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INTERCESSIO. -Le mot intercessio appartient au
droit public aussi bien qu'au droit privé des Romains, mais dans chacune de ces branches du droit, il a une signification propre et technique. Le seul trait commun à l'intercessio du droit public et à celle du droit privé, c'est qu'elle implique l'intervention d'une personne à l'occasion d'un acte accompli par autrui'.
DROIT PUBLIC. I. L'intercessio fut, dans le principe,
le droit attribué dès la fondation de la République à chacun des consuls d'empêcher un acte accompli par son collègue de produire ses conséquences légales [coNsuL]; c'était une conséquence du principe de la collégialité (par potestas). Grâce à l'intercessio, les pouvoirs étendus des consuls se limitaient réciproquement : l'opposition de l'un paralysait l'action de l'autre 2.
Lors de la création du tribunat de la plèbe, l'an de Ro.me 910, les tribuns acquirent le droit d'arrêter l'effet des actes des consuls 3. Ce fut même leur raison d'être et leur fonction essentielle (auxilium tribunicium). On voulut, dans l'intérêt de la plèbe, limiter les pouvoirs des magistrats patriciens. L'intercessio ne procède plus ici du principe de la collégialité : les tribuns ne sont pas des magistrats du peuple romain [TRIBUNUS PLRBIS].
Enfin, lorsqu'on eut créé de nouvelles magistratures, l'une supérieure, les autres inférieures au consulat, la dictature, la préture, l'édilité, la questure, le principe de l'intercessio entre collègues fut appliqué, et de plus l'intercessio permit au magistrat supérieur (major potestas) d'annuler les actes de son inférieur'. Le même droit fut accordé aux tribuns de la plèbe : ils purent dès lors s'opposer aux actes de tous les magistrats 5, le dictateur excepté 6 [DICTATOR, p. 163.] L'intercessio des tribuns pouvait s'exercer notamment contre les actes du censeur' [cENSOR, p. 992], tandis que ce droit faisait vraisemblablement défaut au consul.
II. Formes et effets de l'intercessio. L'intercession exige l'intervention personnelle du magistrat. Sa présence est nécessaire 8. Il doit notifier lui-même son opposition à l'auteur de l'acte. Aussi était-il interdit aux tribuns de la plèbe de passer la nuit hors de Rome. I1
fallait qu'à toute heure on put faire appel à leur auxilium9.
L' intercessio a pour effet d'empêcher l'acte accompli par un magistrat d'un rang égal ou supérieur de produire ses conséquences légales. Plutarque compare l'effet de l'intercessio à celui d'une exception en droit privé f0. Les textes caractérisent cet effet par les mots vetare", inlpedire12, prohiberc13. Il ne faudrait pas cependant confondre l'intercession avec la prohibition proprement dite14. La prohibition est un attribut de la major potestas 15. C'est le droit pour un magistrat supérieur de défendre à son inférieur d'user de ses pouvoirs, soit dans un casparticulier, par exemple en convoquant l'assemblée du peuple ", soit d'une manière générale ". L'exercice de ce droit n'a aucune influence sur la validité de l'acte accompli au mépris de la prohibition. Le droit du magistrat supérieur n'a d'autre sanction que la menace d'une peine à infliger au contrevenant '°. La prohibition est le plus soùvent un acte comminatoire : si le magistrat de qui il émane voulait le réaliser en vertu de son pouvoir de coercition, il courrait le risque d'être arrêté par une intercession".
Le droit de prohibition est donc loin d'avoir l'efficacité du droit d'intercession. Il y a cependant quelques cas où le droit d'intercession lui-même devenait illusoire, lors par exemple que le magistrat ne tenait pas compte de l'opposition qui lui avait été notifiée, et qu'il s'agissait d'un acte sur lequel il était impossible de revenir, comme l'exécution d'un condamné à mort. Le magistrat, il est vrai, était passible d'une poursuite criminelle50, mais cette poursuite pouvait être éludée; elle ne pouvait d'ailleurs être intentée contre un magistrat supérieur, tant qu'il était en charge. Aussi le moyen le plus sûr de rendre l'intercession efficace était-il de forcer le magistrat à s'y conformer. Mais cette contrainte n'était pas admise' entre magistrats ayant un pouvoir égal comme les consuls : seuls les tribuns avaient le droit de coercition à l'égard de tout magistrat. Aussi ce sont les tribuns de la plèbe qui ont le plus largement usé du droit d'intercession. En dehors de l'intercession des consuls, on trouve des exemples d'intercession entre consuls21 ou entre les préteurs urbain et pérégrin22; il est bien plus rare de voir un consul intercéder contre les actes de magistrats ayant des attributions différentes, tels que le préteur 23, l'édile ou le questeur'''.
III. Applications de l'intercessio. L'intercession ne devait pas être exercée d'une façon arbitraire25. La crainte de l'opinion publique26, la honte d'un échec27,
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la responsabilité encourue pour un usage téméraire du droit d'intercession 1, arrêtaient bien souvent les plus audacieux. Il se passait parfois plusieurs années sans qu'il y eût un seul cas d'intercession2. Elle s'appliquait normalement à des actes contraires à la loi ou aux usages de la cité'. Elle n'était d'ailleurs usitée que contre trois sortes d'actes : les décrets des magistrats, les sénatusconsultes, les propositions (rogationes) soumises par les magistrats aux comices.
A. Intercessio contre les décrets des magistrats. Tout citoyen, lésé par un décret d'un magistrat, a le droit de faire appel à l'intervention d'un autre magistrat de rang égal ou supérieur. L'intercessio n'a jamais lieu d'office : il faut une appellatio 4. Cet appel doit être formé dans un délai très bref : au lie siècle de notre ère, il était de deux jours 5. Le magistrat doit prendre une décision dans un très court délai : la loi municipale de Salpensa lui accorde trois jours'.
