Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article HORAE

IIORAE. I. Les Honte dans la littérature. Sans avoir, dans la poésie et dans les arts, l'importance des Moirae, des Charites et des Muses [FATUM, GRAT1AE, MUSAE], avec lesquelles il convient de les grouper, les Home n'en comptent pas moins parmi les personnifications les plus éminentes des forces physiques et morales du panthéon hellénique. Au début, elles représentent surtout les lois qui président à la végétation et aux phénomènes météorologiques qui règlent, par leur retour V. périodique, la vie des plantes et des hommes. L'Iliade' t l'Odyssée ne les connaissent que comme divinités de la nature matérielle; leur rôle est avant tout d'ouvrir et de fermer les portes du ciel, c'est-à-dire de dissiper et d'assembler les nuages, ce qui les met au service de Zeus; nous les voyons s'occuper des coursiers célestes qu'elles attellent au char d'Héra et d'Athéna et qu'elles nourrissent d'ambroisie'; avec les Charites elles forment auprès d'Aphroditè des choeurs de danse Au regard des hommes, leur action est avant tout bienfaisante L'Odyssée leur donne un caractère plutôt abstrait et l'on doute que jamais le poète les y ait véritablement personnifiées. On les y voit bien, au pluriel, amener le retour régulier des saisons et notamment, par leur influence puissante, hâter la maturité du raisin 4, mais ordinairement au singulier n'y est qu'un nom commun, exprimant ce qu'apporte un instant quelconque de la durée, heure, jour ou saison, presque toujours les biens qui charment l'existence, les repas, la conversation agréable, le sommeil, les fleurs printanières, une fois seulement, avec un sens défavorable, les tristesses de l'hiver 5. Jamais chez Homère, ni même dans les Hymnes qui n'ont rien innové en ce qui les concerne, il n'est question soit de la filiation, soit du nombre des Rome; elles sont vaguement plusieurs et exercent toutes ensemble, sous les ordres des grands dieux plus spécialement préposés à la croissance des êtres et à leur épanouissement, une action collective. Hésiode leur donne une généalogie en même temps qu'il les revêt d'attributions morales Elles sont pour lui filles de Zeus et de Thémis, au nombre de trois et portent les noms caractéristiques d'Eunomia, de Dileè et d'Effréné. Dès lors leur double physionomie est arrêtée ; elles personnifient la succession régulière des dons que la nature renouvelle pour l'entretien et l'agrément des hommes, puis, par une conséquence inévitable, celle des influences divines qui, dans leurs rapports sociaux, font régner la règle et l'harmonie 7. Les poètes des âges suivants font prédominer l'un ou l'autre de ces aspects, suivant leur tempérament ou l'objet de leurs vers ; la plupart les concilient entre eux. Celui qui a peint les Horae des couleurs les plus éclatantes, exploitant les images que suggère leur rôle physique pour exalter davantage leurs fonctions morales, c'est Pindare. Elles expriment pour lui la floraison printanière, la jeunesse et la vigueur chez l'homme, la beauté qui brille dans les yeux de la jeune fille, la douceur des nourrices qui bercent les enfants ; quand s'ouvre leur chambre virginale, les vents amènent le printemps parfumé. L'heureuse cité de Corinthe est leur séjour préféré ; sous les noms qu'elles tiennent d'Hésiode, elles y maintiennent le bon ordre et la paix ; au coeur des hommes elles versent 32 l'antique sagesse et méritent d'être appelées véridiques ; elles sont, en un mot, les modératrices bienfaisantes du monde physique et moral'. Cependant ailleurs elles restent avant tout des divinités de la vie champêtre, toujours bienveillantes, gracieuses, joyeuses, répandant à profusion leurs dons que symbolisentles fleurs et les fruits 2. Pour marquer la périodicité de leurs influences, les poètes les montrent enlacées dans des choeurs de danse; elles s'y livrent ou dans le palais de Zeus ou, en compagnie des Charites, d'llarmonia et d'Hébé, sous le regard d'Aphroditè qu'elles parent de leurs mains ; elles contribuent de même à assurer -la séduction que doit exercer Pandora'. Leur être est inséparable de l'idée du printemps; jusqu'à la période de l'extrême décadence