Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article INJURIA

INJURIA. Le mot injuria cômportait à Rome une double acception : tantôt il était pris, dans un sens large, pour désigner un acte contraire au droit, tantôt dans un sens plus étroit, pour désigner certains délits prévus et réprimés par la loi ou par l'édit du préteur'. 1. Les auteurs littéraires des derniers siècles de la République', parfois aussi les jurisconsultes des ne et nie siècles de l'Empire', emploient le mot injuria dans son acception la plus large. Injuria, dit Ulpien, ex eo dicta est quod non jure fiat; omne enim quod non jure fit, injuria tieri dicitur. Floc generaliter 4. Mais d'ordinaire ce n'est pas un acte quelconque contraire au droit qu'ils caractérisent par le mot injuria : ils attribuent à ce mot le sens spécial que les Grecs attachent soit au mot âô:xr,ll.y, soitau motitxtcc.Dans le premier cas, l'acte contraire au droit est un acte coupable; il implique une faute imputable à celui qui l'a accompli'. C'est ce qui a lieu dans le délit prévu par la loi A quilia : damnum injuria datum 6. Ce délit, dit Ulpien, ne peut être reproché à un impubère que s'il est injuriae capax 7. Dans le second cas, l'injuria résulte d'une décision inique ou injuste rendue par un magistrat ou par un juge 8. Enfin, dans quelques cas, le mot injuria désigne simplement un dommage causé à une personnes ou à une chose ". Sauf dans les cas prévus par la loi Aquilia et dans les cas analogues, l'acte contraire au droit, même dommageable, n'est pas puni par la loi romaine. L'injustice du juge est considérée comme un cas fortuit dont personne ne saurait être responsable ii Il. Dans son acception la plus étroite, le mot injuria désigne certains délits prévus par la loi des Douze Tables, les édits des préteurs, la loi Cornelia de injuriis, les constitutions impériales. Tous ces délits appartiennent à un même groupe, celui des injuriae. L'action qui a été établie pour les réprimer porte le nom d'action injuriaruns. Ces délits se sont multipliés avec le temps : le sentiment de l'honneur est devenu plus délicat. Tel fait qui était indifférent aux Romains de l'époque antique a paru blessant à ceux de la fin de la République et de l'Empire. L'extension de l'action d'injures a été parallèle au développement de la civilisation. L'exposé des applications multiples de l'action d'injures forme un des chapitres, et non des moins curieux, de l'histoire de la civilisation du peuple romain. Voyons d'abord en quoi consistent les délits d'injures : nous rechercherons ensuite les caractères qui leur sont communs. A. Loi des Douze Tables. Au temps des décemvirs, l'injure comprend trois délits distincts : 1° les chants diffamatoires (occentare, carmen condere").Anciennement, dit Horace, les auteurs de vers Fescennins se contentèrent d'amuser le public par leurs plaisanteries licencieuses 13, mais lorsqu'on les vit diffamer sans scrupule les plus honnêtes citoyens, on demanda au législateur de réprimer cet abusf4. La jurisprudence assimila aux chants diffamatoires les poèmes satiriques [CARMEN] visant des particuliers 16. C'est ainsi que Q. Caecilius Metellus, consul en 548, poursuivit en justice le poète Cn.Naevius 16 et que L. Accius et C. Lucilius citèrent devant le préteur des auteurs qui, sur la scène, les avaient nommés d'une façon injurieuse". Il ne faut pas confondre le délit dont il vient d'être parlé (carmen condere) avec un autre délit également prévu par les Douze Tables : mali carminis incantatio 'o. Bien qu'Horace emploie malum carmen dans le sens de famosum carmen 's, ce sont deux délits distincts 2° : celuici est un délit privé, celui-là un crime contre les dieux (scelus). L'un est puni d'une peine pécuniaire très minime ; le second entraîne une peine capitale, vraisemblablement la peine du feu 21. 2° La rupture d'un membre 22, la fracture d'un os 23 3° Les simples voies de faite''. B. Edits des préteurs. Les dispositions des Douze Tables ne tardèrent pas à devenir insuffisantes. Les préteurs insérèrent dans l'édit une série de clauses destinées à compléter l'oeuvre des décemvirs, toutes antérieures à la loi Cornelia de injuriis proposée par Sylla''. 