Lorsque l'appel étaitadressé aucollège des tribuns,ceuxci se réunissaient comme en un tribunal' près de la basilique Porcia'. Assis sur leur subsellium9, ils procédaient à l'examen de l'affaire (cognitio) 10. Un débat contradictoire s'engageait entre l'appelant" et la partie qui avait obtenu le décret attaqué''. Parfois l'auteur du décret venait en personne le défendre13. Les tribuns rendaient, après délibéré 1i, une sentence 15 ordinairement motivée 1G. En cas de désaccord et lors même que la majorité aurait été défavorable à l'intercession, rien n'empêchait celui des tribuns qui était d'un avis différent d'user de son droit17.
L'intercessio contre les décrets des magistrats est admise en toute matière, civile, criminelle ou administrative.
1° Au civil, la rédaction de la formule peut motiver un appel. Cicéron rapporte une contestation survenue entre M. Tullius et Q. Fabius. Celui-ci demandait l'insertion dans la formule du mot: injuria. Sur le refus du préteur, Fabius en appelle d'abord au tribun Métellus, puis à. ses collègues. Tous déclarent qu'ils n'ajouteront rien à la formule (se nihil addituros)i8. Ailleurs Cicéron parle d'un appel aux tribuns pour obtenir l'insertion d'une exception", pour se soustraire à une satisdation judicatum
L'appel peut aussi être formé contre l'addictao d'un
débiteur 21, contre un décret accordant la bonorum possessio secundum tabulas 2'. Mais il n'y a pas d'exemple d'un appel contre la sentence d'un juge23. Dans des cas. tout à fait exceptionnels, le magistrat invite les juges qui ont rendu la sentence à examiner l'affaire à nouveau, lorsqu'il a lieu de croire qu'ils n'ont pas eu la liberté de leur jugement", ou qu'il est survenu un fait de nature à modifier la sentence 23.I1 n'y a pas non plus d'exemple d'intercession contre les décisions du tribunal des centumvirs.
2° Au criminel, l'appel est recevable contre tout acte de coercition31, de procédure27 ou d'exécution28. Des raisons politiques, des relations personnelles déterminèrent souvent les tribuns à l'accueillir29. Mais l'intercessio n'est pas admise dans les procès qui donnent lieu à une quaestio perpetua30. Un passage du discours de Cicéron contre Vatinius est formel en ce sens. Vatinius, accusé en vertu de la loi Licinia Junia et cité à comparaître au bout de trente jours, avait fait appel aux tribuns. Cicéron le lui reproche comme un acte absolument inusité''. Le tribun, dit-il, n'a pas le pouvoir d'arrêter cette instance : ni le droit, ni la coutume ne l'y autorisent32
3° En matière administrative, on pouvait frapper d'appel les décrets des questeurs pour le recouvrement des impôts'', les décrets des magistrats ordonnant l'arrestation d'un débiteur de l'État" ou la saisie de ses biens3U, enfin et surtout les mesures de coercition prises contre un citoyen soumis au service militaire lorsqu'il ne se rend pas à l'appel".
B. Intercessio contre les sénatus-consultes. Le droit d'intercessio appartient ici à tout magistrat de rang égal" ou supérieur" à, celui qui a proposé au sénat la décision attaquée 33. Il appartient également aux tribuns.", et ce sont eux qui en ont fait l'usage le plus fréquent. Après Sylla, on ne trouve pas d'exemple certain d'intercession consulaire 41. Les tribuns ont eu le droit d'intercéder contre les sénatus-consultes bien avant d'obtenir le droit de siéger au sénat 42. Aussi faisaient-ils placer leur banc devant la porte du sénat pour être en mesure d'intercéder de suite43. Le droit d'intercessio s'exerce en effet, pendant'«4 ou immédiatement après le vote45, et a pour effet de le priver de sa valeur légale 46. La décision du sénat n'en était pas moins conservée par écrit à titre
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de senatus aucloritas 1. Si l'opposition venait à être levée, le vote étant acquis, la décision était désormais traitée comme un sénatus-consulte [SENATUS].
En pratique, le magistrat faisait connaître d'avance son intention d'intercéder; c'était un moyen d'obtenir le retrait de la proposition soumise au sénat. De son côté l'auteur de la proposition cherchait à obtenir le retrait de l'intercession 2, et s'il n'y réussissait pas, il pouvait demander au sénat un vote de blâme contre le magistrat qui s'opposait à une mesure conforme au' bien public 3.
C. Intercessio contre les rogationes. Les propositions soumises par les magistrats aux comices peuvent être frappées d'intercessio, quelle que soit la nature de la proposition% et l'espèce des comices3. L'intercessio doit avoir lieu au moment où le vote va commencer°.
Le droit à l'intercessio contre les rogationes a été de bonne heure réservé aux tribuns. S'il a appartenu à l'origine aux consuls, comme cela est vraisemblable, il n'y en a pas cependant d'exemple certain.
D. Des restrictions au droit d'in tercessio. Dans les trois sortes d'actes pour lesquels l'intercessio a été admise, le droit d'intercéder a été limité par la loi. D'abord en matière civile, il est de principe qu'un magistrat ne peut intercéder plus d'une lois dans la même affaire' ; puis des dispositions législatives ont écarté l'intercessio contre les sénatus-consultes et contre les rogationes telle est la loi Sempronia de l'an 631 qui défend d'intercéder contre les sénatus-consultes relatifs à l'attribution des provinces consulaires 8 ; telle est aussi la loi municipale de Malaga qui, au chapitre Lvnt, défend, sous peine d'une amende de 10000 sesterces, d'empêcher par voie d'intercessio la convocation des comices9.
IV. L'intercessio sous l'Empire. Sous l'Empire, le droit d'intercessio appartient à l'empereur : c'est la conséquence de la puissance tribunitienne dont il est inyesti 10. Au ter siècle, les empereurs ont plusieurs fois usé de l'intercessio contre les sénatus-consultes". Leur droit est incomparablement plus efficace que celui des tribuns, pour deux raisons : d'abord il est viager au lieu d'être annal; puis il s'exerce dans tout l'empire 12 et non pas seulement à Rome et dans la banlieue. Aussi le pouvoir des autres tribuns s'efface-t-il devant celui de l'empereur. Pline le Jeune demande si le tribunat est une ombre vaine et un simple titre ou un pouvoir sacro-saint.
