Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

HYMENAEUS

IIYIIENAEUS ( `1'ts. va.toç, éolien `r~vi~aoç). Nous rencontrons ce mot, pour la première fois, chez Homère et chez Hésiode, parmi les éléments de la description d'un cortège nuptial'; il y désigne, à titre de nom HY11I 334 HYM commun, le chant joyeux qui accompagne la jeune fille conduite à la demeure de son époux. La description, sommaire chez Homère, est complète chez Hésiode; en tète du cortège marche une troupe de femmes tenant des flambeaux; puis vient le char qui porte l'épousée; la marche est fermée par deux choeurs dont l'un joue de la flûte, l'autre de la cithare; ils rencontrent sur leur route un cortège semblable, parti de la maison de l'époux ; ce sont des jeunes gens qui dansent etl chantant ou en proférant d'aimables plaisanteries : c'est, à proprement parler, aux démonstrations des jeunes filles, chants, musique et danse, que s'applique le mot vato;. Nous ne retrouvons plus ensuite ce mot que dans deux fragments de Sappho, sous la forme d'un refrain ou vers intercalaire qui, par sa répétition même, fait pressentir la personnification mythique, si elle n'en témoigne pas encore'. Dès lors Hymenaeus, sans perdre la signification primitive de chant nuptial, va désigner de préférence le dieu qui préside au mariage accompli suivant le rite 2; dès lors aussi les poètes, interprètes de l'opinion populaire, forgent à ce dieu une légende. Dans un fragment très mutilé de Pindare, il apparaît comme le fils d'une Muse (le nom de la Muse manque), frère de Linos et d'Ialemos, ainsi qu'eux ravi par une mort prématurée 3. Sous cette forme, il est moins la personnification d'une idée morale que celle même du chant ou aussi du chanteur qui figurent dans toute cérémonie nuptiale' : il ressemble sur ce point à Elegos, dans lequel la poésie a de même personnifié le chant de deuil'. Issu d'une Muse qui est, suivant les auteurs, ou Calliope, ou Clio, ou Uranie, ou Terpsichore, il était naturel qu'il eût pour père Apollon; toutefois ce rôle est plutôt dévolu à des aèdes héroïsés, tels que Magnés ou Pierus6. Chez les auteurs grecs ou latins qui ont employé le vocable d'Ilymenaeus avec ce sens, il est le plus souvent malaisé de décider s'il désigne le chant nuptial ou si ce chant est par eux incarné dans une personnalité divine'; du reste /t ymenaeus, jusqu'au déclin de la latinité, s'emploie fréquemment comme un nom commun s'appliquant au carmen nuptiale ou à l'union même que ce chant célèbre 3 : toutes les personnifications morales du panthéon grécoromain donnent lieu à des confusions analogues. Cependant si l'on se rapporte de préférence et à l'étymologie et à la signification intime du dieu', telles que la révèlent des légendes qui paraissent être antérieures à la mythologie poétique, Ilymenaeus fut d'assez bonne heure, chez certains peuples de la Grèce continentale, à Argos notamment et à Athènes, un dieu spécial présidant à l'union des sexes, lorsqu'elle fut consacrée par la religion et par la loi. L'histoire et la fable ont également conservé le souvenir des temps où le mariage, au lieu d'être librement consenti, était précédé d'un rapt; le passage à un régime plus civilisé est mis au compte de certaines divinités comme Déméter, en l'honneur de laquelle on célébrait les Thesmophories sur le rivage de Colias, en Attique, ou comme Héra, vénérée sous le vocable de Teleia dans l'Argolide f °. Ici Hymenaeus ligure dans la légende des filles de Danaus, aux noces dequelles fut chantée pour la première fois l'invocation qui a reçu son nom ; là on racontait que, venu d'Argos", il sauva de la main des Pélasges pirates une troupe de jeunes filles qu'ils avaient enlevées d'Athènes''. Ilérodote, qui, sans prononcer le nom d'tlymenaeus, localise cet épisode auprès de la source Callirhoé oit l'on' continue de puiser l'eau servant à la cérémonie du mariage légal, nous laisse entrevoir quels