1° Convicium. -Le premier édit est relatif à une injure verbale d'une nature particulière2f. Les Douze Tables ne punissaient que les chants et poèmes diffamatoires : le préteur crut devoir protéger les citoyens contre l'atteinte portée à leur honneur par des clameurs injurieuses. Les éléments essentiels à ce délit sont : a) des clameurs (vociferatio) " 7 proférées contre une personne déterminée 28 ; ji) en vue de nuire à sa réputation 2s ; y) dans un rassemblement (in coetu) 36. D'ordinaire le convicium est le fait de plusieurs : convicium appellatur quasi convocium31; mais ce n'est pas indispensable 32. De même la présence de la victime de l'injure n'est pas nécessaire : il suffit que le convicium ait lieu devant sa maison ou simplement devant le lieu de sa résidence". Celui qui a excité d'autres personnes à commettre ce délit est puni comme s'il l'avait commis lui-même 3i; mais la tenta INJ 520 INJ tive ne suffit pas ; il faut que le délit ait été consommé'. 2° Adtemptata pudicitia2. Un autre édit protège les honnêtes femmes, les jeunes filles et les jeunes garçons (lui circulent sur la voie publique. Il était d'usage à Itome 3 qu'une honnête femme (mate] familias) 4 ne sortît jamais sans être accompagnée d'une suivante; de même les jeunes garçons (praelextatus) et les jeunes filles (praetextala 3), tant qu'ils portaient la robe prétexte. L'édit prévoit certains actes qui pourraient nuire à leur réputation : a) un passant les aborde et leur tient des propos séducteurs (blanda oratione alterius pudicitiam attentare 6) ; (3) quelqu'un les suit habituellement (assectari sans d'ailleurs leur parler (lacitus frequenler sequitur) 7 ; y) quelqu'un, par violence ou persuasion 8, les sépare de la personne qui les accompagne (comitem abducere 2), ou bien encore lui tient des propos séducteurs, ou la suit habituellement 1D. Cependant si une honnête femme sortait vêtue comme une esclave ou comme une personne de mauvaise vie, l'auteur de l'injure serait considéré comme bien moins coupable 11. 3° Le dernier édit a une portée générale. Le préteur se réserve d'accorder l'action d'injures pour tout fait (acte ou parole 10) tendant à nuire à la réputation d'autrui (ne quid in famandi causa fiat)13. Dans l'interprétation de cette clause, la jurisprudence a introduit une double restriction qui est caractéristique pour apprécier les moeurs romaines : ce n'est pas nuire àla réputation d'autrui que de l'empêcher par méchanceté d'obtenir un honneur qu'on lui aurait décerné, comme l'érection d'une statue14. D'autre part, celui qui fait la preuve des faits qu'il reproche à autrui est exempt de toute peine: peccata enini nocentium nota esse et oportere et expedire15. Dans une ville comme celle de Rome, où il y avait tant de mauvaises langues", où les commérages trouvaient des auditeurs si complaisants'', cette clause de l'édit devait être d'une application fréquente. On en a de nombreux exemples qui nous font connaître des traits curieux des moeurs romaines. Une personne est l'objet d'une poursuite criminelle ; quelqu'un qui n'est ni son parent, ni son allié, a l'air de s'intéresser à elle en portant des vêtements de deuil, la barbe et les cheveux longs18; en prenant cette attitude, il fait croire au public que cette personne est coupable 19. Sénèque cite un exemple analogue : un citoyen riche était candidat à une magistrature ; il avait pour ennemi un citoyen pauvre qui meurt assassiné. Le fils du défunt suit partout, en costume de deuil, l'ennemi de son père, comme s'il était l'auteur du crime, et l'empêche d'être élu20 Celui qui attaque la réputation d'autrui dans une supplique adressée au prince ou àun magistrat 2f, celui qui vend la sentence que rendra un juge, comme s'il était en mesure de l'obtenir de lui à prix d'argent22, est passible de l'action d'injures. De même le mari qui, lors du divorce, affirme faussement que sa femme est enceinte23 et demande qu'elle soit examinée par trois matrones, conformément au rescrit de Marc-Aurèle et Verus 2'. Le dépositaire d'un testament qui divulgue, en présence de plusieurs personnes, les dispositions qui devraient rester secrètes, manque gravement à ses obligations. Ulpien estime qu'il y alieu de le poursuivre, non pas seulement comme un dépositaire infidèle 23, mais