On trouve cependant encore au -Cr siècle quelques exemples d'intercession tribunitienne, soit contre les sénatus-consultes f3, soit contre les décrets des magistrats 14. Quant à leur droit d'intercéder contre les rogationes, il a disparu lorsqu'on a cessé de convoquer le peuple dans les comices.
Le droit d'intercession des tribuns fut restreint par un sénatus-consulte de l'an 56 de notre ère. Il leur fut interdit d'évoquer les causes civiles de la compétence des préteurs ou des consuls 15. Après Hadrien, on ne trouve plus trace de l'intercessio tribunitienne. Il en est de même de l'intercession des magistrats du peuple romain : elle est encore mentionnée dans l'édit perpétuel " rédigé sous Hadrien [EDICTuol], mais elle ne tarda pas à tomber en désuétude, car Ulpien, dans son commentaire sur l'édit, composé moins d'un siècle plus tard, n'en cite aucun exemple17. Quant à l'intercessio impériale, elle s'est peu à peu transformée à mesure que le système de l'appel s'est développé. Les empereurs ne se sont pas contenté d'annuler les décrets des magistrats : ils les
V. L'intercessio hors de Rome. L'intercessio tribunitienne ne peut en principe être exercée qu'à Rome, dans les limites du pomceriunl. Cependant, comme la juridiction du préteur urbain s'étend jusqu'à la première borne milliaire19, comme le peuple et le sénat étaient souvent convoqués hors des portes de la ville20, c'eût été rendre illusoire l'auxilium des tribuns que d'en renfermer l'exercice dans l'enceinte de Rome. On autorisa les tribuns à intercéder dans la banlieue 21, dans un rayon d'un mille autour de la ville22. Toutefois cette règle souffre une exception; il y a un cas où l'intercession n'est possible que dans les limites du pomærium : pour les actes d'un magistrat revêtu de l'imperium militaire et qui, lors de son départ, a pris les auspices au Capitole. Aucune intercession n'est admise contre lui dès qu'il a franchi l'enceinte de la ville ".
Dans les provinces, l'intercessio était d'une application peu fréquente,. Les tribuns n'y avaient aucune autorité, parfois cependant le sénat envoya des tribuns auprès de certains chefs militaires, mais dans des circonstances d'une gravité exceptionnelle20. En général, les gouverneurs des provinces étaient affranchis de tout contrôle, et comme ils n'avaient pas de collègues, ils agissaient suivant leur bon plaisir 25. C'était pour eux une situation fort agréable ; Cicéron en fait l'aveu à son frère 26
Est-ce à dire que l'intercessio n'ait pu avoir lieu dans les provinces? On l'a prétendu 27, et l'on a dit que celui qui était lésé par un décret du gouverneur n'avait que la ressource d'en poursuivre l'auteur en justice après son retour à Rouie 28, ou d'en demander la rescision à son successeur 29.Ily alà une exagération. L'intercessio était possible même dans les provinces, mais son application était très restreinte : il ne pouvait en être question ni contre les sénatus-consultes ni contre les rogationes, mais le dictateur pouvait intercéder contre un acte du magister equi•
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'uni, ou le proconsul coutre un acte de son questeur'.
Si l'intercessio joue un rôle très secondaire dans l'organisation provinciale, on la retrouve dans les municipes organisés sur le modèle de Rome aux derniers siècles de la République. Mais des causes diverses ont exclu l'intercessio contre les décrets des magistrats, dans les municipes italiques; une clause de ce genre se trouve dans la loi de Ilantia 2, la loi Rubria 3, la loi municipale de J. César'.
Dans les municipes extra-italiques, l'intercessio s'est conservée sous l'Empire : la loi municipale de Salpensa et celle (le Malaga en offrent un exemple pour le règne de Domitien. La première contient un chapitre de inter
cessione llvir(u7n) et aedil(ium) q(uaestorum)5 ; la seconde
défend ne quis intercedilo neve quit aliut facito, quo minus in eo municipio h(ac) l(ege) comitia habeantur perficiantur 6. L'intercessio est admise entre duumvirs, édiles ou questeurs', en vertu du principe de la collégialité; on peut aussi demander à un duumvir d'intercéder contre un acte d'un édile ou d'un questeur, en vertu du principe
de la major potestas 8.
DROIT PRIVÉ. I. Notion et formes de l'intercessio.
L'intercessio en droit privé consiste à se charger de la dette d'autrui (alienam obligationern in se suscipere) 9 sans y avoir intérêt1U. Elle peut se produire de plusieurs manières. On distingue habituellement l'intercessio cumulative et l'intercessio privative. L'intercessio est cumulative lorsqu'on s'oblige à côté du débiteur principal, à titre de caution" ou même de codébiteur solidaire 12, ou lorsqu'on donne un gage " [PIGNus] ou une hypothèque " pour sûreté de la dette d'autrui [IIYPOTnEGA]. L'inlercessio est privative lorsqu'on s'oblige à la place du débiteur principal (expromissio)'S [NOVATIO] ou qu'on défend en justice au nom d'autrui 16.
Dans la plupart des cas, celui qui se porte caution, expromissor ou defensor, n'a aucun intérêt personnel; aussi la conclusion d'un de ces actes fait-elle présumer l'intercessio. Mais cette présomption cède devant la preuve contraire, par exemple si j'ai cautionné une personne (lui a emprunté de l'argent pour accomplir un acte dans mon intérêt". A l'inverse, l'intercessio peut se dissimuler sous l'apparence d'un acte que l'on conclut pour son propre compte : par exemple lorsqu'une personne qui passe pour solvable emprunte de l'argent pour le remettre à un tiers qui n'a pas de crédit13
De ces divers modes d'intercession, les plus usités sont le cautionnement et l'hypothèque. L'uYroTUCCA a déjà été traitée plus haut, t. V, p. 3 î8. Il ne sera question ici que du cautionnement. [Cf. pour le droit grec, EGGYÈ].