furent, très anciennement, devant la piété populaire, le rôle et la nature de ce dieu". Nous savons d'ailleurs que les Athéniens se vantaient d'avoir, les premiers en Grèce, substitué au concubinage violent et barbare, la coutume du mariage par consentement mutuel et religieusement consacré. C'est en interprète de cette tradition que Catulle appelle Hymenaeus : Dux bonae veneris, boni conjugator amoris''', et que l'art grec, dans les scènes où IIymenaeus intervient, ne lui a jamais fait représenter que t'amour honnête dans le mariage, confiant à Éros ou Cupidon de figurer les amours coupables ou irrégulières". Comme il n'existe de traces d'un culte formel d'Hymenaeus qu'à Argos' ° et que m@nie la légende athénienne a fait venir le dieu de cette ville, il est probable que c'est là qu'il fut connu d'abord sous cette forme et associé à la religion d'Héra Teleia. Ailleurs, il est présenté comme un fils d'Aphrodite et de Dionysos 17. M. It. Schmidt a montré, dans une excellente dissertation, que cette généalogie du dieu est probablement la plus ancienne et que c'est par elle que s'expliquent le mieux ses divers aspects dans la poésie et dans l'art. Avant d'être une institution sociale garantie par les lois, le mariage n'est que l'acte matériel quipourvoit à la procréation. Le mot ûu.riv désignant, au point de vue physiologique, la marque de la virginité, éN.€vatoç personnifie peut-être le vocable de celui qui la ravit; un poète le donne à Dionysos lui-même i3. Le dédoublement qui en aurait fait une personnalité distincte est parmi les procédés les plus fréquents de l'es IIY~I 335 I1Ylt1 prit mythique. Quoi qu'il en soit, la parenté réelle de Dionysos et d'Hymenaeus saute aux yeux; sans appuyer davantage sur les détails de mythologie pure qui ne seraient pas ici à leur place et que l'on trouvera dans l'opuscule cité, il suffit de signaler les ressemblances caractéristiques des deux divinités dans les traits que l'art leur prête après la poésie. Tous deux sont d'aspect juvénile, avec des allures féminines qui confinent à l'hermaphroditisme' ; tous deux portent la chevelure abondante qui, gracieusement distribuée en boucles, encadre le visage et tombe sur les épaules; chez l'un et chez l'autre se rencontre l'alternance d'une tristesse mélancolique et d'une joie exubérante2, ce qui mène à penser que Hymenaeus, tout comme Dionyosos, est â l'origine une divinité étroitement liée aux préoccupations agricoles. On sait d'ailleurs que le symbolisme de l'union des sexes est le plus souvent emprunté, dans les religions grecque et romaine, aux phénomènes et aux travaux des champs et que les dieux présidant à la végétation y sont aussi ceux que la piété prépose à la procréation des hommes . Les ressemblances de Bacchus. et d'Hymenaeus se continuent dans le vêtement et dans les attributs caractéristiques. La couleur rouge ou safran qui convient à leur vêtement est celle qui domine dans le costume nuptial, non seulement des Grecs et des Romains, mais d'un grand nombre de peuples primitifs 4. Les fleurs, roses et marjolaines, les torches', la flûte qui figurent dans les mystères et dans les fêtes bacchiques ont fourni les emblèmes d'Iymenaeus ; il y faut joindre les noix ou les pommes, particulièrement de grenade, qui sont des symboles d'amour et de fécondité. C'est ainsi que nous offre le dieu Hymenaeus la fresque célèbre de la maison de Méléagre à Pompéi (fig. 3936) 7; de toutes les représentations figurées du dieu que nous possédons, celle-là est la plus complète et la plus expressive, et, détail que nous avons souligné plus haut, n'était l'expression mélancolique du visage, rien ne s'opposerait à prendre cette image pour celle de Bacchus lui-même. On en peut rapprocher une gemme, dont l'antiquité d'ailleurs n'est pas sûrement démon trée, où le jeune homme, debout, appuyé sur un autel embrasé et tenant la longue torche, est probablement Ilymenaeus 9. Lucien