semble l'indiquer. Beaucoup plus développée que les lois antérieures sur le meurtre, elle embrassait dans des articles distincts l'assassinat, l'empoisonnement, les condamnations à mort injustement prononcées, et le parricide. Nous allons analyser ses dispositions, en ce qui concerne les délits, les peines et les procédures qu'elle déterminait. A. Le premier chef de la loi traitait des assassins et des sicarii; ces derniers étaient des bandits qui tiraient leur nom d'un court poignard, légèrement recourbé [slcA] que portaient habituellement ces troupes de gens de main, aux gages des factieux depuis le temps des Gracques jusqu'aux proscriptions`. Mais la loi prit soin d'excepter de ses dispositions les meurtriers des proscrits', à raison de leurs odieux services. Au contraire, le préteur ou le président de la questure était appelé avec son collègue de juges à décider sur l'accusation dirigée contre les autres sicarii. On considérait comme tels : qui cum telo ambu laverit, hominis necandi furtive faciendi causa, hominem ve occiderit, cujus id dolo malo factum cric Cela compre nait non seulement quiconque avait tué par dol, mais encore quiconque s'était mis en route avec une arme, ou avait fait le guet, en un mot s'était armé de dessein prémédité pour accomplir un vol ou un meurtre. Le seul fait du port d'armes, puni plus tard par la loi Julia de vi, n'aurait pas suffi sans la préméditation coupable, que l'on pouvait établir d'après les circonstances, telles que la mauvaise réputation de l'homme armé, ou le lieu suspect dans lequel on le trouvait muni d'armes. Du reste, le mot telum embrassait toute espèce d'armes, de jet, même un bâton, une pierre'. Un autre chef prévoyait le fait d'un magistrat ou d'un juge qui, par haine ou par corruption, aurait prononcé ou procuré la condamnation d'un innocents, crime déjà puni antérieurement par des lois de C. Sempronius Gracchus et de Livius Drusus. Mais la loi de Sylla était plus étendue, car elle atteignait aussi le particulier qui aurait rendu un faux témoignage pour faire condamner un accusé dans un JUDICIUhI PuDLI cUnl, pour crime capital '. On peut voir des détails plus étendus sur ce point dans le discours de Cicéron, pro Cluentio10. Il paraît que la loi frappait aussi les coalitions ou menées formées par des magistrats ou juges pour obtenir la condamnation d'un prévenu de judicium publicum, et que la jurisprudence étendit cette disposition aux autres citoyens". L'incendie était puni par un chef spécial de la loi Cornelia [IxcENDIUn]. Quant aux agents des crimes prévus par cette loi, il importe de faire deux observations générales : 1° d'a_ bord elle exige toujours le dol chez le délinquant, et quelquefois même elle le punit, quand il s'est manifesté d'une manière certaine par un acte matériel, un commencement d'exécution (ambulare cum telo, venenum haberc). Mais la faute lourde n'est pas assimilée au dol; en d'autres termes, la loi Cornelia n'atteint pas l'homicide par imprudencei2, qui reste assimilé au casus au point de vue criminel, sauf l'action civile ou du moins mixte de la loi Aquilia13. 20 En tant qu'elle punit le meurtre, la loi Cornelia s'applique à tous ceux qui résident sur le territoire romain, citoyens, pérégrins ou esclaves". Seulement, on avait l'habitude de livrer l'esclave meurtrier à la famille de la victime''. Mais le meurtre d'un esclave donnait lieu à une accusation publique contre son auteur '6, sauf au maître à employer l'action pénale privée de la loi Aquilia" . B. La peine de la loi Aquilia était l'aquae et ignis interdictio [ExsILIU1II] pour les hommes libres coupables d'homicide volontaire ou d'incendie 18, et la mort pour les esclaves". C. Quant à la procédure et à la juridiction, la loi Cornelia établit une ou plusieurs commissions permanentes ToR ou JUDEX QUAESTIONIS, qui statuaient sur l'accusation élevée par un citoyen. l'eut-être y avait-il une quaestio pour chaque catégorie de crimes, prévue par la loi". Cependant la même commission statuait sur l'empoisonnement et seule fait de condamnation d'un innocent. La loi Cornelia accordait, en certains cas, une prime en argent aux dénonciateurs et notamment aux esclaves qui dénonçaient et convainquaient le meurtrier de leur maître 2'. Dans les provinces, les gouverneurs punissaient le meurtre en vertu de leur édit qui était, en général, basé sur les lois romaines22. La loi Cornelia demeura en vigueur jusqu'à l'époque impériale. Remarquons seulementque César, étant judex quaestionis, l'an 64 av. J.