Il. Le cautionnement. Le cautionnement paraît avoir été de tout temps répandu dans la pratique des Romains. Il le fut surtout après les guerres puniques,
lorsque les relations d'affaires prirent un développement considérable. Quand on avait à traiter avec une personne que l'on ne connaissait pas, il était d'usage de demander au débiteur de présenter un répondant, c'est-à-dire une personne honorablement connue dans la cité, et qui se portât garant de la loyauté du promettant, de sa fidélité à remplir ses engagements 19.
C'é'tait ordinairement entre membres de la même tribu qu'on se rendait mutuellement ce service. On trouve dans Cicéron et dans les documents de la fin de la République et du commencement de l'Empire l'expression
amicus et tribulis 20, bonus et litilis tribuns". C'étaient
aussi de grands personnages qui acceptaient de servir de cautions à de petites gens qui, en droit ou en fait, étaient dans leur clientèle : tel ce Rabirius Postumus que défendit Cicéron. « Il fit, dit l'orateur, beaucoup d'affaires, contracta beaucoup d'engagements, prêta aux nations et aux rois. Cependant il ne cessa d'enrichir ses amis, de leur donner des emplois, de leur faire part de son bien, de les soutenir de son crédit (fdesustentare) 22. » Les répondants, c'étaient encore des citoyens aspirant aux honneurs publics, et qui intervenaient en faveur de leurs amis politiques.
Les modes de cautionnement sont assez nombreux. Sans parler de ceux qui sont propres à la procédure ou au droit public, la vadimonium, la vindicis ou la praedis datio [VAS, VINDEX, PRAES], il y en a trois applicables au
droit privé : l'adpromissio, qui comprend trois variétés, la sponsio, la fidepromissio, la /idejussio; le mandatum pecuniae credendae, et le pacte de constitut. Il a été parlé plus haut de ce dernier mode [c0NSTITUTUSI], dont on ne connaît qu'un très petit nombre d'exemples.
A. ADPROMISSIO. L'adpromissio a toujours lieu en
forme de stipulation 23. Elle exige une interrogation
suivie d'une réponse concordante [sTIPULATIo]. La déno
mination qui lui est donnée exprime le caractère accessoire de ce mode de cautionnement : la caution s'oblige à côté du débiteur principal (promittere ad)".
La forme la plus ancienne est celle de la sponsio. Elle remonte à l'époque où la stipulation ne produisait qu'un lien religieux. Elle impliqua anciennement, comme l'étymologie l'indique, une libation en l'honneur des dieux25. Elle fut toujours réservée aux citoyens romains 26. La caution (sponsor) était interrogée en ces termes : Idem dari spondes 27 ?
La fidepromissio est d'une époque plus récente : on la rencontre à partir du vie siècle de Rome. Elle est caractérisée par une invocation de la fides, de la loyauté qui est nécessaire dans les rapports entre les hommes 26. Le créancier interrogeait en ces termes : Idem fdepromittis? La fidepromissio était accessible_aux pérégrins 29.
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La sponsio et la fidepromissio présentent deux traits distinctifs: P elles ne peuvent garantir que des obligations verbales 1; 2° l'obligation contractée par la caution est viagère : elle ne passe pas à ses héritiers 2. Cette double restriction s'explique historiquement : à l'époque où la sponsio et la fidepromissio étaient seules usitées, la stipulation était le moyen de rendre ferme une promesse. Les engagements résultant de la vente consensuelle, du louage, etc., n'avaient qu'une valeur morale. On n'aurait pas compris que le créancier demandât la garantie d'une caution lorsqu'il ne jugeait pas utile d'exiger du débiteur une promesse ferme en forme de stipulation3. Quant au caractère viager de l'obligation du sponsor et du fidepromissor, il n'avait rien de particulier au cautionnement : étaient intransmissibles les dettes qui n'impliquaient pas une damnatio faute d'avoir été solennellement placées sous la protection de l'État °. L'inconvénient qui en résultait pour le créancier était d'ailleurs atténué par l'usage de la pluralité des cautions (consponsores)
Le cautionnement n'avait pas à cette époque le caractère qu'on lui attribua à la fin de la République : le sponsor entendait fournir une garantie plutôt morale qu'effective. Cela est si vrai qu'il n'eut d'abord aucun recours légal contre le débiteur dont il avait payé la dette. Il y avait là un danger. Une loi Publilia donna au sponsor le droit d'intenter une action au double, l'action depensi6. Elle l'autorise également, si dans le délai de six mois, il n'a pas obtenu le remboursement de son avance, à appréhender au corps le débiteur, comme s'il était judiciairement condamné (manus injectio pro judicato)' [MANUS, JUDICATUM]. Cette disposition prouve qu'à l'époque
où fut rendue la loi Publilia, on considérait que la caution s'exposait tout au plus à faire une avance limitée à un très court délai. La sanction si énergique de la loi était pour les débiteurs un avertissement de ne pas se faire illusion sur l'état de leur fortune, et de ne pas faire appel à la garantie de leurs amis sans être certains de pouvoir se libérer dans les six mois de l'échéance.
En dépit de la loi, la responsabilité pécuniaire des cautions dut trop souvent être engagée. Le législateur chercha de nouveaux moyens de favoriser le crédit. Il promulgua successivement deux lois applicables, non plus seulement aux sponsores, mais aussi aux fdepromissores, dont l'usage s'était introduit depuis la loi Publilia : ce sont les lois Appuleia et Furia. Toutes deux prévoient le cas de pluralité de cautions ; toutes deux eurent pour but d'alléger la responsabilité pécuniaire des cautions.
Lorsque plusieurs personnes cautionnaient un même débiteur, elles étaient solidairement responsables de la dette, et si l'une d'elles payait la totalité, elle n'avait pas de recours contre les autres. La loi Appuleia établit entre les cautions d'un même débiteur une espèce de sociétés. Si l'une d'elles avait payé plus que sa part, elle pouvait réclamer aux autres l'excédent.