avait vu du peintre Aëtion une toile représentant le mariage d'Alexandre et de Roxane ; les fonctions d'Hymenaeus y semblaient dédoublées9. Iléphestion y remplissait auprès des époux l'em ploi de -a«po;tos et de vul.tpxytoydç, tenant une torche allu mée, et il s'appuyait sur un jeune homme dans la fleur de l'âge (N.etpxxép 7c VU ûpz(W) qui pour Lucien est Ilyménée lui-même10. De même sur un bas-relief de provenance romaine est représenté un jeune homme drapé, portant une longue torche et sur la tête le voile spécial, flammeum, que portait aussi la mariée. C'est ou Ilymenaeus ou un personnage réel qui remplit son rôle". Le sarcophage de la villa Albani qui représente ou les noces de Thétis et de Pélée ou celles de Cadmos et d'Harmonia", nous montre, derrière les Horae apportant aux mariés leurs dons, Ilymenaeus couronné de fleurs, portant une longue torche sur l'épaule gauche et dans la main droite une hydrie qui rappelle l'eau pure avec laquelle il était d'usage de faire des lustrations sur les jeunes mariés" Ilymenaeus figure sur un certain nombre de sarcophageslt, le plus souvent sous les traits que nous avons définis, quelquefois avec des ailes, attribut emprunté à Cupidon et peut-être aussi au symbolisme caractéristique des génies et des daemons, surtout dans les scènes funèbres15. Les épisodes où il intervient ont d'ordinaire un caractère funeste et tragique; ainsi les noces d'Admète et d'Alceste ou l'union de Jason et de Glaucè, que viennent troubler les fureurs de Médée 7G. Ici, Ilymenaeus, vêtu de la chlamyde qui découvre l'épaule droite, tient les yeux baissés avec un air de tristesse; ses cheveux sont ornés de la couronne traditionnelle, sa main droite tient un court flambeau, sa gauche des têtes de pavots. Ailleurs la conclusion funeste du mariage est indiquée par le flambeau renversé et même, dans la reproduction d'un sarcophage, par ce détail qu'Admète tend à Alceste la main gauche au lieu de la droite. Ovide dépeint sous des traits analogues Ilymenaeus allant présider aux noces d'Orphée et d'Eurydice ; le dieu vêtu de pourpre a une allure désolée et son flambeau ne jette que des lueurs fumeuses 17. L'association de l'idée de la mort avec celle du mariage est d'ailleurs fréquente; elle est suggérée par le destin des jeunes filles ravies dans tout l'éclat de la beauté et de la jeunesse, sans avoir joui des plaisirs de l'hyménée. Le lit nuptial fait antithèse au tombeau, le chant nuptial au thrène, et Hymenaeus luimême au dieu des enfers qui prend sa place dans la cérémonie 11; «Hadès, en personne, la conduira marier, » HYM 336 HYM dit Agamemnon en parlant d'Iphigénie qu'il va sacrifier 1. Avant d'emprunter aux Grecs le dieu Hymenaeus, qui n'est, du reste, jamais pour eux qu'une divinité poétique, les Romains possédaient dans leur religion nationale un certain Talasius, Talassus ou Talassio2, dont le souvenir est mêlé aux plus anciennes traditions de la race, à la fondation de la ville par Romulus et au rapt des Sabines'. Autant qu'il est possible de dégager son être des fables grecques qui ont déteint sur lui, il semble que Talasius ait été un vocable de Mars, comme ô avatoç le fut de Dionysos chez les Grecs et que sa signification soit à chercher dans l'idée de fécondité, peut-être dans le détail physio logique qui a tiré û(t.évatoç de û(1-nv. L'exclamation de Talassio! usitée dans les mariages primitifs à Rome rappelle l'invocation classique : `T v (Ti, 1 i.€va(w chez les Grecs; peut-être que les circonstances mêmes où la légende la fait proférer pour la première fois sont-elles à rapprocher de celles qui, àAthènes et à Argos, ont fait du dieu Hymenaeus la personnification du mariage garanti par la religion et par la loi [MATRIMONID5il4. J.-A. HILn. IIYMNIA (°rllvta). Fête annuelle célébrée en commun par les habitants d'Orchomènes et de Mantinée en Arcadie, en l'honneur d'Artémis Ilymnia qui présidait à leur confédération'. II.