des lettres et des arts,, quand la science astronomique a réglementé leur nombre et spécialisé leurs fonctions, c'est l'Hora du printemps qui parfois mène le groupe ou qui seule le représente tout entier'. Les voiles légers dont elles s'enveloppent sont tissés de fleurs, soulevés par le zéphyr, trempés de rosée et de parfums'. Quand les mythographes récents leur forgent la fable qui fait défaut chez les anciens poètes, ils leur donnent pour amants Borée ou Zéphyre G. Une fresque de Pompéi nous montre ce dernier dieu qui, couronné de myrte, une branche fleurie à la main, vole en compagnie de deux Amours vers son épouse endormie, l'Hora du printemps 7; un poète leur a donné le beau Carpos pour fils. A Athènes on vénérait, à côté d'Athéna champêtre, deux personnifications de la floraison et de la maturité des fruits, Thallo et Carpo, dont le culte était inséparable de celui de Pandrosos, divinité de la rosée ; elles ne tardèrent pas à être identifiées avec les Horae, dont l'être avait une signification plus générale; on leur associa Auxo, que d'autres, par erreur sans doute, prenaient pour une des Charites ; entre la fleur et le fruit, il est évident qu'elle personnifie la croissance des plantes et qu'à ce titre elle est à placer parmi les Horse 8 [GRATIAE, p.1659]. Mais que leur action soit, physique ou morale, les poètes, jusqu'au temps d'Alexandre le Grand, n'ont jamais distingué entre elles en limitant leurs attributions individuelles9. Toutes ensemble elles signifient, de la même façon, non tel phénomène déterminé, mais l'incessante action, les manifestations multiples de la nature créatrice. Leur pluralité même n'exprime que la variété infinie de leurs influences et les noms qui chez Hésiode les désignent dans l'ordre moral, ne traduisent que les nuances semblables d'une idée unique; leur triade n'a pas sa raison d'être dans une distinction rigoureuse d'attributions, mais dans une loi générale qui a constitué sous cette forme le groupe d'autres divinités, tout aussi indistinctes, les Charites, les Moirae, etc., dont elles sont les parentes1D. Ajoutons que leur être n'a rien d'abstrait ou d'allégorique; si elles ressemblent à Kato; et à A'isis, personnifications du moment favorable ou de la durée indéterminée que forgea la mythologie à son déclin, c'est uniquement parce qu'elles impliquent comme elles la notion de durée" : la personnalité des Horae ne va pas sans les dons variés qu'elles versent sur le Inonde, toutes de la même façon. D'une manière générale on peut dire que si, de très bonne heure, leur action "sort du domaine de la nature matérielle pour s'exercer aussi sur le monde moral, c'est parce que le propre de leur divinité est d'amener à point (Ely^ (4aç) tout ce qui s'accomplit parmi les dieux et les hommes 12. C'est pour cela que le mot Üo«, personnifié ou non, désigne tout ce qui est jeunesse, beauté, force virile tempérée par la grâce ; que l'adjectif clioaioç est un synonyme de x«ad; 13, tandis que nEs; s'applique à tout ce qui est étrange et monstrueux, par exemple à une ambition démesurée chez Plutarque, aux pieds de Scylla le monstre marin chez Homère". Dans le chant nuptialsur lequel se conclut la comédie des Oiseaux, le choeur invoque l'Hora en même temps que la beauté ; les enfants qui ont le charme printanier de leur âge et les jeunes gens, avec leur grâce voisine de la virilité, sont également Ev i4gz, ; une idée analogue est au fond de la parole célèbre de Périclès célébrant les guerriers morts à Samos : «L'année a perdu son printemps" ». Il y avait en Attique un proverbe (on en trouverait les premières traces chez Homère), pour désigner tout ce qui vient à propos, tout ce qui se manifeste dans sa fleur : wçacly ir.EcOat 1G Les philosophes, qui ont adapté à leurs doctrines la plupart des divinités morales, n'ont pas manqué de tirer parti des Horae, tout en les associant aux Moirae. Pausanias remarque au sujet d'une statue de Zeus à Mégare oit elles sont réunies au-dessus de la tête du dieu « qu'on voit clairement que .Péproméné (la Destinée) obéit à Zeus seul et que lui seul répartit comme il faut (ni; ri lies di(LEt) lesIlovae17. » C'est ainsi que Démosthène a pu faire d'elles