La loi Appuleia était applicable dans les provinces aussi bien qu'en Italie. La loi Furia au contraire établit un privilège pour l'Italie. Elle décide que les cautions seront libérées au bout de deux ans9. C'était une règle
très favorable aux cautions et qui devait les encourager à se porter garants. La loi Furia décida en outre que l'obligation se diviserait entre les cautions vivantes au jour de l'échéance : le créancier ne pourrait exiger de chacune d'elles qu'une part virile10
Cette disposition donna lieu à des abus. Les cautions ne s'obligeaient pas nécessairement en même temps; elles pouvaient intervenir successivement et sans se connaître. Si l'une d'elles devenait insolvable, les autres pouvaient ignorer sa qualité, et le créancier avait intérét à n'en rien dire. Pour déjouer cette fraude, une loi Cicereia obligea le créancier à déclarer à l'avance l'objet de la dette et le nombre des cautions qu'il devait recevoir 11. De cette manière les cautions qui ne s'engageaient pas en même temps que le débiteur principal savaient à quoi elles étaient obligées. La loi avait pour sanction la nullité du cautionnement. Les cautions devaient, dans les trente jours de leur engagement, faire établir judiciairement que la déclaration requise par la loi n'avait
Tant de précautions furent inutiles. Vainement le législateur essayait de concilier le caractère primitif du cautionnement avec les exigences nouvelles des créanciers. Une garantie morale ne leur suffisait plus : ils voulaient une garantie effective. Tandis que la loi cherchait à restreindre la responsabilité pécuniaire des cautions, la pratique réclamait un mode de cautionnement qui garantît d'une façon efficace le droit du créancier. Il fallait que la cautionne pût alléguer qu'elle avait surtout entendu attester l'honorabilité du débiteur. Ce nouveau mode de cautionnement fut la fidéjussionf2. Il existait déjà au milieu du vus' siècle de Rome : il est visé dans une loi du temps de Sylla 13. La formule, imaginée par les Prudents, exprima nettement la volonté de la caution de prendre à sa charge les risques de la dette. « J'ordonne, disait le fidéjusseur, que la dette soit à mes risques''.»
Ce n'est pas le seul avantage que présentât la fidéjussion : elle pouvait garantir toute espèce d'obligationl5 ; le droit qui en résultait ne s'éteignait ni par le délai de deux ans t°, ni à la mort de la caution 17. D'autre part, le caractère accessoire du cautionnement est ici nettement dégagé78. Si l'obligation que le fidéjusseur veut garantir est nulle, la fidéjussion est nulle également. Au contraire le sponsor et le fidepromissor qui ont garanti une obligation contractée par une femme sui juris ou un pupille non autorisés par leur tuteur, sont valablement obligés 19.
Il ne faut pas s'étonner que la fidéjussion se soit promptement répandue dans la pratique et qu'elle ait eu toutes les préférences des créanciers. La sponsio et la fideprornissio ont cependant continué à subsister avec leurs avantages respectifs. Le préteur a même dans certains cas maintenu l'usage exclusif de la sponsio, lorsque par exemple dans un procès il impose à l'un des plaideurs l'obligation de fournir une satisdation. Sous Justinien, il n'est plus question que de la fidéjussion 2° ; les deux autres modes d'adpromissio ont disparu.
qui a pour but, tantôt de déterminer une personne à
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prêter de l'argent à un tiers, et, d'une manière plus générale, à lui faire crédit « mandatum credendi), tantôt d'accorder à un débiteur un délai pour se libérer'. La validité de ce contrat ne fut pas admise sans difficulté : Servius y voyait un simple conseil, un acte sans valeur juridique. Sabinus fit prévaloir l'opinion contraire dans le cas où l'intervention d'une personne, à titre de mandant, avait déterminé la conclusion du contrat
Le mandatum credendi impose au mandant l'obligation de garantir le mandataire contre le préjudice que pourra lui causer l'exécution du mandat. En cela le mandater credendi ressemble au fidéjusseur : l'un et l'autre garantissent le créancier, mais ils ne s'obligent pas à exécuter l'obligation contractée par le débiteur. Il y a entre eux cette différence, c'est que l'obligation du mandant est indépendante et non accessoire ; par suite le mandant est responsable, même si l'obligation contractée à son instigation ne peut se former. De plus le mandater credendi comme tout mandant peut révoquer son mandat tant qu'il n'est pas exécuté ; de son côté le mandataire peut renoncer au mandat ; enfin le mandatum credendi s'éteint à la mort du mandant ou du mandataire [nIANDATUM]. La fidéjussion au contraire suppose une promesse ferme, irrévocable, perpétuelle.
Si le mandatum credendi n'a pas par lui-même et au moment de sa formation le caractère d'un cautionnement, il en est autrement après qu'il a été exécuté. Désormais le créancier a deux débiteurs : l'un à qui il a le droit de demander l'accomplissement du contrat, l'autre à qui il peut demander la réparation du préjudice que lui a causé l'exécution du mandat.
Que le cautionnement ait lieu par fidéjussion ou par mandat, la liberté de se porter caution n'est pas entière. Elle est renfermée clans une double limite : l'une résulte du caractère accessoire du cautionnement , La caution ne peut promettre plus ni autre chose 6 que le débiteur principal ; elle ne peut non plus accepter des conditions plus dures 7. L'autre limite a été imposée par une loi Cornelia'. Cette loi défend, sauf exception 9, de se porter caution pour un même débiteur, vis-à-vis d'un même créancier, durant la même année, pour une somme supérieure à 20000 sesterces ".
C. Droits du créancier contre la caution. En principe et à moins d'une convention spéciale limitant la portée de son engagement, la caution est tenue de payer tout ce que doit le débiteur principal". L'étendue de sa responsabilité s'apprécie, non pas au moment du contrat, mais âu jour de la poursuite en justice 12. La caution a promis en effet de mettre le créancier à l'abri des risques résultant de l'inexécution de l'obligation.
Corrélativement la caution est autorisée à opposer au créanéier les exceptions qui auraient servi au débiteur à paralyser la demande 13. On n'exclut que les exceptions attachées à la personne du débiteur, comme l'exception de compétence 14. Il y a aussi quelques exceptions,
V.
comme l'exception du sénatus-consulte Macédonien 6 qui sont réservées aux cautions qui ont un recours contre le débiteur principal76.