comme coupable du délit d'injures2s Ce n'est pas le seul cas où les rapports entre créancier et débiteur donnent lieu à l'application de notre édit. Réclamer le paiement d'une dette à qui ne nous doit rien27 ; s'adresser à la caution plutôt qu'au débiteur principal" ; refuser une caution notoirement solvable, présentée par le défendeur pour garantir sa comparution en justice 29, voilà des faits qui tendent à déconsidérer une personne (ad infamiam), ou à la rendre odieuse (ad invidiam alteeius30). La publicité dont ils sont généralement entourés en accroît la gravité. A plus forte raison attribuait-on le même caractère aux actes qui exigeaient le concours du magistrat : comme la mise en vente (proscriptio, venditio) à titre de gage d'un objet appartenant à une personne qui ne nous doit rien31, ou à un débiteur très solvable 32. Il en est de même soit du créancier qui demande à un héritier solvable la satisdation qu'on exige d'un héritier suspect", soit du propriétaire qui procède à la perclusio lorsque son locataire a payé son loyer3'`. C. Loi Cornelia. Parmi les lois proposées par Cornelius Sylla durant sa dictature, il en est une qui vise trois cas d'injures commises avec violence : les coups et blessures (pulsare, vel'berare) ; la violation de domicile (domum vi introire30). Le jurisconsulte Aulus Ofilius, le contemporain et l'aloi de Jules César, a déterminé la différence qui sépare les deux premiers délits : pulsare, c'est frapper quelqu'un sine dolore, par exemple avec la main ou avec un bâton32 ; verbergre, c'est cum dolore caedere37. Quant à la violation de domicile30, le mot domus30 s'entend dans le sens le plus large : peu importe que la maison appartienne en propre à la victime, qu'elle ait été louée ou qu'elle soit occupée gratuitement'i0, pourvu qu'on l'habite non momenti causa. La loi ne s'appliquerait pas à une habitation oit l'on n'est que de passage, comme une hôtellerie''. D. Constitutions impériales. Deux nouveaux délits d'injures ont été prévus par les constitutions du BasEmpire°' : 1° l'envoi à l'empereur ou à un magistrat de INJ 521 INJ lettres anonymes contenant des imputations calomnieuses pour autrui. Constantin ordonne de les brûler sur-le-champ; et si l'on parvient à en découvrir l'auteur, on devra le punir sévèrement'. Valens ordonne de punir comme s'il en était l'auteur celui qui, ayant trouvé un de ces écrits anonymes, ne l'a pas immédiatement brûlée. Théodose Pr interdit à celui qui aura pris connaissance d'un libelle anonyme d'en faire part à personne, sous peine d'être poursuivi comme s'il en était l'auteur 3. 20 Les entraves au libre exercice du culte catholique, et d'une manière générale les injures adressées aux prêtres dans l'exercice de leurs fonctions. Tel fut l'objet d'une constitution d'Arcadius adressée au préfet d'Italie N'1. Malt ius Theodorus et relative à la province d'Afrique Elle a été confirmée par une Novelle de Justinien de 54G 5. E. Les délits si divers, qualifiés injures, peuvent-ils être ramenés à une notion unique 6? Aucun texte ne permet d'affirmer que la jurisprudence ait réussi à formuler cette notion. Labéon s'est contenté 'de dire que l'injure réprouvée par l'édit du préteur était analogue à 1'ü6rtç du droit attique' [uvimEos GRAPHE]. Les jurisconsultes postérieurs ont traduit ce mot par contumelia1. Paul a critiqué cette assimilation en faisant remarquer que toute injure n'implique pas nécessairement une contumelia mais la formule qu'il propose lui-même est très vague : il se borne à dire que toute injure est adversus bonos mores et qu'il est de l'intérêt de quelqu'un qu'elle n'ait pas lieu '6. Il est donc préférable à tout prendre d'accepter la manière de voir de Labéon en indiquant les points sur lesquels elle est insuffisante. En général la contumelia suppose l'intention d'offenser quelqu'un ", et cette intention doit se manifester par un fait 12 (aut re, eut verbis). Mais il y a des cas où l'on se montre très large, à ce point que tantôt on n'exige pas rigoureusement le fait matériel prévu par l'édit, tantôt on ne se préoccupe pas de l'intention. Ainsi l'on donne l'action utile d'injures contre celui qui a effrayé quelqu'un en levant la main comme pour le frapper : en fait il