l'expression de l'ordre universel et divin et qu'IIorace a dit de Jupiter : Qui res hominum ac deorum, qui mare et terras varus que mundum temperat horiis 1 . Pour des raisons analogues, des poètes ont accordé aux Horae le don de prophétie qu'elles tiennent de leur 11011 mère Thémis', et les ont mêlées, tout comme les Moirae, aux phases capitales de l'existence humaine, à celles-là surtout qui ont un caractère gai et heureux, à la naissance et au mariage. Car c'est un raffinement de mythologie en décadence et une inspiration franchement pessimiste qui les associent aussi à la mort, en plaçant leur image sur les sarcophages et en interprétant au sens funèbre la fête des Iloraia que l'on célébrait à Athènes, tant en leur honneur qu'en celui de Gaia 2. Nous les voyons chez Pindare recevoir des mains d'Hermès l'enfant Aristée qu'elles abreuvent d'ambroisie ; ici elles sont les nourricières d'Héra; là elles accueillent Dionysos issu de la cuisse de Zeus ou bien elles emmaillotent Hermès naissant et l'abritent sous des guirlandes 4. Sur des vases à figures noires ou rouges, elles assistent aux noces de Thétis et de Pélée 5 ; chez les poètes nous les rencontrons dans des scènes de théogamies célèbres, celles de Zeus et Héra, de Zeus et Europa, de Dionysos et Ariadne, d'Éros et Psychè e. Si elles ont été douées du don de prophétie, c'est que leur action étant soumise à des retours périodiques, elles doivent nécessairement prévoir ce qu'elles vont accomplir' ; si elles président à la naissance et au mariage, c'est qu'elles sont, presque au même titre que les Charites et Hébé, des déesses de beauté et de fécondité heureuse 8. II. Les Ilorae dans l'art et déesses des Saisons. Lors même que les Ilorae sont plusieurs dans la littérature et que ]es progrès de la science astronomique ont eu pour effet d'y varier leurs attributions, il faut descendre jusqu'au 1v° siècle pour s'aviser de tentatives précises à les distinguer les unes des autres et à leur attribuer des rôles individuels. Ces tentatives, on peut les suivre surtout dans les transformations que leur type a subies du fait de l'art et c'est par l'art qu'elles paraissent avoir agi sur la poésie ; l'art lui-même a été déterminé par le mouvement scientifique. Il suffit, pour s'en rendre compte, de les envisager dans leur nombre et dans leurs attributs. Si elles sont trois chez Hésiode, il paraît à peu près certain qu'elles n'étaient que deux à l'origine9. Le plus ancien monument qui les représente ainsi (fig. 3874) est un vase à figures noires, de caractère archaïque, qui les mêle à la scène de la délivrance de Phinée, poursuivi par les 251 I10R Ilarpyes 70. L'artiste leur a donné une attitude raide, les drapant de longues tuniques et leur voilant la tête ; l'unique symbole qui, sans le mot 'S2ç2t placé à côté d'elles, serait insuffisant à les distinguer d'autres divinités féminines, est l'énorme bouton de fleur que tient l'une d'elles. Au nombre de deux encore et faisant pendant à deux Charites, leurs figures fournissaient des ornements aux pieds du trône d'Amyclées; elles étaient représentées sur le dossier de ce trône et y correspondaient aux Moirae, ce qui ferait croire que, là du moins, elles étaient groupées en triade. Au temple de Déméter, à Mégalopolis d'Arcadie, deux Ilorae sculptées sur une table figuraient en compagnie de Pan et d'Apollon, jouant l'un de la syrinx et l'autre de la cithare ". Un basrelief du musée du Latran, reproduction d'une oeuvre plus ancienne, conserve cette dualité depuis longtemps tombée en désuétude, en nous montrant les Llorae, amplement drapées et entraînées dans une danse gracieuse, tandis que Pan joue de la flûte; il n'est pas certain toutefois que, ici comme dans d'autres bas-reliefs où avec Pan trois femmes sont figurées, l'artiste n'ait pas songé simplement à représenter des Nymphes' 2, Pausanias mentionne encore, mais sans parler du nombre des figures, des Ilorae assises, œuvre de Srnilis placée au temple 7. d'Héra à Olympie et un marbre d'Endoïos qu'on pouvait voir à Érythrée 13. On peut supposer que ces produits de r~ \ ges, de style sévère et date de la première partie du v° siècle 12. Les déesses sont représentées (fig. 3876) debout auprès de Hestia et d'Amphitrite, qui sont assises, celle qui est en tête porte un rameau fleuri, la seconde tient une branche ornée de feuilles et de fruits, la troisième un fruit cueilli. Il est hors de doute que l'artiste a voulu représenter, non plus les Ilorae indistinctes de l'ancienne poésie, mais les personnifications des trois saisons suivant les idées de son temps. Cette tendance est plus visible encore sur une gemme inédite du musée de Berlin 13. Trois figures y sont gravées, la première tient de la main droite une corbeille II011 252 lIOR l'art archaïque ne représentaient les Ilorae qu'au nombre de deux; de même sur le vase de la collection Coghill, en compagnie d'Apollon et ailleurs avec Dionysos sous une tonnelle, sur un vase à figures rouges de style sévère 1. Un vase de Ruvo, d'une époque plus récente (fig. 3875), représente deux llorae, l'une assise, l'autre debout, toutes deux portant le même emblème, une fleur à longue tige, épanouie Y a-t-il un rapport entre la dualité des Ilorae constatée sur ces divers monuments et celle des Saisons suivant les premières idées des Grecs qui se bornaient à distinguer la mauvaise saison (/slii.tnv) de la saison agréable et féconde (Opo;). le lever des Pléiades marquant la limite 3? Le symbolisme de l'art ne mène à aucune conclusion semblable ; chez IIomère même ce n'est que d'une façon accidentelle que la notion de ys%uo)V est associée à celle d'~p714. Il semble plutôt que la dualité de ces divinités tende à reposer sur la distinction des fleurs et des fruits et que les deux épithètes qui les caractérisent le mieux, 7coÀuVOelt.ot et )tOEOXapsot, aient acheminé à les identifier peu à peu, en les séparant, avec les aspects divers de l'année agri cole Chez IIomère, aucune saison n'est strictement limitée ; le printemps se confond avec l'été et le qui bientôt ne désignera que l'automne, s'applique ici à une partie de l'été, tandis qu'ailleurs il sert à désigner l'hiver'. Cependant dès lors, la divi sion de l'année en trois est usuelle dans toute la Grèce et cette division reste en honneur encore au lendemain des guerres Médiques'. On voit des poètes de tradition , comme Eschyle et Aristophane, confondre l'été et l'automne pour en faire une saison unique, leur donnant le printemps comme prélude et l'hiver comme conclusion' ; et ce ne sont pas les révolutions des astres, mais les migrations des oiseaux qui règlent la marche du temps'. Or c'est précisément jusqu'à cette époque que s'établit le groupement des Ilorae en triade et que ce groupement devient populaire. Si dans les textes on cherche vainement une identification précise de chacune d'elles avec les Saisons, en revanche on voit cette identification servirà déterminer leur être dans les monuments de l'art. Il est probable que la religion athénienne des divinités agricoles Thallo, Auxo et Carpo, vénérées sur l'Acropole, ne fut pas étrangère à ce résultat tn Sur le vase François, au musée de Florence, nous rencontrons pour la première fois le groupement des llorae en triade ; elles y assistent aux noces de Thétis et de Pelée et ne sont reconnaissables qu'au nom inscrit à côté d'elles" ; rien ne les distingue, ni l'attitude ni les attributs, des Parques, des Grâces et des muses qui figurent soit ici, soit là, dans des peintures à figures noires de la même époque ou sur des oeuvres d'un temps postérieur, mais fidèles au type archaïque. Nous les trouvons ensuite, dans l'assemblée des dieux, sur la patère signée par Sosias, artiste athénien, qui s'est proposé de représenter les llorae de l'Attique; le vase est à figures rou 11011 253 --HOR où l'on voit des fruitsi de la gauche elle traîne un agneau ou un chevreau. Elle tourne son visage vers la seconde figure qui s'avance légère, les plis de sa tunique soulevés par les mouvements de la danse ; dans l'une des mains elle tient deux épis et un pavot, dans l'autre une guirlande de fleurs. La troisième figure porte des fleurs dans les plis de sa robe t. Il est impossible de méconnaître que l'artiste avoulu représenter les trois personnifications de l'hiver confondu avec l'automne, de l'été et du printemps. Il est superflu d'énumérer toutes les