-C., appliqua la peine de cette loi aux meurtriers des proscrits, que Sylla en avait formellement exemptés. Déjà Caton, en qualité de questeur, les avait forcés de rendre au Trésor public le prix du sang qu'ils avaient versé". Enfin César, devenu dictateur, ajouta la confiscation de la moitié au moins du patrimoine, aux peines de la loi Cornelia". Remarquons en terminant que cette loi reçut, pendant la période républicaine, de nombreuses et sévères applications, tandis que les commissions instituées pour d'autres crimes se montraient beaucoup plus relâchées. IV. En principe, la loi Cornelia de sicariis demeura en vigueur sous l'Empire, mais elle subit de profondes modifications, soit par des constitutions impériales ou par des sénatus-consultes, soit par l'interprétation des jurisconsultes, en ce qui concerne les faits incriminés, la pénalité et la procédure. A. Sous le premier point de vue, la jurisprudence I10M 233 HOM transforma la loi Cornelia en une loi générale embrassant toute espèce d'homicide sous le nom technique d'homicidiutrt' et tout agent homicide fut compris sous les expressions sicarius ou homicida 2. Quiconque avait causé la mort fut atteint par les mots qui ne ntortis causam praestiterit, introduits par interprétation du texte cujus dolo malo factum est'. La tentative continua d'être punie comme le crime lui-même. En outre, on introduisit une distinction nouvelle, celle des coups ayant occasionné la mort sans intention de la donner, et de l'homicide par imprudence ou culpa, qui ne fut plus assimilé au casus ; on mit aussi dans une catégorie analogue l'homicide causé impetu, sous l'empire d'une passion subite. Ce système s'introduisit à la faveur de la procédure extraordinaire qui, ayant succédé aux anciens judicia publica, laissait au juge une grande latitude dans l'application de la peine. Il fut consacré par un rescrit d'Hadrien, rapporté par Marcien 4, et par Antonin le Pieux, dans le cas de meurtre de la femme adultères. Dans ces diverses hypothèses la peine amoindrie variait de l'exil à la relégation temporaire. (Pour l'empoisonnement par imprudence, voy. VENEFICI1JM.) La peine ordinaire subsiste pour les homicides volontaires et spontanés, ou prémédités,. Le casus demeura impuni' et il comprit même le cas de faute légère, qu'atteignait seulement l'action pénale privée de la loi Aquilia 8. B. La pénalité de la loi Cornelia fut également modifiée. D'abord, la deportatio fut substituée à l'aquae et ignis interdictio, et emporta confiscation totale'. Mais, dès le Ier siècle, on avait distingué les coupables en altiores, honestiores et humiliores ; ces derniers furent, dans l'usage, condamnés à être livrés aux bêtes15 ou crucifiés. Les hommes d'un rang élevé, altiores, furent seulement déportés dans une île ; les honestiores décapités". Mais les peines exceptionnellement sévères étaient rarement appliquées, sauf envers les latrones famosi et les esclaves assassins de leurs maîtres ( ceux-ci étaient livrés aux flammes). La décapitation devint la pénalité régulière et habituelle 12 C. Avec l'ancien ORDO JUDICionuu avait disparu la QUAESTIO PEHPETUA, en matière d'homicide, et la procédure du 2uruciUM PUBLiCU1t. Les magistrats impériaux procédaient extra ordinent, suivant l'usage habituel de cette période. Mentionnons seulement le sénatus-consulte Silanianum rendu en 761 de Rome, sous Auguste, et qui renouvela probablement d'anciennes règles relatives au procès des esclaves soupçonnés d'avoir assassiné leur maître 13. Il autorisa la mise à la torture de tous les esclaves qui résidaient sous le toit du maître, et lorsque le meurtrier n'avait pas été dénoncé par eux, ordonna leux exécution en masse, pour ne pas avoir défendu leur maître. Tacite nous apprend que, sous Néron 14, les dispositions de ce sénatus-consulte furent étendues aux esclaves affranchis par le testament de la victime15. Cette V. barbare proscription fut appliquée, malgré la résistance du peuple, et après une discussion au sein du Sénat, à quatre cents esclaves, après l'assassinat de Pedianus Secundus, préfet de Rome 16. Trajan permit de torturer les esclaves que le de cujus avait affranchis de son vivant 17. Paul, dans ses Sentences, nous donne le dernier état de la jurisprudence à cet égard, au commencement du me siècle 18. Cependant Pline 19 semble indiquer que, dans certains cas, après la torture, les esclaves pouvaient être condamnés à mort, ou à une peine moins sévère, ou même absous. Sénèque20 nous raconte qu'après l'assassinat de Hostius, sous Auguste, ses esclaves furent épargnés, à raison des circonstances de l'affaire. G. HUMBERT.