Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article INFAMIA

INFAIIIA. [Les jurisconsultes romains n'ont pas laissé de définition précise de l'infamia, et il n'y a pas eu de terme juridique correspondant exactement à l''rtl,.:x des Grecs [ATIMIA]. Callistrate met l'infamie parmi les atteintes portées à l'existimatio qu'il définit dignitalis illaesae slatus legibus ac moribus comprobatus 1.] Cette existirnatio constituait la dignité du citoyen romain dont la considération reposait à la fois sur les moeurs et sur les lois. La déchéance complè te de cette considération résultait nécessairement de la maxima ou magna capitis deminutio qui enlevait la liberté, et de la media capitis deminutio qui faisait perdre seulement le droit de cité. Dans l'un etl'autre cas, on disait existimatio consumitur2, L'infamie, au contraire, ne l'atteignait que partiellement. [Nous connaissons mal les origines et le caractère primitif de l'infamie. Les théories des auteurs modernes peuvent se ramener à deux principales; l'une fait de l'infamie une création du pouvoir législatif représenté surtout par le censeur et le préteur3 ; l'autre y voit une institution traditionnelle et coutumière `'. Là seconde théorie n'est qu'une hypothèse. Aucun texte n'indique pour l'époque primitive les déchéances légales que comportera plus tard l'infamie. On ne peut invoquer pour les origines l'exemple de l'atirnie grecque, car l'évolution et la fixation du droit grec ont été beaucoup plus rapides que celles du droit romain. La déchéance amenée primitivement par l'infamie consisterait, selon Savigny, dans une sorte de deminutio capitis, dans la perte des droits civiques, des honores et du siéffragium; mais l'infamie n'a jamais déterminé de capilis deminutio, même minima' ; l'exclusion des tribus (in aerarios relatio) infligée sous la République aux comédiens 6, n'était pas perpétuelle ; la lex Julia municipalis n'interdit aux infàmes que les honneurs supérieurs sans toucher au suffragium' ; c'est simplement dans un sens oratoire que Cicéron met les procès infamants parmi les capitis causae 8, et hlodestinus emploie improprement les mots capite non minui, pour dire que l'exclusion du sénat n'entraîne pas l'infamie 9. L'exclusion des honores n'est pas non plus prouvée pour l'époque primitive ; pendant longtemps elle n'a même pas été le résultat d'une condamnation dans un judicium publicum 10. Le concept juridique de l'infamie ne paraît donc pas faire partie du plus ancien droit coutumier. Cependant l'idée de la déconsidération morale est très ancienne; elle est déjà dans la loi des Douze Tables qui punit l'auteur de tout chant, susceptible d'occasionner à autrui in famiam flagitiumve 71 ; l'improbus, celui qui agit contre les usages des honnêtes gens, celui qui, par exemple, se parjure, est intestabilis, est mis au ban de la société12, et la nota du censeur constate la déchéance morale, l'ignominia 13, quand ce magistrat ne va pas jusqu'à exclure un sénateur du sénat, un chevalier de l'ordre équestre, un citoyen des tribus [CENSOR]. Il est donc vraisemblable que les magistrats ont été amenés peu à peu à sanctionner dans les actes de leur compétence (inscription des candidats aux magistratures, rédaction des listes du cens, des juges, etc.), les condamnations prononcées par l'opinion publique. Ces déchéances de fait ont dû devenir ensuite des déchéances légales, en passant régulièrement dans l'édit du préteur ou en étant inscrites dans des lois, des plébiscites. Nous ne connaissons pas tous les degrés de cette évolution. Nous ignorons également lequel des deux effets principaux de l'infamie, de l'incapacité judiciaire ou de l'incapacité politique, est antérieur en date. Les premiers délits criminels, qui ont entraîné l'infamie, paraissent avoir été la calumnia et la praevaricatio 14; depuis l'établissement des Quaestiones perpetuae, la plupart des lois de amhhitu, de vi, de repetundis, établissent comme sanction l'inéligibilité à temps ou à perpétuité u, et l'exclu• INF sion des honneurs a probablement été étendue dès la fin du 11e siècle av. J.-C., à tous ceux qui ont été condamnés par un jury criminel'. Les autres causes d'infamie figurent dans l'édit du préteur2, dont les principales dispositions paraissent remonter au moins à la même époque, et qui évidemment énumérait les infâmes à propos de leur incapacité judiciaire La Lex Julia vlunicipalis de 16 av. J.