oeuvres de l'âge suivant qui, fidèles à la conception des trois IIorae préposées aux trois saisons, ont varié les attitudes des figures ou modifié leurs attributs. Il faut mentionner cependant les figures de l'autel Borghèse, œuvre du ler siècle de notre ère, mais qui se rattache à un original du siècle de Périclès°; les Horae y font pendant, sur l'une des faces (fig. 3877), aux triades des Parques et des Grâces qui décorent les deux autres. Le Printemps marche en tête avec une fleur, l'Automne est au milieu avec un rameau chargé de raisin, l'Été suit tenant un épi ou un rameau de feuillage. Les mouvements sont ceux d'une danse grave 3 et les attitudes d'une remarquable noblesse dans leur variété. Une terre cuite d'un style plus libre range les figures dans l'ordre naturel de la succession des saisons qui est rarement observé par les artistes: en tète le Printemps avec des fleurs dans le sinus de la robe ; au milieu l'Été avec des épis, des fleurs et une guirlande tressée ; derrière l'Automne avec une corbeille de fruits et traînant de la main gauche un chevreau. La division scientifique de l'année en quatre saisons a été établie par l'école pythagoricienne s ; le premier des poètes qui lui ait donné place dans la Fable est Euripide, dont l'esprit novateur est connu 6. Il convient même d'ajouter qu'Euripide ne l'entend pas comme on l'a fait plus tard, en attribuant à chaque saison une durée égale. Le vers cité par Plutarque suppose que le poète ne donne que deux mois tant au printemps qu'à l'automne, l'été et l'hiver se partageant le reste. Si la date à laquelle les livres d'Hippocrate ont été rédigés était certaine, on pourrait faire remonter jusqu'à cet écrivain la division scientifique des saisons, désignées pour la première fois par les termes désormais classiques de cao, oéroç, [J.E.rôtm oç, x1(Lcov; cependant elle ne devient d'un usage courant qu'après la mort d'Alexandre le Grand comme on peut voir par les écrits d'Aristote 7. Cette division a dès lors influé sur la représentation par l'art des Horae et les a réduites de plus en plus à n'être que la personnification des saisons. Quoique tous les monuments qui nous les offrent groupées par quatre appartiennent à. l'art gréco-romain, nous pouvons affirmer, sur la foi d'un texte de l'historien Callixène décrivant le cortège de Ptolémée Philadelphe à Alexandrie, que dès le milieu du ne siècle avant notre ère, elles avaient subi cette transformation 8 : « On y voyait, dit-il, les quatre Horae ornées de leur attributs et portant chacune les fruits qui leur sont propres. » Ce texte confirme ce que l'on peut induire des formes artistiques de ces représentations; la quatrième saison se rattache, comme les trois autres, à un type hellénique. Ce type fut formé avec la préoccupation de maintenir à toutes les Horae sans distinction, même à celle de la saison mauvaise, la faculté de combler les hommes de dons agréables qui est leur caractéristique dès l'origine. Alors que sur la patère de Sosias, sur l'autel Borghèse et la terre cuite de la collection Campana, l'arrièresaison est indiquée ou vaguement ou par des dons de l'Automne°, les artistes vont réserver à la saison d'hiver les produits de la chasse, les principalesvariétés de gibiere t plus particulièrement les oiseaux aquatiques 10. C'est le cas du bas-relief datant du ter siècle de notre ère et provenant d'un sarcophage qui représente (fig. 3878), suivant les uns les noces de Thétis et de Pélée, suivant d'autres celles de Cadmos et d'Harmonia 11. Derrière Vulcain et Minerve, qui apportent au couple des armes de guerre, les llorae s'avancent, celle de l'Hiver en tête, avec un lièvre et un canard suspendus au bout d'un bâton qu'elle porte sur l'épaule, tandis que de la main gauche elle entraîne un marcassin ; on remarquera que ses pieds sont chaussés et son corps plus couvert que celui des figures qui le suivent. Cette manière de caractériser les Saisons par l'épaisseur ou la légèreté du vêtement est par la suite de plus en plus marquée dans un grand nombre de monuments ; souvent l'Hiver a la tête voilée d'un pan de sa robe (voy. plus loin la fresque de Pompéi, fig. 3880), les autres figures ont leurs attributs traditionnels et se succèdent dans l'ordre, le Printemps venant la dernière. La disposition diffère, mais les emblèmes sont, peu s'en faut, les mêmes sur un autel de la villa Albani 12. 