n'y a pas eu pulsalio13. A l'inverse, celui qui administre à une personne un médicament qui égare sa raison, est passible de l'action d'injures 1', bien qu'il n'ait eu aucune intention d'offenser sa victime 15. Il s'agit sans doute içi de ces philtres de composition diverse (poculum amatorium, phillrum) f6 qui étaient fort dangereux, et même, l'exemple de Lucullus le prouve, parfois mortels'''. De même celui qui pénètre dans l'appartement d'autrui pour commettre un vol n'a l'intention d'offenser personne. Et cependant s'il ne peut réaliser le vol pour une circonstance indépendante de sa volonté, on retiendra à sa charge le fait d'être entré dans la maison d'autrui contre la volonté du propriétaire, ce qui est considéré comme une injure 18. La tentative de vol était ici réprimée par V. l'action d'injures19 en vertu de la loi Cornelia 20 [DIRECTARII]. L'injure est d'ailleurs indirecte. L'offensé n'est pas atteint dans sa personne physique, ni dans son honneur, mais dans l'exercice de ses droits. C'est là une extension de l'action d'injures dont on rencontre divers exemples 21. Parmi les injures, il en est qui, en raison de certaines circonstances, présentent une gravité exceptionnelle : on les distingue des injures ordinaires en les qualifiant atroces22. L'injure est atrox : 1° en raison du fait duquel elle résulte, par exemple lorsqu'on a été blessé ou qu'on a reçu des coups de verges ou de bâton 23 ; 2° en raison du lieu où l'injure a été commise : c'est au théâtre ou au forum ; 3° en raison de la qualité de la personne injuriée: c'est un magistrat, ou c'est un sénateur qui a été insulté par une humilis persona, un père par son fils, un patron par son affranchi 24. L'injure atroce est plus sévèrement punie que l'injure simple. Il y a aussi des cas où l'injure n'est punie que si elle est atroce. III. Des personnes que peut atteindre une injure. En principe l'injure ne se conçoit que pour un homme libre: lui seul a une existinlatio 25 susceptible de recevoir une atteinte. Cela était surtout vrai à l'époque antique, alors que l'esclave n'était considéré par le droit que comme un objet de propriété26. Aussi lorsqu'une injure était commise à l'égard d'un esclave, examinait-on simplement si l'on avait eu l'intention d'offenser son maître 27. Mais lorsque sa personnalité commença à se dégager, le préteur se préoccupa de protéger l'esclave contre les injures graves28 commises par des tiers". L'édit fait toutefois une distinction très sage : celui qui aura battu de verges 30l'esclave d'autrui ou l'aura mis à la question 31 sans l'ordre de son maître, sera, saufexception32, passible de l'action d'injures u; le maître exercera l'action du chef de l'esclave (servi nomine. 3''). Pour toute autre injure, le préteur se réserve de procéder à une enquête (causae cognitio), et suivant le résultat il accordera ou refusera l'action. Dans son appréciation, il tiendra compte de la qualité de l'esclave : est-ce un esclave de bonne réputation, un intendant, un ordinarius, ou bien un esclave bon à tout faire (vulgaris, mediastinus, qualisqualis), enchaîné ou taré". Le préteur n'avait protégé l'esclave que contre les injures commises par des tiers. Antonin le Pieux le protégea contre l'injure grave commise par son maître . Par un rescrit adressé à Aurelius Marcianus, proconsul de la Bétique, il enjoint à ce magistrat de connaître lui-même de l'affaire et, si le fait est prouvé, de faire vendre l'esclave sous la condition qu'il ne reviendra jamais au pouvoir de son ancien maître 3c Tandis que l'injure adressée à un esclave n'est pas toujours censée atteindre son maître, celle dont un fils 66 INJ f522 INJ de famille est victime rejaillit toujours contre son père; de plus, comme le fils est un homme libre, elle l'atteint personnellement. L'auteur de l'injure s'expose donc à une double poursuite et sera tenu d'une double réparation 1. En principe, le père seul a qualité pour agir au nom de son fils aussi bien qu'en son none personnel. Le fils n'ayant pas de patrimoine propre, l'action née de son chef appartient au père. Mais si le père est empêché, l'injure va-t-elle demeurer impunie? Le préteur estima qu'il y avait lieu de déroger au droit commun et d'autoriser exceptionnellement? le