Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article HYDRIA

IIYDRIA ('1 be)r, èôpetov, èôp(cx-ri). Ce mot désigne actuellement, dans le langage archéologique, une forme céramique bien définie : c'est un grand vase à porter l'eau, qui participe de l'amphore par sa panse munie de deux petites anses latérales, et de l'oenochoé par la grande anse verticale qui en arrière vient se souder d'une part à la panse, d'autre part à l'embouchure. Ce caractère de récipient à trois anses différencie essentiellement l'hydrie des autres ustensiles du même genre. I1 est donc facile, dans les collections antiques, de distinguer cette forme particulière, d'en isoler les spécimens, d'en étudier les variations de structure et de décor, la destination pratique, etc.Dans les catalogues de vases grecs, on a même pris l'habitude de désigner sous des noms spéciaux certaines variétés de l'hydrie. On a renoncé aux appellations proposées par Panofka' d' « hydrie panathénalque » et d' « hydrie corinthiaque » ; mais on continue parfois à dénommer lcalpis a l'hydrie à figures rouges de forme arrondie et ramassée qui remplace, vers le début du ve siècle, la grande hydrie aux formes architecturales et rectilignes qu'affectionnaient les ,potiers de la période des Pisistratides. ll faut bien dire que cette apparente rigueur de précision scientifique est loin de correspondre à la réalité antique et à l'idée que les Grecs eux-mêmes se sont faite de l'hydrie. Le Mémoire de Letronne 4, auquel il faut toujours recourir quand il s'agit de noms de vases, a fait justice depuis longtemps des termes illusoires consacrés par les travaux de Panofka et de Gerhard, et, si l'on continue à en employer quelques-uns, tels que stamnos, pélilcè, lcalpis, olpé, etc., il doit être entendu que c'est en qualité d'étiquettes conventionnelles, dont la brièveté permet d'éviter les circonlocutions et les trop longues descriptions. Le mot hydrie lui-même, si communément employé et si clair de signification, n'a pas échappé à la critique de Letronne. Il a démontré combien de formes diverses et de récipients en réalité très différents, l'antiquité avait englobés sous ce nom. '1 ôr(« peut être pris comme synonyme d'amphore °. La y.D est identique à l'èi et ne représente nullement une modification tardive de l'hydrie G. Au contraire, il est avéré que c'est un mot poétique fort ancien et dont Homère lui-même donne des exemples". Le xpwacdç, le 6T«u.vdç sont des mots que les auteurs emploient à l'égal d'èôphc et d'«u.:Dil?ops6ç, sans entendre des formes particulières, mais pour désigner tout vase fait pour contenir de l'eau 8. Quand Hellanicos dit que les nomades Libyens ont pour tout mobilier une coupe, un poignard et une hydrie °, le mot rail; ne signifie qu'un vase à boire, comme èôr:« fait allusion à une jarre quelconque 10. Le mot àsxdç, outre, n'est-il pas expliqué lui-même par le terme èô~(« 11, pour dire simplement que c'est un récipient à eau? De là l'erreur de Panofka qui, en créant de toutes pièce une «hydrie panathénaïque n, n'a pas compris qu'il s'agissait, en réalité, de l'amphore panathénaïque bien connue". De même i ;rx'o n'est qu'un diminutif de èôo(«, et non pas une poterie particulière". Quant aux vases portant le mot Api« inscrit à la pointe sur leur fond, il est bien prouvé que c'était une façon pour les potiers de noter des commandes faites par leurs clients, et non point une désignation du vase lui-même 14. Nous retrouvons donc, à propos de l'hydrie, les mêmes difficultés d'interprétation que nous avons déjà signalées bien des fois et qui rendent très délicate l'étude des noms de vases antiques 15. Mais, ces réserves étant faites, rien n'empêche d'étudier l'hydrie dans le sens où l'entend la phraséologie moderne; car il est bien certain que cette forme spéciale et très fréquente a place parmi les récipients divers que les Grecs comprenaient sous le nom général d'èôo(«, qu'elle en est un des spécimens les plus beaux et les plus complets. Comme la racine l'indique (iiôwp), c'était par excellence le vase à porter l'eau. Les modifications successives de la forme montrent quelle peine les Grecs se sont donnée pour réaliser la structure qui, pour cet office, leur semblait la plus pratique. L'hydrie paraît être sortie de l'amphore. C'est une variante du vase à vin qui, anciennement, servait à contenir toute espèce de liquides [AMPHORA[. L'amphore avec ses deux anses courtes ne se prêtait pas à un maniement commode en face du filet d'eau sortant