Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article IO

IO ('IJ')). Dans la tradition la plus répandue, Io est fille d'Inachos, le fleuve argien', et de la nymphe Mélia2. IO -368IO D'autres généalogies lui donnent pour père soit Iasos 1, personnage qui semble imaginé pour expliquer l'expression "Iacov 'Apyoç 2, soit Peirèn ou Peiras, qui avait le premier sculpté l'image de la déesse Héra 3; on désigne aussi comme sa mère Argia 4 ou Peitho 6. D'ordinaire, on fait d'elle une prêtresse d'Héra, en l'assimilant à lÇaaX(Outa ou Pa),atQûecea, qui exerça la première, dit-on, ce sacerdoce 6 et paraît n'être que la personnification d'une ancienne épithète de la déesse'. Zeus, épris de sa beauté, la séduits; ces amours ayant été soupçonnées par Héra, il transforme la jeune fille en génisse, afin de pouvoir nier par serment qu'il ait eu commerce avec elle 9. Héra lui demande alors la vache en présent, et lui donne Argus comme gardien. Une autre version, suivie par Eschyle, attribue la métamorphose à la vengeance d'Iléra elle-même ; puis, comme Zeus emprunte la forme d'un taureau pour donner suite à ses amours, la déesse confie Io à la surveillance d'Argusf0. On montrait près d'Argos11, our`a Némée 12, ou à Mycènes 13, l'olivier où la vache Io était attachée pour paître. Cette captivité prend fin par le meurtre d'Argus, tué par Hermès qui a cherché inutilement à tromper sa vigilance [Anus]. C'est dans cette première partie de l'histoire légendaire d'Io qu'on a cherché le sens du mythe. On y a vu souvent, et dès l'antiquité même''', une réminiscence des phénomènes lunaires. Io serait une personnification de la lune et Argus, son gardien, du ciel étoilé 1'. On a allégué, à l'appui de cette explication naturaliste, des témoignages d'après lesquels k est le nom de la lune en dialecte argien16. Mais il n'y a là qu'une donnée très sujette à caution17. Une théorie plus plausible reconnaît dans Io un doublet et une forme secondaire d'Héra, qui porte l'épithète de poôo ztç, et que beaucoup d'anciennes idoles argiennes représentent sous les traits d'une vache; le souvenir obscur de cette identité primitive explique qu'on ait fait plus tard d'Io une prêtresse d'Iléra; et enfin ce nom d'Io, qui paraît être le diminutif d''Ioc,e,cea, « brillante comme la violette », conviendrait bien à une divinité du ciel". Dans cette hypothèse, Argus serait une divinité mâle, similaire et subordonnée; son meurtre par Hermès doit être un trait ajouté récent, qui a son point de départ dans une fausse interprétation de l'épithète 'ApyctpdvT71ç attribuée à Hermès 19. Délivrée de son gardien, Io est en proie à un taon que suscite la colère d'Héra et qui, s'attachant à elle, la pourchasse à travers le monde jusqu'à ce qu'elle trouve le repos en Égypte. Sur son itinéraire, il n'existait certainement aucune tradition fixe, et l'imagination des poètes a pu le varier librement. Les données des deux pièces d'Eschyle qui racontent ses courses vagabondes ne sont même pas d'accord entre elles. D'après les Suppliantes, elle franchit le Bosphore, traverse l'Asie Mineure du nord au sud, puis la Phénicien0 ; l'itinéraire du Prométhée est beaucoup moins précis, et il est impossible de le retracer avec netteté : nous voyons seulement qu'elle arrive d'abord à Dodone, où l'oracle la salue épouse de Zeus"; de là, sans qu'on sache par quelle voie, elle parvient jusque auprès de Prométhée dans le Caucase"; là le Titan lui décrit ses courses ultérieures, qui la ramèneront en Europe, puis en Asie, avant d'aboutir au pays d'Éthiopie 23. Il est probable que plusieurs des points de ce parcours n'ont été choisis que pour expliquer certains noms géographiques : c'est ainsi qu'Eschyle lui fait longer la mer Ionienne, simplement à cause de l'analogie qu'on avait remarquée entre ce nom et le sien 2'0; de même celui du Bosphore (Bir c oç)semblait conserver le souvenir de son passage 25 ; enfin, d'autres