11011 254 IIon Lorsque les images des Ilorae furent devenues inséparables de l'idée des saisons, on s'avisa que, ni en grec ni en latin, les noms qui les désignaient comme telles ne s'accommodaient avec un type virginal'. Ce qui était un embarras pour les poètes, en mal d'allégories, le fut aussi pour des artistes qui avaient perdu le sens des anciennes légendes; ils créèrent la figuration des Saisons soit par des adolescents ou des enfants, soit par des génies ailés, ces derniers constituant une sorte de type neutre qui pousait servir à tout a. 11 arriva même qu'au nom d'une logique grossière, on doubla la représentation des Ilorae sur le même monument, en exprimant chacune d'elles à la fois par une figure virile et par une figure virginale : ainsi sur la fresque qui orne l'intérieur du tombeau des Nasons 3. D'ordinaire cependant les Saisons sont exclusivement de l'un ou de l'autre sexe ; une monnaie d'Aelius Verus nous les offre sous la figure de trois génies nus, le quatrième s'enveloppant de chauds vêtements'. Sur un médaillon de Commode, Jupiter ou Janus ouvre la porte du ciel à quatre jeunes filles dans lesquelles on reconnaît les Saisons à leurs,attributs ordinaires'; un autre les représente suivant la tradition, sous les traits de quatre jeunes 'filles tournant autour du globe céleste, au-devant duquel est couchée Tellus personnifiée 6; sur des médailles de plusieurs empereurs on voit des génies enfants représentant les Saisons caractérisant le Printemps par la corbeille de fleurs, l'Été par la faucille et les épi s, l'Automne par des fruits et un chevreau qu'il entraîne; l'Hiver seul est vêtu et porte des poissons ou des oiseaux 7. Une figure d'assez grandes dimensions, provenant d'un sarcophage découvert à Ostie, varie ce types• elle représente une femme couchée, enveloppée dans une ample draperie ; autour d'elle cinq génies qui, au bord de l'eau, jouent avec des canards; c'est la personnification de la Terre durant l'hiver ; une autre figure de femme apparaît vêtue plus légèrement, couronnée de feuillage et de raisins, environnée de quatre génies qui jouent avec des raisins; c'est un des pendants de la première Nous citerons, parmi les représentations des saisons à l'aide de figures viriles, les quatre figures ailées de l'arc de Septime Sévère10 et les bas-reliefs de plusieurs sarcophages; sur celui du musée de Cassel qui est repro duit fig. 3879 , les Saisons sont groupées avec Dionysos porte par une panthère". Les quatre figures sont pareilles d'attitudes et d'expression; seuls les emblèmes diffèrent; à droite le Printemps est reconnaissable aux fleurs qui 11011 -255I1011 débordent d'une corne d'abondance et au chevreau que tient la main gauche ; il a pour voisin l'Été, couronné d'épis, tenant une gerbe de la main droite et la faucille de l'autre. Le coin opposé est occupé par l'Hiver, muni également d'une corne avec des fruits et soulevant un canard; l'Automne est couronné d'une branche d'oliviers; il tient un chapelet de figues et soulève, de l'autre main, un panier'. II y a beaucoup plus d'art, plus de fidélité aussi à la tradition, dans la représentation des IIorae déesses des saisons que nous relevons parmi les fresques de Pompéi. Nous les y trouvons invariablement sous les traits de jeunes filles gracieuses, et planant vêtues d'étoffes légères que semble soulever le vent. Ce genre de peinture fut mis à la mode après le temps d'Alexandre 3; Philostrate y fait allusion lorsqu'il parle d'un tableau où les Horae planent sur un champ de blé, si éthérées qu'elles n'en faisaient pas courber les épis`. Des figures de ce genre étaient éminemmen t appropriées à la décoration des panneaux vides dans un intérieur : suivant la place dont l'artiste disposait, il en peignait une ou plusieurs Le spécimen le plus complet, nous le rencontrons dans la maison de Ganymède où ont trouvé place les quatre Horae (fig. 3880)3. Nous y relevons la particularité, qu'offre également le sarco pliage de Cassel : l'Hora du