Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article IRIS

IRIS. Cette divinité, qui figure, avec un rôle assez important, dans l'Iliade' et qui est totalement absente de l'Odyssée, est surtout connue de la poésie grecque comme messagère des dieux, le plus souvent aux ordres de Zeus et d'Héra qui la dépêchent, soit à d'autres divinités, soit, plus rarement, à des héros privilégiés. Jusqu'au XXIVe chant de l'Iliade exclusivement ' (on sait que ce chant ne fait pas partie de l'oeuvre primitive), elle est même la seule messagère, comme elle est la seule divinité a laquelle Homère prête des ailes. Dans l'Iliade cependant, le poète emploie le mot `içtç pour désigner l'arc-en-ciel', et quelques-uns des traits dont il peint la divinité font croire qu'elle a été à ses yeux une personnification de ce phénomène'. Telles sont les IRI X71 IRI épithètes qui, au lieu d'exprimer simplement la rapidité de sa course, y mêlent l'idée de vent et de tempête; telles des comparaisons qui nous la montrent traversant l'espace d'un vol bruyant, semblable à une rafale de neige ou à un ouragan; telle surtout l'épithète de puao7ctiepiç qui, à l'attribut des ailes, joint celui des couleurs brillantes. Les anciens interprètes ont déjà remarqué que si Iris, à la prière d'Achille, se rend dans la demeure de Zéphyros et de Boréas pour qu'ils viennent faire flamber le bûcher de Patrocle, c'est à sa signification météorologique qu'elle est redevable de ce rôle : la question est de savoir si ses fonctions morales ne sont pas antérieures? L'analogie plaide pour l'opinion contraire', mais la pratique constante de la poésie grecque, si nous mettons à part la poésie philosophique, ne nous autorise à voir en elle que la plus ancienne messagère de l'Olympe, en attendant qu'elle devienne la messagère spéciale et la suivante d'Héra. L'art est sur ce point d'accord avec la poésie : pas une de ses manifestations ne nous présente franchement Tris comme une personnification de l'arc-enciel. Dans la poésie latine, les deux points de vue sont mêlés2; Virgile est le poète qui a le mieux précisé l'être double de cette divinité; ses apparitions en tant que messagère céleste y sont toujours combinées avec celle de l'arc-en-ciel; cependant, dit Servius, l'arc n'est jamais Iris elle-même, mais seulement la route qu'elle se trace à travers le ciel Iris, qui est la seule divinité ailée de l'Iliade, est, comme de juste, au premier rang de celles qui sont reconnaissables aux ailes dans les représentations artistiques. Cependant cet attribut, qui exprime sa nature éthérée autant que la rapidité de sa course, ne lui est pas donné toujours ; en tant que messagère, elle est reconnaissable au caducée Ainsi sur le vase François, où, en compagnie du centaure Chiron, elle marche en tête du cortège qui va chercher Thétis pour l'emmener chez Pélée 6. Sur une plaque de bronze de très ancien style e, elle apparaît (fig. 4090) amplement drapée, la main droite levée pour une injonction, la gauche tenant un long caducée; elle porte d'ailleurs les brodequins ailés qui vont peu à peu devenir la propriété presque exclusive d'Hermès, mais qu'elle garde encore quelquefois dans les représentations plus récentes 7. Sur un vase signé Pamphaïos, figurant l'enlèvement du cadavre de Memnon par les Vents, elle est également sans ailes, avec le caducée; elle y fait pendant à Fos, qui n'est pas non plus ailée Ailes et caducée n'appartenant pas en propre à Iris, il est aisé de la confondre, sur les vases à figures noires, avec Eris, dont le nom est à lui seul une cause de confusion, et plus tard avec Niké qui a usurpé sur Iris tous les attributs distinctifs. En ce qui concerne les produits de la céramique primitive, quand l'ensemble de la scène ne détermine pas les personnages, Eris et Iris ne se distinguent que par les inscriptions, celle-ci n'y étant pas encore munie du caducée ; en plus des ailes très amples, la rapidité de la course y est exprimée par le fléchissement des jambes souvent signalé ; c'est l'insuffisance des ailes et de la tunique flottante pour désigner Iris, qui semble lui avoir fait attribuer le caducée par les artistes. Le même besoin de préciser son être l'a fait munir dans certains cas de l'objet de son message. La représentation la plus complète en ce genre nous est offerte par un lécythe à fond noir du musée du Louvre (fig. 4091) 70, Iris tient le caducée d'une main, et de l'autre des tablettes entourées d'un ruban. Sur une