de la fontaine : il fallait la soutenir à deux mains ou la pencher de côté en la tenant par une seule anse. Comme on possédait le petit broc à vin, appelé cenochoé ou prochous, muni en arrière d'une grande anse verticale, l'idée dut venir aisément d'appliquer à l'amphore l'anse verticale de l'cenochoé : de ce moment l'hydrie était née. Cette création remonte d'ailleurs à une haute antiquité, car on la rencontre déjà dans le groupe des poteries mycéniennes 16. Elle réapparaît ensuite sous une forme très différente avec le groupe géométrique en Attique " (fig. 39:1) et en Boétie 18. Elle se DI! D 220 --11YD perfectionne surtout dans la première moitié du vie siècle entre les mains des potiers attiques corinthiens 2 et ioniens «fig. 3922). Pendant la période des Pisistratides, les ateliers athéniens lui donnent sa structure définitive au cou fort, au pied solide, aux flancs nette ment découpés d'un beau galbe architectural'. Enfin la céramique à figures rouges du ve siècle, suivant la pente qui l'incline vers des formes rondes et, curvilignes, change les proportions de l'hydrie, la fait plus basse et plus ovoïde, plus ramassée sur elle-même, diminue le col et retrousse les anses latérales 5 (fig. 3923), créant ainsi un type, inexactement dénommé kalpis par les archéologues modernes, qui, comparé aux primitifs essais de la période géométrique, permet de juger l'importance des modifications apportées, durant le cours des siècles, aux différentes parties du vase : il n'est pas un détail qui soit resté le même (cf. les fig. 3921 et 3923). De son côté, la métallurgie a dû suivre des phases également variées et analogues dans la fabrication des hydries; mais ses produits ne nous ont pas été conservés comme ceux de la céramique 6. Nous pouvons supposer avec vraisemblance qu'en certains cas, elle a influencé les modeleurs eux-mêmes, par exemple au vf° siècle dans les hydries étrusques de terre noire, décorées de masques et de reliefs'. ou plus tard, au iv° siècle, dans les hydries dites de Cumes°(fig. 3924); dont les panses cannelées et les élégantes frises imitent ces beaux vases de métal précieux dont le préteur Verrès faisait collection aux dépens des Siciliens'. . L'hydrie était employée naturellement dans toutes sortes -de circonstances, au bain 1e, à la palestre 1', dans les sacrifices, lustrations et libations72, dans les funérailles comme offrandes au mort13, ou pour y déposer les ossements 1", ou pour éteindre les flammes du bflcher" Elle faisait partie du nombreux mobilier [DONARIUMj qu'on déposait dans les temples 16. On n'y mettait pas toujours que de l'eau, mais parfois aussi du vini'. C'est dans des hydries qu'on mettait les bulletins pour les votes judiciaires et les tirages au sort ". C'est dans une hydrie d'airain enfouie en terre qu'on IIYD 321 IIYG disait avoir trouvé les lois de l'initiation aux Mystères des Grandes Déesses'. Les avares ou les gens qui partant en voyage voulaient cacher leur petit pécule, le déposaient dans des llydries qu'ils enterraient'. Dans la mythologie, I'hydrie sert d'emblème à l`os, l'Aurore, qui répand la rosée Elle est mise entre les mains des Danaïdes qui remplissent le pithos sans fond ', et c'est par une idée semblable que Polygnote avait représenté, tenant entre leurs mains des hydries brisées, les non-initiés dans son tableau de Delphes, la IVekyia4. Les différentes façons de porter et de manier l'hydrie sont clairement indiquées par les monuments, en particulier par les peintures de vases. Quand les femmes allaient puiser l'eau à la fontaine 6, soit pour les besoins journaliers, soit pour quelque cérémonie religieuse, elles plaçaient sur leur tête un coussinet d'étoffe ou de cuir, semblable à celui dont on se sert encore aujourd'hui [cES'rrclLLUs, fig. 1339, et fig. 392:5], et elles po Y. saient dessus l'hydrie, soit debout, soit couchée sur le flanc tant qu'elle était vide [FoNs, fig. 3143]7. Arrivées devant la bouche d'eau, elles présentaient l'hydrie en la tenant à deux mains (fig. 3923) par les deux petites anses', ou d'une seule main par la grande anse verticale [FONS, fig. 3146], ou plus simplement elles la posaient par terre sous le filet d'eau (fig. 3926)9. Elles remettaient ensuite leur fardeau sur leur tête et reprenaient leur route. On voit aussi l'hydrie portée à bout de bras par l'anse verticale10 ou sur l'épaule'[. Même, à l'occasion, on pouvait se servir de l'hydrie comme d'un siège pour s'asseoir, à défaut d'autre meuble12. E. POTTIER.