noms géographiques, dans les mêmes parages, Jxuaatç, K€pxç, étaient expliqués par la même légende2°. Différentes versions ne font pas allusion au taon qui persécute Io, et la font parvenir directement d'Argolide en Égypte avec l'aide d'Hermès" ou de Poseidon28. En Égypte, qui, dà.ns tous ces récits, est le terme de ses voyages, ses mésaventures prennent fin : Zeus, en la touchant de ses mains, lui rend la forme humaine"; elle y devient mère d'Épaphos, dont les anciens expliquent le nom par une allusion à ce dernier prodige30 C'est Épaphos qui, dans la légende suivie par les tragiques, devint l'ancêtre de Danaos 31. Nombre de récits ont donné à cette légende un tour evhémériste. On sait que l'ouvrage d'Hérodote s'ouvre précisément par l'exposé de l'aventure d'Io : fille du roi machos, elle aurait été, au dire des Perses, enlevée avec d'autres jeunes filles par des pirates phéniciens et transportée en Égypte 32 ; la version des Phéniciens, que l'historien rapporte ensuite, ne diffère au fond de celleci que par un détail : c'est que la jeune fille aurait suivi volontairement ses ravisseurs33. A quelques variantes près, c'est une version analogue que nous trouvons dans Éphore3' et dans Palaephatus3'. Notons encore qu'on signalait la trace du passage d'Io IO 569 IOL en différentes villes de l'Orient, à Antioche t, à Gazaz, à Ninos ou Ninive 3. Quel ques auteurs veulent aussi qu'Io ait été recherchée, après sa fuite, par son père, ses frères et différents héros, et l'on rattachait à ces voyages la fondation de plusieurs villes, lopolis en Syrie Cyrnos en Carie 5, Tarse en Cilicie 6. Ces traditions sont évidemment de l'époque où les Grecs cherchaient à établir des rapprochements entre leurs légendes etcellesde l'Orient7. L'arrivée d'Io en Égypte même est, selon toute vraisemblance, un élément relativement moderne dans la fable 8; elle aura été imaginée lorsque les Grecs, familiarisés avec l'Égypte, crurent reconnaître en Isis la fille d'Inachos. L'analogie entre Isis et Io, toutes deux représentées avec des cornes sur la tête, a été re connue de ;bonne heures, et l'idée devait venir de les identifier 10. La présence d'Io en Égypte donna naissance à son tour à de nouvelles fictions. Ainsi Épaphos, fruit de ses amours avec Zeus, fut assimilé à l'Égyptien Apis ". D'après un récit reproduit dans Apollodore 12, Héra reporta sa haine sur Épaphos dès sa naissance : elle ordonna aux Curètes de le faire disparaître; les Curètes obéissent et encourent ainsi V. la colère de Zeus, qui les fait périr 13. Io part à la recherche de son fils et le retrouve en Syrie, à Byblos; de retour en Égypte, elle épouse le roi Télégonos 14. Une autre version fait d'Épapho's le fils d'Io et de Télégonos 15; d'après une autre encore, c'est Télégonos qui est né d'Io et d'Épaphos16. Enfin, l'on fit d'Io une des constellations célestes ". Les Romains l'ont aussi identifiée avec ANNA I'E La popularité du mythe est attestée par les nombreuses allusions des auteurs anciens, tant en Grèce qu'à home. Le théâtre s'en est inspiré plusieurs fois18. Les représentations figurées sont également fort nombreuses. La plupart des motifs reproduisent la surveillance d'Io par Argus, la ruse d'Hermès pour tromper son gardien ou le meurtre de ce dernier : les monuments les plus caractéristiques ont été signalés à l'article Ancus f9. Io est représentée tantôt sous la forme d'une génisse20, tantôt sous celle d'une jeune femme qui porte deux petites cornes sur la tête 21. Elle est ainsi figurée dans deux peintures murales de Pompéi relatives à la dernière partie de la légende, l'arrivée d'Io en Égypte (fig. 4086) 22. Les représentations isolées d'Io sont plus rares43. Une des plus intéressantes est un buste de terre cuite conservé à Carlsruhe (fig. 4087)2'•; on peut encore citer un vase de Naples où elle est figurée assise sous un palmier25, et la peinture d'une coupe 26. F. DGRRBACIL,