hydrie à figures rouges, le message écrit est remplacé par un enfant que la déesse serre contre sa poitrine, probablement Héraclès, enlevé à Alcmène après sa naissance pour être allaité dans l'Olympe par Héra ; il existe d'ailleurs un lécythe à figures rouges où Iris, en conversation avec Alcmène, contemple Héra qui donne le sein à Héraclès 11 Dans les scènes dont le sujet est connu par l'épopée, les artistes ne semblent attacher que peu d'importance aux attributs ; une hydrie de style archaïque qui la représente entre deux chars de guerre lancés l'un contre l'autre, dans l'attitude qui indique son rôle pacificateur, lui donne simplement les traits que nous rencontrons aussi chez les Harpyies, chez les Furies, etc. ; la tunique cependant est plus courte et les ailes assez vastes; l'inscription désigne Iris (fig. 4092)''. Sur un vase de Vulci, elle vient annoncer à Achille la mort de Patrocle ; de la main gauche elle tient le caducée, de la droite elle tend vers le héros une fleur13. A mesure que grandit dans la littérature et dans l'art le rôle d'Hermès messager des dieux, celui d'Iris y diminue ; et même on peut dire que l'art est spécialement responsable de la décadence d'Iris. Au début, il y a par 1015 ta.ge ; Iris, disaient les commentateurs fidèles à l'esprit de l'Iliade, ne porte que les messages funestes; les bonnes nouvelles arrivent par Hermès'. D'autres, s'attachant à la nature chthonienne du dieu, distinguaient en ce qu'Iris aurait servi d'intermédiaire entre l'Olympe et la terre, Hermès se chargeant des correspondances avec le monde souterrain 2. Ces explications sont trop systématiques pour être exactes. La vérité est que, par une sorte de parallélisme où les convenances trouvaient leur compte aussi bien que l'art, Iris est rattachée au service des divinités féminines 3, en particulier d'Héra, tandis que Hermès est dans la dépendance de Zeus et des dieux masculins. Nulle part cette symétrie ne s'affirme mieux que sur un beauvase polychrome de Ituvo où, parmi le cortège des di vinités de~Jt __.. .._ la lumière, Zeus est as sisté par Hermès et Héra par Iris (fig. 4093); celle-ci, en tunique longue, aux ailes largement étendues, est placée entre le maître de l'Olympe et son épouse, la main droite levée vers elles. Peut-être sur la frise du Parthénon faut-il voir Iris et non Hébé ou Niké dans la figure de la divinité virginale qui, aux côtés d'Héra entr'ouvrant ses voiles avec le geste familier dans les scènes de théogamie, lève le bras gauche à la hauteur du front, tandis que le droit se place en travers de la poitrine : des ailes sont visibles sur le fond et la chevelure de la déesse, mollement ondulée et comme soulevée par le vent, convient à la nature éthérée d'Iris 6. Dans ces scènes, cette divinité est moins une messagère qu'une suivante attachée fi la personne d'Héra 6; c'est par cette dernière fonction, déjà indiquée dans l'Iliade, que semble compensée d'abord la perte de ses anciennes prérogatives, peu à peu usurpées par Hermès. Théocrite appelle la déesse 92),ap.éurrta, c'est-à-dire la camérière d'Héra; il dit que de ses propres mains elle a préparé sur le mont Ida la couche où Zeus oublia dans l'amour les combats des Grecs et des Troyens : une peinture de Pompéi, off Iris figure en tunique longue comme vult.9ayo''yr1 d'Héra, semble s'inspirer de ces vers'. Il se peut que le rôle donné à la déesse par le vase François dans les noces de Thétis et de Pélée procède déjà d'une idée analogue ; dans tous les cas, sur les vases de l'Italie méridionale, cette transformation des fonctions d'Iris lui vaut, au lieu du caducée, de porter ou le thymiaterion ou la ciste aux parfums'. Lorsque, d'une manière exceptionnelle, elle continue de remplir l'office de messagère, il arrive que, pour la distinguer de Niké, généralement vêtue de la tunique longues, les artistes lui donnent la robe dorienne qui, serrée à la taille, tombe jusqu'aux genoux, ce qui a pour conséquence de diminuer l'envergure des ailes. Sur une amphore à figures rouges 10, représentant l'épilogue de la légende d'Idas et de Marpessa, dont les amours ont été troublées par Apollon, Iris messagère, reconnais sable au ca ducée et aux brodequins ailés, s'inter pose d'un air résolu entre le couple hé roïque et le dieu qu'elle force à s'é loigner, Elle porte la tu nique courte et l'allure gé nérale est celle d'un Hermès fé minin, vigoureux et élégant (fig. 4094), ce qui empêche de, la prendre pour