A l'échéance, le créancier non payé peut à son choix poursuivre en justice la caution ou le débiteur principal". Telle fut la règle jusqu'au vie siècle de notre ère; elle s'applique au mandater credendi aussi bien qu'au fidéjusseur16. Il peut paraître singulier que le créancier ait le droit de s'adresser directement à la caution ; mais il ne peut en faire usage impunément si le débiteur est notoirement solvable ou se déclare prêt à payer 19. Dans ce cas le débiteur pourrait se considérer comme offensé par la démarche du créancier et intenter contre lui l'action d'injures 20 [INJuRIA]. Lorsque la solvabilité du débiteur était douteuse et que le cautionnement avait eu lieu en forme de fidéjussion, le créancier aurait commis une imprudence en poursuivant le débiteur principal : il est de règle en effet qu'on ne peut intenter deux fois une action pour la même dette (bis de eadem re ne sit actio) 2i [Lais CONTESTATIO]. Si donc il n'avait pu obtenir
son paiement du débiteur, il aurait été dans l'impossibilité d'agir contre la caution 22. Ce, danger n'existait pas avec le mandater credendi, dont l'obligation a une cause distincte de celle du débiteur23, mais il était très réel quand on avait affaire à un fidéjusseur.
La jurisprudence imagina deux expédients pour l'écarter : 1° avant de poursuivre le débiteur, le créancier se faisait donner mandat par le fidéjusseur d'agir à ses périls et risques : le fidéjusseur y trouvait l'avantage d'être dispensé de faire l'avance des fonds si le débiteur était solvable, et, dans le cas contraire, de gagner du temps2'; 2° le fidéjusseur promettait de payer ce que le créancier ne pouvait obtenir du débiteur (/idejussio indemnilatis) 21. Ce procédé, de beaucoup le plus simple, dispensait dans tous les cas le fidéjusseur de faire une avance pour le débiteur et permettait au créancier de se retourner contre le fidéjusseur lorsqu'il n'avait pas obtenu satisfaction du débiteur. Justinien par une novelle de l'an 335 accorda aux cautions le bénéfice de discussion26. Désormais leur obligation eut un caractère subsidiaire. Le fidéjusseur, le mandator credendi purent refuser de payer jusqu'à ce que le créancier eût fait saisir et vendre les biens du débiteur et prouvé que le prix de la vente était insuffisant pour le désintéresser.
Lorsqu'il y a plusieurs cautions, elles sont solidairement obligées envers le créancier. Celui-ci peut demander le paiemen t de la dette tout entière à l'une quelconque d'entre elles.
Un rescrit d'Hadrien a tempéré la rigueur du droit du créancier : s'inspirant d'une pensée analogue à celle qui avait fait édicter la loi Furia, il accorde aux fidéjusseurs le bénéfice de division n. Mais ce bénéfice ne produit pas son effet de plein droit : il doit être demandé lors de la comparution de la caution devant le magistrat, et ne peut être accordé qu'entre les cautions solvables 23.
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S'il y a contestation sur la solvabilité des cofidéjusseurs, celui qui demande la division devra garantir le créancier contre le risque qu'elle lui fera courir' ; et si le créancier refuse, le préteur lui donnera une action pour le tout, mais en autorisant le juge à limiter la condamnation à la part que le fidéjusseur poursuivi devait supporter dans la dette, s'il est reconnu que les autres cofidéjusseurs sont solvables$. Le créancier avait d'ailleurs une précaution à prendre pour éviter d'épuiser son droit en agissant contre l'un des fidéjusseurs : il devait faire insérer en tête de la formule une praescriptio pour se réserver le droit de demander plus tard le reste de la dette aux autres cofidéjusseurs 3.
D. Recours de la caution. Lorsque la caution est intervenue à la demande du débiteur et pour lui rendre un bon office, elle est traitée comme un mandataire : on lui donne l'action de mandat (mandati contraria) pour se faire rembourser'. Si elle est intervenue spontanément, on recherchera si elle a eu ou non une intention de libéralité : dans le premier cas, elle n'aura aucun recours ; dans le second elle sera traitée comme un gérant d'affaires : on lui donnera l'action de gestion d'affaires (negotiorum gestorunz contraria)'.
Indépendamment de ces voies de recours, le fidéjusseur jouit du bénéfice de cession d'actions. Il peut forcer indirectement le créancier qu'il paie à lui céder ses actions contre le débiteur principal 6. Dès lors il est mis en son lieu et place et peut exercer les droits qui garantissaientla créance (privilèges, gages, hypothèques). Sa situation est donc bien meilleure que s'il en était réduit à l'action personnelle de mandat ou de gestion d'affaires.
Le bénéfice de cession d'actions, origine de notre subrogation moderne, est une des inventions les plus heureuses de la jurisprudence romaine. Pour l'obtenir, le fidéjusseur se laissera poursuivre en justice et alléguera que le créancier commet un dol en refusant de lui céder des actions qui lui sont inutiles dès l'instant qu'on lui offre ce qui lui est dé 7. Ordinairement le dol sera évident, et le préteur refusera au créancier de lui donner action contre le fidéjusseur. S'il y a doute, il menacera le créancier d'insérer l'exception de dol dans la formule, et si le dol est prouvé, le créancier sera débouté de sa demande et perdra sa créance.
Le moyen imaginé par la jurisprudence n'a qu'une portée limitée : il procure au fidéjusseur une exception; il ne lui confère pas un droit sanctionné par une action. Aussi le fidéjusseur ne peut-il reprocher au créancier d'avoir, par négligence, laissé éteindre ses actions'. Il en est tout autrement du mandator credendi : lui aussi jouit du bénéfice de cession d'actions 9, mais le contrat qui le lie au créancier n'est pas unilatéral comme la fidéjussion; c'est un contrat synallagmatique imparfait; le mandataire s'engage à ne faire que des actes de bonne foi. S'il a perdu ses actions par sa faute ou par son fait, le mandant ale droit de se plaindre et de refuser de payer 10.