-C., renferme une énumération des causes d'infamie dans le droit municipal, qui concorde pour les points essentiels avec l'édit du préteur. En somme, la théorie de l'infamie est constituée à la fin de la République; cependant les mots infarcis, infamia, n'auront leur sens technique que plus tard, car dans les textes de l'époque républicaine ils signifient seulement déshonneur, infamie en général'. Les constitutions impériales et les sénatus-consultes créeront en outre de nombreux cas nouveaux d'infamie.] Dans le droit classique, outre l'infamie de droit, il y a deux conditions sociales assez difficiles à déterminer, qu'une loi de Constantin désigne par les mots levis nota et turpitude La première classe ne présente pas grand intérêt au point de vue du droit criminel ; elle renfermait les affranchis et les affranchies, les enfants de ceux qui avaient paru sur le théâtre ou qui s'étaient livrés à la prostitution 6. C'est pour ce motif que la loi Julia défendit à un ingénu d'épouser une personne de cette catégorie'. Quand un sénateur avait violé cette prohibition, les époux étaient incapables de recueillir les legs que l'un d'eux aurait faits à l'autre C'est parce qu'on les croyait atteints d'une levis nota que les gens de la lie du peuple, des petits métiers ou des métiers honteux 0], ne pouvaient aspirer à aucune fonction publique 10 ; ils n'étaient pas admis comme témoins 11, [ne pouvaient intenter une action infamante contre une personne honesta12 ; leurs enfants ne pouvaient pas épouser un fonctionnaire d'un rang élevé 13 ]. Tous ces individus pouvaient, à la différence des honestiores, être condamnés à des peines particulières, regardées comme déshonorantes ou d'une sévérité plus grande, aux verges, aux mines, aux bêtes". La seconde classe comprenait les personnes turpes, c'est-à-dire les individus dont la vie ou la conduite était honteuse. C'est ce que les ,jurisconsultes modernes ont appelé infâmia facti, parce que cette flétrissure avait sa source dans l'opinion publique plutôt que dans une disposition législative 16. Mais le législateur y attachait des conséquences graves, dans le dernier état du droit surtout. [Les textes mettent parmi les turpes les débauchés et les prodigues ", ceux qui ont échappé à l'infamie d'une condamnation en se faisant représenter en justice 17, ceux qui n'ont été reconnus coupables qu'incidemment d'un délit puni d'infamie 13 ; les auteurs d'un délit assez grave pour amener la tus-pi INF udo10, et en général les personnes d'une honorabilit douteuse 20. Les turpes sont exclus des honneurs publics,. ne peuvent postuler pour autrui21 ; leur témoignage est suspect" ; on peut intenter la querela inofficiosi contre le testament qui les institue " ; ils peuvent en outre subir d'autres déchéances; ainsi des constitutions impériales autorisent l'exhérédation des gens de mauvaise conduite 2', le divorce pour turpitude 25, le refus de l'action en restitution de dot à un père turpis26, le refus de la, tutelle à un père prodigue". Le juge est autorisé à remplacer par l'exil la note d'infamie que pourrait encourir un individu vilior en matière criminelle 2s.] L'infamie proprement dite était encourue soit immédiatement par suite d'une disposition de la loi ou de l'édit du préteur, soit rnédialement comme suite d'une condamnation". Occupons-nous d'abord du premier cas qui est l'objet de titres spéciaux au Digeste elauCode" [Il y avait en premier lieu un certain nombre de professions infamantes. Étaient notés d'infamie les comédiens, les gladiateurs, les personnes qui se donnaient en spectacle à prix d'argent, sauf les thgmeliei (musiciens de l'orchestre), les agitatores (conducteurs de chars), et les athlètes", les lenones, les lenae, les marchands d'esclaves, les proxénètes et leurs employés libres", les débauchés coupables du crime commis entre personnes du même sexe ", les courtisanes de naissance libre". En second lieu, l'infamie était attachée comme peine principale ou accessoire à certains faits parmi lesquels on peut citer: le congé infamant, c'est-à-dire le renvoi ignominieux de l'armée (missio ignorniniosa) par le général ou son délégué 3"; la contravention à l'obligation, pour la femme, de porter le deuil de son mari, de son père, de ses enfants, probablement jusqu'à l'époque d'Alexandre Sévère"] ; la contravention à. l'obligation pour la femme de ne pas se remarier avant l'expiration de l'année de deuil ; l'infamie ne frappait d'abord, aux termes de l'édit du préteur ", que, selon les différents cas, l'époux ou le père de l'époux ou le père de la veuve ; mais la femme elle-même, qui n'é tait d'abord que famosa en vertu des lois caducaires, fut plus tard déclarée aussi infâme30; la bigamie et les fiançailles contractées par une personne déjà mariée" ; l'adultère de la femme, même sans condamnation Y0 ; le fait pour la mère tutrice de ses enfants de se remarier avant d'avoir rendu ses comptes de tutelle i1 ; le fait pour la veuve d'avoir durant l'année de deuil un enfant qui ne peut être considéré comme posthume 42 ; l'insolvabilité et la venditio bonorum, la vente du patrimoine dont le déshonneur pesait jusque sur la mémoire du défunt insolvable Les constitutions impériales créèrent en outre beaucoup d'autres cas d'infamie, par exemple : contre l'accusateur qui laisse périmer une action criminelle (lergiversatio)"; INF 485 INF contre le contumax en cas de crimen publicum 1; contre le tuteur ou le curateur qui ne fait pas l'inventaire légal' ; contre les fils de personnes