fils à intenter l'action d'injure3. L'édit visait le cas où le père était absent' et n'avait pas laissé de mandataire 5. S'inspirant de la pensée qui avait déterminé le préteur, les jurisconsultes du n° siècle de notre ère décidèrent que le fils conserverait le droit d'agir même s'il était émancipé, institué pour partie, exhérédé ou s'il usait du bénéfice d'abstention. Si le fils est autorisé à exercer faction d'injures alors qu'il est sous la puissance paternelle, il serait absurde, dit Julien, qu'on lui refuse ce droit lorsque la puissance paternelle a pris fin, pour le concéder soit au père qui n'a pas agi alors qu'il le pouvait, soit, ce qui serait plus indigne, à des héritiers qui n'ont pas été atteints par l'injure c. De même que l'injure adressée au fils rejaillit contre le père, de même l'injure adressée à une femme mariée atteint son mari 7. Si la femme mariée a encore son père, l'auteur de l'injure s'expose à une triple poursuite 8. Le droit accordé au mari a été étendu au fiancé ; il est réputé atteint par l'injure adressée à sa fiancée ° [sPOVSALIA]. La réciproque n'est pas admise : les femmes n'ont pas à défendre leurs maris ou leurs fiancés10 L'injure adressée à un mort est réputée atteindre ses héritiersl1. Cette injure peut se produire dans trois cas: 1° par l'arrêt du cadavre. Julien suppose que corpus teslatoris detentum est". Il s'agit sans doute de l'opposition mise par les créanciers du défunt à sa sépulture. Divers textes du Bas-Empire font allusion à cette coutume usitée dans certaines provinces et qui fut proscrite par des constitutions de Justin et de Justinien t3 [I UNUS, t, IV, p. 1397 ; 2° pendant les obsèques (funeri fit injuria)14; 3° enfin l'injure peut être adressée à la mémoire du défunt (si fana ejas lacessatur) 15. IV. Des personnes qui peuvent être poursuivies en i aison d'une injure. En principe, c'est l'auteur de l'injure qui peut être poursuivi en justice, pourvu qu'il ne soit ni fou, ni impubère16. On ne pourrait non plus reprocher à un magistrat d'avoir, dans l'exercice de ses fonctions, commis un acte qui, dans toute autre circonstance, constituerait une injure 17. Il en serait autrement s'il avait dépassé la mesure 13 ou s'il avait agi comme simple particulier". Le complice de l'injure est, aux termes de l'édit 2°, puni comme l'auteur principal 21. Est considéré comme complice celui qui a payé quelqu'un pour injurier autrui 22 ; il en est de même, dans l'opinion qui a prévalu 23, lorsque l'auteur de l'injure n'a reçu aucun salaire. Mais si l'on n'a pu vaincre sa résistance qu'en lui persuadant qu'il devait obéir, le complice seul devra être poursuivi 24. Lorsque l'auteur de l'injure est un esclave, la poursuite doit, en vertu de l'édit du préteur, être dirigée contre le maître 25. L'action prétorienne d'injures est une action noxale 26 [NOxil]. Le maître a la faculté de livrer son esclave pour être battu de verges (arbitratu judicis).27, mais il n'y est nullement forcé ; il peut se laisser poursuivre en justice et dans ce cas il doit, ou payer le montant de la peine fixée par le juge, ou faire l'abandon noxal de l'esclave 28. Il en était sans doute de même lorsque l'injure avait été commise par un fils de famille 23. Entre personnes dont l'une est soumise à la puissance de l'autre, aucune poursuite n'est possible". Le maître a les moyens de châtier son esclave, et l'esclave est protégé par les constitutions impériales contre les excès du maître Quant à l'individu in mancipio, bien qu'il soit assimilé à un esclave32 [`SANcIPIU:II], il est exceptionnellement autorisé à exercer l'action d'injures contre celui qui temporairement est son maître 33 Le fils émancipé ne peut reprocher une injure à son père que si elle est atroce 34. Il en est de même de l'affranchi vis-à-vis de son patron 35. Mais cette restriction ne s'applique ni au fils ni à la femme de l'affranchi3t. Elle ne s'applique pas non plus, d'après le jurisconsulte Marcellus, au mari d'une affranchie, pourvu qu'il ne soit pas l'affranchi du même patron ; mais Ulpien ne partage pas cet avis 34. V. Répression des injures. La répression du délit d'injure a été réglée d'une façon différente par la loi des Douze Tables, l'édit du préteur, la