Le bénéfice de cession d'actions a reçu de la jurisprudence une nouvelle application : si le débiteur est insol
viable et qu'il y ait plusieurs cautions, le fidéjusseur poursuivi se fera céder les actions du créancier pour exercer un recours contre ses cofidéjusseurs; mais il ne pourra demander à chacun qu'une part virile 11.
E. Extinction du cautionnement. Lé cautionnement, étant un contrat accessoire, s'éteint avec la dette principale, par voie de conséquence 1z. Toutefois cela n'est rigoureusement vrai que des modes d'extinction ipso jure; ceux qui produisent leur effet exceptionis ope libèrent le fidéjusseur lorsqu'il s'agit d'une exception qui n'est pas attachée à la personne du débiteur principal.
Le cautionnement s'éteint aussi, soit lorsque le créancier renonce à son droit contre la caution, soit lorsque la caution devient l'héritière du débiteur principal ou réciproquement. On dit alors qu'il y a confusion13 [ORLIGATTO]. Cependant si l'obligation principale n'était qu'une obligation naturelle''`, le fidéjusseur ne serait pas libéré. Le cautionnement s'éteint enfin, depuis Théodose le Jeune, par la prescription de trente ans 16
111. Des personnes incapables d'intercéder. Si la jurisprudence romaine a déterminé avec précision les actes susceptibles de constituer une intercessio, c'est qu'il y a diverses classes de personnes à qui il est interdit d'intercéder, soit d'une manière générale, soit dans certains cas spéciaux. Dans la première catégorie rentrent les esclaves et les femmes; dans la seconde, les militaires et les décurions.
A. Incapacités générales. Les incapacités spéciales ont été établies à une époque tardive : l'incapacité des militaires est mentionnée dans les documents du me siècle de notre ère Il ; celle des curiales est du vie siècle i7. Les incapacités générales sont plus anciennes. Elles ont vraisemblablement existé dans les moeurs avant d'avoir été consacrées par la loi ou par la jurisprudence. Deux faits le prouvent : d'abord le sénatus-consulte Velléien affirme que l'intercessio est un o f fzcinm virile" ; puis l'intercessio défendue à l'esclave est permise au fils de famille, bien qu'ils soient l'un et l'autre alieni juris's. L'intercessio était donc, aux yeux des Romains, un office viril, un office qu'un homme libre est seul en mesure de rendre. Cette conception de l'intercessio est conforme au caractère que présentaient les formes anciennes du cautionnement ; la sponsio et la fidepromissio. C'était un service qu'on demandait aux tribules, aux grands personnages, aux hommes politiques. Les uns et les autres se portaient garants de l'honorabilité du débiteur, de son exactitude à remplir ses engagements. Lorsqu'après la création de la fidéjussion, le cautionnement prit essentiellement le caractère d'un engagement pécuniaire, il n'y eut pas même raison qu'autrefois pour l'interdire aux femmes sui juris : elles n'étaient pas incapables de s'obliger.
Sous l'Empire, la situation fut modifiée, sinon quant aux esclaves, du moins quant aux femmes. Les esclaves restèrent incapables d'intercéder, parce qu'ils restèrent incapables de s'obliger, ou plus exactement d'obliger leur maître dans l'intérêt d'autrui. Sous l'Empire, comme à l'époque antérieure, l'esclave ne peut en prin
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cipe obliger son maître, sinon par ses délits' [SERVUSJ. Cette règle a été écartée en faveur de l'esclave chargé par son maître de l'administration d'un pécule2, mais cette exception, qui a été admise pour faciliter l'administration du pécule, trouve sa limite dans l'intérêt même du pécule [PECULIUM]. L'esclave administrateur d'un pécule pourra donc partager la dette d'autrui ou se charger de l'obligation d'autrui toutes les fois que cet acte sera dans l'intérêt du pécule : mais il ne pourra s'obliger pour autrui ou à la place d'autrui lorsque le pécule n'y aura pas intérêt. Or c'est là ce qui caractérise l'intercessio. Cette distinction entre le cas où l'esclave s'oblige dans l'intérêt de son pécule ou dans l'intérêt d'autrui fut d'abord formulée par les chefs de l'école Sabinienne 3 ; elle est acceptée, au commencement du 11e siècle, par le Proculien Celsus aussi bien que par Julien Elle a pour conséquence de priver le créancier de tout recours contre le maître, mais l'esclave reste tenu d'une obligation naturelle susceptible de produire certains efl'ets6.
La prohibition de l'intercessio résulte, pour les esclaves, des principes généraux du droit. Aucune loi n'a été nécessaire pour la sanctionner. il en est autrement de la prohibition relative aux femmes. Elle apparaît pour la première fois, mais avec un caractère spécial, dans un édit d'Auguste : il est défendu aux femmes d'intercéder pour leurs maris 7. Cet édit se rattache à un ensemble de dispositions par lesquelles Auguste avait cherché à assurer aux femmes la restitution de leur dot 8. L'exercice de leur droit eût été compromis si le mari avait pu faire garantir ses dettes par sa femme. Dans cet édit apparaît une idée nouvelle, une idée de protection : on craint que la femme n'ait la faiblesse de contracter un engagement dont elle n'apercevra pas les conséquences.
L'édit d'Auguste fut confirmé par un édit de Claude °. Bientôt après, un sénatus-consulte de l'an 46, rendu sur la proposition des consuls Marcus Silanus et Vellaeus Tutor, généralisa l'idée qui avait inspiré ces édits, et interdit aux femmes, mariées ou non mariées, d'intercéder pour autrui10. Le sénat visait deux sortes d'actes : la fidéjussion t1, l'emprunt. Mais la jurisprudence, se conformant à l'esprit du sénatus-consulte, l'interpréta dans le sens d'une prohibition générale de s'obliger pour autrui 12. Elle y comprit également l'hypothèque constituée pour sûreté de la dette d'autrui 13 [nvpoTRECA]. Elle fit plus encore ; elle appliqua le sénatus-consulte au cas où la femme aurait intercédé pour autrui sans le savoir 1''.