condamnées pour crime de lèse-majesté 3 ; contre les gouverneurs de province pour certaines fautes, telles que corruption, défaut de surveillance à l'égard des geôliers ; contre les avocats qui réclament des honoraires excessifs ou diffament leurs adversaires"; contre toute personne, majeure de vingt-cinq ans, qui contrevient d'une manière quelconque à un pacte consenti librement et sous la foi du serment 6; contre le plaideur qui injurie le juge de la sentence duquel il appelle 7, ou qui succombe dans un appel porté directement devant le préfet du prétoire 8, ou qui s'adresse directement à l'empereur sans user de l'appel' ; et en général contre le plaideur qui essaie d'éluder un rescrit impérial en adressant à l'empereur une supplicatio 1° ; contre les personnes qui commettent le délit d'usure ou d'anatocisme 11, qui ouvrent un cours public sans autorisation, qui donnent asile à des décurions fugitifs, qui essaient de faire donner une interprétation abusive ou trop large à des rescrits impériaux, qui ne peuvent fournir la preuve d'une dénonciation faite au fisc f2. Nous arrivons maintenant aux cas où l'infamie résultait d'une condamnation. D'abord toute peine non capitale prononcée dans un judicium publicum entraînait l'infamie"; nous la trouvons appliquée à la calumnia (accusation fausse) et à la praevaricatio (collusion entre l'accusateur et l'accusé)''', au crimen repetundarum15, au crimen de residuis 1G, au plagium17, à la brigue, à la vis privata (violence sans armes)'°, à l'adultère de l'homme jusqu'à l'époque de Constantin qui le punit de mort, au lenocinium, trafic fait par le mari de la personne de sa femme19, à la délation intentée à prix d'argent20. En second lieu, certains délits qui auraient amené l'infamie s'ils avaient été l'objet d'une poursuite privée, pouvaient être jugés criminellement, extra ordinem21 : dans ce cas, la condamnation était également infamante . Les textes citent ici : le stellionat", la violation de sépulture23, le crimen expilatae hereditatis (vol d'hérédité) 2'. Il faut évidemment y ajouter le furtum, l'injuria, la vis bonorum raplorum] 25. En troisième lieu, ceux qui étaient condamnés pour les délits privés de furtum, de rapina, J'injuria, de Bolus malus, et sans doute aussi pour la temeritas litigandi, encouraient aussi l'infamie et ne pouvaient même la prévenir par une transaction privée avec le demandeur26. En quatrième lieu, le dol du débiteur donnait lieu dans certains contrats civils, et quand l'action était directe, à une condamnation infamante, ainsi en matière de société, de mandat, de dépôt 27, [ou encore dans le quasi-contrat de tutelle, quand le tuteur était destitué comme suspect, ou que le tuteur ou le curateur ou leur fils en puissance avait épousé la pupille avant ses vingt-six ans accomplis 2B. Ajoutons que la condamnation devait toujours être directe et principale, et qu'une simple sentence arbitrale n'amenait pas l'infamie20]. A partir de la sentence définitive36, l'infamie entraînait des conséquences très graves; indépendamment de toute grande ou moyenne capitis deminutio, l'infâme était déchu à perpétuité du droit d'arriver aux charges et dignités publiques, et perdait les honneurs précédemment acquis31; [en certains cas, il était exclu del'armée "]. Pour le droit civil et criminel, il était en certains cas intestabilis [INTESTABILIS], et toujours incapable d'exer cer une action populaire ou une action publique, sauf dans son propre intérêt 33. [Les infâmes, turpitudine notabiles, ne pouvaient postuler que pour eux-mêmes ou leurs pupilles] , les autres infâmes ne pouvaient postuler que pour eux-mêmes et un certain nombre de parents, n'avaient pas le droit de plaider par procureur, ce qui les empêchait d'acquérir une action par voie de cession 3'. [Les infâmes étaient soumis à des peines plus sévères que les citoyens honorables35. Les frères et soeurs germains ou consanguins d'un testateur pouvaient intenter la querela inof/iciosi contre le testament qui avait institué comme héritier un infâme'S'. La lex Julia de maritandis ordinibus défendait le mariage aux ingénus avec certaines catégories de femmes infâmes], et en outre aux sénateurs et à leurs descendants avec des affranchies, des courtisanes et des comédiennes ou filles de comédiens sous peine des déchéances attachées au célibat et même, pour les sénateurs, depuis Marc-Aurèle, de nullité du mariage. [Puis les jurisconsultes posèrent comme règle l'interdiction du mariage avec toutes les personnes infàmes. Justinien supprima la prohibition de mariage entre sénateurs et affranchies, entre ingénus et comédiennes 37 ; mais on ne sait s'il leva les prohibitions qui pesaient sur les autres femmes infâmes 38]. Pour les causes d'extinction de l'infamie, nous renvoyons à l'article INDULGENTIA. [Les effets de l'infamie étaient personnels ; cependant elle atteignait aussi au Bas-Empire les enfants des individus condamnés pour le crime de lèse-majesté"].