loi Cornelia de injuriis, les constitutions impériales. A. La peine édictée par les Douze Tables variait suivant les cas : pour les injures de moindre importance, comme celles qui consistaient en voies de fait, la peine était fixée à forfait à 25 as. Elle s'élevait à 300 as pour la fracture d'un os lorsque la victime était un homme libre, 150 si c'était un esclave 38. Pour la rupture d'un membre, la loi prononçait la peine du talion : mais en fait cette peine n'était pas appliquée39. D'abord la loi réservait à l'auteur du délit la faculté de transiger avec la victime Puis si les parties ne parvenaient pas à s'entendre, l'auteur du délit pouvait demander la nomination d'un arbitre pour fixer le montant de la composition. Pour les chants et propos diffamatoires, la peine pécuniaire de 25 as était accompagnée d'une peine corporelle. Vorace dit que les poètes en sont réduits à plaire par crainte du bâton ". INJ 523 INJ B. L'innovation principale due à l'édit a consisté à substituer à la peine fixe de 25 as une peine laissée à l'appréciation du juge ou du magistrat. Labéon explique dans son commentaire des Douze Tables le fait qui motiva cet édit'. Un homme aussi méchant que lâche, L. Veratius, prenait plaisir à souffleter les hommes libres qu'il rencontrait. Un esclave le suivait portant une bourse pleine d'as. Dès que Veratius avait souffleté quelqu'un, il ordonnait à son esclave de lui compter les 25 as fixés par la loi. Pour couper court à cet abus, les préteurs émirent l'avis qu'il fallait laisser de côté la disposition des Douze Tables ; ils promirent de nommer des récupérateurs pour estimer les injures 2 [RECUPERATURES]. Les préteurs ne firent sans doute que se conformer à la coutume, car Paul dit que l'estimation a été introduite moribus3. D'après Gains, la victime de l'injure fixait elle-même le montant de la réparation qu'elle désirait obtenir, mais les juges avaient la faculté d'en réduire le chiffre 4. Il y eut dès lors à côté de la peine civile une peine honoraire (llonoraria poena) °, à côté de l'action civile une action honoraire° que les interprètes modernes appellent souvent action injuriarum aestimatoria. L'action civile qui subsistait encore au m° siècle de notre ère? a fini par tomber en désuétude8. L'innovation du préteur fut appliquée à tous les cas d'injures. C'est, dit Labéon, un edictum generale°. On l'étendit même aux cas qui donnaient lieu jadis à la peine du talion. Dans ces cas, en raison de sa gravité, l'injure était dite « atroce n et l'estimation en était faite indirectement par le préteur lors du vadimonium. Il lui appartenait en effet de fixer la somme que le défendeur devait promettre sous caution de payer, faute de comparaître au jour qui lui était assigné [vAnixosius]. Or le juge, par déférence pour le préteur, se conformait en général à cette estimation 10. Comment se calculait le montant de la peine ? L'appréciation était assez délicate soit pour le magistrat, soit pour le juge ; il ne s'agit pas ici d'évaluer un dommage pécuniaire ; l'injure atteint la victime dans sa personne, dans son honorabilité, et non dans son patrimoine. Aussi doit-on tenir compte du rang social de l'offensé et de la considération dont iljouit". Même pour l'injure adressée à un esclave, il y aura des degrés dans la condamnation, suivant que cet esclave sera un intendant ou un homme de condition intermédiaire ou qu'il appartiendra à la classe la plus vile, par exemple s'il a été mis aux fers' 2. Pour faciliter la tâche du magistrat ou du juge, il est prescrit à celui qui intente l'action d'injures d'indiquer d'une façon précise l'injure qu'il a subie (certum dicat, quid injuriae factum sit) Lorsque plusieurs personnes sont atteintes par une seule injure, l'estimation n'est pas nécessairement la même pour chacune d'elles; elle variera suivant les circonstances individuelles. La peine prononcée au profit du fils sera souvent différente de celle qui sera prononcée au profit du pèreS4. Les documents juridiques caractérisen traction d'injures en disant qu'elle est in bonum et aequum concepta. En quoi elle ressemble aux actions rei uxoriae, sepulcri violati, de effusis et dejectis1e. Comme ces actions, elle est intransmissible aux héritiers