Mais s'il est interdit à la femme de s'obliger pour autrui, il ne lui est pas défendu d'aliéner. Elle pourra donc payer la dette d'autrui, faire une dation en paiement,
déléguer son débiteur au créancier d'autrui 15Ces actes entraînent un appauvrissement immédiat; la femme qui les accomplit ne saurait se méprendre sur les conséquences qu'ils auront pour son patrimoine. ils sont moins dangereux qu'une obligation dont les effets ne se feront sentir que plus tard. Il est, dit Ulpien, plus facile d'obtenir d'une femme une promesse qu'une donation 16. La femme pourrait d'ailleurs, si l'aliénation qu'elle a consentie est imparfaite, invoquer le sénatusconsulte : c'est du moins ce qui semble résulter de deux textes appartenant à des jurisconsultes du ne siècle 17
La prohibition, établie par le sénatus-consulte Velléien, est absolue. II y a cependant quelques cas où elle cesse de s'appliquer : 1° lorsque la femme s'est fait payer son intercession, quel que soit le prix qu'elle a reçu 18 ; 20 lorsqu'elle a intercédé pour doter sa fille u, pour défendre son mari malade ou absent 20 ; 3° en cas de dol : la femme a trompé le créancier sur la nature de l'acte auquel elle a participé21; 4° lorsque le créancier est un mineur de vingt-cinq ans et qu'il ne peut se faire payer par celui pour qui la femme a intercédé !2.
En cas de contravention au sénatus-consulte Velléien, le voeu du sénat est que l'intercessio soit sans effet (irrita 23, inanis) n. Pourtant l'intercessio n'est pas nulle de plein droit. Le sénat s'est borné à inviter les magistrats à faire respecter son avis 25 [noNORAnlusI Jus, p. 2!5j. Aussi de deux choses l'une : ou la contravention sera manifeste, et le préteur refusera au créancier toute action contre la femme 26, ou il y aura doute, et dans ce cas, c'est sous forme d'exception que l'on viendra au secours de la femme. Cette exception est celle qui figure dans l'édit si quid contra legem senatusveconsultum factum esse dicetur 27. Dans son application particulière à l'intercession des femmes 28, on a l'habitude d'ajouter le nom du sénatus-consulte : on l'appelle exception du sénatus-consulte Velléien 29. Cette exception ne laisse pas même subsister une obligation naturelle 30 Aussi la femme qui par erreur aurait payé sans invoquer le bénéfice du sénatus-consulte pourrait-elle exercer la répétition de l'indû31. Mais si elle apayé en connaissance de cause, elle ne peut plus tard se raviser, car il ne lui est pas défendu de payer la dette d'autrui 32.
L'exception du sénatus-consulte n'est pas toujours suffisante : quand la femme s'est obligée à la place d'autrui, l'équité veut qu'on restitue au créancier qui ne peut agir efficacement contre elle, l'action qu'il avait contre son ancien débiteur. Tel est le but de l'action restitutoria promise par l'édit du préteur33. Si au contraire l'intercessio est déguisée sous l'apparence d'une obligation
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nouvelle contractée parla femme, le préteur donnera au créancier une action contre le tiers pour lequel la femme s'est obligée (action institutoria)'.
La réglementation de l'intercessio des femmes par le sénatus-consulte Velléien a été modifiée par Justinien à deux reprises, en 530, puis en 556. Les innovations introduites par cet empereur ont trait à la forme et au fond du droit. Quant à la forme, toute intercessio doit être constatée par un acte public signé de trois témoins2. L'inobservation de cette règle entraîne la nullité de l'intercessio; il n'est besoin d'aucune exception pour la faire valoir'. Quant au fond, Justinien autorise la femme à écarter la prohibition du sénatus-consulte, soit en réitérant sa promesse après un intervalle de deux ans soit en déclarant qu'elle a reçu le prix de son intervention
ce qui lui fournit un moyen facile d'éluder la loi 6. La pensée de Justinien est de valider l'intercessio lorsque la femme manifeste une volonté sérieuse de s'obliger. Mais il n'est permis à la femme de renoncer au bénéfice du sénatus-consulte que pour obtenir la tutelle de ses enfants ou petits-enfants 7.
Si Justinien a affaibli la prohibition édictée par le Velléien en cas d'intercession au profit d'un tiers, il l'a rendue plus rigoureuse lorsque la femme intercède pour son mari : cette intercession est toujours nulle'. Une seule réserve est faite : lorsqu'il est prouvé que l'argent a profité à la femme. Cette réserve ne constitue pas une dérogation à la règle, car la définition même de l'intercession exclut les actes faits dans un intérêt personnel.
La distinction établie désormais entre l'intercession faite au profit du mari ou d'un tiers résulte de la Novelle CXXXIV, c. 8, adressée en 556 au préfet d'Orient Petrus Barsyamese. Elle est postérieure de vingt-six ans à la première modification. apportée au sénatus-consulte Velléien ; elle procède d'une pensée différente. Justinien a voulu empêcher la femme de compromettre ses droits sur la dot en s'obligeant pour son mari. Il ne s'agit plus d'affirmer l'incapacité de la femme, mais de conserver la dot dans l'intérêt de la famille.
B. Incapacités partielles d'intercéder. Les militaires et les décurions sont frappés d'une incapacité partielle de se porter intercessores. D'après un rescrit d'Alexandre
Sévère de l'an 29.3, il est interdit aux militaires pour des raisons d'utilité publique de défendre en justice au nom d'autrui 16. Une constitution de Léon de l'an 458 leur défend également de se porter fidéjusseurs ou rnandatores d'un fermier (conductor), ne, omisso armorum usu, ad
opus rurestre se con ferant, et vicinis graves praesumtione cinguli militaris existant". Cette incapacité leur est
commune avec les décurions. Dès l'année 439, Théodore le Jeune '2 avait interdit aux curiales de cautionner l'obligation d'un conductor 13. ÉDOUARD CUQ.