Niké. Souvent, au contraire, lorsque l'art hellénistique nous offre des figures de femmes ailées en IRE -i 7G IRP longue tunique.et portant le caducée, il faut se garder de les identifier avec Iris; ainsi la-figure qui, sur les monnaies de Terina, appuyée à une colonne, fait des libations sur un autel'. Il suffit de la comparer avec la divinité qui, sur une coupe de Nola, le caducée d'une main et de l'autre un vase avec lequel elle fait des libations à un guerrier, nous est donnée par une inscription comme étant Niké 2. Il était dans la nature d'Iris de ne pas échapper à la caricature; ici encore l'art reste en harmonie avec la littérature et l'une et l'autre se rattachent à la poésie homérique. Si sérieusement traitée qu'elle soit, la scène d'Iris qui se rend sur l'ordre d'Héra dans la demeure où les Vents font bombance, pour les em mener près du bûcher de Patrocle, confine au comique spécial du drame satyrique et de la comédie moyenne 3. Nous voyons par Aristophane comment la limite a été franchie ; rien de plus pittoresque et de plus risible à la fois que le tête-à-tête d'Iris et de Pisthétère dans la cité des Oiseaux où les dieux ont envoyé leur messagère; elle n'est pas seulement accoutrée de plaisante façon, elle essuie de la part de son interlocuteur des menaces et des injures qui compromettent fort la majesté des Olympiens 4. Dans le drame satyrique, elle paraît avoir été aventurée de la même manière parmi les Satyres et les Centaures; le vase dit de Brygos s'inspirant d'un drame du poète Achaïos intitulé Iris, la montre aux prises, ainsi qu'Iléra, avec une bande de Satyres. Peut-être est-ce un Pirit1wüs du même poète qui a fourni le sujet d'un vase où Iris, vêtue du costume traditionnel, avec le serre-tête, les ailes et le caducée, a peine à.. se défendre contre trois Centaures hirsutes et brutalement sensuels 6. Nous avons dit qu'on chercherait vainement une oeuvre d'art où Iris apparaisse, ou comme la personnification de l'arc-en-ciel, phénomène dont elle porte le nom, ou tout au moins comme une apparition divine, combinée avec ce phénomène, suivant l'esprit de la poésie virgilienne. Il est possible toutefois que la peinture ne soit pas restée indifférente à ce point de vue; Pline vante les qualités d'un tableau' resté inachevé, du peintre Aristide, qui a fort bien pu servir de modèle à la description pittoresque de l'Lnéide° : Ergo Iris croceis per caclum roscida pennis Mille trahens varios adverso sole colores Devolat. Cicéron lui-même se fonde sur la beauté de l'arcen-ciel pour expliquer la divinité d'Iris et rappelle qu'Hésiode lui donna Thaumas pour père a, Electra pour mère, les deux noms irnpliquant l'idée d'un éclat merveilleux. Le seul culte d'Iris dont l'antiquité fasse mention lui a été rendu par les habitants de Délos, dans la petite île d'Hécaté 70 ; et ce culte a pour raison d'être l'opinion vulgaire que l'arc-en-ciel était indice de vent ou de pluie. On donnait pour époux à la déesse Zéphyros, le plus fécondant (atwTioç) des vents, et le poète Alcée faisait naître d'eux Eros en personne fi Des monnaies de Mallos représentent Iris qui, en compagnie des Vents, traverse l'espace, planant au-dessus d'un dieu fluvial au corps de taureau t2. Si ni la céramique ni la sculpture n'ont représenté Iris en tant que personnification de l'arc-en-ciel, considéré par les Grecs comme un présage funeste, il est tout au moins probable qu'elle a signifié quelquefois l'humidité fécondante. Sur une hydne à figures rouges, la divinité qui plane, en tunique longue, tenant le caducée d'une main et de l'autre un vase qu'elle épanche, n'est autre qu'Iris 13. C'est le caducée qui la distingue d'Eos par exemple, laquelle d'ailleurs, dans une attitude et un costume semblables, traverse l'espace, répandant, avec un vase de chaque main, la rosée matinale f5 [AURORA, fig. 6471 : de sorte qu'Iris peut fort bien avoir sa place parmi ces o vierges qui portent la pluie » qui composent le choeur des Nuéeslo. Elle y figurerait avec d'autant plus de vraisemblance que la poésie philosophique a tenté de la ramener aux proportions d'un phénomène naturel f6. Un vers d'Empédocle dit en parlant d'elle: a Iris amène de la mer ou les vents ou la grande pluie » ; et Xénophane : « Elle n'est qu'un nuage teint de diverses couleurs ». D'autres interprétaient même ces couleurs ramenées à trois, le vert, le rouge et l'azur sombre, par les phénomènes divers dont l'apparition était le présage. J. A. HILi.