tant que le procès n'est pas engagé" (ante litem contestatam) 18 [LITIs CONTESTATIO] ; elle s'éteint par la mort de l'offenseur aussi bien que par la mort de l'offensé 19. Comme elles, elle survit à la capilis deminutio20 L'action d'injures s'éteint, d'après les Douze Tables, par un accord intervenu entre les parties (pacte) 21. A l'époque impériale on attribue le même effet à la transaction et au serment 21. L'action d'injures ne prend même pas naissance lorsque l'offensé reste indifférent à l'insulte qui lui a été faite23. Lorsque le fait est constant, l'offensé ne peut plus tard se raviser; il ne peut demander la répression d'une injure qui ne l'a pas atteint. L'action d'injures ne peut être intentée que dans l'année du délit 2.. L'action d'injures ne doit pas être intentée à la légère : le demandeur qui succombe s'expose à une peine. Toute personne poursuivie par l'action d'injures est autorisée à intenter simultanément contre son adversaire un contrarium judicium. Cette nouvelle instance, qui était vraisemblablement soumise au même juge que l'action directe, tend à infliger une peine au demandeur, si sa poursuite est reconnue mal fondée ". Le défendeur absous obtient le dixième de la somme qui lui était réclamée; le demandeur n'est admis à invoquer aucune excuse 2G. Le défendeur pourrait, s'il le préfère, intenter le judicium calumniae, comme il en a le droit quelle que soit l'action intentée contre lui. Mais le contrarium judicium lui offre un moyen plus sûr de faire condamner son adversaire, car il n'a pas besoin de prouver sa mauvaise foi 24. D'après l'édit du préteur, la condamnation prononcée pour cause d'injures entraîne toujours l'infamie48[INrAOIIA C. Sylla trouva insuffisante la répression de certaines injures. Il paraît avoir établi pour les cas les plus graves une action publique tendant à l'application d'une peine criminelle 29. C'est un des rares exemples INJ 524 INJ d'une quaestio perpetua admise dans un cas où un intérêt privé est seul en jeu. Il ne reste d'ailleurs que fort peu de documents relatifs à la procédure organisée par la loi Cornelia : elle fut remplacée d'assez bonne heure par une cognitio extra ordinem'. On ignore la peine édictée par la loi Cornelia 2; on sait seulement que si l'auteur de l'injure était un esclave, il était puni plus sévèrement extra ordinem'. Si l'injure n'était pas atroce ", l'offensé conservait la faculté d'exercer l'action privée pour obtenir une peine pécuniaire 5. Mais il devait opter entre l'action privée et l'action publiques. D'où il faut conclure que le droit d'intenter l'action publique n'appartenait pas ici à tout citoyen [JuDiciusi PL'Balcu 1[ ; il devait être réservé à la victime de l'injure'. Ce n'est pas la seule particularité que présentait la procédure établie par la loi Cornelia. Cette loi permit au demandeur de déférer le serment au défendeur. Si celui-ci jurait qu'il n'y avait pas eu injure, il n'y avait pas lieu de suivre l'instance 8. Cette faculté fut bientôt après étendue à l'action prétorienne'. La loi Cornelia permet aussi de récuser tout juge qui serait le parent à un certain degré, ou le patron du demandeur f0. Enfin la jurisprudence admit que le fils de famille, victime d'une injure prévue par la loi Cornelia, aurait seul et à l'exclusion de son père l'exercice de l'action établie par cette loi". Le père conserve d'ailleurs l'action qui lui appartient en son nom personnel, d'après l'édit du préteur. D. Sous l'Empire, la répression des injures devint plus rigoureuse. A la peine édictée par la loi Cornelia, on substitua une péine arbitraire prononcée extra ordinem" en tenant compte de la gravité de l'injure et de la qualité des personnes 13. D'après Hermogénien, les humiliores sont punis de la bastonnade; les honestiores condamnés à un exil temporaire; quant aux esclaves, ils sont flagellés" et, si l'injure est atroce, condamnés aux mines15. Déjà au temps d'Ulpien, il était de règle que les personnes vis-à-vis desquelles l'action d'injures eût été inefficace, parce qu'elles étaient déjà notées d'infamie ou trop pauvres pour pouvoir payer une peine pécuniaire, devaient être punies par le magistrat "s. D'autre part, les écrits et chants diffamatoires furent l'objet d'une