Printemps a pour emblème un chevreau placé sur ses épaules ; si nous n'avions constaté sa présence sur des monuments dont le modèle est évidemment grec, nous reconnaîtrions dans cet animal un emblème de l'antique religion de FAUNUS, dieu des troupeaux, dont la principale fête était célébrée au printemps'. Les monuments italiens nous offrent de même, parmi les attributs du Printemps, un clayon à fromage, un seau à traire ou une jarre de lait qui, reinplaçant les fleurs, s'expliquent de même par des préoccupations locales. L'Ilora de l'Automne est parfois accompagnée d'une panthère, animal fréquent dans les représentations des cortèges bacchiques 3. La science des antiquités a peu de chose à voir dans la représentation des Horae en tant que personnifications d'une partie du jour, soit qu'on le divise suivant les occupations usuelles de la vie, soit que la division repose sur des considérations astronomiques [mEs, p. 171]. Le texte le plus ancien qui, à notre connaissance, emploie d ot avec ce sens est d'Anacréon parlant de l'heure de minuit' ; d'autres se rencontrent chez Xénophon. C'est à Alexandrie seule ment que cette acception du mot fut précisée et qu'elle donna lieu à des allégories 10, Nonnus connaît les douze Horae, filles de Cronos, représentant le Jour et il les met en rapport avec les llorae représentant les Saisons, toutes ensemble dans le palais d'Hélios 11. Ovide donne de même comme ministres au roi Soleil les Horae dont il ne fixe pas le nombre, mais qu'il appelle : positae spahis aequalil us 12. C'est une fantaisie de mythographe, sans écho dans la croyance populaire qui, chez Hygin, a incarné danshuit figures allégoriques, les phases et occupations diverses d'une journée sous les noms de Augè, Analolé, Mesembria, Dysis, auxquelles correspondent Musicé, Gymnasticé, Spandé, Télétè 13. III. Les Ilorae dans le culte. Les Ilorae sont de leur nature des divinités subordonnées (-Edaro),ot) et sont rarement appelées Oort; dans la Fable nous les rencontrons presque toujours associées aux grands dieux qui président plus spécialement à l'épanouissement de la vie, à Aphroditè, à Déméter, à Dionysos, à Apollon, à Hélios, à Pan 19 ; il en est de même dans le culte. Quoique Pindare célèbre avec enthousiasme leur empire sur la ville de II0R -256 (IOR Corinthe qu'un auteur postérieur appelle leur thalamos', il n'est fait mention ni d'un temple, ni d'un culte spécial en leur honneur. C'est à Athènes que sous les noms de Thallo, d'Auxo et de Carpo, elles paraissent avoir été surtout vénérées; mais leur religion y reste subordonnée à celle d'Athéna; les Horaia qu'on y célébrait avaient pour but d'obtenir pour les récoltes une température favorable et notamment de les abriter contre une chaleur excessive : pour cela Pandrose s'y trouvait associée'. La fête avait un caractère naïf qui témoigne de sa haute antiquité; il était d'usage d'y faire bouillir et non rôtir les viandes des sacrifices. Dans la célébration des Antesthéries qui les liait au culte de Dionysos, elles avaient également leur part; le jour des libations ('ouf) se déroulaitun cortège où l'on voyait des personnages costumés en Horae, Nymphes et Bacchantes qui entouraient le char du dieu'. Il est probable que c'est cet épisode qui a inspiré les comédies de Cratinus, d'Aristophane et d'Anaxilas intitulées Ilorae4. Aux Pyanepsies et aux Thargélies, on les honorait en compagnie d'Apollon 5, identifié pour la circonstance avec Hélios ; les enfants portaient en procession des rameaux garnis de bandelettes (ip.otç) auxquelles étaient suspendus des fruits variés ; d'où le nom d'EIRESIONÉ. Ailleurs, à Mégalopolis en Arcadie, nous trouvons les Ilorae mêlées au culte de Déméter et d'Héra à Argos où elles avaient un sanctuaire. A Olympie elles possédaient un autel près de celui d'Aphroditès; à Opus en Élide elles étaient honorées en même temps que Thémis leur mère 7. Chez les Romains, les Horae ne sont connues qu'à titre de divinités poétiques ; l'Ilora Quirini, identique avec Hersilia l'épouse de Romulus, est une adaptation forcée d'Ennius transformant la vieille légende latine 8; celle-ci nous offre d'ailleurs l'équivalent des IIORDEU\I [FRUMENTA, p. 134/i.).