réglementation nouvelle. Sans attacher une importance particulière aux libelles qui le concernaient, Auguste émit l'avis que les magistrats devraient rechercher à l'avenir ceux qui publieraient sous le nom d'autrui des écrits ou des chants diffamatoires". On ignore d'ailleurs quelle sorte de peine pouvait être infligée. Suétone cite, comme une preuve de la clémence d'Auguste, ce fait qu'il infligea une simple peine pécuniaire à Junius Novatus qui, sous le nom du jeune Agrippa, avait publié une lettre très sévère sur son compte i3. Par suite, il lui fit grâce de la peine corporelle édictée par les Douze Tables. Dans son commentaire sur l'édit, Ulpien rapporte une disposition qui paraîtinspirée par l'avis d'Auguste 19. Elle vise l'auteur et l'éditeur d'écrits diffamatoires en prose 2° ou en vers 21, ainsi que leurs complices22; elle atteint également la publication faite sous le nom d'autrui et celle qui reste anonyme. Dans tous les cas le coupable est déclaré intestabilis ex lege 23. Ce fragment étant inséré au Digeste immédiatement après ceux qui concernent la loi Cornelia, on s'est demandé si c'était la loi dont parle Ulpien. Cette hypothèse doit être écartée, car la loi Cornelia ne s'occupait que de l'injure quae manu fit". 11 s'agit donc d'une autre loi, probablement la loi des Douze Tables qui avait prévu un délit analogue (occentare). La disposition citée par Ulpien a étendu aux écrits ce que la loi décemvirale avait décidé pour les chants diffamatoires ; et tout en conservant la peine accessoire de l'intestabilité n, elle avait sans aucun doute modifié la peine principale édictée par les décemvirs. Un sénatus-consulte, cité par Ulpien et dont la date est d'ailleurs inconnue, a étendu la disposition précédente à celui qui aura publié un écrit diffamatoire avec ou sans désignation du nom de la personne, à celui qui aura favorisé la vente et l'achat de cet écrit". Ici encore les compilateurs du Digeste ont supprimé l'indication donnée par Ulpien sur la pénalité ; mais les Sentences de Paul viennent heureusement combler cette lacune, en même temps qu'elles donnent de plus amples détails sur le sénatus-consulte ". Il vise toute sorte d'écrits (satires, épigrammes) ou de chants diffamatoires (psalterium, canticum) 28; il prescrit de poursuivre extra ordinem ceux qui les auront composés et ceux qui les auront chantés en public. Cette poursuite criminelle était surtout utile dans le cas oit la personne diffamée n'était pas désignée par son nom. Celui qui se jugeait offensé était dispensé de prouver, ce qui n'était pas toujours facile, que l'injure s'adressait à lui. Que si au contraire il était nommé, il conservait la faculté d'exercer l'action privée à la place de l'action publique 2°. La législation impériale s'occupa enfin de réprimer les injures qui étaient autrefois justiciables du tribunal domestique. Les injures des enfants envers leurs parents furent déférées au préfet de la ville à Rome 30, aux gouverneurs dans les provinces n. De môme les injures des affranchis envers leurs patrons 32. Il est prescrit de les punir sévèrement 33 et, s'il y a lieu, de leur appliquer la bastonnade (fustium castigatione emendare) 3.. Si l'enfanta été émancipé, il perd le bénéfice de l'émancipation n, INO 525 INO E. Au Bas-Empire, les empereurs se montrèrent particulièrement sévères pour les libelles anonymes : Constantin prescrit de rechercher les auteurs de ces écrits et de les forcer cum omni vigore (c'est-à-dire en les soumettant à la torture 1) à prouver ce qu'ils ont avancé. Il décide en outre qu'ils ne pourront se soustraire au supplice, alors même qu'ils réussiraient à établir que leurs assertions avaient quelque fondement°. Valens 3 et plus tard Théodose le Grand' confirmèrent la disposition édictant la peine capitale. Arcadius, en 406, décida que le coupable périrait par le glaive 3. C'est aussi la peine capitale qui fut édictée en 398 par Arcadius, Honorius et Théodose, pour réprimer les injures adressées aux ministres du culte dans l'exercice de leurs fonctions'. Justinien confirma cette règle pour le cas oà il y aurait eu entrave à l'exercice du culte ; dans le cas contraire, le coupable était battu de verges et envoyé en exil'. ÉDOUA1ID COQ.